Dette publique

M le président. - L'ordre du jour appelle le débat sur la dette publique à la demande des groupes Les Républicains et Union Centriste.

M. Stéphane Sautarel, pour le groupe Les Républicains .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Je souhaite prendre un peu de champ pour analyser lucidement la question de la dette publique, sujet que l'on aborde souvent avec fatalisme. La dette n'est pourtant pas un mal en soi, elle le devient uniquement lorsqu'elle traduit une absence de stratégie. L'endettement est un outil de souveraineté. L'idée selon laquelle l'État devrait gérer ses finances comme un bon père de famille est fausse : l'État n'est pas un ménage, il n'a pas à rembourser intégralement sa dette ; il la refinance en permanence et dispose surtout d'un pouvoir unique, celui de lever l'impôt. S'endetter peut être un levier de puissance, à condition que ce soit pour financer l'avenir. C'est ce qu'ont fait les États-Unis du New Deal ou la France du général de Gaulle.

À l'inverse, la dette devient malsaine lorsqu'elle finance le fonctionnement courant, les rigidités, la protection sociale ou l'incapacité à réformer. C'est le coeur du décrochage français : au deuxième trimestre 2025, la dette française représentait 115 % du PIB et devrait atteindre 118 % d'ici la fin de l'année, tandis que l'Allemagne est à 62 % et la moyenne européenne à 82 %.

Ce décrochage est récent et spectaculaire : en 2007, nous étions sous la moyenne de la zone euro, en 2012, au même niveau, en 2017, 10 points au-dessus, aujourd'hui, 27 points au-dessus. Ce n'est pas une mauvaise trajectoire, c'est un décrochage structurel. Entre 2017 et 2025, la dette publique a augmenté de 1 200 milliards d'euros, passant de 2 200 milliards en 2017 à 3 400 milliards aujourd'hui. Ces chiffres sont étourdissants. La charge de la dette alimente elle-même le déficit, c'est l'effet boule de neige. Elle représente le troisième budget de l'État, avec 60 milliards d'euros. En 2029, elle représenterait 100 milliards d'euros.

M. Olivier Paccaud.  - Cela dépasse le budget de l'éducation !

M. Stéphane Sautarel.  - Cette hausse ne s'explique plus par la crise sanitaire, mais par un déséquilibre structurel.

La France consacre 32 % de son PIB aux dépenses sociales. Ce n'est pas en soi un problème : c'est le prix de notre modèle. Le problème, c'est que nous nous endettons pour le financer, faute de réformes structurelles, avec 145 milliards à rembourser pour la Cades et 89 milliards de plafond d'endettement pour l'Acoss (Urssaf-Caisse nationale) en 2026. Nous empruntons pour maintenir le présent, non pour préparer l'avenir.

De plus, les investisseurs anticipent désormais une hausse des besoins budgétaires des pays européens, notamment l'Allemagne, ce qui génère déjà une hausse du taux à dix ans de la France, autour de plus 30 points de base mi-septembre, avec un spread défavorable, non seulement vis-à-vis de l'Allemagne, mais aussi désormais de l'Espagne et de l'Italie. Or un choc de taux de 1 %, c'est 30 milliards supplémentaires à dix ans.

La soutenabilité globale de notre dette est préservée, mais de plus en plus conditionnelle. Elle est considérée par les marchés comme l'un des actifs les plus sûrs de la planète : nos titres sont liquides, substituables à la dette allemande, et nous avons innové. La maturité moyenne de nos obligations est de huit ans, ce qui nous protège des fluctuations de taux à court terme. Nous bénéficions d'une qualité d'exécution exceptionnelle par l'Agence France Trésor.

Mais ce n'est pas éternel et les signaux faibles vont tous dans le même sens : les perspectives de croissance sont faibles, le chômage remonterait, et les perspectives des agences de notation sont négatives. Nous sommes sous surveillance.

Aucun risque de faillite - nous comparer à la Grèce n'a aucun sens : nous n'avons ni problème de solvabilité ni problème de liquidité. Notre dette reste intégralement libellée en euros et notre capacité fiscale est exceptionnelle -  parfois trop... (Sourires)

La dette française a progressé deux fois moins vite que celles des États-Unis ou du Royaume-Uni sur une longue période. Le problème, c'est le ratio dette sur PIB qui détermine sa soutenabilité : c'est lui qui dérive, parce que notre PIB croît trop lentement.

Sébastien Martin, ministre délégué.  - Exactement !

M. Stéphane Sautarel.  - Si la dette française se finance à un taux légèrement supérieur à celui de l'Italie, ce n'est pas par crainte d'un défaut français, mais parce que les investisseurs constatent un affaiblissement relatif de notre potentiel de croissance : ils distinguent ceux qui s'endettent pour investir et ceux qui le font pour différer les réformes.

Les États qui ont su engager leur transition structurelle, comme les Pays-Bas ou le Danemark, bénéficient de taux d'intérêt plus faibles. Le PIB par habitant de l'Italie, très en deçà du nôtre il y a dix ans, l'a rattrapé : les marchés rémunèrent ce différentiel de croissance. Nous payons non pas le prix de notre dette passée, mais notre manque de réformes.

Il faut une réforme intelligente, pas un simple rabot. Nous avançons comme un canard sans tête.

Retrouver une stratégie, cibler la dépense : c'est le seul chemin possible. Aux termes du plan budgétaire et structurel à moyen terme (PSMT), l'objectif est de revenir à moins 3 % de déficit d'ici à 2029. Cela suppose de dégager un excédent primaire de 0,5 point, soit une économie d'environ 100 milliards d'euros en cinq ans. Nous en sommes loin !

Mais la question n'est pas seulement : combien, mais pourquoi dépensons-nous ? Sortons d'une logique de dépense indifférenciée pour retrouver des investissements ciblés. C'est ce qu'attendent les marchés, c'est ce que comprendront les citoyens. Investir mieux, réformer davantage, expliquer nos choix : voilà les conditions d'une politique équilibrée.

Sortons du réflexe moral selon lequel toute dette serait mauvaise comme du réflexe inverse, qui consiste à la banaliser. Il nous appartient de savoir si la dette devient un instrument de puissance ou un facteur de dépendance. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC ; M. Pierre Jean Rochette applaudit également.)

M. Sébastien Martin, ministre délégué chargé de l'industrie.  - Je salue les propos de Stéphane Sautarel, extrêmement équilibrés. L'endettement n'est pas un mal en soi : on peut s'endetter pour préparer l'avenir ou pour favoriser l'innovation. Mais, depuis des années, notre dette finance autre chose que de l'investissement.

