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Table des matières



Accord en CMP

Congrès et assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie (Suite)

Explications de vote

Mme Corinne Narassiguin

M. François-Noël Buffet

M. Pierre Médevielle

M. Philippe Bonnecarrère

Mme Mélanie Vogel

M. Robert Wienie Xowie

M. André Guiol

M. Olivier Bitz

Scrutin public solennel

Mme Marie Guévenoux, ministre déléguée chargée des outre-mer

Sécuriser et réguler l'espace numérique (Conclusions de la CMP)

Mme Catherine Morin-Desailly, au nom de la CMP

Mme Marina Ferrari, secrétaire d'État chargée du numérique

Discussion du texte élaboré par la CMP

Article 1er

Article 2

Article 2 bis

Article 3 bis A

Article 4 AD

Article 5 bis

Article 15

Article 15 bis

Article 22

Article 26

Article 32

Vote sur l'ensemble

M. Patrick Chaize

M. Pierre-Jean Verzelen

M. Loïc Hervé

M. Thomas Dossus

M. Pascal Savoldelli

M. Bernard Fialaire

M. Ludovic Haye

Mme Florence Blatrix Contat

Engagement bénévole et vie associative (Conclusions de la CMP)

M. Yan Chantrel, rapporteur pour le Sénat de la CMP

Mme Prisca Thevenot, ministre déléguée chargée du renouveau démocratique, porte-parole du Gouvernement

M. Joshua Hochart

Mme Laure Darcos

M. Pierre-Antoine Levi

Mme Mathilde Ollivier

M. Gérard Lahellec

M. Ahmed Laouedj

M. Martin Lévrier

Mme Colombe Brossel

Mme Anne Ventalon

Mise au point au sujet d'un vote

Commission (Nomination)

Lutte contre les dérives sectaires (Nouvelle lecture - Procédure accélérée)

Discussion générale

Mme Sabrina Agresti-Roubache, secrétaire d'État chargée de la ville et de la citoyenneté

Mme Lauriane Josende, rapporteure de la commission des lois

Mme Laure Darcos

Mme Olivia Richard

M. Guy Benarroche

M. Pierre Ouzoulias

Mme Nathalie Delattre

M. Thani Mohamed Soilihi

M. Christophe Chaillou

M. Roger Karoutchi

M. Jean-Baptiste Blanc

Question préalable

Situation de l'hôpital

M. Philippe Mouiller, pour le groupe Les Républicains

M. Frédéric Valletoux, ministre délégué chargé de la santé et de la prévention

Mme Anne-Sophie Romagny

Mme Anne Souyris

Mme Evelyne Corbière Naminzo

Mme Véronique Guillotin

Mme Nadège Havet

Mme Annie Le Houerou

M. Alain Milon

M. Joshua Hochart

M. Daniel Chasseing

Mme Élisabeth Doineau

Mme Émilienne Poumirol

M. Jean Sol

Mme Audrey Bélim

M. Khalifé Khalifé

Mme Marie-Claire Carrère-Gée

Mme Alexandra Borchio Fontimp

M. Clément Pernot

Mme Corinne Imbert, pour le groupe Les Républicains

Ordre du jour du mercredi 3 avril 2024




SÉANCE

du mardi 2 avril 2024

78e séance de la session ordinaire 2023-2024

Présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaires : Mme Sonia de La Provôté, M. Mickaël Vallet.

La séance est ouverte à 14 h 30.

Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.

Accord en CMP

M. le président.  - La commission mixte paritaire (CMP) chargée d'élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi visant à soutenir l'engagement bénévole et simplifier la vie associative est parvenue à l'adoption d'un texte commun.

Congrès et assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie (Suite)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle les explications de vote des groupes et le vote par scrutin public solennel sur le projet de loi constitutionnelle portant modification du corps électoral pour les élections au Congrès et aux assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie.

Explications de vote

Mme Corinne Narassiguin .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) « L'État ne peut pas s'abriter derrière une position d'arbitre ; il n'est pas juge, il est acteur », disait Jean-Marie Tjibaou en 1988. Acteur, l'État doit être humble et impartial, or ce n'est malheureusement plus le cas.

Le dégel du corps électoral est une nécessité constitutionnelle. Trop de personnes nées en Nouvelle-Calédonie et qui y vivent depuis de nombreuses années ne peuvent pas voter. (M. Philippe Bas approuve.)

Mais ce projet de loi constitutionnelle est plus que baroque. Le rapporteur, Philippe Bas, s'est certes efforcé de remettre au coeur du processus le Parlement, que le Gouvernement voulait contourner ; il a donné la priorité à un accord global, limitant ce texte à un simple filet de sécurité. En responsabilité, nous avons appuyé sa démarche.

Hélas, nous n'avons pas réussi à vous convaincre de retirer ce texte. Vous avez réussi l'exploit de ne satisfaire personne : les indépendantistes dénoncent un passage en force et réclament une médiation impartiale, tandis que Mme Backès sombre de plus en plus dans la rébellion, contestant la légitimité du gouvernement de Nouvelle-Calédonie et appelant à l'émeute - est-ce la position du Gouvernement, madame la ministre ?

Vous semblez penser que les partenaires politiques calédoniens ont besoin d'être bousculés pour avancer, comme s'ils ne comprenaient pas les enjeux. Oui, les discussions ont été saccadées, mais leur suspension a été provoquée par l'organisation à marche forcée du troisième référendum ; puis c'est l'imposition de ce texte qui a ravivé les tensions, dans un contexte économique et social de plus en plus dégradé.

L'avenir des trois usines de nickel, qui assurent un quart de l'emploi, n'est pas garanti. Or, comme René Dosière et Jean-Jacques Urvoas l'ont rappelé dans Libération, chaque étape politique a été précédée par un préalable minier.

Dans toute démocratie, le corps électoral est un objet éminemment politique. En Nouvelle-Calédonie, le corps électoral restreint pour les élections provinciales est l'essence même de la définition d'une citoyenneté néo-calédonienne au sein de la citoyenneté française : une condition sine qua non d'une décolonisation réussie.

Impossible d'imposer son dégel en amont d'un accord global sans abîmer le processus qui préserve la paix civile. Le Gouvernement pensait accélérer le cours des événements ? Il n'a réussi qu'à renforcer ceux qui, des deux côtés, veulent le moins avancer ensemble...

Madame la ministre, en imposant aux partenaires la date des prochaines élections et un corps électoral glissant dont la composition ne fait pas consensus, vous faites un nouveau faux pas. Le temps calédonien n'est pas le nôtre : même si ce n'est pas le tempérament du ministre de l'intérieur (M. Philippe Bas sourit), en Nouvelle-Calédonie, pour être efficace, il faut parfois donner du temps au temps.

Ce n'est pas au Parlement de décider si ou quand un accord global est possible. Les partenaires calédoniens ont montré qu'ils sont capables, dans les contextes les plus difficiles, de trouver le chemin d'un accord. Faisons-leur confiance !

Nous dénonçons la méthode du Gouvernement et son choix de tourner le dos à l'esprit d'impartialité. En passant en force, l'État montre qu'il a choisi son camp. Or le point de non-retour n'est pas franchi : il est encore temps d'éviter l'étincelle qui embrasera l'archipel.

Au jour du vote solennel sur ce texte qui exacerbe les tensions, le garde des sceaux et surtout le ministre de l'intérieur, qui s'enorgueillit pourtant d'avoir pris ce dossier à bras-le-corps, vous laissent bien seule, madame la ministre. Il serait temps que Matignon s'intéresse de nouveau à l'avenir de la Nouvelle-Calédonie !

Laissons aux différentes communautés de Nouvelle-Calédonie le temps de se forger un destin commun. L'accord politique local doit précéder toute intervention du législateur. C'est pourquoi nous voterons contre ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; MM. Robert Wienie Xowie et Éric Bocquet applaudissent également.)

M. François-Noël Buffet .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; MM. Franck Menonville et Alain Marc applaudissent également.) Nous voici de nouveau au chevet de la Nouvelle-Calédonie, territoire de passions. À la suite d'un drame, ceux qu'on appelle, par facilité de langage, les indépendantistes et les loyalistes ont trouvé un accord.

Mais cet accord avait un terme. Lors de la dernière consultation, les Calédoniens ont choisi de rester dans la République française, mettant fin au processus de Nouméa. Un nouvel accord est donc nécessaire.

Les discussions ont débuté, plus ou moins bien. Les élections provinciales, qui aboutissent à la désignation du Congrès de la Nouvelle-Calédonie, devaient intervenir en mai prochain. Le Gouvernement a choisi de les reporter, au plus tard le 15 décembre prochain, pour qu'elles se tiennent dans des conditions juridiques sécurisées.

Restait l'enjeu constitutionnel, celui du corps électoral, alors que 20 % des électeurs en sont exclus, trois fois plus qu'en 1998.

En Nouvelle-Calédonie, il faut être à la fois ferme et souple, clair sur les objectifs et ouvert à la discussion. C'est pourquoi notre rapporteur, Philippe Bas, a proposé de conserver la limite du 15 décembre pour l'élection, mais de desserrer le délai prévu pour la discussion, afin que le 2 juillet ne soit plus un butoir, voire un couperet. L'accord pourra intervenir à tout moment, jusqu'à dix jours avant les élections.

Certains diront que, à l'approche de l'élection, les conditions d'un accord ne sont pas réunies. D'autres que l'espoir demeure et doit vivre.

Le dégel devait-il s'appliquer uniquement pour cette élection ou aussi pour les autres ? Sur la proposition du rapporteur, la commission a choisi un dégel pérenne et glissant. Ce qui n'empêche pas les acteurs calédoniens d'en rediscuter dans le cadre d'un accord global - c'est leur liberté, et nous y tenons.

Rappelons que ce texte ne porte que sur le dégel, à l'exception de tout autre enjeu.

Le Gouvernement demandait l'habilitation du Parlement pour organiser le processus électoral. Le Sénat la lui a refusée à l'unanimité, et c'est tant mieux. Le Parlement ne saurait être privé de l'exercice d'une telle compétence.

La Nouvelle-Calédonie traverse une crise institutionnelle mais aussi économique et sociale. Disons à tous ceux qui vivent la Calédonie, indépendantistes ou loyalistes : votre destin est entre vos mains ! Un choix a été fait lors des référendums : écrivez la suite de votre histoire, et, le moment venu, le Parlement fera le nécessaire. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; MM. Franck Menonville, Alain Marc et Hervé Maurey applaudissent également.)

M. Pierre Médevielle .  - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP ; M. Bernard Buis applaudit également.) Passage en force, ultimatum, manque d'impartialité : ainsi certains qualifient-ils le dégel, proposé par le Gouvernement, du corps électoral en Nouvelle-Calédonie. Pour notre part, nous l'appelons courage politique, impartialité et sens des responsabilités.

Les parties n'arrivant pas à se mettre d'accord et un risque d'inconstitutionnalité pesant sur les élections à venir, il est de la responsabilité de l'État d'en sécuriser le déroulement. Il ne décide rien à la place des Calédoniens, mais crée les conditions pour que ceux-ci décident.

Sur le Caillou, le corps électoral pour les élections provinciales est gelé depuis 2007, après avoir été restreint en 1998. Cette exception devait être transitoire, dans le cadre de l'accord de Nouméa. Ce dernier étant caduc depuis le troisième référendum, elle n'a plus lieu d'être.

Le Gouvernement propose de revenir à une situation plus démocratique en élargissant le droit de vote aux personnes nées en Nouvelle-Calédonie ou domiciliées sur place depuis au moins dix ans. Dix ans, c'était la durée prévue par l'accord de Nouméa avant le gel de 2007. C'est donc une solution de compromis.

Grâce à ce texte, les élections provinciales pourront se tenir de façon valide et 25 000 nouveaux électeurs s'exprimer, dont beaucoup sont nées sur place ou y vivent depuis plus de vingt-cinq ans. Plus largement, redonnons tout leur sens aux règles démocratiques au sein de notre République : la Nouvelle-Calédonie n'est pas l'autre bout du monde, c'est l'autre bout de la France !

Le texte issu du Sénat laisse toute sa place au dialogue et à la possibilité d'un accord. Notre groupe a unanimement soutenu le sous-amendement du président Buffet tendant à pérenniser le dégel : nous avons besoin de clarté, et la Nouvelle-Calédonie doit pouvoir se projeter au-delà des prochaines années.

Il n'y a pas de temps à perdre, car la situation économique et sociale s'est fortement dégradée en quelques mois. La crise du nickel a déjà des conséquences dramatiques.

Par trois fois, les Calédoniens ont réaffirmé qu'ils voulaient un destin au côté de la France. La France se doit d'être à leur côté.

À titre personnel, je déplore que nous n'ayons pas été au bout du rétablissement d'un processus démocratique par le rééquilibrage de la représentativité. En 1985, le Conseil constitutionnel a censuré un écart d'un facteur de 2,1 entre la province Sud et celle des îles Loyauté : il est aujourd'hui de 2,4...

Je regrette aussi, monsieur le rapporteur, que, malgré votre périple de 37 000 km, vous n'ayez pas présenté vos amendements sur place pour juger de l'accueil qui leur était réservé.

Dommage, enfin, que nous soyons passés à côté de l'urgence de la situation. Il ne vous aura pas échappé que, au lendemain de nos débats, des milliers de Calédoniens sont descendus dans la rue pour dire « stop » aux tergiversations sur un texte indispensable, « stop » aux spéculations sur un accord dont chacun sait qu'il ne pourrait intervenir qu'après les élections, « stop » au matraquage fiscal pour dissuader les contribuables de rester sur le Caillou.

Les citoyens, les entrepreneurs et les investisseurs de Nouvelle-Calédonie ont besoin de visibilité, de stabilité et de sérénité. Il est de notre devoir de les rassurer. Ce territoire possède un potentiel formidable : ne le gâchons pas, et donnons-lui un nouvel élan !

Le groupe Les Indépendants votera ce texte. Vive la Nouvelle-Calédonie, vive la France ! (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP ; MM. François Patriat, Michel Canévet et Franck Menonville applaudissent également.)

M. Philippe Bonnecarrère .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Nos concitoyens néo-calédoniens suivent-ils nos débats ? Pas sûr, tant ils ont d'autres sujets de préoccupation plus immédiats. Abordons donc ce texte avec modestie.

Examinons-le aussi avec une approche transversale, car, si la commission des lois est saisie au fond de ce texte constitutionnel, il concerne aussi bien la commission des finances - les systèmes calédoniens de retraite et d'assurance chômage sont en grande difficulté et l'usine du Nord a une dette de 13 milliards d'euros, partiellement garantie par l'État  - , la commission des affaires économiques - le pacte nickel n'est pas signé et le coût de l'énergie représente 50 % du prix de revient du nickel -, la commission des affaires étrangères - l'État est actionnaire à 27 % d'Eramet, qui réalise des investissements considérables en Indonésie, et la création d'un fonds d'investissement sur les métaux rares et les minerais critiques est prévue - et la commission des affaires européennes - la Nouvelle-Calédonie n'étant pas une région ultrapériphérique, quid du contrat d'association et de la souveraineté européenne sur l'archipel ?

Autant dire que l'intervention du constituant ne résoudra pas tout. Chacun souhaite un accord global, mais, pour l'heure, nous n'en avons pas. Il faut donc bien assurer le fonctionnement normal de la démocratie.

Les accords de Nouméa restent valables dans leur principe, mais une nouvelle page doit s'écrire, qui puise dans l'histoire de la Nouvelle-Calédonie.

Notre groupe votera ce texte, la moins mauvaise solution. Nous aurions été plus réservés si nous avions traité du nombre d'élus au Congrès ou du redécoupage territorial.

Nous envoyons deux messages : les discussions pourront se dérouler jusqu'à la fin novembre et, en cas d'accord, nous pourrions passer par un décret ou une loi - j'ai un faible pour la seconde hypothèse, mais il ne faut pas écarter la première. Le Parlement montre ainsi son implication dans les efforts pour trouver un accord. D'aucuns disent que nous sommes tremblants - c'est inutilement discourtois ; mais nous faisons preuve de responsabilité.

Notre assemblée, qui compte un sénateur loyaliste et un sénateur indépendantiste, est bien placée pour participer utilement aux débats sur un destin commun pour la Nouvelle-Calédonie. J'appelle, non à une médiation binaire, mais à un accompagnement politique des parties par le Parlement. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur plusieurs travées du groupe INDEP)

Mme Mélanie Vogel .  - (Applaudissements sur les travées du GEST) Avec ce texte, nous nous apprêtons à briser les conditions du maintien de la paix civile ; à vouloir à tout prix exercer un pouvoir que l'on détient, nous risquons de commettre l'erreur de trop.

Contrairement à l'émeute révolutionnaire selon Victor Hugo, un État démocratique ne peut avoir raison sur le fond en ayant à ce point tort sur la forme. Passer en force sur un point fondamental d'un fragile processus de décolonisation, le seul que la France n'avait pas encore raté, c'est nous condamner à échouer.

La décolonisation a été consacrée par l'accord de Nouméa comme « le moyen de refonder un lien social durable entre les communautés qui vivent aujourd'hui en Nouvelle-Calédonie, en permettant au peuple kanak d'établir avec la France des relations nouvelles correspondant aux réalités de notre temps ». Ce vivre-ensemble, ce lien social durable, ce pays commun, nous les mettons en péril en imposant une réforme du corps électoral à des personnes à qui l'État avait promis d'être impartial.

Bien sûr, les restrictions actuelles ont été pensées comme transitoires et doivent être réformées ; nul ne le conteste. Peut-être même qu'un accord local aboutirait à une solution très proche de celle qui nous est proposée. Mais la Nouvelle-Calédonie ayant été une colonie de peuplement, la question de son corps électoral et de sa citoyenneté ne peut être traitée séparément des autres enjeux institutionnels.

Selon l'accord de Nouméa, l'organisation politique actuelle doit rester en vigueur jusqu'à un nouvel accord global. Or il n'y a aucune perspective d'accord sur le corps électoral en dehors d'un accord global sur le statut de la Nouvelle-Calédonie. Pis, le calendrier imposé par le Gouvernement rend tout accord impossible : comment imaginer que les forces calédoniennes fassent campagne les unes contre les autres le jour et s'entendent sur un avenir commun le soir ?

Il faut un accord local pour que la composition du corps électoral satisfasse aux principes du suffrage universel tout en garantissant les moyens de l'autodétermination à un territoire qui reste à décoloniser. Cet accord doit venir des Calédoniens.

Nous avons tenté, avec d'autres, d'atténuer les dangers que comporte ce texte, mais nos propositions ont été rejetées : application de la réforme aux prochaines élections uniquement, consultation du Congrès de la Nouvelle-Calédonie sur cette réforme, garantie d'impartialité de l'État, report d'un an de l'entrée en vigueur du texte. Même l'organisation du scrutin par le Parlement, seul élément positif, le Gouvernement peine à le concéder ! Quel message envoyons-nous ?

Madame la ministre, je souhaiterais me tromper, et que cette réforme ne menace pas la possibilité pour les Calédoniens de s'entendre pacifiquement sur un destin commun. Je souhaiterais croire à votre belle histoire. Mais, il y a quelques jours, des milliers de personnes ont défilé à Nouméa, et Sonia Backès de déclarer : « le bordel, c'est nous qui le mettrons, si on essaie de nous marcher dessus ». La réforme du corps électoral, sujet ultrasensible, échauffe les esprits.

