SÉANCE
du mercredi 21 mai 2025
93e séance de la session ordinaire 2024-2025
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires : Mme Nicole Bonnefoy, Mme Sonia de La Provôté.
La séance est ouverte à 15 heures.
Questions d'actualité
M. le président. - L'ordre du jour appelle les questions d'actualité au Gouvernement.
Je vous rappelle que la séance est retransmise en direct sur Public Sénat et sur notre site internet.
Chacun sera attentif au respect des uns et des autres et du temps de parole.
Gaza (I)
Mme Maryse Carrère . - (Applaudissements sur les travées du RDSE et sur quelques travées du groupe UC) Plus de doute : le risque de famine n'a jamais été aussi fort à Gaza. Selon l'OMS, deux millions de Palestiniens seront affamés si rien n'est fait rapidement. Il faut y ajouter les dizaines de milliers de morts des bombardements de Tsahal depuis bientôt trente-six mois.
Le gouvernement israélien crée délibérément les conditions d'un désastre humanitaire.
Benyamin Netanyahu envoie les chariots de Gédéon, et, en même temps, bloque l'aide humanitaire. Il n'apporte pas la vie, il charrie la mort.
Personne n'oublie les odieux attentats du 7 octobre 2023. Pourtant, l'objectif de guerre - décimer le Hamas - s'est élargi. Désormais, c'est l'ensemble de la population palestinienne qui est visée.
Une seule ouverture à ce stade : mon groupe observe avec satisfaction l'intensification des critiques et la mobilisation à l'échelle internationale.
Le ministre de l'Europe et des affaires étrangères a qualifié Gaza de mouroir. Nous devons poursuivre nos initiatives pour la paix. Plusieurs dirigeants se mobilisent. Je salue la demande de révision de l'accord d'association entre l'Union européenne et Israël.
Reste à intensifier la pression sur les acteurs du Moyen-Orient qui manquent à leurs obligations.
Comment la France compte-t-elle agir ? Le RDSE est attaché à la défense des droits de l'homme. Supporterions-nous un tel drame humanitaire aux portes de l'Europe ? (Applaudissements à gauche, sur les travées du RDSE et sur quelques travées des groupes INDEP et UC)
M. François Bayrou, Premier ministre . - Vous avez énoncé clairement et avec émotion la situation. La France a exprimé la même chose. Nous voyons Gaza dans une situation humanitaire effroyable : risque de famine, manque d'accès à l'eau potable, pénurie de médicaments.
Nous voyons des perspectives de guerre, avec l'annonce par le gouvernement israélien d'une nouvelle offensive, avec le risque de déplacements de population et d'annexion. La France ne peut l'accepter.
Que la France, le Royaume-Uni, compte tenu de leur histoire dans la région, le Canada, annoncent qu'ils reconnaîtront l'État de Palestine, dans le cadre d'une solution à deux États, a une signification majeure.
Depuis deux jours, une infime quantité d'aide humanitaire a pu entrer. Notre action, inlassablement, va dans ce sens ; c'est aussi le cas à l'échelle européenne, puisque la question des accords entre l'Union européenne et Israël est remise sur le métier.
Nous voulons mobiliser l'action internationale, sans jamais oublier que cette explosion a eu un détonateur : le pogrom du 7 octobre.
Nous avons une vision équilibrée et volontariste pour l'avenir de la région. (Applaudissements sur les travées du RDPI et sur quelques travées du groupe UC)
Eaux en bouteille (I)
M. Alexandre Ouizille . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST) Lundi, j'ai eu l'honneur de présenter le rapport de notre commission d'enquête, « Eaux minérales naturelles : préserver la pureté ». Je salue la présidence efficace et sénatoriale de Laurent Burgoa (applaudissements à droite, ainsi que sur quelques travées du groupe SER), les travaux pionniers d'Antoinette Guhl (applaudissements sur les travées du GEST), l'énergie d'Hervé Gillé, ainsi que tous les membres de la commission.
Lundi, l'heure était aux révélations, mais aussi aux recommandations ; nous avons formulé 28 propositions très précises.
Une révélation a particulièrement ému l'opinion. Le caviardage d'un rapport de l'ARS Occitanie, écrit sous la dictée de Nestlé Waters, a été tel que le fonctionnaire instructeur a demandé le retrait de sa signature.
Le rapport montre la logique transactionnelle adoptée par l'État, jusqu'à l'Élysée, qui a choisi de ne pas révéler le scandale aux Français et de valider des traitements contraires au droit européen - qui, de surcroît, apportent une fausse sécurité sanitaire, selon l'Igas.
C'est un État ensablé dont nous avons retracé la conduite, même si certains fonctionnaires ont fait leur travail : je salue l'action du directeur de l'Anses et du directeur général de la santé, Jérôme Salomon.
Madame la ministre, nous avons besoin de vous. D'une part, certaines réformes relèvent du pouvoir réglementaire. D'autre part, nous comptons déposer une proposition de loi après ce travail transpartisan : nous aurons besoin du soutien du Gouvernement pour mettre un terme à ce scandale. (Applaudissements sur les travées du groupe SER, ainsi que sur quelques travées du GEST et du groupe UC ; M. Laurent Burgoa applaudit également.)
Mme Véronique Louwagie, ministre déléguée chargée du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises et de l'économie sociale et solidaire . - Je m'associe à vos remerciements et félicite les membres de la commission d'enquête pour la qualité de leur travail.
Votre rapport dresse un état des lieux et met en lumière les enjeux liés à la préservation des ressources et de la qualité de l'eau. La réglementation doit être plus précise et les contrôles renforcés.
Le Gouvernement rappelle son attachement à la sécurité sanitaire des eaux mises sur le marché. L'eau est l'un des aliments les plus contrôlés en France et sa qualité est très satisfaisante. Plus de 150 000 analyses sont réalisées chaque année par les ARS. (M. Laurent Burgoa lève les yeux au ciel.)