Le projet de loi de finances contient une trajectoire ambitieuse en vue de ramener notre endettement dans des limites soutenables.

Mme Nathalie Goulet .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; M. Pierre Jean Rochette applaudit également.) Ce débat est une excellente initiative - nous en avions discuté avec Laurent Saint-Martin il y a quelques années, lorsque j'étais rapporteure du programme « Engagements financiers de l'État ».

La dette annihile notre liberté d'action : nous sommes menottés, bâillonnés, c'est le goudron et les plumes -  celles perdues par l'État, les entreprises et les contribuables, bien sûr !

Je voudrais vous parler du mauvais usage des dépenses, et notamment de la folie normative. Nous creusons la dette nous-mêmes avec des normes. Leur coût est évalué entre 75 et 87 milliards d'euros pour les entreprises, et 12 à 25 milliards pour les collectivités.

Depuis 1969, nous avons empilé 37 lois, 66 ordonnances, 165 décrets et 66 circulaires - destinées à quoi ? Je vous le donne en mille : à la simplification ! (M. Sébastien Martin prononce ces derniers mots en même temps que l'oratrice.)

L'inflation normative est démesurée : 47,6 millions de mots, 84 % de plus en vingt ans, et tout cela pour de la mauvaise dépense. Les assises de la simplification n'y changeront rien et cela coûte cher aux collectivités.

Dans nos départements, les régions, les études se multiplient : c'est toujours de l'argent public mal utilisé. Je regrette la disparition des lois balai, chères à Vincent Delahaye. Mais cela dépend de nous !

Arnaud Bazin et Éliane Assassi avaient travaillé sur les cabinets de conseil : pourquoi le Gouvernement n'inscrit-il pas le texte qui en découle à l'ordre du jour ? C'est un mystère...

La fraude fiscale représente 100 milliards d'euros et la fraude sociale, 20 milliards, sans parler de la criminalité organisée ou de la fraude à la TVA - laquelle ne saurait être réduite aux petits colis... Il faut adopter le logiciel de détection précoce qu'utilisent nos voisins européens.

Aujourd'hui, le Président de la République a réuni un groupe sur le narcotrafic. Mais il faut prendre en considération toute la criminalité organisée. Monsieur le ministre, reprendra-t-on en main la lutte contre le blanchiment ?

Faites confiance au Sénat : vous ne pouvez pas attendre de réponses de personnes dont le salaire dépend de ce qu'ils n'en trouvent pas. (Applaudissements sur les travées du groupe UC)

M. Sébastien Martin, ministre délégué.  - À trop rechercher la simplification, parfois on complexifie... Il faut une réforme structurelle, d'où l'ambition du Premier ministre de réformer l'État et l'organisation territoriale. Il a fixé un cap.

Le Gouvernement souhaite aller encore plus loin en matière de lutte contre la fraude fiscale et sociale.

La circulaire du 19 janvier 2022 du Gouvernement demande une rationalisation de l'usage des cabinets privés.

Mme Nathalie Goulet.  - Cette circulaire de Mme de Montchalin a été opportunément publiée le matin de son audition devant notre commission d'enquête. Il faut écouter le Sénat ; le nombre de cabinets de conseil a encore augmenté cette année, c'est contraire aux engagements de l'État.

M. Emmanuel Capus .  - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP ; M. Olivier Bitz applaudit également.) La dette est un outil financier comme un autre pour qui se comporte en bon père ou bonne mère de famille. C'est en s'endettant que les ménages peuvent s'acheter un logement, les boulangers un four, les entrepreneurs une machine. C'est aussi un outil à destination de la puissance publique pour investir pour la nation : l'État emprunte pour financer des écoles, des hôpitaux, les infrastructures.

Malheureusement, nous n'empruntons plus pour des projets d'avenir, mais pour le quotidien -  retraites, rémunération des fonctionnaires. Nous endettons nos petits-enfants pour financer notre train de vie.

D'aucuns veulent suspendre la réforme des retraites, ou encore plus de normes ou de fonctionnaires. Or les retraites représentent un quart des dépenses publiques, et notre nombre de fonctionnaires par actif est trop élevé.

Depuis 1974, nous alimentons un déficit qui est toujours supérieur à 3 %, sauf quand Édouard Philippe était Premier ministre. En 2025, le déficit sera de 130 milliards euros, soit douze fois le budget du ministère de la justice ! Or nous n'avons pas construit de nouveaux porte-avions. Nous avons juste vécu une année de plus...

Notre dette s'aggrave, elle atteint 115,6 % du PIB, et le paiement des intérêts est en passe de devenir le premier poste de dépenses de l'État. Il est urgent d'agir. Qu'importe l'absence de majorité à l'Assemblée nationale : nous devons nous réformer rapidement pour éviter le cercle vicieux des intérêts en cascade.

Nous connaissons les moyens d'agir : 82 % des Français préfèrent une baisse de la dépense publique à une augmentation des impôts. Limitons notre dépense publique avant que le FMI ne nous y contraigne. Il faut aussi baisser les impôts, pour stimuler l'économie et ainsi augmenter nos recettes fiscales. C'est en augmentant notre activité que nous éviterons la faillite publique qui menace.

Certains rêvent de faire de l'examen du PLFSS et du PLF un moment de gabegie budgétaire. Or les économies prévues dans le budget sont insuffisantes. Quelles économies nouvelles le Gouvernement pourrait-il présenter ? (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP ; M. Vincent Delahaye applaudit également.)

M. Sébastien Martin, ministre délégué.  - Le Gouvernement attendra aussi les économies nouvelles que proposera le Sénat.

Nuançons les sondages : les Français veulent moins de dépenses, mais lorsque nous entrons dans le détail, c'est plus complexe...

La part de l'emploi public dans l'emploi général est stable : 23 % en 2017 et 22 % aujourd'hui. Nous sommes tous attachés à la qualité des agents publics.

M. Emmanuel Capus.  - Monsieur le ministre, le Sénat présentera de nouvelles économies, notamment le groupe Les Indépendants.

M. Christian Klinger .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) La situation de la dette publique est alarmante : elle devrait être au coeur de toutes nos préoccupations. Derrière le mur de la dette émerge une montagne d'investissements, indispensables pour conserver notre souveraineté et notre capacité à faire société.

Le taux d'endettement de la France est très élevé. Les crises sanitaires l'ont propulsé à des niveaux historiques. Nous sommes, derrière la Grèce et l'Italie, troisièmes sur l'inquiétant podium des pays européens les plus endettés...

Le « quoiqu'il en coûte » était justifié, mais le Mozart de la finance n'a toujours pas modifié sa partition, et joue la même musique pendant que le bateau coule... En réponse, le même refrain : le chèque. La trajectoire de la dette française n'est pas près de s'infléchir.

