Renouvellement du Congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie (Procédure accélérée)
M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi organique visant à reporter le renouvellement général des membres du Congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie pour permettre la mise en oeuvre de l'accord du 12 juillet 2025, présentée par MM. Mathieu Darnaud, Patrick Kanner, Hervé Marseille, Claude Malhuret, François Patriat et Mme Maryse Carrère.
Madame la ministre, je vous souhaite la bienvenue dans notre hémicycle et succès dans vos nouvelles fonctions, car nos outremers sont confrontés à de graves urgences. Je salue l'engagement de Manuel Valls sur le dossier calédonien, auquel je suis particulièrement attentif. En renouant le dialogue entre l'État et les forces politiques calédoniennes, il a contribué à la conclusion de l'accord de Bougival, suscitant ainsi espoir et confiance en l'avenir pour tous les Calédoniens.
Discussion générale
M. Mathieu Darnaud, auteur de la proposition de loi organique . - Cette proposition de loi organique transpartisane vise à apaiser la situation politique, économique et sociale en Nouvelle-Calédonie. Un an après les émeutes de 2024, quatre ans après le référendum en 2021, beaucoup reste à faire. Il faut reconstruire ce qui a été détruit, mais aussi et surtout construire la Nouvelle-Calédonie de demain, dans le respect de l'État de droit et de la volonté exprimée démocratiquement par les Calédoniens.
Les discussions se poursuivent sur le Caillou. Madame la ministre, vous y avez déjà consacré de nombreuses journées et nuits.
L'accord conclu à Bougival le 12 juillet dernier ouvre la voie à une organisation institutionnelle pérenne, ratifiée par les populations intéressées. Nous nous en félicitons. Il prévoit la création de l'État de Nouvelle-Calédonie et fixe une nouvelle répartition des compétences entre ce dernier et l'État central. Il prévoit une nationalité calédonienne, l'évolution du corps électoral spécial et les orientations d'une refondation sociale et économique.
Les parties se sont accordées sur le vote d'une loi constitutionnelle à l'automne, suivie par un vote des Calédoniens sur l'accord en février 2026. Enfin, les prochaines élections provinciales devraient être organisées sur la base d'un corps électoral défini dans l'accord.
Tout n'est pas réglé, des désaccords sont apparus dans les semaines qui ont suivi l'accord. Cependant, après des années de division, nous voulons encourager une approche constructive. L'accord de Bougival est un « pari de la confiance », après ceux de Matignon-Oudinot en 1988 et de Nouméa en 1998. Mais nous avons besoin de temps pour rassembler, expliquer, pour élaborer les textes, pour préparer les futurs scrutins. Or une autre échéance électorale approche et pourrait compliquer ce processus.
D'où cette proposition de loi organique, qui repousse de sept mois les élections provinciales, le temps de décanter les progrès réalisés cet été et tenir le calendrier fixé à Bougival.
Le renouvellement des assemblées provinciales et du Congrès de la Nouvelle-Calédonie devait initialement se tenir le 12 mai 2024. Le dépôt d'un projet de loi constitutionnelle susceptible d'impacter ces élections avait conduit à un premier report ; le Conseil d'État, dans un avis du 16 novembre 2023, l'estimait possible en cas de motif d'intérêt général suffisant. La loi organique du 15 avril 2024 a donc repoussé la date de renouvellement du Congrès au 15 décembre 2024.
Les émeutes qui ont marqué l'année 2024 rendaient illusoire un déroulement serein des élections. Nos collègues du groupe SER ont donc fait adopter, en novembre dernier, une proposition de loi organique reportant le scrutin au 30 novembre 2025. Nous y sommes presque, et tant reste à faire. Les priorités sur place ne sont pas aux campagnes électorales. Quand bien même, il serait illusoire d'espérer organiser le scrutin en un mois et demi.
C'est pourquoi nous proposons un nouveau et dernier report, au plus tard au 28 juin 2026, ce qui revient à allonger les mandats en cours de près de deux ans par rapport à leur durée initiale. Nous en avons vérifié la faisabilité, au regard du respect de l'exigence constitutionnelle de périodicité raisonnable de l'exercice du suffrage. Avec Mme Narassiguin, nous avons souligné devant le Conseil d'État la situation économique et sociale de la Nouvelle-Calédonie.
Une telle prorogation n'est pas inédite : le mandat des députés fut prorogé de deux ans en 1939 ; ceux de membres de l'Assemblée des Français de l'étranger, d'un an en 2013. Les motifs doivent être impérieux, non partisans, et faire l'objet d'un diagnostic partagé, rappelait Jean-Louis Debré. Dans une décision du 11 avril 2024, le Conseil constitutionnel a jugé que la prolongation des mandats en cours ne peut être qu'exceptionnelle et transitoire et fondée sur un motif d'intérêt général incontestable. C'est le cas ici.
Ce report ne rallonge les mandats que pour une durée clairement limitée. La situation calédonienne présente des particularités qui caractérisent un impérieux motif d'intérêt général. C'est la Constitution elle-même qui nous révèle l'intérêt général en cause ici, lequel prend corps dans le processus ayant mené à l'accord de Bougival. Le Conseil d'État avait anticipé cette éventualité dans son avis de 2023.
Le Gouvernement a déposé début septembre un projet de loi constitutionnelle mettant en oeuvre l'accord. En parallèle, les acteurs locaux poursuivent leurs échanges. Ne grippons pas cette dynamique.
Dans son avis du 4 septembre 2025 sur notre texte, le Conseil d'État a estimé que ce nouveau report n'était pas manifestement inapproprié au regard de l'objectif poursuivi.
Nous reportons le scrutin pour mieux lui permettre de se tenir dans un cadre institutionnel réformé.
Le Gouvernement ayant déclenché cet été la procédure accélérée, le texte devrait aboutir rapidement. Les Calédoniens l'attendent. Ils ne comprendraient pas un raté dans l'application de l'accord de Bougival.
Les accords de Matignon de 1988 ont manifesté « la volonté des Calédoniens de tourner la page de la violence et du mépris pour écrire ensemble des pages de paix, de solidarité et de prospérité ». Vingt-sept ans après, ces mots résonnent toujours. Le processus se poursuit et c'est l'honneur du Sénat et de son président d'avoir été une force de dialogue et de proposition.
J'ai gardé de mes déplacements en Nouvelle-Calédonie un attachement des plus vifs à son égard. Ce texte sera, je l'espère, une brique de plus dans la construction de son destin commun. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme Laure Darcos applaudit également.)
Mme Corinne Narassiguin, rapporteure de la commission des lois . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Le mandat des membres des assemblées de province et du Congrès élus le 12 mai 2019 a déjà été prorogé à deux reprises. Les élections initialement prévues pour le 12 mai 2024 ont été reportées d'abord au 15 décembre 2024, puis au 30 novembre 2025. Cette proposition de loi organique, transpartisane, reporte le scrutin une troisième fois, au 28 juin 2026 au plus tard.
Les reports se suivent mais ne se ressemblent pas. En janvier 2024, le Gouvernement avait déposé un projet de loi constitutionnelle revenant sur le gel du corps électoral spécial et fait adopter un projet de loi organique reportant les élections au 15 décembre 2024.
L'adoption du projet de loi constitutionnelle a provoqué de violentes émeutes en Nouvelle-Calédonie à compter du 13 mai, entraînant la déclaration de l'état d'urgence le 15 mai 2024.
À l'initiative du président Kanner, la loi organique du 15 novembre 2024 a reporté les élections provinciales de onze mois supplémentaires, au 30 novembre 2025, afin de laisser du temps pour dénouer la crise.
Le 12 juillet 2025, un projet d'accord a été signé à Bougival par l'ensemble des partenaires politiques - même si le consensus s'est ébréché par la suite, le Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS) adoptant dès le 9 août une motion rejetant l'accord.
Ce projet d'accord prévoit la création d'un État de Nouvelle-Calédonie inscrit dans la Constitution, l'instauration d'une nationalité calédonienne, la modification de la composition du corps électoral spécial ainsi qu'un calendrier indicatif, avec un report des élections provinciales à juin 2026 - ce qu'acte le présent texte.
L'accord de Bougival est historique en ce qu'il redonne confiance et espoir aux Calédoniens. Après l'impasse provoquée par le référendum du 12 décembre 2021, il offre enfin la perspective d'un avenir commun. C'est une base solide, à préciser en poursuivant les échanges avec l'ensemble des parties prenantes, surtout celles ayant pris leurs distances vis-à-vis du texte signé le 12 juillet. Sans consensus large, la porte ouverte à Bougival se refermera. (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; M. Olivier Bitz applaudit également.)
Mme Agnès Canayer, rapporteur de la commission des lois . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) L'article 1er reporte au 28 juin 2026 au plus tard le renouvellement général des membres du Congrès et des assemblées de province. Les élections seraient ainsi repoussées de 25 mois au plus par rapport à la date initialement prévue. C'est une décision lourde de conséquences démocratiques, a fortiori quand c'est la troisième fois. Mais la recherche d'une issue pour assurer la paix civile en Nouvelle-Calédonie nous paraît être un motif d'intérêt général.
L'accord historique signé à Bougival le 12 juillet dernier prévoit une nouvelle composition des assemblées de province et du Congrès, ainsi qu'un élargissement du corps électoral spécial - ce qui nécessite une révision constitutionnelle. Un projet de loi constitutionnelle a été adopté hier en conseil des ministres, mais son examen reste encore incertain. Les négociations doivent se poursuivre avec toutes les parties prenantes afin d'aboutir au consensus le plus large possible.
Le report des élections donnera davantage de temps pour compléter et préciser l'accord : c'est pourquoi la commission des lois a adopté l'article 1er sans modification.
L'article 2 proroge les fonctions des membres des organes du Congrès - bureau et commissions - dont le renouvellement intervient en principe chaque année, en août. Nous proposons un report après le renouvellement de juin 2026. Un double renouvellement successif, à quelques mois d'écart, contreviendrait à l'objectif de stabilité des institutions. Nous avons donc adopté l'article 2 sans modification.
