Questions orales

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle les réponses à des questions orales.

Obligation de déclaration domiciliaire

M. Pierre-Jean Verzelen .  - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP) « On ne connaît plus les habitants de nos communes », déplorent les maires. Il fut un temps où les nouveaux habitants venaient naturellement se présenter en mairie, où le maire savait qui habitait où. Le recensement tous les cinq ans n'y suffit pas. Quand j'étais maire, j'aurais aimé que la commune connaisse précisément la composition des foyers. Cela aurait été précieux lors de la crise sanitaire, des plans canicule, des événements climatiques.

Qu'un maire rural connaisse tous ses habitants, c'est bien le minimum ! Cela serait d'ailleurs très utile aux arrivants.

L'obligation de se déclarer en mairie, dans un délai allant de trois à soixante jours, existe en Allemagne, en Suède, en Espagne ; la non-déclaration y est passible d'une amende administrative. C'était le cas en Alsace-Moselle encore récemment.

La proposition de loi d'Elsa Schalck, largement cosignée, apporte une réponse. Michel Fournier, ancien président des maires ruraux et actuel ministre délégué à la ruralité, plaidait pour. Quelle est la position du Gouvernement ? Je conçois que le fonctionnement ne pourra être le même dans le 6e arrondissement de Paris que dans une commune comme Crécy-sur-Serre... (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et UC)

Mme Françoise Gatel, ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation .  - Le souhait des maires de disposer d'un état aussi exact que possible de leur population est tout à fait entendable. Cela ne doit toutefois pas conduire à la constitution d'un fichier de données à caractère personnel, incompatible avec les principes constitutionnels de liberté d'aller et venir et de respect de la vie privée. Le Conseil constitutionnel, dans une décision de mars 2014, a précisé que la création d'un traitement de données à caractère personnel doit être justifiée par un motif d'intérêt général.

L'affaire n'est donc pas si simple : il faudrait une base de données centralisée et des règles de gestion strictes.

Néanmoins, dans les pays - parfaitement démocratiques - où de tels registres sont prévus, la déclaration domiciliaire alimente une base de données de référence pour l'exercice de nombreuses démarches administratives, selon le principe « dites-le-nous une fois » : ouverture d'un compte bancaire, inscription à l'école, inscription sur les listes électorales.

À titre personnel, je trouve que l'idée mérite d'être explorée. J'invite la chambre des territoires à réfléchir un cadre juridique souple et respectueux des libertés - n'est-ce pas, monsieur Loïc Hervé, vous qui étiez membre de la Cnil - car les élus ont besoin de mieux connaître leur population. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP ; M. Loïc Hervé applaudit également.)

Exonération de la taxe sur les salaires au bénéfice des entreprises à but d'emploi

M. Simon Uzenat .  - Depuis 2020, le dispositif Territoire zéro chômeur de longue durée permet de créer des emplois supplémentaires sans concurrencer le tissu économique existant. Il s'agit d'embauches en CDI, à temps choisi, avec un comité local pour l'emploi ; les collectivités jouent un rôle clé. L'État et les départements financent le dispositif via la contribution pour le développement de l'emploi (CDE).

Or les contrôles et redressements fiscaux au titre de la taxe sur les salaires, dont les montants peuvent atteindre des dizaines de milliers d'euros, mettent en péril l'existence même des entreprises à but d'emploi (EBE). Celles-ci demandent à être exonérées de la taxe sur les salaires, à l'instar des entreprises adaptées - en effet, les aides de l'État aux entreprises adaptées sont qualifiées de subventions exceptionnelles, et ne sont donc pas assujetties à la taxe sur les salaires.

Les EBE accompagnent des personnes durablement éloignées de l'emploi, je l'ai constaté dans les Côtes-d'Armor ou à Vannes. Elles leur offrent une opportunité incomparable. J'espère un soutien de votre part.