Cela dit, des améliorations s'imposent. Comme s'y est engagé le directeur général de la santé, le ministère diffusera dans quelques jours une circulaire aux ARS pour clarifier la doctrine applicable aux microfiltrations.
Votre commission d'enquête suggère que l'Anses soit saisie rapidement pour se prononcer sur ces pratiques. C'est pertinent : le Gouvernement la saisira.
Vous appelez de vos voeux des dispositions législatives et réglementaires : le Gouvernement est engagé en ce sens.
Nous saisirons la Commission européenne pour une possible révision de la directive Eau potable. (M. Alexandre Ouizille apprécie ; applaudissements sur quelques travées du RDPI)
Gaza (II)
M. Ian Brossat . - « Israël prendra le contrôle de toute la bande de Gaza », a déclaré le Premier ministre israélien d'extrême droite, Benyamin Netanyahu. Ce n'est plus une menace, c'est une promesse, celle d'une domination totale par la force, la terreur et la destruction. Ce week-end encore, plus de cent morts, des familles pulvérisées, des enfants ensevelis sous les gravats. De prison à ciel ouvert, Gaza est devenu un cimetière à ciel ouvert. (M. Roger Karoutchi manifeste sa désapprobation.)
La famine s'installe, il n'y a plus d'eau, plus d'électricité, plus de soins. Depuis le 2 mai, Israël bloque toute aide humanitaire. Or, sans aide dans les 48 heures, 14 000 nourrissons pourraient mourir. Ce n'est pas une guerre, c'est un siège.
En janvier 2024, la Cour internationale de justice a exigé des mesures d'urgence pour prévenir un génocide - ce sont ses mots. En juin dernier, une commission d'enquête de l'ONU a conclu à des crimes de guerre et à des crimes contre l'humanité. En novembre, la Cour pénale internationale a émis un mandat d'arrêt international contre Benyamin Netanyahu.
Face à cela, que font la France et l'Union européenne ? Le Président de la République veut reconnaître l'État de Palestine, mais que vaudra cette reconnaissance si Netanyahu parvient à ses fins ? Un drapeau planté sur un charnier ? Combien d'images insoutenables avant que la France ne prenne ses responsabilités ? Que fait la France pour mettre Benyamin Netanyahu hors d'état de nuire ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K et du GEST, ainsi que sur plusieurs travées du groupe SER ; M. Ahmed Laouedj applaudit également.)
M. Laurent Saint-Martin, ministre délégué chargé du commerce extérieur et des Français de l'étranger . - Cimetière à ciel ouvert : c'est effectivement une violence aveugle et un blocage de l'aide humanitaire qui transforment Gaza en mouroir. La famine se lit sur le corps des enfants, la terreur dans les yeux des parents.
Le Premier ministre l'a dit : ne relativisons pas le 7 octobre et la responsabilité historique et immense du Hamas. La responsabilité de la France est aussi de rappeler que le Hamas doit être désarmé ; il doit libérer les otages (M. Roger Karoutchi acquiesce), il doit être écarté de toute administration de Gaza. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe INDEP ; Mmes Cécile Cukierman et Raymonde Poncet Monge protestent.)
Ce n'est pas faire offense au peuple d'Israël que de dire que le gouvernement israélien hypothèque la sécurité, à commencer par la sienne. La paix se construit sur le respect et le dialogue, non sur l'injustice et la violence. Cette semaine, le Canada et le Royaume-Uni ont emboîté le pas à la France pour oeuvrer en faveur d'une solution à deux États vivant en paix côte à côte. La France est déterminée à reconnaître l'État de Palestine. (Applaudissements sur les travées du RDPI)
Non-certification des comptes de la Cnaf (I)
M. Guislain Cambier . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; M. Vincent Louault applaudit également.) 6,3 milliards d'euros : c'est le montant des erreurs non corrigées de la branche famille de la sécurité sociale. Logiquement, la Cour des comptes n'a pas certifié les comptes de la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf). Retour vers le futur : en 2022 et en 2023, c'était la même chose.
Dans ces 6,3 milliards d'euros, on trouve autant de versements indus que de prestations non versées.
Alors que le Premier ministre a fait de la réduction de la dette sa priorité, nous sommes nombreux à nous poser la question du pilotage de cette politique qui concerne plus de treize millions de familles. Les erreurs représentent 8 % des prestations versées. Plus du quart des montants versés au titre de la prime d'activité est entaché d'erreurs.
Le Gouvernement ne peut rester inactif. Que comptez-vous faire pour sincériser les comptes de la branche famille de la sécurité sociale ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC)
Mme Amélie de Montchalin, ministre chargée des comptes publics . - Cette situation est incompréhensible pour les Français et insatisfaisante pour nous tous, à commencer par Mme Vautrin et moi-même.
Nous voulons mettre de l'ordre dans nos comptes et simplifier le système de prestation sociale, grâce à l'allocation sociale unique.
Vous l'avez dit : la non-certification s'explique à la fois par des versements indus et par des prestations non versées.
Depuis le 1er mars 2025, nous avons structurellement changé les choses avec la solidarité à la source, c'est-à-dire le préremplissage automatique des déclarations : l'administration remplit, le citoyen contrôle, à l'instar de ce qui se fait pour les déclarations d'impôts - c'est d'ailleurs la saison ! Dans 96 à 98 % des cas, le citoyen valide la proposition qui lui est faite.
Nous souhaitons que la Cour des comptes constate une amélioration significative pour l'exercice en cours. Nous ferons des économies sur les versements indus, mais pourrons aussi verser les prestations auxquelles les Français ont droit, et, partant, réduire le non-recours.