L'article 3 prévoit l'entrée en vigueur du texte dès le lendemain de sa publication au Journal officiel, dérogeant en cela à la loi organique du 19 mars 1999. Le calendrier électoral est extrêmement contraint : pour un scrutin prévu le 30 novembre prochain, il faut convoquer les électeurs au plus tard le 2 novembre. Il est donc indispensable que le présent texte entre en vigueur avant cette date. C'est un article de bon sens, que la commission a adopté sans modification.
La priorité est aujourd'hui à la poursuite des discussions avec l'ensemble des partenaires pour faire aboutir l'accord de Bougival. L'amendement de Patrick Kanner sur l'intitulé du texte l'illustre bien.
La commission des lois vous propose d'adopter cette proposition de loi organique. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC ; M. Patrick Kanner applaudit également.)
Mme Naïma Moutchou, ministre des outre-mer . - C'est la première fois que je prends la parole devant le Parlement en tant que ministre des outre-mer.
M. Rachid Temal. - Bravo ! Vive le Val d'Oise !
Mme Naïma Moutchou, ministre. - Je le fais avec émotion et humilité. Je salue l'engagement de Manuel Valls au service des outre-mer ; je m'étais rendue à ses côtés en Nouvelle-Calédonie en 2018.
Si je n'en suis pas issue, je connais ces terres pour les avoir écoutées, étudiées et défendues au sein de la commission des lois de l'Assemblée nationale. Je sais ce qu'elles représentent : une part de la France qui doute parfois d'être entendue et comprise, mais qui ne renonce jamais à croire à la République. On ne devient pas ministre des outre-mer par hasard.
À celles et ceux qui veulent réconcilier et avancer, je veux dire que je suis à la tâche. Je ne promets pas tout, mais je promets d'être là, d'écouter et d'agir ; ce sera ma méthode.
Je salue le rôle du Sénat dans ce moment politique. Votre assemblée a la force de bâtir dans la durée. Vous avez su unir au lieu d'opposer. Six présidents de groupe sur huit ont signé ce texte : c'est un geste fort.
Je remercie les rapporteurs Agnès Canayer et Corinne Narassiguin pour leur travail précis et exigeant. Le Sénat montre ce que peut être une assemblée utile, une chambre du dialogue, de la stabilité et du respect du temps long. Ce travail honore le Parlement tout entier.
Cette proposition de loi n'est pas un texte technique mais un acte de responsabilité. Elle accompagne la mise en oeuvre de l'accord de Bougival. Après les drames de mai 2024, après des années d'impasse et de méfiance, il fallait rouvrir le chemin de la confiance. Cet accord ne règle pas tout mais dessine un avenir commun. L'objectif est clair : donner le temps à la stabilité, le temps d'appliquer l'accord, de voter la loi constitutionnelle, d'organiser la consultation et de préparer les élections provinciales dans un climat apaisé.
Reporter, ce n'est pas différer la démocratie mais lui redonner des fondations solides.
En Nouvelle-Calédonie, le temps politique ne peut pas être séparé du temps humain.
Pourquoi un nouveau report ? Parce qu'il faut du temps pour que le dialogue se renoue avec tous, y compris avec le FLNKS ; du temps pour traduire concrètement l'accord de Bougival ; du temps pour que la parole de l'État redevienne crédible, que la confiance se réinstalle et que les Calédoniens se réapproprient leur avenir.
Le Congrès a donné son accord à ce report à une large majorité, et le Conseil d'État a validé sa conformité - preuve qu'il s'agit bien d'un choix d'intérêt général.
Le dialogue n'est pas rompu, même s'il connaît des pauses. Personne ne veut revivre les fractures du passé. Nous irons pas à pas vers la mise en oeuvre complète de l'accord de Bougival, sans confondre vitesse et précipitation.
La date du 28 juin 2026 n'est pas une ligne d'arrivée, mais un cadre pour avancer ensemble dans la confiance. Le but : offrir à la Nouvelle-Calédonie un avenir clair et partagé, où chaque Calédonien ait toute sa place, sans avoir à choisir entre identité et appartenance.
La stabilité institutionnelle ne suffira pas. Il n'y aura pas de paix durable sans sursaut économique et social. Le territoire a besoin d'un choc de confiance. Les Calédoniens attendent des perspectives, du travail, de la dignité, des projets concrets. Je porterai cette exigence, dans la concertation. Ce ministère sera celui des preuves de résultats.
Nous devons exprimer une volonté partagée. La paix ne se décrète pas ; elle se construit, avec tous. En adoptant cette proposition de loi, vous offrirez un temps de respiration à un territoire éprouvé et affirmerez la fidélité de la République à ses promesses.
La séance est suspendue à 18 h 05.
Question préalable
M. le président. - Motion n°2 de M. Robert Wienie Xowie et du groupe CRCE-K.
M. Robert Wienie Xowie . - « Je vous demande d'apporter à nos compatriotes de Nouvelle-Calédonie la garantie de la France pour un avenir pacifique, une économie plus forte et une société plus juste. » J'emprunte à François Mitterrand ces mots aussi vrais aujourd'hui qu'en 1988.
Aujourd'hui, c'est à vous qu'il revient d'apporter la garantie de la France pour un avenir pacifique en Kanaky. Ce n'est pourtant pas le chemin que le Gouvernement actuel et le précédent avaient décidé de prendre. Il y a un sentiment de déjà-vu. Deux ans à peine se sont écoulés depuis que l'on a eu à voter un report des élections provinciales. Avons-nous oublié les conséquences de notre choix pour le peuple de la Kanaky ? N'avons-nous pas tiré de leçon de nos erreurs ? Vous avez vu le chaos. Au-delà du débat institutionnel, il y a un peuple. Le sort de la Kanaky demeure suspendu à des décisions nationales incertaines, conditionnées à un accord.
Pendant ce temps, la réalité socio-économique du pays se dégrade de jour en jour. Les entreprises peinent à redémarrer, les familles ne peuvent plus vivre dignement, nourrir leurs enfants, le secteur du nickel reste fragilisé, et les territoires touchés par les événements de 2024 attendent toujours la reconstruction. Dans ce contexte, il est impératif de décorréler le politique du socio-économique.
Nous, parlementaires, sommes détachés de ceux qui nous ont élus, de leur quotidien, de leurs difficultés et de leurs souffrances. Notre démocratie est ainsi faite que nous subissons l'instabilité d'un exécutif incapable de compromis. Il existe des urgences en France, mais le report des élections provinciales n'en fait pas partie. Aucun agenda national ne commande de report. Il est dangereux que la Kanaky devienne l'otage de calculs politiques ou de décisions hâtives dictées par le calendrier parisien. Invoquer un calendrier de réforme incertain ne saurait justifier un tel report. Invoquer l'urgence nationale pour contourner le dialogue politique est une erreur. C'est la mauvaise méthode exécutée au mauvais moment par les mauvaises personnes.
Reporter les élections, c'est maintenir l'incertitude et la tension sur le terrain. La majorité sénatoriale a toujours eu une grande méfiance du flou institutionnel. Cet énième report renforcerait un vide qui n'a que trop duré.
Nous soutenons le maintien du scrutin, non pas pour plaire à telle partie, mais pour défendre l'État de droit, ni plus ni moins. Il ne s'agit pas d'un vote pro indépendance, mais en faveur de la démocratie. Maintenons le scrutin provincial, engagement républicain.
En 1999, sous Lionel Jospin, une proposition de loi organique autour du report des élections avait été refusée par le Sénat. L'histoire vous aura donné raison, puisque cela a abouti à la paix sociale au travers de l'accord de Nouméa et au respect de la parole de la République.
En 2004, lors du premier cycle institutionnel en Kanaky, le transfert de compétences n'était pas totalement effectif. Un report des élections avait été demandé par les loyalistes. Cela leur avait été refusé. « Le renouvellement des assemblées provinciales dans les délais prévus constitue une garantie démocratique essentielle du processus de Nouméa », avait estimé le rapporteur du Sénat, Christian Cointat. René Garrec, président de la commission des lois, estimait qu'« aucune circonstance technique ne saurait justifier de différer l'expression du suffrage universel. C'est dans la régularité du calendrier que la République démontre son autorité. »
L'histoire au Sénat met en lumière les mauvaises personnes qui persistent à vouloir un report pour mettre en oeuvre « l'accord du 12 juillet 2025 ». Mais l'accord de qui, avec qui ? Ledit accord de Bougival n'a pas suscité de consensus. Le Journal officiel présente un projet non signé comme un accord, sans liste de signataires ni réserves. Les personnes présentes ne pourront nier qu'il était convenu de présenter le projet à leurs bases. Or le FLNKS et le Sénat coutumier l'ont fermement rejeté : il contredit les acquis du peuple kanak, à savoir la trajectoire vers la pleine souveraineté, aboutit à sa minorisation politique, et opère une intégration définitive de la Kanaky à la République. Par une manipulation politique, il vise à désinscrire la Kanaky de la liste des pays à décoloniser de l'ONU.
Comme l'a rappelé le président du FLNKS dans sa lettre aux parlementaires, il faut continuer à débattre d'une souveraineté partagée avec la France, et non dans la France.
Si l'on s'inscrit dans un accord de décolonisation, peut-on parler de consensus lorsque ceux qui représentent le peuple colonisé refusent d'en être parties ? Ceux qui se rêvent en Michel Rocard le qualifient de « compromis historique ». En faisant cela, ils déshonorent l'esprit de ceux qui nous ont précédés et qui ont tracé le chemin du consensus. Voter ce texte serait un passage en force, une négation du droit du peuple kanak à disposer de lui-même, et contraire à l'esprit de consensus de 1988 et 1998.
Dans ces conditions, la seule solution est de redonner la voix au peuple. En votant cette proposition de loi, nous bloquons tout dialogue sur le territoire. Pour que des discussions soient légitimes, il faut des élus légitimes, et donc des élections. Sébastien Lecornu le disait, le 14 décembre 2021 à l'Assemblée nationale : « En démocratie, les élections se tiennent à l'heure ! »
Sans renouvellement par les urnes, aucune négociation sur l'avenir ne sera légitime. Le maintien des élections est la condition du maintien de la confiance. Le report n'est pas un simple ajustement technique mais un acte politique majeur, qui engage la légitimité démocratique du territoire.
