Refondation de Mayotte - Département-Région de Mayotte (Procédure accélérée)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi de programmation pour la refondation de Mayotte et du projet de loi organique relatif au Département-Région de Mayotte.

La procédure accélérée a été engagée sur ces textes.

Discussion générale commune

M. Manuel Valls, ministre d'État, ministre des outre-mer .  - Il y a un peu plus de trois mois, je présentais le projet de loi d'urgence pour Mayotte, promettant de ne pas laisser tomber cette île.

Les caméras de télévision ont quitté l'archipel et le quotidien a partiellement détourné l'attention du public, mais l'État reste mobilisé avec la même exigence. La mission dirigée par le général Facon et tous les acteurs travaillent à la refondation de Mayotte. Je m'y suis rendu quatre fois.

J'ai constaté que la première phase, celle des urgences vitales, était stabilisée. Nous avons rétabli les télécommunications, l'électricité et l'eau - les retenues collinaires se remplissent, deux millions de bouteilles d'eau ont été livrées, la capacité de production a été portée à 38 000 m3 par jour.

Mais il est hors de question de se satisfaire d'avoir retrouvé notre capacité pré-Chido et de cet écart persistant entre offre et demande. Nous voyons plus loin : plus de 900 fuites d'eau ont été réparées par le génie militaire, la première pierre de la station d'épuration de Mamoudzou a été posée le 7 mai, l'autorisation de la construction de l'usine de dessalement a été signée par le préfet il y a deux semaines. En outre, nous travaillons sur des projets innovants utilisant l'eau atmosphérique.

Concernant les déchets, grâce au second casier de stockage des déchets non dangereux, nous évacuons plus de 800 tonnes de déchets par jour.

L'hôpital est à 80 % de son activité, sept dispensaires sur huit et tous les centres médicaux sont ouverts, même si l'essentiel reste la présence de professionnels de santé.

Les rentrées scolaires de mars et de mai ont eu lieu, ce qui n'était pas évident. Mais, comme pour l'eau, nous sommes revenus à la situation avant Chido, dont nous ne pouvons nous satisfaire. Les rotations scolaires sont inacceptables en République. Notre objectif est d'y mettre fin d'ici à 2031.

Cinq mois après Chido, l'impression générale que donne le territoire est celle d'une stabilisation, voire d'une amélioration. La végétation se régénère, les axes routiers ont été rétablis, les commerces rouvrent, la chaîne logistique fonctionne -  même un navire de croisière a fait escale !

Mais tout ne va pas bien : eau, déchets, école et déplacements entre Petite-Terre et Grande-Terre sont autant de fragilités.

Enfin, 760 gendarmes et 770 policiers répondent au défi quotidien de la sécurité et de la violence.

La mise en place de la mission du général Facon a permis de déployer les premières actions concrètes de la deuxième phase, celle de reconstruction. Ainsi, un bataillon de reconstruction de 326 militaires est mobilisé au quotidien pour reconstruire les bâtiments publics, déblayer les routes et les cours d'eau et sécuriser les routes. Les chantiers de reconstruction sont engagés, avec des entreprises mahoraises. Je pense par exemple à la reconstruction de logements sociaux.

Enfin, le soutien financier est au rendez-vous. L'État agit concrètement : 500 millions de dépenses d'urgence en décembre et janvier, fonds d'amorçage de 100 millions pour les collectivités territoriales, 15 millions d'euros pour la filière agricole, 22,8 millions d'euros pour les entreprises.

Je pense aussi à toutes les mesures de la loi d'urgence : 1 311 demandes d'activité partielle ont été déposées, pour 9,1 millions d'euros ; le PTZ est lancé dans l'ensemble des établissements bancaires. Raffaele Fitto, vice-président de la Commission européenne, m'a confirmé que la France recevrait une avance du fonds de solidarité de l'Union européenne de 23,7 millions d'euros.

Le soutien aux entreprises mahoraises se poursuit. L'aide exceptionnelle pour compenser la perte du chiffre d'affaires en décembre et janvier sera prolongée pour février et mars.

Avec ces deux projets de loi commence la troisième phase, la refondation. Chido a ravagé Mayotte, et révélé des fragilités préexistantes : hors de question de s'en tenir à un retour à l'avant-Chido.

Le Gouvernement vous présente donc un projet de loi de refondation, attendu depuis longtemps, élaboré avec les acteurs de la société civile. C'est le cas pour l'article 19, permettant la réalisation des infrastructures essentielles, dont la liste a été restreinte, à la demande des élus.

Je remercie les sénateurs et les rapporteurs pour leur confiance. Les améliorations adoptées en commission sont bienvenues.

Le titre I, constitué de l'article 1er, valide un rapport annexé, présentant les priorités de l'État. Il présente les objectifs, précise la participation des parlementaires et inclut une programmation financière de 3,2 milliards d'euros. Un amendement du Gouvernement la rehaussera à 4 milliards d'euros. Les choix sont assumés, sur les grandes infrastructures comme le port et l'aéroport. Le Président de la République a écarté l'option de Petite-Terre, disant que la piste longue devra être réalisée sur Grande-Terre. On attendait un choix clair de l'État : le voici. Mais nous devrons établir un plan d'attractivité de Petite-Terre.

Le titre II lutte contre l'immigration clandestine et l'habitat illégal, les deux fléaux de l'île. Nous n'avons pas attendu ce texte pour agir, puisque nous avons déjà restreint le droit du sol.

Dans un nouvel article 2 bis, un rapport, proposé par les rapporteurs Canayer et Bitz, s'intéressera aux mesures dérogatoires, pour évaluer leur efficacité. C'est une bonne chose.

L'article 10 permet de mieux lutter contre les bidonvilles. Micheline Jacques a permis d'améliorer la constitutionnalité du texte, sans lui faire perdre en efficacité.

Nous agissons déjà. Début avril, 73 constructions illégales ont été détruites à Dzoumogné, pour mettre fin à des conditions de vie indignes et libérer les parcelles, afin de construire une nouvelle école communale.

Notre combat contre l'immigration irrégulière dépend aussi des effectifs des forces de l'ordre et d'un rapport plus ferme avec les Comores.

Le titre III renforce le contrôle des armes aux articles 11 et 12.

