Protéger la Constitution, en limitant sa révision à la voie de l'article 89
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi constitutionnelle visant à protéger la Constitution, en limitant sa révision à la voie de l'article 89, présentée par M. Éric Kerrouche et plusieurs de ses collègues, à la demande du groupe SER.
Discussion générale
M. Éric Kerrouche, auteur de la proposition de loi constitutionnelle . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST) « Et tout compte fait, quel type de violence pouvait être imposé dans un État où le droit était solidement ancré, où chaque citoyen croyait sa liberté et l'égalité des droits garanties par la constitution solennellement jurée ? (...) Ancrés dans notre vision du droit, nous croyions à l'existence d'une conscience morale européenne universelle et nous étions convaincus qu'il y avait un certain degré d'inhumanité qui s'éliminerait, une fois pour toutes, devant l'humanité. Comme j'essaie ici d'être honnête autant que possible, je dois reconnaître que, chaque fois, nous n'avons pas cru possible un centième ni même un millième de ce qui allait faire irruption quelques semaines plus tard. »
Ces mots sont issus du Monde d'hier de Stefan Zweig. Ils marquent une sidération devant la fin brutale des certitudes.
Nous avons l'impression que la démocratie est intangible. Le droit a la force de cette apparence ; il donne l'illusion d'une solidité à toute épreuve, mais cette solidité est conditionnelle. Tous les textes principiels peuvent être remis en question, y compris la Constitution.
L'institut V-Dem de l'université de Göteborg, en Suède, publie régulièrement un rapport sur l'état de la démocratie dans le monde. Alors que plus de la moitié de la population mondiale vivait sous un régime démocratique il y a vingt ans, l'équilibre bascule : 71 % de la population mondiale vivant dans une autocratie en 2023, contre 48 % en 2015 ; 45 pays en voie d'autocratisation, contre 19 en voie de démocratisation.
La démocratie recule moins sous les coups d'État et les invasions armées que par une érosion intérieure des droits fondamentaux. Liberté d'expression et d'association, sincérité des scrutins : tous les signaux sont au rouge. C'est pire que dans les années 1930. Les dérives autoritaires viennent de tous les camps politiques : au Venezuela, le régime de Maduro survit par la violence ; aux États-Unis, Donald Trump outrepasse ses prérogatives constitutionnelles, écrase le Congrès, organise une chasse aux migrants incluant tous les étrangers. En Hongrie et en Pologne, les partis populistes de droite instaurent des mesures illibérales : contrôle des médias publics, restriction des droits fondamentaux, notamment le droit à l'avortement.
L'illibéralisme n'est pas une rupture extérieure au constitutionnalisme libéral, mais un phénomène interne : des gouvernements élus utilisent le droit et le langage des libertés pour justifier des politiques liberticides.
En quelques années, la Hongrie est passée d'un constitutionnalisme à l'allemande à une cour diminuée sous contrôle politique.
L'essor du populisme remet en cause les cours constitutionnelles : par leur capture, comme en Pologne ou aux États-Unis, ou par leur marginalisation, comme en Hongrie.
Dans notre pays, la tentation illibérale est notamment portée par une proposition de loi du Rassemblement national (RN) qui dépasse largement le cadre annoncé d'un simple référendum sur l'immigration. Ce dernier est un écran de fumée : sous couvert d'un texte technique destiné à combler un prétendu vide constitutionnel, il s'agit en réalité de redéfinir la nature de notre régime républicain. Ce texte modifierait 20 % de notre Constitution, notamment en y inscrivant la priorité nationale, la discrimination légale envers tous les étrangers, la limitation de l'accès aux prestations sociales, la restriction du regroupement familial et la suppression du droit du sol. En outre, il placerait la Constitution au-dessus des traités internationaux, privant tous les citoyens du recours devant les juridictions européennes comme la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH).
Il s'agit d'une bombe à fragmentation qui fera voler en éclats les fondements démocratiques de notre État de droit. Ce texte instaure une Constitution plébiscitaire qui consacre la priorité nationale, la xénophobie d'État et le nationalisme identitaire. Sous couvert de souveraineté nationale, il isolerait la France et porterait atteinte aux droits et libertés.
L'identité française, omniprésente, mais jamais définie, supposément menacée, devient un principe constitutionnel flou, instrumentalisé, ouvrant la voie à une dérive autoritaire fondée sur une conception idéologique de la francité. Selon les mots du sociologue François Dubet, c'est un texte adapté au temps des passions tristes.
Prenant prétexte d'un précédent historique malheureux, déjà illégal, il détourne le recours à l'article 11, alors que seule la voie de l'article 89 prévaut pour réviser la Constitution. Le but est donc de détruire les principes constitutionnels de l'intérieur : choix funeste pour la France.
Au-delà de la simple organisation des pouvoirs publics, la Constitution est un acte fondateur qui définit l'ordre sociétal voulu. C'est pourquoi il doit être difficile de la modifier. La voie doit différer de la voie ordinaire, conformément au choix du constituant de 1958 qui n'a mis qu'un seul article dans le titre XVI intitulé « De la révision ». Passer par l'article 11 efface le Parlement et le Conseil constitutionnel.
Notre proposition de loi constitutionnelle a pour but de boucher cette porte dérobée, en confirmant que seul l'article 89 doit servir pour réviser la Constitution.
Il ne s'agit pas d'une seule menace. Dans un contexte de dérives illibérales généralisées, tout Président de la République élu pourrait avoir la tentation de contourner nos institutions par le biais de l'article 11.
En fait, c'est l'ambiguïté du principe de souveraineté nationale qui est exploitée : né de la Révolution française comme fondement de la démocratie et de la citoyenneté, il peut aussi dériver vers l'exclusion. Gérard Noiriel a montré que le même réflexe s'est réactivé en France à chaque crise, celui de désigner les étrangers comme responsables des difficultés : de la protection du travail français en 1880 au durcissement des politiques migratoires dans les années 1980, la préférence nationale sert de réponse politique aux angoisses sociales.
Ce réflexe est à rebours de ce que nous sommes et du développement des droits qui prévaut en France depuis 200 ans. La constitutionnalisation de la préférence nationale détruirait cet édifice. Notre pays est bien plus que cela : la France est une composition, pour reprendre les mots de Mona Ozouf.
Loin des discours de l'extrême droite et de la droite extrême glorifiant une France éternelle qui n'a jamais existé, reconnaître la pluralité des identités françaises, c'est renoncer à l'enfermement et à la sécession identitaire et donner une chance à notre pays.
Si je suis favorable au référendum d'initiative citoyenne ou au référendum d'initiative partagée (RIP), ces outils ne peuvent être activés sur la base de l'émotion. Ne cédons pas au risque plébiscitaire, en donnant plus de pouvoir à un président qui en a déjà trop. Sauvegardons notre démocratie menacée. (Applaudissements sur les travées de groupe SER, du GEST et du groupe CRCE-K)
Mme Lauriane Josende, rapporteure de la commission des lois . - (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP) Le but de ce texte est annoncé avec clarté : protéger la Constitution en limitant sa révision à la voie de l'article 89.
