Refondation de Mayotte - Département-Région de Mayotte (Procédure accélérée - Suite)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle les explications de vote des groupes et le vote par scrutin public solennel sur le projet de loi de programmation pour la refondation de Mayotte et sur le projet de loi organique relatif au Département-Région de Mayotte.

Explications de vote

M. Marc Laménie .  - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP, sur quelques travées du groupe UC et au banc des commissions) Je remercie l'ensemble des rapporteurs qui ont oeuvré à l'élaboration de ce texte - pas moins de quatre commissions y ont participé. Sans suspense, Les Indépendants voteront en faveur de ce texte fondamental, qui prévoit des mesures fortes. Les débats de mardi dernier étaient fort intéressants, s'agissant d'une situation grave. Les parlementaires de métropole doivent soutenir les outre-mer.

Ce texte traduit les engagements financiers de l'État : 3,17 milliards d'euros sont programmés pour financer des investissements. Le texte crée aussi un cadre dérogatoire en matière de sécurité et de nationalité.

Le projet de loi n'a pas été profondément modifié lors de l'examen en séance. Signe qu'il était complet, car il s'attaque à l'ensemble des fléaux, et équilibré, car les mesures, même si elles semblent choquer certains, restent strictement nécessaires.

L'impuissance à endiguer le phénomène de l'habitat informel montre l'inadaptation de nos règles aux réalités de Mayotte. En réduisant le délai d'un ordre d'évacuation d'un bidonville et en assouplissant l'obligation pour le préfet de proposer un relogement, le texte donne des moyens adaptés. Il prévoit en outre 24 000 nouveaux logements sur les dix prochaines années. Le renforcement de l'autorité du préfet sur les services de l'État à Mayotte accélérera ces constructions.

L'article 15 accélère la convergence sociale pour combler un retard considérable - le niveau de vie des Mahorais est sept fois plus faible que la moyenne nationale.

Il est impératif de dynamiser le développement économique du territoire, alors que le taux d'emploi n'y est que de 23 %. Le chantier est vaste : tourisme, pêche, offre de formation vers l'enseignement, la sécurité, le BTP, la pêche ou les métiers du soin.

Le texte prévoit plusieurs mesures fortes pour lutter contre l'immigration illégale, notamment contre la fraude aux reconnaissances de paternité. Il porte la condition de résidence à sept ans pour obtenir la carte « liens personnels et familiaux » et à cinq ans pour la carte « parent d'enfant français ».

Toutes ces mesures sont indispensables pour créer les conditions du développement de Mayotte, qui ne pourra avancer que si toutes les causes de ses difficultés sont traitées en même temps. Les Mahorais comptent sur nous, monsieur le ministre : ne les décevons pas ! (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et sur quelques travées du RDPI et du groupe UC)

M. Emmanuel Capus.  - Excellent !

Mme Agnès Canayer .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Il y a près de six mois, Chido frappait Mayotte, causant de terribles dégâts matériels et humains. Très rapidement, toutes les institutions de la République se sont mobilisées. La loi d'urgence a été adoptée deux mois plus tard.

À présent, nous prolongeons l'effort de reconstruction en répondant aux problématiques de fond de l'archipel. Selon la formule de MM. Buffet, Le Rudulier, Marc et Mohamed Soilihi dans leur rapport d'information de 2021, il est plus que temps de « conjurer le sentiment d'abandon des Mahorais ».

Une programmation de la refondation de Mayotte figure dans un rapport annexé -  dépourvu de valeur normative  - qui constitue la feuille de route du Gouvernement pour 2025-2031. Quatre milliards d'euros d'investissements sont prévus, mais nous avons souhaité que le Gouvernement précise le calendrier d'ici la prochaine loi de finances. La construction de la piste longue, de la troisième retenue collinaire, de suffisamment d'écoles pour résorber le déficit de 1 200 classes, de prisons permettront au moins d'assurer une remise à niveau des équipements de base. Le Sénat a prévu des mécanismes de suivi, afin d'éviter toute nouvelle déception. En dotant le préfet de compétences nouvelles, nous espérons avancer plus vite et plus efficacement.

