Initiatives européennes en matière de simplification et d'allègement de la charge administrative pesant sur les entreprises

M. le président.  - L'ordre du jour appelle le débat sur les initiatives européennes en matière de simplification et d'allègement de la charge administrative pesant sur les entreprises, à la demande du groupe Les Républicains.

M. Jean-François Rapin, pour le groupe Les Républicains .  - Ce débat intéresse au-delà de nos murs. Ainsi, une contribution du Conseil national des barreaux souligne les enjeux de sécurité juridique liés aux initiatives prises la Commission européenne.

Dernièrement, la commission des affaires européennes a organisé, avec la délégation aux entreprises, une table ronde sur la simplification et adopté une proposition de résolution sur la reconnaissance des entreprises de taille intermédiaire (ETI). Les entreprises ont souligné le changement d'approche de la nouvelle Commission, qui répare certaines erreurs de la précédente mandature, marquée par des mesures fortes de régulation, notamment en matière de durabilité et de devoir de vigilance - les fameuses CSRD CS3D, que l'on propose désormais de réviser. Des règles trop contraignantes pour notre industrie avaient été décidées, comme la fin des véhicules thermiques d'ici à 2035, ou la mise en oeuvre du mécanisme d'ajustement carbone aux frontières. La Commission s'engage dans une nouvelle voie plus réaliste, plus en phase avec les besoins des entreprises et avec le basculement mondial à l'oeuvre.

L'Union européenne fait face à des stratégies économiques très agressives de la part de la Chine et des États-Unis. L'administration Trump se montre particulièrement véhémente, mais n'oublions pas que c'est l'administration Biden qui a fait adopter l'Inflation Reduction Act. Mario Draghi souligne que, sans effort de productivité, l'Europe ne pourra pas être à la fois un leader des nouvelles technologies, un phare de la responsabilité climatique et un acteur indépendant sur la scène mondiale. Elle ne pourra pas non plus financer son modèle social.

La Commission européenne a présenté une boussole pour la compétitivité qui passe par un allègement des contraintes administratives pesant sur les entreprises. Son ambition est de réduire de 25 % la charge pesant sur les entreprises et de 35 % celle pesant sur les PME.

Il n'est pas question de rejeter en bloc les obligations en matière de durabilité ou de responsabilité sociétale et environnementale des entreprises (RSE). La directive NFRD de 2014 avait déjà imposé un reporting extrafinancier à plus de 11 000 entreprises. La Commission ne propose pas de déréguler mais de simplifier. Il y avait urgence.

Les entreprises européennes sont les plus vertueuses du monde sur le plan écologique et social. Ne leur imposons pas des contraintes excessives qui vont les pousser à s'implanter en dehors de l'Union ou favoriser leurs concurrents moins vertueux ! Je me réjouis de l'adoption rapide de la directive Stop the Clock qui a retardé de deux ans la directive sur la durabilité et d'un an celle sur le devoir de vigilance. Il faut maintenant en réviser le fond, et veiller à l'articulation entre droit national et européen. La France, bonne élève, a transposé la directive durabilité dès 2023. Comment éviter que Stop the Clock ne se traduise par une prime aux mauvais élèves ?

S'agissant du devoir de vigilance, nous avions alerté sur le poids de la charge pesant sur les entreprises pour s'assurer du respect des normes tout au long de la chaîne de valeur. Je me félicite des allègements proposés, notamment la baisse de la fréquence de reporting. Le nouveau gouvernement allemand devrait abroger la loi sur le devoir de vigilance dans les chaînes de valeur pour la remplacer par une loi sur la responsabilité internationale des entreprises qui transposera la directive en cours de renégociation ; en attendant, il n'y aura pas de sanction, sauf violations massives des droits de l'homme. Il est donc urgent d'adopter le paquet Omnibus pour éviter toute distorsion de concurrence au sein de l'Union.

Il serait intéressant de créer un vingt-huitième régime juridique, afin que les entreprises innovantes bénéficient d'un régime unique. Quelle est la position du Gouvernement sur ce dossier ?

La simplification doit se poursuivre, en faveur des ETI mais aussi du secteur agricole. Nous avons besoin de redonner de la compétitivité aux entreprises, en traitant de manière adaptée les PME et ETI.

Le Gouvernement défend-il cette démarche de restauration de la compétitivité ? Quelles mesures soutenez-vous plus particulièrement ? Quelles sont vos lignes rouges ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Mme Clara Chappaz, ministre déléguée chargée de l'intelligence artificielle et du numérique .  - La simplification des obligations administratives des entreprises est une priorité du Gouvernement, dans le contexte de mise en oeuvre du Pacte vert et de recomposition des équilibres géopolitiques.

