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Table des matières
Lutte contre la fraude aux arbitrages de dividendes
M. Benjamin Haddad, ministre délégué chargé de l'Europe
Souveraineté numérique et situation de l'entreprise Visibrain
Mme Clara Chappaz, ministre déléguée chargée de l'intelligence artificielle et du numérique
M. François Bayrou, Premier ministre
M. François Bayrou, Premier ministre
Hommage au doyen Jean-Marie Vanlerenberghe
M. François Bayrou, Premier ministre
Programmation énergétique de la France
M. Marc Ferracci, ministre chargé de l'industrie et de l'énergie
Mode de scrutin à Paris, Lyon et Marseille
M. François Rebsamen, ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation
M. Benjamin Haddad, ministre délégué chargé de l'Europe
Modélisations budgétaires et évolution de la Corse
M. François Rebsamen, ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation
Mme Marie Barsacq, ministre des sports, de la jeunesse et de la vie associative
M. François Rebsamen, ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation
Mise au point au sujet d'un vote
Conseil européen des 26 et 27 juin 2025
M. Benjamin Haddad, ministre délégué chargé de l'Europe
M. Claude Raynal, président de la commission des finances
M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes
M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes
Modifications de l'ordre du jour
Clôture de la session ordinaire 2024-2025
Ordre du jour du mardi 1er juillet 2025
SÉANCE
du mercredi 25 juin 2025
108e séance de la session ordinaire 2024-2025
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires : Mme Nicole Bonnefoy, Mme Catherine Di Folco.
La séance est ouverte à 15 heures.
Questions d'actualité
M. le président. - L'ordre du jour appelle les questions d'actualité au Gouvernement. La séance est retransmise en direct sur Public Sénat et sur notre site internet. Chacun sera attentif à l'une des valeurs essentielles du Sénat : le respect des uns et des autres, mais aussi du temps de parole.
Lutte contre la fraude aux arbitrages de dividendes
M. Jean-François Husson . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe UC ; Mme Colombe Brossel et M. Ian Brossat applaudissent également.) Vous ne serez pas surpris de ma question sur la fraude CumCum.
M. Albéric de Montgolfier. - Scandale !
M. Jean-François Husson. - Le Sénat a voté à l'unanimité un texte contre la fraude lors du dernier projet de loi de finances.
À deux reprises, le président de la commission des finances Claude Raynal et moi-même vous avons écrit pour nous opposer à l'instruction que vous comptiez publier. Vous êtes passé outre. Lors du contrôle que j'ai réalisé à Bercy, j'ai découvert que même votre administration s'y opposait : « La direction de la législation fiscale (DLF) et la DGFiP sont elles-mêmes d'avis de ne pas répondre à la fédération bancaire française sur ce point qui était le plus controversé au Sénat et compte tenu de l'intention du législateur. »
De quelle légitimité démocratique vous prévalez-vous pour maintenir ce texte ? (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, SER et sur quelques travées du groupe CRCE-K ; « Bravo ! » de M. Franck Dhersin)
M. Éric Lombard, ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique . - La fraude CumCum consiste à éviter l'impôt sur les dividendes en transférant les titres à un intermédiaire non soumis à la retenue à la source.
Nous souhaitons lutter contre la fraude tout en permettant à nos entreprises d'accéder aux financements de marché. Nous n'avons pas attendu les révélations de la presse en 2018 pour diligenter des contrôles. Dans le respect du secret fiscal auquel je suis tenu (M. Fabien Gay ironise), je peux dire que les premiers contrôles ont été réalisés en 2017, conduisant à des dépôts de plainte et à une instruction du parquet national financier (PNF). Le 28 mars 2023, cinq établissements bancaires ont été perquisitionnés dans le cadre d'une enquête pour fraude fiscale aggravée et blanchiment.
Quant au texte publié au Bulletin officiel des finances publiques (Bofip) le 17 avril, il est normal que l'administration fiscale commente les dispositions nouvelles des lois de finances. Le texte a fait l'objet d'une concertation avec les banques de la place par des échanges oraux et écrits.
L'avis de l'administration portait sur un point de précision, que j'ai décidé de maintenir ; vous conviendrez que c'est mon droit en tant que ministre.
M. Jean-François Husson. - Je l'ai sous les yeux !
M. Éric Lombard, ministre. - Un recours a été déposé et le Conseil d'État dira le droit. Nous avons respecté le Parlement et explicité les choses au contribuable. (Protestations à droite)
M. Jean-François Husson. - Je ne suis pas convaincu. Vos administrations m'ont confirmé que, depuis 2018 - vous n'êtes donc pas seul concerné - elles n'avaient jamais reçu d'instruction ni de commande politique pour insérer un article dans le projet de loi de finances contre le CumCum. Il y a 4,5 milliards d'euros de redressement en cours ! Cette délinquance en col blanc est inacceptable ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, du RDSE, du GEST et des groupes SER et CRCE-K)
Monsieur le Premier ministre, vous avez exprimé un doute sérieux hier à l'Assemblée nationale à ce sujet. Vous avez rappelé votre respect du Parlement, souverain au nom du peuple français.
Agissez, donc : retirez ce texte ! Notre République en serait honorée. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, INDEP, du RDSE, du GEST, et des groupes SER et CRCE-K)
Iran (I)
Mme Patricia Schillinger . - (Applaudissements sur les travées du RDPI) Cela fait plus de trois ans que Cécile Kohler et Jacques Paris, nos compatriotes originaires du Haut-Rhin, sont détenus arbitrairement en Iran, utilisés comme otages dans un jeu diplomatique cynique. Leur sort nous préoccupe plus que jamais. Ce lundi, des frappes israéliennes ont touché la tristement célèbre prison d'Evin où ils sont détenus.
Selon les propres mots du ministre, « cette frappe, dont on peine à comprendre les motivations, a mis en danger leur vie. »
Dans le même temps, des signaux de désescalade apparaissent : Israël annonce avoir atteint ses cibles, Washington évoque une accalmie et la reprise de pourparlers.
Quelles garanties avez-vous obtenues sur l'intégrité physique de nos compatriotes haut-rhinois ? Ferez-vous de leur libération une priorité absolue et non négociable dans les négociations sur le nucléaire avec Téhéran ? (Applaudissements sur les travées du RDPI ; M. Cédric Chevalier applaudit également.)
M. Benjamin Haddad, ministre délégué chargé de l'Europe . - Voilà trois ans que nos compatriotes sont retenus en otages par la République islamique d'Iran dans des conditions indignes qui relèvent de la torture au regard du droit international. Leur libération est une priorité ; le Président de la République l'a rappelé clairement à son homologue iranien.
À la suite des frappes israéliennes, Jean-Noël Barrot s'est entretenu avec son homologue iranien pour s'enquérir du sort de nos compatriotes et rappeler l'exigence de leur libération immédiate et inconditionnelle.
Nous avons eu l'assurance qu'ils n'avaient pas été blessés. J'ai une pensée particulière pour leurs familles, qui vivent un calvaire. Je salue le travail de nos diplomates qui les accompagnent.
La politique d'otages d'État de l'Iran est une violation du droit international ; la France a ainsi déposé en mai une requête auprès de la Cour internationale de justice pour violation de la Convention de Vienne de 1963.
Nous continuerons à nous mobiliser pour assurer la sécurité et surtout la libération de Cécile Kohler et Jacques Paris. (Applaudissements sur les travées du RDPI ; M. Rachid Temal applaudit également.)
Mme Patricia Schillinger. - Je connais l'engagement du Gouvernement et votre ténacité... (M. Rachid Temal ironise.)
Mais cela ne suffit pas pour toutes les personnes qui oeuvrent à la libération de Cécile et de Jacques. Il y a urgence. Cécile ne va pas bien, et nous ne pouvons pas communiquer avec elle. Mes pensées vont à ses parents, ses proches et à tous les élus qui les soutiennent.
Le Sénat les applaudit, nous sommes à leurs côtés. (Applaudissements sur les travées du RDPI et sur quelques travées des groupes Les Républicains, UC, SER et du GEST)
Souveraineté numérique et situation de l'entreprise Visibrain
Mme Vanina Paoli-Gagin . - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP) On ne peut à la fois appeler à une plus grande souveraineté numérique et acheter à des non Européens dès que l'occasion se présente. Visabrain est le seul acteur français indépendant spécialisé dans la veille stratégique des réseaux sociaux - ou social listening. Depuis 2017, cette société équipe plusieurs administrations de l'État. Elle fait une veille sur les réseaux sociaux - X, TikTok, Telegram et LinkedIn - et suit les tendances pour anticiper les crises et lutter contre la désinformation. Cet outil est critique ; il serait irresponsable d'abandonner aux puissances étrangères cette mine d'informations vitales pour notre sécurité. Le service d'information du Gouvernement (SIG) a pourtant écarté son prestataire historique au profit de Talkwalker, solution hébergée sur des infrastructures soumises au Cloud Act.
Les prochaines élections en France feront l'objet de tentatives d'ingérences via les réseaux sociaux, armes de destruction massive de nos démocraties, comme aux États-Unis et en Roumanie.
Comment le SIG a-t-il pu faire preuve d'une telle naïveté ? L'offre ne couvre même pas TikTok, alors que 70 % des utilisateurs français de ce réseau ont moins de 24 ans. Son prix est anormalement bas. Ce vil prix est-il celui de notre souveraineté ? (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et sur quelques travées du groupe UC et du GEST ; M. Rachid Temal applaudit également.)
Mme Clara Chappaz, ministre déléguée chargée de l'intelligence artificielle et du numérique . - Cette question est fondamentale. Je pourrais vous rétorquer : oui, le SIG a pris la décision d'attribuer trois lots à des sociétés françaises et un lot à une société canadienne ; oui, cette société offrait des prix bien plus intéressants, les informations ne sont pas sensibles et ses serveurs sont hébergés en Europe.
Pourtant, cette décision est inadmissible : on ne peut pas se cacher derrière le code des marchés publics pour ne pas choisir des prestataires européens ou français. (Applaudissements sur quelques travées du groupe INDEP ; MM. François Patriat et Henri Cabanel applaudissent également.)
C'est cependant un sujet difficile ; l'encadrement juridique est contraignant. Comme sur un certain nombre de sujets, je ne lâcherai rien. Regardons ce que nous pouvons faire en Europe dans le cadre de la directive sur la commande publique. (Exclamations ironiques sur plusieurs travées du groupe UC et à gauche ; M. Franck Montaugé lève les bras au ciel.)
On ne peut construire une politique de souveraineté numérique sans une politique industrielle indépendante. (Applaudissements sur les travées du RDPI ; protestations sur plusieurs autres travées)
Réchauffement climatique
M. Éric Gold . - Ce n'est plus une hypothèse, mais un constat : limiter le réchauffement climatique à 1,5 °C n'est plus possible dix ans après l'accord de Paris, selon 61 scientifiques de renom. En raison de notre incapacité à diminuer nos émissions de gaz à effet de serre, notre bilan carbone résiduel serait épuisé dans moins de trois ans. Les conséquences sont connues, puisqu'elles figuraient déjà dans le premier rapport du Giec de 1990. Les politiques n'ont pas pris la mesure de la situation.
Hier, l'Assemblée nationale a retrouvé la raison en rejetant un moratoire sur les installations éoliennes et photovoltaïques. Cependant, avec la réduction du fonds vert, la suppression des zones à faible émission, les conflits sur les conditions d'accès à l'eau, l'avenir incertain de MaPrimeRénov', nous assistons, impuissants, à une vague de retours en arrière, alors que nous n'avons pas fait assez.
Une large majorité de la population souhaite agir contre le réchauffement climatique, mais les climatosceptiques parlent le plus fort.
Madame la ministre, vous avez eu des mots forts, comme votre collègue de l'industrie. Mais il faut se projeter sur le long terme, au-delà du temps électoral et de celui d'un gouvernement soumis à l'instabilité politique.
Que comptez-vous faire pour que votre gouvernement ne soit pas celui du renoncement ? (Applaudissements sur les travées du RDSE, du GEST et sur plusieurs travées du groupe SER)
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche . - L'inaction climatique est une arme de destruction massive. Même si la France tient sa trajectoire de baisse des émissions de gaz à effet de serre à fin 2024 - le Conseil d'État l'a confirmé - (M. Pierre-Alain Roiron et Mme Mathilde Ollivier protestent), et non à 2025, je le précise (On ironise à gauche) ; le compte n'y est pas. D'ici à trois ans, la planète aura épuisé son budget carbone.
Mais le Gouvernement ne renonce pas. Avec Marc Ferracci, nous publierons une programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) équilibrée, pour le pouvoir d'achat des Français, pour baisser les gaz à effet de serre, pour réindustrialiser, en nous appuyant sur les énergies renouvelables et le nucléaire.