Le mur de dette a des conséquences très concrètes et représente un risque important : il devient de plus en plus coûteux de s'endetter. En 2020, la charge de la dette était de 30 milliards euros, contre 65 milliards d'euros en 2025, et sans doute plus de 100 milliards d'euros en 2029.

Nous rencontrons des difficultés à emprunter, et nous perdons en souveraineté. Les marchés sont réticents à acheter notre dette. Une augmentation de 1 % des taux d'intérêt, c'est 32 milliards d'euros d'intérêts en plus neuf ans plus tard.

La priorité : dégager des marges de manoeuvre pour investir.

Il y a trois solutions. Premièrement, la croissance, qui peut générer des recettes pour l'État. Il faut continuer à stimuler la croissance des entreprises, en les protégeant de l'inflation des normes et des surtranspositions.

Deuxièmement, les impôts ; mais nous sommes déjà les champions.

Troisièmement, la maîtrise des dépenses publiques. Il faut des économies pérennes pour investir. Il nous faut une dépense publique de meilleure qualité.

Il est temps de soulever le capot des politiques publiques pour voir ce qui fonctionne ou non. La voiture France est en panne. On peut changer de copilote, le Premier ministre, mais pas de pilote, le Président de la République, dont le contrat institutionnel court jusqu'en 2027.

Monsieur le ministre, en tant que passager, comment allez-vous réparer le moteur ?

M. Sébastien Martin, ministre délégué.  - Ministre de l'industrie, les moteurs, ça me connaît !

Cette année encore, nous avons eu trois fois plus de propositions que de besoin sur les marchés : la signature de la France est crédible. Il n'y a pas de risque de crise à la grecque.

Vous avez raison : nous devons stimuler notre croissance. Il est indispensable, pour ce faire, d'agir encore au niveau européen : six Omnibus de simplification sont engagés.

Il faut aussi agir pour la préférence européenne et protéger nos industries via des clauses de sauvegarde, ce que nous avons obtenu sur l'acier, et ce matin pour les ferro-alliages.

M. Christian Klinger.  - Monsieur le ministre, prêtez à vos collègues du Gouvernement votre boîte à outils, pour réparer ce qui doit l'être.

M. Didier Rambaud .  - (Applaudissements sur les travées du RDPI) Rome ne s'est pas faite en un jour ; notre dette publique non plus... Depuis 1975, le budget de l'État est déficitaire, sans interruption. Les crises ont amplifié la trajectoire de notre dette, fortement impactée par les chocs pétroliers de 1974 et 1981. Notre dette représentait 69 % du PIB en 2008 ; un an plus tard, elle avait augmenté de 14 points. En 2020, elle atteignait 98 % du PIB ; en 2021, 115 %, un niveau record - la moyenne européenne est de 87 %.

Depuis, on a tiré la sonnette d'alarme. Certes, la dette a permis de surmonter les crises, mais la crédibilité financière de notre pays vis-à-vis de nos partenaires européens et de nos prêteurs est en jeu. Notre déficit est plus important que ceux de la Grèce, du Portugal, de l'Espagne, de l'Italie. Nous aussi devons respecter les règles communes européennes.

En 2020, le « quoi qu'il en coûte » a été assumé par toutes les forces politiques. La dette n'est pas qu'un stock. Elle est notre histoire, peu importe les étiquettes des gouvernants.

Xavier Ragot, président de l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) explique que, jusqu'en 2017, les gouvernements de droite ont davantage contribué à l'augmentation de la dette publique que les gouvernements de gauche : 2,2 points de PIB par an pendant 24 ans, contre 1,6 point de PIB pendant 19 ans. L'ex-majorité présidentielle doit prendre sa part de responsabilité ; mais de grâce, que chacun prenne la sienne.

Nous sommes à un point de bascule. N'accentuons pas ce cercle vicieux. Nous devons nous inquiéter moins de la dette en tant que telle que de l'augmentation de la charge de la dette  -  70 milliards d'euros, presque le budget de l'éducation nationale, plus que celui de la défense.

Nous perdons en crédibilité, et taux et surcoûts augmentent pour l'État, les collectivités territoriales et les ménages.

À cause de cet impôt invisible, nous perdons chaque année des sommes colossales. Notre rapport à la dette doit changer : la dette n'est pas mauvaise en soi, mais il faut en faire un moyen d'investir dans l'avenir. S'endetter pour financer des dépenses courantes revient à s'appauvrir. La Banque de France rappelle que la dette doit financer des projets d'avenir.

Il faut que la dette soit acceptable : les Français ne rejetteront pas une dette expliquée, maîtrisée et crédible, une dette qui finance les futures générations, pas les déficits d'hier.

Ainsi nous rassurerons nos investisseurs. D'ailleurs, ne serait-il pas judicieux d'augmenter la part de dette détenue par la BCE ?

Notre pays doit sortir de sa relation toxique avec la dette. Elle est un outil à notre disposition que si elle sert une stratégie, pour revoir comment nous dépensons l'argent public. En l'espèce, si les records sont faits pour être battus, la France devrait céder la place à d'autres. (MM. François Patriat et Emmanuel Capus applaudissent.)

M. Sébastien Martin, ministre délégué.  - Le Premier ministre souhaite repasser sous les 3 % de déficit en 2029. Il y va de la crédibilité de la France au niveau européen.

La BCE a arrêté de racheter de la dette depuis 2022. Nous pourrions cependant en débattre.

À l'échelle européenne, il serait intéressant, sur certains grands projets, d'avoir une dette européenne.

La France s'honore de financer son effort de défense ; ce n'est pas le cas de plusieurs pays européens. En 2026, cela représente 6,7 milliards d'euros d'effort supplémentaires. Si nous n'avions pas à porter ces efforts, il serait plus facile de retrouver des trajectoires raisonnables.

Mme Florence Blatrix Contat .  - C'est un « appel à la lucidité » : voilà les mots du ministre Roland Lescure après l'annonce de la dégradation de la note de la France par Standard & Poor's.

La lucidité nous impose non de regarder le thermomètre, mais de comprendre pourquoi la fièvre monte. À nous de juger avec sévérité huit ans de macronisme : plus de 1 000 milliards de dette en plus...

M. François Patriat.  - Il y a eu la crise ! C'est honteux.

Mme Florence Blatrix Contat.  - ... alors que la dette des pays de l'Union européenne, qui ont subi les mêmes secousses conjoncturelles, est passée de 84 % en 2017 à 82 % en 2025.