À la suite du rapport Draghi, qui fait le constat du déficit de compétitivité de l'Union européenne, la Commission a réagi rapidement avec le paquet Omnibus. Il ne s'agit nullement de remettre en question les objectifs environnementaux du Pacte vert : l'inaction environnementale serait un risque majeur et conduirait à une perte de 15 à 20 % du PIB mondial d'ici à 2050. L'année 2024 a été l'année la plus chaude jamais enregistrée, dépassant le seuil de 1,5 degré de réchauffement. La mise en oeuvre du Pacte vert est un impératif.

Les entreprises doivent intégrer leurs impacts environnementaux dans leur gestion stratégique sans perdre en compétitivité, à l'heure où certaines grandes puissances se désengagent.

L'appel du rapport Draghi a été entendu et la France prend toute sa part pour une réglementation proportionnée qui ne freine pas la compétitivité. Ainsi, le paquet Omnibus prévoit de limiter le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières aux importations de plus de 50 tonnes, ce qui sort du champ 92 % des entreprises mais couvre toujours 98 % des émissions.

Il recentre également la directive CSRD sur les entreprises de plus de 1 000 salariés, ce qui exempte 80 % des entreprises. Le calendrier est décalé de deux ans, et le volume des informations à publier est réduit. Nous soutenons cette simplification.

La directive CS3D doit également être simplifiée, en assurant des conditions de concurrence équitable. Focaliser les mesures de vigilance sur les partenaires directs va dans le bon sens. Le Gouvernement plaide pour un seuil à 5 000 salariés, en cohérence avec la loi française. La suppression d'un régime de responsabilité civile harmonisé pénaliserait les entreprises françaises - c'est un point fort de la négociation.

Le travail de simplification ne recule pas devant l'obstacle. Le Gouvernement agit avec détermination pour une simplification adaptée aux réalités économiques, sans compromettre nos objectifs premiers.

Renforcer notre compétitivité tout en limitant la lourdeur administrative nous permettra d'atteindre nos objectifs du Pacte vert.

M. Gérard Lahellec .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Sous prétexte de compétitivité, la proposition de directive Omnibus fragilise plusieurs avancées récentes : la responsabilité sociétale des entreprises, la finance durable et les exigences accrues de transparence.

L'économie contemporaine est régie par la prime au vice : plus une entreprise a des pratiques délétères pour l'intérêt général, plus elle sera profitable. Si vous délocalisez pour produire là où les normes sociales et environnementales sont limitées, vous êtes plus compétitif. Difficile pour les entreprises qui veulent produire localement de s'en sortir. Ainsi des PME qui veulent produire en Europe du textile qualitatif, étranglées par la concurrence déloyale de la fast fashion. Avec la guerre commerciale de Donald Trump, le phénomène pourrait s'amplifier car faute de débouchés aux États-Unis, les produits chinois à prix cassé risquent d'inonder le marché européen.

Nos entreprises ont besoin de régulation pour être protégées. La loi anti fast fashion, adoptée à l'Assemblée nationale à l'unanimité en 2024, propose d'augmenter les contributions financières payées par ces entreprises dans le cadre de la RSE. Ce type de mesures réduirait la concurrence subie par les acteurs du made in Europe.

Méfions-nous de l'idée selon laquelle la régulation serait un fardeau entravant les entreprises. Ce n'est pas parce qu'il y a des accidents à certains carrefours qu'il faut supprimer les feux rouges ! C'est au contraire en régulant la vitesse qu'on fluidifie la mobilité. Les entreprises ont besoin de la régulation qui les protège du dumping environnemental et social, de la loi du plus fort et du moins scrupuleux.

L'Europe a tout intérêt à préserver la qualité de nos emplois, mais aussi de nos sols, de l'air et de l'eau. Pour cela, il faut des règles. C'est en incarnant une autre économie, sociale et écologique, que l'Europe restera une puissance mondiale.

Mme Clara Chappaz, ministre déléguée.  - Nous devons faire la différence entre l'objectif de la régulation, qui est généralement de protéger nos valeurs, et l'application de cette régulation. Nous souhaitons, sur ce dernier point, le plus de simplification possible, pour ne pas ralentir nos entreprises qui portent ces valeurs. Ne nous laissons pas enfermer dans un discours qui ferait de la régulation une fin en soi.

La loi anti fast fashion arrive les 2 et 3 juin au Sénat. Nous serons très attentifs aux débats. Ce matin, autour du ministre Éric Lombard, avec Amélie de Montchalin et Véronique Louwagie, nous avons assisté à Roissy à l'afflux des petits colis de moins de 150 euros : 800 millions chaque année, dont 94 % sont non conformes. C'est un risque pour les Français, pour notre économie, pour nos finances publiques aussi, car ils ne sont pas toujours bien déclarés. Amélie de Montchalin envisage d'instaurer des frais de gestion pour financer le renforcement des contrôles, car nos concitoyens n'en paieront pas le prix.