Mais rien ne sera possible sans maîtrise de l'immigration. Mayotte compte 320 000 habitants, dont la moitié sont étrangers. Si rien n'est fait, la population doublera d'ici à 2050. Nous saluons les multiples mesures du texte visant à freiner les flux illégaux, notamment en matière d'immigration familiale. Nous approuvons les mesures facilitant l'action des forces de l'ordre, notamment dans les zones d'habitat informel et en matière de contrôle des armes.

Le texte prévoit des mesures pour consolider l'économie du territoire et favoriser la convergence avec l'Hexagone. Résorber les zones d'habitat informel sera ainsi crucial. Les réponses sociales et sanitaires doivent tenir compte des particularités du territoire - je pense à l'installation des officines et à l'exclusion de l'aide médicale de l'État (AME) du champ de la convergence sociale.

Enfin, l'évolution institutionnelle rapprochera Mayotte du modèle de collectivité unique de la Guyane et de la Martinique. Nous avons remanié les modalités d'élections à la nouvelle assemblée territoriale afin de garantir une représentation équilibrée et d'assurer la continuité avec le découpage actuel. Nous nous réjouissons que ces évolutions aient été inscrites dans le dur de la loi.

Ces deux textes ne régleront pas l'ensemble des problèmes, mais nous approuvons leur orientation. Nous serons exigeants sur les engagements pris, car nous n'avons plus le droit à l'erreur. Le groupe Les Républicains votera ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe UC ; M. Louis Vogel applaudit également.)

Mme Salama Ramia .  - (Applaudissements sur les travées du RDPI) Ce texte marque une étape utile dans un chemin encore long pour les Mahorais. Il n'épuise pas le sujet, mais pose un cadre à partir duquel nous pourrons construire. Les 4 milliards d'euros d'investissements traduisent un engagement d'ampleur de l'État, que Mayotte accueillera avec responsabilité : oui, préparer l'avenir implique de reconnaître les efforts consentis.

Cependant, tous ces crédits ne sont pas nouveaux. Nous voulons une mise en oeuvre sincère de cette programmation, avec un effet réel sur le quotidien des Mahorais.

Nous soulignons des avancées : la stratégie de reconstruction post-Chido, l'extension du zonage quartier prioritaire de la politique de la ville (QPV) à toute l'île et la création du statut de département-région.

Toutefois, en tant qu'élue de terrain, je souligne à la fois l'adhésion et la frustration suscitées par ce texte. Les attentes sont immenses, notamment de la part du monde économique. Refonder Mayotte, ce ne doit pas être parler seulement d'immigration, mais aussi de capacité productive, de travail, de relance locale. Je salue la création de la zone franche globale, mais elle ne suffira pas. Mayotte est le seul territoire d'outre-mer à ne pas bénéficier du dispositif Lodéom. C'est pourquoi j'avais défendu l'extension du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) à Mayotte. Mais ces amendements ont été rejetés ; je le regrette. Mayotte a besoin d'un levier de relance, sans opposer attractivité et justice sociale.

J'ai proposé de supprimer le titre de séjour territorialisé, devenu un piège, car il enferme Mayotte dans un statut d'exception, en fait une enclave migratoire et empêche la circulation des immigrés en situation régulière. Résultat, ce sont les Mahorais qui partent. Nous devons briser ce cercle vicieux.

Enfin, j'ai alerté sur la procédure d'expropriation accélérée, qui n'est pas transposable à Mayotte où la régularisation foncière reste lacunaire. Cet article suscite encore l'inquiétude et ne favorise pas l'adhésion des Mahorais au texte.

La modification de la localisation de l'aéroport, en contradiction totale avec la délibération des élus, est une décision prise contre leur gré, en marge des échanges du comité de pilotage qui s'ouvrira demain. Nous repartons de zéro, au prix de la destruction de terres agricoles, sans réelle concertation. Je forme le voeu que nos collègues députés, qui vont s'emparer du texte, portent encore plus haut les attentes des Mahorais.

Les Mahorais veulent entreprendre et construire leur avenir sur place. Aussi, le groupe RDPI votera ce texte qui trace des perspectives, mais restera vigilant : refonder Mayotte sans refonder son économie, c'est reconstruire sur du sable.