Cette initiative s'inscrit dans le cadre d'enjeux politiques contemporains, mais elle nous renvoie à la vieille querelle : celle du recours par le général de Gaulle à l'article 11 pour réviser la Constitution en 1962.
L'article 89 prévoit que l'initiative de la révision appartient au Président de la République sur proposition du Premier ministre, et aux parlementaires. Ensuite, le texte doit être voté dans les mêmes termes par les deux assemblées, puis approuvé soit par référendum soit par le Congrès à la majorité des trois cinquièmes quand il s'agit d'un projet de loi constitutionnelle, soit par référendum décidé par le Président de la République pour une proposition de loi constitutionnelle.
En 1969, le général de Gaulle a recouru à l'article 11 pour introduire l'élection du Président de la République au suffrage universel direct. Cet article concerne le référendum législatif : le Président de la République, sur proposition du Gouvernement ou proposition conjointe des deux assemblées, peut soumettre à référendum tout projet de loi « portant sur une série de matières limitativement énumérées », dont l'organisation des pouvoirs publics. Le général de Gaulle s'était appuyé sur l'ambiguïté de cette formule.
La régularité de cette manoeuvre avait d'emblée fait l'objet d'un avis négatif du Conseil d'État. Perçue comme une stratégie de contournement du Parlement, elle avait suscité une forte opposition des deux assemblées, aussi bien au Sénat, sous la présidence de Gaston Monnerville, qu'à l'Assemblée nationale, qui vota la censure contre le gouvernement Pompidou.
Néanmoins, le projet, soumis au référendum, fut adopté par le peuple, le Conseil constitutionnel ayant jugé qu'il n'était pas compétent pour contrôler les lois référendaires. Le texte a pu entrer en vigueur et depuis 1965, le Président de la République est effectivement élu au suffrage universel direct.
M. Olivier Paccaud. - Et c'est heureux !
Mme Lauriane Josende, rapporteure. - Depuis, la Constitution n'a jamais été modifiée via l'article 11. Par la suite, 23 révisions ont eu lieu, toutes par l'article 89, et toutes, sauf une, ont été approuvées par le Congrès.
Dès lors, pourquoi vouloir protéger la Constitution ? Ce texte vise à s'opposer à la tentation du RN de recourir à l'article 11 pour réviser la Constitution. Tout au long de mes travaux, je me suis demandé si le dispositif proposé permettait d'atteindre l'objectif visé, et s'il était opportun de voter ce texte dans le contexte actuel. À ces deux questions, je réponds par la négative : la proposition de loi constitutionnelle est juridiquement inefficace, et elle est politiquement contre-productive.
La première question est juridique. Ce texte ne fait que consacrer ce que dit la doctrine : l'article 89 est la seule voie régulière de révision de la Constitution. Elle le disait déjà en 1962. De plus, en pratique, la proposition de loi constitutionnelle n'empêcherait pas un futur Président de la République de recourir à l'article 11. C'est une loi ordinaire qui a réformé la Constitution en 1962, et cela n'a pas empêché qu'elle entre en vigueur, car le Conseil constitutionnel s'est déclaré incompétent pour statuer sur un référendum.
Ce texte ne serait donc qu'une barrière de papier.
D'un point de vue politique, cette proposition de loi constitutionnelle est contre-productive. À titre personnel, je partage l'objectif de son auteur et ne défends pas le projet du RN. Je ne m'exprime que sur cette proposition de loi constitutionnelle ; et je vous invite à la rejeter, car, en l'adoptant, quel message enverrions-nous ?
M. Patrick Kanner. - Un bon message !
Mme Lauriane Josende, rapporteure. - Nous donnerions l'impression de réviser la Constitution contre le Rassemblement national.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Oh la la ! Quelle horreur !
Mme Lauriane Josende, rapporteure. - Il faut s'assurer que cette proposition de loi constitutionnelle soit comprise. Or ce ne serait pas le cas. (Protestations sur les travées du groupe SER ; M. Joshua Hochart proteste également.)
Il ne faut pas adopter ce texte simplement parce qu'on redouterait le résultat d'élections. Imaginez l'exploitation politique possible. Préservons notre pacte fondamental de toute appropriation partisane.
Depuis la Révolution, pendant 150 ans, la France a été un pays d'instabilité constitutionnelle, car toutes les formations politiques entretenaient un rapport partisan à la Constitution. Depuis 1958, la Constitution est devenue la chose de tous - qu'elle le reste.
En commission, nous avons eu des débats vifs, mais surtout riches.
Je salue Éric Kerrouche...
Mme Laurence Rossignol. - Ah, tout de même !
Mme Lauriane Josende, rapporteure. - ... pour son initiative et les signataires de la proposition de loi constitutionnelle, car elle soulève des questions essentielles. Toutefois, celles-ci doivent être tranchées lors de l'élection présidentielle et non pas par ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme Olivia Richard applaudit également.)
M. Laurent Panifous, ministre délégué chargé des relations avec le Parlement . - Permettez-moi d'excuser le garde des sceaux, retenu à Lyon pour des consultations avec des magistrats.
Je salue l'initiative à l'origine de cette proposition de loi constitutionnelle. Son intention est vertueuse : protéger la loi fondamentale, éviter toute dérive autoritaire. Toutefois, ce texte pose des difficultés à la fois juridiques, politiques et symboliques.
Du point de vue juridique, l'état du droit est limpide. Seul l'article 89 de la Constitution en prévoit la révision. Seul le recours à cet article est possible. Telle est la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Certes, le contrôle du Conseil constitutionnel n'avait pas été possible en 1962, mais, depuis, par sa décision Maastricht I de 1992, le Conseil constitutionnel a indiqué que la Constitution ne pouvait être modifiée que par les procédures qu'elle prévoit. Ensuite, le Conseil d'État a circonscrit le champ des deux procédures, en jugeant que les référendums en question sont soumis au contrôle du Conseil constitutionnel. Ensuite, depuis la décision Hauchemaille du 25 juillet 2000, le Conseil constitutionnel contrôle les documents préparatoires au référendum, notamment le décret de convocation des électeurs. Un tel décret serait alors censuré si l'article 11 était utilisé pour réviser la Constitution, et la convocation du référendum serait rendue impossible.
L'ancien président du Conseil constitutionnel Laurent Fabius lui-même soulignait que la révision ne pouvait intervenir que par l'article 89. Le verrou existe donc. En faisant se répéter la Constitution, nous prendrions le risque d'interprétations ambiguës.