Nous déployons aussi le plan national d'adaptation au changement climatique (Pnacc), la stratégie nationale biodiversité 2030 (SNB) et la stratégie nationale bas-carbone (SNBC). Ce sont des actes et non des abstractions : jamais autant de maires et de présidents d'exécutifs locaux n'ont investi à ce point. Nous devrons faire des efforts budgétaires, mais n'oublions pas que la dette financière doit toujours être gérée sans oublier la dette climatique.
Une voix à gauche. - Et alors ?
Retraites (I)
M. Patrick Kanner . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Monsieur le Premier ministre, alors que la France a besoin de stabilité dans un contexte international terrifiant, que les Français réclament plus de justice sociale et fiscale et une amélioration de leur pouvoir d'achat, vous affirmiez le 19 mars dernier devant les formations politiques : « le déblocage du pays nécessite de reprendre la réforme du régime des retraites, une réforme injuste imposée brutalement par Mme Borne et rejetée par 85 % de nos concitoyens. »
Mais depuis quarante-huit heures, vous êtes l'otage de l'intransigeance assumée, provocatrice, irresponsable, d'un patronat arc-bouté sur ses intérêts et refusant le paritarisme.
Des avancées concrètes étaient pourtant à portée de main : reconnaissance des carrières hachées, notamment pour les femmes, élargissement du compte pénibilité, accès à la retraite sans décote, financement sécurisé... La CFDT, la CFTC, la CFE-CGC étaient prêtes à s'engager. Le patronat, non. Et vous ?
Nous combattrons toujours avec détermination l'injustice structurelle de l'augmentation de l'âge légal de départ à la retraite, cet impôt sur la vie. Mais dans l'intérêt de millions de Français, il faut donner une chance à la politique des petits pas.
Monsieur le Premier ministre, dans votre lettre du 16 janvier, vous étiez prêt à présenter les avancées au Parlement même sans accord global, comme vous le rappelait Boris Vallaud hier. Allez-vous sortir de l'ambiguïté et redonner le dernier mot au Parlement ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur quelques travées du groupe CRCE-K)
M. François Bayrou, Premier ministre . - Je veux vous répondre précisément. (« Ah » à gauche) Il est faux de penser que le conclave, comme certains l'ont appelé...
M. Rachid Temal. - Comme vous l'avez appelé !
M. François Bayrou, Premier ministre. - ... a été un échec - au contraire. (Exclamations ironiques à gauche)
Une voix à gauche. - C'est juste qu'il « n'a pas marché » !
M. François Bayrou, Premier ministre. - Nous verrons, je l'espère, dans quelques heures, que cela n'a pas été le cas. (Mêmes mouvements) Des avancées importantes ont été consenties par tous les acteurs présents autour de la table : syndicats de salariés et représentants des entreprises. Ces avancées allaient dans le sens de ce que le Gouvernement et la nation souhaitent : un équilibre pour le régime des retraites et un traitement plus juste de certaines situations, notamment celle des femmes qui ont eu des enfants. (Mme Monique Lubin s'exclame.)
Hier matin, après avoir constaté que les participants à cette réunion s'étaient séparés sans accord, je les ai invités à venir me rencontrer ; ils sont tous venus. Un chemin existe pour ne rien perdre des avancées consenties. Je continuerai à travailler avec eux jusqu'à demain après-midi, et je dirai alors aux Français quel accord nous pouvons trouver. S'il demeure des points de désaccord, le Gouvernement les tranchera.
M. Rachid Temal et M. Rémi Cardon. - Et le Parlement ?
M. François Bayrou, Premier ministre. - Je serai ainsi absolument fidèle au texte que vous avez imparfaitement cité : je me suis engagé à ce que, si cet accord entraînait des dispositions législatives, elles soient soumises au Parlement. (Mme Cécile Cukierman et M. Rachid Temal protestent.) C'est une obligation morale l'égard des générations qui viennent. (Applaudissements sur quelques travées du groupe UC)
M. Patrick Kanner. - Je ne suis pas convaincu ; j'aurais aimé une réponse plus claire : que le Parlement réexaminerait l'ensemble de ce dossier... (Plusieurs sénateurs du groupe Les Républicains marquent leur désapprobation.)
Je ne sais pas si c'est la menace de la censure qui vous fait avancer. (Marques d'agacement à droite et au centre) Sachez que vous avez intérêt à parler aux républicains - au sens large - de ce pays, plutôt que de vous livrer au bon vouloir du RN : cela a coûté cher à votre prédécesseur ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER)
Retraites (II)
Mme Cécile Cukierman . - (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K) Le conclave sur les retraites, qui vous a permis d'échapper à la censure cet hiver, s'est achevé sur un échec : il faut le dire. Échec prévisible, puisque vous avez refusé de mettre sur la table l'abrogation de la retraite à 64 ans et que le patronat s'est obstiné à ne rien céder sur la pénibilité et les carrières anticipées. Allez-vous présenter un projet de loi au Parlement, comme vous vous y êtes engagé ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K ; Mme Colombe Brossel applaudit également.)
M. François Bayrou, Premier ministre . - À mes yeux, pour avoir suivi les négociations presque minute par minute depuis quatre mois, des progrès considérables ont été accomplis et l'accord était à portée de la main - nous étions à quelques centimètres de la réussite. (On ironise à droite et sur certaines travées à gauche.)
Allons-nous laisser ces progrès sans suites ? Non : nous allons prendre en compte, autant que possible, toutes les concessions et volontés de se rapprocher qui se sont manifestées. Le Gouvernement prendra ses responsabilités.
M. Rachid Temal. - Que faites-vous du Parlement ?
M. François Bayrou, Premier ministre. - Non pas, monsieur Kanner, parce que nous serions sous la menace d'une censure : nous le sommes constamment, puisque, chacun s'en est aperçu, il n'y a pas de majorité à l'Assemblée nationale.
M. Pascal Savoldelli. - Et la majorité populaire ?
M. François Bayrou, Premier ministre. - Il est donc inutile de penser, comme Chantecler, que le soleil se lève parce qu'on chante...
Mme Laurence Rossignol. - Répondez plutôt à Mme Cukierman !
M. François Bayrou, Premier ministre. - Je suis un défenseur de la démocratie sociale, tout le monde le sait. La présidente Cukierman peut donc être assurée que le travail accompli ne restera pas vain. Le Gouvernement l'assumera devant les Français. (MM. François Patriat, Daniel Chasseing, Emmanuel Capus et Loïc Hervé applaudissent.)
Mme Cécile Cukierman. - Votre totem d'immunité reposait sur deux choses : l'organisation d'une négociation sur la réforme des retraites et le retour devant le Parlement avec un projet de loi. Quatre mois ont passé, et vous n'avez respecté aucune des conditions de votre accord avec les parlementaires socialistes.
Vous aviez dit : « Le Parlement aura, en tout état de cause, le dernier mot ». Mais en déclarant d'emblée que le retour à 62 ans était exclu et qu'il fallait dégager 6 milliards d'euros, vous avez sciemment dénaturé la négociation et empêché un dialogue social serein.
Vous nous assurez encore et toujours qu'un chemin existe pour un accord. Je crois volontiers en votre goût pour la randonnée, mais je ne vous accompagnerai pas dans le Jurançon, de crainte de m'égarer sur l'un de vos chemins qui ne sont que des impasses.
L'abrogation reste fortement attendue par une grande majorité de nos concitoyens. Nous continuons de l'exiger, car elle est la seule issue pour répondre à leurs attentes, notamment en matière de pénibilité et de temps de travail. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K et SER ; Mme Raymonde Poncet Monge applaudit également.)
Hommage au doyen Jean-Marie Vanlerenberghe
M. le président. - Je tiens à rendre hommage à Jean-Marie Vanlerenberghe, notre doyen, avant qu'il ne pose sa dernière question. Sénateur du Pas-de-Calais depuis 2001, il a décidé de mettre un terme à son mandat le 31 août prochain, après vingt-quatre années au sein de la Haute Assemblée.
Je le remercie pour son engagement au sein de la commission des affaires culturelles puis de la commission des affaires sociales, dont il a été vice-président, puis rapporteur général pendant sept ans - notre collègue Alain Milon s'en souvient bien.
Notre collègue a contribué à de nombreux travaux du Sénat en matière sociale : je pense, bien sûr, aux projets de loi de financement de la sécurité sociale, mais aussi aux textes relatifs à l'amélioration de notre système de soins, à l'évolution de notre système de retraite et aux transformations du marché de l'emploi. En 2005, il a présidé la mission d'information sur le bilan et les conséquences de la contamination par l'amiante, dont les travaux ont fait date.
Mon cher collègue, permettez-moi de vous exprimer la gratitude du Sénat. (Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que Mmes et MM. les membres du Gouvernement, se lèvent et applaudissent chaleureusement.)
Questions d'actualité (Suite)
Retraites (III)
M. Jean-Marie Vanlerenberghe . - Merci, mes chers collègues. Je ne suis pas sûr de mériter toutes ces louanges, mais je les accepte volontiers... (Sourires)
Le conclave ne s'est pas achevé par une fumée blanche. Je le regrette, mais, comme vous, monsieur le Premier ministre, je pense qu'il ne faut pas en rester là.
Il y a cinq mois, vous avez confié aux partenaires sociaux le soin de réviser la réforme des retraites sans tabou ni totem, pas même l'âge d'ouverture des droits, mais en respectant l'équilibre du système à l'horizon 2030.
Vous avez ainsi offert une chance inespérée au paritarisme et au dialogue social, auquel nous sommes tous attachés. Il s'agissait d'une forme de retour aux sources, les partenaires sociaux ayant, pendant longtemps, assuré seuls la gestion des retraites. Ils gèrent d'ailleurs encore l'Agirc-Arrco, qui détient 86 milliards d'euros de réserves pour 100 milliards d'euros de dépenses, un résultat exemplaire. Tous les participants au conclave sont favorables à cette gouvernance paritaire, rapprochant le régime de base des complémentaires du privé.
Des avancées ont été obtenues sur des questions essentielles : pénibilité et droits des mères de famille, notamment. Oui, une voie de passage existe. Que comptez-vous faire désormais ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur quelques travées du groupe INDEP et du RDSE)
M. François Bayrou, Premier ministre . - Je m'associe aux compliments que le Président du Sénat vous a adressés et que nous avons appuyés par nos applaudissements.
Une longue histoire nous lie, de militantisme et d'amitié. En vous voyant, je revis le moment où, jeune agrégé, je sonnai à la porte du parti politique qui est toujours le nôtre. J'avais à peine vingt ans, et celui qui m'accueillit s'appelait Jean-Marie Vanlerenberghe.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Formidable !
M. François Bayrou, Premier ministre - Parmi nos convictions communes, il y a l'attachement à l'idéal de démocratie sociale. Nous pensons que certains domaines de la vie collective relèvent non pas du politique, mais de la société civile organisée et des corps intermédiaires. C'est ainsi qu'on peut apaiser la société au lieu de la rendre sans cesse plus conflictuelle.
M. Rachid Temal. - Comme avec le conclave...
M. François Bayrou, Premier ministre. - Les retraites sont l'un de ces domaines. En la matière, la responsabilité des partenaires sociaux peut être bienfaisante : nous l'avons cru et le croyons toujours.
La négociation récente peut aboutir positivement ; en tout cas, elle a fait considérablement progresser les choses. Je vous confirme la détermination du Gouvernement à garantir que rien ne soit perdu du chemin accompli et à mener à son terme le travail de concertation des organisations syndicales et patronales.
Permettez-moi, pour finir, de vous adresser des remerciements affectueux. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du RDPI et du groupe INDEP)
Programmation énergétique de la France
Mme Anne Souyris . - (Applaudissements sur les travées du GEST) Qui aurait pu prédire que la droite et l'extrême droite allaient s'allier pour attaquer l'écologie ? (Murmures désapprobateurs à droite)
Alors que, selon les scientifiques, l'objectif de limiter le réchauffement climatique global à 1,5 °C n'est plus atteignable, voici que, après les ZFE, le ZAN et MaPrimeRénov', Les Républicains et le Rassemblement national se sont trouvé un nouveau point commun : la décroissance des énergies renouvelables.
C'est ce qui a failli être acté hier, à l'Assemblée nationale, grâce à certains soutiens du Gouvernement. Fessenheim aurait été rouverte, grâce à une extrême droite toute-puissante. Ce que Laurent Wauquiez et l'extrême droite nous proposent, c'est le retour à la lampe à huile, le backlash écologique, le climato-négationnisme ! (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains)
Les députés ont finalement rejeté la proposition de loi Gremillet et son moratoire sur les énergies renouvelables : tant mieux. Et maintenant ?