Les prélèvements obligatoires ont baissé de 2,5 points de PIB : le creusement du déficit de 2,4 points est lié aux baisses d'impôts. Sans elles, la France aurait déjà atteint son objectif de 3 % et ne serait pas le troisième pays le plus endetté de l'Union.

Monsieur le ministre, si vous préparez le même plat avec les mêmes ingrédients, ne vous attendez pas à ce que le goût change ! Et ces ingrédients, les Français n'en veulent plus. Les socialistes vous le disent clairement : nous attendons des ressources nouvelles, pérennes et justes.

Comment expliquer que les 500 plus grandes fortunes françaises, dont le patrimoine a doublé depuis 2017, contribuent si peu ? La taxe Zucman est une réponse pragmatique à un problème de soutenabilité de notre dette et de justice sociale.

Et toujours les mêmes réflexes pavloviens : vos troupes refusent des recettes supplémentaires en défiscalisant les heures supplémentaires, soit 1 milliard d'euros en moins, et affichent toujours les mêmes cache-misère, comme la diminution de l'aide médicale de l'État (AME) ou la rationalisation des agences de l'État, qui ne rapporterait que 500 millions d'euros. On remplace la politique par le slogan, la rigueur par l'incantation. (M. Victorin Lurel renchérit.)

Les freins à l'offre font place aux freins à la demande : pourquoi mener une consolidation budgétaire brutale, alors que l'économie française souffre d'un manque de consommation et de confiance, pas d'un excès de demande ?

Nous connaissons les efforts nécessaires pour stabiliser la dette : 120 milliards d'euros. Dans le même temps, les besoins sont énormes pour l'éducation, la santé, l'environnement... Déterminons une trajectoire budgétaire qui ne casse pas la croissance et sur qui doit porter l'effort. C'est une question d'efficacité économique et de justice sociale.

Alors que près de la moitié du dérapage vient de vos choix fiscaux, que vous risquez de casser des emplois, pourquoi refuser une contribution accrue des plus grandes fortunes, indispensable pour redresser nos comptes et financer nos priorités nationales ? Sur qui ferez-vous peser les efforts ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER)

M. Victorin Lurel.  - Très bien !

M. Sébastien Martin, ministre délégué.  - La même recette qui consiste à augmenter toujours plus les impôts a un mauvais goût de non-croissance... (M. Pascal Savoldelli proteste.)

N'accablons pas les entreprises. D'ailleurs, je leur tire mon chapeau : leur croissance est restée à 0,9 % au dernier trimestre ; lors du sommet Choose France, nous avons annoncé plus de 30 milliards d'euros d'investissements de nos entreprises dans notre pays.

Certes, débattons, mais ne cassons pas le moteur de la croissance. Augmenter encore plus la fiscalité sur ceux qui créent de la richesse n'est pas une solution.

Mme Florence Blatrix Contat.  - Vos baisses d'impôts n'ont pas alimenté la croissance. (M. Sébastien Martin le conteste.) Selon la Cour des comptes, la suppression de la taxe d'habitation a eu un effet anti-redistributif. La baisse de 18 milliards d'euros d'impôts de production n'a pas eu d'effet sur la croissance. (M. Victorin Lurel renchérit.) Notre croissance est moindre que la moyenne européenne, et notre productivité a baissé depuis 2019. Retrouvons un équilibre et des recettes fiscales plus justes.

M. Pierre Barros .  - La dette s'élève à 3 400 milliards d'euros, dont 80 % pour l'État et 20 % pour les collectivités territoriales. C'est vertigineux, mais il faut rapporter ce chiffre à notre capacité de refinancement et à notre solvabilité. Or la France se refinance sans difficulté : les titres français sont largement demandés.

La maturité de nos titres est de 8 ans et 173 jours. En 2026, nous pourrions émettre 300 milliards d'euros de titre, dont la moitié pour rembourser nos créances arrivant à extinction. C'est ainsi que nous faisons « rouler » notre dette. La dette publique est par construction une dette perpétuelle, comme l'avait montré Éric Bocquet.

Quant à la charge des intérêts, elle reste contenue : ce sera 1,9 % du PIB pour 2026, contre 3,3 % du PIB dans les pays de l'OCDE. C'est moins qu'au Royaume-Uni, qu'en Italie, qu'aux États-Unis.

La France est solvable au-delà de tous soupçons, avec 4 447 milliards d'euros de patrimoine solvable. Certes, chaque Français hérite de 55 600 euros de dettes, mais aussi de 64 800 euros de patrimoine collectif. En outre, près de la moitié de cette dette est détenue par des acteurs français, et le premier détenteur de titres est la Banque de France -  environ un quart.

La dette publique n'est pas en soi un problème. Le problème, c'est sa financiarisation, la structure de ses détenteurs et l'usage qui en est fait.

Depuis 2017, l'État a émis 1 915 milliards d'euros de titres pour financer les déficits et amortir la dette ; dans le même temps, les intérêts versés représentent 378 milliards d'euros, soit autant d'argent public redistribué sous forme de rente.

Il faut établir un plancher minimal de détention de titres publics et réintroduire un circuit du Trésor modernisé.

Depuis 2017, la dette a servi à compenser les cadeaux fiscaux et non à financer les services publics. (M. Pascal Savoldelli acquiesce.) Sur la même période, 450 milliards de recettes ont disparu, et, chaque année, 211 milliards d'euros d'aides et exonérations sont accordés aux entreprises, sans condition ni évaluation. Voilà ce qui alimente le déficit.

La dette française n'est pas trop élevée, elle est trop rentable pour ceux qui la détiennent, c'est-à-dire pour ceux que vos politiques protègent. La dette n'est pas un fardeau, mais un choix politique : vous la mettez au service des marchés ; quand la mettrez-vous enfin au service de la collectivité ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K ; Mme Florence Blatrix Contat applaudit également.)

M. Sébastien Martin, ministre délégué.  - Il faut agir pour que la charge de la dette ne devienne pas un fardeau, justement. Elle doit rester dans une épure raisonnable - 2,2 % du PIB, pour qu'elle n'avoisine pas les 3 % de notre PIB, comme c'est la tendance.

Évidemment, le but de la dette est de financer des investissements. Malheureusement, notre dette finance des dépenses de fonctionnement, le service public. L'endettement de la France ne sert pas simplement à alimenter les marchés financiers...

M. Grégory Blanc .  - Ce débat est un premier tour de piste avant l'examen des textes financiers.

La dette est d'abord un ratio de solvabilité. Son niveau n'est critique qu'en cas d'impossibilité de remboursement. C'est donc une question de revenus. Le banquier regarde non pas les montants du prêt, mais les revenus et la crédibilité de l'emprunteur.

