Terres rares et matériaux critiques

M. le président.  - L'ordre du jour appelle le débat sur le thème : « Terres rares et matériaux critiques : quel potentiel dans les territoires français et quelle stratégie pour renforcer notre approvisionnement ? », à la demande du Rassemblement Démocratique et Social européen.

M. Philippe Grosvalet, pour le RDSE .  - (Applaudissements sur les travées du RDSE) Lanthane, cérium, praséodyme, néodyme, prométhium, samarium, europium, gadolinium, terbium, dysprosium, holmium, erbium, thulium, ytterbium, lutécium, scandium et yttrium : ce sont les dix-sept terres rares, dont l'extraction est coûteuse et polluante, mais dont les propriétés magnétiques et catalytiques sont exceptionnelles. La notion de matières critiques renvoie à un ensemble plus large identifié par l'Union européenne.

Ces ressources sont la base de notre modernité : écrans, disques durs, fibre optique, etc. Le secteur de la défense comme celui de la santé en ont besoin. De ces matières dépend notre capacité à transiter vers les technologies bas-carbone.

La première approche est géopolitique : qui les possède, les raffine et les exporte ? Quelque 394 000 tonnes de terres rares ont été extraites en 2024, majoritairement en Chine - qui en extrait 69 % et en raffine 90 % -, mais aussi aux États-Unis, en Birmanie et en Australie. L'Union européenne dépend à 100 % de la Chine pour les terres rares lourdes. Pour les matières premières critiques, la Turquie fournit 99 % des besoins européens en bore et l'Afrique du Sud 71 % pour le platine.

Pour sécuriser l'accès à ces ressources, l'Europe s'est fixé d'ambitieux objectifs à l'horizon 2030. Mais nos dépendances sont autant de leviers de pression géopolitiques et économiques.

Voilà quinze ans, la Chine faisait pression sur le Japon en suspendant ses exportations de terres rares. Aujourd'hui, elle fait pression contre les États-Unis de Trump avec sept terres rares. Et les terres rares ukrainiennes sont au coeur des négociations.

La maîtrise européenne de l'extraction et du raffinage de ces ressources est donc une question de souveraineté. La France est un géant minier en sommeil. Depuis les années 2010, le problème est identifié au niveau européen, avec la constitution d'une liste de matières premières critiques. Une alliance européenne pour les matières premières a été créée en 2020. En mars 2024, le Conseil européen a adopté une réglementation sur les terres rares critiques. En mars 2025, Bruxelles a approuvé 47 projets sur le sol européen.

L'extraction de ces ressources n'est pas propre : il faut des acides pour purifier les métaux et les besoins hydriques de ces activités sont immenses. Et alors que la transition énergétique exige un doublement de la production de métaux rares sur les quinze prochaines années, que l'humanité consommera lors des trois prochaines décennies autant de métaux que depuis son avènement, ces enjeux environnementaux doivent nous interroger sur notre manière de consommer et nous devons aller vers plus de sobriété, d'efficacité énergétique et de recyclage. Seulement 1 % des terres rares sont recyclées, avec des processus énergivores, coûteux et polluants.

Quels choix stratégiques opérer ? Sur quelles dépendances devons-nous agir ? Devons-nous rétablir une activité minière en France ? Pour quels bénéfices et à quel coût ?

Le Golfe a son pétrole, la Chine ses terres rares, disait Deng Xiaoping en 1992. Qu'auront la France et l'Europe ? (Applaudissements sur les travées du RDSE)

Mme Véronique Louwagie, ministre déléguée chargée du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises et de l'économie sociale et solidaire.  - La question des terres rares est une question géopolitique, caractérisée par une situation quasi monopolistique et des risques de dépendance.

La France est active, mais il faut une dynamique européenne. Sur le modèle du Inflation Reduction Act (IRA) américain, nous devons établir des critères de contenu local et une préférence européenne. Notre réponse doit être à la hauteur des enjeux notamment environnementaux.

L'Europe n'est pas qu'un marché intérieur de consommateurs, elle doit aussi redevenir une puissance industrielle de producteurs, pour garantir une économie prospère et souveraine, dans laquelle on produit, exporte et recycle des métaux.

Mme Maryse Carrère .  - À l'heure du développement de l'IA, le besoin en matières premières critiques n'a jamais été aussi important. Un journal allemand le disait : aucune technologie n'est aussi gourmande en ressources que l'IA. Certains craignent une guerre froide des matières premières, d'autres évoquent l'exploitation de la lune.