Maintenez-vous l'inscription de ce texte à l'ordre du jour du Sénat le 8 juillet et publierez-vous le décret de programmation pluriannuelle de l'énergie avant cette nouvelle lecture ? Votre coalition, oublieuse des promesses d'Emmanuel Macron, fermera-t-elle le ban d'une programmation ambitieuse pour les énergies renouvelables, seules à même de protéger notre souveraineté et le climat ? (Applaudissements sur les travées du GEST)
M. Marc Ferracci, ministre chargé de l'industrie et de l'énergie . - Le cap de notre politique énergétique reste inchangé : sortir de la dépendance aux énergies fossiles. C'est un enjeu climatique, mais aussi de souveraineté, dans la mesure où ces énergies pèsent sur notre balance commerciale à hauteur de 70 milliards d'euros et nous mettent à la merci de pays dont certains nous sont désormais hostiles.
Ce cap, nous l'atteindrons grâce à une stratégie reposant sur deux jambes : le nucléaire et les énergies renouvelables. La proposition de loi de Daniel Gremillet, dont je salue le travail, fournissait un cadre. (M. Jean-François Husson renchérit.) Elle a été dénaturée à l'Assemblée nationale par des mesures absurdes du point de vue industriel, comme la réouverture de Fessenheim,...
M. Jacques Fernique. - Absurde, c'est le mot !
M. Marc Ferracci, ministre chargé de l'industrie et de l'énergie. - ... et d'autres très fragiles du point de vue du respect du droit européen. Quant au moratoire sur les énergies renouvelables, il serait dévastateur pour nos filières et l'économie de nos territoires.
Ce texte a été rejeté : je pense que c'était nécessaire. Il va poursuivre son cheminement et revenir devant vous le 8 juillet. La sérénité doit reprendre ses droits dans les débats.
Le décret portant programmation pluriannuelle de l'énergie est réclamé par les filières industrielles et nécessaire pour mettre notre politique nucléaire en cohérence avec nos objectifs, mais il ne sera publié qu'une fois que la représentation nationale aura pu converger sur un texte et le voter. (M. François Patriat applaudit.)
M. Yannick Jadot. - Franchement...
Mme Anne Souyris. - Votre « et et » ressemble beaucoup à un « en même temps ». Mais à quoi cela aboutit-il ? Le texte voté par le Sénat était déjà profondément insatisfaisant : c'était le nucléaire et les renouvelables, mais sans les renouvelables...
Alors que la droite et l'extrême droite sont en train de saccager l'écologie et l'accord de Paris (Marques d'indignation à droite),...
M. le président. - Il faut conclure.
Mme Anne Souyris. - ... j'espère que vous tiendrez vos engagements ! (Applaudissements sur les travées du GEST)
Mode de scrutin à Paris, Lyon et Marseille
Mme Muriel Jourda . - (Applaudissements nourris sur les travées du groupe Les Républicains) Monsieur le Premier ministre, vous avez jugé utile d'inscrire à l'ordre du jour du Parlement un projet de loi modifiant le mode de scrutin municipal à Paris, Lyon et Marseille.
M. Bruno Sido. - Une absurdité !
Mme Muriel Jourda. - Non seulement il a été tardivement déposé, mais il traduit une certaine impréparation, comme le président du Sénat et le président Darnaud l'ont souligné. Au second, vous avez répondu : « Le Parlement sera souverain, pas le Gouvernement. » (M. Albéric de Montgolfier s'exclame.) Vous avez ajouté : « Je n'imagine pas qu'un texte soit adopté sur ce sujet sans accord entre l'Assemblée nationale et le Sénat. »
Dans ces conditions, nous ne concevons pas que vous passiez outre l'avis de la chambre des territoires. Or, constatant que ce texte avait été écrit avec une légèreté quasiment irréparable, nous l'avons rejeté à une assez forte majorité. Vous avez pourtant convoqué immédiatement une CMP, qui n'a pas été conclusive compte tenu de la faiblesse des propositions qui nous ont été faites.
Aujourd'hui, je lis dans les journaux que vous souhaiteriez poursuivre le processus législatif. Mais je ne crois pas nécessairement ce que je lis dans les journaux... Pouvons-nous connaître vos intentions ? (Vifs applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; applaudissements sur de nombreuses travées des groupes SER et CRCE-K ; MM. Emmanuel Capus et Akli Mellouli applaudissent également.)
M. Patrick Mignola, ministre délégué auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement . - (Vives protestations sur plusieurs travées ; quelques huées à droite)
M. Max Brisson. - Le Premier ministre !
M. Patrick Mignola, ministre délégué. - Ma réponse, ce sont les institutions, rien que les institutions, mais toutes les institutions. (Marques d'ironie sur de nombreuses travées)
Le Gouvernement exerce ses responsabilités sans majorité à l'Assemblée nationale et les deux chambres sont parfois en désaccord. Dans ce cas, c'est le cycle institutionnel qui permet d'aller vers un compromis. C'est dans cet esprit que le Premier ministre nous demande de travailler.
M. Roger Karoutchi. - Ce n'est pas ce qu'il avait dit !
M. Patrick Mignola, ministre délégué. - Sinon, qu'arriverait-il aux textes d'origine sénatoriale et que le Gouvernement soutient : loi Duplomb, loi Gremillet, loi Trace ? Il est possible qu'il y ait des différences de vues profondes entre l'Assemblée nationale et le Sénat.
M. Jacques Grosperrin. - Où est le Premier ministre ?
M. Patrick Mignola, ministre délégué. - J'entends vos préventions, légitimes et que le président du Sénat a réitérées, sur l'éventualité d'un dernier mot donné à l'Assemblée nationale. Mais nous n'en sommes pas là. (Exclamations à droite et sur certaines travées à gauche)
Nos institutions prévoient que, après l'échec d'une CMP, les deux chambres soient saisies en nouvelle lecture. Le Gouvernement fera tout pour qu'un compromis soit trouvé.
Je rends hommage au travail des rapporteurs Josende et Mattei ; ils ont travaillé ensemble à des propositions conformes aux attentes du Sénat, en particulier sur les compétences des arrondissements et le rôle de leurs maires. (Mmes Marie-Claire Carrère-Gée et Catherine Dumas le contestent.) J'ai compris que ces propositions n'avaient pas été examinées très longtemps et que certains échanges avaient moins scintillé de bonne foi que nous l'aurions souhaité. (Protestations et quelques marques d'indignation à droite)
Le Gouvernement s'engage à travailler à un compromis : c'est ainsi que nous pourrons faire fonctionner nos institutions. (Nombreuses marques d'insatisfaction à droite et à gauche ; Mme Marie-Claire Carrère-Gée proteste ; M. François Patriat applaudit.)
Mme Muriel Jourda. - Vous-même, le 3 juin, avez dit que le Gouvernement prendrait une décision en concertation avec les deux assemblées. Quand je vous entends cet après-midi, je me demande lequel de nous deux est de bonne foi... (Mmes et MM. les sénateurs du groupe Les Républicains se lèvent et applaudissent avec énergie ; applaudissements sur de nombreuses travées des groupes SER et CRCE-K ; MM. Marc Laménie et Vincent Louault applaudissent également.)
Justice fiscale
M. Thierry Cozic . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Monsieur le Premier ministre, en février dernier, le Parti socialiste a pris ses responsabilités afin de doter le pays d'un budget. En échange de la non-censure, vous vous étiez engagé, par écrit, à instaurer une taxation des hauts patrimoines, censée générer 4 milliards d'euros de recettes, afin de rétablir un semblant de justice fiscale, après huit ans de macronisme.
Vous nous payez en billets de Monopoly.
Votre attelage gouvernemental n'est pourtant pas plus légitime qu'au lendemain des dernières législatives : l'alliance des perdants ne saurait imposer ses vues à ceux qui sont arrivés en tête, surtout en matière budgétaire.
Alors que vous allez vous écraser contre le mur du budget, vous discutez de sa couleur ! Vous nous conviez à l'une de ces réunions où tout est décidé à l'avance, pour mieux vous prévaloir d'une concertation factice. À part faire des économies sur les plus fragiles, rien ne trouve grâce à vos yeux.
Sur les retraites, vous n'avez pas davantage tenu vos engagements. Les socialistes ont donc logiquement déposé une motion de censure.
Comptez-vous respecter vos engagements en matière de justice fiscale ou envisagez-vous une fuite en avant, vous contraignant à un tango mortifère avec l'extrême droite ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; M. Ian Brossat applaudit également.)
M. Éric Lombard, ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique . - Rien n'est décidé d'avance : ces sujets vont nous occuper dans les mois qui viennent. Il n'y a pas de majorité à l'Assemblée nationale, c'est donc dans la concertation que nous travaillerons. Avec la ministre des comptes publics, nous allons recevoir les présidents de groupe, de commission et les rapporteurs généraux pour écouter les propositions et élaborer un projet de loi de finances dont le Premier ministre donnera les premières lignes mi-juillet. Nous poursuivrons la concertation à la rentrée, afin de trouver l'accord le plus large possible.
Sur les retraites, le Premier ministre a été limpide : les partenaires sociaux étaient à quelques centimètres d'un accord (M. Rachid Temal le conteste), il nous faut trouver les voies et moyens d'y parvenir.
Les engagements en matière fiscale seront tenus - vous connaissez le Premier ministre. Le texte va se construire dans le dialogue. Nous sommes prêts à travailler avec vous pour élaborer un budget efficace et utile. (M. François Patriat applaudit.)
M. Thierry Cozic. - En ne respectant pas vos engagements, vous vous exposez à la censure, ce qui vous met dans la main de l'extrême droite - M. Barnier peut en témoigner. Ne jouez pas le budget de la France à la roulette russe. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)
Statut de l'élu local
Mme Marie-Jeanne Bellamy . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Daniel Fargeot applaudit également.) Les maires de France attendent un véritable statut de l'élu local. Le Sénat a répondu à cet appel il y a plus d'un an avec une proposition de loi, adoptée à l'unanimité.
Injures et diffamations quotidiennes, menaces, agressions physiques, charge mentale croissante : las et découragés, nombre de maires renoncent à se représenter ou peinent à constituer une liste, faute de candidats, à moins de neuf mois des prochaines municipales.
Nos élus ne demandent pas le grand soir, simplement une reconnaissance de leur engagement, une meilleure protection et des conditions d'exercice compatibles avec une vie personnelle et professionnelle.
Après de nombreux reports, l'Assemblée nationale se saisit enfin du texte à partir du 7 juillet ; mais que la route est longue !
Monsieur le Premier ministre, vous qui êtes maire et attaché à ce mandat, vous engagez-vous solennellement à inscrire ce texte à l'ordre du jour du Sénat dès septembre, pour une promulgation avant la fin de l'année ? Il y a urgence, les élus ne peuvent plus attendre ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. François Rebsamen, ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation . - Nous partageons votre analyse. Ce texte, attendu par tous les élus, sera inscrit à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale le 7 juillet. Ancien maire de Dijon, j'en mesure l'importance, je sais ce qu'en attendent les élus.
La même volonté qui s'est exprimée au Sénat l'année dernière prévaudra, je l'espère, à l'Assemblée. Avec Françoise Gatel, qui a porté ce texte lorsqu'elle était sénatrice, nous tenons à ce qu'il revienne devant vous en septembre, comme vous me l'avez demandé.
Nos élus attendent de meilleures conditions d'exercice de leur mandat, une véritable protection fonctionnelle, la fin du conflit d'intérêts public-public qui les oblige à se déporter sans cesse, au point que la moindre réunion de conseil municipal devient une gymnastique mathématique. Ils souhaitent aussi renouveler les listes, en y intégrant des étudiants, par exemple, ce qui suppose de faciliter leur accès au statut d'élu.
Nous attendons tous ce texte. Je le défendrai à l'Assemblée nationale au nom du Gouvernement, et serai très heureux de revenir le défendre au Sénat en septembre. (Applaudissements sur les travées du RDPI ; Mme Anne-Sophie Patru applaudit également.)
Mme Marie-Jeanne Bellamy. - Il y a vraiment urgence, les élus attendent. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Iran (II)
Mme Olivia Richard . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Depuis 1 145 jours, Cécile Kohler et Jacques Paris sont retenus en otage par le régime iranien - sans jugement, sans contact régulier avec leurs familles ou avec le poste diplomatique, dans des conditions de détention contraires au droit international.
Les tirs visant la prison d'Evin augmentent notre inquiétude. Malgré les demandes de notre diplomatie, qu'Ayda Hadizadeh et moi-même avons relayées auprès de l'ambassadeur d'Iran à Paris, nous n'avons aucun contact avec les otages depuis les frappes israéliennes.
Le fragile cessez-le-feu annoncé par le président Trump balaie les espoirs des opposants au régime des mollahs, qui pourraient faire l'objet d'une chasse aux sorcières.