M. Jacques Fernique .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Le paquet Omnibus entend alléger les charges administratives pesant sur les entreprises. Derrière ce vernis de simplification, c'est un coup de frein porté à la transition écologique.

On voudrait nous faire croire que les obligations sociales et environnementales seraient des tracasseries administratives pourrissant la vie des acteurs économiques. En réalité, parler de simplification est un abus de langage : il s'agit d'un renoncement, d'une régression par rapport à des avancées négociées lors de trilogues difficiles. Le Pacte vert est un acquis de la précédente législature !

Ce serait aussi une régression pour notre Sénat, après la résolution transpartisane sur le devoir de vigilance ou la commission d'enquête sur TotalEnergies.

Cette dérégulation est en réalité un choix politique porté par la droite et l'extrême droite européenne. Les règles de RSE sont le bouc émissaire des difficultés des entreprises. Entre autres reculs, la mise en oeuvre de la directive CSRD serait reportée ; son champ ne couvrirait plus que 0,02 % des entreprises européennes ; le reporting ne serait plus obligatoire que tous les cinq ans ; on supprimerait l'obligation de rompre les relations commerciales en cas d'incidences négatives avérées ; le devoir de vigilance ne s'appliquerait plus à toute la chaîne d'activité. Le principe même de cette directive serait liquidé et les victimes perdraient leur possibilité de recours juridique.

On ouvre les vannes au dumping social et environnemental qui, précisément, malmène nos entreprises, à rebours de nos objectifs de souveraineté industrielle. Alors que la France a été à l'avant-garde, nous allons perdre un temps précieux. La Chine nous talonne en matière de standards de durabilité, l'Australie, le Japon, le Canada renforcent le devoir de vigilance. Allons-nous perdre notre avance ? Revenir sur nos règles encourage le vice et sanctionne la vertu !

Mme Clara Chappaz, ministre déléguée.  - L'objectif de réduction de 55 % des émissions de gaz à effet de serre d'ici à 2035 est bien maintenu, ne serait-ce que pour des raisons économiques, car, je l'ai dit, la trajectoire climatique actuelle aurait un impact de 15 à 20 % sur le PIB mondial. Il s'agit d'avancer vers cet objectif en simplifiant intelligemment, sans alourdir la charge pour nos entreprises. Ainsi du mécanisme d'ajustement carbone aux frontières : on retire 92 % des entreprises du champ, mais on couvre toujours 98 % des émissions.

La France a été précurseur sur le devoir de vigilance. La suppression d'un régime de RSE harmonisé se ferait au détriment de nos entreprises. C'est un point de négociation sur lequel nous sommes très attentifs.

Nous travaillons à simplifier toutes les directives européennes, y compris celles en cours comme la directive Fida (Financial Data Access). Le secteur du numérique aura son propre paquet Omnibus en octobre.

M. Michaël Weber .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Face à une mondialisation sans foi ni loi, la norme peut être protectrice. La dérégulation à tout crin est une réponse dangereuse : il existe un espace entre bureaucratie et réglementation nécessaire. La frontière est certes ténue, mais nous pouvons réduire la complexité sans restreindre nos exigences.

L'Europe doit fonder sa compétitivité sur les atouts de son modèle social. Elle seule porte un projet pour une économie responsable et durable. L'Union européenne réglemente l'accès à son marché pour favoriser les entreprises vertueuses, protéger l'environnement et défendre ses valeurs.

L'argument est aussi économique : la qualité de nos modes de production et de consommation est notre avantage compétitif.

La compétitivité européenne n'oppose pas stabilité financière à la transition écologique et au respect des droits humains. Or c'est au nom de cette même compétitivité que l'on veut saper les avancées de l'Union en matière de droits humains, d'environnement et de climat !

Comparons nos modèles sociaux : l'espérance de vie en Europe est la plus élevée du monde, la production d'électricité y est la moins carbonée, la surface agricole en bio y est de 10 %, contre moins de 1 % aux États-Unis, le continent américain a triplé sa consommation de pesticides quand l'Europe l'a réduite de 5 %.

Nous obtenons des résultats - qui hérissent nos partenaires et concurrents. L'administration américaine n'hésite pas à s'immiscer dans nos politiques pour les contourner, torpiller le Pacte vert ou défaire nos ambitions agroécologiques. Les fonds ESG (environnementaux, sociaux et de gouvernance) sont pris pour cible.