Nous travaillons aussi d'arrache-pied pour lutter contre la fraude. L'an dernier, la détection des fraudes à la sécurité social a progressé de 30 %, soit 3 milliards d'euros. Nous poursuivrons l'effort. (Applaudissements sur les travées du RDPI et sur quelques travées du groupe UC)
M. Guislain Cambier. - Lisez les travaux de Mme Goulet sur la fraude, ceux de Mme Doineau sur l'équilibre des comptes sociaux ! (Mmes Nathalie Goulet et Élisabeth Doineau apprécient.) Vous avez là des pistes intéressantes pour ne pas laisser filer nos comptes, et les suivre au quotidien ! (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur quelques travées du groupe INDEP)
Scandale Nestlé
Mme Antoinette Guhl . - (Applaudissements sur les travées du GEST ; Mme Colombe Brossel et M. Alexandre Ouizille applaudissent également.) Si je devais résumer en deux minutes une année d'auditions, je dirais : construction du mensonge, fabrication du doute savamment orchestré, complicité des autorités, opacité totale.
Vous me direz : tout est sous contrôle. Oui, beaucoup de fonctionnaires ont bien fait leur travail. Ils ont contrôlé, constaté, alerté ; d'autres ont enquêté, révélé : je salue le travail de la cellule d'investigation de Radio France et du journal Le Monde. Sans eux, nous n'aurions pas compris le scénario si bien ficelé, écrit de bout en bout par un industriel avec la complicité de vos cabinets, selon lequel il n'y a pas eu de danger sanitaire.
C'est une stratégie de gros sous et un chantage à l'emploi pour mieux piller la ressource en eau, notre patrimoine commun. Une eau vendue au mépris du consommateur, bien trop chère pour de l'eau traitée et exportée aux États-Unis - sans aucune taxe de surcroît.
Je le dis sans ambages : c'est un scandale d'État, un scandale sanitaire, un scandale démocratique et un saccage écologique.
Comment se peut-il que notre État soit si peu résistant aux lobbies ? Pourquoi les gouvernements successifs ont-ils couvert une entreprise qui ne respecte ni la réglementation, ni ses salariés, ni la ressource en eau, ni même ses consommateurs ? (Applaudissements sur les travées du GEST et sur quelques travées des groupes SER et CRCE-K)
Mme Véronique Louwagie, ministre déléguée chargée du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises et de l'économie sociale et solidaire . - Je salue votre travail et la qualité de votre rapport de 2024, qui ont constitué les prémices de la commission d'enquête. Vous avez émis dix recommandations dont le Gouvernement tiendra compte, en sus des vingt-huit recommandations de la commission d'enquête.
Je le répète : il n'y a aucun risque sanitaire. C'est simplement une question de loyauté vis-à-vis de la réglementation. Je le redis : il n'y a pas de scandale d'État - soyons attentifs aux mots. Derrière, il y a des emplois, et je veux respecter le personnel. Les mots ne doivent pas être blessants à leur égard. (On s'indigne sur les travées du GEST et du groupe SER ; M. Laurent Burgoa acquiesce.)
Le 7 mai dernier, le préfet du Gard a mis en demeure Nestlé de retirer sous deux mois son microfiltre, qui modifie le microbisme de l'eau.
Des signalements ont été faits à la justice entre 2022 et 2025. Nous en attendons les résultats.
Un travail de coordination a été engagé entre le ministère de l'économie et celui de la santé.
Toutes les décisions prises dans ce dossier l'ont été à l'issue d'échanges entre l'administration et les cabinets ministériels. (M. François Patriat applaudit ; on ironise sur les travées du GEST.)
M. Yannick Jadot. - Et aussi avec Nestlé ?
Eaux en bouteille (II)
M. Laurent Burgoa . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) J'ai eu l'honneur de présider la commission d'enquête créée à l'initiative du groupe SER, dont le rapport précis d'Alexandre Ouizille a été adopté à l'unanimité. (M. Alexandre Ouizille apprécie.)
D'abord, l'État compte-t-il enfin établir une norme en matière de microfiltration ? L'absence de base juridique claire handicape ceux qui sont chargés de faire respecter les règles sanitaires et crée de l'incertitude pour les minéraliers - qui sont neuf sur dix à respecter l'éthique du métier.
Ensuite, le Gouvernement envisage-t-il d'harmoniser la fiscalité entre les eaux minérales et les eaux de boisson ? Les collectivités territoriales où les sources sont exploitées expriment leur incompréhension légitime.
Enfin, quelles actions seront engagées pour assurer un meilleur suivi de la qualité des nappes ? Il y a besoin de transparence, mais aussi de financements - davantage privés que publics.
Madame Guhl, jamais l'expression « scandale d'État » n'a été utilisée dans notre rapport. Les mots ont un sens, attention à ne pas stigmatiser toute une profession. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe UC ; Mme Corinne Bourcier et M. Alain Marc applaudissent également.)
Mme Véronique Louwagie, ministre déléguée chargée du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises et de l'économie sociale et solidaire . - Je remercie la commission d'enquête de ses travaux auxquels vous avez contribué en tant que président. Vous avez souligné des failles et fait des recommandations.
Votre première demande porte sur la microfiltration. Sachez que le ministère de la santé diffusera une instruction dans quelques jours pour clarifier notre doctrine. L'Anses sera prochainement saisie pour se prononcer scientifiquement sur les pratiques acceptables de microfiltration - celles qui ne dénaturent pas le microbisme de l'eau. Le ministère de la santé saisira la Commission européenne sur la possibilité de réviser la directive européenne sur la pureté originelle et la microfiltration, afin d'harmoniser les réglementations.
Par ailleurs, nous travaillerons sur la fiscalité de l'eau au travers des conférences territorialisées de l'eau, lancées le 7 mai dernier, qui aborderont notamment l'enjeu du partage de la ressource.
Le Gouvernement veut associer les parlementaires, mais aussi les collectivités territoriales, les industriels et les usagers aux réflexions sur la protection des nappes phréatiques.