Je souhaiterais que la rupture du contrat par l'État et le vote unilatéral d'un nouveau corps électoral sans consensus local n'embrase pas de nouveau la Nouvelle-Calédonie ; mais j'en doute.

La seule solution est un accord global négocié par toutes les parties avant que le Parlement ne se prononce. Nous jouons avec le feu, et ce sont les Calédoniens qui se brûleront.

Nous n'y sommes pas obligés. Nous pouvons laisser sa chance à un accord. Il y a une possibilité pour la France de ne pas rater un processus de colonisation. Nous voterons contre ce texte. (Applaudissements sur les travées du GEST)

M. Robert Wienie Xowie .  - Je salue les grandes mobilisations contre ce projet de loi, à Nouméa, dans les villages et les tribus du pays - sans oublier celle prévue cet après-midi devant le Sénat.

Lors de son dernier passage en Kanaky, Emmanuel Macron a déclaré : « Le chemin du pardon est un chemin que nous devons parcourir ensemble. Ce n'est pas un chemin de repentance : c'est un chemin de fraternité, de vérité et de courage ». Il a dit être prêt à le faire. 

Je ne peux que vous exprimer ma déception et mon inquiétude. La présidente de la province Sud conteste la légitimité du gouvernement indépendantiste et vient de déclarer : « Je le dis aux parlementaires qui tremblent : le bordel, c'est nous qui le mettrons ». Et ça veut construire un pays multiculturel... Serions-nous moins légitimes qu'eux ? Nous avons été élus démocratiquement, par les mêmes règles qui leur ont permis de gouverner pendant des décennies !

Nous ne pouvons cautionner de tels propos venant de dirigeants politiques, encore moins d'une ex-ministre. Au regard de la démarche odieuse et fourbe du Gouvernement, le ministre de l'intérieur est-il toujours légitime à porter le dossier calédonien ?

Le pays est au bord d'une crise politique, économique et sociale sans précédent. La crise du nickel pourrait avoir de graves conséquences, dans un contexte tendu autour de l'avenir institutionnel. Le 28 mars, indépendantistes et loyalistes ont organisé deux marches parallèles.

Le président Jean-Marie Tjibaou disait : « Nous voulons que soit brûlée la haine et que soit clair le chemin de notre avenir, et fraternel le cercle que nous ouvrons à tous les autres peuples ». Sans cela, le chemin du pardon sera un semblant de main tendue à des dos tournés.

J'ai noté la volonté du Sénat d'emprunter un chemin d'apaisement pour encourager le dialogue. Mais les amendements adoptés démontrent un manque de confiance dans la manière d'aborder le dossier calédonien.

Le FLNKS a été scandalisé par le comportement manipulateur du ministre de l'intérieur lors de la discussion générale. Lisant le document signé par certains élus et qui aurait vocation à dégeler le corps électoral, il a omis le passage le plus important, indiquant que le FLNKS prendrait position à l'issue des simulations sur les conséquences de l'ouverture du corps électoral. Il prend parti sans souci de justice ni de vérité et représente un État partial : ce n'est plus une opinion, mais un fait.

Lors de son Congrès du 23 mars dernier, le FLNKS a réaffirmé son opposition ferme au dégel du corps électoral en dehors d'un accord global. Mais l'État a décidé unilatéralement d'ouvrir le corps électoral aux natifs et aux résidents après dix ans de présence.

Lors des discussions bilatérales, le FLNKS a fait savoir qu'il était prêt à une ouverture du corps électoral aux natifs, soit 12 400 nouveaux électeurs, ainsi qu'à 2 000 jeunes majeurs enfants de non-citoyens nés en Nouvelle-Calédonie entre 1998 et 2005.

Ce texte provoquera l'inscription de 25 900 nouveaux électeurs, soit une augmentation de 14,46 % du corps électoral. Quel responsable politique français accepterait d'inscrire sept millions de nouveaux électeurs avant des élections nationales ? Il s'agit de diluer la citoyenneté calédonienne dans la citoyenneté française pour faire disparaître toutes perspectives d'indépendance du peuple kanak.

La difficile conjugaison de la démocratie et de la décolonisation nécessite une politique pragmatique et adaptée à l'histoire des Kanaks.

Le président Mapou a appelé à la sérénité. Ne laissons pas les intérêts politiques nourrir la colère. Notre responsabilité nous y oblige.

Le terrain sur lequel on moissonne est vaseux, les équilibres sont fragilisés et les signaux sociétaux sont à l'orange. Ne faisons pas de ce texte le déclencheur d'une crise que personne ne pourra maîtriser !

Le FLNKS considère que seul le dialogue permettra de trouver une solution sur le corps électoral, comme élément d'un accord global. Il sollicite une mission de médiation afin de garantir l'impartialité de l'État.

Nous demandons au Gouvernement français de retirer ce projet de loi et de respecter ses engagements en faveur d'une évolution politique consensuelle garantissant l'intégrité de notre processus de décolonisation et le respect des accords conclus.

Nous voterons contre ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K et sur quelques travées du groupe SER)

M. André Guiol .  - (Applaudissements sur les travées du RDSE) Le 26 juin 1988, à la suite des événements de la grotte d'Ouvéa, loyalistes et indépendantistes « topaient » dans la douleur ; un processus d'émancipation inédit allait libérer la parole des indépendantistes.

Les accords de Matignon ont succédé à ce qu'on appelle pudiquement les « événements », quand certains historiens parlent de guerre civile. Quelle que soit leur qualification, ils ont été dramatiques : boycott d'élections, assassinats, prises d'otage, barrages... Le souvenir de cette période tragique nous oblige à une grande prudence.

Ce texte soulève d'autres enjeux que le dégel du corps électoral. Notre groupe est mal à l'aise face à ce gel, inédit dans notre République : nous constatons une entorse démocratique inacceptable, mais aussi que les efforts politiques accomplis depuis le processus référendaire s'essoufflent.

En trente ans, les inégalités économiques entre Européens et Kanaks se sont creusées. Lors des élections locales de 2014, la répartition des voix entre indépendantistes et loyalistes recouvrait parfaitement celle de la population kanak et non kanak.

L'indépendance est une question, la décolonisation en est une autre. Les conditions du rééquilibrage sont-elles satisfaisantes ? Le chemin du pardon évoqué par Emmanuel Macron est-il arrivé à son terme ?

Le dégel du corps électoral est une exigence juridique, mais il ne doit pas sonner comme une victoire des loyalistes. Le texte du Sénat nous semble ouvrir un chemin plus raisonnable. Il faut laisser plus de temps aux partis politiques pour trouver un accord et réaffirmer les valeurs qui ont fondé les accords de Nouméa.

N'oublions pas qu'une partie du corps électoral restera gelée : les questions posées par la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) resteront donc posées.

Malgré nos efforts, ce texte permet-il d'aboutir à un véritable processus d'autodétermination ? Nous craignons au contraire qu'il ne fragilise la stabilité qui prévaut depuis les accords de Nouméa.

La Nouvelle-Calédonie mérite un accord politique qui respecte la volonté du peuple premier. Donnons aux discussions le temps d'aboutir de manière apaisée, car, comme le disait Jaurès, la République est un acte de confiance.

La majorité du RDSE votera ce texte. (Applaudissements sur les travées du RDSE)

M. Olivier Bitz .  - (Applaudissements sur les travées du RDPI ; Mme Nathalie Goulet applaudit également.) Les accords de Matignon et de Nouméa ont offert à la Nouvelle-Calédonie trente ans de paix civile.

En 2021, pour la troisième fois, les Calédoniens rejetaient l'indépendance. Nous devons leur permettre de se donner une perspective politique partagée, un destin commun.

La Nouvelle-Calédonie a besoin de stabilité et de visibilité sur son avenir. Or nous sommes à un point de bascule. Les défis s'additionnent, et la grave crise économique complique l'équation.

Nous sommes attachés à la conclusion d'un accord au plus vite. L'État doit rester impartial, mais non inactif. En 1988, c'est l'action de Christian Blanc qui avait permis de dégager un accord.

Si un accord tarde à être conclu, la vie démocratique doit se poursuivre : c'est le sens du report des élections provinciales. Le dégel du corps électoral permet d'y intégrer les Calédoniens nés depuis 1998.

Nous saluons le travail de Philippe Bas. L'évolution du corps électoral pose des problèmes démocratiques et juridiques. Le Conseil d'État a indiqué qu'une élection sur la base d'un corps électoral défini en 1998 serait frappée d'irrégularité : le dégel n'est donc pas une option politique, mais une nécessité juridique.

Le Gouvernement propose de retenir une durée de résidence de dix ans et un caractère limité et glissant pour la définition du corps électoral. Afin de ne pas préempter les résultats de l'accord, l'État doit intervenir le moins possible de manière unilatérale. Ce texte représente une exception, justifiée par une contrainte juridique impérieuse.

L'État doit aussi pouvoir s'adapter en temps réel aux évolutions de la situation politique calédonienne. De ce point de vue, en retirant l'agilité liée à la mise en oeuvre réglementaire de la révision constitutionnelle, le Sénat prend un risque, dans un contexte déjà tendu.

Nous voterons pour ce projet de loi constitutionnelle, afin que les élections se tiennent dans un cadre juridique sécurisé. (Applaudissements sur les travées du RDPI)

Scrutin public solennel

M. le président.  - Voici le résultat du scrutin n°168 :

Nombre de votants 339
Nombre de suffrages exprimés 332
Pour l'adoption 233
Contre   99

Le projet de loi constitutionnelle est adopté.

(Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur quelques travées des groupes INDEP et du RDPI)

Mme Marie Guévenoux, ministre déléguée chargée des outre-mer .  - (M. François Patriat applaudit.) Veuillez excuser le ministre de l'intérieur et des outre-mer, retenu à l'étranger, ce qui ne remet pas en cause son engagement sur le dossier calédonien.

Votre vote suit de quelques semaines celui du projet de loi organique prévoyant le report des élections. Depuis la révision constitutionnelle de 2007, seules les personnes inscrites sur les listes électorales en 1998 peuvent voter aux élections provinciales. Ce gel devait être transitoire, pour 2009 et 2014 seulement. Il en a été autrement.

De 8 338 électeurs exclus, soit 7,5 % du corps électoral, on est passé à 42 000, un sur cinq, à rebours des principes démocratiques et constitutionnels de la République - Pierre Médevielle et André Guiol l'ont souligné. Le Gouvernement s'est engagé à rétablir la situation.

Les indépendantistes sont opposés au dégel, quand les non-indépendantistes proposaient une condition de résidence de trois à cinq ans. Après des échanges, nous avons retenu dix ans, compromis que vous avez voté.

Cependant, trois amendements de la commission des lois font courir un risque de déstabilisation. En effet, l'article 1er, dans la version du Gouvernement, préservait la possibilité d'un accord après le 1er juillet en prévoyant la définition par décret des modalités du scrutin.

Il faut compter quatorze semaines entre l'entrée en vigueur des décrets d'application et la tenue du scrutin, ce qui suppose d'avoir publié l'ensemble des textes avant le 1er septembre. Votre texte prévoit une loi organique, laquelle devrait être promulguée avant le 1er août compte tenu du délai de consultation du Congrès de Nouvelle-Calédonie et de l'examen du décret d'application par le Conseil d'État. Le ministre de l'intérieur et des outre-mer a exprimé ses doutes devant vous. Je relève toutefois les propos du rapporteur Philippe Bas et de Philippe Bonnecarrère, sur la diligence et la responsabilité du Sénat.

L'article 2 prévoyait qu'en cas d'accord, le Gouvernement puisse suspendre l'organisation du scrutin en 2024 et le reporter, au plus tard au 30 novembre 2025. Votre vote écarte cette possibilité, au profit d'une suspension par la présentation d'un projet de loi organique - en d'autres termes, une décision de l'exécutif sans consultation du Parlement. Je vous alerte sur les conséquences. (Mme Sophie Primas s'exclame.)

C'est une gageure de la part du Parlement, qui s'impose un calendrier fort serré, mais le Gouvernement lui fait toute confiance pour relever ce défi. (Applaudissements sur les travées du RPDI, ainsi que sur plusieurs travées des groupes INDEP et UC)

La séance est suspendue à 15 h 40.

Présidence de M. Alain Marc, vice-président

La séance est reprise à 15 h 50.

Sécuriser et réguler l'espace numérique (Conclusions de la CMP)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle l'examen des conclusions de la commission mixte paritaire (CMP) chargée d'élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion projet de loi visant à sécuriser et réguler l'espace numérique.

Mme Catherine Morin-Desailly, au nom de la CMP .  - Ce fut long, très long, et très compliqué, mais la CMP est parvenue à un accord. Je remercie les membres de la commission spéciale, qui se sont profondément investis. Le chemin était ardu, les délais serrés : le Sénat a adopté le texte en juillet, l'Assemblée nationale en octobre ; depuis, le temps a été marqué par des correspondances plus ou moins cordiales avec la Commission européenne et le remaniement gouvernemental.

À une transposition du règlement sur les services numériques (Digital Services Act, DSA) et du règlement sur les marchés numérique (Digital Markets Act, DMA), le Gouvernement a ajouté un volet sur la protection des mineurs contre la pornographie -  à la suite des travaux de notre délégation aux droits des femmes  - et une réglementation sur les jeux à objets numériques monétisables (Jonum). Le projet de loi, de 36 articles à l'origine, a presque doublé de taille, surtout après son passage à l'Assemblée nationale.

Je suis, avec Patrick Chaize, à l'origine des articles 10 bis A et 10 bis B : il est des données particulièrement sensibles qui ne sauraient être confiées à n'importe quelle entreprise. Ils imposent une transparence du Gouvernement quant au choix des entreprises et anticipent le règlement européen sur les données - le Data Act.

J'espère que ce texte, qui combat les abus de position dominante, encouragera une industrie européenne de l'informatique en nuage. Mais, malgré les lois extraterritoriales, la migration de Microsoft vers des solutions souveraines tarde. Madame la ministre, cela doit être encouragé et nous comptons sur vous.

Nous avons, avec Patrick Chaize, un début d'encadrement des Jonum. Nous revenons de loin, passant d'une ordonnance à treize pages dans la loi ! Citons également la sanction plus rapide et plus efficace des propos odieux tenus en ligne, proposée par Loïc Hervé.

Il reste des défis. D'abord, nous n'intégrons pas assez la dimension européenne dans notre façon de légiférer. Notre voix porterait davantage à Bruxelles si nous y travaillions en amont.

Ensuite, il faut mettre en oeuvre ce projet de loi concrètement, en donnant des moyens à nos autorités de régulation.

Enfin, si l'Europe est la première à s'être dotée d'une régulation du numérique, celle-ci demeure imparfaite. Il faut aller de l'avant.

Des textes seront examinés bientôt, sur l'intelligence artificielle notamment. Luttons sans relâche pour un régime de redevabilité et de responsabilité des plateformes.

Je remercie Patrick Chaize et Loïc Hervé pour leur travail exceptionnel. Soyons fiers du chemin parcouru. Ce texte porte indéniablement la marque du Sénat. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains)

Mme Marina Ferrari, secrétaire d'État chargée du numérique .  - Le texte de compromis adopté en CMP est issu des travaux du Conseil national de la refondation et a été amendé par tous les groupes représentés au Parlement. Je remercie chaleureusement Catherine Morin-Desailly, ainsi que les rapporteurs Patrick Chaize et Loïc Hervé et mon prédécesseur Jean-Noël Barrot.

Ce texte attendu nous permettra de garder le contrôle de notre espace numérique. L'époque où les plateformes se retranchaient derrière les différentes législations des États membres est révolue. Nous avons agi en Européens, sous l'impulsion de la présidence française de l'Union européenne.

Désormais, les plateformes en ligne ne pourront plus imposer de pratiques commerciales déloyales sans risquer une amende de 10 % de leur chiffre d'affaires mondial -  20 % en cas de récidive. Elles devront corriger les risques systémiques qu'elles font peser sur la santé et le bien-être de leurs utilisateurs.

L'impact de ces règlements réside dans notre capacité collective à nous saisir des outils, en adaptant notre droit national au cadre européen. C'est l'ambition de ce texte, qui apporte aussi des réponses concrètes aux nouvelles pratiques et technologies.

Plusieurs mesures permettront de renforcer la protection de nos concitoyens en ligne : le filtre anti-arnaque promis par le Président de la République ; la sanction des deepfake en ligne ; la peine de bannissement.

Nous offrirons ainsi à nos enfants un espace numérique plus sûr. Le rapport sénatorial « Porno : l'enfer du décor » a montré la nécessité de renforcer l'encadrement dans ce domaine. Ce projet de loi y répond, avec possibilité de blocage, de déréférencement et d'amende de 4 % du chiffre d'affaires mondial, 6 % en cas de récidive.

Avec ce texte, nous protégeons enfin nos entreprises, trop souvent prisonnières d'acteurs du cloud qui abusent de leur position. Désormais, ceux-ci ne pourront accorder de crédits que pour un an et devront assurer les conditions de portabilité de leurs services.

Grâce à ce projet de loi, nous protégerons mieux les données sensibles de nos concitoyens et de l'État. Les administrations de l'État devront héberger leurs données sur des solutions souveraines. Le Gouvernement prend acte du rattachement du Health Data Hub (HDH) à ce périmètre en CMP. Attention, toutefois, à ne pas confondre le référentiel hébergeur de données de santé (HDS) et SecNumCloud.

Le Gouvernement avait commandité des études concrètes pour préparer les futurs appels d'offres. Nous poursuivons une politique ambitieuse pour le cloud. Je compte sur le dernier appel à projets, que j'ai dévoilé le 22 mars dernier à Strasbourg.

Ce projet de loi Sécuriser et réguler l'espace numérique (Sren) apportera des réponses ambitieuses aux attentes des Français. Je sais pouvoir compter sur votre engagement pour bâtir un espace numérique plus sûr pour nos compatriotes et les générations futures.

Discussion du texte élaboré par la CMP

M. le président.  - En application de l'article 42, alinéa 12, du règlement, le Sénat étant appelé à se prononcer avant l'Assemblée nationale, il statue sur les éventuels amendements présentés ou acceptés par le Gouvernement, puis, par un seul vote, sur l'ensemble du texte.

Mme Marina Ferrari, secrétaire d'État.  - L'ensemble des amendements sont de coordination, de précision ou de correction.

Mme Catherine Morin-Desailly, au nom de la CMP.  - Mon avis personnel est favorable, comme celui des rapporteurs. (MM. Loïc Hervé et Patrick Chaize le confirment.)

Article 1er

M. le président.  - Amendement n°1, présenté par le Gouvernement.

I.  -  Après l'alinéa 6

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

« Le montant de la sanction prend en compte la nature, la gravité et la durée du manquement, les avantages tirés de ce manquement et les manquements commis précédemment.

II.  -  Alinéa 7, première phrase

Remplacer les mots :

Le montant de cette sanction

par les mots :

La sanction prononcée

L'amendement n°1 est adopté.

Article 2

M. le président.  - Amendement n°2, présenté par le Gouvernement.

Alinéa 10

Remplacer les mots :

du service de communication au public en ligne

par les mots :

des services concernés

L'amendement n°2 est adopté.

Article 2 bis

M. le président.  - Amendement n°3, présenté par le Gouvernement.

Alinéa 3, première phrase

1° Remplacer les mots :

I des articles 10 et 10-1

par les mots :

II de l'article 10 et au I de l'article 10-1

2° Après le mot :

ligne

insérer les mots :

ou le fournisseur du service de plateforme de partage de vidéos

L'amendement n°3 est adopté.