La Commission européenne a prévu 47 projets stratégiques pour sécuriser les approvisionnements et garantir l'indépendance de l'Union. Le but est qu'au moins 10 % de matières stratégiques soient extraites, 40 % transformées et 25 % recyclées sur son territoire, d'ici à 2030.

Le défi qui nous attend est colossal : se réapproprier les ressources, être capable de les transformer et de les recycler. Notre savoir-faire progresse, et notre continent a des atouts, au Groenland, en Suède, en Norvège, mais aussi en France - avec deux sites de lithium.

Mais cela pose des questions environnementales, car les sites miniers sont coûteux en énergie, eau, produits chimiques et biodiversité.

La France peut devenir un leader, avec des outils de pointe, comme l'usine de Lacq, et un savoir-faire minier et métallurgique, comme dans l'usine Imerys dans les Hautes-Pyrénées. L'industrie de l'armement est aussi grande consommatrice de ces métaux, aussi convient-il de renforcer notre indépendance technologique et stratégique.

La France peut être leader en Europe, avec ses neuf sites sélectionnés. Nous devons nous y préparer et relancer nos usines minières et sidérurgiques, avec la création de l'Observatoire français des ressources minérales pour les filières industrielles (Ofremi) et l'élaboration d'une feuille de route.

Pour ne pas être le colosse aux pieds d'argile, la France et l'Europe doivent préparer le nouvel Airbus des matières premières critiques. (Applaudissements sur les travées du RDSE ; M. Stéphane Fouassin applaudit également.)

Mme Véronique Louwagie, ministre déléguée.  - Oui, nous devons agir en Européens. Le Gouvernement a contribué au Critical Raw Material Act, qui a fixé un cap : 10 % d'extraction locale, 25 % de recyclage et 40 % de raffinage.

Une plateforme d'approvisionnement en métaux stratégiques a également été mise en place. La France soutient cette initiative, mais demande des garanties, notamment sur les enjeux environnementaux. Cela permettra des achats groupés à des prix préférentiels, de constituer des stocks stratégiques et de mener des projets industriels d'envergure.

On compte neuf projets français labellisés sur les vingt et un déposés : c'est un bon taux de succès.

M. Ludovic Haye .  - Nous sommes à un tournant. La situation géopolitique, les bouleversements technologiques dans les domaines de l'énergie, de la mobilité, de la défense, du numérique et de l'intelligence artificielle rendent notre adaptation urgente, voire existentielle.

Nous avons besoin de batteries, d'éoliennes, de supercalculateurs, de circuits électriques, d'aimants, etc. Or toutes ces technologies sont extrêmement consommatrices en terres rares et matériaux critiques.

Nous devons sécuriser nos approvisionnements. Ces ressources sont le pétrole du XXIe siècle. La course aux matières premières a démarré : voyez l'Ukraine ou le Groenland, qui suscite l'appétit du président Trump.

L'Europe est dans une situation de dépendance : 90 % du raffinage est réalisé en Chine, qui dispose d'un quasi-monopole sur tous les maillons de la chaîne de valeur ; c'est un levier d'influence et une arme géopolitique. Si nous voulons que la France et l'Europe restent crédibles, nous devons maîtriser nos approvisionnements.

Des initiatives structurantes ont été lancées, mais il faut une politique offensive d'autonomie stratégique. Dans le cadre de France 2030, Bpifrance a lancé un appel à projets, permettant l'émergence de dizaines de projets industriels. La Commission européenne a adopté le Critical Raw Material Act et retenu 47 projets, dans treize États membres, dont la France. Mais nous avons besoin d'une véritable stratégie.

Un premier levier est de mieux utiliser ce que nous avons déjà. Beaucoup d'industriels n'optimisent pas leur usage. Or nous devons être plus sobres by design, c'est-à-dire dès la conception.

Un deuxième levier est l'ouverture de nouvelles capacités minières. Il faut accepter des mines d'extraction en France et en finir avec l'hypocrisie qui conduit à délocaliser les dégâts environnementaux et les atteintes aux droits humains en Afrique et en Asie. Ce n'est pas une question d'idéologie, mais de cohérence et de justice environnementale. L'Europe doit montrer l'exemple d'une extraction responsable.

Un troisième levier est le développement du recyclage. Or moins de 1 % sont recyclés, car les cours de ces matériaux sont trop bas et le recyclage trop peu rentable, car coûteux en main-d'oeuvre.

Nous devons faire de la France et de l'Europe des leaders sur les matières stratégiques, ce qui suppose de nouvelles filières industrielles, ainsi que des compétences et des infrastructures adaptées. Il faut passer d'une logique de gestion des déchets à une logique d'approvisionnement en ressources critiques.