Le titre IV, essentiel pour remplir la promesse républicaine de la départementalisation, favorisera l'aménagement durable du territoire.

L'article 15 est déterminant. Il habilite le Gouvernement à légiférer par ordonnances pour accélérer la convergence sociale, au plus tard en 2031. C'est une mesure attendue par les Mahorais depuis longtemps, qui permettra d'avancer vers l'égalité réelle. J'ai missionné le préfet Bieuville et le général Facon. Un rapport sera remis au Gouvernement en application de l'article 36 de la loi d'urgence.

L'article 19 favorisera la prise de possession de terrains pour accélérer la construction des infrastructures essentielles, tandis que l'article 22 crée une zone franche globale à Mayotte, suivant ainsi l'engagement du Premier ministre.

D'autres mesures sont consacrées à la jeunesse et au renforcement de l'attractivité pour les fonctionnaires.

Le titre V conforte le statut de Mayotte, sous le nom de Département-Région de Mayotte, avec une circonscription électorale unique composée désormais de treize sections.

Le projet de loi organique procède à des coordinations.

Ces deux textes constituent une étape déterminante pour engager la refondation de Mayotte, une clarification des engagements financiers, une volonté et une stratégie. Vous ne manquerez pas de les améliorer. Nous pourrons ainsi reconstruire l'île, pour changer son visage et la vie des Mahorais. (Applaudissements sur les travées du RDPI, du groupe INDEP, du RDSE et du groupe UC)

Mme Agnès Canayer, rapporteur de la commission des lois .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Nous avons été alertés par les élus de Mayotte sur le sentiment d'abandon qui y règne ; le Gouvernement ne parvient pas à améliorer le quotidien sur l'île. Quatorze ans après la départementalisation, le compte n'y est pas. L'urgence est à la reconstruction, mais il ne s'agit pas de revenir à la situation antérieure.

Le projet de loi, au titre un peu grandiloquent, présente un objectif ambitieux : des mesures structurantes.

L'article 1er approuve le rapport annexé sur la programmation pour 2025-2031, qui doit cependant s'articuler, dans des conditions obscures, avec une stratégie quinquennale 2026-2031 pour Mayotte qui ne présente aucune distinction entre mesures anciennes et nouvelles ni aucun calendrier de mise en oeuvre. Ainsi, un amendement prévoit la présentation d'une programmation annuelle avant la fin de 2025. La commission a aussi instauré un rapport d'évaluation à mi-parcours et la création d'un comité de suivi auprès du Premier ministre.

Afin d'assurer la continuité et la cohérence de l'action de l'État, la commission a renforcé les prérogatives du préfet de Mayotte. Les défis et la taille du territoire les imposent. L'ensemble des services de l'État et des établissements publics seront sous l'autorité du préfet.

Une réforme de la collectivité de Mayotte, demandée depuis longtemps, est aussi prévue. Elle deviendra une collectivité unique comme la Martinique et la Guyane, avec la création d'un Département-Région et d'une véritable assemblée, avec un président élu. Je me réjouis que le Gouvernement inscrive directement cette réforme dans le projet de loi.

L'article 31 réforme le régime électoral des futurs conseillers de Mayotte et porte leur nombre à 52, élus au scrutin proportionnel avec prime majoritaire. La commission a préféré diviser la circonscription en treize sections plutôt que cinq, reprenant le périmètre des actuels cantons. Ce modèle permet de conjuguer au mieux la représentativité du territoire et la stabilité de l'assemblée de Mayotte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Olivier Bitz, rapporteur de la commission des lois .  - Soyons clairs : pas de refondation de Mayotte sans maîtrise des flux migratoires. Mayotte comptait 320 000 habitants en 2024, pour moitié étrangers. Sans action sur les flux, sa population atteindra 760 000 habitants en 2050.

Au-delà des postures idéologiques, il faut partir des réalités : l'immigration limite le développement de Mayotte et nuit aux Mahorais, entraînant insécurité, saturation des infrastructures, difficulté d'accès à la santé et à l'éducation et prolifération des bidonvilles.

Plusieurs mesures de bon sens figurent dans ce projet de loi, mais elles devront être complétées par une volonté politique et une action diplomatique fortes.

L'article 2, renforcé par deux amendements de la commission, revoit les conditions de délivrance des titres de séjours à titre familial.

La rétention d'un majeur accompagné d'un mineur sera possible dans des centres de détention familiaux.

La commission a supprimé le caractère temporaire de l'article 8, qui permet le retrait du titre de séjour d'un étranger lorsque le comportement de son enfant constitue une menace pour l'ordre public.

Elle a approuvé l'article 9, qui subordonne les virements d'espèces à la vérification préalable des titres de séjour, afin d'éviter les trafics.

Elle a aussi pris des mesures pour contrer les reconnaissances frauduleuses de paternité et de maternité. En revanche, la commission n'a pas remis en cause le visa territorialisé. En effet, les conditions de sa suppression ne sont pas réunies et pourraient se traduire par une hausse des flux migratoires. Mais ce refus d'est pas définitif : l'article 2 bis prévoit la réalisation d'un bilan dans trois ans, en toute transparence. Il ne faut pas envoyer de message contradictoire, laissant penser qu'une arrivée à Mayotte permettrait une installation à La Réunion ou en métropole.

L'article 19 vise à accélérer les expropriations pour cause d'utilité publique. Il ne s'agit pas de déroger aux règles, mais de réaliser les équipements dont Mayotte a besoin sans attendre le versement définitif de l'indemnité. Des résultats rapides doivent être obtenus. Donner à l'État les moyens d'agir et d'agir vite, tel est le sens du texte et des amendements de la commission. (M. Marc Laménie applaudit.)

Mme Micheline Jacques, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Cinq mois après Chido, puis Dikeledi, nous nous prononçons encore sur un projet de loi pour Mayotte. Le chemin de la reconstruction est encore lent, avec près de 3 milliards d'euros de dommages. Une mission menée par la présidente Estrosi Sassone s'y est rendue pour nous éclairer sur les articles dont nous sommes saisis.

Près de 90 % des habitations de fortune ont été reconstruites aujourd'hui. En 2023 et 2024, 19 opérations ont permis d'évacuer 3 000 personnes : c'est vider l'océan à la petite cuillère !