Je propose de vous recevoir prochainement, avec le rapporteur de la commission d'enquête, pour étudier vos recommandations. (M. François Patriat applaudit.)
Partenariat stratégique entre Londres et l'Union européenne sur la pêche
Mme Nadège Havet . - (Applaudissements sur les travées du RDPI) Depuis plusieurs années, le secteur de la pêche connaît de grandes difficultés : fermeture administrative du golfe de Gascogne, tarifs des carburants, tensions sur les zones de pêche, éoliennes en mer, pression des ONG... Sans parler du Brexit : nous nous souvenons de la bataille pour obtenir les licences de pêche !
Cinq ans plus tard, nous aboutissons enfin à un accord, dans le cadre des négociations bilatérales entre le Royaume-Uni et l'Union européenne, grâce à votre mobilisation : des concessions britanniques ont été obtenues, bonne nouvelle ! Alors que l'accès aux eaux britanniques s'arrêtait en 2026, vous avez obtenu une prolongation. Pouvez-vous nous détailler les termes de cet accord, ainsi que ses conséquences pour les pêcheurs ? (Applaudissements sur les travées du RDPI ; M. Vincent Louault applaudit également.)
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche . - C'est une grande victoire de la France et de l'Union européenne. Cette négociation a beaucoup inquiété les pêcheurs et les élus des communes littorales. Cet accord, fruit d'un long travail collectif, pour lequel je n'ai pas ménagé ma peine, prolonge jusqu'en 2038 l'accès aux ressources maritimes britanniques. En un mot : nous avons sécurisé l'avenir de notre filière. C'est une victoire pour les pêcheurs, pour les territoires littoraux, pour la diplomatie française et pour le Gouvernement, qui n'a jamais cédé sur les principes essentiels : stabilité, prévisibilité, respect de nos droits historiques.
Les parlementaires, français et européens, ont aussi su faire entendre la voix de la pêche dans les enceintes européennes et dans le dialogue bilatéral, merci à eux. Je salue également la mobilisation constante des présidents de région. La pêche n'est pas une variable d'ajustement, mais une composante vitale de notre souveraineté alimentaire et de notre économie maritime.
Quand l'Europe parle d'une voix unie et forte, elle est respectée. Aucun État membre n'aurait, isolément, pu arracher seul un tel résultat. C'est ensemble que nous avons pu stabiliser les règles pour plus d'une décennie. Nous continuerons à défendre avec la même détermination les intérêts de notre filière, y compris au niveau européen. (Applaudissements sur quelques travées du RDPI)
Mme Nadège Havet. - Alors que la conférence des Nations unies sur l'Océan ouvrira bientôt, protégeons nos pêcheurs : ce sont des modèles et non des boucs émissaires. (Applaudissements sur les travées du RDPI et des groupes INDEP et UC)
Fermetures de classes
Mme Laure Darcos . - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP) Les inspections d'académie vont bientôt achever leur travail sur la carte scolaire de la prochaine rentrée. Dans de nombreuses communes, la sanction sera cinglante.
Le dialogue entre les maires et l'éducation nationale vire trop souvent au cauchemar. Les élus sont à peine consultés et leur avis ne pèse rien.
Dans mon département de l'Essonne, mais aussi dans le Nord, en Indre-et-Loire, dans la Marne, dans la Loire, en Loire-Atlantique, partout la même politique de rationalisation des moyens, sans prise en compte des enjeux des territoires ruraux.
Comment croire que la qualité de l'enseignement restera identique ? La pression sur des enseignants avec des classes à trois, voire quatre niveaux, sera trop forte.
Vous me répondrez probablement : démographie... Mais la baisse démographique n'est-elle pas une aubaine pour réduire les effectifs, comme dans les REP et REP+ ?
Les inspections académiques sauront-elles s'adapter à l'évolution du nombre d'élèves en cours d'année ? Un dialogue soutenu avec les élus locaux est nécessaire : êtes-vous prêts à leur laisser plus de place ? Il faut assurer un avenir à nos campagnes ! (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP, ainsi que sur quelques travées des groupes UC et Les Républicains ; bravos sur plusieurs travées à droite)
M. Philippe Baptiste, ministre chargé de l'enseignement supérieur et de la recherche . - La carte scolaire est un sujet particulièrement important pour le ministère. Nous constatons une forte baisse démographique : lors de la rentrée 2025, on comptait 93 000 élèves en moins, dont 80 000 dans le premier degré. Le nombre moyen d'élèves par classe va atteindre un plus bas historique, à 21 élèves.
La dotation de votre département, l'Essonne, prévoit la création de 19 postes, malgré 380 élèves de moins. Nous mettons bien la baisse démographique au service de la réussite de tous les élèves et de la réduction des inégalités sociales et territoriales.
M. Stéphane Sautarel. - C'est faux !
M. Philippe Baptiste, ministre. - Un travail conjoint doit avoir lieu entre les inspections académiques et les élus. C'est le sens des observatoires des dynamiques locales, mis en place par Élisabeth Borne, alors Première ministre.
M. Stéphane Sautarel. - Foutaises !
M. Philippe Baptiste, ministre. - Cette instance permet de partager avec l'ensemble des acteurs concernés les prévisions d'effectifs sur trois ans et de travailler sur les ouvertures et les fermetures de classes, en associant étroitement les élus.
M. Thierry Cozic. - Ce n'est pas vrai.
M. Philippe Baptiste, ministre. - C'est dans ce cadre que la ministre d'État a signé une convention avec l'AMF.
Ingérences chinoises
Mme Jacqueline Eustache-Brinio . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Par deux fois, le Sénat s'est montré inquiet de l'influence chinoise, qui n'épargne ni l'Hexagone ni nos outre-mer.