Article 3 bis A

M. le président.  - Amendement n°4, présenté par le Gouvernement.

Alinéa 2, troisième phrase

Après la référence :

III

insérer les mots : 

de l'article 6

L'amendement n°4 est adopté.

Article 4 AD

M. le président.  - Amendement n°5, présenté par le Gouvernement.

Alinéa 2

1° Remplacer le mot :

sa

par le mot :

la

2° Compléter cet alinéa par les mots :

du présent article

L'amendement n°5 est adopté.

Article 5 bis

M. le président.  - Amendement n°6, présenté par le Gouvernement.

Alinéa 4

Remplacer les mots :

à 222-18-1

par les mots : 

et 222-18

L'amendement n°6 est adopté.

Article 15

M. le président.  - Amendement n°8, présenté par le Gouvernement.

Alinéa 5

1° Remplacer les occurrences des mots :

valeur totale

par les mots :

proportion maximale

2° Dernière phrase

Supprimer les mots :

du montant total

et après le mot :

entreprise

insérer les mots :

pour ce jeu

L'amendement n°8 est adopté.

Article 15 bis

M. le président.  - Amendement n°7, présenté par le Gouvernement.

Alinéa 7, dernière phrase

Rédiger ainsi le début de cette phrase :

L'entreprise de jeux à objets numériques monétisables met en oeuvre... (le reste sans changement)

L'amendement n°7 est adopté.

Article 22

M. le président.  - Amendement n°9, présenté par le Gouvernement.

I.  -  Alinéa 6

Rédiger ainsi cet alinéa :

« 3° Le nom du directeur ou du codirecteur de la publication, au sens de l'article 93-2 de la loi n° 82-652 du 29 juillet 1982 sur la communication audiovisuelle, et le cas échéant celui du responsable de la rédaction ;

II. - Alinéa 12, seconde phrase

Remplacer les mots :

, au plus tard,

par les mots :

dans un délai maximum de

III.  -  Alinéa 13

Remplacer les mots :

l'article

par les mots :

le message

IV.  -  Alinéa 17

Rédiger ainsi le début de cet alinéa :

Si les imputations... (le reste sans changement)

V.  -  Alinéa 28

Rédiger ainsi le début de cet alinéa :

« Art. 6.  -  I.  -  1. On entend par fournisseur d'un ?service d'accès à internet? toute personne fournissant un service de simple transport tel que défini au i du paragraphe g de l'article 3 du règlement... (le reste sans changement)

VI.  -  Alinéa 29

Rédiger ainsi le début de cet alinéa :

« 2. On entend par fournisseur de ?services d'hébergement? toute personne fournissant les services... (le reste sans changement)

VII.  -  Alinéa 41

Remplacer les mots :

départements d'outre-mer

par les mots :

collectivités régies par l'article 73 de la Constitution

L'amendement n°9 est adopté.

Article 26

M. le président.  - Amendement n°11, présenté par le Gouvernement.

Alinéa 56

Remplacer les mots :

au 3 du III

par les mots :

au C du V

L'amendement n°11 est adopté.

Article 32

M. le président.  - Amendement n°10, présenté par le Gouvernement.

I.  -  Après l'alinéa 39

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

...) au premier alinéa du IV, tel qu'il résulte du b du présent 5° , la référence : « II » est remplacée par la référence : « III » ;

II.  -  Alinéa 48, dernière phrase 

Supprimer cette phrase.

III.  -  Alinéa 49

Supprimer cet alinéa.

IV.  -  Alinéa 57

Remplacer cet alinéa par trois alinéas ainsi rédigés :

8° L'article 28 est ainsi modifié :

a) Au deuxième alinéa, la référence : « II » est remplacée par la référence : « III » ;

b) Au troisième alinéa, la référence : « III » est remplacée par la référence : « IV ».

L'amendement n°10 est adopté.

Vote sur l'ensemble

M. Patrick Chaize .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) La CMP chargée d'examiner les 63 articles restant en discussion, parvenue à un accord après quatre heures de réunion et des négociations très difficiles (M. Loïc Hervé le confirme), est un échec gouvernemental et un succès parlementaire.

Malgré le marketing gouvernemental, le texte reste un projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne qui ne dit pas son nom... Il aura fallu un an pour l'adopter, le Gouvernement ayant mal anticipé les contraintes procédurales, nous mettant en retard sur le calendrier européen. Sur le fond, enfin, le Gouvernement n'a pas toujours facilité les initiatives parlementaires, allant jusqu'à brider sa propre majorité. Le chemin aura été semé d'embûches et il en sera de même à chaque fois que nous voudrons légiférer dans ce domaine. (Mme Annick Billon renchérit.)

La protection des données sensibles est un combat du Sénat : je salue l'engagement de Catherine Morin-Desailly à ce propos.

Les données de l'État et des opérateurs et le HDH seront mieux protégés contre les lois extraterritoriales, c'est une avancée importante malgré les réticences d'une administration qui rechigne à se transformer.

Mme Catherine Morin-Desailly.  - Très bien !

M. Patrick Chaize.  - Nos ambitions étaient plus élevées sur la protection des données de santé, mais nous avons obtenu des avancées. Même chose pour l'informatique en nuage : nous voulions un marché égal, en réduisant les barrières à l'entrée comme à la sortie.

Nous avons plafonné les crédits de cloud à un an et confié à l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep) un rôle de règlement des litiges.

Je suis aussi satisfait du filtre anti-arnaque : à titre personnel, je suis attaché à la prévention et à la sensibilisation des internautes, qui manquaient dans ce projet de loi.

Nous sommes arrivés à un bon équilibre entre prévention et soutien à l'innovation, notamment pour les jeux à objets numériques monétisables, qui présentent des opportunités mais aussi des risques. Nous avons refusé le recours à une ordonnance, proposé une définition et refusé une récompense monétisable, sinon, par dérogation, en cryptomonnaie. Nous avons encadré cette possibilité en fixant un plafond annuel et par joueur. (Mme Nathalie Goulet renchérit à plusieurs reprises.)

À l'arrivée, le projet de loi ressemble plus à une proposition de loi, car le Sénat a su s'en saisir. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe UC ; Mme Florence Blatrix Contat applaudit également.)

M. Pierre-Jean Verzelen .  - Dans un monde où le numérique a de plus en plus de place et où les données se vendent cher, il fallait établir des règles protectrices. Ce texte s'attaque à la lutte contre les discours haineux, la désinformation, le harcèlement qui poursuit les jeunes jusque dans l'intimité de leur chambre.

Les cyberattaques se multiplient. Ces derniers jours, la Fédération française de football (FFF) a été attaquée ; les espaces numériques de travail (ENT) de centaines d'établissements ont été visés, comme des milliers d'élèves, par des menaces d'attentats.

La CMP est finalement parvenue à un accord, par exemple sur la vérification de l'âge pour l'accès à des plateformes pornographiques ou la protection des données face aux législations extraterritoriales. Ce texte fait de la France un pays pionnier.

Sur la fin de l'anonymat sur les réseaux, la proposition du député Paul Midy semble frappée au coin du bon sens. Le groupe Les Indépendants votera ce texte.

M. Loïc Hervé .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Ce texte établit les conditions d'un internet plus sûr, en particulier pour nos enfants. Nous nous sommes heurtés aux limites technologiques, mais aussi au droit européen : la Commission européenne a émis deux avis circonstanciés après le vote du texte par les députés. L'arrêt du 9 novembre 2023 de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) a durci l'interprétation du principe du pays d'origine.

Ainsi, les articles 1er et 2, qui imposent une vérification d'âge pour les plateformes pornographiques, ne pourront être mis en oeuvre dans les autres pays qu'après les formalités prévues par la CJUE.

Deux avancées ont été inspirées par les travaux de notre délégation aux droits des femmes. Ainsi, les producteurs de contenus pornographiques comprenant une simulation d'inceste ou de viol devront afficher un message d'avertissement quant au caractère illégal de ces actes. Autre élément, le droit à l'oubli pour les personnes ayant tourné dans de telles vidéos. Nous pouvons être fiers d'avoir tenu bon sur ces sujets. (Mme Annick Billon renchérit.)

L'Assemblée nationale s'est ralliée au Sénat sur l'article 5 bis, qui crée un délit spécifique d'outrage en ligne, associé à une amende forfaitaire délictuelle (AFD), prononcée si l'auteur reconnaît les faits. Aucun risque d'arbitraire, donc, malgré les vidéos que je vois pulluler sur les réseaux d'extrême droite et d'extrême gauche. En outre, seuls les contenus destinés au public sont concernés - là encore, les critiques sont infondées. Au Gouvernement de s'en saisir maintenant, même si le dispositif a été adopté contre son avis.

Le Sénat a admis la création d'une réserve citoyenne du numérique. À quoi servirait-elle sinon à surveiller les commissions d'outrages en ligne ? Pas d'impunité pour les auteurs d'outrages, isolés ou en meute.

Nous devons être unis pour un internet plus sûr. J'espère la même unanimité qu'en première lecture. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur quelques travées du groupe Les Républicains)

M. Thomas Dossus .  - L'ambition de ce texte est louable : réguler l'espace numérique comme on le fait de l'espace public. Pas de zone de non-droit numérique ! Nous examinons enfin les conclusions de la CMP, qui s'est heurtée à de nombreuses difficultés.

En octobre et en janvier, la Commission européenne a ainsi rendu deux avis circonstanciés très critiques : le texte anticiperait trop le DSA, qui lui confie la compétence de cette régulation. La jurisprudence de la CJUE, en juin, a limité la faculté des États membres à imposer des obligations aux plateformes établies dans d'autres pays de l'Union. La CMP a donc dû effectuer un travail de mise en conformité avec le droit européen et de compromis entre les deux chambres. Le texte qui en est issu est un catalogue de mesures, parfois bienvenues, souvent peu opérationnelles, voire dangereuses. Tout ça pour ça !

Le texte a peu bougé sur la pornographie : on se décharge sur l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) de cette responsabilité. Le contrôle par la carte bleue et le tiers de confiance restent contournables : je reste donc réservé.

Sur l'amende forfaitaire délictuelle, la CMP a conservé le dispositif, trop large, du Sénat. Nous ne sommes pas hostiles, par principe, à ces amendes - nous les proposions pour les outrages sexistes en ligne. Mais dans un pays où l'on est convoqué au poste pour avoir crié « Macron démission », le Parlement s'honorerait à servir de garde-fou aux dérives du Gouvernement, non de marchepied.

M. Loïc Hervé, rapporteur pour le Sénat de la CMP.  - Qui a été condamné pour cela ?

M. Thomas Dossus.  - Je ne partage pas votre optimisme sur la proportionnalité, monsieur le rapporteur.

Sur l'article 10 bis A, le Sénat avait voté une version efficace pour empêcher toute ingérence d'acteurs tiers - notamment des dispositions sur le capital des sociétés. Désormais, on renvoie à un décret. Le compromis garde toutefois l'esprit de la rédaction sénatoriale.

Sur les Jonum, deux visions s'affrontent : celle du Sénat, proche de la régulation des casinos, soucieux de ne pas créer un autre far west, et de l'Assemblée nationale, plus proche d'entreprises du secteur, comme Sorare, qui souhaitent ouvrir de nouveaux marchés.

Il faut saluer les avancées : peine de bannissement, volonté de régulation d'un secteur du porno aux pratiques quasi criminelles, avec le droit à l'oubli, même s'il faudra donner plus de moyens à Pharos. Nous saluons aussi la lutte contre les deepfake et l'encadrement des pratiques commerciales autour du cloud.

Ce texte, insatisfaisant, offre une régulation bienvenue dans certains secteurs : nous nous abstiendrons.

M. Pascal Savoldelli .  - Le numérique façonne notre quotidien : notre législation doit l'encadrer. L'Union européenne a l'intention de le faire. Mais les règlements ne sont que des balises dans des océans de changement. Les technologies ont le pouvoir de façonner nos valeurs, et ne sont pas neutres. Si les influences de pays autoritaires doivent être limitées, elles ne sont pas que le fait des États : une poignée de firmes américaines à la capitalisation démesurée s'en arrogent les prérogatives, dictant les règles du jeu. Le capitalisme transforme la vie privée en outil de marketing, soumettant les acteurs à une surveillance algorithmique oppressive.

Dans la relation déséquilibrée entre firmes et internaute, ce dernier n'a d'autre choix que de céder au chantage au consentement s'il veut, par exemple, trouver du travail ou s'informer. Ses données sont revendues et exploitées à ses dépens.

Les débats économiques doivent laisser la place à une réflexion plus vaste, démocratique, sociale et géopolitique. Au contraire, le Président de la République propose, au salon VivaTech, 500 millions d'euros supplémentaires pour le développement de l'IA, afin de faciliter l'innovation sans entraves. La compétition impitoyable des États-Unis et de la Chine pousse ainsi les États à rattraper leur retard à tout prix, au détriment d'autres considérations.

Pourtant, une question essentielle émerge. Quel est le prix à payer ? Devons-nous sacrifier nos valeurs fondamentales ? Comment, quand, mais surtout qui : qui détient la vision, la conception, et surtout, quels intérêts sous-tendent ces avancées technologiques ? Il est temps de nous laisser guider par nos principes démocratiques, l'éthique et l'égalité.

Nous nous abstiendrons. Ce texte témoigne d'une prise de conscience, mais ne suffit pas. Dans des eaux numériques tumultueuses, c'est par un dialogue constructif que nous élaborerons une régulation juste. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K)

M. Bernard Fialaire .  - (Applaudissements sur les travées du RDSE) La société française est confrontée à la transition numérique, qui bouleverse en profondeur nos vies et notre économie. Elle est une force transformative, ouvrant la voie à de nouvelles avancées et à une compétitivité accrue, mais aussi un défi pour les individus et les entreprises, dans un contexte en constante évolution.

Nous nous réjouissons de l'accord trouvé en CMP. Mais notre groupe déplore de ne pas pouvoir participer aux CMP, depuis le renouvellement de septembre 2023 : être petit par le nombre ne devrait pas revenir à être mis au ban de la procédure législative.

Nous regrettons aussi des délais d'examen trop contraints.

Cela dit, ce texte contient des avancées souhaitables, car il rétablit une forme d'équité commerciale. L'encadrement de la facturation du transfert de données est une initiative juste.

Néanmoins, nous regrettons que certaines de nos propositions aient été écartées, notamment les amendements de Nathalie Delattre visant à créer un cadre légal pour protéger les lanceurs d'alerte numérique. Sentinelles du web, ils permettent aux sites mal protégés de réduire leur vulnérabilité. J'avais également suggéré de créer une nouvelle infraction, ayant trait au vol de données.

Encore récemment, avec le centre hospitalier d'Armentières, nous voyons que les conséquences des cyberattaques sont dramatiques et durables : elles déstabilisent profondément le fonctionnement des établissements, en plus de contrevenir au respect de la vie privée. Je regrette que cette proposition n'ait pas été retenue.

Toutefois, je salue une disposition adoptée par l'Assemblée nationale : les données de santé devront être hébergées par des clouds certifiés SecNumCloud.

Le Sénat avait voulu protéger les plus vulnérables en renforçant le bannissement sur les réseaux sociaux. Ce projet de loi apporte des outils pour lutter contre la désinformation et protéger les utilisateurs contre la cybermalveillance. Il vise aussi à rééquilibrer le marché de l'informatique en nuage, tout en préservant l'innovation.

Cependant, prenons garde à ne pas pénaliser nos start-up en les privant d'avantages compétitifs. Nos grandes administrations doivent préférer un hébergement national ou européen.

Le RDSE votera ce texte. (Applaudissements sur les travées du RDSE et au banc des commissions ; M. Pierre Jean Rochette applaudit également.)

M. Ludovic Haye .  - Près d'un an après son dépôt au Sénat, nous voici à la dernière étape de ce texte qui vise à protéger nos concitoyens, nos entreprises, nos enfants et notre démocratie face aux dangers du numérique, comme la divulgation de fausses informations ou la multiplication de nouvelles formes de harcèlement, de violence et de délinquance. Il nous permettra de nous conformer au DMA, au DSA et au DGA (Data Governance Act, règlement européen sur la gouvernance des données).

Nous passons de plus en plus de temps sur internet, mais les dérives fleurissent. Elles doivent être identifiées et encadrées. Avec l'anonymat d'internet, nous assistons à une montée des cas de harcèlement en ligne aboutissant à des drames réels.

Les deux premiers titres du texte apportent des réponses concrètes, en renforçant les pouvoirs de protection des mineurs de l'Arcom en matière, qui devra définir un référentiel des systèmes de vérification d'âge. Le RDPI soutient fortement cette mesure. « Ce qui est interdit dans le monde réel doit être aussi interdit en ligne », comme le disait Ursula von der Leyen.

M. Loïc Hervé.  - On cite les grands auteurs !

M. Ludovic Haye.  - Nous nous félicitons du rétablissement de l'article 5 bis instaurant un délit d'outrage en ligne, afin de punir la diffusion de contenus injurieux, dégradants ou humiliants.

L'Arcom doit pouvoir faire cesser les contenus d'un média étranger. À la suite de l'invasion de l'Ukraine, l'Union européenne avait interdit certains médias, tels RT ou Sputnik. Toutefois, des contournements ont été constatés avec des sites domiciliés en dehors de l'Union : à quelques mois des élections européennes, il faut répondre à ces menaces.

Près de 50 % des arnaques ont lieu en ligne : tous, jeunes ou moins jeunes, y sont exposés et les subissent, souvent par inadvertance, parfois par ignorance. L'article 6 instaure un dispositif national de cybersécurité grand public. Ce filtre national prévoira l'affichage d'un message d'alerte sur le risque encouru en cas d'accès à une adresse diffusant des contenus illicites.

Nous saluons l'encadrement des Jonum. Le compromis trouvé en CMP nous semble équilibré.

Ce texte rend illégal dans le monde numérique ce qui l'est dans le monde physique. S'il reste encore beaucoup à faire, il apporte des progrès, sans obérer les opportunités économiques offertes par le numérique. Le RDPI votera ce texte. (Applaudissements sur les travées du RDPI ; M. Loïc Hervé applaudit également.)

M. Loïc Hervé.  - Très bien !

Mme Florence Blatrix Contat .  - Ce texte répond à l'urgence de réguler les entreprises du numérique, qui reposent sur des algorithmes aussi puissants qu'opaques. C'est avant tout un texte d'adaptation de notre droit aux règlements européens, qui vise les plateformes dites systémiques.

Ces règlements établissent un cadre européen unique pour lutter contre les contenus illicites. L'objectif est clair : corriger les déséquilibres et responsabiliser les plateformes sur les contenus diffusés.

Le texte vise aussi à répondre à l'exposition des mineurs aux contenus pornographiques et au cyberharcèlement, entre autres.

La CMP a dû prendre en compte les réserves de la Commission européenne, mais aussi la décision de la CJUE du 9 novembre 2023, qui a rappelé le principe de contrôle par le pays d'origine établi par la directive e-commerce.

En matière de protection des mineurs, depuis quatre ans, les éditeurs de sites pornographiques contournent l'obligation de contrôler l'âge : la loi du 30 juillet 2020 n'est pas respectée. Avec 2,5 millions de mineurs qui fréquentent dès 12 ans des sites pornographiques, et 12 % de l'audience de tels sites qui est constituée de mineurs, nous craignons que l'application de la loi de 2024 continue de se heurter à l'obstruction des acteurs et que rien ne change.