La commission a confirmé les orientations du Gouvernement sur cet article et a sécurisé le dispositif de relogement prévu, alors que cette obligation de relogement est matériellement impossible à respecter. Le parc d'hébergement est saturé et des places sont gelées. Le Conseil d'État a émis des réserves sur la constitutionnalité de la disposition, d'où une limitation dans le temps et en fonction des circonstances locales.

La commission a aussi limité les recours suspensifs aux seuls référés-liberté. Toutefois, seule une approche articulant sécurité, politique migratoire, urbanisme et production de logements permettra de lutter efficacement contre les bidonvilles. Sinon, ce sera un pansement sur une plaie ouverte.

L'article 23 vise à classer tout Mayotte en quartier prioritaire de la politique de la ville (QPV) jusqu'en 2030. C'est justifié. Mais cette mesure aura un effet limité, les trois quarts de la population vivant déjà en QPV. J'insiste donc sur l'importance des financements.

J'alerte aussi le Gouvernement sur les effets de bord potentiels sur le logement social. Il ne faudrait pas que des impératifs de mixité sociale pensés pour l'Hexagone limitent la construction à Mayotte. Monsieur le ministre, je vous invite à prendre des mesures dérogatoires. Enfin, il est indispensable que les dix-sept contrats de ville de Mayotte soient signés d'ici au 31 décembre prochain.

Ensuite, concernant l'article 24, Mayotte ne bénéficie pas d'un comité des pêches, en raison d'une insuffisante organisation des acteurs locaux, qui aspirent pourtant à disposer de leur propre organisation collective. Si la commission a adopté cet article sans modification, je défendrai à titre personnel un amendement pour que la création d'un comité des pêches soit explicitement mentionnée. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; MM. Marc Laménie et Michel Masset applaudissent également.)

Mme Christine Bonfanti-Dossat, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) La situation à Mayotte reste très fragile : 77 % de la population y vit sous le seuil de pauvreté, contre 14 % dans l'Hexagone. En outre, la démographie de l'archipel est très atypique : 50 % de la population a moins de 20 ans et le flux de population immigrée y est important. Nous devons oeuvrer pour une reprise pérenne et une amélioration durable des conditions de vie.

L'article 15 consiste en une demande d'habilitation à légiférer par ordonnances pour oeuvrer au rapprochement entre système social mahorais et hexagonal. La technicité du chantier justifie la demande, mais la commission a adopté plusieurs amendements pour l'encadrer, en excluant l'aide médicale d'État et les dispositifs fiscaux améliorant la compétitivité et l'emploi. Il ne faut pas créer d'effets incitatifs supplémentaires. Dans ces domaines, le Gouvernement pourra agir via d'autres véhicules législatifs.

La commission a soutenu l'article 16, étendant à Mayotte le régime de retraite complémentaire de l'Ircantec.

L'article 17 facilite l'ouverture de pharmacies d'officines à Mayotte, autorisant une ouverture pour chaque tranche de 7 000 habitants au niveau communal ou -  nouveauté  - au niveau intercommunal. Fondé sur des seuils communaux, le cadre prévu s'appuie sur des données de population de 2017 et ne tient pas compte des contraintes des bassins de vie et de l'insularité. Cependant, un passage du critère communal au critère intercommunal risque de fragiliser le tissu existant. Les représentants des pharmaciens s'y opposent. La commission a donc limité l'application du critère intercommunal dans les cas où le recensement date de plus de cinq ans et a soumis les ouvertures en question à un avis conforme de l'ordre.

L'article 18 réforme les conditions de représentation des professionnels de santé mahorais au sein des instances régionales de l'océan indien. Il prévoit la représentation de plusieurs professionnels mahorais au sein de l'union régionale des professionnels de santé (URPS). Mais les parties prenantes comme l'ARS souhaitent une instance de représentation spécifique pour Mayotte, afin de prendre en compte les spécificités du territoire ; cependant, le Gouvernement estime le nombre de professionnels insuffisant. La commission a adopté un amendement imposant la consultation des syndicats pour le décret d'application.

Ce texte soutient le rétablissement économique de Mayotte et l'accès aux soins : nous vous invitons à l'adopter. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP, du RDSE et sur quelques travées du groupe Les Républicains)

M. Stéphane Fouassin, rapporteur pour avis de la commission des finances .  - Juriste d'entreprise, je m'exprime également au nom de M. Patient, corapporteur. La commission des finances a reçu la délégation au fond pour l'article 22 et s'est saisie pour avis de plusieurs articles.

Les dégâts subis par Mayotte sont estimés à 3,4 milliards d'euros. Il faut non seulement réparer, mais aussi s'engager dans l'amélioration des conditions de vie des habitants.

L'article 1er approuve un rapport annexé qui prévoit plus de 3 milliards d'euros de crédits entre 2025 et 2031. Quelque 38 % des investissements concernent la construction d'un aéroport d'ici à 2036. Quelque 730 000 euros sont prévus pour le retraitement de l'eau, tandis que 407 millions d'euros sont destinés à la construction d'un deuxième hôpital et à la modernisation de celui de Mamoudzou. La pertinence de ces investissements ne fait pas débat. Mais ils viennent d'engagements passés de l'État, par exemple dans le plan Eau Mayotte. De plus, le chiffrage des dispositions du texte reste incomplet, comme le souligne le Haut Conseil des finances publiques (HCFP).

L'article 22 élargit la zone franche globale d'activité. Pas moins de 18 millions d'euros d'impôts seront ainsi économisés par les entreprises.

L'article 23 prévoit de zoner toutes les communes de Mayotte en QPV d'ici à 2030. Le sud de l'île ne bénéficiait pas de ce statut.

J'en viens à l'article 9 et les transmissions de fonds à l'étranger : l'objectif des contrôles de titres de séjours est de lutter contre les trafics. Cela relève davantage de la lutte contre l'immigration que de la lutte contre le blanchiment des capitaux, ce qui n'est pas le rôle des banques.

L'article 26 étend le bénéfice du passeport pour la mobilité des études aux lycéens de Mayotte, quand la filière d'enseignement souhaitée n'est pas proposée localement. L'article 27 crée un fonds de soutien au développement des activités périscolaires, mesure pertinente quand on sait que plus de la moitié des élèves mahorais n'ont accès à l'école que par demi-journées. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et du RDPI ; M. Michel Masset applaudit également.)