Les Mahorais veulent rester debout, dignes, acteurs de leur vie ; pas uniquement protégés ni encadrés, mais soutenus. (Applaudissements sur les travées du RDPI et sur quelques travées du groupe UC et du RDSE)

Mme Sophie Briante Guillemont .  - (Applaudissements sur les travées du RDSE) En quelques semaines, Mayotte a connu le passage de deux cyclones. Après les mesures immédiates et d'urgence vient le temps de la refondation. Or 77 % des habitants de Mayotte vivent sous le seuil de pauvreté, la moitié est en précarité alimentaire et plus de la moitié renoncent à se soigner faute d'accès aux soins ou de moyens. D'ailleurs, la commission des lois a écarté d'emblée l'instauration de l'AME, par crainte d'un appel d'air migratoire.

À ce triste bilan s'ajoutent les quelque 25 000 jeunes de moins de 30 ans sans emploi ni formation. Il y a donc de sérieux problèmes de développement ; la Cour des comptes indique que l'économie mahoraise est « sous perfusion ». La gestion de crise n'y change rien. La situation est connue depuis longtemps ; Jacques Chirac, en 1986, la résumait ainsi : « Le problème de votre appartenance à la France ne se pose pas. Le problème qui se pose, c'est celui de votre avenir, celui de vos enfants, celui de votre île. »

Quarante ans plus tard, nous faisons face aux mêmes défis. Territoire français depuis 1841, Mayotte a toujours affirmé sa volonté de le rester. Le Sénat a joué un rôle important en la matière en demandant que la consultation de 1974 s'effectue île par île. Mayotte fut inscrite dans la Constitution en 2003 ; la départementalisation a eu lieu en 2011. Aujourd'hui, nous transformons Mayotte en département-région. À cet égard, le groupe RDSE votera le projet de loi organique sans réserve.

Après le statut, les problèmes structurels. Le projet de loi comporte des mesures que nous approuvons : convergence sociale d'ici à 2031, investissements colossaux, à hauteur de 4 milliards d'euros. Les mesures en faveur du développement de Mayotte sont nécessaires ; la feuille de route du Gouvernement est un espoir, et nous espérons qu'elle sera respectée.

Pour autant, nous restons perplexes, sur la politique migratoire tout d'abord. Dès 1995, Édouard Balladur instaurait une exigence de visa pour les Comoriens. Depuis, des dizaines de milliers de personnes sont mortes en traversant la mer en kwassa-kwassa. Si Mayotte appartient à la France, on ne peut ignorer qu'elle se situe en plein océan Indien. Les Comores sont un pays frère : aucune disposition légale ou réglementaire ne pourra faire cesser des solidarités séculaires. Nous ne croyons pas qu'un durcissement du droit des étrangers découragera les migrations, non plus que la rétention d'enfants ou le retrait des titres de séjour aux parents de mineurs délinquants.

Il faudrait plutôt réduire les écarts de développement impressionnants entre Mayotte et ses voisins, grâce à un renforcement de l'aide publique au développement accordée aux Comores et aux pays de l'Afrique de l'Est et de la région des Grands Lacs. Il nous faut aussi des accords migratoires.

Un quart de la population de Mayotte est formé de personnes en situation irrégulière. Penser que créer davantage de sans-papiers les fera fuir n'est pas seulement une illusion, c'est aussi dangereux. Pourtant, en faisant de Mayotte un département français, nous avons pris un engagement d'égalité. Or cela ne guide plus notre action. Par la loi du 26 janvier 2024, nous nous sommes interdit d'enfermer des mineurs dans une perspective d'expulsion. Pourquoi l'autoriser à Mayotte ?

Depuis 1974, l'attachement des Mahorais à la France n'a pas changé. Nous, en revanche, nous avons changé, par notre abandon de politiques consensuelles comme l'aide publique au développement, ou par notre obsession répressive qui nous fait multiplier les exceptions. Parce que l'égalité est un grand principe républicain que mon groupe n'a pas oublié, le groupe RDSE s'abstiendra en majorité sur ce texte. (Applaudissements sur les travées du RDSE et sur quelques travées du groupe UC et du GEST)

M. Olivier Bitz .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Plus de cinquante ans après le référendum par lequel Mayotte a fait le choix de la France, ces textes donnent une dimension concrète à la promesse républicaine faite aux Mahorais. Les défis sont bien connus. Le cyclone Chido n'a fait qu'aggraver une crise préexistante, tout comme préexistait une crise de confiance envers l'État.

Le projet de loi constitue la feuille de route du Gouvernement, avec plus de 4 milliards d'euros d'investissements pour rattraper le retard de développement des infrastructures de l'île, qu'il s'agisse de transport, d'eau ou de santé.