L'argument du risque de contentieux si l'on maintient le gel du corps électoral ne tient plus. Dans sa décision du 19 septembre 2025, le Conseil constitutionnel a validé la constitutionnalité du gel du corps électoral provincial en Kanaky. Il n'existe ni motif d'urgence, ni risque avéré qui justifierait de suspendre l'expression du suffrage universel. Le cadre électoral est légitime et constitutionnel.
Notre responsabilité est engagée. Depuis les accords de Matignon-Oudinot, des hommes et des femmes politiques ont choisi le courage et le respect. Je vous demande d'adopter cette question préalable. Le temps où nous aurons à décider viendra. Martin Luther King disait que « chacun a la responsabilité de désobéir aux lois injustes. » Mais nous pouvons aussi nous opposer à l'adoption de ces lois injustes. Vous savez désormais ce qui est juste pour la Kanaky ! Votez en votre âme et conscience. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K et du GEST ; Mmes Gisèle Jourda et Paulette Matray applaudissent également.)
Mme Agnès Canayer, rapporteur. - La commission des lois a émis un avis défavorable. Sinon, nous ne discuterions pas de ce texte et, par conséquent, les élections devraient avoir lieu avant le 30 juin. Nous sommes d'accord pour dire que ce texte n'est pas simplement technique ; c'est bien un texte d'engagement politique qui a des incidences démocratiques. Reporter les élections n'est pas neutre. Cet acte a de vraies conséquences sur la légitimité des élus de Nouvelle-Calédonie.
L'accord de Bougival est le premier depuis plus de vingt-sept ans. Il faut lui donner une chance. Or il prévoit le calendrier des élections dans les mois à venir, et surtout, l'élaboration d'un nouveau statut institutionnel très attendu par les habitants. Maintenir les élections provinciales en l'état, ce serait mettre à bas l'accord de Bougival et reporter la possibilité d'un consensus dans un avenir incertain. Il faut maintenir les négociations pour trouver la concorde civile en Nouvelle-Calédonie.
Le projet de loi constitutionnelle déposé hier en Conseil des ministres montre l'engagement du Gouvernement pour trouver une solution.
Ce soir, nous devons voter cette proposition de loi organique pour ne pas fragiliser le débat institutionnel mais donner une chance à l'accord de Bougival.
Mme Naïma Moutchou, ministre. - L'accord de Bougival n'efface en rien la reconnaissance du peuple kanak. Les dispositions de l'accord de Nouméa sont encore en vigueur, c'est écrit dans le texte. Il y a donc bien un garde-fou.
Ce qui a créé le désordre, c'est non pas le report, mais le projet de loi constitutionnelle (M. Akli Mellouli proteste), car les indépendantistes étaient contre le texte ; ce n'est plus le cas aujourd'hui.
M. Akli Mellouli. - Il n'y a pas d'accord !
Mme Naïma Moutchou, ministre. - Le groupe Fer de lance mélanésien a exprimé une position favorable au texte. Le texte est soutenu par six groupes sur huit ; le Congrès a donné son accord ; le Conseil d'État a donné son feu vert juridique.
M. Akli Mellouli. - Cela se fait beaucoup en ce moment !
Mme Naïma Moutchou, ministre. - Oui, l'état socio-économique est dégradé, voilà pourquoi il faut reporter les élections ! La mission interministérielle de Claire Durrieu permettra d'avancer. Donnons les moyens économiques et sociaux à la Nouvelle-Calédonie. Rejetez cette motion, faute de quoi nous enverrons un signal délétère aux Calédoniens. (M. Akli Mellouli proteste.)
M. Fabien Gay. - Votre Gouvernement s'accommode du manque criant de légitimité démocratique, contrairement à ce que souhaite le peuple kanak pour ses institutions. Avec ce troisième report, vous les affaiblissez encore une fois. Sans renouvellement par les urnes, aucune négociation sur l'avenir du pays ne peut être pleinement légitime. D'une part, le FLNKS et le Sénat coutumier rejettent l'accord ; d'autre part, le Congrès n'a pas été consulté, alors que cette mesure affecterait directement son fonctionnement interne et la durée des mandats de ses organes. Cette proposition de loi organique contrevient à l'exigence de loyauté du dialogue institutionnel. Le report délégitimise les institutions et fragilise la paix civile. Vous renforcez le sentiment de dépossession du peuple kanak, et en particulier de sa jeunesse.
Nous vous proposons une porte de sortie : en maintenant le scrutin fin 2025, vous redonnerez voix et mandat à des élus légitimes. Dans l'esprit des accords de Matignon-Oudinot et de Nouméa, vous restaurerez, comme le souhaite le peuple kanak, le dialogue et la paix civile. Choisissons l'apaisement et le dialogue, pas le passage en force. (M. Robert Wienie Xowie applaudit.)
M. Guillaume Gontard. - Reporter les élections n'est pas neutre. En 2021, vous êtes passés en force pour organiser le troisième référendum en pleine pandémie. Le ministre des Outre-mer, Sébastien Lecornu, a ravivé des tensions très vives au sein de la société kanak. Les accords de Matignon et Nouméa avaient pourtant ouvert un chemin pacifique vers la nécessaire décolonisation du territoire. Depuis, l'huile a été jetée sur le feu : le report et la réforme en urgence du corps électoral l'an dernier a mis la Kanaky à feu et à sang, entraînant la mort de quatorze personnes.
Les discussions entre loyalistes, indépendantistes et autres blocs ont repris, et c'est une bonne chose. Mais parler d'accord à Bougival est exagéré. Ce soi-disant accord que vous souhaitez inscrire dans la Constitution est un accord de principe pour poursuivre les discussions, pas un texte définitif, raison pour laquelle le FLNKS refuse de le signer. Comment négocier un accord avec des indépendantistes dont une bonne partie était emprisonnée ? Cet accord n'a aucune légitimité, les négociations doivent se rouvrir. Les élections provinciales n'ont que trop tardé ; ce sera bénéfique pour la bonne conduite des négociations, avec des mandats clairs pour chaque camp.
Il y a urgence à la pacification, mais par la reprise du dialogue et non par un passage en force. Nous voterons la question préalable. Puisse le peuple kanak retrouver la maîtrise de son avenir. (Applaudissements sur les travées du GEST ; Mme Cécile Cukierman et M. Fabien Gay applaudissent également.)
La motion n°2 est mise aux voix par scrutin public ordinaire de droit.
M. le président. - Voici le résultat du scrutin public n°1 :
Nombre de votants | 343 |
Nombre de suffrages exprimés | 343 |
Pour l'adoption | 34 |
Contre | 309 |
La motion n°2 n'est pas adoptée.
Discussion générale (Suite)
M. Georges Naturel . - (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC) Chers collègues, je vous remercie d'être présents ce soir, compte tenu de la situation politique parisienne, pour examiner le dossier calédonien. Je remercie également les présidents de groupe qui ont déposé cette proposition de loi organique durant l'été.
Il n'est jamais indifférent dans une démocratie de reporter une élection démocratique, surtout pour la troisième fois. Il faut en examiner les raisons. Les élections provinciales auraient dû se tenir en mai 2024, avant d'être repoussées en septembre 2024 ; face au traumatisme dû aux émeutes de mai 2024 et à la crise économique et sociale qui a suivi, elles ont été reportées au 30 novembre 2025 - à chaque fois pour intégrer la réforme du corps électoral. Elles devront se tenir avant juin 2026, et pas après, je ne l'accepterai pas ! C'est dommageable.
Des personnes élues pour cinq ans exerceront donc un mandat pendant plus de sept ans. C'est un problème pour leur légitimité démocratique et l'acceptabilité de leurs décisions. Il aurait pu être souhaitable d'aller sans délai devant les électeurs.
Autre risque, l'enchevêtrement des échéances électorales : consultation référendaire en février, élections municipales en mars, puis élections provinciales en mai ou en juin. Ce calendrier saturé menace la lisibilité des échéances et la sérénité des débats.
Cette proposition de loi organique n'a été déposée ni par confort ni par nécessité, mais pour respecter le calendrier fixé par l'accord de Bougival, afin de retrouver un consensus local. Nous l'avions trouvé en juin, mais depuis il a été rompu par une des parties.
Mettre en oeuvre cette organisation institutionnelle nécessite du temps si l'on veut qu'elle soit acceptée par tous, pour sortir la Nouvelle-Calédonie de la tragédie du 13 mai, de ses morts, de ses ruines, de son économie brisée, s'engager dans la reconstruction, et consolider le dialogue calédonien. La Nouvelle-Calédonie, meurtrie et convalescente, nécessitera une attention particulière du Gouvernement et du Parlement.
Hier matin, un projet de loi constitutionnelle visant à transcrire dans la loi l'accord de Bougival a été présenté en Conseil des ministres. Dans le cadre du projet de loi de finances (PLF), nous aurons prochainement à examiner le soutien financier de l'État pour que la Nouvelle-Calédonie se relève de ses blessures de mai 2024.
L'accord de Bougival a redonné un souffle et une espérance à la Nouvelle-Calédonie.
Le Conseil d'État a jugé que le report des élections poursuit un but d'intérêt général et ne paraît pas inapproprié. La légitimité démocratique est amoindrie mais la légalité est acceptable, validée en droit.
Consulté pour avis le 15 septembre dernier, le Congrès de la Nouvelle-Calédonie a admis cette nécessité, en émettant un avis favorable à la quasi-unanimité, moins la voix du groupe UC-FLNKS.
L'histoire nous enseigne que les accords qui durent sont ceux qui reposent sur un consensus large entre indépendantistes et non-indépendantistes, adoubés ensuite par la population. Bougival ne peut déroger à cette règle. L'Union calédonienne a rejeté l'accord, ne l'ignorons pas.