Trouvez-vous normal que le musée Guimet supprime le mot « Tibet » de son répertoire ? Trouvez-vous normal qu'on laisse agir les instituts Confucius dans nos universités ? Trouvez-vous normal qu'au large de la Guyane, nos fonds marins soient ravagés pour faire plaisir aux amateurs chinois de courbine ? Trouvez-vous normal que des formes de colonialisme se développent dans le Pacifique, comme l'a dit le ministre Valls ? Ne pas s'en inquiéter serait irresponsable pour l'avenir de nos territoires ultramarins, de nos universités, entre autres.
Vous avez certainement pris connaissance du rapport de la commission d'enquête dont le rapporteur était Rachid Temal et le président Dominique de Legge. J'ose espérer qu'une tolérance passive ne sévit pas au Quai d'Orsay : une cellule y a-t-elle été mise en place pour lutter contre ces influences chinoises ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Olivier Cadic applaudit également.)
M. Laurent Saint-Martin, ministre délégué chargé du commerce extérieur et des Français de l'étranger . - Vous avez raison de soulever ce sujet de l'ingérence étrangère, qui peut cibler la métropole, mais aussi les outre-mer, notamment la Polynésie. (Mme Lana Tetuanui s'exclame.)
Je veux vous rassurer : les pouvoirs publics agissent. Il s'agit d'enjeux culturels, mais aussi économiques sensibles. Sous l'impulsion du Président de la République, nous avons significativement renforcé nos moyens : augmentation des capacités d'analyse et de surveillance de nos services de renseignement ; contrôle accru des financements étrangers des associations, notamment via la loi confortant le respect des principes de la République ; dialogue renforcé avec les établissements d'enseignement supérieur et les collectivités territoriales ; pilotage de la coordination interministérielle par le secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN).
La France reste ouverte aux échanges internationaux. Ce n'est pas se replier que d'agir en défensif dans ce domaine. Ni naïfs ni inattentifs, nous continuerons à agir pour protéger notre indépendance et notre débat démocratique. (Applaudissements sur quelques travées du RDPI)
Taxation des petits colis
M. Rémi Cardon . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Sur le ring du commerce mondial, le match est truqué : Jennyfer est balayé, tandis que Shein et Temu, géants du e-commerce chinois, sont dopés par des produits à bas coût et polluants. Et vous, madame la ministre, prétendue arbitre, que faites-vous ?
Pas moins de 1 000 salariés sont licenciés chez Jennyfer ce mois-ci, après les 2 100 de Camaïeu en 2022. Et Shein fait un milliard d'euros de chiffre d'affaires, sans impôts ni contraintes.
C'est un triple scandale : social, écologique et fiscal. Nos entreprises paient, eux contournent. Nos salariés sont licenciés, eux livrent. Nos normes contraignent, eux prospèrent.
Il est temps d'en finir avec la naïveté. Il faut une réponse européenne ferme, rapide et juste, et imposer aux géants du numérique les mêmes règles qu'à nos commerces de proximité. Qu'attendez-vous pour défendre l'emploi, la transition écologique et la justice fiscale ? (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE-K ; M. Pierre Jean Rochette et Mme Vanina Paoli-Gagin applaudissent également.)
Mme Véronique Louwagie, ministre déléguée chargée du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises et de l'économie sociale et solidaire . - Vous avez donné les chiffres : 22 % des colis distribués par La Poste viennent de plateformes asiatiques ; 7 000 nouvelles références textiles sont proposées chaque jour ; 1,5 million de colis arrivent par an en France.
Oui, le fret aérien a un impact environnemental cent fois supérieur au fret maritime. L'impact est aussi social et économique. Cette concurrence déloyale fragilise notre commerce physique.
Nous avons sonné la mobilisation générale. J'ai demandé à la DGCCRF de tripler les contrôles émanant de ces plateformes ; ils seront désormais effectués à 360 degrés ; dès qu'une faille est établie chez un petit acteur, les mêmes segments seront analysés chez les gros acteurs.
Avec Amélie de Montchalin, j'ai renforcé la coordination entre les douanes et la DGCCRF. Avec Agnès Pannier-Runacher, j'ai demandé à examiner la proposition de loi Fast fashion dès début juin ; nous avons défendu des dispositions plus robustes.
Au niveau européen, nous oeuvrons pour que l'exemption des petits colis jusqu'à 150 euros soit revue, et nous avons obtenu que la Commission européenne propose une taxe de 2 euros sur les colis.
M. Rémi Cardon. - Merci de votre réponse... mais c'est totalement insuffisant. Deux euros par colis, cela ne dissuadera personne.
Shein fait 1 milliard d'euros de chiffre d'affaires et ne paie que 0,02 % d'impôts ! C'est le patron de la coopérative U qui le dit.
Ce Gouvernement fait de la fast fashion sa ligne politique : tout pour l'image, rien pour la durabilité. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE-K et sur quelques travées du GEST)
Non-certification des comptes de la Cnaf (II)
M. Philippe Mouiller . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme Anne-Sophie Romagny applaudit également.) J'irai au-delà de la question posée par Guislain Cambier, et insisterai sur les dysfonctionnements de la branche famille. (M. Yannick Jadot ironise.)
C'est la troisième année consécutive que les comptes de la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf) ne sont pas certifiés ; on nous avait promis des solutions, alors accélérez ! Ensuite, le système d'information est défaillant, et soumis à de nombreuses attaques, sans parler de l'annulation fiscale - 2 millions de reçus fiscaux ne peuvent être émis ; c'est un vrai dysfonctionnement. Enfin, les contrôles ont baissé de 7 % sur la branche famille ; nous n'avons pas d'outils de suivi adaptés, il est donc extrêmement difficile de mettre en place une politique de lutte contre la fraude.
Comment expliquer aux Français que l'on va devoir collectivement faire des efforts, alors que l'on n'a pas les outils suffisants pour contrôler les aides au logement et le RSA ?