Mme Mélanie Vogel .  - D'après son titre, on pourrait s'attendre à ce que ce texte programme la refondation de Mayotte, à ce qu'il trace un avenir meilleur pour un territoire ravagé par les inégalités, les carences de l'État, les catastrophes climatiques et par l'indifférence.

Le cyclone Chido et la tempête Dikeledi ont aggravé la situation de ce département le plus jeune et le plus pauvre de France. Il manque 1 200 classes ; 10 000 enfants ne sont pas scolarisés. L'investissement massif dans l'école aurait dû être une priorité. Alors que les hôpitaux sont saturés, il aurait fallu soutenir les professionnels de santé.

Alors que le territoire compte neuf fois moins de logements sociaux que la moyenne nationale, il aurait fallu programmer la construction de logements dignes et résilients.

De même, il aurait fallu envisager une tarification sociale de l'eau et accélérer la rénovation du réseau hydraulique.

La convergence des prestations sociales est encore repoussée ; pourtant, Mahorais et Mahoraises veulent l'égalité des droits.

Sur quoi ce texte concentre-t-il ses moyens ? Environ 80 % de ce texte vise à rendre encore plus répressive et encore plus dérogatoire une politique migratoire qui l'est déjà tant, sans donner aucun résultat. Les gens migrent poussés par la pauvreté et la misère.

Nous ne nions pas la réalité de la pression migratoire, mais nous dénonçons l'incapacité à définir une politique globale respectueuse des droits. La politique d'accueil et d'intégration est inexistante ; l'aide s'élève à 30 euros par mois, soit bien moins que ce qui est versé dans l'Hexagone.

En durcissant l'accès au séjour, vous condamnez plus de personnes à l'illégalité et à la précarité, pour le malheur de tous les habitants de l'île. Les unités familiales ne sont qu'un enrobage humanitaire de pratiques de privation de liberté, interdites ailleurs.

Or ces restrictions finissent par irriguer notre droit commun, selon la Défenseure des droits. Quand vous vous attaquez au droit du sol, vous touchez au coeur de nos principes républicains.

Ce texte n'a pas été conçu prioritairement pour répondre aux attentes pressantes des Mahorais. Il ne fait que reprendre des engagements antérieurs, sans réelle garantie d'application. Sans stratégie globale ni priorisation des enjeux, il n'est pas de nature à refonder Mayotte.

Le GEST ne pourra pas le voter.

M. Saïd Omar Oili .  - Plus de cinq mois après la catastrophe du cyclone Chido et deux mois après la promulgation de la loi d'urgence, le compte n'y est pas et les Mahorais sont fatigués des effets d'annonce. Un exemple concret : les prêts à la reconstruction ne sont pas délivrés par les banques. Le Premier ministre a annoncé le plan Mayotte debout, mais pour l'instant c'est plutôt Mayotte débrouille !

Le cyclone a profondément fragilisé le tissu économique. En particulier, le secteur de la pêche a déposé des dossiers pour le redémarrage de l'activité ; 1,6 million d'euros issus des redevances des armateurs sont disponibles, mais les pêcheurs attendent toujours des réponses de la préfecture.

Nous n'avons obtenu transmission que d'une partie du rapport de la mission interinspections, et une semaine seulement avant ce débat. Faut-il croire aux esprits éclairés des fonctionnaires des administrations centrales, qui ne font que passer dans notre territoire ?

Pour que la feuille de route détaillée dans le rapport annexé réussisse, les financements devront être à la hauteur des enjeux - 6,7 milliards d'euros, d'après mon premier calcul - et la mise en oeuvre des mesures devra faire l'objet d'un suivi, comme le recommande la Cour des comptes. Je remercie la commission des lois d'avoir adopté l'amendement instaurant un comité de programmation et de suivi.

Dans le même esprit, mon groupe a déposé trente amendements sur le rapport d'activité, afin que les bonnes intentions ne restent pas lettre morte.

La classe politique mahoraise unanime demande la fin des titres de séjour territorialisés : j'invite nos collègues Les Républicains et centristes à l'écouter et à mettre un terme à cette disposition coloniale qui enferme à Mayotte 100 000 personnes en situation régulière.

La suppression de l'article 19, qui allège les procédures d'expropriation, fait l'unanimité sur l'île, où les textes de droit commun sur la propriété foncière sont récents et la réforme du foncier patine.

Enfin, nous rejetons les cinq sections proposées pour l'élection du conseil départemental. Le déséquilibre actuel entre population recensée et inscrits sur les listes électorales fausse le scrutin en favorisant les communes qui accueillent le plus d'étrangers.

Monsieur le ministre d'État, les attentes des Mahorais sont fortes ; ne les décevez pas. Ils ne demandent qu'une chose : la France jusqu'au bout, jusqu'à eux.

M. Marc Laménie .  - Toutes les vérités sont-elles bonnes à dire ? En tout cas, elles ne sont pas toutes agréables à entendre ni faciles à admettre. Mais notre responsabilité est de dire la vérité aux Français ; c'est le préalable indispensable pour résoudre leurs problèmes.

La métropole doit respect et solidarité aux territoires d'outre-mer, en particulier à Mayotte dont la situation est si difficile.

Il aura fallu un cyclone catastrophique pour que ces deux textes voient le jour, après la loi d'urgence du mois de février. Si beaucoup de mesures ont été annoncées, trop peu ont été mises en oeuvre par rapport à la gravité de la situation, dans ce territoire marqué par la pauvreté, le chômage, une pression migratoire massive et un habitat informel incontrôlable.

Mais Mayotte, ce sont aussi de formidables atouts : sa position géostratégique, une biodiversité exceptionnelle, une culture riche, un potentiel touristique sous-exploité. C'est surtout un département français auquel nous devons la même considération qu'à tout territoire hexagonal - ce qui invite à la mesure.