Toujours plus de profits pour les grands groupes, plus d'énergies fossiles, de ségrégation sociale, d'inégalités, de fraude, moins de droits humains, d'environnement, de solidarité et de justice : cette politique inique et absurde est présentée par certains comme une recette payante dans une course où la norme serait un obstacle.

La Commission européenne ouvre la boîte de Pandore en revenant sur ses normes les plus ambitieuses, en les reportant sine die, en restreignant leur champ d'application, les vidant de leur substance.

Ces va-et-vient incessants créent de l'incompréhension et de l'instabilité dont les entreprises européennes sont les premières à souffrir. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)

Mme Clara Chappaz, ministre déléguée.  - Il s'agit de trouver le bon équilibre, en simplifiant pour limiter la bureaucratie mais sans réduire notre ambition.

La version actuelle de la directive CSRD demeure très ambitieuse, plus que les standards internationaux comme l'ISSB (International Sustainability Standards Board).

Avec le projet de loi Ddadue, nous avons donné de la visibilité aux entreprises pour éviter que cet effort de simplification ne soit source d'incertitude pour elles.

M. Jean-Luc Brault .  - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP) Qu'est-ce qui se cache derrière ce débat ? La frénésie normative européenne. La première des mesures de simplification serait d'apporter de la visibilité et de la stabilité aux entreprises. Arrêtons de danser le tango, un pas en avant, un pas en arrière. Si nous n'avions pas complexifié aveuglément, nous n'aurions pas à simplifier par paquets Omnibus !

Nous avons besoin de l'Union, c'est une évidence. Mais demandez aux chefs d'entreprise sur le terrain ce qu'ils pensent de la Commission ! Ils vous diront qu'ils n'ont pas le temps de se conformer à une norme qu'une nouvelle leur tombe dessus. D'où une forme de précarité administrative et juridique - certains ont la boule au ventre. Cela vaut dans toute l'Union, me direz-vous, mais nous avons en plus un penchant pour le bavardage législatif et la surtransposition des directives...

L'Union européenne nous apporte une stabilité dans un monde toujours plus fou, mais elle doit le faire sans ajouter de la frénésie à la frénésie. Plaidons à Bruxelles pour un changement de culture, pour une sagesse normative, sénatoriale, pour une action plus connectée au terrain. Nous gagnerions en souplesse en apportant lisibilité et stabilité aux patrons qui pourraient ainsi choisir comment investir demain.

Si nous ne faisons rien, nous condamnons l'Union à une lente agonie - dixit Mario Draghi. La Commission a donc présenté une feuille de route qui propose de revenir sur des normes adoptées ces dernières années afin de simplifier les règles et alléger les charges administratives. Faisons-le pour nos PME, avant qu'il ne soit trop tard. Avec le retour de la guerre commerciale, il est impératif de marier réactivité et stabilité - sans sacrifier nos objectifs en matière écologique.

En agissant au plus près des acteurs économiques et des territoires, nous gagnerions en efficacité économique et en acceptation sociale.

Comment la France s'adaptera-t-elle aux mesures de simplification ? Sera-t-elle garante d'une forme de sagesse normative ? (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP)

Mme Clara Chappaz, ministre déléguée.  - Apporter de la stabilité aux entreprises, c'est ce qui guide notre action à Bercy. Nous recevons régulièrement les entreprises concernées.

Nous veillerons à ne pas surtransposer ces directives, afin que l'effort de simplification bénéficie bien à nos entreprises.

Nous sommes les seuls à ne pas nous interdire de remettre en cause des textes dont nous ne voyons pas l'utilité : ainsi, nous plaidons pour la suppression pure et simple de la directive Fida.

Mme Pascale Gruny .  - (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP) La communication de la Commission sur le volet agricole comporte quatre grands axes de simplification, en réponse à la colère du monde agricole.

D'abord, des outils simplifiés d'aide au revenu, alors que la déclaration PAC annuelle est un cauchemar kafkaïen pour les agriculteurs. Cette surcharge administrative indue multiplie les risques d'erreurs déclaratives et donc de sanctions.

« Il n'appartient pas à l'Union de concevoir en détail les pratiques à respecter dans les exploitations », lit-on dans la communication. Enfin !

Les contrôles doivent être les moins nombreux possibles et être réalisés en une fois. Ils doivent être tournés vers l'analyse des résultats obtenus et l'accompagnement technique dans la mise en oeuvre de solutions efficaces.

La Commission entend également promouvoir les nouvelles technologies comme vecteur de simplification. Cela permettrait des contrôles plus simples et rapides. Les images satellitaires permettent des contrôles surfaciques moins invasifs.