Ces engagements, nombreux, devront être tenus et suivis de près. C'est pourquoi il a été rajouté un comité de suivi, avec un bilan à mi-parcours. Les engagements financiers du Gouvernement ont été précisés, à la demande du Sénat. Nous lui avons aussi demandé de présenter une programmation financière détaillée d'ici la fin 2025.

Le projet de loi prévoit une accélération de la convergence des droits sociaux et des prestations, ainsi que la convergence du Smic, à l'horizon 2031. C'est très ambitieux.

L'extension à Mayotte de la zone franche globale est à saluer.

Le Sénat a souhaité faciliter la coordination de l'action de l'État en consacrant l'autorité du préfet, pour la durée du plan de refondation, sur l'ensemble des services de l'État dans l'archipel, à l'article 1er bis.

La création de la collectivité unique et le renforcement de ses prérogatives aideront au développement de l'archipel. L'idée est que tout ne vienne pas toujours que de l'État. Nous nous réjouissons que cette réforme soit inscrite directement dans la loi.

Le projet de loi porte plusieurs mesures visant à lutter contre l'immigration clandestine et ses conséquences : insécurité, habitat informel et travail illégal. Ce n'est pas une « obsession migratoire », mais une réponse à la source d'un grand nombre des maux de Mayotte, de l'avis unanime des élus locaux. Selon l'Insee, le nombre d'habitants pourrait doubler d'ici à 2050 : nous ne pouvons refuser d'agir. Or il n'y aura pas d'amélioration sans réduction de l'immigration. En 2022, la Cour des comptes en a fait un préalable à la stabilisation du cadre socio-économique de l'île.

Le projet de loi restreint les conditions de délivrance des titres de séjour familiaux et lutte contre les reconnaissances frauduleuses de paternité. Il propose un cadre juridique à la rétention, pour de très courtes durées, de personnes accompagnées de mineurs.

À l'écoute des élus du territoire, le Sénat a apporté de nombreuses améliorations. Je n'ignore pas que nos compatriotes mahorais ne seront pas pleinement satisfaits. Ainsi de l'article 19 sur la prise de possession anticipée, ou du maintien du visa territorialisé. Mais en l'état de la situation migratoire, sa remise en cause serait contraire tant à l'intérêt général qu'à celui des Mahorais. Toutefois, un bilan doit être tiré dans les trois ans. Ce sera l'occasion d'en réévaluer la pertinence.

Aucune loi ne répondra, à elle seule, aux défis de Mayotte. Pour cela, il faut une politique résolue, dans la durée, et une politique plus exigeante vis-à-vis des Comores.

Les élus nous ont alertés sur le sentiment d'abandon des Mahorais. Il y a urgence à obtenir des résultats concrets. Le groupe UC votera ces deux textes. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur quelques travées du groupe INDEP ; M. Bernard Fialaire applaudit également.)

Mme Cécile Cukierman .  - Mayotte reste-t-elle un territoire où un droit d'exception s'applique ?

Le groupe communiste a toujours défendu une convergence parfaite des droits, or elle est loin d'être atteinte. Pourtant, des efforts contre ce différentialisme ont été réalisés -  nous le saluons.

La création du Département-Région est une avancée. En positionnant Mayotte au même niveau institutionnel que la Martinique ou la Guyane, nous réaffirmons la compétence du territoire en matière de coopération régionale. Nous adaptons aussi le cadre budgétaire aux enjeux financiers de Mayotte, pour mieux affronter ses difficultés. Ces mesures répondent aux demandes des élus et de la population.

Nous saluons aussi l'ambition de faire converger les droits sociaux. Mayotte est le département français le plus pauvre : 77 % de la population vit sous le seuil de pauvreté et le taux de chômage atteint 37 %. Nous regrettons toutefois que ces mesures soient prévues dans une ordonnance, et que l'objectif de 2031 soit bien trop lointain.

Si la priorité donnée au travail est légitime, il est absurde de ne pas faire converger le RSA, ni l'allocation aux adultes handicapés (AAH) ni certaines prestations familiales. Vous laissez trop de personnes sur le carreau. Nous regrettons aussi que l'AME soit exclue de la convergence, alors que les besoins en santé sont si importants à Mayotte.