Quatrième levier, la diversification de nos approvisionnements. Il faut diversifier nos partenariats avec des accords durables avec des pays amis comme le Canada, l'Australie, le Chili et nos partenaires asiatiques et africains. Ce friend shoring nous évitera une dépendance exclusive avec la Chine. Il s'agira d'aller au-delà de la seule importation, avec une attention à la formation, aux transferts de technologies et au développement durable. Nous devons avoir une diplomatie des matériaux stratégiques, comme nous avons su le faire avec l'énergie.

Le cinquième et dernier levier est la recherche scientifique. Grâce à nos laboratoires, écoles d'ingénieurs et start-up, nous devons inventer ce que d'autres n'ont pas encore imaginé.

Les terres rares sont un enjeu de crédibilité, de souveraineté, voire de civilisation. Faisons en sorte que la France ne soit pas spectatrice, mais actrice de cette révolution industrielle et numérique. (Mme Vanina Paoli-Gagin applaudit.)

Mme Véronique Louwagie, ministre déléguée.  - Oui, nous assistons à une course aux matières premières. C'est bien un enjeu de souveraineté.

Le 30 novembre 2023, un partenariat stratégique a été conclu entre l'Union européenne et le gouvernement du Groenland pour développer des chaînes de valeur durables des matières premières.

La France ne doit pas être discriminée pour ses investissements en Ukraine. Nous sommes attachés à renforcer nos liens économiques avec l'Ukraine.

Un appel à projets sur le recyclage a été lancé, doté d'une enveloppe de 120 millions d'euros, pour encourager des projets de recherche. Des investissements couvrant des projets portant sur toute la chaîne - extraction, transformation et recyclage - ont également été lancés.

Mme Marianne Margaté .  - Merci au groupe RDSE de nous permettre de débattre de ces dix-sept métaux stratégiques qui cristallisent les paradoxes de nos sociétés contemporaines : concilier décarbonation de notre économie, autonomie industrielle et préservation des écosystèmes.

Cela révèle les contradictions d'un modèle de transition fondé sur une exploitation minière intensive et externalisée vers des zones à faible protection sociale et environnementale. En France, la recherche publique minière et métallurgique a régressé. Notre stratégie a été axée sur la substitution technologique et non la sobriété.

La Chine contrôle 86 % de la production mondiale, et 90 % des capacités de raffinage. En 2010, la réduction des quotas d'exportations chinoises a provoqué une flambée des prix.

L'Union européenne, qui importe 98 % de ses terres rares depuis la Chine, voit sa transition verte menacée. Aussi, a-t-elle fixé des objectifs contraignants d'ici à 2030 et noué des partenariats stratégiques avec d'autres pays. Mais cela peine à contrebalancer l'hégémonie chinoise.

L'extraction majoritairement à ciel ouvert entraîne des dégradations écologiques et des atteintes aux droits humains. Pire, le partenariat entre l'Union européenne et le Rwanda nous rend complices de crimes de guerre. Le capitalisme extractiviste reproduit les logiques coloniales.

Promouvoir le Green Deal européen et continuer l'importation massive dans des conditions non durables est une contradiction que nous ne pouvons soutenir. En effet, le règlement Reach, bien que strict sur les substances chimiques, ne s'applique pas aux procédés miniers extraterritoriaux.

Face à ces enjeux, l'Union européenne mise sur la relocalisation partielle de la production avec 47 projets miniers stratégiques dans 13 États membres. Mais cela suppose une maîtrise publique de l'ensemble de la chaîne de valeur, et devrait se faire, en France, sous l'égide du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), avec des garanties sociales et environnementales de haut niveau.

Alors que moins de 1 % des terres rares sont recyclées, il faut examiner les procédés de fabrication, responsabiliser les fabricants, développer l'économie circulaire et impliquer les citoyens via des conventions climat régionales. Mais surtout, il faut surtout repenser la maîtrise de la demande, comme pilier de la transition et non comme une contrainte. La sobriété est la condition sine qua non d'une transition durable.

La France ne devrait-elle pas être partie prenante de la recherche minière dans le monde ? Ne faudrait-il pas des règles comparables à celles l'Union européenne partout dans le monde, s'agissant tant de l'extraction que du recyclage ?

Mme Véronique Louwagie, ministre déléguée.  - Vous le dites : nous devons concilier différents enjeux. Notre objectif est la souveraineté, afin d'aller vers la transition écologique.

Vous avez posé la question de la sobriété. À chaque fois qu'il est possible de réduire la pression sur les ressources, cela doit être la priorité. C'est le sens de la loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire, avec l'indice de réparabilité.