La simplification doit viser une mise en oeuvre plus simple sur le terrain. Mais attention à ne pas trahir les attentes ! Le Sénat veillera à ce qu'elle ne serve pas à masquer une nouvelle étape renationalisation de la PAC - j'en parlais déjà dans mon rapport de 2017.

Des règles plus simples à appliquer, très bien. Mais il faut examiner aussi le stock de normes qui n'a jamais fait l'objet d'une évaluation coût-avantages. Les États-Unis font de la dérégulation l'un des axes de leur politique économique, ce qui risque d'accentuer le différentiel compétitif dont souffre l'Europe. En agriculture comme dans d'autres secteurs, nous aurons le choix entre déréguler nous aussi ou nous protéger, avec des barrières tarifaires ou non tarifaires - ces fameuses clauses miroirs, dont on parle beaucoup mais dont on voit peu la couleur.

Madame la ministre, quelles sont les réflexions sur ce sujet ?

Le monde agricole a démontré sa résilience, mais les tendances actuelles, géopolitiques ou climatiques, en menacent la viabilité. Donnons à nos agriculteurs la possibilité de faire leur métier sans entrave pour assurer notre indépendance alimentaire et stratégique. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, INDEP et du RDSE)

Mme Clara Chappaz, ministre déléguée.  - Là aussi, nous cherchons le bon équilibre. La ministre Genevard s'attache à simplifier le quotidien de nos agriculteurs tout en préservant les objectifs du Pacte vert. Nous accompagnons les agriculteurs qui nourrissent notre pays.

Mme Pascale Gruny.  - J'ai toujours peur quand on parle de simplification. Les agriculteurs ne veulent pas qu'on en rajoute. Simplifions surtout ce qui existe déjà, sans rien ajouter.

Mme Nadège Havet .  - Il nous faut simplifier sans déréguler et sans complexifier. Alors qu'un millier d'amendements sont déposés sur le projet de loi simplification à l'Assemblée nationale, appliquons déjà les mesures actuelles, en les expliquant, en les accompagnant, en les évaluant.

Préservons les relations entre l'administration et les usagers : moins de documents, plus de proximité et plus de confiance.

L'excès de normes pèse sur notre économie, et engendre souffrance au travail et découragement. La France se classe au deuxième rang des pays où la bureaucratie est la plus complexe. J'ai reçu de nombreux témoignages - autant d'appels au secours. Les normes que nous édictons emportent des conséquences sociales. On attend de nous une forme de sobriété.

Hier, à la Maison du peuple de Brest, je défendais une systématisation des études d'impact, la motion de censure constructive et le rétablissement du test PME, tout comme j'ai soutenu le test CRSD pour que les reporting soient praticables au sein des États membres. Après l'inversion de la courbe du chômage et des émissions de CO2, inversons la courbe de la complexité. C'est ce que MM. Rietmann, Moga et Devinaz ont proposé dans un rapport remarqué.

Simplifier, c'est numériser, mais aussi humaniser.

Il y a deux semaines, le Conseil de l'Union européenne a dévoilé sa position sur la CS3D, la CSRD et la taxonomie. Les Vingt-sept devraient trouver un compromis avant l'été, car les positions sont proches. En revanche, de grandes divergences existent entre groupes au Parlement européen, comme sur le reporting de durabilité ou le devoir de vigilance.

Attention à ce que la simplification ne soit pas synonyme de l'abandon de nos ambitions climatiques. Le groupe Renew demande le maintien de la double matérialité dans la CSRD, alors que la Chine a annoncé qu'elle appliquerait un seuil en deçà de 1 000 salariés.

Pascal Canfin a défendu la simplification de l'audit. Il s'est opposé à la suppression de l'harmonisation du régime de la responsabilité civile dans le cadre du devoir de vigilance, et défendu la préservation d'un équilibre entre les deux côtés de la chaîne de valeur. Si l'application est trop limitée, les grandes entreprises ne disposeront pas des données nécessaires à leur reporting. Les guides de cadrage sont attendus. Comme pour la commande publique, le temps de la sécurisation juridique est primordial.

Mme Clara Chappaz, ministre déléguée.  - Nous sommes favorables au test PME. Nous avons beaucoup consulté et continuons à le faire, pour nous assurer que ces efforts soient en faveur de nos entreprises. La CMP sur la proposition de loi de M. Rietmann sera peut-être l'occasion de rétablir ce test PME.

M. Michel Masset .  - Nos normes sont trop nombreuses, peu lisibles et coûteuses pour nos entreprises. Le jardin normatif à la française s'est transformé en jungle hostile !

Une révolution copernicienne doit être menée en Europe pour alléger la charge administrative qui pèse sur nos entreprises.