Sur le délit d'outrage en ligne, sanctionné par des amendes forfaitaires, nous regrettons que l'article 5 bis ait été réintégré au dernier moment : cette mesure est sans doute inconstitutionnelle.

Un cadre réglementant les Jonum était nécessaire. La rédaction de la CMP apporte de sérieuses garanties, nous saluons l'apport du Sénat et de son rapporteur. Des gains en cryptoactifs pourront être attribués, certes à titre dérogatoire et accessoire : mais la porte est ouverte. L'Autorité nationale des jeux (ANJ) devra disposer des moyens nécessaires pour procéder aux contrôles.

Sur le volet économique et le dysfonctionnement du marché du cloud, notre groupe a proposé des mesures de régulation. Une poignée d'acteurs américains se livrent à des pratiques déloyales pour asseoir leur position dominante.

L'équilibre défendu par le Sénat est conservé. La suppression des frais de transfert d'opérateur, l'encadrement de la pratique des avoirs ou l'interdiction de ventes liées sont autant de mesures en faveur d'un cloud ouvert, interopérable, portable et réversible.

Nous avons aussi avancé sur la législation extraterritoriale en matière de protection des données : les utilisateurs pourront savoir où sont leurs données et qui peut y accéder.

D'autres chantiers nous attendent, comme la publicité en ligne ; notre groupe avait tenté d'aborder cette question, mais sans succès, en raison de l'article 45.

Les nouvelles régulations européennes supposeront non seulement des moyens importants, mais aussi une mobilisation de tous les acteurs. Nous devons être très vigilants sur la mise en oeuvre de cette loi et sur les ajustements à venir, dans la perspective de la révision du DMA. La régulation ne suffira pas : il faut une véritable impulsion pour inscrire la régulation numérique dans la durée.

Malgré ces quelques réserves, le groupe SER votera ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et au banc des commissions)

M. Loïc Hervé, rapporteur pour le Sénat de la CMP.  - Merci !

M. le président.  - En application de l'article 42, alinéa 12 du règlement, le Sénat statue par un seul vote sur l'ensemble du texte.

À la demande de la commission spéciale, la proposition de loi est mise aux voix par scrutin public.

M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°169 :

Nombre de votants 340
Nombre de suffrages exprimés 304
Pour l'adoption 302
Contre     2

Le projet de loi est adopté.

Mme Marina Ferrari, secrétaire d'État.  - Je vous remercie pour ce vote important, intervenant après un long travail législatif. Le rapporteur Chaize a déploré les délais, mais il fallait tenir compte des avis circonstanciés de la Commission européenne et de l'arrêt de la CJUE.

Ce texte pose des fondements que nous attendions depuis longtemps, en vue de mieux protéger nos citoyens, notamment les mineurs.

Désormais, nous sanctionnerons les comportements délictuels en ligne comme dans le monde physique. L'Arcom devra jouer son rôle de régulateur. Nous ne nous déchargeons pas sur elle.

La CMP a permis de définir un cadre expérimental sur les Jonum, qui sont à mi-chemin entre les jeux vidéo et les jeux d'argent. Permettons aux acteurs du secteur de trouver un modèle numérique, sans concurrence pour nos casinos.

Ce texte régule, mais il sécurise aussi l'espace démocratique. Dans un cadre européen, nous sommes plus forts face aux plateformes. Il était important que la France soit plus ambitieuse pour défendre sa souveraineté.

Je salue les travaux en matière de cloud, notamment pour protéger nos données essentielles. (Applaudissements sur les travées du RDPI, du RDSE et au banc des commissions)

Mme Catherine Morin-Desailly, au nom de la CMP.  - C'est un moment historique que le Sénat attendait depuis dix ans, ayant identifié de nombreux abus des plateformes. Nous n'avons eu de cesse d'alerter sur la nécessité de réguler davantage. Il aura fallu la crise sanitaire et la guerre en Ukraine pour agir.

Je remercie Thierry Breton, qui a pris à bras-le-corps ce sujet au travers de différents textes.

Si l'on a gagné ce que la journaliste Maria Ressa appelle la bataille des tortues, sachons la prochaine fois légiférer en temps utile. Madame la ministre, nous serons vigilants sur la mise en oeuvre de ce texte.

Il était important de voter ce texte avant les élections européennes : ainsi, Jean-Noël Barrot pourra mieux négocier l'European Cybersecurity Certification Scheme for Cloud Services (EUCS). (Applaudissements sur les travées du groupe UC et du RDPI ainsi qu'au banc des commissions ; M. Bernard Fialaire applaudit également.)

La séance est suspendue quelques instants.

Engagement bénévole et vie associative (Conclusions de la CMP)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle l'examen des conclusions de la commission mixte paritaire (CMP) chargée d'élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi visant à soutenir l'engagement bénévole et à simplifier la vie associative.

M. Yan Chantrel, rapporteur pour le Sénat de la CMP .  - La CMP, réunie le 27 mars dernier, a établi un texte commun. Je salue l'engagement du député Quentin Bataillon, ainsi que celui des sénateurs Laurent Lafon, président de la commission, Cédric Vial, Anne Ventalon et Annick Billon.

Le compromis trouvé conserve de nombreux apports du Sénat, notamment le bénéfice du don de congés monétisés pour tous les salariés ou encore l'exonération de redevance d'occupation du domaine public pour les associations organisant des événements.

Nous avions une ligne rouge : imposer de nouvelles contraintes aux associations sous couvert d'information notamment. Nos collègues députés se sont ralliés à notre position. Nous avons conservé le texte du Sénat, qui excluait les contractuels de la fonction publique d'une mise à disposition au profit des associations.

La CMP a supprimé la possibilité pour un salarié partant à la retraite de conserver ses droits acquis à la formation professionnelle. Une telle disposition aurait ouvert une brèche dans le principe même du compte personnel de formation (CPF).

Nous avons dû faire quelques concessions, ainsi sur le réseau « Guid'Asso ». Sans remettre en cause cette politique publique, nous sommes sceptiques sur la nécessité de l'inscrire dans la loi.

Néanmoins, j'entends les craintes venues du tissu associatif, à l'heure des restrictions budgétaires : madame la ministre, à vous de faire vivre ce dispositif, y compris budgétairement !

Pour des raisons de conformité à la législation européenne, nous avons supprimé en CMP l'article 6 ter, qui aurait permis aux associations de bénéficier du régime fiscal du groupe TVA. Madame la ministre, je vous interpelle solennellement pour que votre gouvernement consulte en amont le Comité européen de la TVA, démarche nécessaire au vote de cette réforme fiscale.

Nous avons tous la volonté de mieux faire connaître l'engagement associatif. Je salue les sénateurs et sénatrices qui se sont engagés en faveur de ce texte, qui, je l'espère, sera adopté par l'ensemble des parlementaires. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du RDPI ; MM. Pierre Ouzoulias, Laurent Lafon et Mme Laure Darcos applaudissent également.)

Mme Prisca Thevenot, ministre déléguée chargée du renouveau démocratique, porte-parole du Gouvernement .  - Quinze millions : c'est le nombre de Français bénévoles engagés dans 1,5 million d'associations. C'est une force inouïe, qui contribue à la vie démocratique de notre nation. Chaque jour, vous les voyez à l'oeuvre lors des manifestations sportives et culturelles. À l'heure où nous parlons de la crise de l'engagement, soulignons l'action de nos associations, coeur battant de nos communes, qui traduisent chaque jour en actes la promesse républicaine de liberté, d'égalité et de fraternité. Il est important de soutenir la vie associative, véritable rempart contre le repli sur soi, comme l'ont fait depuis 2017, le Gouvernement et la majorité.

En 2024, le Fonds pour le développement de la vie associative (FDVA) est passé à 70 millions d'euros, soit 20 millions d'euros supplémentaires. Il a bénéficié à 16 000 structures l'an passé. Pour les plus petites d'entre elles, le soutien de l'État est déterminant, voire vital.

Le soutien de l'État n'est pas seulement financier : nous avons consolidé la protection juridique des dirigeants d'associations ; Mon Compte Asso ou le Guid'Asso simplifient leur quotidien ; une plateforme de validation des acquis de l'expérience valorise les compétences des bénévoles.

Les avancées majeures dans le monde associatif ont été faites dans un dialogue constant avec ses acteurs. Ce texte a été forgé avec et pour les associations, avec et pour les bénévoles. Il s'inscrit dans la continuité des Assises de la simplification associative et de la consultation nationale de 2022 qui a recueilli 15 000 propositions.

Je salue le travail du Sénat et de l'Assemblée nationale sur ce texte, tant attendu par le secteur associatif. Le travail en CMP a été exemplaire. Cette unité, en faisant de nos nuances politiques une force, loin des querelles polémiques, nous pourrions l'obtenir sur d'autres sujets, pour la grandeur de notre nation.

Ce texte prévoit l'ouverture des conditions pour abonder le CPF des bénévoles via le compte d'engagement citoyen, et l'ouverture du mécénat de compétences aux entreprises de moins de 5 000 salariés ainsi que son extension à la fonction publique, notamment hospitalière.

Le Guid'Asso se voit inscrit dans la loi. Chaque année, les crédits de ce réseau sont en hausse.

Le Gouvernement s'engage à évaluer la compatibilité avec le droit européen de la mesure visant à permettre aux associations composées de plusieurs entités de bénéficier du régime de groupe. (Applaudissements sur les travées du RDPI ; Mme Évelyne Perrot applaudit également.)

M. Joshua Hochart .  - Chaque jour, soir ou week-end, 15 millions de bénévoles accompagnent, encadrent voire éduquent nos jeunes et nos moins jeunes. Sans eux, nos clubs n'existeraient pas, notre vie sociale serait bien pauvre. Ils s'engagent, qu'il pleuve, qu'il vente ou qu'il neige. Il est important de les soutenir au moment de la crise des vocations.

Je salue l'assouplissement des conditions d'acquisition de droits du compte d'engagement citoyen, celui des conditions de recours aux congés d'engagement associatif et au congé de citoyenneté, tout comme l'élargissement du mécénat de compétences. Ces avancées expliquent notre vote en faveur du texte, même si nous regrettons le rejet de nos amendements sur l'octroi de trimestres de retraite pour engagement bénévole et sur la suppression de la taxation des organes déconcentrés de structures associatives délégataires d'une mission de service public au titre des bureaux et locaux commerciaux.

Mme Laure Darcos .  - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP ; M. Martin Lévrier applaudit également.) La France est riche de ses milliers d'associations, qui oeuvrent aux côtés des citoyens. Elles sont utiles, alors que l'individualisme progresse. La solidarité, l'empathie et la générosité guident nos bénévoles.

Je salue celles et ceux qui donnent de leur temps pour animer nos territoires. Je rends un hommage appuyé aux éducateurs qui accompagnent les jeunes, aux associations de sauvegarde du patrimoine. Ensemble, ils nous font progresser collectivement. Les associations sont également des lieux d'échange. En Essonne, je salue l'Olympique Club Giffois, Cultures du Coeur Essonne, ou encore les Amis du château et du musée de Dourdan.

L'aide financière des collectivités territoriales est souvent une condition du fonctionnement de ces associations. Le tissu associatif a été durement éprouvé par le covid et l'inflation. La simplification des démarches administratives et la sécurisation de leur financement vont donc dans le bon sens.

La CMP est parvenue à un accord. Nous nous en félicitons, car ce texte compte des avancées concrètes judicieuses.

Le groupe Les Indépendants votera ce texte. Je salue le travail de Yan Chantrel. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP ; M. Yan Chantrel applaudit également.)

M. Pierre-Antoine Levi .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; M. Pierre Jean Rochette applaudit également.) Nous finalisons une proposition de loi qui porte sur l'essence même de notre cohésion sociale. Notre République se distingue par la vigueur de son secteur associatif. La France a une tradition d'engagement et de solidarité qui fait notre fierté.

Je salue le travail du rapporteur Yan Chantrel et des sénateurs qui ont enrichi le texte. Celui-ci s'inscrit dans la suite de la consultation nationale et des Assises de la simplification associative.

L'ouverture de droits au CPF et la simplification des conditions de prêts entre associations renforcent le soutien à ces dernières. L'assouplissement du recours au congé associatif, l'élargissement du mécénat de compétences aux PME et son extension à trois ans montrent le soutien du Sénat aux bénévoles.

La CMP a su conserver les objectifs de la proposition de loi et l'a complétée par des avancées majeures. Ce texte est issu d'un dialogue constructif avec toutes les parties prenantes.

Conscient de l'importance de ce texte pour le monde associatif, le groupe UC votera en sa faveur. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et du RDPI)

Mme Annick Billon.  - Très bien !

M. Michel Laugier.  - Bravo !

Mme Mathilde Ollivier .  - (Applaudissements sur les travées du GEST) Je salue l'introduction de l'article 7 bis et l'adoption de mon amendement pour la transparence des prêts entre associations, ainsi que le travail de Yan Chantrel.

Mais des dispositions requièrent notre vigilance, comme celles de l'article 3 bis, avec l'expérimentation de mise à disposition de fonctionnaires hospitaliers. Je reste aussi partagée sur l'encouragement au mécénat de compétences.

Le Gouvernement a choisi d'annuler 129 millions d'euros de crédits en faveur du tissu associatif. Vous préférez mettre de l'argent dans le service national universel (SNU) plutôt que dans le tissu associatif local. (M. Martin Lévrier proteste.) Ayons le courage de réduire le temps de travail : il faut du temps pour le bien commun et pour son épanouissement personnel.

Pendant que vous soutenez cette proposition de loi émanant des rangs de la majorité, le Gouvernement met en danger les associations se mobilisant pour la défense du vivant : 2,76 millions d'euros, voici le coût de la répression des opposants à l'A69. Les alertes se multiplient. Le rapporteur spécial de l'ONU s'inquiète de l'augmentation de la répression et de la criminalisation des actions pacifiques de désobéissance civile.

La solidarité bénévole est notre bien commun, aussi voterons-nous ce texte. Demain, il faudra aller plus loin. (Applaudissements sur les travées du GEST ; Mme Laure Darcos applaudit également.)

M. Gérard Lahellec .  - (Mme Monique de Marco applaudit.) Sans revenir sur nos débats, je rappelle que c'est l'engagement des associations qui tient notre société debout. Cette proposition de loi le rend plus simple et moins contraignant. Nous souscrivons à ses objectifs.

L'essentiel des dispositions adoptées ici a été retenu en CMP, notamment l'autorisation donnée aux collectivités de concéder aux associations, à titre gratuit, l'utilisation temporaire du domaine public sans imposer de justification systématique de son utilité publique.

M. Pierre Ouzoulias.  - Très bonne mesure !

M. Gérard Lahellec.  - Nous voterons ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K et SER)

M. Ahmed Laouedj .  - Nous avons la chance de bénéficier d'un tissu associatif riche : 22 millions de citoyens sont engagés. La dernière enquête de France bénévolat souligne le repli continu des plus âgés et une hausse de l'engagement des plus jeunes.

De nombreux bénévoles s'engagent occasionnellement, on parle alors de bénévolat « post-it ». Ainsi, la moitié des bénévoles s'investissent moins de 45 heures par an, ce qui contraint les associations à revoir leur mode d'organisation et à former les nouveaux bénévoles. Les associations sont aussi fragilisées, notamment par l'augmentation de leurs coûts.

La proposition de loi, qui a recueilli un large consensus des acteurs de terrain, a le mérite de proposer des solutions concrètes. La CMP n'a pas introduit de changements importants.

L'article 9, adopté par le Sénat, a été retenu par la CMP.

Le RDSE est très attaché au secteur associatif et au bénévolat, aussi votera-t-il cette proposition de loi.

M. Martin Lévrier .  - (Applaudissements sur les travées du RDPI ; Mme Laure Darcos applaudit également.) En ma qualité de représentant des Yvelines, département riche de ses associations, je suis convaincu de l'importance de ce texte. Notre pays compte sur ses associations pour relever les défis sociaux, environnementaux et culturels auxquels il est confronté. Nous ne pouvons plus imaginer un monde sans électricité, nous ne pouvons pas non plus imaginer la France sans son tissu associatif. Le législateur doit donc soutenir les associations, confrontées à de nouveaux défis.

Je salue l'accord en CMP, qui a débouché sur des mesures concrètes et ambitieuses : assouplissement du compte d'engagement citoyen, du congé d'engagement associatif et du congé de citoyenneté ; élargissement aux entreprises de moins de 5 000 salariés du mécénat de compétences ; simplification des conditions de prêts entre associations.

Cette proposition de loi apporte un souffle nouveau aux associations.

Je regrette que certains articles aient été supprimés, mais d'autres ont été maintenus -  sur le Guid'Asso ou l'exonération des redevances d'occupation du domaine public  - , c'était un compromis nécessaire et la preuve de la richesse de notre bicamérisme.

Je me réjouis de la suppression de l'ouverture du CPF aux retraités, qui aurait fait peser un risque sur sa soutenabilité financière.

Merci aux rapporteurs Quentin Bataillon et Yan Chantrel.

Le RDPI votera ce texte qui envoie un message fort à ceux qui oeuvrent pour le bien commun. (Applaudissements sur les travées du RDPI)

Mme Colombe Brossel .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST) Nous voici au bout du chemin. C'est une satisfaction. Ce texte ne révolutionnera pas le champ associatif, mais il favorisera l'engagement bénévole et facilitera le fonctionnement quotidien des associations.

Je remercie notre rapporteur Yan Chantrel, qui a su mettre à profit ses talents de négociateur aux côtés de Marie-Pierre Monier et de son homologue de l'Assemblée nationale.

Nous nous félicitons du maintien de la possibilité pour un salarié de donner des jours de congé ou de repos. L'extension du congé de citoyenneté est également une bonne chose. Aucun moyen de valoriser l'engagement associatif ne doit être négligé.

Mais l'État doit prendre toute sa part. C'est pourquoi la rédaction d'un guide aurait été une bonne initiative. La CMP ne l'a pas retenu, mais elle a donné une base légale au Guid'Asso.

Je regrette l'impossibilité d'abonder le CPF des retraités lorsqu'ils s'investissent dans les associations.

Parce que toutes les avancées en faveur de la vie associative sont bonnes à prendre, nous voterons les conclusions de la CMP. Nous resterons néanmoins attentifs à ce que les associations ne soient pas les victimes collatérales des choix budgétaires du Gouvernement. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST)

Mme Anne Ventalon .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Je salue le travail commun qui a mené à cette réussite collégiale. Ce n'est pas le grand soir, mais faut-il s'en plaindre ? Au lieu d'une longue et incertaine navette parlementaire, ce texte parvient à son terme et ses mesures vont entrer en vigueur rapidement.

Nous avons plus que jamais besoin de l'investissement des bénévoles dans les associations. Je n'adhère pas au discours tendant à fonctionnariser nos concitoyens qui s'engagent, mais la nation doit les soutenir.

Dans sa rédaction initiale, le texte proposait des mesures intéressantes de simplification et de sécurisation juridique sur les loteries, le mécénat de compétences ou les prêts entre associations.

Notre rapporteur a enrichi la proposition de loi, avec notamment la déclaration unique de TVA.

Fort logiquement, ce qui crée des obligations aux bénévoles va à l'encontre de l'objectif recherché. Par cohérence, nous n'avons pas souhaité conserver les nouvelles contraintes imposées aux entreprises : c'est ainsi que le Sénat a obtenu la suppression de l'obligation relative à la déclaration de performance extra-financière.