Or la gestion menée en 2023 et 2024 a été déficiente - cela a été largement documenté et débattu ici. L'irresponsabilité des récents gouvernements a fragilisé notre assise financière. En 2025, des événements dignes du théâtre de boulevard - séquences Bayrou, Lecornu I, Lecornu II  - nous ont coûté 0,3 point de croissance, soit 10 milliards d'euros de manque à gagner pour nos finances publiques. Quand on est aux manettes, on doit avoir le sens de l'État.

Nous constatons des problèmes de prévision et de suivi. Pourquoi le suivi de la TVA n'est-il pas rigoureux ? Personne n'est capable de dire pourquoi des milliards d'euros manquent ! Notre processus budgétaire mérite plus de transparence : revoyons le rôle du Haut Conseil des finances publiques (HCFP) et la date de dépôt du projet de loi de finances ; je propose aussi un nouveau véhicule financier, un projet de loi de finances d'équilibre.

Nos recettes publiques croissent moins vite que l'inflation : ainsi, nos recettes réelles diminuent. Or le cycle économique s'est retourné. Il y a quelques années, il fallait diminuer la fiscalité sur la productivité, mais aujourd'hui il faut prioritairement régler le problème de la demande : investir en faveur du logement, des infrastructures et de l'innovation est nécessaire. Il faut que chacun contribue à la hauteur de ses moyens ; soutenons les secteurs en difficulté, comme le bâtiment.

L'État est schizophrène à l'égard des collectivités : il leur demande d'emprunter davantage pour éviter une dette écologique, tout en se plaignant que la dette - selon les critères de Maastricht - augmente. L'État doit se doter d'une doctrine. (M. Philippe Grosvalet applaudit.)

M. Sébastien Martin, ministre délégué.  - Sur la crédibilité de la France, j'ai déjà répondu.

L'instabilité politique - je ne partage pas forcément votre diagnostic  - nous a coûté très cher, moins 0,3 point de croissance, soit près de 10 milliards d'euros.

L'assiette de la TVA évolue positivement ; pourtant, le produit constaté n'est pas à la hauteur. Amélie de Montchalin a lancé une mission à ce sujet. (M. Vincent Delahaye s'exclame.)

Dans le sprint économique, les entreprises françaises ne sont pas les mieux chaussées... N'alourdissons pas le fardeau.

M. Grégory Blanc.  - La priorité, c'est la stabilité, d'où la nécessité de trouver des compromis. Soyez responsables et raisonnables.

Les entreprises procèdent massivement à des rachats d'action. C'est qu'il y a de l'argent dans les caisses ; à nous de le réorienter.

M. Stéphane Ravier .  - En huit ans, 1 200 milliards d'euros de dette en plus ! Emmanuel Macron aura été à Mozart ce que Sébastien Delogu est à Molière : une agression.

Nous sommes face à un mur, ou plutôt entre les quatre murs d'une détention. De fait, 55 % de notre dette est détenue hors de France - 60 % à la fin du second quinquennat Macron. Nous sommes détenus par ceux qui détiennent notre dette, en souveraineté conditionnelle, tributaires des marchés internationaux et agences de notation.

Depuis onze ans, je propose d'attaquer ce mur de la dette à la tronçonneuse. Hélas, nos hémicycles parlementaires sont devenus des chambres de gestion de la dette : on y discute du rythme auquel l'augmenter. Cette année, le Gouvernement propose un déficit de la sécurité sociale de 17 milliards d'euros, l'Assemblée nationale l'augmente à 24 milliards et le Sénat, chambre de la raison, tente de trouver un compromis à 20 milliards...

Sans rupture avec l'accouplement idéologique entre l'assistanat remplaciste de la gauche et le globalisme de la droite qui soutient Mme von der Leyen, nous finirons la décennie avec une charge de la dette de 100 milliards d'euros par an. Si nous avions augmenté notre dette au même rythme que nos voisins européens, eux aussi frappés par la guerre en Ukraine, le Covid et la crise énergétique, nous en aurions 500 milliards d'euros de moins !

Il est temps de faire des économies structurelles en bousculant les tabous : rejetons la tentation totalitaire de l'État en réduisant son train de vie, ses normes et l'élargissement constant de ses compétences à de nouvelles préoccupations sociétales ; supprimons les agences ; mettons un terme à l'assistanat migratoire ; réformons notre modèle social pour soutenir les familles françaises ; supprimons l'audiovisuel public.

Au lieu de cela, le Gouvernement aggrave notre dette de 150 milliards d'euros supplémentaires cette année, un nouveau sommet qui laisse place au murmure de la tutelle étrangère.

En plus de la soutenabilité de la dette, la question se pose de sa détention. Sommes-nous entre les mains de l'Allemagne, du Qatar, de la Chine, de la Russie ou des États-Unis ? Quelles mesures comptez-vous prendre pour réduire notre dépendance ?

M. Sébastien Martin, ministre délégué.  - Les trois quarts de notre dette sont détenus par des investisseurs européens, auxquels nous lie notre monnaie commune. Ne cherchez donc pas à faire croire que nous serions vulnérables parce que notre dette n'est pas conservée dans un coffre-fort national. C'est au contraire notre stratégie : ne pas mettre tous nos oeufs dans le même panier.

Plus précisément, un quart de notre dette est détenu par des investisseurs français, un autre par la BCE, un autre par des investisseurs européens. Inutile de tenter d'alimenter des fantasmes. Moins d'emphase, plus de sagesse !

M. Raphaël Daubet .  - Difficile d'y voir clair sur l'épineuse question de la dette. Notre pays est dans une situation extrêmement préoccupante ; nous devons la considérer avec lucidité, mais aussi en prenant du recul.

La dette est, premièrement, un piège. Le cadre européen que nous avons contribué à bâtir reste inachevé, au moment où la compétition entre États, y compris européens, s'exacerbe. La monnaie unique exige une nouvelle approche de la complémentarité et de la solidarité entre économies européennes.

Notre dette est détenue par une majorité d'investisseurs étrangers, et son service annuel pèse sur notre capacité d'action. Notre souveraineté est en cause, alors que les marchés imposent leurs taux et que nous devenons les otages tremblotants des agences de notation. On peut considérer que ce système nous enferme dans une logique d'appauvrissement de l'État au profit des marchés.

L'Union européenne ne peut rester au milieu du gué. Elle doit se doter de nouveaux mécanismes pour protéger les États du piège de la dette. Mario Draghi et Enrico Letta plaident pour une mutualisation accrue d'outils de financement, voire un Trésor commun : débattons-en.