Ursula von der Leyen a placé la simplification au centre de son deuxième mandat, avec l'objectif de réduire de 35 % la charge administrative pesant sur les PME d'ici à 2029. L'année 2025 est structurée autour d'un programme de travail visant à renforcer la compétitivité qui fait tant défaut à l'Union européenne et à supprimer les normes dont l'accumulation et les incessantes modifications paralysent nos entreprises.

Dans le Lot-et-Garonne, la surtransposition des normes en matière d'agriculture, de bâtiment ou de transport pénalise nos entreprises locales. La réglementation européenne est plus lourde pour les PME et ETI que pour les grandes entreprises.

En choisissant d'être proactive, la Commission européenne met le droit européen au service d'une politique de croissance. À la clé, une économie potentielle de 6,3 milliards d'euros et une capacité d'investissement supplémentaire de 50 milliards d'euros.

Nous devons nous placer du point de vue des entreprises. En 2019, l'Union européenne a publié plus de 13 000 actes normatifs, contre 3 000 aux États-Unis -  signe qu'elle est atteinte d'une bureaucratite aiguë. Elle ne dispose pas d'un cadre d'analyse des coûts et des bénéfices de nouvelles normes.

Plusieurs initiatives ont été prises ces derniers mois en faveur de la compétitivité. Cela fait écho à la proposition de loi Rietmann visant à rendre obligatoires des tests PME. Ces initiatives devront toutefois concilier la libération de notre potentiel économique avec la préservation d'un modèle social et environnemental européen.

La simplification ne doit pas être confondue avec la dérégulation de l'économie. L'Union européenne doit s'appuyer sur les atouts de son modèle social. Le groupe RDSE défend une mondialisation régulée.

La France doit veiller à défendre une politique de simplification compatible avec des standards sociaux et environnementaux les plus élevés possibles.

Cela doit questionner nos modes de consommation. Le premier prescripteur de l'économie reste en effet le consommateur. Nous devons encourager les circuits courts. Qu'en pensez-vous, madame la ministre ?

Mme Clara Chappaz, ministre déléguée.  - L'objectif du paquet Omnibus est bien d'alléger la charge des entreprises, notamment des plus petites, sur lesquelles les obligations pèsent plus lourdement. Il s'agit de maintenir nos objectifs sans freiner notre compétitivité.

Dans le contexte géopolitique actuel, on entend beaucoup parler de dérégulation. Mais les objectifs que nous maintenons en Européens sont aussi facteurs de compétitivité. Les fonds de pensions américains confient de plus en plus de fonds à des gestionnaires européens, parce qu'ils investissent à long terme et prennent en compte les risques environnementaux. Preuve que nos objectifs en matière de RSE sont aussi gage de compétitivité.

M. Claude Kern .  - Merci au groupe Les Républicains pour ce débat fort intéressant - même si le terme simplification interroge.

Je salue l'initiative du paquet Omnibus, destiné à alléger les contraintes pesant sur les entreprises européennes en matière de durabilité, de devoir de vigilance et de taxonomie. Il est heureusement possible de réduire les charges administratives et réglementaires tout en maintenant les objectifs de transition écologique.

Cette démarche traduit une partie des recommandations des rapports Letta et Draghi, qui ont souligné la perte de vitesse de l'industrie européenne par rapport aux États-Unis et à la Chine.

Un discours anti-européen simpliste voudrait fait croire que les maux de nos entreprises viendraient de l'Europe. Mais la France n'est pas la dernière à surtransposer, notamment en matière de droit du travail et d'environnement, ce qui rigidifie le marché du travail et alourdit les coûts.

La réduction des délais administratifs est un levier crucial pour améliorer notre compétitivité, qu'il s'agisse de la création d'une entreprise, de l'obtention d'un permis de construire ou d'une licence d'exploitation ou encore d'un remboursement de TVA. Réduire ces délais est essentiel pour créer un environnement plus favorable aux entreprises : numérisons les procédures, harmonisons les délais et améliorons la coordination entre administrations.

Les récentes initiatives européennes vont dans le bon sens : il faut poursuivre dans cette voie, au moment où les perspectives économiques s'assombrissent. (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; M. Michel Masset applaudit également.)

Mme Clara Chappaz, ministre déléguée.  - Je vous rejoins sur les surtranspositions. Un exemple récent : dans le projet de loi Ddadue, nous avons non seulement transposé la directive Stop the Clock, mais aussi introduit une obligation pénale pour les dirigeants d'entreprise, que le droit européen n'imposait pas. Dans le projet de loi Résilience, j'ai fixé pour principe de ne pas surtransposer et j'y veille avec fermeté.