Le Sénat a également obtenu le don de jours de congé entre salariés, demande formulée par les associations elles-mêmes. Qu'est-ce que l'engagement associatif, sinon une question de temps ? Avec un peu d'imagination et de bonne volonté, on peut toujours faire progresser la solidarité.

Les conclusions de la CMP reprennent l'essentiel des propositions des sénateurs Les Républicains, notamment de Cédric Vial. Aussi nous les voterons. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Michel Laugier applaudit également.)

La proposition de loi est adoptée.

(Applaudissements sur plusieurs travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP)

Mise au point au sujet d'un vote

M. Laurent Burgoa.  - Lors du scrutin public n°168, MM. Jean-Marc Boyer, Daniel Gueret et Cédric Vial souhaitaient voter pour.

Acte en est donné.

La séance est suspendue quelques instants.

Commission (Nomination)

M. le président.  - Une candidature pour siéger au sein de la commission de la culture, de l'éducation, de la communication et du sport a été publiée.

Cette candidature sera ratifiée si la Présidence n'a pas reçu d'opposition dans le délai d'une heure prévu par notre règlement.

Lutte contre les dérives sectaires (Nouvelle lecture - Procédure accélérée)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion en nouvelle lecture du projet de loi visant à renforcer la lutte contre les dérives sectaires et à améliorer l'accompagnement des victimes.

Discussion générale

Mme Sabrina Agresti-Roubache, secrétaire d'État chargée de la ville et de la citoyenneté .  - Près de trois mois après nos précédents échanges, nous voici à nouveau réunis pour discuter de ce projet de loi, qui a bien évolué au cours de la navette, même si les constats et les objectifs demeurent. Près de vingt-trois ans après sa promulgation, la loi About-Picard n'est plus adaptée.

Je suis déçue que le groupe Les Républicains ait déposé une motion tendant à opposer la question préalable. Madame la rapporteure, vous évoquez le respect des droits et libertés, mais le texte a très largement évolué dans le sens que vous souhaitiez !

L'État ne lutte pas contre les croyances ou les opinions, mais contre toutes les formes de dérives sectaires. La Déclaration des droits de l'homme et du citoyen garantit la liberté de conscience ; nous y sommes tous attachés. C'est pourquoi nous avons renforcé les garanties constitutionnelles de ce texte. Bien des apports du Sénat ont été retenus.

L'État doit protéger nos concitoyens contre les dérives sectaires, fléau en constante progression.

La mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) alerte sur les solutions miracles vendues à des malades du cancer par de pseudo-thérapeutes. Face à ces charlatans, dont les méthodes d'embrigadement évoluent sans cesse, nous ne pouvons laisser les victimes seules. Le législateur a le devoir de les protéger.

Les signalements à la Miviludes ont doublé depuis 2010. Les difficultés sociales et la crise sanitaire ont accru la vulnérabilité de nos concitoyens. Les gourous 2.0 fédèrent de véritables communautés d'adeptes en ligne. Il faut en finir avec ces théories dangereuses qui ont déjà tué.

Notre stratégie nationale de lutte contre les dérives sectaires 2024-2027, fruit d'une concertation inédite, se décline selon trois axes : la prévention, l'accompagnement de proximité des victimes et le renforcement de notre arsenal juridique. Nous n'abandonnons ni la prévention ni l'accompagnement, mais ces axes ne nécessitent pas toujours de traduction législative.

La prévention doit être au coeur de toutes nos politiques publiques : elle est le maître-mot de ma feuille de route et le versant nécessaire de la bonne application du texte dont nous discutons.

Les effectifs de la Miviludes ont doublé. Je salue l'engagement des associations. Nous venons de lancer une campagne de communication - que vous avez été nombreux à partager sur les réseaux et je vous en remercie  - qui cible le quotidien des Français : santé, argent, éducation...

Le Gouvernement entend créer deux nouveaux délits : à l'article 1er, le fait de placer ou de maintenir une personne dans un état de sujétion psychologique ou physique ; à l'article 4, la provocation à l'abandon ou à l'abstention de soins ou à l'adoption de pratiques dont il est manifeste qu'elles exposent la personne visée à un risque grave pour sa santé.

La santé est un enjeu majeur des dérives sectaires, avec 27 % des signalements à la Miviludes.

Malgré le constat partagé, les discussions ont été animées au Sénat et l'article 4 a évolué : il garantit désormais explicitement la liberté de conscience et la liberté de critique médicale. Les discours dans le cadre familial en sont exclus, tout comme les lanceurs d'alerte. Cette rédaction transpartisane apporte les garanties demandées par les deux chambres. Je déplore qu'une partie de cet hémicycle s'y oppose.

Pour les familles qui ont vécu des drames, cessons les postures politiques et ayons conscience de l'urgence de voter ce texte. Le groupe Les Républicains de l'Assemblée nationale nous a entendus.

À l'article 1er, nous créons un nouveau délit d'assujettissement psychologique ou physique, pour agir en amont de l'abus de faiblesse. Nous avons deux objectifs : remédier à l'insuffisance du cadre juridique pour appréhender ces nouvelles dérives et améliorer l'indemnisation des victimes en prenant mieux en compte leur préjudice corporel. En l'état actuel du droit, la réparation est plus qu'aléatoire. Les victimes sont parfois découragées : elles doivent être mieux protégées et indemnisées.

En cohérence, nous proposons la création d'une circonstance aggravante pour certains crimes ou délits commis dans un environnement sectaire.

L'accompagnement des victimes sera renforcé grâce à un agrément délivré aux associations autorisées à agir.

Nous prévoyons en outre la transmission obligatoire aux ordres professionnels de santé des condamnations et des décisions de contrôle judiciaire, afin de sanctionner les praticiens déviants.

Enfin, l'information des acteurs judiciaires sur les dérives sectaires sera améliorée grâce à une meilleure association des services de l'État.

Madame la rapporteure, nos points de vue divergent, mais je vous remercie pour votre engagement et la qualité de nos débats. Attachée au débat parlementaire, je regrette que vous proposiez de l'écourter.

J'ai confiance dans le Sénat pour continuer à défendre les victimes. J'ai une pensée pour les associations dont l'action est cruciale et qui ont besoin de ce texte.

J'ai une pensée sincère pour les victimes et leurs familles ; j'espère que ce projet de loi contribuera à les apaiser.

Nous devons répondre tous présents et dépasser nos clivages pour nous rassembler autour de cette cause commune.

Je continuerai le combat.

Mme Lauriane Josende, rapporteure de la commission des lois .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme Olivia Richard applaudit également.) Après l'échec de la CMP, l'Assemblée nationale a corrigé quelques scories, mais s'est écartée de la position du Sénat, empêchant tout compromis.

Sur les deux points bloquants pour la commission des lois, le premier est relatif à la création d'un délit de provocation à l'abandon de traitements ou soins médicaux et à l'adoption de pratiques non conventionnelles. Certes, il faut une réponse ferme des pouvoirs publics, mais la disposition proposée par le Gouvernement est juridiquement fragile. La nécessité de légiférer n'est pas suffisamment établie.

La rédaction finalement adoptée par l'Assemblée nationale nous ramène au droit existant en matière de harcèlement. La rédaction de l'exclusion des lanceurs d'alerte n'est pas satisfaisante.

Paradoxalement, les tentatives du Gouvernement de répondre aux critiques du Conseil d'État et du Sénat aboutissent à des dispositifs soit trop larges, soit inefficaces. Il semble en effet difficile de prouver ce délit : de simples précautions dans la formulation de leur discours prémuniront les promoteurs de dérives sectaires contre cette infraction. À l'inverse, des propos tenus dans le cadre familial pourraient être sanctionnés...

Finalement, le droit existant -  avec l'abus de faiblesse ou l'exercice illégal de la médecine ou de la pharmacie  - est plus protecteur. Contrairement à ce qui a été répété, tous les cas sont déjà couverts par le droit existant. La difficulté réside dans la récolte des preuves et la détection des victimes.

Deuxième point de blocage : le rétablissement des articles 1er et 2 et leur élargissement aux victimes des thérapies dites de conversion.

La création d'un délit autonome nous semble révélatrice de deux défauts de conception de ce texte : la loi About-Picard serait insuffisante ; il faudrait traiter toutes les formes d'emprise de la même manière.

Le Conseil d'État avait rappelé que le champ des nouvelles infractions allait au-delà des seules dérives sectaires.

Le Sénat a néanmoins enrichi le texte de dispositions attendues et saluées par les acteurs de terrain.

Premièrement, la consécration du statut juridique de la Miviludes, qui ne pourra plus être supprimée au gré des volontés ministérielles.

M. Pierre Ouzoulias.  - Très bien !

Mme Lauriane Josende, rapporteure.  - Deuxièmement, des modifications du droit pénal, pour tenir compte de l'évolution des modes opératoires, avec une répression plus forte des délits d'exercice illégal de la médecine, de pratiques commerciales trompeuses et d'abus de faiblesse lorsqu'ils sont commis en ligne.

Enfin, pour les mineurs, le délai de prescription ne courra qu'à compter de la majorité et les sanctions applicables au fait de placer un enfant dans une situation d'isolement social seront alourdies.

Mais nous regrettons cette focalisation sur la réponse pénale : les pouvoirs publics doivent prévenir et rehausser les moyens de la justice et des services enquêteurs.

L'Assemblée nationale a adopté en seconde lecture un texte souffrant des mêmes défauts juridiques que celui de première lecture. Il me semble inutile de prolonger notre discussion. D'où notre question préalable. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme Olivia Richard applaudit également.)

Mme Laure Darcos .  - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP ; M. Martin Lévrier applaudit également.) Le covid a massivement répandu le numérique et isolé nos compatriotes, notamment les plus fragiles. Ce texte vise à lutter contre ceux qui exploitent cette vulnérabilité.

Députés comme sénateurs, nous partageons l'objectif, mais nos majorités respectives divergent sur les moyens.

Le délit de placement ou de maintien dans un état de sujétion psychologique ou physique, supprimé par le Sénat, a été rétabli par l'Assemblée nationale. Nous comprenons les réticences de la rapporteure, mais pensons qu'il permettra de prendre en compte des situations que notre droit actuel ignore et de les réprimer avec toute la rigueur nécessaire.

Autre point de divergence : la répression des dérives liées aux médecines non conventionnelles. S'appuyant sur les réserves du Conseil d'État, le Sénat a supprimé l'article 4, rétabli par l'Assemblée nationale. Or les signalements sont en forte hausse et les courants anti-science se développent, sur fond de pandémie et de réseaux sociaux.

Ces positions incompatibles du Sénat et de l'Assemblée nationale ont conduit à l'échec de la CMP et à la question préalable de la rapporteure. Notre groupe y est opposé, par principe. Les dérives sectaires sont dangereuses, or de nombreuses dispositions de ce texte permettront de mieux lutter contre les sectes. Nous voterons contre la motion. (Applaudissements sur les travées du RDPI)

Mme Olivia Richard .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur quelques travées du groupe Les Républicains) Dès 2012, le Sénat se penchait sur les dérives sectaires, particulièrement dans le domaine de la santé. Les cas sont en hausse de 86 % depuis 2015, avec un record en 2021. Force est de constater que notre arsenal judiciaire n'est plus adapté. Au-delà du religieux, les approches liées à la santé, au coaching ou au développement personnel ciblent les plus vulnérables, qui n'ont pas conscience d'être victimes. Les escrocs exigent tout d'eux : la soumission du corps, de l'esprit et du compte en banque.

Les deux chambres partagent le même constat. Toutes les dérives sectaires doivent être combattues. Malheureusement, nos convergences s'arrêtent là et l'accord en CMP a été impossible.

Oui, encourager l'abandon de soins médicaux vitaux dans le cadre d'une thérapie alternative appelle une réponse ferme, mais le dispositif proposé n'est pas à la hauteur. Il est difficile de réunir des preuves et les escrocs ont l'habitude de jouer avec le flou de la loi. Dommage que nous n'ayons pas trouvé de bonne rédaction, car les acteurs attendent des outils.

Tout n'est pas à jeter, car certaines dispositions du Sénat ont été conservées : renforcement des sanctions lorsque les délits sont commis en ligne, protection des mineurs victimes, renforcement des moyens de la Miviludes.

Il est cependant inutile de poursuivre nos débats : le groupe UC votera la question préalable avec regret, mais conviction. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains)

M. Guy Benarroche .  - Le phénomène sectaire a des conséquences psychiques et physiques et non pas seulement financières. En 2020, pourtant, la disparition de la Miviludes a pu être envisagée...

Ce texte, pauvre et bâclé, présentait un risque d'inconstitutionnalité selon le Conseil d'État. D'où l'intérêt d'avoir, pour une fois, un projet de loi, et donc une étude d'impact !

Aucune des propositions des rapports parlementaires transpartisans n'a servi à élaborer ce texte. En première lecture, nos propositions d'amélioration se sont heurtées à l'article 40. Les moyens de repérage des victimes mériteraient pourtant d'être renforcés, ainsi que le préconisait le rapport Mézard-Milon.

Le texte qui nous revient a maintenu la sanctuarisation de la Miviludes.

Nous nous réjouissons du maintien de certains de nos apports, notamment sur les échanges avec les conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance, où siègent des élus.

Nous saluons l'article 2 bis A qui introduit des circonstances aggravantes pour les thérapies de conversion.

Nous regrettons que l'Assemblée nationale n'ait pas conservé notre amendement sur la coordination de la Miviludes avec les associations, qu'il faut saluer.

Notre commission a bien pris la mesure des effets amplificateurs des réseaux sociaux. La disparition, à l'Assemblée nationale, de tout notre apport sur le numérique est problématique.

Notre commission avait aussi pris la mesure des dangers qui pèsent sur les mineurs, mais, là encore, l'Assemblée nationale a supprimé ces dispositions.

Les phénomènes sectaires ne prennent plus seulement une forme religieuse, ils investissent aussi le champ de la santé, de l'alimentation, du bien-être.

On comptait 214 signalements à la Miviludes en 2015, 892 en 2021.

Les discours anti-scientifiques se sont multipliés sur les réseaux sociaux, notamment depuis la pandémie et font courir un risque de santé publique.

La réécriture de l'article 4 par l'Assemblée nationale permet de ne pas porter atteinte à la liberté des débats scientifiques.

Ce texte, très insuffisant, est un ensemble de mesurettes qui n'agissent ni sur les causes du phénomène ni sur les moyens de repérage.

Le Sénat avait transformé le projet initial, avec des mesures plus opérationnelles et plus efficaces. Le GEST ne peut que constater l'entêtement du Gouvernement et ne pourra se résoudre à voter ce texte qui ne tient compte ni des observations du Conseil d'État ni des travaux du Sénat.

Nous ne voterons pas la question préalable qui nous priverait d'une discussion sur un sujet sensible et important.

M. Pierre Ouzoulias .  - Il faut reconnaître que le texte du Gouvernement, les débats et l'incapacité des deux chambres à s'entendre ont été très en deçà des attentes suscitées par les récents travaux de la Miviludes.

Depuis sa création en 2002, les dérives se sont diversifiées sous l'effet du foisonnement des expressions religieuses, de l'individualisation des croyances, de la perte de légitimité du discours politique et scientifique et des réseaux dits sociaux.

Ces prophètes, charlatans, rebouteux, complotistes, détracteurs de la science dite officielle prolifèrent. (M. Roger Karoutchi apprécie l'énumération.) Leurs discours sont parfois relayés par des médias nationaux complaisants.

Il eût été judicieux que votre texte, madame la ministre, s'intéressât aussi aux pratiques des établissements hors contrat, dont le développement inquiète.

Je regrette que vous n'ayez pas entendu le Conseil d'État. Une réécriture plus aboutie de l'article 4 vous aurait évité une coalition d'oppositions divergentes. Je regrette aussi que certains députés aient eu recours à une argumentation déjà entendue pendant la pandémie pour défendre l'utilisation de l'hydroxychloroquine...

M. Olivier Bitz.  - Très bien !

M. Pierre Ouzoulias.  - Les essais cliniques réalisés dans les règles avaient montré son absence d'effets bénéfiques : il était donc coupable de continuer à la prescrire.

La controverse est utile lorsqu'elle respecte les règles de l'intégrité scientifique. Elle devient pernicieuse lorsqu'elle s'en affranchit.

Je suis révolté d'avoir entendu, dans nos deux chambres, que ce texte aurait condamné Irène Frachon au silence. Cette pneumologue, à la grande conscience morale, a démontré scientifiquement les effets nocifs du benfluorex. Comment comparer ses études cliniques rigoureuses avec les élucubrations mortifères qui proposent de remplacer une chimiothérapie par des jus de légumes ?

Je ne suis pas certain que l'article 4 permettra à la justice de sanctionner plus efficacement. Nous devrons l'évaluer.

Il est nécessaire de donner plus de moyens aux pouvoirs publics pour protéger la santé de nos concitoyens. Nous regrettons donc la question préalable. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K, SER et du RDPI)

Mme Nathalie Delattre .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) En décembre 1995, seize personnes étaient retrouvées brûlées dans le Vercors, victimes de la secte de l'Ordre du temple solaire. Plus jamais ça ! Et pourtant, aujourd'hui, certains préconisent un régime crudivore plutôt que la chimiothérapie pour guérir un cancer...

L'action des gourous n'a rien d'uniforme et nous touchons aux limites du droit. Certains travestissent les religions, tandis que d'autres tentent de fonder leurs croyances sur des bases rationnelles. Tout le monde se souvient des aventures délirantes du clonage raëlien ; aujourd'hui, certains remettent en cause la médecine, comme si quelques heures sur YouTube valaient plus que dix ans d'études universitaires...

Je salue l'initiative du Gouvernement, mais regrette le calendrier d'examen de ce projet de loi, débattu au Sénat fin décembre, après le budget et en même temps que la loi Immigration. Le Sénat en avait alors rejeté les principaux articles, au motif qu'il fallait du temps pour réécrire la copie. Le RDSE avait aussi fait des propositions.

Trois mois plus tard, après l'échec de la CMP, le Sénat reste sur le constat d'un texte imparfait - c'est dommage. Le RDSE est opposé par principe à toute motion et j'aurais aimé que ce texte soit de nouveau débattu, d'autant plus qu'il reprend certains apports du Sénat, comme l'article 2 bis, issu de l'un de mes amendements, qui allonge le délai de prescription pour les mineurs. L'article 9, adopté par l'Assemblée nationale, améliore la protection des patients contre les risques de confusion et de tromperie, conformément au rapport Mézard de 2013 et aux amendements que j'avais déposés dans le même sens.

Les articles 1er, 2 et 4 ne vous convainquent pas, madame la rapporteure. Vos réserves sont légitimes, mais ces articles apportent pourtant des solutions aux pouvoirs publics. (M. Olivier Bitz renchérit.)

Nous voterons contre la motion et j'espère défendre les amendements que j'ai déposés - je suis optimiste... (Applaudissements sur les travées du RDPI et du groupe INDEP ; M. Pierre Ouzoulias applaudit également.)

M. Thani Mohamed Soilihi .  - (Applaudissements sur les travées du RDPI et du groupe INDEP) La CMP du 7 mars dernier n'a pas été conclusive. Ce texte est l'une des traductions des assises nationales de mars 2023 et de l'ambitieuse stratégie nationale de lutte contre les dérives sectaires de novembre 2023. Il entend répondre à une hausse préoccupante de ces dérives sectaires, notamment dans le domaine thérapeutique.