Le délai supplémentaire doit être mis à profit pour redonner de la densité aux quelques fils du dialogue renoué à Bougival. La paix se construit avec tous et surtout avec ceux qui ne se reconnaissent pas dans cet accord. Je voterai l'amendement déposé conjointement par nos six présidents de groupe pour modifier l'intitulé de la proposition de loi.
Certes, ce report n'est pas idéal, mais il est nécessaire, pour préparer la consultation des citoyens et les réconcilier avec leurs institutions.
Nous votons en réalité le maintien d'un espoir : que la Nouvelle-Calédonie meurtrie puisse retrouver le chemin du développement et s'inventer un avenir commun original dans la République. Je vous invite à adopter cette proposition de loi organique le plus largement possible. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC)
M. Francis Szpiner. - Très bien !
Présidence de Mme Sylvie Robert, vice-présidente
M. Mikaele Kulimoetoke . - (Applaudissements sur les travées du RDPI) Je salue mes deux collègues calédoniens. L'accord de Nouméa a esquissé les contours d'une communauté de destin, dans le souci du consensus, du compromis et du respect des parties.
À Bougival, les signataires ont tracé une feuille de route, ouvrant une nouvelle voie pour l'archipel. Ils ont réengagé le dialogue entre les différentes forces politiques et l'État, après les émeutes.
Le rejet de l'accord par le FLNKS l'a fragilisé. Ne pas le prendre en considération, c'est encourager un passage en force. Nous ne pouvons pas l'ignorer. N'oublions pas non plus les conséquences économiques et démocratiques d'un prolongement de deux ans des mandats des élus provinciaux. Les élections provinciales sont cruciales dans la vie politique de la Nouvelle-Calédonie, alors même que le contexte national est instable. On ne peut reporter les élections qu'à condition que cette période soit mise au service d'un dialogue retrouvé et de l'apaisement.
Le projet de loi constitutionnelle portant création d'un État de Nouvelle-Calédonie a été présenté hier en Conseil des ministres. Ce qui doit primer, nous l'affirmons avec notre sensibilité ultramarine, ce sont les échanges avec les acteurs locaux décisionnaires qui devront, les premiers, faire face aux conséquences du texte sur leur territoire.
Nous resterons vigilants. Le Gouvernement et le Parlement doivent prendre leurs responsabilités. (Applaudissements sur les travées du RDPI ; Mme Annick Girardin applaudit également.)
M. Patrick Kanner . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Le présent de la Nouvelle-Calédonie est façonné par son passé : les Calédoniens, enracinés dans leur territoire, y retrouvent des modèles ou des avertissements pour le présent.
La loi organique du 15 avril 2024 avait inauguré un premier report dans l'attente d'un accord global, qui n'a pas vu le jour car la confiance a été brisée après l'organisation unilatérale du troisième référendum sur l'indépendance. Tout recul du dialogue, tout manque d'impartialité de l'État mine sa crédibilité auprès des partenaires calédoniens et expose à une nouvelle crise. L'adoption du projet de loi constitutionnelle dégelant le corps électoral a entraîné des émeutes après 36 années de paix civile, malgré nos alertes. La Nouvelle-Calédonie traverse une situation critique : crise du logement social, pénurie de soignants, fermeture des usines de nickel, perte de perspective dans l'avenir... Malgré la deuxième tranche du prêt garanti par l'État, le territoire reste fragilisé. Les entreprises locales affrontent un vide assurantiel. Quelles mesures concrètes le Gouvernement prévoit-il pour stabiliser la situation économique, sociale et sanitaire ? Qu'en est-il du quinzième décès survenu au Camp-Est, qui met en lumière l'état dégradé des prisons et les dysfonctionnements ? Le Gouvernement peut-il fournir des informations à la famille ?
Sur la base de ma proposition de loi organique, le Parlement a validé en 2024 le deuxième report des élections ; la présente proposition de loi prévoit un troisième report. Un décalage aussi long ne se justifie que par des motifs impérieux et non partisans afin d'assurer des élections libres, équitables et sincères. Prolonger encore de quelques mois est possible en raison de l'accord global de Bougival entre l'État et l'ensemble des forces politiques calédoniennes. Toutefois, compte tenu du rejet formel du texte par l'UC-FLNKS et le Sénat coutumier, des précautions s'imposent.
Le 24 septembre, le FLNKS réaffirmait ses principales exigences : maintenir les élections en 2025, proclamer l'indépendance avant 2027, garantir un droit rapide à l'autodétermination, poursuivre le dialogue avec l'État et instaurer une justice transitionnelle valorisant l'identité kanak et la réconciliation.
Les critiques que suscite ce texte méritent d'être entendues et confrontées aux termes de l'accord de Bougival. Tant que les pourparlers se poursuivent, il n'est pas pertinent de porter un jugement définitif sur son contenu et sa portée. Néanmoins, les perspectives de cet accord restent claires et constituent le socle pour orienter les négociations en cours sur l'après-Nouméa.
Cette démarche doit s'inspirer de la méthode de Michel Rocard et de Lionel Jospin qui a préservé la paix civile tout en favorisant les conditions d'un développement économique durable et équilibré. Cette approche puise ses fondements dans la déclaration de la table ronde de Nainville-les-Roches, quarante ans après celle-ci. Elle a conduit les indépendantistes à dépasser le principe d'indépendance kanak exclusive et les anti-indépendantistes à reconnaître pleinement l'identité kanak. Ce principe doit être scrupuleusement sauvegardé. Tel est le cap à suivre pour garantir la stabilité et l'avenir commun de la Nouvelle-Calédonie. Rechercher un accord est indispensable. Si les récentes déclarations du président du FLNKS témoignent d'un refus clair du texte signé le 12 juillet, elles montrent aussi un souhait de reprendre les discussions. Les non-indépendantistes sont conscients de la nécessité de réintégrer le FLNKS dans le processus et de s'adapter aux évolutions nécessaires.
Manuel Valls, fin connaisseur des rapports de force politiques sur ce territoire, reconnaissait que le FLNKS est un acteur incontournable et qu'aucune solution durable ne peut se construire sans lui. Partagez-vous ce point de vue ? Quelle assurance que le report des élections ne deviendra pas un motif de tensions ? L'accord du 12 juillet ne peut être constitutionnalisé sans consensus. Un avenant doit refonder le préambule, reconnaître l'identité kanak, préciser le droit à l'autodétermination et définir les politiques économiques et sociales, en ciblant la jeunesse. Quoi qu'il arrive, les élections auront lieu dans quelques mois : soit fin novembre, si la situation nationale l'impose, soit au plus tard le 28 juin 2026.
Selon la jurisprudence constante du Conseil constitutionnel, le report n'affecte pas la légitimité des mandats des élus actuels ; en outre, il décentrerait les acteurs locaux de la campagne électorale au bénéfice d'un accord approuvé par toutes les formations politiques locales.
J'ai proposé un amendement modifiant l'intitulé pour rappeler que l'accord du 12 juillet 2025 est un projet d'accord, conformément à la volonté des parties. Je remercie les cinq présidents de groupe qui m'ont accompagné dans cette démarche.
Un accord politique n'est jamais figé. Il est vivant, appelé à évoluer avec les circonstances. C'est dans cette capacité d'adaptation que résident sa force et les clés de sa pérennité.
Restons confiants : un alliage solide peut émerger enfin du creuset calédonien, à condition que tous les acteurs agissent avec courage et responsabilité. Le groupe SER votera cette proposition de loi organique. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur les travées du groupe UC)
Mme Cécile Cukierman . - Il y a toujours eu au Sénat la volonté de travailler sur le dossier calédonien. Chambre des territoires, elle ne peut en oublier aucun, même à de milliers de kilomètres.
On notera des ressemblances avec la situation politique nationale.
Le Premier ministre a réaffirmé son attachement au dossier calédonien hier et aujourd'hui. L'inscription de ce texte à notre ordre du jour dès la reprise de nos travaux montre l'importance de ce dossier. Mais nous avons des désaccords, exprimés par Robert Wienie Xowie.
Les mots ont un sens : y a-t-il un accord de Bougival, ou est-ce juste la mise en route d'un processus ?
Certains ont participé avant de retirer leur signature, estimant qu'il n'y avait pas d'accord total. Le FLNKS représente une grande partie du peuple kanak ; qu'il ait changé d'avis est très grave. Le rapport de la commission des lois parle de « dérogation nécessaire au principe démocratique ». La démocratie devient de plus en plus anecdotique dans notre pays ! Avec ce troisième report, nous prolongeons un mandat de près de deux ans.
Face à une crise sans précédent, dont les stigmates marquent encore le territoire et qui pèse sur le quotidien de la population, kanak ou non, nous ne pouvons approuver ce report.
Face à des crises d'une telle ampleur, la meilleure solution est le retour devant les électeurs. Plus on délégitime les élus, plus on rend l'acceptation de la nécessaire sortie de crise difficile. La souveraineté nationale appartient au peuple, nous n'en sommes que les représentants. Nous ne pouvons passer outre.
Nous voterons contre ce texte et déplorons notamment le départ de votre prédécesseur, signe de la volonté du Président de la République de composer lui-même le Gouvernement. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K)
Mme Mélanie Vogel . - (Applaudissements sur les travées du GEST) C'est avec la même humilité et la même inquiétude qu'au printemps 2024 que j'aborde ce vote. Notre lecture est différente de celle des rapporteurs. Une nouvelle fois, nous risquons de faire vaciller depuis Paris une paix fragile, déjà brisée l'année dernière.
Première évidence : ce report s'appuie sur un accord qui n'existe pas. Il n'y a pas d'accord de Bougival. Il y a eu un projet d'accord, c'est vrai, que les délégués se sont engagés à présenter à leur base. Or ce cadre de travail a été présenté par le Gouvernement comme un accord politique et publié au Journal officiel, comme s'il avait été validé. Du côté du FLNKS, il n'y a jamais eu validation.
Que cela nous plaise ou non, que l'on approuve ou non le cadre institutionnel dessiné à Bougival, nous ne pouvons parfaire le processus de décolonisation sans le FLNKS. Il ne faut pas s'engager dans un chemin qu'il refuserait de suivre.