Malheureusement, la convergence des droits est contrebalancée par la volonté de faire du territoire un lieu d'exception. Les habitants de Mayotte ne sont pas traités à égalité avec ceux du reste de la France : on peut détruire leurs logements d'infortune sans les reloger. Vous leur avez interdit d'acheter de la tôle sans carte d'identité, il y a quelques semaines. Ceux qui n'ont pas été mis à la rue par le cyclone Chido le seront désormais par le cyclone Manuel Valls. (Murmures)

Leurs enfants pourront être enfermés dans des centres de rétention, malgré les huit condamnations de la France par la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH). Les frères, soeurs et parents de personnes condamnées pour « atteinte à l'ordre public » pourront être jetés dans la précarité administrative pour des actes qu'ils n'ont pas commis. Les titulaires d'un titre de séjour territorialisé sont eux confinés sur l'île.

L'exclusion du droit à l'AME pose des problèmes de santé publique pour tous les habitants de l'île, quelle que soit leur nationalité.

L'expropriation de 300 hectares de terres agricoles pour un nouvel aéroport se fait sans concertation et contre la volonté des habitants. Vous avez privilégié le projet de Grande-Terre, et reproché aux élus mahorais d'avoir manqué à leurs responsabilités. Or le 17 avril 2025, ils prenaient une délibération à l'unanimité en faveur de la construction d'une piste longue à Petite-Terre. Cela ne vous convenait pas, vous avez déposé un amendement en séance publique pour vous y opposer. Le Sénat l'a rejeté, mais vous êtes passés en force, en usant du règlement. Nous regrettons que la chambre des territoires ne se soit pas rangée du côté des territoires et des élus mahorais.

Nous ne voterons pas contre ce texte qui contient des avancées importantes. Mais nous resterons vigilants, pour une réelle application des droits de l'homme à Mayotte, et pour une réelle convergence. C'est en sortant les gens de la pauvreté que nous leur offrirons un avenir meilleur. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K)

Mme Antoinette Guhl .  - (Applaudissements sur les travées du GEST et sur quelques travées du groupe SER) Il y a quelques semaines, une délégation de la commission des affaires économiques s'est rendue à Mayotte. Nous avons vu, écouté, marché dans les bidonvilles, visité les installations, rencontré les acteurs de terrain. Nous avons vu un territoire en crise et un défi de grande ampleur auquel trop peu de dispositions du texte répondent. Où est la refondation ? Quelles réponses apportez-vous à la crise de l'eau, de l'école, de l'habitat, de la République ?

Aujourd'hui, 29 % des Mahorais ne sont pas raccordés à l'eau à domicile et le service d'eau est discontinu -  36 heures avec, 36 heures sans. Il est urgent de développer les infrastructures, pour garantir le principe constitutionnel de continuité du service public. Construire une usine de dessalement prendra deux à trois ans. Et que dire de son impact environnemental, au coeur d'un joyau de la biodiversité ? Oui, il faut une seconde usine, mais au bon endroit, ainsi qu'une nouvelle retenue collinaire. Mayotte a besoin d'un plan d'urgence pour l'eau.

Même impasse sur l'habitat. Nous avons vu des bidonvilles, des toits en tôle, des constructions sur des terrains instables. Or ce texte renforce les pouvoirs de police, comme si Chido n'avait pas tout détruit -  et tout a déjà été reconstruit à l'identique. Rien sur l'aménagement, le relogement digne ou le logement social. On détruit sans construire. Il faut un plan de résorption de l'habitat indigne, pas des bulldozers.

Alors que l'éducation est au bord du gouffre, avec 1 200 classes manquantes, que prévoit le texte ? La fin de la rotation scolaire en 2031 : c'est bien trop tard !

Le texte prétend renforcer l'attractivité du territoire avec des exonérations fiscales et des primes aux fonctionnaires, mais ce ne seront que des effets d'aubaine.

Vingt-deux mille expulsions ont eu lieu en 2023, au mépris du droit -  un record. Mais le plus choquant, c'est de retirer un titre de séjour aux parents d'un mineur qui trouble l'ordre public. Mélanie Vogel a rappelé que la responsabilité pénale est individuelle : on ne peut pas être puni pour des faits que l'on n'a pas commis soi-même. Cette mesure ajoute de la peur à la précarité. Est-ce réellement la société que nous voulons ? Pour nous, c'est une ligne rouge. Comme l'a dit la Défenseure des droits, on crée une zone d'expérimentation du recul des droits.