Ensuite, au niveau politique, ce texte pourrait apparaître comme l'expression d'une crainte à l'égard du peuple. Il semble opposer la souveraineté populaire, qui appartient au peuple, à la souveraineté nationale, exercée par ses représentants. Adopter ce texte serait envoyer un message paradoxal aux citoyens, alors qu'ils demandent plus de participation, plus de confiance, plus d'écoute.
Enfin, ce n'est pas en faisant se répéter la Constitution que nous protégerons la République, mais en préservant la qualité du débat public et en fournissant aux citoyens une information fiable. Le véritable rempart, c'est la vigilance démocratique de chaque instant et la maturité collective dont nous avons toujours su faire preuve.
Le texte de 1958 a prouvé sa solidité et sa capacité d'adaptation. Les irrégularités procédurales du passé ne peuvent plus se reproduire.
Le Gouvernement sera défavorable à l'adoption de cette proposition de loi constitutionnelle, tout en saluant cette initiative qui pose la question essentielle du rôle des citoyens dans notre processus législatif, qu'il soit ordinaire ou constitutionnel.
M. Ian Brossat . - Les auteurs de la proposition de loi constitutionnelle ont eu raison de le rappeler : le projet du RN est profondément raciste. La proposition de loi constitutionnelle déposée par Marine Le Pen en janvier 2024 en est une preuve éclatante. Cette proposition de loi constitutionnelle restaure la préférence nationale, pudiquement rebaptisée priorité nationale : c'est inscrire la discrimination dans notre Constitution.
Il nous faut dénoncer cette surenchère permanente faisant de l'immigré le responsable de tous les maux de notre société. Cette obsession du RN visant à instiller le venin de la division s'incarne dans des mesures érigeant la xénophobie en norme constitutionnelle.
Notre inquiétude grandit ! La droite républicaine s'est emparée de cette obsession qui pendant longtemps a été celle de l'extrême droite. (M. Joshua Hochart s'exclame.) La semaine dernière, une partie des élus appartenant à la majorité du Président de la République a fait le choix de voter une proposition de loi du RN.
M. Joshua Hochart. - Enfin !
M. Ian Brossat. - Nous voyons bien l'ensemble des menaces qui pèsent sur nos principes républicains. Ce n'est pas le propre de la France ; une internationale réactionnaire se constitue dans le monde entier. Ce texte a parfaitement raison de pointer ces menaces, et c'est pourquoi notre groupe le votera.
Pour lutter contre l'extrême droite, le combat doit d'abord être mené sur le terrain des idées. Le meilleur antidote à l'extrême droite n'est pas le verrou constitutionnel, mais - je l'assume, comme communiste - la conscience de classe, c'est-à-dire la conscience du monde du travail qu'il partage des intérêts communs face à la bourgeoisie, face au capital.
M. Joshua Hochart. - Cela fait longtemps que vous ne défendez plus les ouvriers !
Une voix à gauche. - Chut !
M. Ian Brossat. - C'est en faisant grandir cette conscience de classe que nous ferons reculer l'extrême droite. Le combat contre l'extrême droite doit être mené sur le terrain politique, idéologique. Évidemment, nous en serons. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K et SER ; M. Philippe Grosvalet applaudit également.)
M. Jacques Fernique . - (Applaudissements sur les travées du GEST) Est-ce le bon moment pour consolider notre Constitution face aux menaces de ceux qui voudraient en finir avec la promesse républicaine ? Oui.
Cette proposition de loi constitutionnelle consacre sans ambiguïté le fait que la Constitution ne peut être révisée que par le seul article 89. Ainsi, elle comble une faille largement connue depuis des décennies, utilisée par le général de Gaulle pour proposer deux réformes constitutionnelles. (M. Francis Szpiner s'exclame.) Ce présidentialisme exacerbé est un danger qui emporte des effets jusqu'à nos jours et dont les conséquences pourraient être encore pires demain.
Certes, un très large consensus parmi les constitutionnalistes affirme que la Constitution ne peut être révisée que par l'article 89. Mais la faille est connue, et le consensus doctrinal ne suffit pas à dissuader le personnel politique de tordre la Constitution.
J'admets l'argument selon lequel une révision constitutionnelle ne doit pas viser un parti. Mais ce texte doit être soutenu, indépendamment de notre lutte contre le RN. Si ce dernier ne se cache pas de vouloir utiliser l'article 11, notre problème n'est pas que l'extrême droite veuille exploiter cette faille, mais bien que cette faille existe.
Il ne sert à rien de politiser ce texte. (Mme Audrey Linkenheld acquiesce.) Il y a un problème et il faut y répondre. La voix du Parlement est de plus en plus bafouée : pour ne pas l'outrepasser, notre Constitution ne doit laisser planer aucun doute. Il est normal que des verrous protègent la Constitution ; c'est une garantie de stabilité.
Nous aurions peur du vote populaire, dites-vous ? Mais cette proposition de loi constitutionnelle n'empêche en rien de faire appel au référendum. Elle n'annule en rien le besoin vital de redynamiser la démocratie directe. Le référendum d'initiative partagé est quasi inaccessible, le référendum n'est jamais utilisé.
Nous appelons au renforcement de la démocratie et à la protection de l'État de droit, ce qui passe en partie par l'adoption de cette proposition de loi constitutionnelle. (Applaudissements à gauche)
Mme Sophie Briante Guillemont . - (Applaudissements sur les travées du RDSE) Notre débat est presque aussi ancien que la Ve République. (M. Francis Szpiner acquiesce.) Peut-on réformer la Constitution via son article 11 ? Faut-il impérativement passer par l'article 89 ?
Dès le lendemain de l'installation de la Ve République, le général de Gaulle s'est inquiété de sa succession et de la capacité du prochain président à gouverner. Pour affermir son poids, il a décidé de le faire élire au suffrage universel direct.
Avait-il raison ? Sa décision de contourner le Parlement par l'article 11 s'appuie d'abord sur l'intérêt national, ensuite sur la politique, enfin sur le droit - ce qu'il qualifiait de « juridisme ». Léon Noël, premier président du Conseil constitutionnel, avait réussi à convaincre le général de Gaulle de changer d'avis ; mais il y eut l'attentat du Petit-Clamart.
Depuis, la doctrine s'est accordée : en théorie, l'article 11 relève seulement du domaine législatif et non constitutionnel. On connaît la suite : de Gaulle a quitté le pouvoir en 1969 après le « non » au référendum sur le Sénat. Mais la brèche ouverte par le Général n'a jamais été refermée. Nous aurions dû politiquement et juridiquement nous emparer du sujet, car cette brèche est dangereuse et le restera tant qu'elle ne sera pas comblée.
L'adoption de cette proposition de loi constitutionnelle ne sera certainement pas suffisante pour lutter contre une dérive autoritaire, mais il ne faut négliger aucun levier. L'unanimité de la doctrine ne protège pas contre une autre interprétation de l'article 11. De même, la jurisprudence Hauchemaille, qui permet au Conseil constitutionnel de contrôler le décret de convocation d'un référendum, ne suffit pas. Le Sénat a encore fait ce constat l'an dernier.