Mme Marion Canalès .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; M. Michel Masset applaudit également.) Simplifier oui ; renoncer, non. Il serait paradoxal de multiplier les discours sur la souveraineté tout en nous alignant sur les normes américaines ou chinoises. Il n'y a pas de puissance productive qui ne soit aussi une puissance normative, et je suis d'accord avec Olivia Grégoire lorsqu'elle dit que ceux qui ne font pas les règles finissent par les subir.

Le rapport Draghi recommande surtout des investissements massifs pour combler notre déficit de compétitivité.

Les règles de comptabilité sont un miroir de la société et un puissant outil de transformation du réel. De fait, la norme est aussi un facteur de compétitivité. Sortons de la vision binaire selon laquelle il y aurait d'un côté les bureaucrates accros aux normes, de l'autre les hussards des entreprises.

Simplifier, c'est rendre plus facile. Mais qu'est ce qui complique la vie des entreprises ? Ce sont les allers-retours incessants qui brouillent le cap, comme le stop and go français en matière de devoir de vigilance, un sujet sur lequel nous étions pourtant pionniers. Quelque 160 millions d'enfants travaillent sur les chaînes de production mondialisées : renoncer à ce principe, c'est nier tous les Rana Plaza du monde. Il est incompréhensible que le Gouvernement ait demandé un report sine die de l'application de ce devoir.

Ce qui complique la vie des entreprises, ce sont de telles voltefaces. Les réglementations sont des leviers de compétitivité, et nous devons travailler à leur acceptation, convaincre les entreprises qu'elles passeront rapidement du décryptage à l'avantage compétitif. Leur adoption peut avoir un coût, mais le coût de l'inaction serait bien plus élevé. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST ; M. Michel Masset applaudit également.)

Mme Clara Chappaz, ministre déléguée.  - Oui, la France a été pionnière en matière de devoir de vigilance. Nous avons souhaité que la directive européenne soit la plus proche possible du régime appliqué dans notre pays - je pense notamment au seuil de 5 000 salariés.

Mme Marion Canalès.  - Pourquoi la France, après avoir été visionnaire sur le devoir de vigilance, a-t-elle tout d'un coup reculé en plaidant pour un report sine die ?

M. Clément Pernot .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) En septembre dernier, le rapport Draghi nous a alertés sur le décrochage de l'économie européenne depuis vingt ans. Face aux États-Unis et à la Chine, notre capacité d'innovation s'effondre. Si rien n'est fait, l'Europe est condamnée à une lente agonie : elle produira toujours moins de richesses et sera impuissante à relever les défis de notre temps.

Il n'y a plus de temps à perdre : restaurer la compétitivité européenne est un enjeu existentiel.

Pour cela, il faut rapidement alléger le fardeau réglementaire, fruit de nos propres excès législatifs. Il coûte 150 milliards d'euros aux entreprises européennes chaque année. De 2019 à 2024, l'Union européenne a produit plus de 13 000 textes, plus du double des États-Unis ! Et l'administration Trump se lance dans une vague de dérégulation sans précédent...

Soyons lucides : qu'il s'agisse du spatial ou de l'IA, jamais nos entreprises ne pourront relever les défis immenses qui se présentent à elles sans simplification radicale des cadres réglementaires.

Après des années de surrèglementation, l'Union européenne semble avoir pris la mesure de l'urgence. Depuis 2023, chaque analyse d'impact doit intégrer un contrôle de compétitivité. En 2024, l'objectif a été fixé de réduire la charge administrative de 25 % pour les entreprises et de 35 % pour les PME. La Commission européenne admet que certaines régulations sont allées trop loin, à l'instar des critères ESG. Avec des objectifs louables, nous avons donné naissance à des monstres administratifs déconnectés des réalités économiques.

La boussole compétitivité et les paquets Omnibus vont dans le bon sens, comme est salutaire la volonté de passer en revue l'intégralité de l'acquis juridique européen. Reste que cette dynamique doit s'inscrire dans la durée. La simplification ne doit plus être l'exception, mais devenir un réflexe permanent. Il nous faut aussi poser ouvertement la question de la déréglementation : certaines normes doivent être corrigées, d'autres tout simplement supprimées.

Les ministères en charge des entreprises ont une responsabilité immense : ils doivent être tournés vers le redressement de notre économie et la restauration de la confiance. Madame la ministre, vous pourrez compter sur le soutien sans faille des sénateurs d'utilité économique si vous vous engagez dans cette voie. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Mme Clara Chappaz, ministre déléguée.  - Madame Canalès, l'expression sine die a été employée pour laisser aux discussions le temps d'aboutir, non pour retarder indéfiniment l'entrée en vigueur du devoir de vigilance.

Monsieur Pernot, nous sommes déterminés à accompagner les entreprises et à restaurer la confiance. C'est ce que nous avons fait récemment avec le Sommet pour l'action sur l'IA : nous avons mis la France au centre de l'IA et enclenché une dynamique.

