Défense

M. Dominique de Legge, rapporteur spécial de la commission des finances .  - Je laisserai aux rapporteurs pour avis le soin de présenter la position du Sénat sur les crédits des quatre programmes composant la mission « Défense ».

Pour ma part, je tiens à souligner l'effort de redressement mené : la progression des crédits de 3,3 milliards d'euros est conforme à la loi de programmation militaire (LPM) ; elle porte le total des autorisations d'engagement (AE) à 93 milliards d'euros celui des crédits de paiement (CP) à 60 milliards d'euros.

Cette sanctuarisation doit avoir pour contrepartie une gestion irréprochable et une information sans faille du Parlement. Or, monsieur le ministre, nous n'y sommes pas exactement.

Les reports de charges atteindraient près de 7 milliards d'euros en 2024, soit 3 milliards d'euros de plus en deux ans. C'est près de 20 % des crédits hors personnel. Une part croissante des paiements de livraisons déjà effectuées est ainsi reportée. Bref, le ministère achète plus qu'il ne peut payer, et cette dette s'ajoute à la dette officielle.

Certes, il peut être logique d'engager en début de programmation des dépenses qui seront ensuite lissées dans le temps. Mais, à la faveur de la mission d'information sur la dégradation des finances publiques menée par MM. Raynal et Husson, nous avons appris que Bercy, dans une note du 7 décembre 2023, avait recommandé de reporter les crédits de défense à 2024 pour diminuer optiquement le déficit annuel...

Monsieur le ministre, je sais que vous n'êtes pas à l'origine de cette décision. Reste que cette forte hausse des reports de charges n'est rien d'autre que de la cavalerie budgétaire.

Quand nous interrogeons le ministère à ce sujet, on nous répond en mentionnant un objectif de report de charges de 20 % des ressources en CP hors masse salariale, soit le niveau actuel, très élevé. Voilà qui illustre le péché originel de la LPM, sur lequel nous vous avions alerté : à l'origine, les reports de charges ont été comptabilisés comme des recettes, alors qu'il s'agit d'une dette qui doit être honorée. Une économie de guerre véritable n'est pas compatible avec de telles pratiques. La base industrielle et technologique de défense (BITD) n'a pas à assurer la trésorerie du ministère !

S'agissant ensuite de notre information, je regrette que la représentation nationale ne dispose pas des informations nécessaires à son éclairage. C'est hier seulement que nous avons obtenu un chiffrage des surcoûts occasionnés par les opérations en Nouvelle-Calédonie, sur le front oriental de l'Otan et pour les jeux Olympiques et Paralympiques (JOP).

Selon nos calculs de cette nuit, les reports de charges dépasseront 7 milliards d'euros et il y a une impasse de 500 à 600 millions d'euros. 

Enfin, je déplore que nous ne disposions plus depuis trois ans des cibles et des résultats des indicateurs de capacité et de disponibilité. Nous avons peine à penser que nos challengers et agresseurs potentiels attendent ces documents pour être renseignés sur l'état de nos forces !

M. Sébastien Lecornu, ministre des armées.  - C'est vraiment un mauvais argument...

M. Dominique de Legge.  - Si nous sommes un des rares pays à publier ces informations, c'est parce que notre Constitution comporte un article 35 qui donne au chef de l'État la possibilité d'engager nos forces sans passer par le Parlement. L'information du Parlement en est la contrepartie indispensable.

Nous restons attachés à la lettre et à l'esprit de la LPM. En accordant les crédits sollicités, nous respectons les engagements pris et attendons du Gouvernement qu'il fasse montre de plus de rigueur dans la gestion et de plus de considération à l'égard de la représentation nationale.

Sous ces réserves, nous vous invitons à adopter les crédits de la mission.

Mme Gisèle Jourda, en remplacement de M. Pascal Allizard, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées .  - Le programme 144, portant les crédits consacrés au renseignement et à la prospective, est doté de 2 milliards d'euros, en progression de près de 6 %.

Ce budget va au-delà de la programmation en matière d'innovation de défense, avec 1,3 milliard d'euros. Hors dissuasion, les crédits d'études amont seront supérieurs de 68 millions d'euros à l'annuité prévue en LPM. Cet effort va dans le bon sens.

Pour autant, la situation n'est pas idyllique, et les industriels mettent en avant plusieurs points de vigilance. Les conséquences de l'annulation de 33 millions d'euros de crédits consacrés à l'innovation ne sont pas encore connues, mais certaines opérations prévues cette année devront nécessairement être reportées.

En matière d'accès aux financements bancaires, des avancées ont été réalisées grâce aux alertes du Parlement et au volontarisme de la direction générale de l'armement (DGA), mais les entreprises de la BITD rencontrent toujours des difficultés. Une vingtaine de cas ont été recensés l'an dernier, mais c'est la partie émergée de l'iceberg. Nombre d'entreprises ne peuvent obtenir un financement d'export ou une garantie d'emprunt au motif que leur activité concerne la défense. C'est inacceptable dans un contexte où l'on parle d'économie de guerre ! Toute menace en provenance de certaines institutions européennes n'est d'ailleurs pas écartée : je pense aux lignes directrices publiées par l'Autorité européenne des marchés financiers, qui étend la notion d'armes controversées au nucléaire.

La commission est favorable à l'adoption des crédits du programme 144.

Mme Gisèle Jourda, rapporteure pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées .  - Les crédits de fonctionnement, d'investissement et d'intervention de la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) et de la direction du renseignement et de la sécurité de la défense (DRSD) devraient progresser conformément à l'objectif de la LPM. Les effectifs progresseraient de 7 652 à 7 814 ETPT, pour 735 millions d'euros supplémentaires de crédits de personnel. Mais je ne me féliciterai qu'une fois le budget voté sans réduction des crédits...

Au total, 5 milliards d'euros sont prévus dans la LPM pour le renseignement. C'était l'un des motifs de l'adoption de ce texte par le Sénat, avec le soutien de mon groupe.

La conflictualité s'accroît, sur les théâtres extérieurs mais aussi sur notre sol. Une véritable néo-guerre froide est engagée : cyber, désinformation. Ces phénomènes sont parfaitement étudiés par nos collègues Dominique de Legge et Rachid Temal dans leur rapport de commission d'enquête sur les influences étrangères.

La DGSE lancera cette année les travaux de sa future installation au fort de Vincennes. La DRSD, quant à elle, franchira une étape importante de sa transformation : j'ai visité son nouveau bâtiment construit au coeur du fort de Vanves, qui renforcera utilement le travail de contre-ingérence.

Je salue les personnels qui oeuvrent dans l'ombre à la sécurité extérieure, en particulier ceux qui ont contribué à la libération de nos prisonniers au Burkina Faso.

Je vous propose d'adopter les crédits du programme 144. (Applaudissements sur de nombreuses travées)

M. Olivier Cigolotti, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées .  - (Applaudissements sur de nombreuses travées) J'insisterai sur deux sujets de préoccupation.

D'abord, les conséquences des opérations extérieures (Opex) et de l'aide à l'Ukraine sur les crédits disponibles ne sont pas négligeables. Ne pas les connaître à l'avance est facteur de fragilisation. Le reste à charge pour la mission risque d'être important et d'imposer des renoncements. Monsieur le ministre, pourriez-vous apporter des précisions ?

Ensuite, les crédits du maintien en condition opérationnelle (MCO) stagneront cette année après une forte hausse en 2024, comme prévu. Il faudra des arbitrages au cas par cas entre maintien de la disponibilité technique et augmentation du stock de pièces. La productivité du MCO doit augmenter. Il faut notamment passer à des marchés de soutien hybride. Une nouvelle organisation est nécessaire pour que les nouvelles hausses de crédits prévues ces prochaines années alimentent un système globalement plus performant.

Des difficultés demeurent sur la disponibilité technique des matériaux, pour la marine terrestre ou les NH90 Caïmans de la marine. Ils doivent servir encore vingt ans, on ne peut se satisfaire de la situation actuelle. Par ailleurs, la progression de la disponibilité des avions de chasse sera entravée, du fait notamment de plusieurs cessions.