Nous devons défendre notre pacte fondamental. Ce n'est pas protéger la Constitution que de laisser subsister ce qui pourrait devenir l'instrument de l'arbitraire. Nous ne cadenassons pas la Constitution, nous la protégeons.
En 1962, Gaston Monnerville, président du Sénat, s'était fortement opposé à cette votation. Il disait : « Le peuple français doit comprendre que réviser cette Constitution par le biais de l'article 11, c'est porter atteinte à ses droits et à ses libertés, car, lorsque les garanties qui lui sont données par la Constitution sont violées, il n'y a plus de République. »
Le groupe RDSE, porté par son histoire, votera cette proposition de loi avec conviction. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE-K, du GEST et du RDSE)
Mme Olivia Richard . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Un référendum sur le référendum, vraiment ? C'est un peu retour vers le futur. On a déjà eu cette idée en 1984, alors que la réforme Savary sur l'école jetait plus d'un million de personnes dans la rue. Mitterrand envisageait un référendum sur le référendum, pour étendre le champ d'application de l'article 11 aux libertés publiques. Heureusement, il n'a jamais eu lieu.
Le groupe SER veut empêcher une dérive populiste. Nous sommes tous d'accord pour dire qu'il ne faut pas détourner la procédure du référendum législatif pour réviser la Constitution ; nous sommes tous convaincus que la seule voie possible est l'article 89.
Néanmoins, les travaux de la rapporteure montrent que cette proposition de loi constitutionnelle n'empêcherait aucun contournement. En effet, le dispositif est inopérant.
Imaginons que le Sénat vote la proposition de loi constitutionnelle, sur un mode déclaratoire, pour dire son refus du populisme ; encore faut-il que l'Assemblée nationale l'inscrive à l'ordre du jour. Je crois que les socialistes de l'Assemblée nationale sont occupés à autre chose.
Mme Laurence Rossignol. - Ce n'est pas sérieux ! (M. Rachid Temal renchérit.)
Mme Olivia Richard. - Admettons que le Gouvernement inscrive le texte à l'ordre jour, pour faire plaisir aux socialistes - c'est un peu la mode en ce moment...
Mme Laurence Rossignol. - Ce n'est pas au niveau !
Mme Olivia Richard. - Imaginons que le texte soit voté par les deux chambres...
M. Éric Kerrouche. - C'est le principe...
Mme Olivia Richard. - ... le Président de la République devrait convoquer un référendum pour son adoption définitive. Notons qu'il a proposé, lors des entretiens de Saint-Denis, en 2023, d'élargir le champ des référendums. Mais alors, quand aura lieu ce référendum ? Au moment des municipales ?
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Vous êtes pour ou contre ?
M. Éric Kerrouche. - C'est ridicule.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Centriste un jour, centriste toujours.
Mme Olivia Richard. - Bref, on pourrait essayer de réconcilier les Français avec leurs institutions au lieu de donner l'impression qu'on tente de se barricader contre eux.
Lorsqu'on inscrit un texte à l'ordre du jour, c'est, en principe, dans l'espoir de le voir prospérer. Ou alors, c'est pour faire de la politique.
Mme Laurence Rossignol. - Bien sûr, vous n'en faites jamais. Pas votre genre !
Mme Olivia Richard. - S'il s'agit de sensibiliser nos compatriotes sur le danger que représente le Front national ? pardon, le Rassemblement national ? pour notre État de droit, de réaffirmer à quel point celui-ci est précieux, je vous rejoins. S'il s'agit de proposer un texte invotable et qui n'a aucune chance de prospérer...
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Avec vous, c'est sûr...
Mme Olivia Richard. - ... pour reprocher à la majorité sénatoriale de ne pas le voter et l'accuser de ne pas protéger la Constitution face au RN, c'est indigne de la crise démocratique.
L'Union centriste ne votera pas cette proposition de loi constitutionnelle. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur quelques travées du groupe Les Républicains)
Mme Laurence Rossignol. - C'est vous qui avez écrit ça ? Vous valez mieux !
Mme Laure Darcos . - Faut-il protéger le peuple de lui-même ?
Nos collègues socialistes sont inquiets d'un hypothétique recours du Rassemblement national à une procédure pourtant considérée par l'écrasante majorité des spécialistes comme inapplicable à la modification de la Constitution. De fait, la révision est encadrée par le titre XVI, qui contient l'unique article 89.
Au-delà du consensus doctrinal, il faut rappeler que le général de Gaulle a fait usage par deux fois de l'article 11 pour modifier, ou tenter de modifier, la Constitution. Le Conseil constitutionnel s'était alors déclaré incompétent pour statuer sur des lois adoptées par référendum, celles-ci constituant l'expression directe de la souveraineté nationale.
Alors que les mouvements populistes gagnent dans de nombreux pays, nous comprenons l'inquiétude du groupe socialiste. Dans un scénario dystopique, les Français pourraient adopter par référendum une révision de nature à faire basculer la France dans un régime autoritaire.
Mme Audrey Linkenheld. - Dystopique, vraiment ?
Mme Laure Darcos. - Nous comprenons le raisonnement qui sous-tend ce texte, mais pensons que la réponse proposée n'est pas judicieuse.
D'abord, elle serait inopérante, puisqu'elle n'empêcherait pas un Président de la République de soumettre à référendum un projet de loi modifiant la Constitution, comme jadis le général de Gaulle. Le Conseil constitutionnel ne pourrait pas davantage s'y opposer qu'à l'époque.
Ensuite, elle soulève une difficulté de philosophie politique. En démocratie, faut-il craindre le peuple ? Nous ne le croyons pas et trouvons dangereux de laisser penser que les représentants des Français souhaiteraient les bâillonner.
Depuis de Gaulle, l'écrasante majorité des révisions ont été approuvées par le Congrès. Le dernier référendum, en 2005, a laissé un souvenir amer à nos concitoyens, car il n'a pas été tenu compte de leur vote. Le choix opéré à l'époque est encore présent dans la mémoire collective. C'est ainsi qu'on nourrit la division entre le peuple et ses représentants.
L'adoption de ce texte alimenterait le sentiment partagé par nombre de nos concitoyens de ne pas être écoutés. Ni les institutions ni leurs représentants n'ont besoin de davantage de défiance.
Enfin, si ce texte était adopté par le Parlement, il ne pourrait être définitivement approuvé que par référendum. Au fond, il s'agirait d'un référendum demandant au peuple de bien vouloir accepter de ne plus être consulté sur la modification de la Constitution...
Mme Corinne Narassiguin. - Pas du tout !
Mme Laure Darcos. - Pour sortir de cette impasse, d'aucuns imaginent un hypothétique projet de loi constitutionnelle pouvant être adopté par le Congrès : de quoi entériner pour de bon le divorce entre nos concitoyens et leurs représentants.