Notre ambassade est restée ouverte, nos agents sont en poste. Je veux dire notre soutien à notre chargé d'affaires, Rémy Bouallègue, et à son équipe. Je salue leur action pour accompagner nos ressortissants. Pierre Cochard, nommé ambassadeur, prendra bientôt son poste.
Nous savons l'engagement de la diplomatie française et les efforts de notre ministre des affaires étrangères pour favoriser une désescalade. La France a joué un rôle facilitateur dans la négociation du cessez-le-feu : nous restons une voix utile.
Ma question n'est pas simple : quelle est aujourd'hui la position de la France face au régime iranien ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; M. Thomas Dossus et Mme Mathilde Ollivier applaudissent également.)
M. Benjamin Haddad, ministre délégué chargé de l'Europe . - Sur ce sujet si grave, la position de la France a toujours été claire et constante. (M. Roger Karoutchi ironise.) Le régime iranien ne peut pas, ne doit pas se doter de l'arme nucléaire. L'AIEA a révélé que l'Iran violait le traité de non-prolifération. L'Iran développe des missiles balistiques qui pourraient frapper Israël, dont il dit vouloir la destruction, mais aussi l'Europe. L'Iran soutient le terrorisme - le Hamas, le Hezbollah, les Houthis. Missiles et drones iraniens sont utilisés quotidiennement par la Russie dans sa guerre contre l'Ukraine. L'Iran retient Cécile Kohler et Jacques Paris, de façon indigne et inacceptable, depuis trois ans.
La France s'attache à protéger nos ressortissants - merci d'avoir salué la mobilisation du personnel diplomatique. Le centre de crise fonctionne jour et nuit. Plus de mille ressortissants français ont été rapatriés d'Israël grâce aux A400M ; nous continuons à nous mobiliser.
La France appelle partout à la diplomatie, au respect du droit international et au multilatéralisme. Il n'y a pas de solution durable au problème nucléaire iranien par la voie militaire. En témoigne le JCPoA (Joint Comprehensive Plan of Action) conclu en 2015. Alors que le fragile cessez-le-feu commence à prendre effet, nous appelons toutes les parties à se remettre autour de la table. (Murmures peu convaincus sur les travées du groupe Les Républicains)
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. - On abandonne les Iraniens !
Modélisations budgétaires et évolution de la Corse
M. Jean-Jacques Panunzi . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) L'engagement en faveur de la dévolution d'un pouvoir législatif à la Collectivité de Corse devrait se traduire par le dépôt d'un projet de loi constitutionnel, puis d'une loi organique qui détaillera les compétences transférées.
Comme l'indique la déclaration de février 2024, une majorité d'élus de la Collectivité souhaite que celle-ci dispose de l'ensemble des compétences non régaliennes : fiscalité, santé, formation, éducation.
Depuis le début du processus de Beauvau, nous demandons à connaître les grandes masses budgétaires : combien la Corse génère de recettes fiscales, combien elle reçoit de la solidarité nationale.
Nous avons besoin de données sur la situation budgétaire et économique. Le récent rapport de la chambre régionale des comptes, qui révèle une situation très dégradée, va dans le sens des données rapportées dans la mission sénatoriale sur l'avenir statutaire de la Corse.
Le Gouvernement doit éclairer la représentation nationale, sans quoi elle ne pourra délibérer en conscience sur l'autonomie de la Corse. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Olivier Cigolotti applaudit également.)
M. François Rebsamen, ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation . - La Corse mérite une attention toute particulière. Elle fait face à d'importants défis, en termes d'aménagement, de pouvoir d'achat, d'accompagnement des jeunes actifs, de foncier, de logement, de continuité territoriale.
Je réunirai prochainement un comité de suivi technique interministériel pour garantir le meilleur soutien de l'État.
L'État accompagne la Corse dans son développement avec le plan de transformation et d'investissement doté de 500 millions d'euros, qui succède à un autre plan d'investissement exceptionnel. Cet effort a un effet multiplicateur et consolide le potentiel de croissance de l'île.
Le processus institutionnel qui devrait conduire à l'autonomie est-il de nature à modifier cette dynamique au bénéfice de l'économie corse ? Difficile de répondre. Un inventaire comptable est-il pertinent ? Faut-il comptabiliser les politiques sectorielles nationales ? Interroger les caisses de retraite ? C'est un travail complexe. Il me semble toutefois que la Corse est bénéficiaire nette ; j'espère très prochainement vous le prouver par des chiffres. (M. François Patriat applaudit.)
M. Bruno Sido. - Pas d'autonomie...
M. Jean-Jacques Panunzi. - Gérald Darmanin, qui a piloté le processus de Beauvau, déclarait en février 2023 : « Ceux qui la réclament auront l'autonomie pour leur territoire, mais ils l'obtiendront avec les recettes et les richesses produites localement, pas avec des subventions. » Vouloir apporter une réponse institutionnelle à un problème économique et social est une grosse erreur. Vous rencontrerez les mêmes problèmes qu'en Nouvelle-Calédonie. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Financement des associations
Mme Marie-Arlette Carlotti . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; M. Marc Laménie applaudit également.) Je veux vous parler de 3 millions de salariés, de 20 millions de bénévoles, de ces femmes et hommes qui font vivre le tissu associatif, qui s'effondre. Un tiers des associations n'ont que trois mois de trésorerie, 32 % envisagent de réduire leurs effectifs, 62 % n'ont pas les moyens d'assurer leurs missions sociales. Pourtant, les associations emploient 11 % des salariés et contribuent à 3 % du PIB.
Le désengagement de l'État se cumule avec celui des collectivités territoriales. Le Secours catholique perd 40 % de ses ressources dans le Val-de-Marne ; le Secours populaire 70 %. Pour l'Association des paralysés de France, c'est moins 37 millions d'euros. De nombreux centres du Planning familial sont menacés de fermeture. Vous mettez fin à l'éducation populaire.
Vous acceptez que ceux qui aident nos concitoyens les plus vulnérables soient abandonnés. Que comptez-vous faire pour arrêter l'hémorragie et sauver notre tissu associatif ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur quelques travées du GEST ; M. Christian Bilhac applaudit également.)
Mme Marie Barsacq, ministre des sports, de la jeunesse et de la vie associative . - Nos associations sont essentielles à la solidarité et à la cohésion sociale.
Mme Laurence Rossignol. - Prouvez-le !
M. Rachid Temal. - C'est comme pour le sport !
Mme Marie Barsacq, ministre. - Leur situation financière est fragile, d'autant que celle des collectivités territoriales l'est aussi.
M. Jean-François Husson. - La faute à qui ?
Mme Marie Barsacq, ministre. - Je suis mobilisée pour préserver des moyens. Sur plusieurs sujets importants, les crédits ont été stabilisés entre 2024 et 2025. Je pense au fonds pour le développement de la vie associative (FDVA) et à l'éducation populaire, avec notamment les colonies apprenantes. Nous avons aussi maintenu les conventions de financement pluriannuelles pour donner de la visibilité aux plus grandes associations.
La diminution du nombre de services civiques a été un choix difficile, mais j'ai eu une attention particulière pour les associations, puisque 75 % de l'effort est porté par les acteurs publics.
Le Guid'Asso se déploie, pour atteindre un Guid'Asso par EPCI en 2027.
Je suis déjà mobilisée sur le budget 2026. J'y travaille avec Amélie de Montchalin et j'ai déjà rencontré plusieurs acteurs du mouvement associatif. C'est un enjeu crucial pour notre pays.
Mme Marie-Arlette Carlotti. - Les crédits votés sont gelés. (M. Jean-François Husson le confirme.) Les associations s'épuisent, le tissu associatif s'effiloche, les dirigeants d'associations sont noyés dans la paperasse. Vous organisez un véritable démantèlement ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST)
Crise du logement et DPE
Mme Laurence Muller-Bronn . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Vous connaissez le diagnostic de performance énergétique, le fameux DPE dont tout le monde parle. Et pourquoi ? Parce que c'est l'un des facteurs de la crise du logement ! En 2022, il est devenu obligatoire et opposable, sans étude d'impact. Pourtant, ses conséquences sont graves.
Sur le marché de la location, il n'y a plus rien à louer dans les grandes villes. À la vente, les transactions sont bloquées, car le coût des travaux augmente le prix des biens. Les résultats ne sont pas fiables, car les fraudes sont nombreuses. Les recettes des communes, des départements et de l'État sont en baisse. Nous sommes tous perdants !
Avez-vous des solutions ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. François Rebsamen, ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation . - (Marques d'amusement à droite, l'orateur peinant à entamer son propos) Ne vous en faites pas, c'est l'embrayage, ça va venir ! (Sourires)
En matière de production de logements, la situation est très difficile - nul ne peut le nier.
La ministre du logement a signé une feuille de route avec l'ensemble des bailleurs sociaux, appuyée sur la baisse de la réduction de loyer de solidarité (RLS) et sur celle du taux du livret A, afin de produire plus de 110 000 logements sociaux.
Il faut aussi relancer la production de logements locatifs privés de qualité, grâce notamment à l'exonération temporaire de droits de succession en cas de donation pour l'achat d'un logement neuf.
Nous soutenons aussi l'accession à la propriété, grâce à l'extension du PTZ à tout le territoire : au 1er avril, plus de 10 000 prêts avaient déjà été souscrits.
À la fin du mois d'avril, les permis de construire sont en hausse de 11 % par rapport aux trois mois précédents.
Nous devons adapter le calendrier de la décence énergétique, pour continuer à rénover les logements tout en permettant leur location : c'est l'objet de la proposition de loi de Mme Gacquerre. Il nous faut trouver un consensus rapide sur le sujet. Nous y sommes prêts.
Enfin, pour les plus fragiles, le plan Logement d'abord permettra d'offrir un logement décent à plus de 80 000 personnes.
Mme Laurence Muller-Bronn. - Un embrayage, ça se change... (Sourires)
Les Français sont en colère, car le DPE les empêche de se loger.
J'ai des témoignages d'entreprises qui ne réussissent pas à recruter, car leurs salariés ne trouvent pas de logement. Du côté des banques, on refuse le crédit si le DPE est mauvais. Résultat : on appauvrit la classe moyenne et on pénalise les plus modestes. Le bâti ancien ne trouve plus preneur.
Pourtant, les Français sont volontaires pour rénover : le succès de MaPrimeRénov' en témoigne.
Vous avez une solution à portée de main : supprimer le DPE obligatoire et opposable, pour revenir à un DPE informatif et incitatif. Sinon, les algorithmes nous mèneront au chaos, les propriétaires seront prisonniers de leur bien et les locataires à la rue. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Chasse au gibier d'eau
M. Pierre Cuypers . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) C'est avec incompréhension que les chasseurs de gibier d'eau ont appris l'inscription, sans concertation, à l'ordre du jour du prochain Conseil national de la chasse et de la faune sauvage d'une limitation des prélèvements de certaines espèces comme le fuligule milouin, le canard pilet, le canard siffleur, le canard souchet ou la sarcelle d'hiver. (On apprécie sur plusieurs travées.) Sans parler de la caille des blés et de la grive.
Pourtant, le 22 mai dernier, vous répondiez à Fabien Genet que les bilans de comptage étaient encourageants et que certaines espèces étaient en progression. Pourquoi avoir changé de position ? Êtes-vous prête à retirer ces mesures de l'ordre du jour de la réunion de demain ? Les chasseurs craignent de ne pouvoir poursuivre leur activité. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Pierre Jean Rochette applaudit également.)
M. Pierre Jean Rochette. - Excellent !
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche . - Depuis mon arrivée au ministère, je n'ai pas ménagé mes efforts pour nos chasseurs. (M. Laurent Burgoa ironise.) J'ai ainsi défendu la chasse à la palombe, car l'espèce est abondante, la technique sélective, et elle fait partie de notre culture.
Notre seule boussole est l'état de conservation des espèces. Nous nous appuyons sur l'expertise française et européenne. Les scientifiques mandatés par l'Union européenne ont relevé le déclin de neuf espèces de gibier d'eau. Les recommandations de la Commission européenne sont connues depuis 2024 : moratoire ou diminution des prélèvements de 50 %. J'ai eu confirmation ce matin que ces demandes s'appliquent dès 2025. Ce n'est pas une lubie de la France, c'est un processus.
Notre ligne est simple : réduire les prélèvements sur les espèces en déclin ; les augmenter là où elles progressent ; réserver les moratoires aux espèces les plus menacées.
Nous avons donc soumis à la discussion plusieurs projets d'arrêtés et j'ai échangé avec Willy Schraen pour trouver ensemble une solution.
J'ai une obligation de résultat et non de moyens. Si d'autres propositions permettent d'atteindre l'objectif, ma porte est ouverte. Mais les faits sont têtus : nous avons besoin d'arrêtés qui tiennent la route.