Une vraie refondation serait un plan d'aménagement global, un service public de l'eau digne de ce nom, un rattrapage éducatif, la fin de la territorialisation des titres de séjour, un accompagnement pour les personnes en situation régulière, une politique écologique à la hauteur.

À Mayotte, j'ai vu un territoire qui résiste mais qui n'en peut plus. Les Mahorais ont droit à un développement digne. On ne refonde pas avec des centres de rétention et des exonérations fiscales mais avec de la justice, de l'égalité et de la dignité. Nous voterons contre ce texte. (Applaudissements sur les travées du GEST)

M. Saïd Omar Oili .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur quelques travées du GEST) Monsieur le ministre, vous avez dépeint un paysage mahorais avec une végétation qui revient et des activités qui repartent. Pourtant, les acteurs locaux brossent un tout autre tableau : « Après cinq mois, Mayotte s'épuise, lasse de promesses de l'État ; les caisses des collectivités sont vides, les chantiers sont à l'arrêt, la colère monte. » Les signataires de ce communiqué ne sont pas des excités mais les élus locaux, le Medef, la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME) et la chambre de commerce et d'industrie (CCI). Votre attitude me fait penser à la chanson « Tout va très bien, madame la marquise »...

En février, nous avons voté une loi d'urgence. Je vous ai transmis un tableau de suivi des mesures du texte. Depuis, silence. Lors du vote de la loi, vous vous étiez engagé à consulter sur les ordonnances. Mais vous ne tenez pas vos engagements : j'ai découvert l'ordonnance sur l'établissement public dans le Journal officiel de vendredi dernier. Et, ô surprise, c'est le représentant de l'État qui aura voix prépondérante en cas de partage des voix ! Me viennent à l'esprit deux citations. La première est de Mandela : « Ce qui est fait pour nous sans nous est fait contre nous. » La seconde est de Napoléon Bonaparte : « On peut gouverner de loin, mais on n'administre bien que de près. »

Fin des cartes de séjour territorialisées, suppression de l'article 19 sur les expropriations, convergence sociale plus rapide : telles étaient nos priorités. Le compte n'y est pas.

La fin des cartes de séjour territorialisées, que l'ensemble de la classe politique mahoraise demande, n'a pas été votée. C'était pourtant un engagement écrit de votre prédécesseur, qui la promettait après la réforme du droit du sol, qui vient d'être votée.

La lutte contre l'immigration clandestine ? Beaucoup d'effets d'annonce et peu de résultats. En 2024, en dépit de Place nette et de Wuambushu, il n'y a eu que 16 000 reconduites à la frontière, contre 25 000 habituellement. Et je tiens à votre disposition des photos du bidonville de Kawéni, avec des toits en tôle flambant neufs, alors que l'on a soi-disant interdit la vente de tôles aux clandestins...

L'article 19 déroge au droit commun des expulsions. Faites d'abord une vraie réforme foncière et ne mettez pas la population mahoraise en insécurité sur ses propres terres ! Comme on dit chez nous, vous avez mis la charrue avant les zébus. (Sourires)

La perspective d'une convergence sociale en 2031 n'est pas acceptable. Il faut des mesures concrètes et rapides sur les minima sociaux, d'autant que l'impact financier sera limité :1,5 million d'euros pour les retraites, 800 000 euros pour les minima sociaux.

Je déplore les réponses du ministre à certains de mes amendements, par exemple sur l'observatoire sismo-volcanique. Le réseau de surveillance volcanologique et sismologique de Mayotte (Revosima) est bien le référent sur le volet scientifique, mais la surveillance de Fani Maoré est réalisée par l'observatoire de La Réunion.

Pendant nos débats, une petite musique de Tonton David m'est revenue en mémoire : « car je suis sûr, sûr qu'on nous prend... », vous compléterez.

Le rapport annexé aurait pu constituer une feuille de route, mais les financements manquent, loin des 3,5 milliards d'euros de la mission interinspections. La loi de refondation de Mayotte ne correspond pas aux priorités des Mahorais, et la feuille de route est trop floue. Aussi le groupe SER s'abstiendra sur ce texte qui ne répond pas aux urgences. (Applaudissements sur les travées du groupe SER, du GEST et sur quelques travées du groupe CRCE-K)

M. Christopher Szczurek .  - Mayotte c'est la France, mais la sollicitude a laissé place à la solitude. Ce projet de loi, louable, sera insuffisant. Il pourra rassurer à Paris, mais rassurera-t-il à Mayotte ? Il ressemble à toutes ces promesses qui se sont perdues entre le ministère et le terrain.