Le projet de loi poursuit deux objectifs : adapter notre arsenal juridique, manifestement à la traîne, et améliorer l'accompagnement des victimes. Davantage d'associations pourront se porter partie civile et mieux informer les ordres lors de la condamnation de professionnels de santé.

Mais la création de deux nouveaux délits fait l'objet d'un désaccord entre nos deux chambres, malgré une rédaction désormais plus équilibrée : la liberté d'expression est garantie et le rôle des lanceurs d'alerte est préservé.

Le RDPI regrette que la majorité sénatoriale ait déposé une question préalable - ce n'est pas l'intérêt des victimes. (M. Olivier Bitz le confirme.) C'est dommage, car le Sénat avait enrichi le texte en première lecture : consécration législative de la Miviludes ; circonstance aggravante pour les délits commis en ligne ; allongement du délai de prescription pour les mineurs.

Nous aurions aimé que le Sénat travaille à la rédaction d'un texte commun, respectueux des libertés individuelles et protecteur de la santé publique. Hélas, l'adoption de la question préalable nous en empêchera : c'est dommage. Nous ne voterons donc pas la motion. (Applaudissements sur les travées du RDPI)

M. Christophe Chaillou .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) En première lecture, nous étions unanimes pour considérer que la lutte contre les dérives sectaires était un enjeu majeur.

Ainsi, 4 020 signalements ont été enregistrés par la Miviludes en 2021 - un record -, sous le double effet des réseaux sociaux et de la crise sanitaire. Des champs nouveaux -  santé, développement personnel, formation  - sont investis par les charlatans. Les victimes sont de plus en plus nombreuses. Cela appelle des évolutions législatives.

En première lecture, nous avions soutenu certaines dispositions du texte et suivi la rapporteure concernant les réserves du Conseil d'État : nous n'avions pas voté l'article 4.

Nous retrouvons dans le texte issu de la CMP certaines modifications que nous avions souhaitées, comme l'inscription de la Miviludes dans la loi ou la protection des mineurs contre les dérives sectaires. Nous saluons l'ajout relatif aux thérapies de conversion.

Veillons à ce que la Miviludes dispose des moyens nécessaires.

Nous avions émis des doutes sur la rédaction de l'article 4, compte tenu notamment de l'avis du Conseil d'État. Le Sénat l'avait supprimé, l'Assemblée nationale et le Gouvernement l'ont réécrit en répondant aux préoccupations soulevées, notamment sur la liberté de conscience, la liberté de choix, les lanceurs d'alerte ou les cercles privés.

L'augmentation du nombre de victimes d'abus nous a convaincus de la nécessité de légiférer. S'agissant des sanctions pénales, je note que l'appréciation de la majorité sénatoriale est à géométrie variable : le plus souvent, comme lors du débat sur la sécurité dans les transports, elle s'attache à aggraver les sanctions, même en l'absence d'effet avéré. Et ici, on nous dit que les sanctions pénales n'auraient pas d'effet ? (Mme Lauriane Josende le conteste.)

La loi seule ne suffit pas : la prévention s'impose. Il faut des moyens non seulement pour la Miviludes, mais aussi pour l'éducation nationale, afin d'attaquer les dérives sectaires à la source.

Le groupe SER regrette l'approche trop restrictive de la majorité sénatoriale, qui minore les avancées du texte et empêche, via le dépôt d'une motion, que nous nous prononcions. Nous voterons contre la question préalable. (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; M. Martin Lévrier applaudit également.)

M. Roger Karoutchi .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Dommage, madame Delattre : il y a peu de chances que vous défendiez vos amendements. (Sourires) Mais que voulez-vous faire ? La CMP a échoué, l'Assemblée nationale a voté un texte qui ne correspond pas aux souhaits du Sénat. Donc soit nous adoptons un texte conforme, ce qui n'a guère d'intérêt, soit l'Assemblée nationale décide en dernier ressort.

Selon toute probabilité, la question préalable l'emportera : inutile de faire travailler le Sénat en nous illusionnant sur l'influence que nous pourrions avoir, si tant est que nous en ayons, avec ce Gouvernement...

Nul ne conteste l'importance de lutter contre les dérives sectaires. Privilège de l'expérience, j'ai le souvenir de nombreux rapports sur le sujet. À l'arrivée, toujours le même constat : pas assez de moyens.

Pierre Ouzoulias l'a dit, la remise en cause de la Miviludes nous a stupéfiés, au moment même où les dérives explosaient.

Madame la ministre, vous aurez votre texte, mais sans le tampon Sénat.

La rapporteure a rappelé les réserves du Conseil d'État, la rédaction de l'article 4. Mais la question centrale est la suivante : jusqu'où peut-on légiférer sans empêcher la liberté d'expression, la liberté de conscience, la liberté médicale ? Jusqu'où peut-on légiférer sans empêcher les opinions, les choix, sans brimer ?

Le sectarisme, les dérives sectaires peuvent être politiques, médicales, éducatives, elles concernent tous les aspects. Nos sociétés occidentales sont toutes touchées : nous avons échoué, collectivement, sur la formation des jeunes, sur l'éducation et la sensibilisation aux vrais problèmes. Nous avons échoué à faire des Français des hommes libres, conscients, comme disait Montaigne, capables de réfléchir et d'analyser par eux-mêmes. C'est ainsi... Quand fera-t-on une vraie réforme sur comment faire réellement société ?

Madame la ministre, pas d'inquiétude : nous voterons la question préalable, car refaire le débat ne servirait à rien. Mais au-delà de votre succès à l'Assemblée nationale, demandez-vous sincèrement ce que peut faire le Gouvernement pour enfin inverser ce courant dans la société française. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Jean-Baptiste Blanc .  - Les pratiques alternatives, qualifiées de douces ou même quantiques, de Luc Jouret, ont permis l'assujettissement qui a mené au drame de l'ordre du Temple solaire, il y a bientôt trente ans. Ces pratiques illusoires, qui se cachent derrière le paravent des libertés, impliquent la perte d'esprit critique.

Chacun est libre de croire à ce qu'il veut, mais alors que nous légiférons, à juste titre, sur la traçabilité de nos produits de consommation ordinaire, comment laisser nos concitoyens confier aveuglément leur santé à des croyances irrationnelles ?

L'article 1er a trait à la sujétion. Où se situe la liberté de choix, lorsque le patient a perdu son libre arbitre ? Il est d'autant plus urgent de protéger les consommateurs à l'heure des réseaux sociaux.

Combien les dérives sectaires ont-elles fait de victimes en trente ans ? Que pèsent nos désaccords par rapport au désarroi des victimes ?

L'abus de faiblesse issu de la loi About-Picard a montré ses limites. Les praticiens réclament un instrument plus efficace, sur le modèle espagnol ou italien.

Les dérives sectaires méritent d'être analysées à la lumière des témoignages des victimes et des atteintes aux droits de l'homme et aux libertés fondamentales. Transformer un citoyen en adepte asservi désagrège insidieusement la République. En tant que parlementaires, nous devons être vigilants, tout en respectant la pluralité des croyances individuelles.

Les victimes attendent de nous une protection légale et efficace. C'est pourquoi je voterai la question préalable. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Question préalable

M. le président.  - Motion n°5, présentée par Mme Josende, au nom de la commission.

En application de l'article 44, alinéa 3, du Règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture, visant à renforcer la lutte contre les dérives sectaires et à améliorer l'accompagnement des victimes (n° 455, 2023-2024).

Mme Lauriane Josende, rapporteure.  - Je ne développe pas les arguments en faveur de cette motion. Ce texte est encore trop imparfait pour en valider la rédaction. Inutile de débattre davantage.

Mme Sabrina Agresti-Roubache, secrétaire d'État.  - Je regrette cette question préalable : elle met un terme à un travail parlementaire fructueux, qui a fait évoluer significativement un texte qui s'attaque à un sujet de société des plus préoccupants.

Le texte qui vous est soumis a été enrichi et amélioré. Les préoccupations du Sénat ont été prises en compte : assise législative à la Miviludes, lien avec les instances locales de prévention de la délinquance, prise en compte des infractions en ligne, meilleure protection des mineurs, entre autres. Autant d'avancées que l'Assemblée nationale a conservées, et que le Gouvernement soutient.

Le débat s'est focalisé sur l'article 4, qui est pourtant une avancée innovante, sur un sujet sensible. Je reste convaincue que la représentation nationale ne peut rester sourde aux difficultés qui remontent du terrain. Oui, les gourous qui promeuvent des pratiques qui tuent sont des criminels. Le Conseil d'État estime que la légitimité du projet de loi est incontestable. Cet article vise à empêcher les abus délétères, souvent mortels, de la liberté d'expression, quand elle s'apparente à une provocation à s'empoisonner.

Le Gouvernement et l'Assemblée nationale ont entendu les critiques du Sénat. Sur la garantie de la liberté de conscience, l'alinéa 2 exige que le traitement soit présenté comme bénéfique pour la santé, l'alinéa 4 prévoit une information libre et éclairée. Sur la liberté de critique médicale, l'alinéa 6 exclut les lanceurs d'alerte du champ d'application. Enfin, le critère de gravité des conséquences de l'arrêt de traitement a été rehaussé. Cessez de dire qu'Irène Frachon n'aurait pas pu nous alerter : c'est faux !

Les provocations doivent dorénavant faire l'objet de pressions ou de manoeuvres réitérées, ce qui exclut clairement les conversations privées, familiales ou amicales, du champ d'application.

Je le dis devant la représentation nationale : le Gouvernement ne veut pas interdire la critique médicale ni empêcher les malades de décider, en toute conscience, de suivre ou non un traitement, fut-ce au détriment de leur santé. En revanche, il veut mettre hors d'état de nuire ces gourous 2.0, ces escrocs qui mentent et qui tuent. Provoquer à interrompre une chimiothérapie pour lui substituer un jus de légumes n'est pas un bon usage de la liberté d'expression.

Ce texte est le fruit d'un travail collectif, auquel le Sénat a pris toute sa part. Son article 1er constitue une avancée majeure pour la protection des victimes - le Conseil d'État y a d'ailleurs émis un avis favorable. Je regrette que vous ne l'ayez pas suivi. Je l'ai dit, le Gouvernement est disposé à entendre toute proposition d'amélioration.

Lors de la deuxième lecture à l'Assemblée nationale, le groupe Les Républicains, en la personne du député Xavier Breton, ...

M. Laurent Burgoa.  - Nous sommes au Sénat ici !

Mme Sabrina Agresti-Roubache, secrétaire d'État.  - ... s'est abstenu, invoquant les avancées obtenues. J'invite le Sénat à rejeter cette question préalable, afin que le débat se poursuive.

À la demande de la commission, la motion n°5 est mise aux voix par scrutin public.

M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°170 :

Nombre de votants 341
Nombre de suffrages exprimés 341
Pour l'adoption 189
Contre 152

La motion n°5 est adoptée. En conséquence, le texte est considéré comme rejeté.

La séance est suspendue à 18 h 50.

Présidence de Mme Sylvie Robert, vice-présidente

La séance reprend à 21 h 30.

Situation de l'hôpital

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle le débat sur la situation de l'hôpital, à la demande du groupe Les Républicains.

M. Philippe Mouiller, pour le groupe Les Républicains .  - Le groupe Les Républicains a proposé au Sénat d'organiser ce débat en raison de la situation financière des structures hospitalières publiques et privées. Monsieur le ministre, que compte faire le Gouvernement de notre système hospitalier ?

Alors que le Président de la République promettait en 2022 de faire de l'hôpital sa priorité, peu de projets ont émergé et une posture attentiste a prévalu. Le Gouvernement a ainsi laissé prospérer des initiatives parlementaires non évaluées et non coordonnées. Grâce au travail de qualité des parlementaires, de petites touches ont été apportées, par exemple sur la permanence des soins ou les praticiens à diplôme hors Union européenne (Padhue).

Pourtant, la crise sanitaire aurait dû nous faire réagir collectivement. Certes, le Ségur a permis de recycler certaines mesures, comme un effort d'investissement de 13 milliards d'euros, présenté six mois plus tôt comme la reprise d'un tiers de la dette hospitalière. Mais quel est le bilan aujourd'hui ? Les revalorisations ont été, non pas un choc d'attractivité, mais un rattrapage. Pire, nous ne cessons de compter les oubliés.

La Caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades) ne suscite guère d'engouement. On peine à identifier les grands projets structurels, surtout vu le contexte inflationniste. Ainsi, quatre ans après la crise sanitaire, quel est le plan du Gouvernement pour l'hôpital ? Comment y retrouver des équipes stables ? Comment le préparer pour demain ?

Comment les 105 milliards d'euros de dépenses annuelles permettront-ils que l'hôpital redevienne une fierté ? Comment sortir des déficits permanents ? Que de questions !

Lors de ses voeux, voilà un an, le Président de la République annonçait un big-bang de l'hôpital : il fallait en finir avec la tarification à l'activité (T2A). Le rapport d'Olivier Claris et de Nadiège Baille n'a pas été publié, alors qu'il était censé préfigurer cette réorganisation.

Quant au financement, à la hâte, l'ancien locataire de l'avenue Duquesne a défendu une sortie en trompe-l'oeil de la T2A, dénoncée par Corinne Imbert lors du dernier PLFSS. Une réforme est entrée en vigueur théoriquement le 1er janvier dernier, mais sans effet réel ni clarification du modèle cible.

Le Gouvernement préfère disserter sur le code de la sécurité sociale sans jamais parler de financement - le ministre au banc renvoyait à un projet de loi ad hoc, un comble lors de l'examen d'un PLFSS ! Année après année, la commission des affaires sociales regrette un débat tronqué et un objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam) insincère : plus de 100 milliards d'euros sont consacrés à la santé sans arbitrage du Parlement.

Le nouveau gouvernement annonce une revalorisation des tarifs hospitaliers. Las ! Nous aurions préféré débattre du coût lors du vote de l'Ondam en novembre dernier, alors que le ministre de l'économie annonce un dérapage du déficit public.

Vous opposez public et privé, alors que les deux devraient travailler en complémentarité.

Comment comprendre la stratégie du Gouvernement, avec un Ondam en progression fin 2024, une rallonge budgétaire début 2024 et, désormais, la recherche d'économies en urgence ?

La situation des établissements hospitaliers se dégrade et, avec ces annonces, les professionnels de santé ne se sentent pas soutenus. Nous les rencontrons très souvent : ils n'ont plus confiance.

Pour en finir avec ce contournement du Parlement, le groupe Les Républicains a souhaité ce débat pour échanger sur ces sujets.

Les sénatrices et sénateurs auront des questions concrètes. Monsieur le ministre, j'espère des réponses. Certes, le contexte est difficile, mais nous avons des doutes sur la stratégie du Gouvernement. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, INDEP et du RDSE)

M. Frédéric Valletoux, ministre délégué chargé de la santé et de la prévention .  - Je vous remercie de cette occasion d'échanger sur l'hôpital, où plus d'un million de personnes travaillent et où sont soignés 12 millions de patients chaque année, dans 1 400 établissements.

L'hôpital est à la croisée des chemins. À peine sorti de la crise sanitaire, il fait face à de nombreux défis, liés aux attentes croissantes, légitimes, de la population, et à la crise des ressources humaines et de l'attractivité. Soyons lucides, mais sans misérabilisme. Certes, l'hôpital connaît des difficultés structurelles, mais il faut aussi en être fier : c'est aussi le lieu où l'on forme, où l'on recherche, le lieu de nombreuses premières mondiales.

L'année 2023 fut charnière : l'activité augmente, dans le secteur public, mais les tensions demeurent, notamment aux urgences. Ma priorité est de continuer à soutenir l'hôpital. En 2024, le Gouvernement est plus que jamais attentif à la situation financière des établissements publics et privés, en raison de l'inflation et du redémarrage difficile après la crise sanitaire.

Les moyens manqueraient ? C'est faux : depuis 2017, l'Ondam est passé de 191 milliards d'euros à 255 milliards. La hausse des tarifs que vous évoquiez représente 3,2 milliards d'euros pour les établissements. C'est la cause de la différence faciale entre public et privé que vous évoquez, puisque cela permettra un milliard d'euros de revalorisation salariale pour le public. Des réformes structurantes ont également lieu, par exemple pour les urgences ou la psychiatrie.

Autre chantier majeur pour 2024, celui des ressources humaines. Nous avons augmenté le numerus clausus et le nombre d'infirmiers diplômés, et revalorisé le travail de nuit et de week-end, car les contraintes du travail à l'hôpital doivent être reconnues.

Le Ségur investissement, doté de 15,5 milliards d'euros, n'est pas une avance de trésorerie, comme les plans Hôpitaux 2017 et 2022, mais bien une subvention qui a permis de moderniser 3 000 établissements.

Fidéliser passe par le chantier de la profession infirmière, qui doit aboutir cette année, et la réforme des études médicales, notamment la quatrième année de médecine générale.

La loi du 27 décembre 2023 répondra aux difficultés rencontrées par les Padhue.

Les urgences fonctionnent si le parcours en amont est fluide. L'organisation du parcours des patients est un moyen d'y parvenir.

En outre, comme le Premier ministre s'y est engagé, les services d'accès aux soins (SAS) seront généralisés pour que les citoyens trouvent des réponses en matière de santé. Nous en comptons 63 actuellement, pour 80 % de la population ; ils seront 100 d'ici à la fin de l'été.

La médecine de ville doit également prendre toute sa part. La réforme des autorisations ou de la permanence des soins dans les établissements fait partie des solutions.

La transition écologique et la digitalisation de l'hôpital se poursuivent. Ainsi, le Gouvernement s'est engagé à réduire de 5 % les émissions de gaz à effets de serre de la santé. Nous poursuivons la modernisation des systèmes d'information, sans ignorer les chantiers majeurs de l'intelligence artificielle et des données de santé.

Mais ne pas regarder au-delà des quatre murs de l'hôpital, c'est manquer une partie du sujet. Il joue un rôle structurant dans les territoires, coopère avec la médecine de ville. Chaque jour, il s'y passe des choses formidables. Le plan massif de recrutement porte ses fruits : notre objectif est de rouvrir des lits maintenant et partout. (M. Jean-François Husson en doute.) L'activité augmente au-delà des prévisions.

L'hôpital, bien plus que des chiffres, ce sont des soignants qui travaillent chaque jour au service des concitoyens. Il faut lui assurer un avenir pérenne. Nous sommes mobilisés.

Mme Anne-Sophie Romagny .  - Le 14 février dernier, la Haute Autorité de santé (HAS) a rendu publics les résultats de la certification des établissements de santé, menée tous les quatre ans : 85 % des établissements ont été certifiés, mais 12,8 % doivent accomplir des efforts et 2,8 % n'ont pas été certifiés, notamment de petits établissements. Il y a des disparités régionales : un tiers des établissements des Pays de la Loire et plus de la moitié en Guadeloupe ou en Martinique ne l'obtiennent pas.

Quelles en sont les causes ? Les petits établissements peuvent-ils répondre aux nouveaux critères adoptés en 2020 ? Ne craignez-vous pas l'instauration d'un cercle vicieux ? Comment comptez-vous accompagner les établissements en difficulté ?

M. Frédéric Valletoux, ministre délégué.  - Une chose est claire : nous ne baisserons pas le niveau d'exigence attendu. Mais nous aiderons tous les établissements à travers les groupements hospitaliers de territoire (GHT), obligatoires depuis dix ans. Ainsi, les établissements principaux pourront apporter leur expertise aux autres. La certification pourrait davantage devenir celle du GHT.