Nous devons favoriser la substitution des matières premières critiques, limiter l'intensité matière des produits et orienter la consommation vers des produits et des services plus économes en ressources minérales. Il y a un enjeu de partage des ressources avec les générations futures.

Mme Marianne Margaté.  - En 2023, une déclaration d'intention sur les métaux critiques a été signée entre la France et la République démocratique du Congo (RDC). Mais selon nous, elle aurait dû prévoir la transformation des matières premières en RDC même, au bénéfice du développement économique du pays et de la population.

M. Daniel Salmon .  - Les métaux sont devenus un enjeu géopolitique et de souveraineté économique et industrielle. La course s'intensifie chaque jour davantage. Dans une société où l'on produit toujours plus, la demande en matières premières critiques risque d'être multipliée par quatre d'ici à 2040 ! La transition énergétique et la digitalisation redessinent l'économie mondiale.

Mais la France et l'Europe manquent d'une stratégie d'approvisionnement cohérente. Nous avons laissé la Chine prendre le monopole de la chaîne de valeur des métaux, grâce à des coûts de production réduits, fondés sur des normes sociales et environnementales moins-disantes.

La France et l'Union européenne doivent assumer de produire sur leur sol les matériaux critiques dont elles ont besoin. C'est indispensable pour notre transition.

Selon le BRGM, la consommation de terres rares va augmenter de 8 % par an. Nous avons donc besoin de nouvelles mines, ainsi que de sites de transformation et de recyclage, car l'extraction chez nous évite d'autres extractions bien pires ailleurs.

Il faut néanmoins un encadrement strict, car l'extraction n'est jamais propre : déchets, produits chimiques, énergie, eau. Aucun projet minier ne doit pouvoir se faire dans une zone classée au plan environnemental ni dans les fonds marins.

Le renforcement de la réglementation sociale et environnementale est indispensable pour garantir la soutenabilité écologique des produits miniers et en assurer l'acceptabilité sociale.

L'autre enjeu fondamental est bien de rationaliser la consommation, sans compromettre la satisfaction de nos besoins essentiels. Il n'est pas interdit de questionner l'utilité de certains produits. Dans un monde aux ressources finies, le gaspillage ne peut perdurer éternellement.

On doit s'interroger sur le mode de consommation actuel et le volume total de la demande en métaux. La sobriété est un levier essentiel pour répondre en partie à l'équation : sobriété dans la consommation et les usages, mais aussi dans les dimensions des produits. On peut fabriquer par exemple les batteries de deux citadines et non d'un seul SUV avec la même quantité de lithium.

Enfin, la recherche doit nous permettre de trouver de nouvelles manières d'extraire plus proprement les terres rares et de réduire notre dépendance à certains métaux.

Les écologistes sont cohérents - comme toujours ! Relancer l'extraction est nécessaire, mais cela nécessite une vraie planification.

Comment concilier les enjeux de souveraineté et d'autonomie stratégique avec les impératifs écologiques ? (Applaudissements sur les travées du GEST)

Mme Véronique Louwagie, ministre déléguée.  - La politique nationale des ressources et des usages du sous-sol vise à sécuriser les approvisionnements français en ressources minérales et à réduire notre dépendance aux importations. Notre objectif est de réindustrialiser la France, en établissant un inventaire minier, pour exploiter le cas échéant, tout en développant des partenariats à l'international.

Nous voulons respecter les meilleurs standards environnementaux. Plusieurs programmes visent à réduire les impacts environnementaux. Les réglementations française et européenne sont parmi les plus exigeantes au monde.

M. Daniel Salmon.  - À Orléans, avec la commission des affaires économiques, nous avons visité le BRGM et nous avons eu le tournis : nous avons extrait au XXe siècle la même quantité de ressources que pendant toute l'histoire de l'humanité précédente !

Assumons sur notre sol ce dont nous avons besoin. Mais pour que les populations acceptent, il faudra faire des choix. Or choisir c'est renoncer. L'empreinte du numérique est là : il faudra donc renoncer à des biens éphémères dans le numérique.

M. Franck Montaugé .  - D'une dépendance à l'autre, du pétrole à l'électricité. Nous devons analyser le cycle de vie complet des processus et les conséquences sur le long voire très long terme.

Au mitan des années 1970, la France a laissé péricliter son industrie de production. Les ressources minières ont été plus que négligées et nous nous réveillons en constatant notre dépendance quasi totale vis-à-vis d'autres pays du monde. La Chine est au monde décarboné en gestation ce que l'Opep est aux énergies fossiles.

Dans notre état de dépendance structurelle aux matières premières critiques, il n'y a pas de sens à viser l'autonomie stratégique, nous ne pouvons parler que de moindre dépendance.