Ne répétons pas les expériences passées dont on a vu les conséquences dramatiques ! Reporter à nouveau les élections provinciales est tout sauf la voie à suivre.
Redoutable fourberie que de maintenir en place des institutions dont le mandat aurait dû s'achever il y a deux ans, dont la légitimité s'effrite, pour qu'elles entérinent un texte qui ne ferait pas l'objet d'un consensus !
Il y a quelques années, la majorité soutenait la perspective d'un État associé ; seuls les loyalistes radicaux s'y étaient opposés. L'État a alors cherché une nouvelle voie. Comment expliquer que le rejet de la part du FLNKS ne soit pas considéré comme un obstacle évident ?
On a dit que le corps électoral gelé pourrait entraîner l'annulation des élections par le Conseil constitutionnel. Cet argument a volé en éclats avec sa décision du 19 septembre dernier.
Ce corps électoral est certes gelé, mais ouvert aux descendants des colons. Connaissez-vous beaucoup de peuples victimes d'une colonisation de peuplement qui tendent la main pour faire peuple ensemble ?
L'exercice normal de la démocratie, dans un territoire où les élections ne se tiennent pas à l'heure, peut créer les conditions d'un accord, pour relégitimer les personnes chargées de négocier.
Le GEST votera contre le report. Son adoption serait une faute. J'espère me tromper, et si les élections sont reportées, ne pas voir la France rater encore un processus de décolonisation. (Applaudissements sur les travées du GEST ; M. Robert Wienie Xowie applaudit également.)
Mme Annick Girardin . - La portée de cette proposition de loi dépasse son objet : elle valide le processus de l'accord de Bougival du 12 juillet dernier. Cet accord va loin, répond à beaucoup de demandes des Calédoniens. Il frôle l'indépendance, en ajoutant un État de Nouvelle-Calédonie au sein de la République française.
Je salue le ministre d'État Manuel Valls, qui a mis son énergie au service de cet accord ; peu de femmes et hommes d'État auraient pu obtenir autant.
Cette possibilité de report, la troisième, proroge les mandats de plus de deux ans. Elle est acceptable, sous réserve d'une exigence d'efficacité dans la suite du calendrier. Il ne faut plus de dérapage.
J'ai été chargée des deux premiers référendums sur l'autodétermination en 2018 et 2020.
Je n'avais pas soutenu le projet de loi organique sur le dégel du corps électoral, car la confiance n'était pas au rendez-vous.
J'ai trop de respect pour les Calédoniens pour ne pas mesurer le poids du choix de ce soir ; il aura des effets sur l'équilibre de ce pays que j'affectionne tant. Nous devons faire ce choix avec réflexion et humilité.
En juillet, la proposition de troisième report avait l'apparence d'une évidence. Pour preuve : la signature de cette proposition de loi organique par six présidents de groupes sénatoriaux sur huit. Depuis, l'accord de Bougival ne fait plus l'unanimité. Le FLNKS l'a rejeté le 8 août, le Sénat coutumier le 30 août et, le 19 septembre, le Conseil constitutionnel a considéré en réponse à une question prioritaire de constitutionnalité que le gel du corps électoral n'était pas inconstitutionnel. La perception de l'accord de Bougival s'en trouve modifiée.
Pour qu'un accord soit solide, les signataires doivent pouvoir se faire confiance. J'aurais voulu mieux comprendre, avec vous, chers collègues calédoniens, pourquoi l'une des parties a signé et retiré sa signature. Il semble qu'il y ait eu une incompréhension sur la forme de l'accord, sur le fait qu'il ait été publié sans avoir été annoncé. La leçon, c'est qu'il faut toujours de la transparence dans ce type de négociations. Le fil du dialogue doit rester noué. Rien n'est figé, tout reste encore ouvert.
Comment consultera-t-on la population ? Madame la ministre, sous quelle forme s'exprimera-t-elle et à partir de quel texte ? Il y a là une ambiguïté.
Mme la présidente. - Il faut conclure.
Mme Annick Girardin. - J'ai été rassurée par la ministre et les rapporteurs sur les problèmes juridiques liés à la prolongation des mandats actuels.
Nous devrons nous assurer que le calendrier restera tel qu'annoncé. L'échéancier prévu nous donne-t-il vraiment du temps ? Il y aura des élections nationales - peut-être même une de plus.
Mme la présidente. - Veuillez conclure.
Mme Annick Girardin. - Je conclurai par un petit message d'espoir. Vous l'avez dit, madame la ministre : le groupe Fer de lance est en soutien, ce qui permet de dire que la démarche est reconnue dans le bassin. (Applaudissements sur les travées du RDSE)
M. Olivier Bitz . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) La situation en Nouvelle-Calédonie est complexe depuis des décennies. La fin de la séquence ouverte par les accords de Matignon et Nouméa doit conduire à poser de nouvelles bases pour que les Calédoniens trouvent un destin commun.
Ce sujet s'impose à nous dans un moment qui met à mal nos institutions. Sans majorité à l'Assemblée et sans visibilité sur leur propre avenir, les gouvernements successifs sont à la peine pour imaginer le futur d'un territoire situé à plus de 17 000 kilomètres de la métropole.
C'est donc avec une grande humilité que nous abordons cette question.
L'histoire nous livre toutefois de précieux enseignements. D'abord, sur la méthode : le dossier de la Nouvelle-Calédonie doit être géré directement par le Premier ministre. C'est ce pilotage qui a rendu possibles les accords de Matignon avec Michel Rocard puis de Nouméa avec Lionel Jospin. Malheureusement, Édouard Philippe a été le dernier chef du Gouvernement à s'investir personnellement dans ce dossier.
Ensuite, c'est aux Calédoniens de trouver les voies et moyens pour réfléchir à leur avenir. Rien ne peut leur être imposé à partir de la métropole. L'État ne peut s'engager pour un camp ou un autre, au motif d'accointances politiques réelles ou jouées. C'est pour cela que le troisième référendum sur l'indépendance devait avoir lieu après la présidentielle de 2022. Malheureusement, le gouvernement suivant en a décidé autrement.
Enfin, il faut avancer par consensus. Depuis le regrettable référendum Pons de 1987 existe la tentation de faire prévaloir le seul fait majoritaire. Il faut embarquer l'ensemble des acteurs représentatifs, même si cela est long et difficile.
Je mets fin à un suspense insoutenable. (M. Rachid Temal s'exclame.) Le groupe UC votera ce texte cosigné par son président.
Je n'aborderai pas les questions juridiques qui sont posées, puisque le consensus existant lors de la rédaction de cette proposition de loi organique n'existe plus, or c'est lui qui tenait le motif d'intérêt général permettant le report. Je ne reviendrai pas non plus sur les conditions précipitées dans lesquelles ce débat s'organise, en raison de l'instabilité gouvernementale. Le choix d'une session extraordinaire aurait pu être fait. Le Conseil constitutionnel tranchera les questions juridiques à l'aune du principe de réalité - celui qui nous conduit à voter pour cette proposition de loi organique.
L'Assemblée nationale devra se prononcer pour reporter les élections qui devaient se tenir le mois prochain. Objectivement, ni les candidats ni les pouvoirs publics ne sont prêts à cette échéance.
M. Rachid Temal. - Ce n'est pas une excuse !
M. Olivier Bitz. - Une campagne électorale bâclée risque d'apporter de nouveaux troubles dont la Nouvelle-Calédonie n'a franchement pas besoin.
Le gouvernement Bayrou nous a placés dans une situation qui nous empêche de faire autrement que de valider ce nouveau report. C'est dommage. Il aurait été judicieux de poursuivre le processus de Bougival, avec des élus légitimés par le passage aux urnes. Oui, c'est un processus, car le débat n'est pas achevé. Le rejet par le FLNKS et le Sénat coutumier doit pousser le Gouvernement à poursuivre cette séquence de négociation. Passer en force est inimaginable, au risque de provoquer de nouvelles violences et, in fine, d'aboutir à l'absence de solution durable. La présence massive d'escadrons de gendarmerie mobile ne peut se substituer à la recherche d'une solution politique approuvée par tous.
La Nouvelle-Calédonie ne peut pas se permettre une nouvelle crise, ni d'un point de vue économique, ni d'un point de vue social, et encore moins d'un point de vue humain. Beaucoup d'habitants sont partis, tous restent traumatisés et quatorze vies ont été perdues. Nos gendarmes ont, une fois de plus, payé un lourd tribut.
Le dépôt prochain d'un projet de loi constitutionnelle a été annoncé. Nous nous déterminerons en fonction de la situation en veillant à ce que la perspective rassemble largement les acteurs représentatifs du territoire.
M. Claude Malhuret . - Il s'en est fallu de peu. Ce texte indispensable doit être examiné avant le 2 novembre, date de convocation des électeurs pour les élections des membres du Congrès et des assemblées provinciales de la Nouvelle-Calédonie. Espérons qu'il pourra être examiné à temps à l'Assemblée nationale.
Le principe d'une exception, c'est d'être exceptionnelle. Mais certaines ne le sont pas. C'est le cas de ce troisième report des élections en Nouvelle-Calédonie. Si un nouveau report n'a plus rien d'exceptionnel, ses causes sont hors du commun.
Les élections initialement prévues en mai 2024 ont été reportées une première fois à fin 2024, pour trouver un accord sur la composition du corps électoral, bloqué depuis 1998. Sa modification, sujet hautement sensible, est très délicate. Qui aurait pu imaginer les conséquences dramatiques de l'adoption du projet de loi en ce sens ? Comment croire que certains iraient jusqu'à dévaster leur propre territoire, en détruisant écoles, entreprises et centres de soin, au point de provoquer la mort de treize personnes ?
Ces événements ont rendu impossible la tenue d'élections, et il a fallu acter un nouveau report à novembre 2025. Or un nouvel évènement exceptionnel est survenu en juillet, avec l'accord de Bougival sur l'avenir de la Nouvelle-Calédonie.
À mon tour, je salue le travail inlassable de Manuel Valls pour parvenir à cet accord. Madame la ministre, vous lui succédez et je vous souhaite tout le succès possible ; nous vous soutenons.