La haute intensité n'en est encore qu'à ses prémisses. Restons donc vigilants.

Nous vous invitons à adopter les crédits de la mission. (Applaudissements sur de nombreuses travées)

Mme Michelle Gréaume, rapporteure pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées .  - Je rends hommage aux militaires ayant contribué à la réussite des JOP l'été dernier : aux yeux des Français et de tous les étrangers venus assister aux épreuves, ils ont montré leur professionnalisme sans faille et leur engagement au service de la nation. (M. Sébastien Lecornu renchérit.)

Ce beau dialogue civilo-militaire n'est-il pas l'occasion de faire évoluer la mission « Sentinelle » ? Elle pourrait être diversifiée : je pense notamment aux conséquences du changement climatique. Il faut aussi un déploiement socle plus léger et des processus d'alerte plus efficaces. Ce serait aussi gage de fidélisation de nos militaires.

Depuis quelques années, la participation de la France aux exercices de l'Otan ne fait que croître. Objectif : préparer nos armées aux affrontements de haute intensité menés en coalition. Mais un équilibre doit être conservé entre les différents entraînements. Les grands exercices entraînent moins les militaires du rang que ceux des états-majors. L'entraînement interarmées ne doit pas devenir le parent pauvre de la préparation opérationnelle.

Je salue la poursuite de la hausse des crédits de soutien, qui doit suivre l'évolution des capacités de nos armées. Le projet d'hôpital national d'instruction des armées à Marseille est remarquable.

M. Sébastien Lecornu, ministre des armées.  - Bravo !

M. Jean-Pierre Grand, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées .  - Un mot d'encouragement, d'abord, pour l'action du Gouvernement sur les chantiers lourds pour nos armées que sont le logement et l'hébergement. Les dépenses progressent de 5 % en AE et 35 % en CP, soit 670 et 827 millions d'euros respectivement.

Les débats se sont longtemps focalisés sur la « dette grise », qui pourrait atteindre 4,5 milliards d'euros cette année. Le service d'infrastructures de la défense (SID) nuance toutefois la pertinence de cette notion, peu explicite sur l'utilité des locaux. Il propose de réfléchir en termes de maintenance et de raisonner en flux. Selon ses calculs, une enveloppe annuelle de 450 millions d'euros de gros entretien permettrait de maintenir le patrimoine utile en état bon ou moyen.

Un plan inédit lancé en 2019 visait à améliorer les conditions d'accueil en enceinte militaire. Les objectifs ont été tenus, avec plus de 1 milliard d'euros engagés et 3 500 places livrées. Cette année, 4 100 places seront livrées, pour une enveloppe de 1,1 milliard d'euros prévue dans la LPM.

En matière de logement familial, le contrat de concession signé en 2023 donne globalement satisfaction, mais il faudra surveiller les modalités d'attribution des logements et le taux de réalisation des demandes, particulièrement pour les militaires en mutation.

Des mesures du plan de fidélisation 360 s'ajoutent à cela.

D'une manière générale, il faut se féliciter que des progrès, même lents, soient réalisés. La question fondamentale est de savoir si la restauration des bâtiments du quotidien peut se poursuivre à ce rythme sans affecter le moral de nos militaires.

La commission a émis un avis favorable à l'adoption des crédits du programme 212.

Mme Marie-Arlette Carlotti, rapporteure pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées .  - (Applaudissements sur de nombreuses travées) Les crédits du programme 212 s'élèvent à 25 milliards d'euros, dont 23 milliards d'euros de dépenses de personnel. Quelque 630 emplois créés, ce n'est pas mal ; mais, comme en 2024, on s'écarte de la LPM.

La difficulté des armées à respecter le schéma d'emplois est toutefois partiellement vaincue, grâce notamment aux efforts de fidélisation. La nouvelle grille indiciaire des sous-officiers supérieurs est enfin entrée en vigueur. Nous espérons que le calendrier sera tenu pour celle des officiers.

Autre mesure très attendue : l'intégration d'une partie des primes dans le calcul des pensions. Nous n'en savons pas plus sur la conception ni le calendrier de cette mesure. Elle serait prévue dans le PLF 2026 pour de premiers versements en 2028. Ce n'est pas exactement ce qui avait été avancé. Certes, le cadre budgétaire est devenu extrêmement contraint, mais il ne faudrait pas laisser croire aux militaires que l'on compose avec les engagements pris.

L'aide à la mobilité familiale, le référencement des médecins traitants, l'accès au logement, entre autres mesures, sont importants.

Le programme 212 porte aussi des crédits pour des chantiers numériques de grande ampleur : je pense à la réalisation de systèmes d'information pour la gestion des ressources humaines et des réservistes. Ces systèmes seront sans doute source d'économies, mais il faut être très attentif à ce type de procédures : les grands chantiers informatiques du ministère ont posé problème par le passé...

La commission a émis un avis favorable à l'adoption des crédits du programme 212. Mon groupe s'abstiendra car des efforts restent à faire pour respecter la LPM et tenir les engagements. (Applaudissements sur de nombreuses travées)

Mme Hélène Conway-Mouret, rapporteure pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées .  - Ce budget, le deuxième de la période de programmation, constitue un moment de clarification. L'an dernier, nous avions regretté l'emploi de l'expression « économie de guerre », qui ne correspondait pas à la réalité. Où en est-on ? Les processus de fabrication ont été adaptés pour accroître la capacité de production et les industriels ont pris sur eux pour investir dans de nouvelles machines-outils. La relocalisation de notre industrie de défense doit se poursuivre et il faut continuer à aider le tissu de sous-traitants.

Soyons toutefois réalistes sur notre capacité à supporter un affrontement de haute intensité. L'état-major a pris pour référence un engagement de deux mois pour définir ses besoins en matériels, munitions et logistique, mais ce délai est trop bref pour permettre aux industriels de passer en économie de guerre. Il faut porter cette durée de référence à six mois.

Une priorité est le renouvellement des composantes aéroportées et océaniques de la dissuasion nucléaire. Le calendrier sera-t-il bien respecté ?

Nous sommes inquiets, monsieur le ministre, d'une remise en cause de la LPM par le bas, par la multiplication d'entorses à la LPM.

Vous dites que les missions de réassurance à l'est de l'Europe pourraient ne plus être considérées comme des Opex, mais prises en charge par la mission « Défense ». Quelles en seraient les conséquences ?

Nous avons besoin de clarté dans les objectifs et de constance dans les moyens, en particulier sur le système de combat aérien du futur (Scaf). Des désaccords demeurent sur les spécifications du futur avion. L'absence de consensus rend un débat au Parlement incontournable cette année pour évaluer l'intérêt de la France à poursuivre ce programme.

Compte tenu des nombreuses impasses, le groupe SER s'abstiendra sur les crédits de la mission. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST)

M. Hugues Saury, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.   - Je partage les inquiétudes de Mme Conway-Mouret sur l'avenir du programme Scaf. Le système principal de combat terrestre (MGCS), l'autre grand programme avec l'Allemagne, n'est pas dans un meilleur état depuis l'accord signé entre Rheinmetall et Leonardo pour développer le KF-51 Panther.

M. Sébastien Lecornu, ministre.  - Ce n'est pas le même programme...

M. Hugues Saury, rapporteur pour avis.  - La partie française se voit refuser la commercialisation d'un char qui comporterait une tourelle française et un châssis allemand, pour ne pas faire d'ombre à l'industrie allemande. Ce n'est pas notre conception de la coopération franco-allemande. Nous croyons à des coopérations équilibrées, respectueuses et innovantes : nous n'en prenons pas le chemin.

Nos moyens ne sont pas suffisants pour l'adaptation des matériels aux nouvelles menaces. Les frégates FDI, par exemple, n'ont pas été armées pour des combats de haute intensité, et nos navires comme nos blindés n'ont pas été conçus pour lutter contre les drones.