M. Pierre Cuypers. - Les chasseurs aussi sont têtus. Ne sous-estimez pas la colère des chasseurs de gibier d'eau, qui ne comprennent pas votre revirement ni votre précipitation. Retirez ce projet de texte et refusez toute surtransposition ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe UC ; M. Pierre Jean Rochette applaudit également.)
La séance est suspendue à 16 h 20.
Présidence de M. Didier Mandelli, vice-président
La séance reprend à 16 h 30.
Mise au point au sujet d'un vote
Mme Sophie Briante Guillemont. - Lors du scrutin public n°181, M. Éric Gold voulait s'abstenir.
Conseil européen des 26 et 27 juin 2025
M. le président. - L'ordre du jour appelle le débat préalable à la réunion du Conseil européen des 26 et 27 juin 2025, à la demande de la commission des affaires européennes.
M. Benjamin Haddad, ministre délégué chargé de l'Europe . - Je me réjouis de ce débat, à la veille du prochain Conseil européen. Vous connaissez mon attachement à la diplomatie parlementaire et au rôle des commissions des affaires européennes. Cet exercice est utile, à un moment de bascule géopolitique où l'Union européenne doit réaffirmer son indépendance.
Demain, nous redirons notre soutien à l'Ukraine, qui continue de subir les bombardements de la Russie et de lutter pour sa souveraineté, mais aussi pour notre sécurité à tous.
Nous débattrons aussi du dix-huitième paquet de sanctions contre le régime de Vladimir Poutine, qui refuse toute négociation sincère et sérieuse, qui refuse un cessez-le-feu préalable à une solution diplomatique, qui poursuit l'escalade avec des objectifs maximalistes.
Ce nouveau paquet de sanctions portera notamment sur l'énergie, en abaissant le price cap, le prix plafond du pétrole. Il vise la vente de pétrole russe raffiné à des pays tiers, alors que les énergies fossiles sont la principale ressource de la Russie pour financer son effort de guerre.
Nous évoquerons aussi le prêt ERA (Extraordinary Revenue Acceleration Loans for Ukraine), financé grâce aux avoirs de la Russie gelés en Europe : le Président de la République veut en accélérer le décaissement. Pour l'heure, 7 milliards d'euros ont déjà été décaissés par la Commission européenne, pour les besoins militaires et macroéconomiques de l'Ukraine.
Concernant les garanties de sécurité, nous continuerons à mobiliser nos partenaires de la coalition des volontaires, pour préparer le jour d'après. Un cessez-le-feu ne saurait être une occasion offerte à la Russie de réarmer en vue d'une agression future ; nous visons une paix solide, durable et juste.
Nous parlerons beaucoup du Moyen-Orient. La position de la France est claire et cohérente. D'abord, dénoncer les activités déstabilisatrices du régime des ayatollahs en Iran. Ce régime ne peut pas, ne doit pas acquérir la bombe nucléaire. Il continue de violer le traité de non-prolifération, développe un programme de missiles balistiques qui menace non seulement Israël mais aussi l'Europe, soutient le terrorisme - le Hamas, le Hezbollah, les Houthis au Yémen - fournit des drones et des armes à la Russie et emprisonne de façon indigne nos compatriotes Jacques Paris et Cécile Kohler depuis trois ans.
C'est la ligne que nous avons toujours tenue. La diplomatie, le multilatéralisme et la négociation sont la seule voie durable pour mettre un terme au conflit. Le fragile cessez-le-feu doit être l'occasion de remettre toutes les parties autour de la table et de créer un cadre de sécurité durable, seule à même de mettre fin durablement au programme nucléaire iranien. C'était déjà la voie défendue par la France lors de la négociation du JCPoA (Joint Comprehensive Plan of Action) en 2015. Les États-Unis de Trump s'étaient retirés de l'accord, pourtant efficace. Il s'agit maintenant de recréer les conditions de la diplomatie et du dialogue régional.
Dans ce contexte d'insécurité et de conflictualité, nous devons investir massivement dans notre défense collective et notre autonomie stratégique. C'est le sens des conclusions du Conseil européen du 6 mars. Nous venons d'achever les négociations sur l'instrument Safe : un prêt de 150 milliards d'euros qui financera des projets industriels de défense en commun, avec pour priorité la préférence européenne. Un euro du contribuable européen ne doit pas subventionner les industries de défense étrangères. Le trilogue va bientôt s'engager sur le programme Edip (European Defence Industry Programme).
En plus de l'effort national - la France a doublé son budget défense depuis 2017 -, nous devrons investir en commun, et aller plus loin.
Nous évoquerons aussi les négociations commerciales en cours avec les États-Unis, en réponse aux droits de douane injustifiés et arbitraires imposés par l'administration américaine. Nous défendrons une réponse ferme et unie pour aboutir à une désescalade, car la guerre commerciale n'est dans l'intérêt de personne. Nous assumons le rapport de la force, afin de sortir de la naïveté commerciale.
Idem sur le plan économique : nous voulons affirmer la compétitivité et la souveraineté de notre continent, en approfondissant le marché unique avec l'union des marchés des capitaux (UMC), alors que chaque année, 300 milliards d'euros d'épargne européenne financent l'économie américaine. Alignons nos régimes, approfondissons notre marché unique, donnons l'opportunité à nos entreprises, à nos start-up de se développer pour innover et faire jeu égal avec nos concurrents.
M. le président. - Veuillez conclure.
M. Benjamin Haddad, ministre délégué. - Nous pourrions évoquer aussi l'innovation et la simplification. Je le ferai dans la suite du débat.
M. Pascal Allizard, vice-président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées . - Les crises du moment conduisent à interroger notre capacité d'action collective.
Le 30 mai dernier, le Président Macron proposait une conférence pour la reconnaissance de l'État palestinien et appelait à durcir la position collective contre Israël, au vu de la situation humanitaire à Gaza.
Mais quinze jours plus tard, le Premier ministre israélien ouvrait un septième front en attaquant l'Iran. Le Président Macron reportait sa conférence et réaffirmait le droit d'Israël à se défendre. Les ministres français, allemand, britannique et la haute représentante Kallas appelaient à la désescalade et saluaient « les efforts déployés par les États-Unis pour trouver une solution négociée ». Le lendemain, 36 tonnes « d'efforts » étaient larguées sur l'Iran. Un communiqué appelait à la désescalade, en vain. Les Européens eux aussi semblent largués.
Israël avait prévenu le chancelier allemand de ses frappes. Les États-Unis avaient informé les Britanniques. Personne n'a prévenu la France...
Nos positions sur l'Iran sont-elles compréhensibles ? Sommes-nous crédibles ou même influents ? Les communiqués européens sont intarissables sur la menace iranienne, mais notre inconséquence fragilise notre diplomatie. Après avoir condamné l'agression russe, l'Europe prétend choisir qui peut bénéficier du droit international. Quelle preuve de la fiabilité des occidentaux ! L'Iran ne doit pas obtenir la bombe, c'est entendu, mais ne vient-on pas de l'y inciter, et d'autres à sa suite ?
L'ancien ambassadeur Gérard Araud, qui n'est pas un Che Guevara, n'a pas tort de questionner les objectifs stratégiques de ces attaques et de rappeler les conséquences des guerres de changement de régime dans la région. Ce « sale boulot » est-il vraiment nécessaire ? Quelle est la position française ?
L'Union européenne prépare un dix-huitième paquet de sanctions contre la Russie. Les projets de réarmement de l'Europe soulèvent encore de nombreuses questions.
Une question de fond : l'institut Bruegel et le Kiehl Institute ont précisé que les 800 milliards d'euros ne suffiront pas pour rattraper notre retard. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Benjamin Haddad, ministre délégué. - La position de la France sur l'Iran est en phase avec la défense du droit international : l'Iran ne doit pas se doter de l'arme nucléaire. La France a toujours défendu la voie de la diplomatie pour négocier un cadre de sécurité durable ; elle a joué un rôle moteur dès le début des négociations en 2004-2005. Nous appelons à un cessez-le-feu.
Vous évoquez les 800 milliards d'euros : je suis d'accord, ce n'est qu'une première étape. Utilisons les outils Safe et Edip.
La France avait promu l'idée d'un endettement commun, à l'instar de ce que nous avions réussi à faire durant le covid. Le cadre financier pluriannuel (CFP) est aussi une piste. Mais nous devrons aller plus loin.
M. Claude Raynal, président de la commission des finances . - Monsieur le ministre, vous ne nous facilitez pas la tâche dans la préparation du prochain budget : le prélèvement sur recettes (PSR) de l'Union européenne augmenterait de 7 milliards d'euros, et passerait à 30,4 milliards d'euros en 2026.
Nous devons aussi préparer le prochain cadre financier pluriannuel ; la Commission européenne proposera ses premières recommandations mi-juillet. L'Allemagne a déjà précisé les choses : il n'existe aucune base pour augmenter le CFP. La contribution de la France au CFP a fortement augmenté ces dernières années : elle est passée de 20 à 26 milliards d'euros. Quelle ligne la France défendra-t-elle ?
Si vous suivez la position allemande, comment équilibrer la prochaine équation budgétaire ? Le commissaire au budget Piotr Serafin a dit que l'Union européenne aurait du mal à faire face à toutes ses priorités. Or le réchauffement climatique, la défense européenne ou la PAC en sont bien. Quels sont les arbitrages de la France pour résoudre cette quadrature du cercle ? L'Allemagne préconise de conditionner les aides de la politique de cohésion à des réformes structurelles. Partagez-vous cette position ?
M. Serafin est venu en France le mois dernier pour présenter aux parlementaires les orientations de la Commission européenne pour le prochain CFP ; il a évoqué la question cruciale des nouvelles ressources propres.
Les États membres se sont engagés à les mettre en oeuvre d'ici à 2028 afin de rembourser les sommes empruntées pour financer le plan de relance. Sans accord, le surcoût pour la France serait de 2,5 milliards d'euros par an sur trente ans. Or les négociations semblent au point mort depuis 2023.
M. Serafin a laissé entendre que certaines ressources comme le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières ne seraient pas à la hauteur du défi. La présidence polonaise a proposé d'instaurer une taxe sur les cryptoactifs ou les transactions financières. Quelles sont les solutions défendues par le Gouvernement ?
M. Benjamin Haddad, ministre délégué. - Le prochain CFP doit être l'occasion d'affirmer nos priorités : innovation, défense, spatial, sans oublier l'agriculture et nos territoires.
Le CFP actuel est insuffisant : nous devons doubler la capacité financière, en renforçant les outils qui permettent de faire levier, comme la Banque européenne d'investissement (BEI).
Bien sûr, les ressources propres sont la condition sine qua non. Le commissaire Serafin a formulé des propositions que nous soutenons : taxe sur les petits colis, ou création d'un Esta européen, par exemple. Un touriste européen doit payer 21 dollars quand il se rend aux États-Unis : or il n'existe aucune réciprocité dans ce domaine.
Nous suivons la trajectoire prévue pour le PSR : l'augmentation sera de 6 à 7 milliards d'euros, selon les estimations de la Commission. Nous devrons mobiliser au maximum ces fonds pour nos régions.
M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes . - Dans un mode brutal et incertain, le Conseil européen de demain met l'accent sur les enjeux économiques et géopolitiques. Il s'agira de mieux lier les dimensions internes et externes de nos politiques européennes, dont le principal atout est le marché unique. Nous avons trop souvent dénoncé le découplage entre politique commerciale et politique de concurrence ou de compétitivité pour ne pas nous satisfaire de ce changement de position.
Le premier Omnibus sur les directives CRSD et CS3D vient de faire l'objet d'un accord entre le Parlement et le Conseil. D'autres Omnibus ont été présentés sur les entreprises de taille intermédiaire (ETI) et l'agriculture et nous espérons qu'un Omnibus RUP (régions ultrapériphériques) pourra voir le jour.
Toutefois, nous voyons poindre les tensions croissantes entre la Commission et le Parlement européen depuis que le Parlement a été écarté des discussions sur l'instrument Safe. Le Parlement semble se diriger vers un recours : quel est votre point de vue ?
Il est difficile de concilier ambitions environnementales et volonté de simplification. La question du juste équilibre devient essentielle. (M. Benjamin Haddad acquiesce.) Quid de la réduction des gaz à effet de serre à horizon 2040 ? Cet effort devra être économiquement soutenable et prendre en compte les exigences de compétitivité.
Autre sujet sensible : la révision du mécanisme d'ajustement carbone aux frontières, dont nous avons pointé les insuffisances, sans oublier le Mercosur. Quelle est la position du Gouvernement ?
Le président du Conseil européen, Antonio Costa, veut faire de l'Union européenne un acteur mondial efficace, prévisible et fiable. L'Union européenne sera facilement plus prévisible que les États-Unis depuis le retour de Trump. En revanche, faire de l'Union européenne un acteur mondial dépendra de sa cohésion interne, aujourd'hui mise à mal. (M. Benjamin Haddad acquiesce.) Nous n'aurons vraisemblablement pas d'accord à 27 sur l'Ukraine, alors que M. Zelensky se trouve à Strasbourg, au Conseil de l'Europe, pour créer le tribunal spécial sur le crime d'agression contre l'Ukraine.