La dette est, deuxièmement, le symptôme d'une économie malade ; elle comble chaque année ce que notre économie ne produit plus. Regardons-la à la lumière de notre déficit commercial - ce qui ne dispense pas de réduire le train de vie de l'État ou d'ajuster nos recettes. Ne pas voir qu'elle finance l'effondrement productif français serait une erreur funeste : tant que le déficit commercial persistera, le recours à la dette continuera de s'imposer.

Le seul remède, c'est la relance d'une véritable politique industrielle pour renouer avec la prospérité et, plus largement, le développement. Il faut pour cela une politique d'investissement transversale : énergie, formation, commerce extérieur, politique migratoire. Nous devons aussi renforcer notre autonomie stratégique en nous appuyant sur nos outre-mer et nos partenariats internationaux.

La dette nous impose une action cohérente pour la réussite de la France dans un monde de rupture. (Vifs applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe SER ; M. Alain Chatillon applaudit également.)

Présidence de M. Alain Marc, vice-président

M. Sébastien Martin, ministre délégué.  - Ministre chargé de l'industrie, je ne puis qu'abonder dans votre sens. Le rapport Draghi doit être la feuille de route de la Commission européenne pour relancer la compétitivité de notre continent.

Oui, la réindustrialisation est la clé. Cette année, nous traversons une passe difficile, mais n'oublions pas les 130 000 emplois industriels créés ces dernières années. L'inversion de la courbe du nombre d'usines, dont d'autres avaient parlé, a été menée à bien.

Continuons à investir dans l'innovation, sortons de la naïveté au niveau européen, rapprochons la formation des territoires, assurons un cadre stable. Et faisons-le en concertation avec les élus locaux. Bercy en a besoin pour réindustrialiser le pays !

M. Vincent Delahaye .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur certaines travées du groupe Les Républicains) Ce débat est essentiel : songez que nos 3 416 milliards d'euros de dette représentent onze années d'impôts et de taxes !

D'où vient cette dette ? Uniquement de baisses d'impôts non financées ? Non. Je regrette que la malheureuse dissolution ait mis un terme aux travaux de la commission d'enquête de l'Assemblée nationale sur les causes de la dette. Celle-ci provient à 34 % de baisses d'impôts non financées, mais à 25 % du « quoi qu'il en coûte » et à 40 % des retraites et de leur déficit caché, dont on ne parle jamais.

La gauche propose de continuer à augmenter les dépenses et les impôts. (Marques de dénégation sur plusieurs travées à gauche) On voit pourtant ce que cette politique a donné. La seule chose qui n'ait jamais été tentée, c'est de baisser les dépenses. Or c'est ainsi que de nombreux pays sont parvenus à redresser leurs finances publiques.

Dans mon livre Des économies en veux-tu en voilà, j'avance des solutions pour réaliser des économies un peu partout. J'ai été déçu, monsieur le ministre, par votre réponse à Emmanuel Capus. Des propositions, nous en avons faites. Quelles sont les vôtres ?

Notre dette s'emballe : nous aurons emprunté 310 milliards d'euros cette année. Quelle est dans ce montant la part de « bonne dette » ?

Il y a quelques années, quand les taux d'intérêt étaient peu élevés, voire négatifs, nous mettions en garde contre le retournement. Nous y sommes, avec un taux de 3,5 %. À partir de quel niveau pensez-vous que l'emballement nous conduira dans une spirale infernale ? Et à partir de quelle note de crédit rencontrerons-nous des difficultés pour nous financer ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur quelques travées du groupe LeRépublicains)

M. Sébastien Martin, ministre délégué.  - Une part importante de notre dette est liée à notre système de protection sociale, qui doit être réformé. À cet égard, l'Assemblée nationale a choisi de suspendre la réforme des retraites, mais la position du Sénat est différente.

Le bon niveau de déficit, c'est celui qui permet l'adoption d'un budget amorçant le retour à 3 % en 2029 - niveau à partir duquel nous cesserons d'aggraver notre endettement.

Il est compliqué de répondre sur les taux : ils étaient négatifs il y a quelques années, mais de 5 à 6 % avant 2008.

Les agences de notation nous accordent 16 sur 20, ce qui n'est pas si mal - même si je préférais 18. La situation reste maîtrisée.

Vous avez toutes et tous appelé à la responsabilité. Notre responsabilité, c'est de tenir la trajectoire de retour à 3 % en 2029.

M. Vincent Delahaye.  - Les intérêts de la dette s'emballent : ils représenteront bientôt notre premier poste de dépenses ! Je le répète, la seule politique qui n'ait jamais été tentée est la baisse des dépenses. Mais il faut du courage. La démagogie est aisée, mais la rigueur difficile ! (Applaudissements sur des travées des groupes UC et Les Républicains)

M. Jean-Baptiste Blanc .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Le débat sur la dette reste trop souvent enfermé dans une lecture strictement nationale, alors que notre trajectoire financière dépend de celle de l'Union européenne, qui entre dans une phase décisive. En effet, nous devrons rembourser entre 2028 et 2035 les 800 milliards d'euros émis en commun pour le plan NextGenerationEU : c'est un choc de financement inédit qui s'annonce.

Le risque est que ce remboursement absorbe tout le budget européen, au détriment de nos priorités stratégiques. La dette européenne, conçue comme levier de puissance, deviendrait alors un facteur de paralysie. Une solution s'impose : faire rouler une partie de cette dette, comme le préconise notamment Mario Draghi. Il s'agit d'adopter les pratiques de gestion active en lissant les maturités pour éviter un mur de refinancement : cette stratégie renforcerait la crédibilité financière de l'Union européenne et nous permettrait de financer les investissements indispensables à notre souveraineté collective.

Mais une discipline nationale sera nécessaire. De ce point de vue, la Fondapol propose d'inscrire dans notre Constitution et dans la Lolf une règle budgétaire de moyen terme protectrice pour les générations futures : une obligation d'équilibre hors cycle pour les budgets de l'État et de la sécurité sociale, une obligation d'amortissement en cas de dérapage et des dérogations strictement encadrées.

Enfin, vous connaissez mon obsession pour le ZAN... (Sourires sur de nombreuses travées) Quelles sont les pertes de recettes liées à cette mesure de décroissance, qui a entraîné l'abandon de nombreux projets industriels et de logements ?

M. Sébastien Martin, ministre délégué.  - Le sénateur Blanc a toujours une petite surprise dans sa manche... (Sourires)

Le Gouvernement a proposé d'exempter les projets industriels du ZAN dans le cadre d'un projet de loi qui connaît un cheminement chaotique. Il faut faire évoluer les règles en faveur du développement économique.