Concernant les feux en profondeur et le successeur du lance-roquettes unitaire (LRU), nous avons pris trop de retard pour pouvoir retirer les matériels actuels en 2027. Nous avons entendu l'engagement du Gouvernement de commander le successeur du LRU à la fin de l'année. Il y a urgence.

Quant au standard F5 du Rafale, il devra être capable de délivrer le missile nucléaire ASN4G, plus lourd que le missile actuel. Or rien n'est prévu pour financer l'évolution du moteur, qui permettrait d'assurer la manoeuvrabilité de l'avion et la sécurité des pilotes. Les efforts nécessaires doivent être faits.

L'année 2025 constituera un rendez-vous important pour le nouveau porte-avions nucléaire, mais le Gouvernement a reconnu qu'il manquait 1 milliard d'euros sur 2025-27 pour lancer sa réalisation.

Les annulations de crédits ne sont pas compatibles avec les investissements à réaliser. Les reports de charges ne sont pas non plus un bon signe.

Compte tenu du maintien de la marche de 3,3 milliards d'euros prévue par la LPM pour 2025, la commission a émis un avis favorable à l'adoption des crédits du programme 146. (Applaudissements sur diverses travées)

Mme Michelle Gréaume .  - Après avoir augmenté de 46 % depuis 2017, les crédits progressent de nouveau de 3,3 milliards d'euros. C'est une croissance exponentielle par rapport à nombre d'autres secteurs, qui subissent une contraction forte : climat, réindustrialisation, logement, santé, éducation. La dépense militaire représente 21 millions d'euros par jour - le prix d'un collège !

Comment ne pas comparer l'augmentation de 7,5 % de ce budget avec la diminution de 35 % de l'aide publique au développement ? Cette asymétrie de trajectoire nous préoccupe grandement. Elle participe de la dérive militariste planétaire qui contribue au chaos mondial et à la préférence pour la loi du plus fort au détriment de la recherche de solutions pacifiques.

Le projet de porte-avions de nouvelle génération, qui coûtera 10 milliards d'euros au total, sera lancé en 2025. Depuis vingt ans, le Charles-de-Gaulle est intervenu en Afghanistan, en Irak et en Libye, sans jamais régler les conflits, sans que la bravoure et le professionnalisme de nos marins soient en cause. Nous en récoltons aujourd'hui encore les fruits amers en Afrique.

Nous déplorons votre stratégie d'alignement toujours plus étroit à l'Alliance atlantique, alors qu'elle n'a aucune cohérence : la Turquie d'Erdogan, nostalgique de l'empire ottoman, veut étendre sa toile en Syrie, quitte à financer l'État islamique (EI).

Les États-Unis de Donald Trump sont aussi expansionnistes et Elon Musk est à la tête d'une internationale de l'extrême droite. Sommes-nous résignés à osciller entre opposition passive et soumission aux valeurs de cette nouvelle Amérique ?

La promesse de l'Otan est simple : la sécurité collective. Mais que se passe-t-il quand l'agresseur potentiel est l'un de ses membres ? Les déclarations de Trump redéfinissent l'Otan. Dans un tel contexte de menace sur la souveraineté du territoire européen, il faut renforcer les forces conventionnelles plutôt que des outils de projection coûteux et à la solde des États-Unis.

L'adoption d'une nouvelle LPM nous semblait justifiée. De fait, nous devons reconsidérer le modèle d'armée à construire. Déplorant la priorité donnée aux capacités de projection au profit d'une Amérique qui paraît de plus en plus menaçante, au détriment de la stricte défense de nos territoires et alliés proches, nous nous abstiendrons.

M. Guillaume Gontard .  - (Applaudissements sur les travées du GEST ; M. Rachid Temal applaudit également.) Après une dissolution et une censure, vous résistez, monsieur le ministre, aux soubresauts de la vie politique et présentez un budget intact, alors que le rabot n'épargne aucune mission. Vous tenez bon comme un phare dans la tempête contre la mainmise des comptables.

M. Antoine Lefèvre.  - Quel talent !

M. Rachid Temal.  - C'est un métier...

M. Guillaume Gontard.  - Mais un État qui réduit toutes ses ambitions à l'exception de sa défense et de sa sécurité envoie un message anxiogène. (M. Christian Cambon proteste.)

De plus, la méthode du Gouvernement est démocratiquement scandaleuse : enjamber la censure et reprendre le budget là où il s'était arrêté !

Nous n'ignorons rien du contexte géopolitique déliquescent. Alors qu'une épée de Damoclès pèse sur l'Ukraine, l'incertitude est totale sur l'Otan, le droit international est piétiné partout, à commencer par le Proche-Orient, et la loi du plus fort l'emporte.

Il ne paraît pas raisonnable de faire l'économie de l'effort de réarmement engagé depuis une décennie, mais nos réserves demeurent. Si nous nous sommes abstenus sur la LPM, c'est par opposition à une trajectoire budgétaire exponentielle visant à préserver une armée complète avec renouvellement de la dissuasion et des ambitions cyber, spatiales ou sous-marines. Pour y parvenir, vous hypothéquez encore et toujours notre avenir en réduisant les budgets de l'éducation nationale, de l'écologie et des collectivités, qui assurent nos investissements.

Plus que jamais, il est indispensable de bâtir l'Europe de la défense. Avec un Président de la République français démonétisé et un chancelier allemand sur la sellette, la tâche est ardue à court terme. Mais nous saluons l'action du nouveau commissaire à la défense, Andrius Kubilius, pour renforcer la BITD européenne et avancer sur l'intégration de nos politiques de défense.

Nous avons reçu avec circonspection votre discours cocardier du 7 janvier aux Invalides, monsieur le ministre. En matière de procédures, notamment de contrôle des exportations, c'est à la France de se plier aux exigences européennes.

S'agissant de la négociation sur le programme d'industrie de défense européenne, nous ne sommes pas d'accord avec vous lorsque vous dites : en la matière, mieux vaut ne rien faire que faire mal. Nous pensons au contraire qu'un tien vaut mieux que deux tu l'auras. Continuons à avancer malgré les freins. Le Président de la République a appelé à des investissements communs massifs et à assumer la préférence européenne : je vous invite à éclairer la représentation nationale sur ce qui ressemble à une contradiction.

La France a de moins en moins les moyens de ses ambitions militaires. C'est pourquoi il faut une politique intégrée européenne.

Le GEST s'abstiendra sur les crédits de cette mission. (Applaudissements sur les travées du GEST)

M. Rachid Temal .  - Je salue la signature d'un cessez-le-feu à Gaza. Nous espérons que les otages seront libérés, notamment nos deux compatriotes. (Mme Marie-Pierre Monier et M. Akli Mellouli applaudissent.)

Je salue nos forces françaises en Afrique ou en Roumanie, sans oublier celles qui participent à la Force intérimaire des Nations unies au Liban (Finul), parfois victimes de tirs.

Je salue la secrétaire d'État qui revient au Gouvernement et le ministre qui est toujours là... (Sourires)

M. Roger Karoutchi.  - Flatteur !

M. Rachid Temal.  - En 2024, la moitié des pays étaient en élection. Résultat : la démocratie libérale perd du terrain. Nous devons revoir totalement la revue stratégique dans ce monde qui change.

L'ère de l'empire puissance est de retour. Nous avons cru à la fin de l'histoire. Mais Poutine est arrivé avec ses guerres permanentes. Il y a eu le 11 septembre et le djihadisme mondial. Chaque État joue à son compte et le rôle des démocraties, dont la France, est de plus en plus interrogé.

La guerre informationnelle devient centrale, comme M. de Legge et moi-même l'avons montré. Le cas de l'Azerbaïdjan, très agressif sur ce terrain, est édifiant.

On pourrait dresser un parallèle entre Donald Trump et le leader chinois pour leur choix commun de la manière forte, fondée sur la guerre commerciale et une recherche d'hégémonie technologique.