Il faut rendre au BRGM le rôle et les moyens qui furent les siens dans les années 1970.

Que prévoyez-vous en matière de prospection des gisements de matériaux critiques en Alsace, en Bretagne et dans l'Allier ? L'hydrogène natif dans les Pyrénées pourrait y être ajouté.

Quid du recyclage ? Où seront les usines ?

Le concept de mine propre, qui me laisse dubitatif, est-il à suivre ?

Qu'en est-il des populations victimes des mines, en Chine, en RDC ? Des hommes, femmes et enfants y sont exploités jusqu'à la mort. La France a-t-elle quelque chose à dire sur ces conditions d'exploitation parfaitement connues et leurs conséquences humaines et environnementales ?

Nos objectifs européens d'amélioration de notre autonomie sont ambitieux. Pour y parvenir, l'Union européenne dit vouloir intensifier ses relations commerciales, dans le cadre d'un club des matériaux critiques regroupant des pays partageant les mêmes valeurs. Elle dit aussi vouloir renforcer l'Organisation mondiale du commerce (OMC) et lutter contre les pratiques commerciales déloyales.

Mais ce cadre, fixé il y a deux ans, me laisse songeur, en particulier s'agissant de l'OMC. Le contexte géopolitique actuel, fait d'agressions de toutes parts, n'en fait qu'une simple déclaration d'intention.

Quelle place pour la production française ? Quelle proposition la France porte-t-elle afin qu'une moindre dépendance aux matériaux critiques ne soit pas qu'une chimère ?

Mme Véronique Louwagie, ministre déléguée.  - Nous avons quelques projets de raffinage -  nous n'avons pas de terres rares. Le projet Carester couvrira 10 à 12 % des besoins mondiaux avec 15 % de matériaux recyclés. Un autre projet de recyclage en boucle courte, celui de Magreesource pour les aimants, est également engagé. Et Solvay a inauguré en avril une nouvelle ligne de production à La Rochelle.

Dans le cadre de France 2030, nous avons contribué au déploiement de 34 projets, qui satisferont 70 % de nos besoins industriels en aluminium en 2030, 100 % pour les terres rares lourdes, 90 % pour les fils de cuivre et plus de 50 % pour le graphite artificiel des batteries.

M. Franck Montaugé.  - Merci pour votre réponse, mais elle ne me rassure pas. La réflexion stratégique de la Chine, conduite dans les années 1970 par Deng Xiaoping, a posé les bases de la puissance chinoise actuelle.

On ne réfléchit qu'à trop court terme en France et en Europe et nous le paierons cher - mais j'espère me tromper ! Je ne vois rien qui amoindrisse la dépendance de notre pays et de notre continent : c'est préoccupant.

Mme Vanina Paoli-Gagin .  - La technologie a transformé notre monde à une vitesse vertigineuse : alors que, au début du XXe siècle, la France comptait moins de 200 000 abonnés au téléphone, le nombre de cartes SIM y dépasse aujourd'hui celui des habitants !

Nos armées sont embarquées dans cette évolution : cyberdéfense, missiles de précision, essaims de drones et intégration de l'IA nécessitent des infrastructures toujours plus importantes. Or les centres de données, câbles sous-marins et clouds requièrent beaucoup d'énergie.

Les métaux rares sont difficiles à extraire et les processus nécessaires à leur séparation sont polluants, énergivores et coûteux. Dans ce secteur, la Chine est en position de force. C'est pour elle un atout maître ; pour nous, un risque de dépendance.

Les Indépendants sont convaincus que le commerce international est profitable à tous les acteurs qui en respectent les règles. Mais nous pensons aussi que la dépendance nous fait courir un risque majeur. Nous remercions donc le RDSE d'avoir ouvert cette réflexion cruciale.

La demande annuelle de terres rares devrait augmenter de 62 % d'ici à 2040. C'est à cette aune qu'il faut comprendre les velléités de Trump vis-à-vis du Groenland, qui projetterait de confier l'exploitation de son sous-sol à la Chine.

D'ici à 2030, l'Union européenne entend extraire sur son sol 10 % de sa consommation, recycler 25 % des matériaux consommés et en raffiner 40 %. Bretagne, Massif central, Guyane : la France dispose de gisements modestes mais exploitables. Dans le cadre de France 2030 et de Choose France, une accélération des démarches et des investissements sont prévus.

Nos territoires recèlent nombre d'initiatives précieuses pour une extraction plus durable. En Alsace, un projet d'extraction de lithium bénéficie d'un accès facilité aux financements européens ; un procédé de séparation par magnéto-électrochimie, moins consommateur d'énergie, a été mis au point par des chercheurs de Strasbourg. La start-up Remedy s'est lancée dans l'industrialisation de cette technologie.