Les discussions sur le dix-huitième paquet de sanctions sont difficiles.
Les divergences sont fortes sur le Moyen-Orient. Résultat : la position de l'Union européenne est inaudible. Quelle est la position du Gouvernement sur le réexamen de l'accord d'association entre l'Union européenne et Israël ?
M. Benjamin Haddad, ministre délégué. - Vous connaissez notre ambition en matière de simplification. Nous ne pouvons opposer décarbonation et compétitivité. N'ajoutons pas des normes qui renforceraient les concurrences chinoise et américaine. Telle est l'ambition de la révision des directives CSRD et CS3D et de la réduction des indicateurs de reporting.
Avant de fixer un nouvel objectif de décarbonation, précisons les conditions d'accompagnement des acteurs : neutralité technologique, ouverture du marché carbone à des acteurs extérieurs à l'Union européenne, définition d'une politique d'investissement.
Notre position n'a pas varié sur le Mercosur : nous sommes opposés à l'accord en l'état. Si la France n'est pas opposée, sur le principe, aux accords de libre-échange, comme le montre l'accord avec la Nouvelle-Zélande, il faut protéger les agriculteurs.
La Commission européenne a lancé un examen du respect de l'article 2 de l'accord d'association par Israël. Les conclusions sont attendues en juillet.
Mme Gisèle Jourda . - Le programme européen pour l'industrie de la défense (Edip) présenté en mars 2024 n'a toujours pas été adopté. Où en sont les discussions ? La vision de la France peut-elle s'imposer ? Jusqu'où doit-on aller dans la préférence européenne ?
Les États membres qui, comme la France, souhaitent des critères stricts ne sont pas nombreux. Quelque 80 % des investissements des États membres sont réalisés auprès de fournisseurs extérieurs à l'Union européenne - 63 % sont américains. Chaque euro doit être dépensé au service de la sécurité des Européens. Soyons ambitieux : le taux de composants produits en Europe ou dans des pays associés ne saurait être inférieur à 65 %, voire 80 %.
Nous avions alerté sur l'insuffisance des financements du programme jusqu'à fin 2027. Le Parlement propose d'utiliser le programme Safe pour financer 20 milliards d'euros supplémentaires. Comment envisager une articulation pratique entre ces deux programmes ?
Le plan ReArm Europe contient une autorisation d'endettement. Alors que 16 pays sur 27 ont officiellement demandé l'activation de la clause dérogatoire nationale du pacte de stabilité et de croissance, ce n'est pas le cas de la France. Pourquoi passer à côté de ce dispositif ? Comment l'objectif de 650 milliards d'euros annoncé par la Commission peut-il être atteint ?
L'argent étant le nerf de la guerre, la proposition de CFP de la Commission, prévue pour juillet, est très attendue. Quelle est la position de la France sur la place accordée à la défense dans ce cadre financier ? Faut-il un emprunt européen ? La France y est favorable ... Peut-elle convaincre l'Allemagne et les pays frugaux ?
Sur le plan diplomatique, face au conflit entre Israël et l'Iran, au vu de son manque de leviers militaires dans cette région, la prudence stratégique affichée par l'Union européenne est un beau discours qui occulte le manque d'unité entre les États membres, la faiblesse institutionnelle de la diplomatie européenne et son manque d'influence. L'échec de sa médiation le montre. La diplomatie européenne n'oeuvre qu'en réaction aux événements.
Les conclusions du Service européen pour l'action extérieure transmises le 20 juin aux États membres sont claires : Israël violerait ses obligations en matière de droits de l'homme - blocage de l'aide humanitaire, attaques contre des civils, des hôpitaux, des journalistes, déplacements forcés... Quelle est la position de la France sur le réexamen ou la suspension de l'accord d'association entre l'Union et Israël ? Allez-vous encore nous dire qu'il est urgent d'attendre ?
M. Benjamin Haddad, ministre délégué. - Sur Edip, la ligne est claire : il faut renforcer l'investissement et l'acquisition d'armement européen. Le texte prévoit 65 % de composants européens minimum et de conserver l'autorité de conception. Le travail de François-Xavier Bellamy et Raphaël Glucksmann a permis de faire des propositions. Nous verrons le résultat du trilogue.
Sur le transfert de 20 milliards d'euros de Safe à Edip, j'ignore comment cela fonctionnerait. Mais je suis d'accord avec la nécessité d'abonder Edip au-delà des 1,5 milliard d'euros prévus pour 2027.
Concernant le CFP, il faut une ambition plus forte sur la défense et le spatial, notamment pour le déploiement d'Iris². Nous devrons aller plus loin dans la mobilisation d'instruments innovants, comme l'emprunt commun - les lignes bougent au Parlement.
Enfin, oui, la France utilisera de nouveaux instruments comme Safe. Nous sommes moteurs sur ces sujets. Je rappelle aussi le doublement du budget de la défense sous les deux mandats du Président de la République.
M. Louis Vogel . - Le soutien à l'industrie européenne de la défense est un axe majeur de l'action de l'Union. Le Livre blanc sur la défense européenne vise à mieux préparer l'Europe aux scénarios les plus pessimistes, en constituant des stocks et en renforçant nos frontières extérieures. Il est temps de construire la fameuse Europe puissance dont on parle tant, mais que l'on ne voit pas venir.
Le programme ReArm Europe, renommé « Readiness 2030 » vise à mobiliser jusqu'à 800 milliards d'euros. Dans le cadre de notre loi de programmation militaire (LPM), la France consacre 1,7 % du PIB aux dépenses militaires ; elles doivent atteindre 2 % en 2027 et croître encore ensuite. La dérogation prévue au niveau européen exclut-elle l'ensemble des dépenses militaires, dans la limite de 1,5 % prévue par le programme européen ?
La Commission européenne propose une facilité de prêt pour les dépenses de défense, garantie par le budget européen jusqu'à 150 milliards d'euros. C'est l'instrument Safe. Pouvez-vous nous en préciser les contours ? Les propositions d'émissions d'eurobonds semblent avoir été écartées.
Le moment n'est-il pas venu d'aborder la question des fonds non consommés ? Je pense au plan NextGenerationEU, de 800 milliards d'euros.
Nous devrions mobiliser les capitaux privés, en approfondissant l'union bancaire et financière et en sollicitant la BEI. Nous n'y arriverons pas seulement avec des fonds publics.
Un tel engagement pourrait bénéficier à l'effort militaire, au réarmement scientifique, à la recherche européenne également.
Les rapports Draghi et Letta ont souligné des écueils structurels de l'économie européenne, asphyxiée par trop de règles, trop complexes. Le marché unique reste encore inachevé.
Sur les cinquante leaders mondiaux en matière de technologies, quatre seulement sont européens : ce n'est pas en rapport avec la puissance économique du continent.
La Commission européenne a présenté sa Boussole de compétitivité en 2025. La simplification des normes en est un axe prioritaire - c'est le sens des paquets Omnibus. Nous saluons le cinquième paquet, qui fait la jonction entre Boussole de compétitivité et Livre blanc sur la défense.
Reste que cela fait beaucoup de strates et que nous n'y voyons pas très clair : quelles perspectives sont-elles envisagées pour le déploiement de ces mesures et quelle est la position de la France ?
M. Benjamin Haddad, ministre délégué. - La facilité de financement prévue par la Commission européenne permet aux États d'investir dans la défense sans que ces dépenses soient prises en compte dans la procédure pour déficit excessif.
Dans le cadre du programme Safe, c'est la première fois que des critères de préférence européenne sont appliqués : c'est une avancée majeure. Il s'agit de financer des projets avec au moins 65 % de composants européens et issus de deux États ou plus, afin de réduire nos dépendances. L'Ukraine est prise en compte spécifiquement.
Je suis en phase avec vous sur la simplification, et il faudra autant de paquets Omnibus que nécessaire. Réduisons la charge réglementaire qui pèse sur les acteurs économiques pour supprimer les barrières et tarifs que nous nous sommes imposés à nous-mêmes.
Enfin, nous devons réaliser l'union de l'épargne et de l'investissement pour faire se rejoindre nos capacités et nos besoins de financement.
M. André Reichardt . - Qu'ils soient économiques, stratégiques, environnementaux ou migratoires, tous les défis du moment nécessitent une action coordonnée à l'échelle du continent. Mais cette action européenne suppose-t-elle une extension continue des compétences de l'Union européenne et du champ d'action de la Commission et un empilement continuel de normes et de budgets ?
Depuis quelques années, l'exécutif européen fait preuve d'une tendance excessive à la centralisation et aux empiètements sur la souveraineté des États, y compris en matière de défense. La commission des affaires européennes du Sénat s'en est d'ailleurs inquiétée. (M. Jean-François Rapin le confirme.) Je fais mienne cette alerte sur un dossier essentiel : la révision de la directive Retour.
Certes, je me réjouis que la Commission ait remis l'ouvrage sur le métier, accédant ainsi à la demande de la France et d'autres États membres. Et, bien qu'il reste perfectible, je me réjouis des avancées que comporte le nouveau texte, notamment pour faciliter les éloignements et imposer des obligations de coopération aux étrangers en situation irrégulière.
Mais la Commission propose, une nouvelle fois, de remplacer une directive, instrument d'harmonisation, par un règlement, instrument d'uniformisation. Elle affirme que l'inefficacité de la politique de retour résulte des divergences des politiques nationales, sans que ce lien de causalité ne soit jamais établi.
Elle pousse ainsi à la reconnaissance mutuelle obligatoire des décisions de retour, qui, par effet de cliquet, conduirait à des harmonisations non souhaitées. (M. Benjamin Haddad en convient.) Or la révision de la directive a un objectif avant tout opérationnel : il ne s'agit pas de standardiser par principe ou par réflexe, mais de rendre notre politique plus efficace, ce qui suppose une souplesse d'adaptation laissée aux États membres.
Élaborer le cadre financier pluriannuel est toujours la quadrature du cercle. La nouvelle mouture, qui sera présentée dans trois semaines, ne fait pas exception à cette règle, loin s'en faut. L'Europe s'est créé des charges supplémentaires avec le plan de relance, sans recettes pour y faire face. Le débat sur les ressources propres est dans l'impasse. Dès lors, le recours à un nouvel emprunt commun est plus qu'illusoire. L'Europe est en peine de dégager une stratégie budgétaire claire et réaliste. Entre priorités traditionnelles et nouvelles, elle veut tout financer et tout piloter - je dirai même : tout régimenter.
Les évaluations des besoins de chaque secteur se chiffrent toujours en centaines de milliards d'euros. La vérité est qu'il faudra faire des choix, sur la base d'une revue des dépenses et des priorités.
Dans les années 2010, la participation française moyenne au budget de l'Union européenne était de 20 milliards d'euros par an. Dans les années 2020, de 28 milliards d'euros par an. Même si la France bénéficie du marché unique, ses finances publiques ne pourront pas absorber une hausse comparable sur la période 2028-2034.
La Commission envisage vingt-sept plans nationaux soumis à des jalons et à la mise en oeuvre de réformes. Une approche similaire avait été adoptée pour la PAC : nous l'avions contestée dans son principe. Puis pour la facilité de reprise et de résilience : la Cour des comptes européenne en a remis en cause la pertinence.
Je considère que cette méthode est à proscrire. Il nous faut une politique à l'échelle du continent et des objectifs politiques. Autant il est normal de contrôler a posteriori l'exécution budgétaire des États membres, autant conditionner a priori le déblocage des fonds et enserrer cette conditionnalité dans un tête-à-tête avec la Commission me paraît intrusif. Ne faisons pas de la défiance à l'égard des États le cadre normal des négociations budgétaires.
Dans la guerre entre Israël et l'Iran, l'Europe a été absente, effacée. C'est la négation même de l'idée que nous nous en faisons. Hélas, la répression semble avoir commencé contre celles et ceux qui pensaient que les frappes entraîneraient un changement de régime. Les Iraniens retrouvent la dureté de ce régime, que les femmes du mouvement « Femmes, vie, liberté » connaissent trop bien. Pourquoi ne pas inscrire les Gardiens de la révolution islamique sur la liste des organisations terroristes ? La crainte des mollahs ne nous rendra pas nos otages Cécile Kohler et Jacques Paris, ce que je regrette particulièrement en tant qu'Alsacien.
Enfin, où en est-on du contrôle des financements européens accordés à des ONG ou associations proches des Frères musulmans ? Le dernier avatar de ces dérives est un « Coran européen » à 10 millions d'euros... Au total, la Cour des comptes européenne parle de 7,4 milliards d'euros dont la trace a été perdue.