L'Europe est un grand marché, et c'est une force. Mais elle doit devenir aussi une puissance économique et industrielle.

M. Laurent Duplomb.  - Il y a de quoi faire !

M. Sébastien Martin, ministre délégué.  - C'est pourquoi la Commission européenne doit faire du rapport Draghi sa feuille de route. Nous ne pouvons pas être les seuls à ne pas voir que les États-Unis et la Chine subventionnent et protègent leur industrie. Sortons de la naïveté ! Certains de nos partenaires européens considèrent les règles de l'OMC comme une bible. Mais on peut être croyant tout en s'adaptant dans la pratique : c'est la condition d'une Europe puissance.

Mme Frédérique Espagnac .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) La dette est un enjeu essentiel pour notre pays.

Le Gouvernement veut faire peser une part considérable du redressement sur les collectivités locales. Or celles-ci respectent la règle d'or, et leur dette est stable depuis trente ans, voire en légère diminution.

La contribution de 4,6 à 8 milliards d'euros exigée par le Gouvernement pour 2026 n'est pas un ajustement technique. Elle affectera l'investissement et réduira davantage encore l'autonomie financière locale.

La dette est problématique lorsqu'elle ne finance pas l'avenir. Or les collectivités territoriales assurent 58 % des investissements publics civils. La baisse de leurs investissements aura des effets sur les transitions écologique et numérique et sur la vitalité économique et sociale des territoires.

Les collectivités territoriales représentent 8 % de la dette, mais vous leur demandez 15 % de l'effort ! Baisse des compensations, écrêtement de la TVA, hausse des cotisations à la CNRACL, doublement du Dilico - et j'en passe : ce n'est plus un effort, mais un désengagement mal masqué et une tentative de déplacer la dette de l'État vers les collectivités. Ce sont les écoles, les infrastructures, les associations qui en subiront les conséquences.

Le budget n'est pas un concours de vertu budgétaire ; il faut un débat sur le sens, les priorités, la vision. Le groupe SER assume une dette qui prépare l'avenir en finançant notamment la transition écologique et les infrastructures. L'investissement des collectivités a déjà reculé de 16 % l'année dernière : le nouveau tour de vis qui s'annonce sera clairement récessif pour les territoires ! (Applaudissements sur les travées des groupeSER et CRCE-K)

M. Sébastien Martin, ministre délégué.  - Il est légitime que, au Sénat, on défende les collectivités territoriales. Au congrès des régions, le Premier ministre s'est montré ouvert sur les efforts qui leur sont demandés. Président d'une association nationale d'élus locaux, je ne méconnais pas le rôle des collectivités dans l'investissement, la réindustrialisation et la cohésion du pays. Je ne doute pas que le débat dans votre assemblée sera extrêmement riche et je souhaite qu'il aboutisse dans un esprit de responsabilité partagée.

Mme Frédérique Espagnac.  - Merci pour votre réponse responsable. Le Premier ministre a, en effet, envoyé quelques signes. Il est essentiel de ne pas mettre en péril notre tissu économique local. Ne fragilisons pas l'activité et l'emploi des nombreuses entreprises qui dépendent de l'investissement des collectivités !

M. Jean-Raymond Hugonet .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) La France aborde l'exercice budgétaire 2026 avec un déficit public indécent et une dette accablante, dans un contexte politique chaotique.

Les agences Fitch et Standard & Poor's ont altéré notre note. Tant que les taux restent bas, tout va bien ; mais s'ils venaient à augmenter, la charge de la dette atteindrait un niveau difficilement soutenable. C'est une véritable bombe à retardement !

Peu enviable, notre situation n'a rien d'étonnant si l'on considère le clientélisme dans lequel notre pays se complaît de longue date et qui a atteint son paroxysme avec le « quoi qu'il en coûte ». Qu'il survienne un virus, un choc énergétique ou un nuage de sauterelles, l'État est là pour nous protéger !

Soyons honnêtes : cette protection XXL, nous y avons pris goût. Seulement, elle est devenue incontrôlée, nous plaçant dans une situation critique qui appellerait une réaction budgétaire vigoureuse. Eh bien non ! Notre addiction reprend le dessus : on ressort la machine à taxer. C'est un suicide collectif.

L'effort structurel indispensable étant démocratiquement presque impossible à obtenir, la politique de l'autruche est de retour. On trouve même de brillants esprits pour expliquer que la situation n'est pas si grave, que la France est trop grosse pour tomber. Un défaut, même partiel, sur la dette française créerait une onde de choc qui plongerait l'économie mondiale dans la crise : nul n'y aurait intérêt.

Rappelez-vous ce que les mêmes disaient en 2008 au sujet de la très puissante banque Lehman Brothers ! On connaît la suite... Il ne nous reste donc plus qu'à ressortir les amulettes et à croiser les doigts. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Sébastien Martin, ministre délégué.  - Je ne suis pas sûr qu'on puisse comparer le covid à un nuage de sauterelles... La réaction d'ampleur de l'État à cette crise a reçu le soutien de l'ensemble des forces politiques. Certes, le frein aurait pu être actionné plus tôt, mais les mesures prises, quoique très coûteuses, étaient indispensables. Je partage votre gravité, mais le Gouvernement défend une trajectoire de redressement - et on ne peut comparer la France à une banque ayant mis en place des pratiques frauduleuses.

M. Jean-Raymond Hugonet.  - Depuis le début de ce débat, vous nous servez les mêmes sempiternels confettis de parole, comme les 176 ministres que nous avons connus depuis le début de la présidence Macron - dont M. Le Maire, qui a menti à la représentation nationale.

Les sommes versées pendant le covid n'ont pas été correctement contrôlées ; le rapporteur général Husson pourrait en dire long sur le sujet.

Vous pensez que notre dette ne pose pas trop problème, parce que nous sommes un pays riche. Mais Lehman Brothers avait des stocks de dette française, et ces gens-là ont été couverts ; on a découvert la situation quand l'État américain les a laissés tomber. Prenez garde !

M. Stéphane Le Rudulier .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Une dette de 3 400 milliards d'euros, plus de 50 000 euros par Français, contre 3 000 euros en 1990 : cette spirale dévore notre souveraineté et notre avenir. Nous acquitterons cette année 75 milliards d'euros d'intérêts, autant d'argent qui part dans les poches de nos créanciers plutôt que dans nos écoles et nos routes, siphonnant une part croissante de nos ressources.

Pendant quarante ans, nous avons laissé l'État enfler, avec ses administrations et ses normes, et les impôts s'ajouter aux impôts. Mais tandis qu'il est en faillite, les collectivités locales sont vertueuses. Matignon devrait prendre conseil auprès des maires plutôt que du Parti socialiste !