Avec ce troisième report, on pourrait penser que les choses n'avancent pas. Mais il n'en est rien. L'accord de Bougival en est la preuve. Ne pas tenir compte de cet accord et maintenir des élections coûte que coûte serait une erreur alors qu'il marque le début d'une nouvelle étape déterminante et indispensable pour la Nouvelle-Calédonie. Les mesures qu'il contient doivent être mises en oeuvre et nous attendons un projet de loi constitutionnelle en ce sens.
Il est donc nécessaire de reporter les élections. J'espère que le contexte local et national permettra de respecter l'échéance du 28 juin 2026. Ne soyons pas naïfs. L'accord de Bougival n'était qu'une étape ; le travail n'est pas achevé. Il faut rechercher le consensus ; cela prendra encore du temps, tout le monde en est conscient. Beaucoup reste à faire.
La Nouvelle-Calédonie est une part de notre République et nous devons garantir à tous nos concitoyens, où qu'ils soient, le même niveau de sécurité. C'est pourquoi j'ai signé cette proposition de loi organique que le groupe INDEP votera.
Rappel au règlement
Mme Cécile Cukierman. - Je souhaite faire un rappel au règlement sur l'organisation de nos débats. Il est 19 h 30 et nous avons des amendements à examiner. Nous ne nous exprimerons pas sur chaque article, mais nous prendrons le temps de défendre nos amendements. Je ne vois pas comment nous pourrions finir cet examen à 20 heures. Madame la présidente, pourriez-vous nous donner des explications sur la suite ?
Acte en est donné.
Mme la présidente. - Nous verrons tout simplement où en sont les débats à 20 heures. Si nous devons suspendre la séance, nous le ferons.
Discussion générale (Suite)
Mme Naïma Moutchou, ministre. - Je remercie l'ensemble des orateurs de leur soutien à cette proposition de loi organique.
Monsieur Kanner, vous avez évoqué le drame survenu dans la prison du Camp-Est. Une information judiciaire a été ouverte. J'ai visité cette prison, qui est une honte nationale. L'accord de Bougival prévoit d'ailleurs la reconstruction de la prison pour y améliorer des conditions de détention.
Le soutien de l'État à la Nouvelle-Calédonie est important. En 2024, 2,7 milliards d'euros ont été investis. En 2025, un fonds de construction de 200 millions d'euros a été mis en place en faveur des collectivités territoriales. Les aides aux entreprises ont été reconduites. L'État a également accordé un prêt garanti de 560 millions d'euros, avec une seconde tranche de 240 millions d'euros. J'ai moi-même signé la convention qui finance la venue de personnels de santé. Enfin, une mission interministérielle pour la Nouvelle-Calédonie est placée sous l'autorité du Premier ministre, avec, à sa tête, Claire Durrieu. J'ai présidé hier la séance plénière de cette mission. Les choses avancent.
Madame Cukierman, vous m'avez dit sur le ton de l'humour que ça allait bien se passer. J'ai présidé les débats à l'Assemblée nationale pendant trois ans : je sais qu'au Sénat, ça ne peut que mieux se passer.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Ce n'est pas sûr !
Mme Naïma Moutchou, ministre. - Madame Vogel, vous évoquez un projet d'accord, mais il s'agit bel et bien d'un accord. Il est porté par l'ensemble des organisations qui le défendent tous les jours et revendiquent leur signature. Bien sûr, rien ne se fera sans le FLNKS... (Mme Cécile Cukierman s'exclame.) La porte est ouverte.
Nous continuons d'avancer, en précisant les éléments encore en débat. Le projet de loi constitutionnelle y pourvoira également.
Madame Girardin, la consultation, ce sera pour ou contre l'accord de Bougival.
M. Olivier Bitz. - Il n'y a pas d'accord !
Mme Naïma Moutchou, ministre. - Elle aura lieu en mars ou en avril ; nous en discuterons rapidement avec les forces politiques. Le projet de loi constitutionnelle sera la base juridique de cette consultation locale.
Discussion des articles
Article 1er
M. Philippe Folliot . - La Nouvelle-Calédonie est une question fort importante. Madame, vous êtes la huitième ministre des outre-mer depuis 2022 : cette instabilité ministérielle pénalise ce dossier et les outre-mer en général. Nous espérons que vous resterez en poste suffisamment longtemps pour marquer le ministère de votre empreinte.
Je salue nos collègues de Nouvelle-Calédonie. Même s'il y a des différences d'appréciation sur ce texte, ils portent l'avenir de ce territoire avec courage et conviction.
J'ai passé une semaine en Nouvelle-Calédonie cet été, avec notre collègue Georges Naturel. Je salue son implication, sa volonté de faire travailler ensemble tous les acteurs pour faire advenir un avenir commun.
Ce report des élections est la voie du bon sens et de la sagesse pour un avenir radieux en Nouvelle-Calédonie.
Mme la présidente. - Amendement n°3 de M. Xowie et du groupe CRCE-K.
M. Robert Wienie Xowie. - Supprimons cet article qui opère un troisième report des élections provinciales en s'appuyant sur le projet d'accord de Bougival du 12 juillet 2025. Or, ce texte ne fait pas consensus. Le Sénat coutumier et des acteurs de la société civile se sont prononcés contre.
Cette nouvelle prorogation des mandats contrevient au droit de suffrage. Revenons à un calendrier raisonnable. C'est la seule voie pour préserver la légitimité des institutions et rouvrir le dialogue.
Mme la présidente. - Amendement identique n°9 de Mme Vogel et alii.
Mme Mélanie Vogel. - La ministre dit que c'est un accord et non un projet d'accord. Mais compte tenu du contexte calédonien, il ne permet pas d'avancer dans le processus de décolonisation : donc, ce n'est pas un accord, politiquement parlant !
Le report des élections vise à dégeler le corps électoral, comme c'est inscrit dans l'accord de Bougival. En réalité, le vote du texte de ce soir vise à affirmer que l'accord de Bougival est consensuel.
Si nous reportons les élections et qu'entretemps aucun accord n'inclut le FLNKS, avons-nous la garantie que ces élections se tiendront sur le corps électoral gelé actuel ?
Mme Corinne Narassiguin, rapporteure. - Ces amendements vident le texte de sa substance. Nous pensons que le report des élections est une décision difficile, mais nécessaire pour que les discussions se poursuivent. Avis défavorable.
Mme Naïma Moutchou, ministre. - Avis défavorable, pour les mêmes raisons.
M. Akli Mellouli. - Je salue également Georges Naturel et Robert Wienie Xowie dont je connais la volonté de faire avancer les choses.
Chacun parle de l'accord de Bougival comme d'un facteur justifiant le report. Mais celui-ci n'existait pas lorsque ce texte a été déposé. Le fait de le publier a mis le feu aux poudres. La précipitation est toujours mauvaise conseillère : les acteurs auraient dû avoir le temps de consulter leurs bases. Or cela n'a pas été le cas.
En 2020, les élections se sont tenues en heure et en temps : malgré le covid, vous ne les avez pas reportées. Et on nous explique qu'on pourrait les reporter en 2025 en raison de l'accord de Bougival. Où est la cohérence ?
Le dégel du corps électoral viderait l'accord de Nouméa de leur substance. Or ces derniers sont les seuls qui nous permettent d'avancer. Si on les remettait en cause, vers quoi nous dirigerions-nous ? Quand on tord le bras de l'une des parties, nous ne sommes plus dans le dialogue : nous ouvrons la porte à toutes les possibilités, y compris les plus dangereuses.
N'oubliez pas que la Nouvelle-Calédonie et l'Algérie sont les deux seules colonies de peuplement qu'a connues la France. Nous savons comment cela s'est terminé en Algérie ; ne faisons pas les mêmes erreurs avec la Nouvelle-Calédonie !
Mme Marianne Margaté. - Avons-nous quitté le XXe siècle ? Le XXe siècle, c'est celui de l'abolition de la peine de mort, que nous avons récemment célébrée avec la panthéonisation bien méritée de Robert Badinter. Le XXe siècle, c'est aussi celui de l'instabilité institutionnelle de la IVe République. Le XXe siècle, c'est aussi la France des colonies. Ces retours en arrière ne sont pas tous réjouissants - et je préfère le XXe siècle de Badinter à celui des colonies.
Nous ne sommes plus au XXe siècle. Comment pouvons-nous encore tergiverser quand il s'agit de réparer les malheurs du passé ? Des grands noms, Schoelcher, Clemenceau et d'autres n'ont pas toujours été à la hauteur des enjeux du moment.
La situation nous oblige. Nous devons redevenir un pays de droit, d'égalité et de respect du droit à l'autodétermination des peuples.
Notre groupe est fier de porter le nom de Kanaky. Nous ne voterons pas ce texte. Plus que jamais, nous disons : vive la Kanaky libre !
M. Gérard Lahellec. - Le Gouvernement a inscrit ce texte à l'ordre du jour de notre assemblée en priorité. Partant, vous vous ancrez dans un déni de démocratie.
Il s'agit de permettre la mise en oeuvre de l'accord de Bougival. Or cet accord n'en est pas un, et vous le savez bien. Nous ne sommes pas dupes : il a été rejeté par le peuple kanak et par le FLNKS ; le Sénat coutumier l'a désavoué. C'est non pas un compromis historique, mais une proposition qui a été rejetée. Les dangers d'un tel mépris sont immenses. Rangeons-nous aux côtés du peuple qui souffre depuis 1853 !
Mme Michelle Gréaume. - Ce texte prétend préparer l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie, mais il commence par confisquer la parole du peuple calédonien. Un troisième report reviendrait à geler la vie politique. Comment ne pas y voir la même logique autoritaire que celle qui a prévalu lors de la réforme de l'audiovisuel public ? Là encore, le débat a été refusé, la procédure parlementaire piétinée.
Une constante : le pouvoir macroniste décide seul et muselle les contre-pouvoirs. Cette manière de gouverner traduit une crise profonde de la démocratie, celle d'un exécutif qui ne supporte ni la contradiction ni le dialogue.