La faille constitutionnelle pointée par nos collègues socialistes est une menace réelle sur la protection des droits et libertés individuels. Les Françaises et les Français doivent en prendre conscience et choisir la manière d'y répondre, par exemple en imposant une participation minimale ou une majorité qualifiée.
La campagne présidentielle se prête bien mieux à un tel débat que l'espace réservé d'un groupe parlementaire. Les Indépendants voteront contre ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP, sur de nombreuses travées du groupe UC et sur des travées du groupe Les Républicains)
M. Stéphane Le Rudulier . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Ce texte semble relever d'une proposition de circonstance. Or le temps du droit constitutionnel n'est pas celui de la politique. Il n'est pas opportun qu'une révision de notre loi fondamentale soit subordonnée à des arrière-pensées partisanes plus ou moins destinées à bloquer une hypothétique majorité future.
Ensuite, la procédure qu'on nous propose de supprimer est utile. Juridiquement, elle est condamnée par une partie dominante de la doctrine, mais, politiquement, elle peut sembler justifiée par le fait qu'une seule assemblée peut interdire durablement une révision recueillant l'adhésion de la majorité des citoyens. Il y a là une difficulté démocratique.
En outre, ce texte est inutile dans la mesure où le référendum d'initiative présidentielle ne fait l'objet d'aucun contrôle préventif du Conseil constitutionnel. Dès lors, une loi ordinaire portant par exemple sur l'immigration ou l'âge de la retraite pourrait être adoptée par la procédure de l'article 11 tout en comportant des dispositions relevant de la Constitution. Les effets seraient identiques à ceux que souhaitent éviter les auteurs du texte, à moins de retirer l'initiative du référendum à l'exécutif ou de la soumettre à un contrôle préalable du Conseil constitutionnel. Les conséquences d'un tel rééquilibrage des pouvoirs devraient faire l'objet d'une réflexion approfondie.
Par ailleurs, le référendum de l'article 11 relève-t-il des pouvoirs propres du Président de la République qui disposerait d'un droit d'initiative spontanée, comme le suggère l'exposé des motifs du texte ? Non : son pouvoir consiste à accepter ou refuser de soumettre le texte au référendum. Nos collègues font valoir que « ce pouvoir propre du chef de l'État lui permet de soumettre un texte au référendum sans examen par les chambres parlementaires. » Mais, s'agissant d'un projet de loi référendaire, le Gouvernement doit faire devant chaque assemblée une déclaration, suivie d'un débat. Rien n'interdit à l'Assemblée nationale de renverser le Gouvernement à cette occasion.
Enfin, cette proposition de loi constitutionnelle priverait le peuple de sa souveraineté. Bien entendu, je ne suis pas favorable à un détournement, mais la consultation du peuple offre pendant la campagne les garanties d'un débat démocratique pluraliste permettant d'éclairer les citoyens. Au demeurant, l'issue d'un référendum n'est jamais acquise, comme le montre le précédent de 1969. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Mme Solanges Nadille . - Nul ici ne met en cause la souveraineté populaire ni le référendum. Notre débat porte sur la clarification du cadre constitutionnel de la révision et le rôle que le Parlement doit y jouer.
Le principe selon lequel une révision ne peut intervenir qu'au moyen de l'article 89 ne bouleverse en rien l'idée originale de notre Constitution ; il la conforte. Bien que la doctrine soit majoritairement convergente, l'histoire enseigne à quoi expose l'absence de limites constitutionnelles. En 1962, malgré l'avis négatif du Conseil d'État, la motion de censure et la dénonciation du président du Sénat, le référendum s'est tenu : la France est passée en deux mois à l'élection présidentielle au suffrage universel direct. Preuve de la faisabilité et de la rapidité d'un recours à l'article 11 pour toucher au coeur du pacte constitutionnel.
La nature même du référendum constitutionnel interroge : il réduit des questions souvent complexes à une alternative binaire ; pas de travaux parlementaires, pas d'amendements, pas de compromis - une campagne et un verdict. La parole du peuple doit être écoutée, mais elle ne saurait se résumer à un choix binaire ; notre démocratie mérite mieux.
La décision de 1962 par laquelle le Conseil constitutionnel se déclare incompétent pour examiner une loi adoptée par référendum ajoute un angle mort qui justifie la plus grande prudence.
Défendre l'article 89 comme unique voie de révision, ce n'est pas se défier du peuple, puisque cette procédure prévoit la possibilité de soumettre le projet à référendum, à l'issue d'une délibération parlementaire. C'est cette chorégraphie qui confère aux révisions passées toute leur légitimité.
La clarification proposée limiterait les contournements du Parlement et éviterait tout usage démagogique du référendum par l'extrême droite ou l'extrême gauche. La tentation de court-circuiter le Parlement n'est pas l'apanage d'un camp : elle existe chaque fois qu'on veut aller vite plutôt que de faire bien.
Évitons qu'une majorité passagère, portée par l'émotion, ne bouscule notre équilibre démocratique. Ce texte est un rappel utile des bonnes pratiques institutionnelles dont le Sénat s'est toujours porté garant ; il ne retire aucune voix au peuple. La majorité du RDPI le votera, pour préserver la République de ses emballements. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du RDSE ; M. Akli Mellouli applaudit également.)
Mme Corinne Narassiguin . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) L'article 89 régit seul la modification de notre Constitution, prévoyant une adoption par les deux assemblées, puis une approbation par référendum ou le Parlement réuni en Congrès.
Mais, depuis les débuts de la Ve République, un flou entoure l'utilisation de l'article 11, qui prévoit la possibilité d'un référendum sur tout projet de loi relatif à l'organisation des pouvoirs publics, à la politique économique, sociale ou environnementale ou aux services publics. Ce flou a été alimenté par le général de Gaulle lui-même, qui recourut à deux reprises à cet article pour modifier la Constitution, en 1962 et 1969.
M. Francis Szpiner. - Il a bien fait !
Mme Corinne Narassiguin. - Or tous les constitutionnalistes s'accordent à considérer cette utilisation de l'article 11 comme inconstitutionnelle. Le Conseil constitutionnel s'est prononcé dans ce sens dans sa décision Hauchemaille de 2000.
Nous proposons de lever ce flou en écrivant noir sur blanc que seul l'article 89 permet de modifier la loi fondamentale. Il s'agit de sécuriser la pratique et d'éviter tout revirement de jurisprudence.
De fait, un parti, le Rassemblement national, souhaite s'emparer de ce flou juridique. Leurs intentions sont clairement affichées dans leur proposition de loi constitutionnelle Citoyenneté, identité et immigration, déposée en janvier 2024 : contourner le Parlement en organisant, via l'article 11, un référendum sur l'immigration. Leur plan nauséabond est prêt : priorité nationale sur le logement, l'emploi et les aides sociales, limitation du droit d'asile, suppression du droit du sol, interdiction faite aux binationaux d'accéder à des emplois dans l'administration.