Aujourd'hui, la dette finance l'immobilisme et le déclassement du pays ; elle entretient l'illusion que l'État peut tout résoudre, alors qu'il ne parvient même plus à se financer.

Il est temps de tout changer, de ramener l'État à ce qu'il doit être : un État régalien limité, mais solide et efficace. Il faut agir maintenant, et par nous-mêmes.

Sortons de l'endettement, conséquence d'un État hypertrophié, pour demeurer souverains. Comme le disait Jefferson, il est immoral de léguer une dette aux générations qui nous suivent. Refusons la facilité, le déclin et la servitude ; réduisons le périmètre de l'État pour libérer la nation ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Sébastien Martin, ministre délégué.  - Je salue votre esprit d'exigence et de responsabilité, en espérant qu'il mènera à l'adoption d'un budget pour le pays. Les Françaises et les Français ressentent une forme d'angoisse de ne pas voir le bout du tunnel. Oui, il faut transformer l'État : c'est le sens du projet de loi sur la décentralisation et la réforme de l'État annoncé par le Premier ministre.

M. le président.  - Veuillez poursuivre, pour votre conclusion.

M. Sébastien Martin, ministre délégué chargé de l'industrie .  - Je remercie le Sénat pour l'initiative de ce débat riche ; j'ai eu grand plaisir à échanger avec vous.

La dette, si nous ne la maîtrisons pas, c'est le passé qui pèse sur notre avenir. Si nous retrouvons des marges de manoeuvre, elle sera un levier d'action pour préparer l'avenir.

Elle atteint 115,6 % de notre PIB à la suite de crises successives, notamment le covid, qui a entraîné des mesures coûteuses mais nécessaires.

Nos efforts produisent de premiers résultats : le déficit atteindra cette année, à 5,4 %, le niveau inscrit en loi de finances. Mais, soyons honnêtes, il reste trop élevé par rapport à ceux de nos voisins. C'est pourquoi l'objectif du Gouvernement ne variera pas : repasser sous les 3 % en 2029. C'est indispensable pour notre crédibilité, au moment où nous empruntons plus cher que le Portugal et l'Espagne.

Mais nous devons aussi garder la tête froide. Notre économie est solide, avec une croissance de 1,1 % en 2024, et notre inflation maîtrisée sous les 2 %. Notre politique entretient cette dynamique. La France continue à se financer dans de bonnes conditions : la demande des investisseurs est en moyenne trois fois supérieure à l'offre. Nos émissions sont régulières et prévisibles et nous pouvons compter sur un marché diversifié, ainsi que sur le succès de nos titres durables.

Ce n'est pas en augmentant la charge pesant sur nos entreprises que nous maîtriserons notre dette. J'appelle à la modération fiscale et je sais pouvoir compter sur le Sénat pour défendre notre industrie et nos emplois. Les investisseurs ont besoin de prévisibilité ; notre levier fondamental, c'est la stabilité.

Le Premier ministre a défini une stratégie de responsabilité : soutien à notre appareil productif, maîtrise des dépenses de l'État et juste effort demandé aux collectivités, redressement des comptes sociaux, simplification et réduction des normes.

La dette n'est pas une fatalité, mais un défi à relever pour continuer à investir, protéger et décider souverainement.

M. Michel Canévet, pour le groupe UC .  - Les groupes UC et Les Républicains ont souhaité ce débat avant le début des discussions budgétaires, tant le sujet est important. Merci à tous les orateurs, qui ont apporté leurs éclairages différents.

Stéphane Sautarel a rappelé que nous empruntons pour maintenir le présent et non préparer l'avenir. Emmanuel Capus a souligné que nous endettions nos petits-enfants pour financer notre train de vie présent. Christian Klinger a signalé que nous sommes troisièmes sur le podium européen de l'endettement. Didier Rambaud a rappelé que la dette a des conséquences sur les entreprises et les ménages. Florence Blatrix Contat a fait observer que la part des dépenses publiques est restée stable, tandis que les prélèvements obligatoires ont baissé. Pierre Barros a évoqué les 211 milliards d'aides aux entreprises, qui alimenteraient le déficit. Grégory Blanc a évoqué un problème de demande et fait part de ses inquiétudes sur le logement et l'innovation. Raphaël Daubet a insisté sur la prise en compte du déficit commercial. Vincent Delahaye a expliqué que la dette représentait onze années d'impôts et de taxes. Frédérique Espagnac a rappelé que la dette des collectivités territoriales ne représente que 8 % du total. Jean-Raymond Hugonet a dénoncé le clientélisme et le « quoi qu'il en coûte ». Stéphane Le Rudulier a évoqué l'illusion que l'État pourrait tout résoudre.

La dette liée à l'État représente 80 % de l'endettement ; la sécurité sociale représente un peu plus de 10 % du total, les collectivités territoriales un peu moins. Nous empruntons aujourd'hui à un taux élevé - 3,5 % à 8 ans. Une part majoritaire de notre dette est détenue à l'étranger, même si la part européenne est prépondérante. Si nous ne faisons rien, la charge de la dette atteindra 100 milliards d'euros en 2030.

Certains disent qu'il faut plus de prélèvements obligatoires, mais nous sommes déjà à un niveau parmi les plus élevés au monde. Comment aller plus loin sans décourager ceux qui veulent investir ? Pour nombre d'entre nous, il faut absolument réduire la dépense, pour respecter nos engagements européens et assurer la stabilité de l'euro, mais aussi pour retrouver des marges d'action et ne pas reporter sur les générations futures nos errements d'aujourd'hui.

Comme l'ont souligné notamment Nathalie Goulet et Jean-Baptiste Blanc, il faut réduire l'inflation normative, tout ce qui empêche les projets de se concrétiser - c'est le moyen de relancer l'économie sans dépenser un centime !

Maîtriser la dette, c'est aussi le moyen d'avoir les moyens d'investir dans la transition énergétique et écologique.

Agissons dès les textes financiers dont l'examen s'annonce !

Prochaine séance demain, mercredi 19 novembre 2025, à 15 heures.

La séance est levée à 17 h 55.

Pour le Directeur des Comptes rendus du Sénat,

Rosalie Delpech

Chef de publication

Ordre du jour du mercredi 19 novembre 2025

Séance publique

À 15 heures et 16 h 30

Présidence : M. Gérard Larcher, président, M. Loïc Hervé, vice-président

1Questions d'actualité au Gouvernement

2. Projet de loi de financement de la sécurité sociale, transmis en application de l'article 47-1, alinéa 2, de la Constitution, pour 2026 (n°122, 2025-2026) (discussion générale)