Nous ne voterons pas ce texte ; votez notre amendement.
Mme Cathy Apourceau-Poly. - Le Gouvernement aurait dû inscrire à l'ordre du jour le texte sur la vie chère dans les territoires dits d'outre-mer - la Nouvelle-Calédonie-Kanaky ne fait pas exception. Selon le rapport de la délégation sénatoriale aux outre-mer adopté en mars dernier, le prix des denrées alimentaires dans les Antilles est 45 % supérieur aux tarifs de la métropole ; c'est 78 % en Nouvelle-Calédonie-Kanaky.
Le panier moyen de la Nouvelle-Calédonie coûte 108 % plus cher que dans l'Hexagone. À cela s'ajoutent le niveau des loyers et le prix des véhicules, alors que les salaires moyens ne suivent pas l'inflation. Cela pénalise les populations modestes. La vie chère en Nouvelle-Calédonie est surtout la conséquence de la concentration des secteurs de la grande distribution, de l'énergie et des télécommunications entre quelques acteurs. Ainsi les marges de distribution sont-elles bien supérieures à celles de la métropole. Ces inégalités sont le bilan de la France et de ses gouvernements.
M. Rachid Temal. - J'envie certains collègues manifestement emplis de certitudes. En ce qui me concerne, j'en ai beaucoup moins.
Je voterai ce texte, ...
M. Akli Mellouli. - N'est-ce pas une certitude ?
M. Rachid Temal. - ... même si je nourris quelques craintes, bien sûr. Certains collègues évoquent les retraites, l'audiovisuel public. Essayons de ne pas tout mélanger et tenons un discours qui sert d'abord les Calédoniens.
Nous sommes le Parlement : si nous votons une loi, celle-ci est adoptée, démocratiquement.
Sur le fond, nous avons un accord. Ce n'est pas parce que certains refusent de le signer que ce n'en est pas un. Je souhaite que toutes les forces politiques, y compris le FLNKS, participent au débat. Comment rapprocher les uns et les autres pour y parvenir ? Ce sera l'objet du projet de loi constitutionnelle.
En tout état de cause, nous ne sommes pas en mesure d'organiser ces élections en novembre. Comment faire pour que la Nouvelle-Calédonie ne perde pas 14 % de son PIB ?
Restons dignes, de grâce : nos compatriotes de Nouvelle-Calédonie le méritent, qu'ils soient ou non indépendantistes.
Les amendements identiques nos3 et 9 ne sont pas adoptés.
Mme la présidente. - Amendement n°4 de M. Xowie et du groupe CRCE-K.
M. Robert Wienie Xowie. - Il s'agit d'un amendement de repli visant à rétablir l'échéance des élections au 30 novembre 2025, ainsi que le prévoit la loi organique du 15 novembre 2024. Le Conseil constitutionnel, sur le fondement de l'article 3 de la Constitution, exige que les électeurs soient appelés à voter selon une périodicité raisonnable. Rien ne justifie d'allonger le délai jusqu'au 28 juin 2026, d'autant que le projet d'accord de Bougival est contesté.
Mme Agnès Canayer, rapporteur. - Cet amendement vide le texte de sa substance. Avis défavorable.
Mme Naïma Moutchou, ministre. - Mêmes causes, mêmes effets : avis défavorable.
M. Pierre Ouzoulias. - Madame la ministre, il va falloir aller plus loin dans l'analyse juridique. En quoi la perpétuation du gel du corps électoral serait-elle inconstitutionnelle ? Celui-ci figure déjà dans la Constitution, car la Nouvelle-Calédonie est une collectivité sui generis. L'argument que vous nous opposez ne tient pas.
Par ailleurs, vous avez dit qu'il fallait absolument continuer à discuter avec le FLNKS. Mais si ce texte est adopté, le FLNKS n'ira pas à la table des négociations et le débat s'arrêtera !
L'amendement n°4 n'est pas adopté.
L'article 1er est adopté.
Article 2
Mme la présidente. - Amendement n°5 de M. Xowie et du groupe CRCE-K.
M. Robert Wienie Xowie. - L'article 2 proroge les organes du Congrès. Mais celui-ci n'a pas été consulté sur cette mesure qui le concerne directement ! Cette omission heurte l'exigence de loyauté du dialogue institutionnel qui fonde l'équilibre calédonien.
Mme la présidente. - Amendement identique n°10 de Mme Vogel et alli.
Mme Mélanie Vogel. - Nous serions plusieurs à avoir des certitudes, aux dires de M. Temal. Ce n'est pas mon cas, mais j'ai une inquiétude : voter un texte qui n'est pas consensuel et qui met à l'écart l'une des principales forces politiques peut nous mener à une tragédie.
À l'inverse, je ne vois pas les risques qu'entraînerait un rejet du texte. Quel risque à organiser des élections dont la tenue est parfaitement constitutionnelle ? Des représentants à la légitimité renouvelée pourront être élus. Ils pourront ensuite négocier.
Mme Corinne Narassiguin, rapporteure. - Les instances internes du Congrès seraient renouvelées à quelques mois d'écart. Ce double renouvellement serait dommageable aux institutions de la Nouvelle-Calédonie. L'article 2 est pertinent.
Des discussions ont eu lieu entre les membres du Congrès, qui ont finalement décidé de ne pas nous demander ce report. Avis défavorable.
Mme Naïma Moutchou, ministre. - Même avis.
Monsieur Ouzoulias, je suis prête à faire du droit, pourvu qu'on m'interpelle à ce sujet. Je n'ai jamais dit que le gel du corps électoral était anticonstitutionnel, puisque celui-ci figure dans la Constitution ! En revanche, il a été prévu pour des raisons précises : le gel du corps électoral finira, à l'avenir, par épuiser le corps électoral lui-même !
Cela dit, vous savez que le Conseil constitutionnel a émis des réserves, notamment pour tenir compte des évolutions démographiques.
Mme Cécile Cukierman. - Sans faire de la sémantique, nous pouvons avoir humblement des convictions qui ne sont pas des certitudes. Elles sont nourries, comme pour d'autres, par nos échanges avec les représentants politiques calédoniens.
La suppression de l'article 2 nous semble importante : Bougival n'est pas un accord. Le gel du corps électoral est valide, les accords restent notre boussole et la démocratie se tient à l'heure. Nous sommes cohérents, nous ne voulons pas de troisième report. Les élections provinciales doivent pouvoir être organisées avant le 30 novembre avec toutes les garanties, car, en période de crise, elles renforcent la légitimité des élus.
Le FLNKS l'a dit : l'accord de juillet dernier n'a pas de valeur. Nous voulons une négociation loyale, qui pourrait éventuellement être appuyée par l'ONU.
Ce n'est pas le vote d'un camp contre un autre ; c'est un vote pour la République, qui tient sa parole, et pour la paix civile.
M. Georges Naturel. - On parle du FLNKS, mais il existe des partis indépendantistes qui ont signé l'accord de Bougival et qui souhaitent reporter les élections, à l'instar de l'Union nationale pour l'indépendance (UNI) et du Parti de libération kanak (Palika).
Organiser les élections en novembre serait bien trop complexe - certes, on peut reprocher au Gouvernement de ne pas avoir anticipé les choses.
Le Congrès a validé l'article 2 ; nous voterons donc cet article.
M. Rachid Temal. - Madame Vogel, je nuancerai votre propos : ne pas reporter les élections entraînerait des difficultés, notamment pour certains partis politiques. En revanche, reporter les élections nous laisse du temps : nous pourrions espérer aboutir à un accord. Nous ne voterons donc pas votre amendement de suppression.
Mme Annick Girardin. - Notre collègue Naturel a raison : il fallait dire que l'État n'est pas prêt à organiser les élections en novembre. Cela n'est pas recevable : il aurait dû être prêt.
Mais ce n'est pas pour cela que je voterai le report. À quoi bon organiser les élections tout de suite si l'on ne parvient pas ensuite à respecter le calendrier prévu ? Sensibiliser la population à cet accord suppose de tenir chacune des échéances fixées. C'est un bel accord, et je ne suis pas sûre que l'on puisse en conclure un autre de ce type à nouveau.
Aidons ce territoire à reprendre le chemin de la prospérité ; cet accord est l'une des dernières chances d'y parvenir.
M. Akli Mellouli. - Nous pourrions inverser les arguments. Le vrai sujet est le suivant : pourquoi ne souhaitez-vous pas que les gens votent ? Ce corps électoral ne vous convient-il pas ? Vous souhaitez le dialogue, mais il sera possible après l'élection ! Vous dialoguerez simplement avec des élus plus jeunes, plus représentatifs de la Nouvelle-Calédonie.
L'une des parties a prévenu qu'elle ne participerait plus aux élections en cas de nouveau report. Je ne comprends pas votre précipitation, à moins qu'il n'y ait un loup derrière tout cela.
Mme Mélanie Vogel. - Annick Girardin a tenu des propos importants.
Si les élections se tenaient en novembre, alors le calendrier de Bougival ne serait pas tenu. Dont acte. Mais l'on ne peut pas vouloir que le FLNKS revienne à la table des négociations d'une part et voter ce texte pour mettre en oeuvre Bougival d'autre part, car cela écarterait le FLNKS des discussions.
M. Francis Szpiner. - Et alors ?
Mme Mélanie Vogel. - Pour nous, l'absence du FLNKS est un problème. Pour discuter avec eux, il faudra modifier les décisions prises à Bougival : peut-être le corps électoral, peut-être l'architecture institutionnelle, peut-être le calendrier.
M. Rachid Temal. - Nous n'avons pas dit le contraire.
Les amendements identiques nos5 et 10 ne sont pas adoptés.
Mme la présidente. - Amendement n°6 de M. Xowie et du groupe CRCE-K.
M. Robert Wienie Xowie. - En cohérence avec notre position sur ce texte, nous vous proposons de modifier son titre.
Organiser des élections en Kanaky s'impose au plus vite, tant le besoin de démocratie est criant.
Bougival est non pas un accord, mais un projet d'accord. Madame la ministre, vous dites que vous ne pourrez pas agir sans le FLNKS. Mais comment agir avec lui si vous forcez à ce point le calendrier ?