Il faut être extrêmement transparent. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Mathieu Darnaud. - Très bien !
Mme Amélie de Montchalin, ministre chargée des comptes publics . - La question de la fraude a connu un épisode malheureux. Avant l'entrée en fonction de ce gouvernement, vous avez voté, députés et sénateurs, diverses mesures dans la LFSS pour 2025, dont l'échange de données entre complémentaires et sécurité sociale, la réforme du service médical, l'harmonisation de pratiques entre départements, que malheureusement le Conseil constitutionnel a considérées comme des cavaliers.
Nos outils contre la fraude fiscale ont beaucoup progressé, dont les gels et les saisies. L'Office national anti-fraude (Onaf) a saisi l'an dernier 600 millions d'euros.
Il est absolument intolérable qu'il soit plus facile de frauder la sécurité sociale plutôt que le fisc. À la fin, c'est toujours le même portefeuille, celui des Français. Nous devons appliquer les mêmes mesures et la même réactivité dans la sphère sociale que dans la sphère fiscale.
Nous avons détecté 1,6 milliard d'euros de fraudes au titre du travail dissimulé et 2,9 milliards d'euros de fraudes dans la sphère sociale. Il faut bloquer l'argent et le saisir. Tracfin le montre : une partie de cet argent est captée par la criminalité, et envoyée à l'étranger. Notre détermination est totale et nous avons besoin d'outils législatifs renforcés. (M. François Patriat applaudit.)
M. Philippe Mouiller. - Défendons ensemble une proposition de loi sur les outils de lutte contre la fraude, afin d'éviter tout cavalier en PLFSS. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Tout à fait !
Harcèlement et sévices dans l'armée
Mme Jocelyne Guidez . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) « Ils ont décidé de me briser » : ces mots sont ceux de Clovis Tritto, du 8e régiment de parachutistes d'infanterie de marine (RPIMa) de Castres. Ces derniers jours, quatre militaires ont déposé plainte, décrivant un climat de soumission où l'autorité se confondait avec la brutalité.
Soyons clairs, il ne s'agit pas de salir l'image de notre armée : nos cadres sous-officiers et officiers servent avec honneur. Nos armées forment la jeunesse à l'engagement. Cette autorité est précieuse, elle fait la force, la fierté, l'identité et l'attractivité de nos armées. Mais l'autorité n'autorise pas les sévices, pas plus que la tradition ne saurait excuser la maltraitance.
Les abus et les drames existent. Les militaires aussi peuvent subir un mal-être, une dépression, d'autant plus s'il y a harcèlement.
Je pense à Louis Tinnard, jeune militaire de 20 ans qui s'est suicidé dans sa caserne en 2022, et dont la mort a été reconnue comme accident de service.
Quelles dispositions seront mises en place pour garantir à nos jeunes volontaires un encadrement sûr et digne des valeurs de la République et de nos armées ? Comment mieux accompagner nos soldats ? Quand l'engagement devient souffrance, nous ne pouvons rester dans l'indifférence. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur quelques travées des groupes INDEP et SER)
M. Sébastien Lecornu, ministre des armées . - Je partage votre émotion et la tonalité de votre intervention. Nous aussi avons été en colère lorsque nous avons pris connaissance de ces faits.
Avec empathie et rigueur, je souhaite vous dire que nous devons tout d'abord respecter la parole des victimes, c'est-à-dire la prendre en compte. Ensuite, nous les accompagnons ; on a parlé à tort du #MeToo des armées, mais, il est vrai, nous n'avons pas toujours été à la hauteur. C'est pourquoi nous avons pris des mesures correctives.
Le chef d'état-major de l'armée de terre a été saisi. L'officier a un devoir de protection par son commandement, tout comme il a un devoir de protection envers ses subordonnés.
Ensuite, l'enquête de commandement n'écarte pas la juste collaboration avec l'enquête judiciaire - il est arrivé que l'armée s'en contente. L'article 40 du code de procédure pénale s'applique aux militaires.
Il faut enfin savoir punir : la tentation a pu être d'éloigner les victimes, pour dire les choses pudiquement, et non les auteurs. L'institution doit savoir se débarrasser des canards boiteux.
En aucun cas, des dérives individuelles ne doivent porter atteinte à la réputation de l'institution militaire dans son ensemble. (M. François Patriat applaudit.)
M. Bruno Sido. - Très bien.
Mme Jocelyne Guidez. - Merci pour votre réponse très claire. Un soldat en souffrance n'est pas un bon soldat. L'autorité naturelle d'un bon cadre ne résidera jamais dans l'humiliation. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP)
Rapport sur les Frères musulmans
M. André Reichardt . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Ce matin, le Conseil de défense s'est réuni pour examiner un rapport sur les Frères musulmans, rédigé par le préfet Pascal Courtade et l'ambassadeur François Gouyette.
Le travail d'analyse a duré plusieurs mois. Le rapport brosserait le tableau effrayant d'un pays - le nôtre, la France -, miné de l'intérieur par une confrérie qui a déployé un important réseau, composé de lieux de culte, d'associations, d'écosystèmes complets qui investissent nos quartiers et nos villes, à bas bruit et très efficacement, le tout alimenté par des financements étrangers. Son objectif ? La prééminence de la loi coranique sur les lois de la République, rien de moins.
Vous avez dit, monsieur le ministre, que ce rapport est accablant, alarmant. Pourriez-vous nous en dire plus ? Quelle suite entend donner le Gouvernement à ce constat effrayant ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; on ironise à gauche.)
M. Bruno Retailleau, ministre d'État, ministre de l'intérieur . - Ce rapport est alarmant, bien sûr. Il faut séparer l'islamisme d'une pratique de l'islam compatible avec la République. Je note à ce propos que les pays les plus durs avec les Frères musulmans sont les pays musulmans, et non les démocraties occidentales !