Nous connaissons le projet xénophobe et raciste de ce parti et continuerons à le combattre.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Très bien !
Mme Corinne Narassiguin. - S'il devait accéder au pouvoir démocratiquement, il serait fondé à vouloir mettre en oeuvre son projet, y compris en révisant la Constitution. Mais cette révision ne saurait être inconstitutionnelle, camouflée dans le cheval de Troie de la question migratoire.
M. Aymeric Durox. - C'est le peuple qui décide !
Mme Corinne Narassiguin. - Le Rassemblement national nous rappelle l'existence de cette brèche en annonçant son intention de l'exploiter. Remercions-le pour sa transparence... Mais la triste réalité est que tout parti au pouvoir serait capable de dérive illibérale. Inutile de chercher bien loin, quand le président du groupe Les Républicains, Bruno Retailleau, appelle à élargir les possibilités offertes par l'article 11 pour organiser un référendum sur l'immigration et soutient une préférence nationale pour l'accès aux droits sociaux. Au reste, dans toutes les familles politiques, certains peuvent être sujets à une tentation autoritaire.
Qu'on ne nous reproche pas de craindre la consultation populaire ! Les socialistes ont toujours défendu une démocratie plus participative. Nous avons utilisé à plusieurs reprises le référendum d'initiative partagée, notamment contre la privatisation d'Aéroports de Paris ou le projet de démantèlement d'EDF. Avec Yan Chantrel, nous avons proposé de faciliter le référendum d'initiative partagée en abaissant les seuils à 93 parlementaires et un million d'électeurs. Dans notre dernier projet présidentiel, nous défendions un référendum d'initiative citoyenne.
M. Stéphane Ravier. - Vous avez fait 1,75 % !
Mme Corinne Narassiguin. - Réviser la Constitution ne peut être un tour de passe-passe jouant sur les émotions, un contrat qu'on demande à nos concitoyens de signer sans lire les clauses de bas de page. Il doit s'agir d'un processus exigeant, dans le cadre duquel les conséquences du choix proposé sont mises en lumière par un débat démocratique éclairé par le travail du Parlement.
Ce texte vise à protéger le pouvoir de la représentation nationale. Le rejeter, ce serait nous désarmer nous-mêmes. L'adopter, garantir notre État de droit contre toute dérive autoritaire, d'où qu'elle vienne. (Applaudissements sur les travées du groupe SER, du GEST et du RDSE)
Mme Catherine Di Folco . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) L'objet de ce texte est d'écarter le recours à l'article 11 de la Constitution pour réviser la norme suprême.
Madame le rapporteur l'a bien expliqué, notre Constitution prévoit deux procédures de révision. L'article 89 est la voie officielle, mais l'article 11 permet au Président de la République de soumettre directement au peuple un projet portant sur des domaines explicitement définis, sans validation préalable du Parlement.
L'objet et le périmètre des référendums prévus à ces deux articles ont été distingués par le Conseil d'État dans sa fameuse décision Sarran de 1998. Lorsque le peuple exerce sa souveraineté par référendum, il le fait soit en matière législative dans les cas prévus à l'article 11, soit en matière constitutionnelle comme le prévoit l'article 89.
Nos collègues socialistes mentionnent la révision de 1962 relative à l'élection au suffrage universel direct du chef de l'État et celle, avortée, de 1969 relative à la régionalisation et au Sénat. On se souvient que le choix du général de Gaulle de recourir à l'article 11 pour modifier la Constitution avait suscité d'importantes discussions entre juristes. Toutes les révisions initiées depuis lors ont emprunté la voie de l'article 89.
La clarté juridique de nos textes est un objectif louable, mais ce texte soulève des difficultés qui ont conduit la commission des lois à le rejeter.
D'abord, selon la grande majorité de la doctrine, l'intention est satisfaite : il ne fait plus guère de doutes que la manoeuvre consistant à recourir à l'article 11 n'est pas un mode de révision valide. Si l'on ajoute à cela que le Conseil constitutionnel peut être saisi de la régularité des opérations référendaires en application de sa jurisprudence Hauchemaille, nous disposons des outils nécessaires pour faire obstacle à un usage détourné de l'article 11.
En outre, si un projet de révision constitutionnelle était soumis au vote des Français en application de l'article 11, ce texte permettrait-il de s'y opposer ? Notre rapporteur a fait la démonstration que non. Exclure les projets de loi constitutionnelle du champ de l'article 11 serait sans effet si le texte déposé ne porte pas le nom de projet de loi constitutionnelle, ce qui était le cas en 1962 et 1969.
Enfin, le resserrement de l'expression du suffrage référendaire soulève des interrogations qui appellent des réflexions plus poussées, dans la mesure où il affecterait en profondeur les équilibres institutionnels qui ont façonné la Ve République.
Le groupe Les Républicains, qui s'inscrit dans la tradition gaulliste, suivra l'avis de la commission en rejetant ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Aymeric Durox applaudit également.)
M. Stéphane Ravier . - (MM. Aymeric Durox, Joshua Hochart et Christopher Szczurek applaudissent.) De toutes les histoires que ma fille Jehanne aime que je lui raconte, il en est deux qu'elle affectionne tout particulièrement : celle des trois petits cochons et du grand méchant loup et celle de Jack et le haricot magique, avec l'ogre qui dévore les enfants... Elle me demande de donner des prénoms aux personnages, en particulier au loup et à l'ogre, sans doute pour mieux identifier le danger, le mal - la bête immonde !
Avec ce projet de loi, les socialistes, éternels conteurs d'histoires imaginaires, ont identifié le danger, le mal, la bête immonde : l'extrême droite. Après avoir sali le prénom Jean-Marie, ils désignent désormais Marine comme l'ogre ; quant au grand méchant loup, il se prénomme Jordan.
M. Rachid Temal. - Le RN ne vous avait pas mis dehors ?
M. Stéphane Ravier. - Mais c'est toujours la même fable récitée pour nous endormir. La dernière fois, ils invoquaient la menace trumpiste sur l'avortement en France ; aujourd'hui, l'arrivée au pouvoir du grand méchant RN. Mais les Français ne sont pas des enfants ! Les socialistes ne peuvent le comprendre, rongés par la populophobie, la prolophobie, la plèbophobie. (Protestations sur les travées du groupe SER)
Nombre d'entre vous comptent sur l'empêchement des juges contre la candidature de celle qui recueille 35 % dans les sondages. Mais, si elle était élue, vous voudriez qu'elle soit empêchée d'agir en en appelant au peuple.
Vous ne voulez pas protéger la Constitution, mais empêcher la fin de l'immigration, plébiscitée par 80 % des Français, la primauté de notre droit, soit le retour à la souveraineté nationale, et la priorité nationale, qui résulte du fondement même de la loi.