Mme la présidente. - Vous avez défendu l'amendement n°8, mon cher collègue.
M. Robert Wienie Xowie. - L'amendement n°6 borne la prorogation des organes du Congrès à l'issue d'un scrutin organisé au plus tard le 30 novembre 2025.
Mme Corinne Narassiguin, rapporteure. - Avis défavorable.
Mme Naïma Moutchou, ministre. - Même avis.
Mme Michelle Gréaume. - Aimé Césaire disait : « Faire un pas avec le peuple, pas deux pas sans lui ». Or c'est ce que vous faites en agissant avec précipitation. La crise ne pourra se résoudre que grâce à des représentants nouvellement élus.
Repousser à nouveau les élections ne fera qu'aggraver la situation. On ne peut pas garder les mêmes et recommencer. Avancer et repartir sur des bases solides, voilà la volonté des élus kanaks ! Il leur faut la légitimité démocratique nécessaire pour faire avancer leur pays, ce que vous leur refusez pour la troisième fois ! Mes chers collègues, laissez le peuple kanak s'exprimer par les urnes et rejetez ce texte !
L'amendement n°6 n'est pas adopté.
L'article 2 est adopté.
Article 3
Mme la présidente. - Amendement n°11 de Mme Vogel et alii.
Mme Mélanie Vogel. - Défendu.
L'amendement n°11, repoussé par la commission et le Gouvernement, n'est pas adopté.
Mme la présidente. - Amendement n°7 de M. Xowie et du groupe CRCE-K.
M. Robert Wienie Xowie. - L'article 3 déroge au droit commun d'entrée en vigueur des lois organiques en Nouvelle-Calédonie, en imposant leur application dès le lendemain de la publication au Journal officiel. Cet amendement rétablit le délai de dix jours prévus par la loi organique du 19 mars 1999.
Cette vacatio legis est non pas un luxe, mais un principe de sécurité juridique. Elle laisse aux institutions locales le temps de s'adapter et elle sécurise les opérations électorales. Nous ne voulons pas de cette brutalité juridique, nous voulons du temps utile pour bien faire.
Mme Agnès Canayer, rapporteur. - Avis défavorable.
Mme Naïma Moutchou, ministre. - Même avis.
M. Ian Brossat. - « Les véritables intérêts de la France résidaient, comme nous n'avons cessé de le dire, dans la reconnaissance des droits nationaux du peuple algérien et dans l'établissement de rapports nouveaux avec une Algérie devenue indépendante, rapports fondés sur l'égalité des droits et la réciprocité des avantages. » (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains)
Mme Christine Bonfanti-Dossat. - Quel rapport ?
M. Ian Brossat. - Ce sont les mots que le sénateur communiste Jacques Duclos a prononcés le 21 mars 1962 dans cet hémicycle. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Rachid Temal. - Cela n'a rien à voir !
M. Ian Brossat. - Notre groupe continue de défendre les peuples colonisés face aux colonisateurs. Il est temps que la France, qui se dit pays des droits de l'homme, s'engage dans le processus de décolonisation qui s'impose. La Kanaky est inscrite depuis 1986 sur la liste des Nations unies des territoires non autonomes à décoloniser.
Dans la résolution 41-41 A, l'ONU a rappelé le droit inaliénable du peuple de la Nouvelle-Calédonie à l'autodétermination et à l'indépendance. Elle a souligné en 2001 que les puissances administrantes ne devaient pas entraver le droit à l'autodétermination. Le report des élections va à l'encontre des engagements internationaux de la France.
Mme Cathy Apourceau-Poly. - Très bien !
L'amendement n°7 n'est pas adopté.
L'article 3 est adopté.
Intitulé de la proposition de loi organique
Mme la présidente. - Amendement n°8 de M. Xowie et du groupe CRCE-K.
M. Robert Wienie Xowie. - Défendu.
Mme la présidente. - Amendement n°1 de M. Kanner et alii.
Mme Maryse Carrère. - En apparence symbolique, cet amendement transpartisan de Patrick Kanner vise à modifier l'intitulé de la proposition de loi.
Reporter une échéance électorale est un choix lourd qui engage la stabilité de nos institutions. L'accord du 12 juillet 2025 ne fait plus l'unanimité. Il demeure imparfait. Il doit être régénéré et trouver sa conclusion sur le territoire lui-même. Ce nouvel intitulé a le mérite de rappeler que l'accord du 12 juillet retrouve sa qualification de « projet d'accord ». Il faut éviter de donner le sentiment d'un passage en force, afin d'aboutir aux clarifications nécessaires sur les points essentiels. C'est seulement à ce prix que la Nouvelle-Calédonie pourra bâtir un avenir commun, juste et pérenne.
Mme Corinne Narassiguin, rapporteure. - Avis défavorable à l'amendement n°8. Avis favorable à l'amendement n°1, conforme à l'objectif. Il s'agit de donner du temps pour permettre aux négociations de se poursuivre et d'aboutir au consensus le plus large possible. Merci au président Kanner d'avoir retiré son amendement en commission pour déposer en séance cet amendement transpartisan.
Mme Naïma Moutchou, ministre. - Avis défavorable à l'amendement n°8.
L'amendement n°1 indique que le texte a vocation à permettre la poursuite de la discussion de l'accord. Le Gouvernement est pleinement mobilisé pour faire avancer les choses dans ce cadre. Le dialogue n'est pas rompu : il se poursuit grâce au report. Ce nouvel intitulé fait ressortir l'engagement du Gouvernement. Plutôt qu'un avis de sagesse, j'émets finalement un avis favorable.
M. Rachid Temal. - Bravo !
M. Georges Naturel. - Merci aux présidents de groupe pour cette réécriture de l'intitulé, qui correspond bien à notre objectif : prendre du temps. En Nouvelle-Calédonie, il en faut.
Votre prédécesseur, madame la ministre, a échangé en juillet avec le FLNKS pour rechercher un accord commun. Il faudra poursuivre. Je serai à votre disposition pour parfaire cet accord.
L'amendement n°8 n'est pas adopté.
L'amendement n°1 est adopté, et l'intitulé est ainsi rédigé.
Vote sur l'ensemble
Mme Annick Girardin . - Le RDSE attendait le débat pour arrêter sa position. Il votera ce texte.
Le FLNKS est une partie indispensable de la solution. La consultation du peuple calédonien doit être préparée de manière concertée et toute la population doit être informée.
La modification de l'intitulé du texte est un message du Sénat au FLNKS. La discussion n'est pas figée, rien n'est arrêté, le dialogue se poursuit. Nous prenons cette décision avec humilité et serons vigilants sur la manière dont cet accord sera mis en oeuvre.
Mme Cécile Cukierman . - Loin d'être une mesure de prudence ou d'apaisement, ce texte est un acte politique lourd de conséquences. Il suspend l'expression démocratique là où il faut au contraire consolider le dialogue et la confiance entre communautés.
Madame la ministre, vous avez reconnu l'importance du FLNKS dans le devenir de ce territoire. Comment faire, s'il n'est pas respecté ?
L'accord de Nouméa a valeur d'engagement solennel. Il reconnaît le peuple kanak comme peuple premier et fixe une trajectoire de décolonisation progressive fondée sur la perspective d'une pleine souveraineté.
Le gel du corps électoral n'est pas une anomalie, mais un instrument de justice et d'équité historique, confirmé par le Conseil constitutionnel. Aucune solution durable ne peut être imposée depuis Paris. Les événements tragiques de mai 2024 ont rappelé combien les décisions précipitées fondées sur des diagnostics erronés pouvaient raviver les blessures du passé.
Organiser les élections dans le respect du calendrier, c'est recréer les conditions d'un dialogue apaisé et d'une légitimité partagée. La France doit rester fidèle à l'héritage de 1988 et de 1998, celui du respect des peuples et du droit à la libre détermination.
Nous regrettons au passage qu'aucun Ultramarin n'ait été nommé ministre dans ce Gouvernement - une première depuis 2002.
Le groupe CRCE-K ne votera pas ce texte.
M. Philippe Folliot . - Ce sujet est éminemment complexe. L'accord de Bougival n'est pas reconnu par tout le monde. Comme l'a dit Georges Naturel, il faut poursuivre le dialogue afin de parvenir à un consensus.
L'image d'un territoire fracturé n'est pas conforme à ce que l'on a vu sur place, où indépendantistes et anti-indépendantistes travaillent de concert dans des conseils municipaux. La volonté des habitants de Nouvelle-Calédonie, dans leur immense majorité, est de vivre en paix et d'oeuvrer pour le développement économique et social de leur territoire. Sans perspective de développement, il sera difficile d'obtenir des accords politiques.
Nous ne repoussons pas les élections de gaîté de coeur, mais il faut poser un cadre raisonnable. Je voterai ce texte.
M. Rachid Temal . - Je salue les rapporteures pour leur excellent travail, ainsi que Mme la ministre qui a démontré dans ce baptême du feu à la fois ses connaissances et son écoute.
Michel Rocard et Lionel Jospin ont su mener ce long processus exigeant. Demeure la question économique, celle de l'avenir de cette jeunesse qui aujourd'hui désespère, mais aussi celle de l'intégration régionale, des risques de prédation de grandes puissances. De nombreux défis sont devant nous.
Nous votons ce texte avec l'espoir que l'ensemble des parties se mettent autour de la table et avancent.
J'invite Mme la ministre à associer davantage le groupe de contact sur la Nouvelle-Calédonie aux échanges. Sur le projet de loi constitutionnelle, nous aurons besoin d'éléments.
La proposition de loi organique est mise aux voix par scrutin public ordinaire de droit.
Mme la présidente. - Voici le résultat du scrutin n°2 :
Nombre de votants | 346 |
Nombre de suffrages exprimés | 341 |
Pour l'adoption | 299 |
Contre | 42 |
La proposition de loi organique est adoptée.
La séance est suspendue à 20 h 45.
Présidence de M. Pierre Ouzoulias, vice-président
La séance reprend à 22 h 15.