M. Loïc Hervé. - Très bien !
M. Bruno Retailleau, ministre d'État. - Il y a une grande différence entre le séparatisme et l'entrisme. Le premier prétend créer des contre-sociétés séparées de la communauté nationale, le second modifier nos propres règles, pour l'ensemble de la communauté des citoyens.
Monsieur Reichardt, je connais vos travaux : après le rapport de 2015, vous aviez déposé une proposition de loi. La matrice des Frères musulmans est toujours la même depuis 1928 : la prééminence de la loi coranique, l'infériorisation des femmes et l'antisémitisme.
Le rapport indique deux menaces : l'une contre nos intérêts fondamentaux, notre régime républicain ; l'autre contre la cohésion nationale.
Dans les semaines à venir, nous proposerons un chef de filat en matière de renseignement et un parquet administratif, rattaché au ministère de l'intérieur, pour diligenter des entraves administratives. Nous enquêterons aussi sur les circuits de financement : après la dissolution de Barakacity, les financements se sont réfugiés au Royaume-Uni ; les actifs du collectif contre l'islamophobie en France (CCIF) ont rejoint la Belgique. Enfin, nous allons sensibiliser le grand public.
Le rapport sera rendu public dans quelques heures. Il faudra former fonctionnaires et élus. Notre intention de combattre le frérisme et l'entrisme est ferme. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe UC)
M. André Reichardt. - Si mal nommer les choses ajoute au malheur du monde, pour rappeler Camus, avec ce rapport, ce ne sera pas le cas. Cette fois-ci, les ennemis de la République sont bien nommés.
Mais il faut aussi des actes pour démonter cette mécanique. Le Sénat a fait des propositions. Vous avez bien voulu évoquer le rapport que j'avais commis sous la présidence de Corinne Féret, avec ma corapporteure Nathalie Goulet : nous proposions une transparence des financements, le contrôle des subventions de l'Union européenne.
Il faut du courage politique et de l'énergie, vous ne manquez ni de l'un ni de l'autre. Allez-y ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Sans-abrisme
Mme Annie Le Houerou . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Selon le décompte du collectif Les Morts de la rue, 855 personnes ont péri en 2024 sur la voie publique ou dans des abris de fortune, dont 112 femmes et 19 enfants de moins de 4 ans. C'est intolérable. Tous les départements sont concernés. Depuis 2017, le nombre de morts à la rue a augmenté de 135 % - tandis que la fortune des milliardaires français croissait de 24 milliards d'euros.
La Fondation pour le logement des défavorisés fait état de 350 000 SDF en 2024, et 1,118 million de personnes n'ont pas de logement à soi.
Les politiques sociales menées depuis 2017 aggravent le risque de se retrouver à la rue. Les places d'hébergement d'urgence et le budget afférent stagnent. Le service intégré d'accueil et d'orientation (SIAO) est débordé. Les 10 000 places promises ne répondront qu'à 7 % des besoins. La loi Kasbarian-Bergé a fait chuter les constructions de logements sociaux : en 2024, moins d'une demande sur dix a abouti. Les budgets contraints des collectivités et des associations de solidarité les empêchent de répondre aux besoins. Enfin, les difficultés d'accès aux soins en santé mentale accentuent la marginalisation de certains.
Confirmez-vous ces chiffres insupportables ? Comment comptez-vous lutter contre la précarité et assurer un abri décent à tous ? (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe SER et sur quelques travées du GEST)
Mme Amélie de Montchalin, ministre chargée des comptes publics . - Ce sujet est à la croisée des politiques du logement, du budget, de l'aménagement du territoire, du soutien aux plus vulnérables.
Valérie Létard aurait pu vous détailler son action résolue en tant que ministre du logement.
L'un des moteurs, depuis 2017, est la politique Logement d'abord - un plan d'investissements massif, mené avec les collectivités, pour sortir de la logique de l'urgence et redonner à chacun de la dignité. Des centaines de milliers de familles ont été sorties de la précarité, de cette boucle infernale de l'hébergement d'urgence.
Mme Audrey Linkenheld. - Fake news.
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Hier, avec Valérie Létard, nous avons continué à soutenir les bailleurs sociaux en signant le décret réduisant le poids de la réduction de loyer de solidarité (RLS). (Mme Audrey Linkenheld s'exclame.) Nous soutenons toutes les mesures de l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru) et de l'Agence nationale de l'habitat (Anah) en faveur des plus fragiles.
Nous ne voulons pas opposer les Français entre eux. Tous contribuent à la solidarité nationale. Je vous sais attachée à la justice fiscale, nous aussi.
M. Hussein Bourgi. - Quel rapport ?
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Vous tenez à l'équilibre des comptes publics : nous luttons contre toutes les fraudes, fiscales ou sociales. (Protestations sur les travées du groupe SER)
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Ce n'est pas le sujet !
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - N'opposons pas ces politiques et l'appui aux plus vulnérables. Les crédits consacrés au logement d'urgence ou au logement social n'ont été ni gelés, ni annulés.
M. Hussein Bourgi. - Demandez à Kasbarian !
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Notre politique est lisible. Nous travaillons main dans la main avec chaque commune, sans polémiques ni effets d'annonce. (M. François Patriat applaudit.)
Mme Annie Le Houerou. - Les faits sont têtus : le nombre de morts dans la rue augmente et l'opération Logement d'abord n'y répond pas. Nous devons un toit à tous les Français. (Applaudissements à gauche)
Risque de hausse des prix des fertilisants
Mme Kristina Pluchet . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Vincent Louault applaudit également.) Alors que les agriculteurs s'apprêtent à manifester contre le détricotage de la proposition de loi Duplomb à l'Assemblée nationale, sous la pression des lobbies écolo-gauchistes... (On se gausse sur les travées du GEST.)