La certification par établissement date d'une vingtaine d'années et a fait ses preuves en termes de standards de qualité. À l'approche des jeux Olympiques, nos établissements feront l'objet d'attaques plus nombreuses qu'avant.

Nous allons continuer à adosser les financements à la qualité, mais celle-ci ne doit pas devenir un couperet. Nous mettrons les moyens pour accompagner les établissements.

Mme Anne Souyris .  - Huit Français sur dix pensent que l'hôpital public est en danger et que la qualité des soins va se dégrader - et neuf soignants sur dix ! En théorie, chaque infirmière doit encadrer douze à quatorze patients, mais en pratique c'est souvent bien plus.

En janvier 2023, le Sénat a adopté une proposition de loi instaurant un taux d'encadrement minimal. Le Gouvernement s'en saisira-t-il ? Peut-être répondrez-vous qu'avec de tels ratios, un certain nombre d'établissements devraient fermer. Mais quid de la situation actuelle ? Les soignants et les patients sont-ils en danger ? (Applaudissements sur les travées du GEST ; Mme Émilienne Poumirol applaudit également.)

M. Frédéric Valletoux, ministre délégué.  - Les ratios existent déjà à l'hôpital : pour les soins critiques, pour l'obstétrique, pour les dialyses, pour les grands brûlés, entre autres. Mais les systématiser n'est pas satisfaisant. Nous en avions déjà débattu lors de l'examen de la proposition de loi de Bernard Jomier. Une personne qui sort le jour de l'opération ou trois jours après ne demande pas le même taux d'encadrement.

Mme Émilienne Poumirol.  - Et la charge mentale ?

M. Frédéric Valletoux, ministre délégué.  - Cela désorganiserait des services de qualité. La certification par la HAS est la plus adaptée, hors les services déjà concernés par une norme d'encadrement. Ces ratios seraient une approche décalée, voire bureaucratique. Je m'étonne d'ailleurs d'entendre des critiques sur l'excès de bureaucratie tout en constatant que certains veulent encore en ajouter.

Mme Anne Souyris.  - Cette demande n'est pas bureaucratique : elle vient des soignants eux-mêmes. Bien sûr, il ne faut pas forcément le même ratio dans tous les services. Appliqué en Californie depuis 2004, le ratio d'un soignant pour six patients a amélioré les conditions de travail et les recrutements. (M. Akli Mellouli applaudit.)

M. Frédéric Valletoux, ministre délégué.  - Il faut faire confiance aux soignants et au dialogue social pour organiser les soins de la façon la plus adaptée. Cette approche par le ratio, par le tableur Excel, n'est pas celle des soignants, mais de certains syndicats, qui veulent souligner les manques de personnels à l'hôpital. Nous y travaillons déjà.

Mme Anne Souyris.  - Cette demande vient non seulement des syndicats, mais aussi du collectif interhospitalier. Beaucoup de soignants sont en burn-out, c'est une question d'humanité. Pour l'instant, ce ratio est insuffisant.

Mme Evelyne Corbière Naminzo .  - Entre restrictions budgétaires, fermetures de lits et manque de personnel, l'hôpital est à bout de souffle, notamment en raison de la T2A et de l'Ondam, qui est en deçà des besoins. Ainsi, 40 000 lits ont fermé en dix ans, et les CHU ont vu leur déficit tripler entre 2022 et 2023, à 1,2 milliard d'euros.

La situation est critique dans l'océan Indien : l'hôpital de Mayotte est sous-doté au regard de la population mahoraise et le CHU de La Réunion, mon département, devrait avoir des moyens conséquents en tant qu'établissement pivot.

Chaque année, on constate combien les équipes sont performantes, avec une offre de soins élargie. Pourtant, les effectifs de l'unité de formation et de recherche (UFR) et du CHU sont quatre à cinq fois inférieurs par rapport aux mêmes structures hexagonales. Il faut plus de postes pour former les futurs médecins de La Réunion -  la région n'a d'ailleurs pas attendu l'État pour permettre un cursus complet d'études de médecine.

Quand l'hôpital de La Réunion ne sera-t-il plus considéré comme un hôpital de seconde zone ? Quand ouvrirez-vous les droits à la santé des Français de l'océan Indien ?

M. Frédéric Valletoux, ministre délégué.  - Je ne méconnais pas les difficultés de l'hôpital, mais tout ne va pas mal : cessons l'hôpital-bashing. (Mme Émilienne Poumirol ironise.)

L'établissement que vous avez évoqué, à La Réunion, est en difficulté, avec 49 millions d'euros de déficit. La situation s'est détériorée en deux ou trois ans. (Mme Evelyne Corbière Naminzo le confirme.) Une mission de l'inspection générale des affaires sociales (Igas) a été diligentée pour en comprendre les causes.

Mayotte n'est pas sous-dotée : 127 millions seront consacrés à rénover l'hôpital, tandis qu'un second site sera créé. Elle reste la première maternité de France, mais nous voulons que les conditions standards s'y appliquent comme en d'autres points du territoire. Elle bénéficie d'un bon réseau de soins primaires, adossé à l'hôpital.

Mme Véronique Guillotin .  - Il y a un an, j'interrogeais votre prédécesseur sur le rapport de l'Académie de médecine, qui préconisait le rapprochement de petites maternités - moins de 1 000 naissances. On m'avait alors répondu que cela ne figurait pas à l'ordre du jour du Gouvernement. Deux mois plus tard, en mai 2023, François Braun lançait une mission pour étudier les solutions innovantes pour associer sécurité et proximité, mais elle n'a jamais vu le jour.

M. Jean-François Husson.  - Ce n'est pas bien, ça !

Mme Véronique Guillotin.  - En 2023, le taux de mortalité néonatale a augmenté : manque de professionnels, obésité des mères, précarité... Mais nous sommes passés d'une situation d'excellence à la 21e place au sein de l'OCDE.

Voilà pourquoi le RDSE a lancé une mission d'information sur la santé périnatale, dont je suis rapporteure. L'Académie de médecine parle d'urgence : ce sujet est-il bien identifié par votre ministère ? Quels sont les mesures et le calendrier envisagés ?

M. Frédéric Valletoux, ministre délégué.  - Je me réjouis de la mission du Sénat, qui éclairera un débat rendu complexe par la baisse de la natalité, complexité accentuée par les difficultés de recrutement.

Notre pays n'a pas à rougir de ses maternités, même si les ressources médicales sont insuffisantes. Les tarifs d'obstétrique ont été revalorisés, pour le public comme pour le privé. Qualité et sécurité figurent au coeur de la réflexion.

M. Jean-François Husson.  - Quelle est la réponse ?

M. Frédéric Valletoux, ministre délégué.  - La question de la pérennité de certaines maternités se pose, lorsqu'elles ne peuvent plus assurer la sécurité minimale aux femmes qui accouchent. Cependant, l'avis de l'Académie de médecine n'est pas nécessairement celui du Gouvernement.

M. Jean-François Husson.  - Que l'on ne connaît toujours pas !

Mme Nadège Havet .  - Nous manquons de médecins hospitaliers. Notre majorité a agi : depuis quatre ans, le numerus clausus a été remplacé par le numerus apertus, avec 13 000 places supplémentaires d'ici à 2025 -  même si cela ne produira d'effets que dans quelques années. Le Ségur a permis des investissements colossaux.

J'ai été interpellée à plusieurs reprises sur les Padhue : leur intégration ressemble à un parcours du combattant, alors qu'ils sont des milliers à travailler dans nos hôpitaux.

Or, comme le dit Mathias Wargon, chef du service des urgences de l'hôpital Delafontaine, « s'ils n'étaient pas là, ce serait le chaos. » Ils sont importants, en Seine - Saint-Denis comme en Finistère.

Leur statut a été réformé en 2019. Une procédure dérogatoire est prévue, avec un dépôt de dossier auprès des Agences régionales de santé (ARS), sans concours. Mais de nombreux dossiers ne sont pas instruits, d'où une pétition en ligne, qui se conclut ainsi : « J'adore la médecine, je ne me reconvertirai pas. J'aime la France, je ne la quitte pas. » Comment mieux accompagner ces professionnels ?

M. Frédéric Valletoux, ministre délégué.  - Durant des années, la France n'a pas bien traité les Padhue, limités dans leur pratique professionnelle malgré leurs services essentiels.

Le Gouvernement veut sortir de cette zone grise en octroyant à ces personnes un statut. Ainsi, nous avons clarifié le statut de ceux qui travaillent déjà dans les établissements. Nous avons simplifié les épreuves de validation des connaissances professionnelles. Avec la loi Immigration, nous avons créé le passeport talent.

D'ici à 2025, nous substituerons au concours un examen par une commission de pairs, à l'échelle des GHT, afin de les reconnaître plus rapidement.

Mme Annie Le Houerou .  - Le 25 mars 2020, le Président de la République annonçait un plan massif d'investissements, concrétisé par le Ségur de la santé, en réponse à la crise aiguë de l'hôpital public.

Pourtant, quatre ans plus tard, les professionnels de santé sont mécontents et l'hôpital public souffre de difficultés persistantes, avec des déficits qui bloquent les investissements, une crise des vocations, des fermetures de lits. Les urgences sont en survie. L'hôpital public ne répond plus aux exigences de la population malgré le dévouement des personnes qui y travaillent.

Le Président de la République affirmait, dans ses voeux aux soignants le 6 janvier 2023, qu'il fallait sortir de la T2A, mais il avait déjà fait cette promesse en 2017.

De nombreux tarifs sont en décalage avec les coûts, et leur augmentation couvre à peine l'inflation. L'hôpital public ne choisit pas ses patients : il prend soin de tous.

Les gouvernements successifs ont attribué ces problèmes à des questions d'organisation territoriale ou des services, ou encore de statut, ignorant les appels à un financement en fonction des besoins, et non des objectifs budgétaires.

Comment réformerez-vous le financement de l'hôpital public pour assurer sa pérennité ?

M. Frédéric Valletoux, ministre délégué.  - Je ne peux vous laisser dire que l'hôpital ne répond pas aux besoins de la population (Mmes Émilienne Poumirol et Annie Le Houerou protestent), alors que 21 millions de personnes sont prises en charge chaque année aux urgences. Certes, on peut parler de dysfonctionnements, de tensions, mais vous ne pouvez pas dire ça.

C'est le discours du tout va mal, or jamais aucun gouvernement n'avait autant augmenté les rémunérations. Les agents de l'hôpital ont reçu 8 milliards d'euros, soit 10 % de plus nets sur la feuille de paie.

Le Ségur de l'investissement représente 15,5 milliards d'euros : ce sont non pas des avances de prêts comme pour les plans Hôpital 2007 et Hôpital 2012, qui devaient être remboursées, mais bien des aides directes.

La T2A à l'hôpital ne représente que la moitié du financement de l'hôpital, et cette part diminue chaque année.

M. Alain Milon .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Ma question portait initialement sur les arbitrages budgétaires, mais je vous interrogerai sur le numerus apertus : le nombre de médecins formés a augmenté de 15 %.

Néanmoins, Agnès Firmin Le Bodo estimait qu'en raison des attentes des nouveaux professionnels, il faudrait désormais deux médecins pour remplacer un médecin qui part à la retraite. Aucune analyse prospective n'existe sur les besoins en médecins selon les spécialités. La hausse du nombre de professionnels paramédicaux ne suffit pas.

Que compte faire le Gouvernement pour former davantage de médecins ? Créerez-vous davantage de postes de praticiens hospitalo-universitaires ? La Fédération hospitalière de France (FHF) en demande plus de mille... (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Frédéric Valletoux, ministre délégué.  - Nous comptons 15 % d'étudiants supplémentaires en deuxième année de médecine par rapport à 2019 : autant de médecins en plus dans quelques années.

À l'Assemblée nationale, cet après-midi, on m'a dit qu'on formait autant de médecins que dans les années 1970. Certes, mais à l'époque, il y en avait suffisamment, voire trop... Aujourd'hui, il y a plus de jeunes dans les filières de formation.

Mme Annie Le Houerou.  - La population a augmenté !

Mme Émilienne Poumirol.  - Et elle vieillit...

M. Frédéric Valletoux, ministre délégué.  - Les prises en charge sont différentes. D'un système reposant sur le tout médecin, nous sommes passés au système de soins, où le médecin conservera bien sûr un rôle prééminent, de chef d'orchestre, mais où les paramédicaux auront plus de place, comme d'autres professions. Regardez le rôle des infirmiers en pratique avancée (IPA), par exemple. Le nombre de médecins formés ne résoudra pas tout à lui seul.

M. Alain Milon.  - La semaine dernière, Agnès Buzyn nous indiquait qu'il manquerait prochainement 10 à 12 millions de professionnels de santé sur l'ensemble du globe. Vieillissement de la population, attentes nouvelles des jeunes médecins, coût élevé des soins, autant de raisons qui poussent à réfléchir à un nouveau système de financement de la santé - sans toucher aux malades, bien sûr. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Joshua Hochart .  - De discussion en discussion, de rapport en rapport, la situation s'aggrave. Les temps d'attente s'accumulent. L'attractivité des métiers du soin recule. Le Ségur de la santé est une avancée, certes, mais la réponse financière ne saurait être la seule solution. Il faut revoir les organisations de travail et repenser les formations pour mieux préparer au terrain.

L'hôpital et tout le système de soins ont besoin d'être rebâtis.

Supprimons les agences régionales de santé (ARS), qui mènent une gestion bureaucratique de la santé. Libérons la santé d'une logique purement comptable et financière, des coupes budgétaires incessantes et des baisses tarifaires non compensées par les forfaits. Les indicateurs comptables doivent céder la place aux indicateurs de qualité et de performance des soins, qui seront source d'économies.

Anticiper et prévoir : voilà ce qui devrait vous guider, monsieur le ministre. Quand allez-vous revoir les ARS et la T2A ?

En préambule, vous avez évoqué l'hôpital dans les murs et l'hôpital hors les murs. Quand entendrez-vous les revendications des infirmiers ?

M. Frédéric Valletoux, ministre délégué.  - Votre question est un tout-en-un. Les problèmes de l'hôpital expliqueraient à eux seuls toutes les difficultés d'accès aux soins, dites-vous ? L'ensemble du système de santé est en crise. Les métiers du soin sont moins attractifs. Les anciens modes d'exercice intéressent moins les jeunes : voilà des questions intéressantes, qui ne portent pas uniquement sur l'hôpital. Je ne fais pas d'hôpital-bashing.

Supprimer les ARS, dites-vous ? Les tâches administratives ont augmenté, en effet, et pris trop de place tant à l'hôpital qu'en ville. Les assistants médicaux, financés par l'Assurance maladie, permettent aux médecins de se concentrer sur leur coeur de métier. On en compte 6 000 aujourd'hui, avec un objectif de 10 000 d'ici à la fin de l'année.

Il faut réguler l'offre de soins : le tout libéral ne saurait s'imposer. Certes, les ARS ont pris peut-être trop de poids, on peut y réfléchir, mais les agences apportent de l'ingénierie dans les territoires. (Murmures dubitatifs sur les travées du groupe Les Républicains.)

Les baisses de tarifs que vous évoquez, je ne les vois pas.

M. Joshua Hochart.  - Ce n'est pas qu'en regardant l'hôpital que l'on résoudra l'accès aux soins. Dans le département du Nord, on ferme des services d'urgence. Certains Smur ne peuvent plus intervenir. En parallèle, le conseil départemental supprime des interventions des infirmiers et sapeurs-pompiers.

M. Daniel Chasseing .  - Malgré une augmentation de l'Ondam de plus de 50 milliards d'euros depuis 2019, la situation de nombreux hôpitaux est déficitaire.

Les urgences connaissent une situation difficile. Toutefois, les SAS et la mobilisation des libéraux améliorent les choses. Mais le manque de lits d'aval pose problème : les patients restent ainsi des heures aux urgences, alors qu'ils auraient toute leur place dans les services de médecine polyvalente, puis de spécialité.

La situation de la psychiatrie et de la pédopsychiatrie nécessite des efforts particuliers. Dans certains départements, ces services ont disparu alors que certains enfants accueillis au titre de l'aide sociale à l'enfance (ASE) souffrent de graves troubles de comportement.

Malgré les difficultés financières, allez-vous obtenir de nouveaux crédits, monsieur le ministre, pour créer ces services de médecine polyvalente et des lits de pédopsychiatrie ?

Mme Frédérique Puissat.  - Très bien !

M. Frédéric Valletoux, ministre délégué.  - Quelques chiffres : l'Ondam a augmenté de 60 milliards d'euros depuis 2017, sans oublier les 800 millions d'euros de soutien exceptionnel en 2022, et 500 millions d'euros au titre de l'année 2023 accordés en janvier dernier. Tout cela n'exclut pas les efforts des hôpitaux.

Il faut davantage valoriser la pertinence des soins pour mieux financer les salaires. Ce sera l'un de mes chevaux de bataille, qui ne portera pas uniquement sur l'hôpital, mais aussi sur l'ensemble des opérateurs de soins, libéraux, publics, privés.

Je partage votre constat sur la santé mentale, longtemps un angle mort des politiques de santé. Depuis la crise sanitaire, nous assistons à une augmentation très forte des besoins. À la demande du Président de la République, j'organiserai un Conseil national de la refondation (CNR) sur la santé mentale, fin avril, en vue de faire aboutir des travaux menés depuis dix-huit mois.

M. Daniel Chasseing.  - Merci pour votre réponse.

Je rappelle la nécessité de disposer de lits d'aval afin que les patients dans les urgences soient accueillis. Je vous remercie pour la pédopsychiatrie, car des enfants de l'ASE sont touchés par de graves troubles comportementaux.

M. Frédéric Valletoux, ministre délégué.  - Nous avons revalorisé les tarifs des actes de médecine en 2024, en vue de désengorger les urgences.

Mme Élisabeth Doineau .  - Je me réjouis de ce débat à l'initiative du groupe Les Républicains, deux ans après la commission d'enquête. Nous devons répondre aux angoisses des Français. Nous avons la mission de ne pas dévaloriser les métiers de l'hôpital et de trouver des solutions.

Rapporteure générale du budget de la sécurité sociale, j'ai vu l'Ondam voté pour 2024 à 255 milliards d'euros, dont 105,6 milliards pour les établissements de santé. Leurs difficultés ont été rappelées.

Le déficit des hôpitaux a atteint le milliard d'euros en 2022-2023. Alors que 13 milliards d'euros de dettes ont été transférés à la Cades, le financement actuel reconstitue à une vitesse préoccupante une dette hospitalière abyssale. Que faire ?

M. Frédéric Valletoux, ministre délégué.  - L'avenir de notre système de santé passe par un meilleur financement de ce qui est utile. Le public et le privé, comme la médecine de ville et l'hôpital communiquent peu, ou avec beaucoup de déperditions, en tuyaux d'orgue. Des améliorations peuvent être apportées.

Selon une étude de l'OCDE de 2010, 20 à 30 % des dépenses seraient inutiles dans le système français... Nulle malversation, nul abus : ce sont simplement des actes inutiles, des redondances, des habitudes...

Les progrès de la médecine font que la valeur économique de certains actes est inférieure, et qu'ils sont mal codés. J'ai souhaité ouvrir ce débat de la valeur des actes pour évaluer leur juste valeur économique, et éviter les rentes ou les situations acquises. Les petits ruisseaux font les grandes rivières...