M. Benjamin Haddad, ministre délégué. - Nous soutenons l'effort de révision de la directive Retour, qui doit s'accompagner d'un renforcement des instruments externes de l'Union européenne. Nous devons assumer un rapport de force avec les pays de départ et de transit. Nous défendons la nécessité de conditionner l'aide au développement au respect du droit international.
Nous partageons la vigilance que vous avez soulignée à propos de la reconnaissance mutuelle obligatoire. Avec Bruno Retailleau, je l'ai dit à plusieurs reprises au commissaire Brunner et aux services de la Commission.
Sur la réforme de l'architecture du cadre financier pluriannuel, la prudence est de mise. Je l'ai dit au commissaire Serafin : la PAC ne doit pas être diluée dans un grand ensemble avec, par exemple, les fonds de cohésion. Il n'est pas possible de renforcer sans débat la conditionnalité et le pouvoir de la Commission vis-à-vis des États. Nous y serons particulièrement vigilants.
Enfin, j'ai déposé avec mon homologue autrichienne une proposition pour renforcer les contrôles a priori et a posteriori des financements européens. La Commission européenne a souligné le manque de transparence de fonds qui vont parfois vers des associations proches des Frères musulmans. Pas un euro du contribuable européen ne doit aller à des ennemis de l'Europe.
M. Teva Rohfritsch . - Nous sommes à un moment charnière de notre histoire collective. La multiplication des tensions et même des conflits ouverts nous rappelle que la stabilité et la paix sont devenues des biens rares. L'Europe doit les défendre avec force.
Pour cela, l'Union européenne doit démontrer qu'elle est plus qu'une addition d'États : une entité assumée, qui défend ses intérêts et affirme ses valeurs. Il faut réaffirmer un cap : bâtir une Europe démocratique, protégeant les libertés fondamentales et l'État de droit, souveraine et prospère. C'est dans l'unité que l'Europe trouvera la force d'agir.
La guerre en Ukraine est un rappel brutal de la vulnérabilité européenne. Les attaques récentes de la Russie montrent qu'elle n'a renoncé à rien. Le soutien à l'Ukraine est une nécessité et doit se structurer dans la durée. Il ne peut plus reposer sur des contributions fragmentées : il faut mutualiser massivement les instruments budgétaires. La France est-elle prête à défendre cette approche ?
L'escalade militaire entre Israël et l'Iran a conduit à des frappes sur des cibles stratégiques, à des représailles et à des pertes humaines importantes des deux côtés. La situation à Gaza ne doit pas en être occultée : un dispositif humanitaire solide et respecté reste à construire. L'Union européenne doit promouvoir les principes qui fondent son identité : primauté du dialogue, protection des populations, respect du droit. Nous devons éviter l'embrasement régional, maintenir des canaux de communication et garantir l'accès à l'aide humanitaire. Les conséquences d'une extension du conflit seraient considérables ; je pense au blocage du détroit d'Ormuz. Quelles mesures la France prévoit-elle pour sécuriser ses approvisionnements énergétiques ?
Nous devons mener une réflexion de fond sur notre souveraineté économique. Les tensions commerciales avec les États-Unis imposent à l'Union européenne une réponse ferme et constructive. Le dialogue transatlantique ne peut s'accommoder d'un déséquilibre préjudiciable à nos intérêts. Il nous faut une politique commerciale autonome, lisible et offensive quand il le faut. Face à la montée des tensions commerciales, la France est-elle prête à défendre des contre-mesures crédibles ?
La mise en oeuvre du pacte européen sur la migration et l'asile est une avancée notable, mais les équilibres sont fragiles et les pressions aux frontières perdurent. Ce pacte ne convaincra que s'il résiste à l'épreuve des faits. Quelles sanctions et quels leviers d'action sont-ils prévus en cas de manquement d'un État à ses obligations ?
M. Benjamin Haddad, ministre délégué. - Nous devons renforcer l'interconnexion entre nos industries de défense - je pense au drone européen. L'instrument ERA, financé à partir des avoirs russes gelés, doit être décaissé plus rapidement. Il faut aussi renforcer les sanctions à l'égard du secteur énergétique russe pour entraver l'effort de guerre.
La situation à Gaza sera bien sûr évoquée. La ligne de la France est claire : cessez-le-feu immédiat, libération de tous les otages, accès à l'aide humanitaire pour tous les habitants de Gaza, relance du dialogue politique en vue d'une solution à deux États. C'est le sens de notre initiative avec l'Arabie saoudite ; la conférence qui devait se tenir à New York n'est que reportée.
S'agissant des droits de douane américains, nous appelons à la désescalade, que l'on n'obtiendra qu'en étant capable d'assumer un rapport de force. Nous examinons un deuxième paquet de 90 milliards d'euros présenté par la Commission européenne. L'Union européenne est dotée d'un instrument anti-coercition qui permet d'élargir les contre-mesures à la taxation des services numériques. Nous avons les moyens de nous faire respecter.
Mme Sophie Briante Guillemont . - L'ordre du jour initial du Conseil européen était fort vaste, incluant par exemple la lutte contre la criminalité organisée. J'attire votre attention sur le rapport de la commission d'enquête sénatoriale qui souligne la nécessité d'une montée en puissance d'Europol en matière de renseignement financier.
Mais le Conseil se concentrera finalement sur les conflits internationaux. Nous peinons à faire entendre une voix européenne forte et crédible, pourtant plus nécessaire que jamais, à l'heure où la diplomatie semble supplantée par les rapports de force. La diplomatie ne peut abdiquer, ni l'Union européenne oublier sa raison d'être : la paix.
La semaine dernière, nous avons reçu au Sénat le président de la Rada d'Ukraine. Il nous a dit que son pays traversait la phase la plus dramatique de la guerre. Ces derniers jours, des frappes russes massives ont visé des cibles militaires mais aussi des écoles et des hôpitaux. Nous devons sanctionner les entreprises européennes qui continuent à fournir les usines d'armement russes. Il est essentiel également de soutenir le processus d'adhésion de la Moldavie, qui est un rempart et où l'influence russe est très forte.
Lors du récent G7, hélas, aucune déclaration commune n'a été signée ; l'Union européenne et les États-Unis ne voguent plus dans la même direction.
La France doit tirer les conséquences de la situation internationale, notamment au Moyen-Orient, pour la sécurité de ses ressortissants à l'étranger. Elle doit insister auprès de ses partenaires pour le respect du droit international et la primauté de la diplomatie.
Les interventions militaires en Iran ont terrifié la population, mais ne provoquent pas de soulèvement susceptible de conduire à un changement de régime. N'oublions pas les tragiques précédents irakiens, libyen et afghan, qui ont débouché sur le chaos.
Quarante-neuf otages sont encore retenus par le Hamas à Gaza, après que l'armée israélienne a rapatrié les corps sans vie de trois personnes. Nous déplorons qu'aucun accord de cessez-le-feu ne soit en vue. La situation alimentaire s'est fortement dégradée : une personne sur cinq est menacée de famine au sein de l'enclave, selon l'ONU. Le Programme alimentaire mondial et l'Unicef ont alerté sur la situation de 71 000 enfants et 17 000 mères, qui ont besoin d'un traitement d'urgence pour malnutrition.
Les conflits se multiplient, gagnent en intensité. Les civils sont toujours les premiers à souffrir. L'Union européenne ne peut rester spectatrice de ces affrontements. Nous espérons que le Conseil européen réaffirmera le caractère cardinal du droit international.
M. Benjamin Haddad, ministre délégué. - Oui, la défense du droit international, du multilatéralisme, de la diplomatie est la boussole de la France.
Nous mobilisons déjà l'aide au développement pour l'Ukraine. Vous avez mentionné la visite au Sénat du président de la Rada ; le Premier ministre ukrainien a été reçu par François Bayrou à Paris. Nous avons réabondé de 200 millions d'euros l'instrument destiné à accompagner la reconstruction de l'Ukraine. Une conférence internationale se tiendra à Rome sur ce sujet dans les prochains jours.
Nous menons ce travail au niveau européen, mais aussi en partenariat avec nos alliés américains. Un nouveau paquet de sanctions pourrait frapper les pays qui aident la Russie à contourner les sanctions énergétiques, sur l'initiative du sénateur américain Lindsey Graham.
J'ai eu l'occasion de me rendre récemment en Moldavie, un pays en première ligne des démocraties. Nous avons signé un accord entre le Gouvernement et Viginum pour renforcer notre coopération sur les ingérences numériques. Il s'agit d'aider les Moldaves à préparer les prochaines élections législatives, lors desquelles le gouvernement proeuropéen fera de nouveau l'objet de cyberattaques.
M. Olivier Henno . - Difficile de débuter cette intervention sans aborder la situation iranienne. Les États-Unis ont détruit des installations nucléaires iraniennes, qui sont l'une des principales menaces mondiales. Nous inclinons à saluer cette initiative, tout en reconnaissant qu'elle ne s'inscrit pas dans le cadre du droit international. Cette opération ciblée porte un coup majeur au régime des mollahs, mais nous regrettons que l'Union européenne n'ait été ni consultée ni même informée.
Invasion de l'Ukraine, tensions au Moyen-Orient, menaces cyber et hybrides : les défis sont nombreux. Mark Rutte a appelé les pays européens à dépenser 5 % de leur PIB pour leur défense d'ici à 2035 ; c'est considérable. Quelles en seront les conséquences ?
La paix sans défense est une illusion. Nous restons trop dépendants des matériels américains, ce qui limite notre autonomie et affaiblit notre capacité d'action en temps de crise.
La Commission européenne a présenté le plan ReArm Europe. Près de 150 milliards d'euros sont prévus pour des achats conjoints, ainsi qu'un soutien renforcé de la BEI. Nous devons dépenser plus, mais surtout mieux et ensemble : c'est ainsi que nous construirons un véritable marché unique de la défense.
Nous devons déployer rapidement des projets concrets : drones, mobilité militaire. Les coopérations se multiplient, notamment dans le cadre de l'Agence européenne de défense. Nous devons aller plus loin, mais ce point de vue est-il partagé par nos partenaires ?
J'en viens à l'enjeu de la compétitivité. L'Europe doit bâtir ses propres gigabases de données : cela exige une production électrique fiable, abondante et décarbonée. L'Union européenne a lancé l'initiative Invest AI pour 200 milliards d'euros, dont 20 milliards pour les gigafactories. À l'occasion du dernier VivaTech, Nvidia a annoncé l'ouverture de nouveaux sites en Europe et révélé son futur partenariat avec Mistral AI. Ces gigafactories nécessitent une augmentation de 15 % de la production électrique. C'est un immense défi que nous mesurons bien dans le Nord, particulièrement à Maubeuge. Des centres IA souverains relanceront notre industrie et créeront plusieurs milliers d'emplois directs et indirects.
Nous devons nous emparer du rapport Draghi, alors que l'Europe est en perte de vitesse économique et risque le déclassement, prélude à la marginalisation. Pas moins de 176 mesures concrètes sont proposées dans le rapport, feuille de route pour la Commission européenne pour la période 2024-2029. L'Europe doit notamment investir 4 à 5 % de son PIB dans l'innovation et les infrastructures décarbonées : où en sommes-nous ?
En janvier, un plan opérationnel inspiré du rapport Draghi a été présenté : la Boussole pour la compétitivité. Un régime simplifié pour les start-up est notamment prévu. Ces mesures vont dans le bon sens, mais il faut accélérer la mise en oeuvre du rapport Draghi.
Les droits de douane entre l'Europe et les États-Unis seront certainement abordés par le Conseil. L'Union semble avoir reconnu son impuissance face aux 10 % américains. J'ai peur que son ambition ne se borne désormais à éviter une nouvelle augmentation.
L'Europe ne peut plus se comporter en spectatrice, même engagée. Prenons en main notre destin. Une Europe forte et cohérente est notre assurance vie dans un monde de plus en plus dangereux. Osons faire ce choix stratégique pour nos enfants, pour l'Europe et pour la France.
M. Benjamin Haddad, ministre délégué. - Vous avez raison : l'effort de réarmement et de défense est lié à l'effort de compétitivité - l'exemple du quantique l'illustre bien.
Il faut le dire, nous sommes loin de la mise en oeuvre du rapport Draghi. Il est temps de « délivrer », pour le dire en mauvais français. Nous en sommes encore à simplifier des textes : il faut accélérer. Pas moins de 300 milliards d'euros d'épargne européenne franchissent l'océan tous les ans pour financer des projets américains. Sur le régime simplifié pour les start-up, pourquoi attendre 2026 ? Et ne nous limitons pas aux start-up : étendons cette approche à toutes les entreprises qui souhaitent se développer plus facilement.
La BEI doit investir davantage dans des projets européens en matière de défense : son mandat a été changé en ce sens.