Mis à la porte par les Français avec 1,75 % des voix à la dernière présidentielle, les socialistes squattent pourtant les présidences du Conseil constitutionnel, de la Cour des Comptes et du Conseil d'État (marques d'ironie sur les travées du groupe SER) et orchestrent une campagne pour achever de bâillonner le peuple.
Les héritiers de l'UMP ne sont pas en reste : après avoir trahi la voix du peuple en 2005, ils confirment six ministres dans un gouvernement porté par le PS et dont ils ne censurent pas le budget des horreurs.
Le prochain référendum que nous pouvons espérer, c'est l'élection présidentielle - élection directe instaurée par le général de Gaulle via l'article 11. C'est cette démocratie populaire que les socialistes aux abois veulent abolir. La Ve République est née du principe : à bas les partis, vive le peuple ! Eux disent : à bas le peuple, vive le parti socialiste. Leurs histoires à dormir debout, même pas en rêve ! (MM. Aymeric Durox, Christopher Szczurek et Joshua Hochart applaudissent.)
Discussion de l'article unique
Article unique
M. Patrick Kanner . - Chers collègues de droite, si vous doutiez de l'intérêt de la proposition de loi défendue par Éric Kerrouche, l'intervention de M. Ravier vient de rappeler l'importance de construire une digue politique face aux horreurs qui se préparent si l'extrême droite devait arriver au pouvoir.
M. Stéphane Ravier. - La préférence nationale, une horreur ?
M. Patrick Kanner. - Lors du scrutin public que vous ne manquerez pas de demander, puisque vous êtes minoritaires dans l'hémicycle, peut-être y réfléchirez-vous.
L'article unique du texte réaffirme qu'il n'existe qu'une seule voie pour réviser notre loi fondamentale : l'article 89. D'aucuns prétendent contourner cette exigence au nom d'un prétendu retour de la souveraineté populaire, mais le référendum n'est pas un instrument d'exception pour imposer une idéologie. Derrière l'article 11 brandi comme un drapeau, il y a la tentation du plébiscite ; et, derrière elle, la pente autoritaire.
Refermons cette brèche : c'est un acte de résistance républicaine et démocratique. (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; M. Ian Brossat applaudit également ; M. Raphaël Daubet acquiesce.)
M. Olivier Paccaud . - La démocratie ne se décrète pas ; elle se façonne et se cultive.
M. Adel Ziane. - Elle se défend !
M. Olivier Paccaud. - La République est progressivement devenue démocratique, au gré des révolutions et des constitutions. Aujourd'hui, Éric Kerrouche se drape dans la toge merveilleuse du défenseur de la Constitution et de nos libertés. Mais sa plaidoirie cible, non pas un diable, mais une anti-héroïne : Marine Le Pen, citée sept fois dans l'exposé des motifs. Cette démone hanterait-elle vos jours et vos nuits ?
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Oui ! Pas vous ?
M. Olivier Paccaud. - À chacun ses obsessions. Mais venons-en au fond : il aurait été plus honnête d'intituler ce texte « proposition de loi constitutionnelle visant à verrouiller la Constitution ». Votre raisonnement a une clé de voûte subtilement provocatrice, puisque vous mettez en cause la légitimité du droit démocratique suprême, l'élection du Président de la République au suffrage universel direct.
Votre croisade contre Marine Le Pen repose sur un postulat méprisant : moins le peuple à la parole, mieux cela vaut. Vous amalgamez référendum et plébiscite. (On proteste à gauche et sur les travées du RDSE, l'orateur ayant dépassé son temps de parole.) Et vous oubliez nos principes fondateurs : le principe de toute souveraineté réside dans la nation, selon l'article 3 de la Déclaration des droits et de l'homme et du citoyen...
Mme la présidente. - Veuillez conclure.
M. Olivier Paccaud. - ... et la loi est l'expression de la volonté générale, d'après son article 6.
M. Joshua Hochart . - (M. Christopher Szczurek applaudit.) La politique, c'est une question de choix. Les bons choix socialistes, la liste en serait vite faite. Les mauvais choix faits sous Hollande, on pourrait en parler longtemps.
Mme Laurence Rossignol. - Lesquels ?
M. Joshua Hochart. - Dans le cadre de sa niche parlementaire, le groupe socialiste aurait pu choisir d'améliorer le quotidien des Français, par exemple en réduisant les charges des petites entreprises ou la TVA sur les produits de première nécessité.
Mme Laurence Rossignol. - Nous le proposerons bientôt par voie d'amendements : on verra vos votes !
M. Patrick Kanner. - Ils défendent les riches !
M. Joshua Hochart. - Mais non : ils préfèrent tenter de bâillonner le peuple français. Vous et votre hypocrisie, les Français n'en peuvent plus. Votre résultat à la dernière présidentielle est sans appel : 1,75 %. Vivement 2027 !
M. Christopher Szczurek . - M. Kerrouche et ses collègues socialistes veulent verrouiller la Constitution, empêcher les Français de reprendre le contrôle politique du pays. C'est une manoeuvre de la peur par un parti désavoué par le peuple, en particulier les classes populaires - c'est très net dans le bassin minier, dont je suis originaire.
Ils préfèrent tenter de modifier les règles plutôt que de se remettre en question. Comme ils le font à l'Assemblée nationale pour échapper à la dissolution, ils rêvent d'un système qui neutralise l'expression populaire. Et ils ont l'audace de prétendre défendre la démocratie !
Ce texte est politiquement inacceptable et moralement indéfendable, car il traduit un profond mépris pour le citoyen. Forts de leurs 1,7 % à la dernière présidentielle, les socialistes ne croient plus au peuple français. Nous, si. Nous refusons une République où l'on bâillonne le peuple parce qu'il penserait mal ! Et nous refusons les leçons de morale des héritiers de Mitterrand, qui ont pactisé avec les insoumis.
En République, c'est le peuple qui commande. Parce que nous croyons au pouvoir du peuple, par le peuple et pour le peuple, nous voterons contre ce texte narcissique d'un sénateur qui voulait son quart d'heure de gloire warholien ; il peut maintenant retourner dans l'oubli.
M. Francis Szpiner . - Entendre M. Ravier, après l'attentat du Petit-Clamart, faire l'éloge du général de Gaulle, c'est tout de même formidable... (Rires et marques d'approbation à gauche) Entendre les socialistes ne pas avoir digéré l'élection du Président de la République au suffrage universel direct l'est tout autant ! Quand M. Mitterrand, après avoir écrit Le Coup d'État permanent, s'est glissé dans la Constitution de la Ve République, vous la critiquiez moins. (MM. Aymeric Durox et Christopher Szczurek renchérissent.)