Nous saluons des avancées : durcissement des conditions de séjour, rétention des mineurs délinquants, lutte contre les reconnaissances frauduleuses de paternité et de maternité, centralisation des actes d'état civil, contrôle des transferts d'argent.

Mais il faut s'attaquer à la racine du mal. Or rien sur la suppression du droit du sol, alors que trois enfants sur quatre naissent de mère étrangère. Rien sur la priorité nationale dans l'accès aux soins, à l'école et à l'emploi, alors que les Mahorais, Français à part entière, sont désormais minoritaires chez eux. On contourne la submersion migratoire derrière des dispositifs techniques, comme s'il ne s'agissait que d'une question de procédure administrative.

Qu'attendons-nous ? Une frégate doit stationner en permanence au large de Mayotte et une base radar militaire doit contrôler le canal du Mozambique.

Et pourquoi toujours aucun cadastre ? Comment développer un territoire quand on ne sait pas à qui appartiennent les parcelles ?

À Mayotte, on bâtit sans titre et on s'approprie des terrains dans une totale opacité. L'État recule. Les Mahorais souffrent. Ils veulent la République dans toute sa force. Ils veulent de la justice, de l'ordre et une présence visible de la France.

Ce texte est un pas, mais timide et technocratique. Nous aurions aimé davantage de clarté et de fermeté. Mais nous refusons l'immobilisme. Aussi, nous le voterons, non par adhésion pleine et entière, mais parce qu'il faut bien commencer quelque part et parce que l'inaction serait une insulte de plus à ces Français qui n'ont jamais cessé de croire en la France.

Scrutins publics solennels sur le projet de loi et sur le projet de loi organique

Le projet de loi de programmation pour la refondation de Mayotte est mis aux voix par scrutin public solennel.

M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°292 :

Nombre de votants 338
Nombre de suffrages exprimés 243
Pour l'adoption 226
Contre   17

Le projet de loi est adopté.

Le projet de loi organique relatif au Département-Région de Mayotte est mis aux voix par scrutin public solennel.

M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°293 :

Nombre de votants 338
Nombre de suffrages exprimés 274
Pour l'adoption 258
Contre   16

Le projet de loi organique est adopté.

M. Manuel Valls, ministre d'État, ministre des outre-mer .  - Je remercie le Sénat pour la qualité des débats et pour ce vote.

J'ai dit que notre action se déclinerait en trois temps. La gestion de crise, d'abord, même si cela n'est pas terminé. La reconstruction, ensuite, avec la loi d'urgence et la mission Facon. La refondation, enfin. C'est un point de départ. Je ne dirai jamais que tout va bien à Mayotte, mais votre travail permet de poser de nouvelles bases.

Je remercie les rapporteurs Agnès Canayer, Olivier Bitz, Micheline Jacques, Christine Bonfanti-Dossat, Stéphane Fouassin et Georges Patient. Vos travaux de commission ont précisé le texte, notamment à l'article 10 sur les bidonvilles ou encore à l'article 1er bis sur les pouvoirs du préfet.

Plusieurs amendements ont été adoptés en séance, à l'initiative notamment de Saïd Omar Oili, Mélanie Vogel ou Marie-Do Aeschlimann. Madame Ramia, votre engagement a été utile. Soyons constructifs, ne soyons pas dans la démagogie.

Grâce au Gouvernement, voici presque 4 milliards d'euros pour Mayotte. C'était attendu depuis des décennies. Jamais un gouvernement n'avait pris de tels engagements.

Il faut maintenant délivrer. Ceux qui ont voté et enrichi ce texte auront un jour la reconnaissance des Mahorais -  nous leur devons tant. Nous avons accompli un pas décisif en faveur de la reconstruction de Mayotte, et je vous en remercie. (Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe UC et du RDPI, ainsi que sur quelques travées du groupe Les Républicains)

La séance est suspendue à 19 h 40.

Présidence de Mme Sylvie Vermeillet, vice-présidente

La séance reprend à 21 h 10.