Dans l'Aube, l'entreprise Artemise recycle les terres rares contenues dans les lampes LED. Elle s'est lancée dans un projet visant produire des batteries lithium-ion à l'horizon 2027.

Nous attendons de l'État un soutien ferme à ces projets.

Le recyclage est difficile à mettre en oeuvre et les indicateurs de performance sont obsolètes, fondés sur le tonnage sans prise en compte de l'importance stratégique des matériaux. Nous devons passer d'une logique de gestion des déchets à une logique d'approvisionnement en ressources critiques.

La France et l'Europe doivent poursuivre leur stratégie associant sobriété, diversification des ressources et respect des normes environnementales.

Mme Véronique Louwagie, ministre déléguée.  - Le Groenland a indiqué vouloir des partenariats européens et américains. Les Américains ont engagé avec ce territoire des négociations sur les matières stratégiques. Le 30 novembre 2023, l'Union européenne a signé avec lui un partenariat stratégique en matière notamment d'infrastructures, de compétences et de recherche et d'innovation.

Nous devons construire une chaîne de valeur nous permettant d'être indépendants.

Les projets locaux que vous avez cités méritent une attention particulière. Notre stratégie nationale prévoit de prendre en compte tous les sites dont l'activité concourt à notre indépendance.

Mme Vanina Paoli-Gagin.  - J'espère que l'information dont j'ai fait état sur le Groenland, que j'ai reçue il y a moins d'une heure, est une fake news et que le partenariat signé avec l'Union européenne sera solide.

Nous devons encourager les projets locaux qui contribuent à relancer l'industrie sur nos territoires.

Mme Catherine Dumas .  - Après avoir été aux XIXe et XXe siècles un moteur de la compétition industrielle et militaire, l'approvisionnement minéral est passé pendant plusieurs décennies au second plan de nos préoccupations stratégiques. Ce temps est révolu, et c'est une ruée vers les métaux qui se dessine.

L'accès aux ressources métalliques est redevenu un enjeu fondamental. On estime qu'il faudra produire dans les trente ans à venir l'équivalent de tout ce qui a été extrait depuis les origines de l'activité minière.

Les terres rares jouent un rôle aussi nouveau que prépondérant ; elles sont au coeur de la révolution technologique que nous vivons. Alors que nous avons fait de la réindustrialisation un objectif prioritaire, nous devons garantir à nos entreprises un accès régulier aux métaux critiques à prix maîtrisés.

Ce n'est en rien garanti, au vu de la situation internationale. La forte concentration de ces ressources dans une poignée de pays fait peser des risques importants sur la sécurité de nos approvisionnements. La Chine contrôle plus de 85 % du raffinage des terres rares : elle détient ainsi un levier considérable qu'elle pourrait actionner en cas de tensions commerciales ou diplomatiques.

Les pressions américaines sur le Groenland, la situation en Ukraine et au Kivu illustrent à quel point l'accès aux terres rares est devenu une préoccupation géopolitique essentielle. Nous devons nous protéger en réduisant nos dépendances.

Notre premier levier tient à notre propre potentiel, prometteur. En Bretagne, en Normandie ou dans le Massif central, des ressources ont été identifiées. Mais la connaissance fine de ce potentiel fait encore largement défaut. Un inventaire a été lancé il y a deux ans, mais il demeure limité à certaines zones. Ce travail de cartographie doit être au plus vite étendu à l'ensemble du territoire. Nous devons aussi développer nos propres capacités d'extraction et de valorisation pour renforcer notre autonomie stratégique, créer des emplois et stimuler nos territoires.

C'est toute une chaîne de valeur qu'il faut mettre sur pied, en retrouvant des compétences perdues, mais aussi en adaptant le cadre réglementaire pour simplifier les implantations et encourager les investissements. Il convient aussi de protéger la biodiversité et d'assurer l'acceptabilité de ces activités sur notre sol, sans que le cadre réglementaire ne conduise à la paralysie des projets.

Localiser, extraire et raffiner est un impératif, mais pas le seul. Nous devons aussi développer le recyclage, qui demeure balbutiant. Il faut investir dans le retraitement et l'écoconception et structurer des circuits de récupération des équipements, sachant qu'il ne sera pas possible d'atteindre une circularité parfaite, non plus qu'une autosuffisance minérale française ou européenne.

Parce que nos importations resteront vitales, il est essentiel d'en diversifier les origines. La Chine a parfaitement compris cet enjeu et intègre les matériaux critiques dans les coopérations qu'elle conclut dans le cadre des nouvelles routes de la soie.