Mme Cathy Apourceau-Poly . - Au lendemain des frappes illégales d'Israël et des États-Unis, la déclaration de l'E3 affirme son soutien à la sécurité d'Israël. Les autres peuples du Moyen-Orient n'auraient-ils pas droit à la sécurité ? « L'Iran ne pourra jamais posséder l'arme nucléaire », bêle-t-on - en approuvant donc les frappes.
Pourtant, selon l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) et les services de renseignement américains, l'Iran n'est pas en train de produire une bombe.
En 2003, contre la guerre d'Irak, la France se levait pour défendre le droit. Monsieur le ministre, condamnez-vous l'attaque américaine et israélienne comme une violation flagrante du droit international ?
Le Livre blanc de la défense, présenté par la Commission européenne le 19 mars dernier, assume ce cap stratégique. On y parle d'unité, de souveraineté stratégique, d'autonomie européenne, alors que priment le tropisme atlantiste et un capitalisme de prédation, où rivalités économiques et militaires se nourrissent l'une l'autre.
En 2024, les membres européens de l'Otan dépensent trois fois plus que la Russie pour leur défense ; l'Europe a quatre fois plus de navires, trois fois plus de chars, deux fois plus d'avions de chasse que la Russie.
Ce Livre blanc prévoit un investissement de 800 milliards d'euros pour la défense, pour des raisons avant tout idéologiques et industrielles. Composé d'un prêt de 150 milliards d'euros pour acheter du matériel militaire, à 65 % fabriqué en Europe, et de 650 milliards débloqués grâce à une clause d'exception du pacte de stabilité, c'est un piège budgétaire. La Commission en a décidé seule, via un 49.3 européen.
La France est sous procédure pour déficit excessif, et vous déclariez récemment qu'il n'y avait pas d'argent magique. Et voilà que l'Union européenne autorise les États à creuser leur déficit jusqu'à 1,5 % du PIB, pendant quatre ans. Pour la défense, l'argent coule à flots - mais pour la santé, l'éducation ou les transports, on brade. Qui paiera quand la clause dérogatoire prendra fin ? Nos services publics, bien sûr !
Alors que l'industrie automobile s'effondre, que l'Allemagne sombre dans la récession, la solution miracle serait le réarmement ? Le secteur de la défense est peu créateur d'emplois. Investissons plutôt dans la consommation, la santé, l'éducation et les infrastructures !
On ne construit pas la paix avec des missiles. On ne soigne pas les fractures sociales avec des budgets militaires. Ces décisions prises loin des intérêts populaires se paieront cher.
M. Benjamin Haddad, ministre délégué. - La position de la France est claire et constante : l'Iran ne peut pas, ne doit pas se doter de l'arme nucléaire. Vous dites que l'Iran ne cherche pas à construire une bombe, mais l'AIEA confirme qu'il viole le traité de non-prolifération. Quand l'Iran enrichit de l'uranium à 60 % - alors que 3,5 % suffit pour du nucléaire civil ; quand il enfouit ses centrales, on peut légitimement s'interroger.
Lors de son premier mandat, Trump a choisi de sortir du JCPoA. La France, elle, plaide pour la voie de la diplomatie, du droit international, pour construire un cadre de sécurité durable.
Ne soyons pas naïfs sur les intentions du régime iranien, qui soutient le terrorisme, le Hamas, le Hezbollah, les Houthis, qui ont tué nos compatriotes, notamment le 7 octobre, qui livre drones et missiles à la Russie, qui emprisonne Cécile Kohler et Jacques Paris dans des conditions indignes.
Notre position est claire. Pas d'alignement, mais une ligne : celle de la défense du droit international, de nos intérêts, de notre sécurité.
M. Jacques Fernique . - (Applaudissements sur les travées du GEST) À l'issue de ces douze jours qui ébranlèrent le monde, le Conseil européen doit répondre à des questions existentielles. Netanyahu et Trump ont unilatéralement lancé une guerre préventive, à contre-pied des initiatives diplomatiques et au mépris du droit international. L'Europe est-elle marginalisée, impuissante, condamnée à subir les choix de l'imprévisible président américain ?
Ce Conseil européen sera-t-il un moment de fermeté ? De détermination collective ? Ou affichera-t-il nos faiblesses, nos fissures ? L'un se réjouit qu'Israël fasse « le sale boulot » et salue les frappes américaines en Iran ; notre Président, lui, les juge « illégales » et prône la voie diplomatique... C'est en effet illégal - mais nos dirigeants ne condamnent pas, tétanisés à l'idée que Trump réduise son soutien à l'Ukraine. Nous savons pourtant d'expérience que la force brutale, l'humiliation ne construiront pas un ordre juste et durable au Moyen-Orient. La seule perspective qu'ouvrent ces frappes est celle du chaos.
Si l'Europe n'affirme pas le primat du droit sur la force, qui le fera ? Il faut savoir nous désolidariser lorsque les États-Unis abandonnent une cause juste - l'Ukraine, la Palestine - ou soutiennent une cause injuste - les frappes préventives israéliennes. Nous désolidariser - sans pour autant céder au récit de la Russie ou de la Chine.
La Russie profite de ce glissement de priorités. Ainsi, 20 000 missiles antidrones, initialement destinés à l'Ukraine, ont été réaffectés par les États-Unis au Moyen-Orient, face à la menace iranienne. Pour l'Ukraine, l'Europe et la France ne peuvent se montrer faibles et incohérentes. Céder au marchandage du Premier ministre hongrois, qui veut continuer à s'approvisionner en énergie russe, serait indigne.
Les Palestiniens, aussi, ont plus que jamais besoin d'une Europe claire et déterminée. Pourquoi l'accord d'association entre l'Union européenne et Israël n'est-il pas d'ores et déjà suspendu ? Actionnons sans attendre ce levier contre un Premier ministre israélien fauteur de crimes de guerre, qui détruit des villes, organise la famine, assassine aux abords des distributions alimentaires.
En 2013, le renoncement à intervenir en Syrie a prolongé les souffrances des victimes et convaincu Poutine d'annexer la Crimée. Douze ans plus tard, l'Europe n'ose même pas suspendre l'accord d'association, dont Israël a violé la clause sur les droits humains ! (Applaudissements sur les travées du GEST)
M. Benjamin Haddad, ministre délégué. - J'ai déjà évoqué ces sujets ; inutile de me répéter. (M. Thomas Dossus proteste.)
M. Michaël Weber . - Quelle sera la position de la France à l'égard de la décision unilatérale d'Israël et des États-Unis d'attaquer l'Iran en toute illégalité ? Quels sont les moyens de l'Union européenne pour garantir le respect du droit international par les parties et permettre une résolution diplomatique durable du conflit ?
Où en est le projet de parapluie nucléaire pour l'Europe ? Une possible extension de la dissuasion française à d'autres pays européens sera-t-elle discutée lors du Conseil ?
La décision de bombarder l'Iran n'était pas fondée sur des preuves tangibles d'une menace imminente, le Conseil de sécurité de l'ONU n'a pas été consulté ; l'attaque israélienne n'est pas de la légitime défense, mais bien une guerre préventive, illégale. Les efforts de négociation européens ont été balayés.
La fragile trêve obtenue n'efface pas nos inquiétudes sur un éventuel renversement du régime iranien par la force. En Irak et en Libye, les interventions militaires des puissances occidentales, sans aval de l'ONU, ont conduit à des décennies de chaos.
Comment qualifier ces démocraties belliqueuses, complices d'exactions contre des populations civiles ? Comment croire en la bonne foi du régime israélien qui invoque le droit à la légitime défense, alors que son armée cible des infrastructures civiles et affame la population ?
Notre opposition au régime iranien est totale, mais ne justifie pas qu'on piétine le droit international et humanitaire.
Quelles sanctions l'Union européenne est-elle prête à envisager pour mettre fin à cette brutale loi du talion ? Quelle position la France défendra-t-elle vis-à-vis d'une possible tentative de renversement du régime iranien par la force ? (Mme Audrey Linkenheld applaudit.)
M. Benjamin Haddad, ministre délégué. - Sur l'Iran, notre position est claire : nous nous opposons à un changement de régime par la force. Nous en avons vu les effets déstabilisateurs en Libye et en Irak... Le changement doit venir de l'intérieur.
La France a soutenu le réexamen par Kaja Kallas de l'accord d'association entre l'Union européenne et Israël. La Commission européenne rendra ses conclusions au mois de juillet, notamment eu égard au respect de l'article 2 ; nous débattrons alors de la suite.
La France soutient les efforts de réforme engagés par l'Ukraine en vue d'une adhésion à l'Union ; il est regrettable que ce processus soit pris en otage par un seul État membre, qui bloque l'ouverture des prochains chapitres de négociations.
À quelques jours de la Gay pride de Budapest, je rappelle que l'Union européenne est une union de valeurs. État de droit, protection des minorités, indépendance de la justice, liberté des médias : quand celles-ci ne sont pas respectées, nous devons être intraitables. C'est pourquoi certains financements du plan de relance de la Commission européenne n'ont pas été versés à la Hongrie.
M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes . - Monsieur le ministre, je vous remercie d'avoir répondu à tous les groupes.
L'ordre du jour du Conseil sera dense. Nous avons beaucoup évoqué la géopolitique. On oublie que la force de l'Union européenne, c'est aussi son marché intérieur, un marché envié et attractif.
Les touristes qui se rendent au Royaume-Uni s'acquittent d'une taxe de 20 livres sterling, pour deux ans. Pourquoi ne pas faire de même ? Ce serait une nouvelle ressource complémentaire.
La question de la compétitivité est essentielle pour notre marché intérieur et notre autonomie stratégique.
La semaine dernière, nous avons adressé un avis politique à la Commission européenne sur le futur cadre financier pluriannuel, qui évoquait plus spécifiquement deux thèmes chers au Sénat : la pêche et l'agriculture.
Oui à la transition écologique, mais il faut rééquilibrer les choses, nous l'avons dit maintes et maintes fois. Désormais, le navire européen semble emprunter un cap plus réaliste et plus intelligible.
La France reste un grand pays fondateur de l'Union. Elle est quand même écoutée - je l'ai constaté lors de la Conférence des organes spécialisés dans les affaires communautaires (Cosac) en Pologne il y a quelques semaines. Cela doit perdurer.
Modifications de l'ordre du jour
M. le président. - Par lettre en date de ce jour, le Gouvernement demande l'inscription à l'ordre du jour du mercredi 2 juillet après-midi d'une déclaration suivie d'un débat, en application de l'article 50-1 de la Constitution, sur la situation au Proche et Moyen-Orient ; le report au dernier point de l'ordre du jour du mercredi 9 juillet, de la deuxième lecture, sous réserve de sa transmission, de la proposition de loi visant à faciliter le maintien en rétention des personnes condamnées pour des faits d'une particulière gravité et présentant de forts risques de récidive, ainsi que l'inscription de la suite de ce texte en troisième point de l'ordre du jour du jeudi 10 juillet ; le retrait de l'ordre du jour du jeudi 10 juillet de la suite de la deuxième lecture de la proposition de loi portant programmation nationale et simplification normative dans le secteur économique de l'énergie ; l'inscription à l'ordre du jour du jeudi 10 juillet, en premier point, selon la procédure d'examen simplifié, d'une convention internationale France-Panama d'entraide judiciaire et, en quatrième point, de la lecture, sous réserve de leur dépôt, des conclusions des commissions mixtes paritaires sur la proposition de loi de simplification du droit de l'urbanisme et du logement, le projet de loi portant transposition des accords nationaux interprofessionnels en faveur de l'emploi des salariés expérimentés et relatif à l'évolution du dialogue social, et sur la proposition de loi visant à renforcer le parcours inclusif des enfants à besoins éducatifs particuliers.
Acte en est donné.
La déclaration du Gouvernement, suivie d'un débat, pourrait avoir lieu à 16 h 30 le mercredi 2 juillet.
Il en est ainsi décidé.
Clôture de la session ordinaire 2024-2025
M. le président. - Je vais lever la dernière séance de la session ordinaire 2024-2025.
À partir du mardi 1er juillet, le Parlement sera réuni en session extraordinaire.
Prochaine séance, mardi 1er juillet 2025, à 14 h 30.
La séance est levée à 18 h 25.
Pour le Directeur des Comptes rendus du Sénat,
Rosalie Delpech
Chef de publication
Ordre du jour du mardi 1er juillet 2025
Séance publique
À 14 h 30 et le soir
1. Ouverture de la session extraordinaire 2024-2025
2. Deuxième lecture de la proposition de loi, adoptée avec modifications par l'Assemblée nationale en deuxième lecture, créant l'homicide routier et visant à lutter contre la violence routière (texte de la commission, n°746, 2024-2025)
3. Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à faire exécuter les peines d'emprisonnement ferme (texte de la commission, n°781, 2024-2025)