M. Stéphane Ravier. - Et la francisque ?
M. Francis Szpiner. - Le plus extraordinaire, c'est d'entendre l'oratrice du RDPI prendre le parti inverse de celui du ministre : c'est sans doute ce qu'on appelle le « en même temps ». (Marques d'ironie sur de nombreuses travées)
C'est parce que les partis avaient confisqué la République que le général de Gaulle a décidé d'en appeler au peuple. Au reste, dans l'histoire, le Parlement ne s'est pas paré de toutes les vertus : qui a voté les pleins pouvoirs au maréchal Pétain, sinon la chambre du Front Populaire ? (Marques d'indignation sur les travées du groupe SER)
M. Éric Kerrouche. - C'est scandaleux !
M. Francis Szpiner. - Le parlementarisme n'a pas toutes les vertus, le peuple pas tous les défauts.
Nous combattrons tout ce qui porte atteinte aux principes républicains...
M. Éric Kerrouche. - On verra.
M. Francis Szpiner. - ... mais la manière dont vous parlez du peuple - ces imbéciles incapables de comprendre -, c'est le meilleur moyen de renforcer le populisme ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Mme Laurence Rossignol . - Les régimes autoritaires, illibéraux, arrivent au pouvoir par des processus démocratiques. Comment s'y adapter ? Voyez les États-Unis : aurions-nous prévu qu'il faudrait si peu de temps pour que l'État de droit s'effondre ?
M. Francis Szpiner. - Il ne s'effondre pas.
Mme Laurence Rossignol. - Les citoyens américains attachés à l'État de droit n'ont pas anticipé ce qui adviendrait après la réélection de Trump. Tâchons, nous, d'anticiper, en empêchant que notre pays puisse renoncer à l'État de droit, c'est-à-dire à la protection des citoyens contre l'arbitraire. Contrairement à l'ancien ministre de l'intérieur, je pense qu'il est intangible. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)
M. Patrick Kanner. - Il est sacré !
M. Aymeric Durox . - Souvenons-nous de Montesquieu : « Il est parfois nécessaire de changer certaines lois, mais le cas est rare et, lorsqu'il arrive, il ne faut y toucher que d'une main tremblante ; les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires ».
Ce texte est à notre arsenal législatif ce que le parti socialiste est à notre vie politique : inutile et grotesque. Il sera balayé par la majorité du Sénat, que toute sagesse n'a pas désertée.
Le PS pourfend la priorité nationale, mais c'est Roger Salengro, de la SFIO, qui a inventé le concept en 1931, pour protéger les travailleurs français.
M. Patrick Kanner. - Ce sont vos ancêtres politiques qui l'ont tué. Ne salissez pas sa mémoire !
M. Aymeric Durox. - Léon Blum doit se retourner dans sa tombe en voyant le pathétique spectacle qu'offrent ceux qui se prétendent ses héritiers.
La Révolution a instauré le droit du sang. La IIIe République a instauré le droit du sol, mais c'était pour avoir plus de soldats face à la démographie galopante de l'Allemagne ! Le Parti socialiste veut une citoyenneté ouverte aux quatre vents, alors que, si tout le monde est citoyen, plus personne ne l'est.
M. Pierre Ouzoulias. - C'est le retour de Maurras...
M. Aymeric Durox. - Rousseau demandait : comment les hommes pourraient-ils aimer leur patrie, si elle n'est rien de plus pour eux que pour les étrangers ? Jaurès, lui, disait que la nation est la seule richesse de ceux qui n'ont rien. Aujourd'hui, c'est le Parti socialiste qui n'a plus rien : plus d'électeurs, plus d'idées, plus d'avenir !
M. Éric Kerrouche . - Il est pénible de devoir entendre des leçons du Rassemblement national, dont les députés défendent les plus riches et l'oligarchie financière.
Non, ce texte ne vise pas à amputer la parole du peuple : l'article 89 prévoit bien le recours au référendum. La Constitution n'est pas un texte comme les autres. Nous refusons que nos principes, tout ce qui fonde notre démocratie, puissent disparaître du jour au lendemain.
L'exposé des motifs de la proposition de loi constitutionnelle du RN est éloquent : il ne sera plus possible de réviser la Constitution comme elle vient de l'être. C'est donc une pilule empoisonnée. Et c'est exactement ce que font les régimes illibéraux, se prévaloir de la parole du peuple pour la détourner ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER)
Vote sur l'ensemble
M. Joshua Hochart . - L'autoproclamé « camp du bien » essaie de détruire la démocratie. Ce texte indigne a un seul objet : refuser de donner la parole aux Français et aux dizaines de millions d'électeurs du Rassemblement national.
Vous prétendez vouloir mieux encadrer le recours au référendum, mais vous en verrouillez l'accès. Le référendum devient un jouet institutionnel pour une classe politique qui a peur de la voix du peuple.
Cette réforme a été pensée contre le Rassemblement national. Mais demain, quand nous gouvernerons avec Marine Le Pen, nous redonnerons la parole aux Français sur l'immigration, la sécurité, la souveraineté énergétique, etc. Alors, comme vous savez que leur réponse ne sera pas celle que vous espérez, vous cadenassez le système.
Ce texte est un texte de peur, peur du peuple qui conteste vos certitudes, peur d'un mouvement politique qui ose dire que la nation doit choisir son destin, peur de la démocratie réelle et directe. Votre manoeuvre politicienne est d'une rare hypocrisie.
Le parti socialiste, qui hier encore parlait de proximité avec les citoyens et de démocratie participative, s'apprête à retirer au peuple son droit le plus sacré, celui de décider.
Alors que le général de Gaulle voyait dans le référendum une rencontre directe entre le peuple et son destin,...
Mme Laurence Rossignol. - Les bébés OAS citent de Gaulle !
M. Joshua Hochart. - ... vous en faites une procédure administrative impossible à mettre en oeuvre, parce que le peuple français ne vote plus comme vous le voudriez. Permettez-moi de vous rappeler vos 1,75 %...
Le Rassemblement national ne craint pas le verdict des Français. Nous voulons qu'ils s'expriment librement, sur tous les sujets. Nous voterons contre ce texte.
Mme la présidente. - Veuillez conclure.
M. Joshua Hochart. - Vous me faites penser à cette phrase de Bertolt Brecht : « Puisque le peuple vote contre le Gouvernement, il faut dissoudre le peuple. » Pauvre Parti socialiste !
L'article unique est mis aux voix par scrutin public de droit.
Mme la présidente. - Voici le résultat du scrutin n°23 :
| Nombre de votants | 345 |
| Nombre de suffrages exprimés | 344 |
| Pour l'adoption | 131 |
| Contre | 213 |
L'article unique n'est pas adopté. En conséquence, la proposition de loi constitutionnelle n'est pas adoptée.
(MM. Joshua Hochart, Aymeric Durox et Christopher Szczurek applaudissent.)
La séance est suspendue quelques instants.