Ce projet de loi et le rapport annexé sont ambitieux. Les investissements programmés atteignent 3,17 milliards d'euros, pour la construction d'un nouvel aéroport, d'une cité judiciaire, d'un deuxième centre hospitalier, le renouvellement de la flotte de la gendarmerie maritime, les infrastructures d'eau et d'assainissement - je rappelle que 30 % de la population n'est pas raccordée à l'eau potable - et la construction de 24 000 logements en dix ans.

Ce texte est porteur d'espoir, même si beaucoup de mesures prévues étaient déjà promises, parfois depuis des années. Il faut qu'elles se concrétisent. À cet égard, nous saluons les mesures votées en commission pour le suivi des investissements.

Des mesures fortes sont nécessaires pour lutter contre l'immigration illégale, l'habitat informel et l'insécurité. L'allongement proposé de la durée de résidence pour obtenir une carte de résidence et la subordination de l'octroi d'un titre à une entrée régulière sont proportionnés, alors que la moitié des étrangers présents sur l'île sont en situation irrégulière. De même, il est justifié de réduire le délai d'évacuation des bidonvilles et de renforcer les pouvoirs du préfet à des fins de coordination.

Il faut s'attaquer de front aux multiples problèmes que rencontre Mayotte tout en mettant en place un nouveau statut pour la collectivité. Le groupe Les Indépendants votera ce projet de loi pour refonder Mayotte.

M. Stéphane Le Rudulier .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Ce texte de programmation ne vise rien de moins que de refonder Mayotte. Le mot n'est pas exagéré, car ce territoire traverse une crise totale : migratoire, sociale, sécuritaire et institutionnelle.

Mayotte est submergée par une immigration incontrôlée qui atteint une ampleur inédite et pèse lourdement sur les services publics et le tissu social, mais aussi par la violence, l'économie informelle et l'habitat insalubre. À cela s'est ajoutée la catastrophe du cyclone Chido, qui a révélé l'extrême vulnérabilité de l'archipel.

Ce projet de loi a le mérite d'apporter à cette situation dramatique une réponse globale. Il aborde la sécurité, le droit des étrangers, l'offre de soins, les infrastructures, le fonctionnement même de la collectivité territoriale.

Il faut agir vite, fort et jusqu'au bout. Car ce n'est pas seulement le destin de Mayotte qui est en jeu, mais l'autorité de la République. Une République qui ne protège pas tous ses enfants, ne maîtrise pas ses frontières et laisse prospérer l'inégalité abdique.

La situation sécuritaire est explosive. Rarement en temps de paix un département français a connu une telle intensité de violence : le climat est quasi insurrectionnel. La population réclame d'être protégée. Nous saluons la création d'un régime spécifique de visite domiciliaire pour la recherche d'armes et le pouvoir donné au préfet d'ordonner la remise d'armes.

Il faut une politique ferme et cohérente de lutte contre l'immigration clandestine. À cet égard, le texte comporte des avancées notables : conditionnement des titres de séjour à une entrée régulière, durcissement des conditions de reconnaissance de paternité, encadrement des aides au retour, retrait des titres de séjour aux parents défaillants, obligation de vérification du séjour pour les transferts de fonds - autant de mesures que nous demandons depuis des années.

Mais nous devons aller plus loin, face à une pression migratoire sans précédent. Il faut renforcer les moyens de contrôle aux frontières, accélérer les reconduites et rétablir un lien clair entre présence et droit au séjour. La République ne peut pas être naïve. À Mayotte comme ailleurs, le respect du droit suppose de la fermeté.

Nous saluons l'accent mis sur la résorption de l'habitat informel et la sécurisation des quartiers, l'instauration de zones de rétention adaptées aux familles, les nouveaux pouvoirs donnés aux forces de l'ordre dans les bidonvilles, les dérogations aux règles d'expropriation pour accélérer la reconstruction.

Mais il faut y adjoindre une véritable ambition de développement, fondée sur la convergence sociale, la relance de l'activité économique grâce à la zone franche ou encore l'amélioration de l'accès aux soins, sans oublier une réforme institutionnelle cohérente autour du statut de Département-Région.

Le groupe Les Républicains veillera à ce que cette programmation soit suivie d'effets. Nous voulons des moyens, un calendrier rigoureux, des résultats pour les Mahorais.

Mayotte est en première ligne face à tous les défis qui menacent notre cohésion sociale. C'est une ligne de front, mais aussi un espoir : celui que la République, si elle s'en donne les moyens, puisse encore refonder. Nous voterons ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP)

Mme Salama Ramia .  - (Applaudissements sur les travées du RDPI) Ce projet de loi de programmation s'inscrit dans la continuité des engagements pris après le cyclone Chido. Il marque le véritable point de départ de la reconstruction de Mayotte.

Je salue les mesures prévues, qui marquent un engagement durable. D'autres devront suivre. Nous avons besoin d'une vision de terrain et d'un calendrier lisible.

Les rapporteurs ont amélioré le texte en posant des garde-fous et en renforçant les mesures de suivi. C'est une question de bon sens, mais aussi de respect pour ce territoire. Une programmation suppose de la constance dans l'engagement.

Il faut un échéancier pour le chantier de la convergence sociale. Les attentes sont fortes au sein du monde économique, frappé de plein fouet par le cyclone, mais confronté aussi à des difficultés anciennes. La création d'une zone franche globale est une avancée qui devra s'accompagner d'autres dispositifs pour concilier convergence et attractivité. Les chefs d'entreprise sont exonérés d'impôt sur les bénéfices, mais, dans la conjoncture actuelle, combien sont en mesure d'en dégager un ? Et comment leur permettre d'embaucher ? C'est tout le sens de mes amendements relatifs au crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE).

D'autres mesures sont tout aussi essentielles, comme l'abrogation du titre de séjour territorialisé. Ce dispositif propre à Mayotte enferme les étrangers en situation régulière dans l'île : il contrevient au principe d'égalité devant la loi et transforme Mayotte en enclave migratoire. Ce n'est plus viable. Entendez la fatigue des Mahorais et leur sentiment d'injustice.

De même, l'article 19, relatif aux expropriations, est inapplicable, faute de cadastre. Des craintes légitimes s'élèvent sur place. Ce n'est pas la voie d'une reconstruction apaisée.

Enfin, un nouveau découpage électoral est nécessaire pour une meilleure représentativité et une organisation territoriale plus efficace. Mayotte ne demande pas un traitement d'exception, mais équitable. C'est dans cet esprit que je mène la mission que le Gouvernement m'a confiée avec le général Facon.