Certains voudraient une dépense militaire de 4 % du PIB. Mais quand ils veulent nous faire acheter des armements américains, nous tombons de notre chaise... Et quand on voit les résultats du marché unique de l'électricité, on s'interroge sur un marché unique de l'armement ! (M. Sébastien Lecornu rit.)

Sur le repositionnement des bases en Afrique, le constat est simple : à part Djibouti, la feuille sera blanche... Nous devons nous interroger sur notre stratégie en Afrique.

Nous, parlementaires, demandons à être au coeur de la réflexion stratégique.

Quelques mots sur la situation budgétaire. Je partage les propos du rapporteur de Legge. Il y a eu un débat sur les 413 milliards lors de l'examen de la LPM. Mais un report de charges qui progresse de 75 % est préoccupant. Nous devons débattre de la question financière à l'occasion de la revue nationale stratégique que nous appelons de nos voeux. Il faut mettre plus d'argent ; c'est pourquoi nous avions proposé, au groupe SER, un livret d'épargne défense souveraineté. Nous pouvons dire aux Français que leur épargne, c'est leur sécurité de demain.

Nous sommes toujours, nous socialistes, attachés à notre défense nationale. Si vous pouvez vous targuer d'être gaullistes, nous nous retrouvons dans François Mitterrand, particulièrement dans sa croyance en la dissuasion nucléaire haute, symbole de la convergence des grandes familles politiques de droite et de gauche sur cette question.

Nous ne pouvons nous contenter de débattre de défense une fois par an lors de l'examen du budget. Nous réclamons des débats plus fréquents sur les questions de défense, par exemple sur l'impact de l'élection de Donald Trump. Nous choisissons une abstention d'alerte et de soutien. (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; marques de déception au centre et à droite)

Sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.  - Pourquoi s'abstenir ?

M. Marc Laménie .  - Ce budget représente 60 milliards d'euros en CP.

Beaucoup ont été tentés de s'accommoder de la guerre qui a commencé il y a bientôt dix ans sur notre continent. Après l'annexion de la Crimée, l'élection de Donald Trump en 2016 aurait dû pousser les Européens à construire une défense solide.

Trois ans après l'annexion de l'est de l'Ukraine et quelques mois après la réélection de Trump, la situation n'a pas fondamentalement évolué : les Vingt-Sept n'ont qu'un seul porte-avions - le nôtre.

Certes, la dépense militaire a augmenté de 30 % depuis 2021 en Europe. Le budget représente 326 milliards d'euros soit 1,9 % du PIB de l'Union européenne ; la France occupe une place particulière au sein de la défense européenne.

Mais elle doit aussi assurer la défense de son territoire -  Hexagone et outre-mer  - et de la deuxième zone maritime la plus vaste au monde.

Malgré les contraintes budgétaires, le Gouvernement a choisi de respecter la LPM. Nous ne pouvons que nous en féliciter. La défense passe ainsi avant l'éducation nationale.

Les dépenses militaires sont en hausse partout dans le monde. Nos armées doivent aussi soutenir nos alliés : l'armée de l'air a ainsi cédé 24 Rafale à la Grèce et à la Croatie et l'Ukraine a reçu des Mirage 2000 et des canons Caesar. C'est indispensable pour la défense de nos valeurs, mais cela requiert des moyens.

Les défis sont nombreux, avec le maintien en condition opérationnelle ou le remplacement de notre porte-avions, entre autres.

Sans les femmes et les hommes engagés, ces matériels ne seraient rien : je rends hommage au courage et au professionnalisme des militaires et des réservistes

Les Ardennes sont attachées au troisième régiment du génie, historique à Charleville-Mézières, que vous connaissez bien, monsieur le ministre... (M. Sébastien Lecornu renchérit.) Le lien avec l'éducation nationale, via les classes de défense, est important.

Je n'oublie pas l'opération Sentinelle. Nous devons veiller à ce que les conditions de travail soient assez attractives pour le recrutement et la fidélisation.

Le contexte actuel est lourd de menaces. La Russie a lancé il y a quelque temps un missile balistique hypersonique à capacité nucléaire sur l'Ukraine ; la situation en Syrie suivant la chute de Bachar al-Assad - bonne nouvelle dans l'absolu - reste explosive, et la Chine poursuit son action contre les démocraties et ses manoeuvres agressives envers Taïwan.

Par la diplomatie, la France doit apaiser les conflits, mais doit être aussi capable de les affronter. Cela exige un strict respect de la LPM que nous devons toujours avoir à l'esprit.

Il est important de susciter des vocations.

Le groupe Les Indépendants votera pour l'adoption des crédits. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et UC et sur quelques travées du groupe Les Républicains ; M. Ahmed Laouedj et M. Rachid Temal applaudissent également.)

M. Cédric Perrin .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du RDSE ; M. Jean-Baptiste Lemoyne, M. Rachid Temal et Mme Marie-Arlette Carlotti applaudissent également.)

Le temps perdu ne se rattrape jamais ; et pourtant, c'est à cela que nous devons nous atteler : le temps perdu par une censure votée par une alliance des contraires irresponsable.

Le temps est un élément capital, en matière financière notamment : toutes les sommes non décaissées en temps voulu se traduisent par des retards dans les programmes. In fine, c'est la sécurité des Français qui est mise en jeu, et la remontée en puissance des industriels entravée.

Les armées ne peuvent se donner le luxe d'attendre : il leur faut un budget, un bon budget.

Il était indispensable que celui-ci respecte la LPM. Avec son esprit visionnaire, le général de Gaulle disait : la défense est le premier devoir de l'État, au risque de se voir détruire lui-même.

M. Christian Cambon.  - Très bien !

M. Cédric Perrin.  - Nous ne pouvons ignorer que nous avons basculé dans une nouvelle ère, marquée par la polarisation et par la confrontation, et dans laquelle les mouvements tectoniques et les conflits entre un Occident collectif et un prétendu Sud global s'accentuent.

M. Roger Karoutchi.  - Prétendu !

M. Cédric Perrin.  - Avec le réveil des impérialismes, les incertitudes stratégiques s'accroissent pour l'Europe, prise entre l'agressivité russe et l'imprévisibilité américaine.

Si elle demeure notre garantie ultime de sécurité, la voûte nucléaire peut être contournée : pour ne pas en faire une nouvelle ligne Maginot, nous devons investir dans tous les segments de notre défense.

Le péril le plus vif se situe sur le flanc est de notre continent. Les Ukrainiens résistent toujours, mais de plus en plus difficilement à l'agression russe. Alors que la nouvelle administration américaine pourrait changer le cours de la guerre, notre soutien à l'Ukraine ne saurait fléchir.

Au Moyen-Orient, une recomposition chaotique et violente est à l'oeuvre ; le panturquisme pourrait être une menace existentielle pour l'Arménie ; dans l'Indo-Pacifique, nos outre-mer suscitent la convoitise et l'expansionnisme chinois est dangereux pour ses voisins.

De la mer rouge à la Jordanie, partout dans le monde, nos armées permettent à la France de tenir son rang.

Saluons le dévouement sans faille des femmes et des hommes qui sont sous les drapeaux. La meilleure façon de le faire est de garantir qu'ils disposent des moyens à la hauteur de leur courage.

Je me réjouis que la trajectoire de la LMP puisse être respectée. 2025 sera une année charnière avec 51 milliards d'euros engagés pour les équipements, les deux tiers de cette somme étant consacrés aux chantiers d'avenir que sont la dissuasion nucléaire, le remplacement du porte-avions et le passage du Rafale au standard F5.

Le coût des programmes structurants a été calculé néanmoins au plus serré. Gardons à l'esprit que ces dépenses rigidifieront la suite de la programmation, réduisant les marges de manoeuvre.

Les améliorations dues à la LPM sont réelles, mais elles n'aboutiront pas pour autant à des forces étoffées : les formats resteront taillés au plus juste.