M. Yannick Jadot. - Bravo !
Mme Kristina Pluchet. - ... je salue l'engagement sans faille d'Annie Genevard, actuellement aux côtés des agriculteurs victimes des intempéries dans le Sud-Ouest. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP)
Mais voilà qu'un nouveau front s'ouvre. La Commission européenne a proposé une augmentation substantielle, dès juillet, des droits de douane sur les engrais russes et biélorusses, dans le but de réduire notre dépendance stratégique à l'égard de la Russie.
Une énième taxe, dont les agriculteurs seront les premières victimes, eux qui subissent déjà l'inflation, la concurrence déloyale et un carcan administratif suffocant.
Y aura-t-il une compensation pour pallier l'inévitable explosion du prix ? Comment s'assurer que les fertilisants russes ne seront pas réimportés à prix d'or via des pays tiers ?
Que l'Europe veuille sanctionner la Russie, fort bien, mais pas au détriment de ceux qui nous nourrissent. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Mme Sophie Primas, ministre déléguée auprès du Premier ministre, porte-parole du Gouvernement . - Veuillez excuser Annie Genevard, qui est dans le Sud-Ouest auprès des agriculteurs victimes des récentes intempéries.
Nous comprenons que la surtaxe des fertilisants azotés inquiète les agriculteurs.
La Commission européenne poursuit un double un objectif : ne pas financer la Russie dans son effort de guerre, et réduire nos dépendances stratégiques. Il nous faut diversifier nos approvisionnements, voire, à terme, réimplanter des industries de production d'engrais.
La Commission a proposé un système progressif jusqu'en 2028. La France estime que cet effort ne doit pas être payé par nos agriculteurs, qui sont notre priorité. Nous l'avons fait comprendre au Conseil. Nous avons demandé des mesures de remédiation, un mécanisme de stop and go pour protéger les agriculteurs en cas de crise. Nous sommes opposés à ce que l'ammoniac fasse partie des produits surtaxés et avons obtenu que la Commission s'engage à prendre des mesures adéquates en cas d'augmentation excessive des prix. Nous avons également demandé des dispositifs pour éviter le contournement via des pays tiers.
La France sera très vigilante à ce que les agriculteurs ne soient pas pénalisés. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Bruno Sido. - Très bien !
Mme Kristina Pluchet. - Le bon sens aurait voulu que l'Europe soit souveraine en matière de production d'engrais avant de couper le robinet russe. (MM. Roger Karoutchi et Bruno Sido lèvent les bras au ciel.)
Il nous faut lever les taxes douanières et anti-dumping sur les importations d'engrais provenant d'autres régions du monde, afin de maintenir un approvisionnement compétitif à nos agriculteurs. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe UC)
Immigration illégale dans les Alpes
M. Jean-Michel Arnaud . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Le col de Montgenèvre, dans le département des Hautes-Alpes, à 1900 m d'altitude, est devenu le premier point d'entrée terrestre de flux illégaux de migrants. Les passages ont augmenté de 130 % entre 2024 et 2025. La police aux frontières est dépassée : la charge de travail ayant quadruplé, le manque de personnel, notamment d'officiers de police judiciaire (OPJ), se fait sentir. Les locaux sont inadaptés pour assurer un accueil digne des migrants et des conditions de travail décentes : les rétentions administratives s'opèrent dans des Algeco à plus de 2 000 m d'altitude.
S'ajoute le flou juridique, depuis la décision du 21 décembre 2023 de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), qui interdit de refouler des personnes migrantes entrées illégalement sur le territoire sans leur laisser un certain délai pour quitter volontairement le territoire.
Quels moyens le Gouvernement compte-t-il déployer face à cette situation qui n'est pas sans conséquence sur la sécurité nationale ? (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe UC)
M. Bruno Retailleau, ministre d'État, ministre de l'intérieur . - Nous sommes parvenus à verrouiller la frontière entre les Alpes-Maritimes et l'Italie. Désormais, le flux d'Érythréens, c'est nouveau, passe par Lampedusa puis par le col de Montgenèvre. Environ 90 % des mineurs non accompagnés interceptés proviennent d'Érythrée.
D'abord, nous protégeons la frontière. Contrairement à d'autres pays, nous n'avons pas de corps unifié de gardes-frontières. Nous avons donc institué un corps diversifié composé de gendarmes, de policiers aux frontières, de douaniers et de militaires de Sentinelle.
J'ai décidé de dépêcher une compagnie de CRS pour renforcer les effectifs ; nous envoyons aussi des officiers de police judiciaire (OPJ) et des bâtiments modulaires. L'Office central pour la répression de l'immigration irrégulière (Ocriest) traque les passeurs ; l'an dernier, nous avons démantelé 269 filières de trafiquants d'êtres humains.
L'arrêt ADDE de la CJUE de septembre 2023 complique énormément notre travail.
Nous avons obtenu des résultats dans les Alpes-Maritimes grâce aux patrouilles mixtes avec l'Italie et à la procédure simplifiée. Nous devons en faire autant dans votre département, même si les policiers italiens sont moins nombreux.
Il faut obtenir la révision de la directive Retour - que j'appelle la directive anti-retour, car elle donne aux clandestins un délai pour permettre un « départ volontaire ». Autant dire que cela ne peut pas fonctionner. Il faut inverser la logique. C'est ce que la Commission européenne a mis sur la table, et cela va tout changer.
Nous sommes mobilisés pour garder la frontière entre votre département et l'Italie. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC ; M. Jean-Marc Ruel applaudit également.)
M. Jean-Michel Arnaud. - Vous n'avez pas répondu sur la question des locaux - c'est un sujet important, pour la dignité des personnes migrantes mais aussi et surtout pour les conditions de travail des policiers, le CRA le plus proche étant à deux heures de route... (Applaudissements sur les travées du groupe UC)
La séance est suspendue à 16 h 20.
Présidence de Mme Anne Chain-Larché, vice-présidente
La séance reprend à 16 h 30.