Ce texte peut constituer un tournant, à condition que nous continuions de l'enrichir. Le RDPI le votera, tout en restant vigilant au respect des engagements pris. (Applaudissements sur les travées du RDPI et du RDSE ; MM. Georges Naturel et Marc Laménie applaudissent également.)

Mme Sophie Briante Guillemont .  - (Applaudissements sur les travées du RDSE ; M. François Patriat applaudit également.) Voici l'acte III de la refondation de Mayotte. Après des années de difficultés et deux cyclones, il faut relever l'archipel.

Mayotte est le département le plus pauvre de France : 77 % des habitants sous le seuil de pauvreté, le taux de chômage est de 37 %. C'est aussi le plus jeune : la moitié de la population a moins de 20 ans.

L'archipel est confronté à des problèmes structurels, comme la pénurie d'eau. Il est aussi une destination de choix pour de nombreux Comoriens et Africains, qui sont avant tout des êtres humains cherchant une vie meilleure. On ne peut nier que cette immigration a de lourdes conséquences sur la société mahoraise, notamment en matière d'accès aux services publics.

Mayotte est déjà un département à part, avec de nombreuses exceptions en matière d'immigration. Ainsi, les titres de séjour délivrés ne sont valables qu'à Mayotte. Or ce projet de loi durcit encore le droit des étrangers : conditions plus strictes de délivrance des titres de séjour, condition d'entrée régulière pour les titres liés à l'immigration familiale, allongement de la durée de résidence pour l'obtention de certaines cartes de séjour.

Certes, moins d'immigrés obtiendront un titre, mais qu'est-ce qui les empêchera de venir ou de revenir une fois expulsés ? Interrogeons-nous sur les causes qui les poussent à risquer leur vie pour rejoindre la France. La question du développement des Comores doit être mise sur la table. Hélas, la France a amputé de 45 % son budget pour l'aide publique au développement...

L'article 7 prévoit le placement en rétention d'étrangers accompagnés d'enfants mineurs. Pourtant, après une dizaine de condamnations par la Cour européenne des droits de l'homme, la loi du 28 janvier 2024 avait posé un principe clair : des mineurs ne peuvent être placés en rétention. Certes, on prévoit des unités familiales et un délai maximal de 48 heures, mais est-ce compatible avec l'intérêt supérieur de l'enfant ? Permettez-moi d'en douter.

Je m'interroge tout autant sur le retrait de son titre de séjour à un parent dont l'enfant représente une menace potentielle pour l'ordre public. Indépendamment du flou de cette dernière notion, la réponse ne devrait-elle pas plutôt être éducative et sociale ?

D'autres mesures nous paraissent nécessaires, comme la transformation de la collectivité en Département-Région et le rapprochement avec le droit commun s'agissant du Smic et d'autres allocations.

En définitive, ce texte présente deux dimensions antinomiques. D'un côté, il vise à rapprocher Mayotte de la République et prévoit des investissements nécessaires de 3,2 milliards d'euros. De l'autre, il approfondit en matière de droit des étrangers des exceptions qui fragilisent l'indivisibilité de la République.

Le RDSE souhaite voter ce projet de loi, mais se déterminera en fonction des débats. (Applaudissements sur les travées du RDSE ; M. Marc Laménie applaudit également.)

Mme Lana Tetuanui .  - Après la Polynésie française la semaine dernière et Wallis-et-Futuna en début d'après-midi, nous voici à Mayotte. Courage, monsieur le ministre d'État... (Sourires)

Nos rangs sont quelque peu clairsemés, mais je remercie nos collègues présents.

Il aura fallu attendre pour examiner ce texte le passage d'un cyclone puis d'une tempête tropicale. Les Mahorais ont été profondément affectés dans leur vie quotidienne, et l'économie de l'île, déjà fragile, est à terre.

Ce texte est l'une des composantes du plan Mayotte debout présenté par le Gouvernement. Il prévoit des engagements pour la période 2025-2031, dont 3,2 milliards d'euros d'investissements. Ses propositions sont ambitieuses et attendues.

Mayotte subit une pression démographique très forte : sa population serait de 321 000 personnes selon l'Insee, mais ce chiffre est très en deçà de la réalité. La moitié de la population serait étrangère, dont la moitié en situation irrégulière. Il faut endiguer cette explosion démographique qui pèse sur les services publics et entraîne un chômage massif. Si nous ne faisons rien, la population atteindra 760 000 personnes en 2050.

Créé sous le gouvernement d'Édouard Balladur, le titre territorialisé est une spécificité de Mayotte. Je pense qu'il faut maintenir le dispositif en vigueur.

L'immigration familiale représente plus de 80 % des titres délivrés, majoritairement à des étrangers en situation irrégulière. Les mesures de durcissement proposées permettront de réguler davantage la délivrance de ces titres. Je n'ai pas peur de dire que ces mesures vont dans le bon sens ; elles sont attendues sur place et indispensables à la refondation.

La centralisation des actes de reconnaissance de paternité et de maternité à Mamoudzou permettra de mieux détecter les fraudes, bien trop nombreuses. De même, le retrait possible du titre d'un étranger dont l'enfant constitue une menace pour l'ordre public permettra de davantage responsabiliser les parents.

L'autre difficulté majeure à laquelle fait face Mayotte est l'habitat informel. Les trois quarts des logements étaient insalubres avant Chido. De nombreuses constructions sont dépourvues de fondations et situées sur des terrains exposés aux risques naturels. Alors que cet habitat a été détruit par le cyclone, la quasi-totalité a été reconstruite. Ne refaisons pas les mêmes erreurs. Hélas, le déficit de logements est structurel, avec un taux d'occupation de 130 %.

L'article 10 vise à faciliter la résorption de l'habitat informel en réduisant le délai d'exécution de l'ordre d'évacuation des bidonvilles d'un mois à quinze jours. Il faut lever les freins à la construction pour atteindre l'objectif de 24 000 logements en dix ans.

Le groupe Union centriste votera le projet de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains ; M. Marc Laménie applaudit également.)