En outre, nos forces sont confrontées à une multitude d'aléas stratégiques. Le soutien à l'Ukraine pèse parfois lourd sur certaines forces. Préparer l'avenir tout en répondant à ces enjeux immédiats nécessite un budget suffisant, au risque de voir apparaître des trous capacitaires préjudiciables, à l'heure du pivot vers la haute intensité.

Au moment où nous portons notre regard sur 2025, il faut reconnaître que 2024 appelle à la vigilance : gels, surgels, reports... L'exécution aura été mouvementée. Il en résulte des inquiétudes pour la mise en oeuvre de la LPM.

Nous y voyons les effets des dépenses exceptionnelles, sur un budget qui demeure contraint.

Le projet de loi de finances de fin de gestion (PLFG) a pris en charge les surcoûts, à hauteur de 837 millions d'euros, mais a aussi amputé le programme 146 de 532 millions d'euros.

Il faudra surveiller cela d'autant plus que les provisions pour les Opex ont été revues à la baisse. Certes, la fin de Barkhane amoindrit la charge, mais les opérations de réassurance telle que Lynx et Aigle en Europe, ou Aspides en mer Rouge semblent s'installer dans la durée.

Enfin, les reports de charges auront utilement servi à passer la bosse budgétaire due, notamment, à la hausse des coûts des carburants. Mais attention, c'est un poids financier sur les industriels et, en bout de chaîne, sur les PME. Le financement de ces dernières est une préoccupation majeure. En dépit de la prise de conscience d'un changement stratégique, elles peinent à se financer, faute d'une évolution de la politique interne des banques. (M. Sébastien Lecornu le confirme.) C'est une situation ubuesque au regard des crises qui nous font face. L'état d'esprit des banques doit changer ! Le Sénat a porté des propositions très concrètes en la matière et reste disponible pour les faire aboutir.

L'environnement global des entreprises de défense doit être amélioré. La conduite des programmes reste trop sophistiquée et les normes et les procédures s'empilent. Les règles civiles des marchés publics sont inadaptées aux spécificités de la défense : délais indus, surcoûts inutiles, équipements inadaptés ou trop coûteux.

La réorganisation de la DGA ou l'évolution de certains de ses process sont importantes. Mais nous sommes encore loin du choix de simplification : les industriels attendent plus.

Les défis posés sont exigeants : poursuite des grands programmes, MCO, recrutement, soutien des forces, préservation de la stabilité internationale.

Le général de Gaulle disait : l'intelligence, c'est prévoir. En ne déviant pas de la ligne d'horizon minimale de la LPM, ce budget permet de prévoir l'avenir de nos armées.

Investir dans la défense, ce n'est pas céder à une joute belliciste, c'est affirmer que la France, forte de son héritage et de son indépendance, doit rester maîtresse de son destin. Honorons la vision du général de Gaulle. Le groupe Les Républicains votera les crédits de la mission. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; MM. Marc Laménie, Michel Masset et Olivier Cigolotti applaudissent également.)

M. Jean-Baptiste Lemoyne .  - (Mme Marie-Arlette Carlotti applaudit.) Je présente tous nos bons voeux aux femmes et aux hommes engagés dans nos armées ; je rends hommage à ceux qui ont fait le sacrifice ultime et à leurs proches, nous ne les oublions pas.

On a l'impression que, dans une autre assemblée, on se préoccupe plutôt de jouer aux quilles avec les gouvernements que de légiférer dans l'intérêt général du pays.

Le moment est aussi inédit au niveau international, avec l'alternance de permacrises et de polycrises... Rachid Temal l'a dit : on assiste à un retour de la force à l'état brut, et à l'émergence de terrains nouveaux comme le cyber et le spatial.

Réjouissons-nous que depuis 2017, les budgets de la mission « Défense » augmentent : passant de 32 milliards d'euros en 2017 à 41 milliards d'euros en 2022 et à 50 milliards d'euros cette année. Le choix a été fait de respecter la trajectoire définie par la LPM, et donc le vote des parlementaires. En dépit de la situation budgétaire contrainte, les crédits de cette mission ne sont pas une variable d'ajustement.

Quelque 3,3 milliards d'euros supplémentaires sont donc prévus, mais pour quoi faire ?

L'environnement évolue : nous devons être souples comme le cuir, mais trempés comme l'acier, comme aurait dit Bigeard.

M. Rachid Temal.  - Quelle référence...

M. Jean-Baptiste Lemoyne.  - La guerre en Ukraine a montré que nos besoins étaient immenses, en matière de munitions, notamment : d'où l'augmentation de 12 % des crédits du programme 146.

La livraison des missiles antichars de portée moyenne est très attendue par l'armée de terre. Le budget se veut respectueux de nos forces. La condition militaire est un enjeu important, dans une société où l'engagement à long terme n'est plus une évidence. Je salue le plan Famille 2, devenu le plan Fidélisation 360, avec l'amélioration des conditions de vie en emprise militaire, une nouvelle politique de rémunération et des efforts indiciaires.

J'évoquerai un point sur lequel nous devons trouver des solutions, notamment avec Bercy.

M. Rachid Temal.  - Bon courage !

M. Jean-Baptiste Lemoyne.  - Il s'agit des reports de charges, qui ont augmenté et qui pourraient devenir le linceul des LPM, en alimentant la bosse budgétaire.

Beaucoup a été fait pour soutenir notre BITD : continuons ; elle est en pointe en matière d'innovation, comme en témoigne la livraison du supercalculateur le plus puissant d'Europe en matière militaire. Idem dans le domaine quantique ; nos adversaires ne nous attendent pas.

Le RDPI votera avec conviction les crédits. Permettez-moi de féliciter l'armée des champions, avec l'Icaunaise Eugénie Dorange, qui a permis que l'Yonne soit dans la petite finale de canoé.

Ces athlètes ont remporté 21 médailles, soit 30 % des médailles françaises aux JOP de 2024. Je pense à l'aviateur Nicolas Gestin, au second maître Shirine Boukli ou au matelot Joan-Benjamin Gaba ; ils ont battu le record mondial des médailles militaires obtenu aux JOP.

M. Sébastien Lecornu, ministre.  - Bravo à tous !

M. Jean-Baptiste Lemoyne.  - Nous en sommes fiers. Militaires et sportifs, les deux font résonner la Marseillaise et font honneur à la France ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme Marie-Arlette Carlotti applaudit également.)

M. Ahmed Laouedj .  - (Applaudissements sur les travées du RDSE ; M. Rachid Temal applaudit également.) Je vous lis une intervention d'André Guiol, retenu dans son département du Var.

La destruction d'un drone américain par un chasseur russe au-dessus de la mer Noire illustre le retour des rivalités.

La hausse du budget est satisfaisante, mais la montée en puissance de technologies innovantes comme les drones représente des enjeux nouveaux.

L'augmentation des crédits se concentre sur plusieurs priorités. Le renouvellement de la dissuasion nucléaire représente près de 40 % du financement consacré à la modernisation, avec les sous-marins nucléaires lanceurs d'engins (SNLE) de troisième génération ; le programme Rafale devra respecter la LPM, pour atteindre 178 avions d'ici à 2030 et 225 en 2035.

La dotation de 130 millions d'euros au sein du programme 178 pour le supercalculateur est à saluer.

L'anticipation des sauts technologiques dans l'espace ou le cyber, entre autres, justifie la hausse des crédits, mais des défis structurels persistent : le report de charges, et le surcoût des missions intérieures comme Sentinelle.

Il est crucial de maîtriser la réquisition des armées en la concentrant sur des missions à forte valeur militaire, pour combiner réactivité et désengagement rapide. Il faut repenser l'effort industriel pour maintenir le cap du multicapacitaire.

La soutenabilité financière doit être au coeur de nos réflexions, pour que nos ambitions stratégiques ne se confrontent pas, une fois de plus, à l'agenda américain.

Notre notoriété dans les domaines technologiques de pointe doit aboutir à un véritable projet de défense commune.