De notre capacité à renforcer notre souveraineté dans ce domaine dépendent à la fois notre prospérité à venir et l'atteinte de nos engagements climatiques. Prospection, extraction, recyclage, raffinage : il faut agir rapidement sur chacun de ces aspects.

Mme Véronique Louwagie, ministre déléguée.  - Les terres rares sont stratégiques notamment pour la fabrication des aimants permanents qui réduisent le poids des moteurs électriques.

Oui, réduire notre dépendance dans ce domaine revêt une importance stratégique majeure. La position de la Chine est dominante : après avoir interdit l'exportation de certaines technologies en décembre 2023, elle a mis en place, le 4 avril dernier, un contrôle des exportations de certains produits liés aux terres rares.

Le Gouvernement a lancé la réalisation d'un inventaire des ressources minérales majeures dans cinq zones, où leur densité est importante. Des recherches approfondies pourront suivre en vue d'une exploitation.

Mme Catherine Dumas.  - Merci à la ministre pour sa réponse et au RDSE pour l'initiative de ce débat. Le constat est partagé sur toutes nos travées. Il appartient au Gouvernement de proposer des solutions dans un contexte géopolitique perturbé.

M. Stéphane Fouassin .  - Quand on parle des transitions écologique et énergétique, on pense charbon, pétrole et gaz. Mais ce processus induit une nouvelle forme de dépendance, plus discrète quoique tout aussi stratégique : la dépendance aux matériaux critiques - lithium, cobalt, nickel et autres. Ils entrent dans la composition de nos batteries, éoliennes, cellules photovoltaïques, smartphones.

Sans eux, pas d'industrie verte ni de transition énergétique. Mais, comme le montre Guillaume Pitron dans La guerre des métaux rares, cette dépendance n'est pas sans conséquences. D'autant que la grande majorité de ces matériaux viennent de l'étranger, le plus souvent de pays ne partageant pas nos standards environnementaux.

L'Union européenne a commencé à agir, en fixant des objectifs clairs à l'horizon 2030 : 10 % de matériaux extraits sur le sol européen, 25 % de recyclage. Ce sont des avancées importantes, et la France doit prendre toute sa part de ce travail.

Notre pays dispose d'un potentiel important et sous-exploité. C'est une chance, à condition d'agir de manière encadrée. Il nous faut relancer une production française responsable et transparente, avec des normes environnementales strictes et dans la concertation avec les habitants.

Pour garantir notre souveraineté, nous devons aussi diversifier nos approvisionnements en nouant des alliances avec d'autres pays, comme le Canada, et développer le recyclage, domaine dans lequel la France peut devenir un leader industriel.

Quelle est votre vision de l'avenir de l'exploitation minière et quels investissements prévoyez-vous pour accompagner la structuration d'une véritable filière industrielle ? Comment la France compte-t-elle agir en Europe pour encourager le développement d'une stratégie ambitieuse et cohérente ?

Nous avons l'occasion de conjuguer souveraineté industrielle et responsabilité sociale et environnementale : saisissons-la !

Mme Véronique Louwagie, ministre déléguée.  - Notre stratégie nationale a été définie en 2022. Sa mise en oeuvre repose sur la délégation interministérielle aux approvisionnements en métaux stratégiques, créée auprès du Premier ministre pour coordonner l'action des administrations impliquées. Cette stratégie consiste notamment à améliorer la connaissance de nos ressources et à définir une feuille de route pour une diplomatie des métaux. En Guyane, nous voulons pérenniser les activités minières en sortant du tout-or et en encourageant l'installation d'acteurs légaux sur des sites actuellement exploités de façon illégale.

M. Stéphane Fouassin.  - Les États-Unis se lancent dans l'exploitation des nodules métalliques des abysses : la France et l'Europe doivent veiller à ne pas se laisser distancer.

M. Michaël Weber .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; M. Pierre Ouzoulias applaudit également.) L'approvisionnement en terres rares pose la question de la cohérence avec nos ambitions en matière de transition écologique.

Ces ressources sont concentrées entre les mains de quelques acteurs. Sans nier cette réalité, on peut douter du potentiel minier français, sans doute dérisoire au regard de la demande. Or extraire des terres rares, c'est polluer les sols et exposer ouvriers et habitants à des dangers sanitaires. Et où irons-nous chercher ces ressources une fois les gisements épuisés, sinon dans les fonds marins ?