Mme Evelyne Corbière Naminzo .  - Ces projets de loi comportent des mesures structurelles pour le développement de Mayotte. De telles mesures se font attendre depuis trop longtemps dans un département où le sous-investissement de l'État est général et où 77 % de la population vit sous le seuil de pauvreté -  cinq fois plus que dans l'Hexagone.

Mais l'inquiétude première du Gouvernement n'est pas de lutter contre la pauvreté ou d'assurer la justice sociale. Aveuglé par la question migratoire, il s'attache à faire de Mayotte une terre où l'on piétine les droits de l'homme et opprime certains enfants du fait de leurs origines. Améliorer la vie des Mahorais est secondaire pour lui. Pourtant, retirer des droits aux uns ne renforce pas ceux des autres !

Unités familiales pour enfermer les enfants, retrait des titres de séjour des parents dont l'enfant constitue une menace pour l'ordre public : le Gouvernement va toujours plus loin dans la répression, alors que Mayotte souffre de carences systémiques en matière de protection de l'enfance.

Aucune de vos mesures restreignant le droit du sol n'a endigué les flux migratoires ni amélioré la situation de l'île. En revanche, elles maintiennent les étrangers dans une insécurité juridique et une précarité administrative qui freinent leur intégration et nourrissent la haine de l'autre. L'accès aux soins s'en ressent aussi, alors qu'il devrait être universel dans un département marqué par une forte prévalence de maladies infectieuses. Trop souvent, les associations doivent pallier les carences de l'État.

Nous saluons la création d'une région et le classement de la totalité de l'île en QPV. Il faut avancer le plus vite possible vers la convergence sociale, alors que le RSA est encore inférieur de moitié à son niveau national. Ne reculez pas sur l'objectif : pas un jour plus tard que 2031 !

Je déplore le manque d'investissements pour la jeunesse dans un département où un habitant sur deux a moins de vingt ans. L'insertion professionnelle des jeunes doit être une priorité.

Enfin, la territorialisation des titres bloque les jeunes à Mayotte, sans solution pour se former. Monsieur le ministre d'État, si ce projet de loi, comme vous l'affirmez, a été élaboré en concertation avec les élus locaux, pourquoi ne pas répondre à la demande qu'ils expriment très largement en supprimant ce système ?

Il faudrait plus d'écoute du terrain et plus d'ambition dans les mesures. Le rattrapage ne peut se faire à moitié ! Ce projet de loi est dangereux pour les plus vulnérables et trop timide en matière sociale. Le groupe CRCE-K s'abstiendra donc. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K)

Mme Corinne Narassiguin .  - Après une première loi d'urgence, nous entamons cet après-midi l'examen de deux projets de loi dont nous ne pouvons que saluer l'objectif : répondre aux difficultés de Mayotte, qui s'accumulent depuis longtemps.

Certes, ce territoire est confronté à une très forte pression migratoire, mais c'est tout un système qu'il est urgent de revoir : système éducatif dépassé, accès à l'eau potable non assuré, logements insuffisants et précaires, manque d'emplois.

Nous avons tous été choqués par les propos du Président de la République, lançant à des Mahorais : « Si ce n'était pas la France, vous seriez 10 000 fois plus dans la merde », au moment où on leur distribuait des boîtes de sardines pour survivre. Mayotte fait pleinement partie de la République, mais, depuis longtemps, la République n'y est pas à la hauteur.

Monsieur le ministre d'État, nous savons bien que vous ne pourrez pas régler des problèmes aussi profonds d'un coup de baguette magique. Mais ne faites pas de la lutte contre l'immigration l'alpha et l'oméga de la reconstruction. Comoriens et Mahorais vivent ensemble depuis toujours : il est inutile et dangereux de chercher à les dresser les uns contre les autres.

Ce n'est pas agir pour la refondation de Mayotte que de durcir les conditions d'accès au séjour pour les parents d'enfants nés à Mayotte, maintenant ainsi toute la famille dans la précarité, ni d'autoriser l'enfermement des enfants dans des CRA déguisés.

D'autre part, en quoi expulser les habitants de leur logement, fût-il informel, sans obligation de relogement, servira-t-il la refondation de l'île ? Ce n'est pas en précarisant et en maltraitant la jeunesse de l'île que nous la reconstruirons.

Toutes les mesures visant à accompagner la mobilité des jeunes et les activités périscolaires, à assurer la convergence des droits sociaux et à moderniser le fonctionnement institutionnel vont dans le bon sens.

En revanche, s'il y a bien une demande unanime sur le territoire et qui n'est pas prise en compte par ce texte, c'est la fin des visas territorialisés, titres d'exception qui accentuent la pression migratoire sur l'île, entraînant prolifération des bidonvilles, saturation des services publics et dégradation accélérée de l'environnement. Il est totalement irrationnel de ne pas revenir sur ce dispositif.

Nous serons au rendez-vous pour reconstruire durablement Mayotte, mais pas à n'importe quelles conditions - et surtout pas avec des obsessions migratoires et contre l'intérêt de la jeunesse. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE-K et du RDSE)

M. Manuel Valls, ministre d'État, ministre des outre-mer.  - Oui, madame Tetuanui, j'aborde ce débat avec courage. Avec gravité, aussi, car Mayotte est confrontée à des défis majeurs.

Oui, madame la rapporteure Canayer, ce texte doit être articulé avec la stratégie de reconstruction que le général Facon me présentera demain matin et qui devra être partagée avec les élus et validée par le prochain Ciom, le 10 juillet.

Monsieur le rapporteur Bitz, la portée de l'article 2 ne doit pas être minimisée. Les titres familiaux représentent 83 % des titres de séjour.

Les mesures adoptées en commission en matière de suivi vont dans le bon sens. Nous avons besoin de développer une culture de l'évaluation et de l'efficacité.

Madame Jacques, vous soulignez à juste titre la défaillance de la gouvernance en matière de pêche. La zone économique exclusive représente pourtant une ressource importante. Mayotte doit avoir un comité des pêches de plein exercice et les pêcheurs arriver à se fédérer. Sur la politique de la ville, ma collègue Méadel a engagé un rattrapage, que nous accélérerons.