Monsieur le ministre, nous nous interrogeons sur les effets de la LPM sur l'ambition européenne en matière de défense. Si le système de combat aérien du futur (Scaf) est développé avec l'Allemagne et l'Espagne, il n'est pas fait mention de notre rôle au sein de l'Agence européenne de défense (AED).

Une Europe de la défense complète suppose des évolutions institutionnelles majeures ; il est temps de lever les ambiguïtés entourant notre autonomie stratégique. Jean Monnet l'a écrit : l'Europe se fera dans les crises et sera la somme des solutions apportées à ces crises. Plus que jamais européen, le RDSE votera ces crédits. (Applaudissements sur les travées du RDSE ; M. Jean-Baptiste Lemoyne applaudit également.)

M. Olivier Cigolotti .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; Mme Marie-Arlette Carlotti et M. Rachid Temal applaudissent également.) L'année 2025 est la deuxième année d'exécution de la LPM. Les AE s'élèvent à 93,6 milliards d'euros, soit 37 % de hausse par rapport à la loi de finances initiale pour 2024. Les CP s'élèvent à 60 milliards d'euros et augmentent de plus de 5 %.

Hors inflation, la hausse serait de 35,5 % en AE et de 3,9 % en CP, en euros constants.

Cet effort important doit être salué, dans un contexte général de redressement nécessaire des finances publiques. La mission « Défense » est celle qui connaît la plus forte hausse de ses crédits en 2025.

Monsieur le ministre, un point de vigilance néanmoins : la forte hausse du report des charges depuis 2022. De 3,8 milliards d'euros fin 2022, il devait s'établir à 6,4 milliards d'euros fin 2024 : plus 75 % en deux ans ! Cette évolution, qui concerne surtout les dettes aux fournisseurs, représenterait 20,3 % des crédits en 2024. Nous veillerons à ce que celle-ci reste raisonnable.

Pour la première fois depuis quarante-cinq ans, la France démarre son année sans budget. Le réarmement du pays s'en trouve menacé, comme nos exportations. Les perspectives étaient pourtant encourageantes en matière de vente d'armements.

Il faut doter la France d'un budget : ce sont les hausses de crédit qui permettent de relocaliser la production d'armements. Ne pas doter la France d'un budget, ce serait effacer les 3,3 milliards d'euros de hausse de la LPM.

Le contexte mondial n'a jamais été aussi tendu. Le conflit russo-ukrainien persiste dans l'escalade, la situation au Moyen-Orient est fragile. Doter la France d'un budget est essentiel dans un tel contexte.

Ne pas doter la France d'un budget, c'est condamner les opérations stratégiques de défense et cela complique la concrétisation de la volonté du Gouvernement de se préparer à une économie de guerre.

La poursuite des programmes de coopération au niveau européen et international est essentielle. L'Union européenne doit être un véritable acteur en matière militaire. Avec l'élection de Donald Trump, toutes les hypothèses doivent être envisagées, notamment concernant l'Otan. La présence américaine au sein de cette dernière est indispensable au maintien de l'architecture de la structure, qu'il faut préserver.

Une remise en cause de la LPM est à craindre en cas de nouvelle censure. Celle-ci nous conduirait dans l'impasse, tandis que les autres pays, eux, avancent.

Nous débattons pour le maintien de la paix et de notre souveraineté. Ne l'oublions pas ! Nos engagements envers nos armées doivent être tenus.

Le groupe UC votera à l'unanimité en faveur des crédits. (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; M. Jean-Baptiste Lemoyne applaudit également.)

M. Sébastien Lecornu, ministre des armées .  - (M. Jean-Baptiste Lemoyne et Mme Marie-Arlette Carlotti applaudissent.) Merci pour votre mobilisation pour ces crédits et pour vos mots pour nos forces armées. Nous parlons de matière budgétaire, mais une armée ne se mesure pas seulement à ses budgets, mais aussi au courage de ses soldats.

J'ai une pensée particulière pour les soldats tombés l'année dernière, notamment la maréchale des logis Fany Claudin, qui a perdu la vie lors d'une patrouille de la Finul. Un terrible accident de Rafale a aussi coûté la vie à deux soldats. Derrière les questions budgétaires se cache une force d'âme.

M. Cigolotti et M. Perrin ont posé la question : oui ou non, les crédits de la mission « Défense » pour 2025 seront-ils votés ? La marche de la LPM, à plus de 3,3 milliards d'euros, sera-t-elle adoptée ? La programmation militaire sera-t-elle respectée, aux yeux du monde entier ? Tout décalage peut anéantir nos efforts de réarmement tels qu'ils ont été imaginés depuis 2017 !

La censure a évidemment eu un impact. Ce n'est pas montrer du doigt ses artisans que le dire...

Avant les reports de charges ou les critères techniques, une réalité s'impose donc, qui repose sur un choc de confiance à l'égard des industries et de nos soldats. Ce sujet devra être traité politiquement, devant le peuple français.

Le PLF est conforme à la programmation militaire. Le président Gontard l'a dit, aucun amendement de rabot ne sera présenté par le Gouvernement ce matin. La programmation militaire est donc bien protégée au regard des risques qui pèsent sur le pays !

Il y aura 50,5 milliards d'euros pour 2025, soit 7 % d'augmentation depuis l'année dernière, 9,5 milliards d'euros de plus depuis ma prise de fonctions en 2022, et 18 milliards d'euros de plus depuis 2017.

La logique suivie n'est donc plus celle de la raréfaction des moyens. Est-ce néanmoins suffisant ?

J'ai toujours considéré qu'il s'agissait d'un plancher, non d'un plafond.

Dès lors que des augmentations ont lieu, cet argent va-t-il au bon endroit ? Permet-il de gagner la guerre de demain, et pas seulement de faire des réparations pour gagner celle d'hier ?

Les crédits vont au-delà même de la programmation. Le président Perrin l'a souligné. Regardons ce qui est fait en gestion ! Pendant des années, les programmations militaires ont été généreuses sur le papier, mais suivies d'annulations de crédits ou de CP pas à la hauteur. L'exécution ne se faisait pas à l'euro près.

Dans les copies que je vous propose depuis 2022, les AE et CP sont supérieurs à la programmation.

Je comprends la position du président Gontard, à défaut de la partager : malgré le contexte budgétaire que nous connaissons, nous continuons à nous réarmer. Je l'assume !

L'année dernière, l'exécution s'élevait à 48,3 milliards d'euros, soit 1 milliard d'euros de plus que prévu.

Le sénateur de Legge a appelé à plus de transparence, j'y suis favorable pour les sujets qui ne touchent pas nos intérêts. Aucun secret sur la disponibilité des matériels ne doit être dévoilé.

La programmation militaire n'a pas absorbé à elle seule le coût de la guerre en Ukraine.

Je note que le mot « inflation » a disparu de vos prises de parole... C'est l'avantage quand on dure : on voit passer les saisons ! On me demandait avant si le Gouvernement prenait bien en compte l'inflation. Personne n'en a dit mot ce matin ! L'évolution du contexte macroéconomique nous a redonné des marges de manoeuvre. Mais un changement en sens inverse aurait un effet négatif sur la programmation militaire.

Si j'avais pu faire moins de reports de charges, j'en aurais fait moins. Mais deux choix se présentent : soit on commande, et on dégrade le report de charges, soit on refuse de commander. Je préfère passer des commandes aux industriels pour respecter la programmation militaire.

Par ailleurs, des reports de charges quand les crédits diminuent, ce n'est pas pareil que quand ils augmentent ! Distinguons le bon cholestérol du mauvais. (Mme Émilienne Poumirol s'en amuse.)

Autrefois on faisait porter par les industries de défense des reports de trésorerie. Ce n'est plus le cas ! La trésorerie des industries de défense n'est pas mise à mal par ces reports de charges. Non !

L'enjeu est de s'assurer que l'effort considérable demandé en ce moment aux contribuables n'entraîne pas des effets d'aubaine pour ces industries.