À cette occasion, des actes forts ont été posés : 109 milliards d'euros d'investissements dans les infrastructures annoncés par le Président de la République, un plan européen de 200 milliards d'euros pour renforcer nos capacités souveraines.

M. Olivier Henno .  - (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains) Il est des sujets qu'on évoque avec constance et force bonnes intentions, mais qui peinent à se concrétiser : c'est le cas de la simplification européenne.

De longue date, les entreprises dénoncent une charge administrative étouffante, qui alourdit les coûts, bride l'innovation et mine notre compétitivité. Nos concurrents américains ou asiatiques, eux, évoluent dans des cadres plus souples, lisibles et favorables à l'innovation.

Entre 2019 et 2024, l'Union européenne a produit 13 000 nouvelles normes, deux fois plus que les États-Unis ; il y a un enjeu de volume, mais aussi de cohérence et de lisibilité.

Les directives Omnibus ont le mérite d'exister, mais l'action menée est trop timide. Élu du Nord, je mesure la menace qui pèse sur ArcelorMittal, notamment dans le Dunkerquois. Cette entreprise refuse d'investir dans la transition énergétique en dépit des subventions reçues, de 800 millions d'euros sur un projet industriel de 1,7 milliard d'euros. Et elle annonce 1 milliard d'euros d'investissements aux États-Unis...

Notre réarmement restera un mot creux sans filière française et européenne de l'acier, mais aussi de l'aluminium.

Avec Alain Chatillon, j'ai coécrit un rapport sur la concurrence européenne. Concurrence libre et non faussée, multilatéralisme, normes : c'était le monde d'hier. Désormais, nos concurrents abordent l'industrie sous l'angle de la puissance. Rien de nouveau : La Bruyère disait que la puissance d'un pays se mesure à son industrie.

Il ne s'agit pas de renoncer à nos normes sociales ou environnementales, mais de les rendre compatibles avec la réalité économique. Soyons efficaces et cohérents, la vitalité de notre économie en dépend.

Mme Clara Chappaz, ministre déléguée.  - Vous pouvez compter sur l'engagement de Marc Ferracci pour soutenir la compétitivité.

M. Olivier Rietmann, pour le groupe Les Républicains .  - (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP) Ce riche débat demandé par le groupe Les Républicains ne peut que réjouir le président de la délégation aux entreprises...

La simplification des charges administratives pesant sur les entreprises et l'allégement des normes européennes en matière de responsabilité sociale sont deux nécessités qui se conjuguent.

Qui trop embrasse mal étreint, disait Rabelais. Ainsi, de nombreuses initiatives européennes sont justifiées dans leur principe, mais conçues en silos et pèsent toujours sur les entreprises, au point parfois de les menacer de disparition.

Si la Commission européenne avait procédé à un test PME approfondi pour chaque nouvelle norme, nous n'en serions pas là. Heureusement, elle n'a eu d'autre choix que d'entendre le désarroi des entreprises, et la déclaration de Budapest a amorcé une révolution.

L'exemple le plus choquant a été la décision d'arrêter la production de moteurs thermique en 2035. Ni les États ni les entreprises n'ont été consultés, et l'étude d'impact a été pour le moins légère, surtout au regard des conséquences de cette décision. La Commission européenne doit fixer des objectifs ; elle outrepasse ses prérogatives quand elle se substitue aux États au mépris du principe de subsidiarité.

La décarbonation de notre production est indispensable, mais le Green Deal a imposé aux entreprises une charge administrative importante pour un coût non négligeable. Les PME aussi sont touchées, lorsqu'elles font partie des chaînes de valeur de grandes entreprises. La méthode et le rythme n'étaient pas les bons. Il doit s'agir d'obligations de moyens, non de résultats, et mieux proportionnées.

Nous avons besoin d'une approche réaliste et pragmatique pour renforcer notre protection face à la concurrence, par une réglementation adaptée au nouveau climat des affaires. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP)

Prochaine séance demain, mercredi 30 avril 2025, à 15 heures.

La séance est levée à 23 h 10.

Pour le Directeur des Comptes rendus du Sénat,

Rosalie Delpech

Chef de publication

Ordre du jour du mercredi 30 avril 2025

Séance publique

À 15 h et 16 h 30

Présidence : M. Gérard Larcher, président, M. Pierre Ouzoulias, vice-président

Secrétaires : M. Jean-Michel Arnaud, Mme Céline Brulin

1Questions d'actualité

2Débat sur le rapport d'avancement annuel sur le plan budgétaire et structurel de moyen terme 2025-2029 (demande de la commission des finances)