Monsieur Fouassin, vous jugez le chiffrage du tableau incomplet : le Gouvernement proposera par voie d'amendement de préciser les investissements. La zone franche globale, sur laquelle vous avez insisté, est un effort important - 18 millions d'euros - au service de l'emploi et de la croissance.

La refondation que nous engageons n'élude pas la dimension sociale, comme l'a prétendu Mme Vogel. La refondation est d'abord économique et sociale, mais elle ne sera pas possible sans résoudre les problèmes de fond qui minent le pacte social : l'immigration illégale et l'habitat illégal. La convergence sociale fait partie de la promesse républicaine ; elle était au coeur du plan Mayotte 2025, lancé par le président François Hollande en 2014 et que nous avions signé ensemble, monsieur Omar Oili.

Nous sommes encore loin de cette promesse républicaine, mais nous fixons des objectifs d'égalité républicaine sur les prestations sociales. Il serait démagogique de le promettre pour l'année prochaine ; mais, l'année prochaine, nous entamerons cette convergence.

Nouvel hôpital, nouvel institut de formation en soins infirmiers (Ifsi), fin de la rotation scolaire : ce sont autant d'ambitions sociales, articulés avec le développement économique. Cette méthode nous conduit à donner la priorité au travail et à la convergence du Smic.

La lutte contre l'immigration clandestine doit être une priorité - aucun Mahorais ne le conteste. Mais 700 millions d'euros sont prévus pour les constructions scolaires. En matière d'eau, nous avançons sur les infrastructures : usine de dessalement, réseaux, acquisition de foncier pour la troisième retenue collinaire, forages ; mais beaucoup reste à faire, notamment pour lutter contre les fuites.

Monsieur Omar Oili, l'inspection n'a pas achevé sa seconde phase. Je vous transmettrai les résultats de ses travaux en temps utile. Je n'ai rien à cacher.

Nous proposerons de compléter le volet programmation jusqu'à 4 milliards d'euros ; nous devrons ensuite affiner, année par année. C'est la première fois qu'une telle somme est engagée, avec une programmation.

Le PTZ est déployé, monsieur Omar Oili. Nous avons constaté des blocages du côté des banques, mais nous travaillons à les lever. Le préfet réunira les banques demain.

Dans le domaine de la pêche, si les choses n'avancent pas, c'est parce que l'administration maritime est affaiblie et que la filière peine à parler d'une seule voix - je compte sur les élus pour avancer.

M. Le Rudulier, Mme Tetuanui et M. Laménie ont apporté à notre démarche un soutien global et exigeant dont je les remercie. Oui, monsieur Le Rudulier, une partie de la stratégie ne dépend pas de la loi.

Madame Ramia, je partage votre analyse sur la nécessité d'un échéancier en matière de convergence ; c'est l'objet de l'article 15. Mais je pense qu'il serait contreproductif de renforcer le dispositif, déjà dérogatoire, en matière de CICE. Mieux vaut privilégier le déploiement du droit commun, notamment sur les allégements de cotisations.

Nous avons un désaccord sur l'article 19. Nous avons tenté de répondre aux inquiétudes des acteurs locaux. La mesure proposée permet de prendre possession de terrains pour ne pas ralentir les constructions, en respectant les droits existants sur ces terres.

Mesdames Briante Guillemont et Narassiguin, je comprends votre position, mais, de grâce, ne réduisez pas aux mesures relatives à l'immigration et à l'insécurité ce texte ambitieux, qui présente une stratégie globale.

L'article 7 permet le placement de mineurs dans des unités familiales pour 72 heures au plus. Hélas, de nombreux mineurs tentent la traversée en kwassa-kwassa. Il serait irresponsable de ne pas organiser leur prise en charge.

Non, la pauvreté et la justice sociale ne sont pas des enjeux oubliés par le Gouvernement. Nous refusons d'institutionnaliser les bidonvilles et voulons réduire les entrées illégales qui déstabilisent le système de soins, la cohésion sociale et le marché du travail. Et nous accélérons la convergence dès 2026.

Le débat sur les titres de séjour territorialisés doit être appréhendé dans sa globalité, avec le durcissement des conditions d'accès à la nationalité française à la suite de l'adoption d'une proposition de loi confortée par le Conseil constitutionnel. Vous connaissez ma position : je suis contre une remise en cause du droit du sol, mais je reconnais aussi que les mesures restrictives sont nécessaires à la mise en oeuvre de notre politique, sans qu'elles résolvent tous les problèmes. Nous agissons aussi pour renforcer les moyens de détection et d'interception.

Madame Narassiguin, vous avez mis en cause le Président de la République. Il s'est rendu à Mayotte par deux fois. Je puis vous dire qu'il est engagé pour protéger les Mahorais et répondre à leur exigence légitime d'être considérés comme des citoyens français à part entière.

Notre réponse est globale et vise la plus grande efficacité. Je ne doute pas que le texte sera encore amélioré par nos débats. Même si le sujet est grave, je me réjouis de travailler avec vous. (Applaudissements sur les travées du RDPI ; M. Marc Laménie applaudit également.)

Prochaine séance demain, mardi 20 mai 2025, à 9 h 30.

La séance est levée à 20 h 05.

Pour le Directeur des Comptes rendus du Sénat,

Rosalie Delpech

Chef de publication

Ordre du jour du mardi 20 mai 2025

Séance publique

À 9 h 30, à 14 h 30 et le soir

Présidence : M. Alain Marc, vice-président, Mme Sylvie Vermeillet, vice-présidente, Mme Sylvie Robert, vice-présidente, M. Loïc Hervé, vice-président

Secrétaires : Mme Catherine Di Folco M. Guy Benarroche

1Questions orales

2Une convention internationale examinée selon la procédure d'examen simplifié :

=> Projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, autorisant l'approbation de l'accord-cadre entre le Gouvernement de la République française et les Nations unies portant sur les arrangements relatifs aux privilèges et immunités ainsi que d'autres questions afférentes aux réunions des Nations unies tenues sur le territoire français (texte de la commission, n°590, 2024-2025)

3. Suite du projet de loi de programmation pour la refondation de Mayotte (procédure accélérée) (texte de la commission, n°613 rect, 2024-2025) et du projet de loi organique relatif au Département-Région de Mayotte (procédure accélérée) (texte de la commission, n°614, 2024-2025) (discussion des articles)