Nous devons diversifier nos fournisseurs pour nous prémunir de toute pression géopolitique et promouvoir le recyclage sur le sol européen. Tout nouveau projet industriel ou minier doit intégrer nos exigences de durabilité et de respect des droits humains sur toute la chaîne de valeur - les conséquences de l'agressivité de l'industrie extractive, par exemple sur la dévastation des forêts, ne peuvent être ignorées. C'est le sens du devoir de vigilance consacré par la directive CSRD, hélas gravement remise en cause.

Nous craignons des décisions hâtives s'agissant de l'intérêt public majeur. Aucun projet industriel ne devrait se faire sans cadre environnemental strict ni débat public.

Comment concilier les enjeux de l'autonomie stratégique et de la protection de l'environnement et des populations ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER)

Mme Véronique Louwagie, ministre déléguée.  - Le recyclage est une priorité dans notre stratégie d'approvisionnement en matériaux stratégiques. Le règlement Batteries fixe des objectifs, notamment en matière de collecte, et impose des performances de durabilité.

Notre droit environnemental et social, européen ou national, est parmi les mieux-disants. La directive sur les émissions industrielles inclut les mines et carrières, qui doivent notamment optimiser leur consommation en eau, valoriser les résidus et réhabiliter les sites après exploitation.

M. Michaël Weber.  - Oui, notre droit est exemplaire, ce qui nous donne aussi un devoir, compte tenu de l'importance de notre territoire maritime : je pense à l'exploitation des ressources sous-marines, qui suscite beaucoup d'inquiétudes et sur laquelle vous ne m'avez pas répondu.

Mme Véronique Louwagie, ministre déléguée chargée du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises et de l'économie sociale et solidaire .  - Merci au RDSE pour ce débat sur un sujet qui touche au coeur de la vie de nos concitoyens.

Lithium, graphite, germanium, tantale : les métaux rares présents dans nos réveils, nos véhicules ou nos téléphones portables sont indispensables à notre travail et à nos loisirs, mais aussi à notre défense. Ils sont indispensables à notre avenir.

Les convoitises américaines à l'égard du Groenland illustrent l'intérêt stratégique de ces ressources, qui ne sont pas des biens de consommation comme les autres, mais des leviers géopolitiques. Ce qui est en jeu, c'est notre souveraineté.

Nous voulons d'abord mieux connaître nos propres ressources. C'est le sens de l'inventaire dont nous avons chargé le BRGM.

Il faudra ensuite relancer l'exploitation. Une seule mine, celle de Varangéville, en Meurthe-et-Moselle, est encore en action. L'État soutient un projet autour du lithium dans l'Allier. Nous avons également évoqué la Guyane.

Par ailleurs, la France est engagée dans des partenariats stratégiques. Une quinzaine d'accords ont déjà été conclus, notamment avec l'Indonésie, l'Argentine et le Kazakhstan.

Nous voulons aussi réindustrialiser, car extraire des métaux sans les raffiner et les transformer n'aurait que peu d'intérêt. Nous devons pour cela attirer des investissements. C'est le cas avec Carester ou la coentreprise entre XTC et Orano.

Enfin, il nous faut recycler sur notre sol : c'est un enjeu crucial pour notre souveraineté.

Nous devons penser et agir en Européens, car nous avons besoin d'une Europe puissante pour être efficace.

M. Ahmed Laouedj, pour le RDSE .  - Merci pour ces échanges fructueux et, madame la ministre, pour vos réponses.

La crise sanitaire et la guerre en Ukraine nous ont fait prendre conscience de nos multiples dépendances. Notre perception de la mondialisation en a été bouleversée : nous la voyons davantage comme source de fragilités stratégiques. L'accès aux métaux rares est un enjeu de souveraineté qui chamboule les rapports de force.

Si la transition écologique possède une face cachée, ne nous trompons pas de cible : elle ne doit pas être bridée, mais accélérée, et ses effets négatifs atténués par un renouveau extractif responsable.

Les risques environnementaux nous obligent à prendre position sur des débats polémiques, comme la relocalisation d'activités sur notre sol ou l'extraction des nodules polymétalliques dans l'océan.

De nombreux projets de réouverture de mines pourraient être bloqués par des oppositions citoyennes. Mais nous ne pourrons plus indéfiniment nous défausser sur Pékin et les autres pays miniers. Il est clair que le coût écologique de l'extraction impose aussi une modification de nos modes de consommation, vers plus de sobriété, d'efficacité énergétique et de circularité.

Notre modèle de développement abrite des contradictions, entre rêve d'un monde plus vert et réalité d'une société plus technologique. Nos transitions écologiques ont un coût. À cet égard, il n'y a pas de solution miracle, mais des choix stratégiques à opérer.

La séance est suspendue quelques instants.