Il faut trouver le bon juste milieu et mettre ces reports de charges en perspective. Ils ne fragilisent pas les industries de défense.

Gisèle Jourda et Rachid Temal l'ont souligné : au moment où tout le monde se réarme, comment faire en sorte que les industries de défense captent des financements privés, notamment bancaires ? La question est cruciale.

Madame Carlotti, le calendrier des mesures de fidélisation sera tenu, notamment pour les sous-officiers. Ces derniers nous disent partout qu'ils voient enfin les choses bouger. La cible des 700 ETP sera atteinte pour 2025.

Merci, madame Gréaume, pour vos propos sur le service de santé des armées (SSA).

J'assume quelques décalages avec la LPM. Il nous faut accélérer sur l'intelligence artificielle. Des crédits sont proposés pour l'Agence ministérielle de l'intelligence artificielle de défense (Amiad).

Les munitions sont aussi un point sensible. Il faut agir sur les stocks, pour les munitions simples comme pour les complexes.

Le vrai débat que nous devons avoir a trait aux bascules auxquelles nous assistons. M. Temal a parlé d'Afrique, plusieurs d'entre vous d'Union européenne, certains disant qu'il n'était pas question d'abandonner notre souveraineté. Le président Gontard a dit que nous n'avions plus les moyens de faire autant et qu'il fallait se mettre au diapason des autres Européens. Je ne suis pas d'accord.

En revanche, ce que nous partageons au sein de l'Union européenne est un point clé.

La diplomatie parlementaire joue ici un rôle important. Quelles factures pouvons-nous partager sans abîmer notre souveraineté ? Et ce, sans dépendance excessive à l'égard des États-Unis ?

Qu'est-ce qui est partageable ? Qu'est-ce qui ne l'est absolument pas ?

Ce débat noble doit se faire avec le Parlement, même si toutes les contributions - celles des think tanks, notamment - sont les bienvenues. Quels degrés de mutualisation pouvons-nous consentir ?

La place de la France dans le monde est un sujet important, tout comme les grandes bascules géopolitiques, comme en Afrique ou en Ukraine.

Quant à la dissuasion nucléaire - nucléaire, militaire, civile, cyber, militarisation de l'espace - les bouleversements potentiels sont nombreux, notamment avec l'arrivée de M. Musk dans l'administration américaine.

La revue nationale stratégique sera-t-elle remise à jour, monsieur Temal ? Je ne sais pas. Cette décision relève du Président de la République et du Premier ministre.

Je suis à la disposition du Sénat pour que nous ayons ces débats en profondeur.

Question plus redoutable : l'argent que nous mettons sur la table - en 2030 le budget des armées sera doublé - couvrira-t-il réellement les menaces de demain ? Nous sommes pourvoyeurs de sécurité pour les autres.

Le groupe SER avait demandé un débat sur le sujet, en application de l'article 50-1 de la Constitution. (On le confirme à gauche.)

Si d'autres débats sont demandés, je me rendrai disponible tout comme Jean-Noël Barrot. Nous ne pouvons faire l'économie d'une lucidité stratégique, qui appellera une lucidité budgétaire ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, INDEP, RDSE, RDPI et sur quelques travées du groupe SER)

Examen des crédits de la mission

Article 42 - État B

L'amendement n°II-1173 rectifié n'est pas défendu.

M. Sébastien Lecornu, ministre.  - Tant mieux ! Il est indéfendable ! (M. Dominique de Legge renchérit.)

M. le président.  - Amendement n°II-625 du Gouvernement.

M. Sébastien Lecornu, ministre.  - Cet amendement traduit les différentes mesures catégorielles pour l'État, sur la structure des crédits dédiés au personnel.

Le gouvernement de Michel Barnier proposait des mesures d'économies. Le Premier ministre Bayrou a présenté d'autres mesures dans le cadre du dialogue qu'il mène avec les groupes politiques de l'Assemblée nationale et du Sénat.

Cet amendement prévoit ainsi des économies. Cette somme sera probablement revue, compte tenu des engagements pris par le Premier ministre à l'égard du groupe socialiste, si j'ai bien compris. Je me devais néanmoins de le présenter, au nom de la solidarité gouvernementale, car celle-ci a permis de sauvegarder la programmation militaire...

L'amendement identique n°II-1315 n'est pas défendu.

M. Dominique de Legge, rapporteur spécial.  - Monsieur le ministre, je salue votre habileté à défendre un amendement dont nous n'avons pas compris dans quel contexte il s'inscrivait... (Sourires)

J'ai du mal à faire le lien entre les propos tenus par le Premier ministre il y a quelques jours, lorsqu'il insistait sur la nécessité de réduire la dépense publique et les arbitrages qu'il semble vouloir rendre.

Je déplore la méthode, aussi : j'avais cru comprendre que le Parlement était là pour voter le budget. Or les décisions semblent être prises dans des cénacles particuliers...

Toutefois, nous ne voulons pas vous être désagréables : avis favorable, donc, en espérant que le chiffre annoncé sera respecté.

M. Rachid Temal.  - Comme je l'ai dit lors de la discussion générale, il faut regarder tous les éléments de bascule intervenus dans le monde. La revue nationale stratégique doit être modifiée.

Les socialistes demandent effectivement plus de débats sur les questions stratégiques de défense, au-delà de l'examen du budget.

Le groupe SER votera les crédits de la mission. Lors de son examen, nous avons travaillé pour adapter la LPM aux ambitions de notre pays et de nos alliances.

M. Cédric Perrin.  - Puisque ces crédits ont été décidés en interministériel, nous ferons plaisir à M. le ministre : nous voterons cet amendement...

Toutefois, je rejoins M. de Legge : puisque le Premier ministre a annoncé renoncer aux deux jours de carence supplémentaires, cet amendement semble donc privé d'objet.

Pourquoi attendre la CMP et ne pas mettre les montants d'équerre tout de suite ?

Lors de l'examen de la LPM, le Sénat a bataillé ferme pour aboutir à une trajectoire crédible de réarmement.

Les armées ont besoin des crédits de réarmement, pour respecter le contrat opérationnel qui leur a été fixé.

Le rapport d'information de Mme Lopez et de Mme Carlotti montre les efforts à mener en matière de ressources humaines pour renforcer l'attractivité de nos armées. Si ces crédits ne devaient pas être utilisés à ces fins, nul doute que le ministère saurait en faire bon usage. Son montant de 57 millions d'euros représente 40 Griffon et 19 000 fusils HK 416.

Nous voterons cet amendement même s'il est saugrenu.

M. Sébastien Lecornu, ministre.  - On voit aussi la limite d'inscrire les crédits du titre II en LPM -  cela aurait paru incongru il y a quelques années. Qu'une mesure interministérielle sur le jour de carence ou le point d'indice ait une incidence sur la programmation militaire aurait été impensable. Nous devons réfléchir à ce à quoi doivent ressembler les prochaines programmations et veiller à ce qu'elles n'engendrent pas de rigidité.

Pour répondre à M. Témal : il y a dix ans, les livres blancs permettaient au politique de se défausser de sa responsabilité de réduire les crédits militaires. Mais les sommes sont tellement importantes, et les questions tellement graves, qu'il faut que le Parlement en débatte.

Le contexte stratégique de ces derniers mois ne remet pas en cause la programmation militaire. En revanche, la brutalité des transformations est folle et notre discussion budgétaire aurait été différente à l'automne : soldats nord-coréens en Ukraine, recomposition syrienne, trêve au Liban puis à Gaza...

Le Sénat, où le débat démocratique est plus calme et le temps électoral plus clair, est le bon cadre pour y travailler.

M. Rachid Temal.  - Sans parler de la qualité !

M. Sébastien Lecornu, ministre.  - Mais c'est un travail exigeant, qui devra intégrer la dualité, car nous devons travailler avec tous les acteurs, notamment civils -  on le voit sur le spatial.