Mme Émilienne Poumirol .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Des événements dramatiques ont eu lieu en février 2024 au site de Purpan du CHU de Toulouse : deux patients ont été victimes d'agressions sexuelles, un jeune s'est suicidé après avoir attendu deux semaines une place pour être hospitalisé. Les urgences fonctionnent en mode dégradé.

Des lits ont été fermés dans mon département de Haute-Garonne, alors que nous accueillons 17 000 habitants de plus chaque année. À Toulouse, le secteur privé dispose de 75 % des lits d'hospitalisation en psychiatrie et refuse des patients, que le secteur public est contraint d'accepter. Le délai moyen d'accès au service ambulatoire est de un à quatre mois, sans parler de la pédopsychiatrie.

Quels moyens entendez-vous déployer sur le long terme pour sauvegarder la psychiatrie ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER)

M. Frédéric Valletoux, ministre délégué.  - La situation toulousaine est emblématique de nombreux établissements de santé. Le drame du CHU de Toulouse a eu lieu alors que le nombre de lits est suffisant en Haute-Garonne. Les difficultés sont dues à l'accès aux lits d'aval et aux problèmes de communication et de coopération entre le public et le privé. Dans un bassin de vie où 75 % des places sont dans le secteur privé, mais où l'urgence relève du service public, cette absence de coopération pose problème. Les établissements privés ne jouent pas le jeu de la carte de secteur. Ces drames sont insupportables. L'Igas publiera un rapport sur la situation de la psychiatrie à Toulouse.

Les autorisations accordées aux uns et aux autres supposent ensuite de prendre en charge les patients, quelle que soit leur pathologie. Ce sera l'un des sujets du CNR de fin avril.

Mme Émilienne Poumirol.  - Je sais que vous êtes venu à Toulouse. Mais la loi du 27 décembre 2023 indiquait que les établissements de santé sont collectivement responsables de la permanence des soins en établissement. Or aucune contrainte ne pèse sur le secteur privé. L'ARS peut désigner un établissement en cas de carence persistante, et c'est ici le cas.

M. Frédéric Valletoux, ministre délégué.  - Comme par hasard, dès le lendemain de ma venue, le privé débloquait des lits et prenait en charge des patients. La loi date de décembre 2023, laissez-nous le temps de l'appliquer. Nous serons extrêmement vigilants quant à la prise en charge par les établissements des patients en santé mentale.

L'octroi d'une autorisation doit être désormais assorti de contreparties, parmi lesquelles figure la permanence des soins.

Mme Émilienne Poumirol.  - Il est anormal qu'il ait fallu attendre un drame à Toulouse pour que les acteurs se parlent. (M. Jean Sol renchérit.)

Cela m'inquiète. Le partage public-privé doit se faire en permanence, sur tous les soins. C'est le même problème entre médecine libérale et médecine hospitalière.

M. Jean Sol .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Les services d'urgence, vitrine de nos hôpitaux, ont baissé le rideau la nuit à Perpignan. Quel symbole ! Les agents sont éprouvés, les citoyens angoissés à l'idée de se rendre aux urgences, et les élus impuissants. Des familles qui attendent des heures sans information, des personnes âgées qui restent sur des brancards pendant 48 à 72 heures, telle est la réalité des urgences. Les urgences sont incapables de prendre en charge l'augmentation des demandes. Résultat : un risque accru de perte de chance pour les patients.

Nous manquons de lits d'aval. Les agents, trop peu nombreux, soumis à des tâches administratives chronophages, font face à des agressions verbales ou des menaces.

L'été arrive, avec ses flux de saisonniers. Monsieur le ministre, qu'allez-vous faire pour remédier à cette situation ? (Mme Frédérique Puissat et M. Philippe Mouiller applaudissent.)

M. Frédéric Valletoux, ministre délégué.  - De nombreux Français voient l'hôpital à travers les urgences. Beaucoup a été fait, sans doute pas assez, malheureusement.

Il faut notamment des lits d'aval pour désengorger les urgences. La coordination au moment de la régulation est en jeu. Les SAS font baisser la pression sur les urgences départementales avec une régulation liée à la médecine de ville, et 65 sont déjà en place.

Un décret a créé les Smur paramédicaux, sans embarquer de médecins, pour les cas les moins graves. Les antennes d'urgence, fonctionnant sur une base de 12 heures - et non 24 heures - peuvent représenter une piste.

Les urgences de nuit ne sont pas nécessaires partout, notamment en nuit profonde. Cela permettra de répondre à la question lancinante des urgences.

La médecine de ville doit mieux prendre en charge les soins primaires et les premiers recours.

M. Jean Sol.  - Certes, monsieur le ministre, mais la situation dramatique de nos établissements ne mérite-t-elle pas mieux que de l'indifférence ou quelques annonces insuffisantes ? Je demande un véritable plan Orsec, un plan d'urgence pour panser les urgences.

Mme Audrey Bélim .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) En France, la couverture et l'organisation des systèmes de santé sont hétérogènes selon les régions.

En 2050, la Martinique deviendra le plus vieux département de France. Cette singularité démographique doit nous obliger à intégrer les nouveaux besoins en santé, comme la prise en charge des polypathologies ou le maintien de l'autonomie.

Il y a également des disparités épidémiologiques. En 2005, lors de l'épidémie de chikungunya, 35 % de la population réunionnaise avait été affectée.

Ces spécificités territoriales sont nombreuses et singulières. Or les règles de financement de nos établissements n'assurent pas l'égalité réelle.

L'isolement géographique doit être un levier pour le savoir-faire français. Le CHU de La Réunion, hôpital de référence de l'océan Indien, a besoin de financements pérennes pour faire face aux défis de son territoire et à un potentiel développement lucratif avec une clientèle sur le bassin océanique.

Si les acteurs ont accueilli avec satisfaction les annonces de revalorisation de février dernier, pouvez-vous nous dire quand les mesures s'appliqueront, et en une ou plusieurs fois ? Le Gouvernement travaille-t-il à une actualisation pour 2025 ?

Dans ce contexte où la population ultramarine représente 2,8 millions d'habitants, des actions adaptées sont nécessaires pour réduire les écarts. Le Gouvernement a-t-il une véritable vision de l'outre-mer ?

Nous exigeons certes la continuité des soins, mais aussi des soins de qualité et une politique adaptée. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)

M. Frédéric Valletoux, ministre délégué.  - L'outre-mer n'est pas délaissé en termes de financement public pour accompagner l'offre de soins. J'ai cité la rénovation de l'hôpital de Mayotte et la création d'un deuxième CHU, la reconstruction du CHU de la Guadeloupe -  un des plus gros investissements hospitaliers actuellement  - la création d'un CHU en Guyane.

Nous avons accordé une aide de trésorerie au CHU de La Réunion, en raison de sa situation financière tendue -  qu'examine actuellement une mission de l'Igas. Il est important de disposer d'un constat clair, précis et transparent. Jamais l'État n'a abandonné un hôpital en métropole ou en outre-mer. Un hôpital n'est pas une entreprise, mais il doit respecter des critères de gestion. Il va falloir remettre la rivière dans son lit.

M. Khalifé Khalifé .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Nous avons quelque chose en commun : vous étiez président de la FHF tandis que j'étais praticien hospitalier durant quarante ans, et président de commission médicale pendant vingt ans. Je salue le travail des praticiens hospitaliers.

Je parlerai de la formation paramédicale et médicale. La formation des paramédicaux, grâce aux efforts des conseils régionaux, est territorialisée, ce qui est loin d'être le cas des formations médicales. En raison de leur indépendance, les facultés de médecine dépendent peu du ministère de la santé. Certes, l'augmentation des praticiens formés est de 15 % globalement, mais quand on part de zéro, cela fait toujours zéro !

Les épreuves classantes nationales sont à l'origine des disparités territoriales de la répartition des médecins. Qu'en pensez-vous ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Frédéric Valletoux, ministre délégué.  - Je connais votre investissement dans la cause hospitalière et votre expertise fine du sujet.

Vous avez raison de pointer le hiatus entre l'intention de former davantage d'étudiants et l'autonomie des universités. Certaines universités ont du mal à ouvrir les vannes pour former plus d'étudiants. Je me réjouis de constater que le nombre d'étudiants a augmenté de 15 à 20 % depuis 2019. Dans une dizaine d'années, ils pourront soigner les Français. Néanmoins, il faut travailler avec les doyens pour accélérer la formation.

Comment garder en France des étudiants français qui veulent faire médecine, mais qui, par la rigueur des épreuves, ont été exclus des filières françaises ? Pourtant, ils reviendront d'ici quelques années après avoir été formés en Belgique ou en Roumanie, par exemple. C'est aussi vrai pour les paramédicaux. Il faut suffisamment de professeurs, de même que de terrains de stages. Il faut peut-être ouvrir les terrains de stage à d'autres établissements que les hôpitaux.

Mme Marie-Claire Carrère-Gée .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Pour garantir le service public hospitalier, l'État ne peut pas tout faire tout seul. Les établissements privés à but non lucratif y participent, notamment à Paris avec l'hôpital Saint-Joseph, l'Institut mutualiste Montsouris, ou le groupe hospitalier Diaconesses-Croix-Saint-Simon. À Bordeaux, Marseille ou Lille, comment les urgences seraient-elles assurées sans eux ?

Plus de 80 % des établissements sont en déficit, 90 % en région parisienne. Plusieurs d'entre eux, dont certains fleurons, risquent d'aller au tapis. Ils souffrent, car l'État a organisé une concurrence déloyale avec le service public hospitalier. À admissions et activités égales, ils sont systématiquement pénalisés. J'en veux pour preuve les coefficients de pondération et de minoration qui leur sont appliqués. Ils réalisent 10 % de l'activité, mais n'ont bénéficié que de 2 % des crédits pour les établissements en difficulté. J'en appelle à des mesures d'urgence et à une réforme globale pour garantir l'égalité de traitement entre établissements hospitaliers. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Frédéric Valletoux, ministre délégué.  - Vous avez raison de souligner le rôle éminent des établissements privés à but non lucratif, comme l'Institut Gustave-Roussy, par exemple. Ce sont parfois des établissements d'excellence et de référence au niveau mondial. Il faut les soutenir.

Je serai moins sévère que vous sur les différences de traitements. Les établissements privés à but non lucratif bénéficieront des mêmes augmentations de tarifs que les établissements publics. Le coefficient de majoration, lié au covid, disparaîtra d'ici à l'année prochaine. C'était un engagement du Président de la République, il sera tenu. Cette anomalie de la période covid -  où l'on a plus aidé les établissements en première ligne, qui étaient surtout publics  - doit disparaître. Il n'y a pas de différence de traitement, mais la volonté d'accompagner tous ceux qui prennent leur part dans la prise en charge des Français.

Mme Marie-Claire Carrère-Gée.  - Le coefficient de minoration a été réduit de moitié, mais son maintien est injustifiable. C'est de la poudre aux yeux, car, pendant ce temps, le coefficient de pondération a été augmenté de 0,7. On reprend d'une main aux établissements privés ce qu'on leur a donné de l'autre.

Soutenons ces établissements, et cessons de les accabler. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Frédéric Valletoux, ministre délégué.  - Dans un communiqué, la Fédération des établissements hospitaliers et d'aide à la personne privés non lucratifs (Fehap) s'est dite satisfaite des arbitrages rendus. Les différences de traitement qui existaient durant la pandémie vont disparaître de façon à ce que le droit commun s'applique, c'est-à-dire la pleine reconnaissance du rôle et de la place éminente de ces établissements.

Mme Marie-Claire Carrère-Gée.  - La Fehap s'est certes réjouie de l'augmentation des tarifs de 4,3 %, mais les coefficients de minoration et de pondération sont toujours en vigueur. Donc non, les règles ne sont pas les mêmes pour tous !

Sans votre soutien, certains établissements ne s'en sortiront pas. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Mme Alexandra Borchio Fontimp .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Un État qui ne peut plus prendre soin de ses malades, c'est une nation qui faillit à sa mission. L'hôpital français est en crise : fermetures de lits, postes vacants, démissions, déficits... Le Ségur de la santé n'a pas fait disparaître ces difficultés. Une crise qui s'éternise, des soignants qui s'épuisent.

Je défends la position de la FHF : l'investissement est crucial. Dans mon département, plusieurs projets, comme la reconstruction du bâtiment médico-technique de l'hôpital d'Antibes, sont à l'arrêt. Les urgences du centre hospitalier de Menton, qui datent de 1979, doivent être rénovées. Or ce projet n'a pas bénéficié du Ségur, faute de crédits.

Accueillir nos concitoyens aux urgences et les soigner est une question de dignité. Les efforts déjà consentis sont insuffisants : il faut un Ségur 2 pour remettre à niveau nos hôpitaux. C'est une urgence. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Frédéric Valletoux, ministre délégué.  - Vous êtes la deuxième à évoquer la FHF : j'ai été très fier de présider cette vénérable institution, après Gérard Larcher et Jean Leonetti, qui m'ont beaucoup appris.

Avant un Ségur 2, allons au bout de ce Ségur de l'investissement, doté de 15,5 milliards d'euros : 23 projets sont en cours d'instruction, 36 ont été validés. Il reste des fonds encore non affectés.

Je souhaite accélérer le déploiement des projets prévus. L'instruction administrative ne doit plus être pénalisante : il faut trancher vite et avancer.

Je regarderai les dossiers d'Antibes et de Menton dès demain.

M. Clément Pernot .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) L'hôpital se moque de la charité. Il n'est plus le lieu de compassion, de bienveillance et de soins qu'ont connu nos anciens. Ça, c'était la France d'avant, quand la population rurale pouvait compter sur un service public de proximité. Maternité, chirurgie, urgences oeuvraient avec humanité, car nos anciens savaient que la présence des proches était médicamenteuse.

Votre France d'après accentue partout l'agonie de nos hôpitaux ruraux. Nous sommes les tristes témoins de la dégénérescence de la compétence régalienne de votre ministère.

L'hôpital de ma ville, Champagnole, voit ses services fermer les uns après les autres : les urgences sont remplacées par une unité mobile, sans médecin urgentiste. La main sur le coeur, vos hommes de main, les ARS, considèrent que cela est bien suffisant pour le bon peuple rural. De qui se moque-t-on ? La perte de chance est une réalité.

Mais gare à vous, monsieur le ministre : le peuple des mal-soignés gronde. Vos directeurs d'hôpitaux ne pourront pas tout vous dissimuler.

Comment justifier que l'accès aux soins d'urgence dépende du code postal ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Frédéric Valletoux, ministre délégué.  - J'ai été maire pendant 17 ans dans le sud de la Seine-et-Marne, 97 ou 98e département en termes de densité médicale.

Je ne méconnais pas la situation des territoires et je ne m'informe pas uniquement par le biais de directeurs d'hôpitaux ou de fonctionnaires.

En quarante ans, la mortalité infantile a beaucoup reculé. (MmeÉmilienne Poumirol et Annie Le Houerou réagissent.) Les conditions de sécurité se sont grandement améliorées. Aujourd'hui, il faut concilier progrès médical, normes et enjeux de proximité.

Nous devons réinvestir nos hôpitaux de proximité, mais pas pour en faire des CHU. Je préfère me faire opérer à 300 km par un chirurgien qui pratique le même acte toute la journée. (Mme Annie Le Houerou proteste.)

Contrairement à vous, je ne pense pas que l'humanité a quitté l'hôpital : nombre de patients louent le dévouement du personnel hospitalier. Je suis donc moins sévère que vous. Les hôpitaux de proximité ont besoin d'un vrai statut et d'un vrai financement.

M. Clément Pernot.  - J'écoute votre réponse avec plaisir, mais il faudra des actes après vos propos. Nous avons connu six ministres en six ans. Le XVIIe siècle a inventé le malade imaginaire, j'espère que vous ne serez pas le ministre imaginaire. (M. Frédéric Valletoux rit ; applaudissements sur quelques travées du groupe Les Républicains.)

Mme Corinne Imbert, pour le groupe Les Républicains .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) La situation n'est guère réjouissante. Depuis quelques années, l'hôpital tient, mais il s'approche du bord du gouffre. Lassitude, épuisement, fatigue collective, malaise, souffrance : voilà les mots des acteurs de la communauté hospitalière.

Il y a quelques jours, France Bleu La Rochelle titrait : « Hôpital de Saintes : un jour, on aura un drame s'il n'y a pas plus d'humanité dans la prise en charge ». Le titre est sévère, car il y a encore de l'humanité, mais on constate une perte de sens chez les professionnels de santé.

Oui, monsieur le ministre, nous sommes lucides, sans misérabilisme. Il ne faut plus qu'un nourrisson en détresse respiratoire soit refusé en service de pédiatrie, ni qu'un jeune homme de 25 ans décède d'une erreur de diagnostic, ni qu'une femme de 85 ans trouve la mort dans un container. Comment accepter tout cela ?

On ne peut pas demander aux soignants de faire plus avec moins ni aux hôpitaux de donner beaucoup quand ils n'ont pas assez. Que dire des coups de rabot en PLFSS et de l'Ondam dont on ne peut discuter les dépenses en détail ?

Tout n'est pas qu'une question de financement. Il faut des réponses fortes sur le fonctionnement des établissements de santé, et une réflexion sur la place de l'hôpital dans le système de soins.

Le Sénat a déjà formulé de nombreuses recommandations, notamment le rapport de Catherine Deroche et Bernard Jomier, intitulé « Hôpital : sortir des urgences » : décloisonner l'hôpital et la médecine de ville, fédérer les acteurs locaux de santé, etc.

Nous mesurons tous les tensions croissantes sur les ressources humaines de l'hôpital. Il faut faire confiance aux équipes soignantes, redonner de l'attractivité aux métiers du soin et former les nouvelles générations.

Une société qui prend soin des plus faibles est une société qui s'honore. Je salue tous ceux qui tiennent bon et qui prennent en charge, chaque jour, des patients avec abnégation et conscience professionnelle.

Plutôt qu'une réforme de la gouvernance annoncée en 2023 par le Président de la République, plutôt qu'un rapport, que nous attendons toujours, mieux vaut faire confiance aux chefs de service et aux équipes soignantes, pas seulement lors d'une crise sanitaire, mais chaque jour, pour chaque patient. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Prochaine séance demain, mercredi 3 avril 2024, à 15 heures.

La séance est levée à 23 h 15.

Pour le Directeur des Comptes rendus du Sénat,

Rosalie Delpech

Chef de publication

Ordre du jour du mercredi 3 avril 2024

Séance publique

À 15 heures, à 16 h 30 et le soir

Présidence :

M. Gérard Larcher, président, M. Pierre Ouzoulias, vice-président, M. Mathieu Darnaud, vice-président.

Secrétaires : Mme Catherine Di Folco, Mme Patricia Schillinger.

1. Questions d'actualité

2. Conclusions de la commission mixte paritaire sur la proposition de loi visant à adapter le droit de la responsabilité civile aux enjeux actuels (texte de la commission, n°467, 2023-2024)

3. Une convention internationale examinée selon la procédure d'examen simplifié :

=> Projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, autorisant la ratification du traité d'entraide judiciaire en matière pénale entre la République française et la République du Kazakhstan (texte de la commission, n°451, 2023-2024)

4. Projet de loi autorisant l'approbation de la convention d'extradition entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume du Cambodge (texte de la commission, n°393, 2023-2024)

5. Troisième lecture de la proposition de loi, adoptée avec modifications par l'Assemblée nationale en troisième lecture, visant à protéger le groupe Électricité de France d'un démembrement (texte de la commission, n°473, 2023-2024)