En cette période de voeux, voici le mien : que nous ne débattions plus du respect de la programmation militaire, mais de la pertinence des dépenses au regard des menaces de demain, car tout bouge très vite. Mon obsession est que les élites françaises évoluent aussi vite que les menaces qui percutent le continent européen - sans parler de la nouvelle administration Trump.

Je me rendrai disponible pour de tels débats au Sénat. Le moment est venu d'un travail entre le Gouvernement et le Sénat, innovant et original, avec le cas échéant des auditions non retransmises. Nous devons aussi éclairer les enjeux du futur débat présidentiel de 2027.

M. Rachid Temal.  - Très bien !

L'amendement n°II-625 est adopté.

M. le président.  - Amendement n°II-1180 rectifié bis de M. Saury et alii.

M. Hugues Saury, rapporteur pour avis.  - Il s'agit de prévoir 10 millions d'euros pour soutenir la filière française de drones. La France rattrapera son retard, mais elle ne dispose pas encore d'un drone à moyenne altitude et longue endurance (Male) et dépend du Reaper américain. Nos industriels sont prêts à aller vers une massification de la production.

M. Dominique de Legge, rapporteur spécial.  - Les drones sont stratégiques. Quel est l'avis du Gouvernement ? Quid du gage ? La LPM devant être respectée, il faudra sans doute un redéploiement, mais le ministre peut être généreux...

M. Sébastien Lecornu, ministre.  - Votre intuition est bonne. Ne nous racontons pas d'histoires : la France est en retard sur la dronisation. Pourquoi ? Pour la première fois, une innovation civile est utilisée dans le domaine militaire, à rebours du schéma habituel, et nos industriels n'ont pas toujours su à quel point il fallait évoluer rapidement.

La LPM est-elle pour autant caduque ? Non, mais elle est vivante. Tous les gains budgétaires de la programmation devront être réaffectés aux drones.

Terre, air, mer : chaque plateforme doit avoir son drone. Je pense notamment à l'armée de terre qui doit rattraper son retard sur la guerre électronique et sur la dronisation. Chaque combattant doit avoir son drone, comme il a son arme de poing, mais aussi la cavalerie blindée : le char doit être pensé dans un univers dronisé. Les drones ont aussi un rôle à jouer dans l'artillerie. Nos industriels -  Delair, Turgis&Gaillard  - font des choses remarquables, comme l'Aarok.

La géopolitique crée des ruptures, mais les nouvelles technologies aussi : intelligence artificielle, quantique, etc. L'organisation des armées en sera affectée.

J'ai demandé à l'armée de terre, plutôt que de saupoudrer la modernisation des équipements sur l'ensemble des régiments, de la concentrer, afin de constituer en quelque sorte des régiments-témoins : scorpionisation, guerre électronique, forces de soutien.

Votre amendement est donc satisfait -  de surcroît son gage était problématique. J'en demande donc le retrait, contre un engagement de suivi.

Mme Hélène Conway-Mouret.  - Le groupe SER soutient cet amendement. Je peux témoigner de la puissance de l'innovation française -  même si nous sommes en retard sur les drones.

Merci, monsieur le ministre, de souligner que toutes les armées ont besoin de drones -  ce n'est pas qu'une question aérienne. (MSébastien Lecornu opine du chef.) Nous devons tirer les leçons des différents conflits armés.

Nos industriels sont capables de développer un nouveau drone Male.

M. Cédric Perrin.  - Quand j'entends parler de drones, je suis obligé de prendre la parole ! (Sourires) Le Sénat suit le sujet de très près - voyez nos différents rapports, de 2017 et 2021.

Le ministre a raison : on a pris beaucoup de retard. Le général de Gaulle, dans Vers l'armée de métier, le dit clairement : la technologie doit être au service de la stratégie. Le drone est devenu un game changer considérable, que ce soit en Ukraine, au Haut-Karabagh ou en Éthiopie.

La livraison du drone Male européen est sans cesse retardée. Mais nous devons aussi nous poser la question de son usage. L'Ukraine a utilisé plus d'un million de drones en 2024. Les industriels français doivent pouvoir suivre cette évolution.

Il ne faut rien s'interdire. Une ancienne ministre de la défense avait rejeté les munitions rôdeuses, car elle ne les estimait pas « éthiques » mais le concile de Latran avait interdit l'arbalète - sans grand succès.

À Monsieur Saury de décider s'il retire son amendement.

M. Hugues Saury.  - Nous avons toujours travaillé en confiance avec M. le ministre, aussi je retire mon amendement, en comptant sur lui pour nous tenir informés. (MSébastien Lecornu le confirme.)

L'amendement n°II-1180 rectifié bis est retiré.

M. le président.  - Amendement n°II-1230 de M. Gontard et alii.

M. Guillaume Gontard.  - Cet amendement, qui reprend un amendement du député Aurélien Saintoul, crée un programme doté de 70 millions d'euros pour nationaliser Atos.

L'entreprise est endettée à hauteur de 5 milliards. Avant l'été, Bruno Le Maire avait mollement indiqué vouloir sauver les activités stratégiques... Une offre de reprise de 700 millions d'euros a été évoquée, mais l'entreprise pourrait n'en valoir que 70...

Certaines de ses activités sont directement liées à la défense et à la sécurité, mais elle développe aussi des logiciels utilisés quotidiennement par les Français. Qu'est-ce qui est « stratégique » ?

Il est encore temps d'empêcher un désastre. Atos appartient au patrimoine industriel de la France.

M. Dominique de Legge, rapporteur spécial.  - C'est un sujet souvent débattu au Sénat. Le président Perrin interpelle régulièrement le Gouvernement à ce propos.

Cet amendement d'appel n'est pas opérant. Son montant serait à la fois sous-estimé et superfétatoire -  le compte d'affectation spéciale « Participations financières de l'État » est suffisamment pourvu. Demande de retrait.

M. Sébastien Lecornu, ministre.  - Retrait, sinon avis défavorable. De ma position, en tant que ministère client de solutions stratégiques d'Atos, je souhaite que les questions de défense nationale ne soient pas instrumentalisées pour aller au-delà d'un périmètre bien détouré.

M. Cédric Perrin.  - Le 2 août 2023, avec l'entrée en scène de M. Kretinsky, nous avons lancé un appel au secours au Gouvernement, pour la défense d'Atos. Bercy doit gérer cette affaire.

Les auteurs de l'amendement prennent les crédits sur l'équipement des forces ; c'est problématique, alors que nous devons nous réarmer !

Je regrette que les auteurs de l'amendement n°II-1173 rectifié aient battu en retraite. Comment peut-on vouloir supprimer 1,5 milliard d'euros sur le budget de la défense, quand on lit le journal chaque matin ? Les bras m'en tombent ! Par qui cet amendement était-il téléguidé ? Si c'était par Bercy, ce serait triste.

Nous ne voterons pas l'amendement n°II-1230.

M. Rachid Temal.  - Attention ! Ce n'est pas la première fois que des entreprises françaises passent sous pavillon étranger. Le Parlement doit être vigilant.

La question des technologies et des matières premières doit être bien plus intégrée. Atos est implantée dans mon département du Val-d'Oise. Je suis solidaire des conclusions de la mission d'information du Sénat.

Nous ne voterons pas cet amendement, non pour ne pas soutenir Atos, au contraire, mais parce que nous devons trouver des solutions pérennes. En outre, ne retirons pas des crédits à nos forces armées.

M. Guillaume Gontard.  - Je ne m'attendais pas à régler le problème d'Atos, mais nous devions l'évoquer ce matin.

Pour moi, la bonne solution, c'est la nationalisation. Le débat doit aussi porter sur ce que l'on protège. Doit-on s'en tenir aux activités militaires ? Ne traînons pas, car la situation empire.

L'amendement n°II-1230 est retiré.

Les crédits de la mission « Défense », modifiés, sont adoptés.

(Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, INDEP, du RDSE, du RDPI et du groupe SER)

La séance est suspendue quelques instants.