Mme Stéphanie Rist, ministre de la santé, des familles, de l'autonomie et des personnes handicapées .  - Ces CDI dans des entreprises de l'économie sociale et solidaire s'adressent aux personnes privées d'emploi depuis plus d'un an, ayant accompli des démarches actives de recherche d'emploi et résidant depuis au moins six mois dans un territoire habilité. Les emplois créés répondent à des besoins identifiés localement et ne se substituent pas à des emplois existants. Le financement est notamment assuré par l'État via la CDE, dont le montant, fixé annuellement par arrêté, représente entre 53 et 102 % du Smic.

La taxe sur les salaires s'applique en principe aux employeurs non assujettis à la TVA, ou qui l'ont été sur moins de 90 % de leur chiffre d'affaires ou de leurs recettes au cours de l'année précédant le versement des rémunérations. Le calcul de ce seuil repose sur un rapport d'assujettissement qui intègre les subventions et financements non soumis à la TVA.

Toutefois, la doctrine fiscale opposable prévoit que les subventions exceptionnelles ne sont pas prises en compte pour le calcul de ce rapport. L'administration considère comme exceptionnelles les aides à l'emploi et à l'embauche, y compris lorsqu'elles sont attribuées sous forme forfaitaire par l'État. Dans ce cadre, la CDE n'a pas vocation à être intégrée dans le calcul du rapport d'assujettissement à la taxe sur les salaires. Une précision de la doctrine fiscale sera prochainement apportée afin de sécuriser cette interprétation.

M. Simon Uzenat.  - C'est une très bonne nouvelle, pour les bénévoles et les bénéficiaires. Nous ne demandions pas le Père Noël, mais souhaitions éviter le Père Fouettard ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER)

Agressions et intimidations visant les librairies indépendantes

M. Ian Brossat .  - Dernièrement, des librairies indépendantes ont été la cible d'attaques répétées. Dans la nuit du 7 au 8 juillet, dans le 11e arrondissement de Paris, la librairie Violette and Co voyait sa vitrine attaquée à l'acide - puis la librairie La Tête Ailleurs, dans le même 11e arrondissement, ainsi que la librairie Petite Égypte, dans le centre de Paris. À Lille, à Nantes, à Lyon, à Marseille, à Périgueux, les attaques se multiplient. Depuis le mois de mai, au moins huit librairies ont été vandalisées.

Ces lieux sont visés pour ce qu'ils sont : des espaces de liberté, de débat, de pluralisme ; pour les rencontres qui y sont organisées ; parfois pour avoir simplement exercé un droit fondamental, celui de penser, de débattre, de lire.

Les libraires ont peur. Comment le Gouvernement compte-t-il protéger les librairies indépendantes face aux campagnes d'intimidation, garantir leur sécurité et assurer un soutien à la hauteur des menaces qu'elles subissent ?

Mme Stéphanie Rist, ministre de la santé, des familles, de l'autonomie et des personnes handicapées .  - Le Gouvernement condamne fermement les actes d'intimidation, de dégradation et les menaces visant les librairies indépendantes. Rien ne saurait justifier que des commerces culturels, lieux de débats, de pluralisme et de diffusion des idées, soient pris pour cible en raison des ouvrages qu'ils proposent ou des rencontres qu'ils organisent. Ces agissements portent atteinte à la liberté d'expression et à notre fonctionnement démocratique.

Dans le cadre du plan d'action en faveur de la liberté de création artistique, le ministère de la culture a publié en juillet dernier un guide juridique présentant les mesures préventives et juridictionnelles permettant de se prémunir contre les entraves et menaces visant les artistes, auteurs et biens culturels. Une haute fonctionnaire pour la liberté de création ainsi que des référents dédiés ont été désignés au sein des directions régionales des affaires culturelles (Drac).

Le ministère a mis en place des labels de qualité facilitant l'octroi d'aides et d'avantages aux librairies indépendantes. Le Centre national du livre intervient par des prêts sans intérêt et des subventions. En 2024, près de 3 millions d'euros ont ainsi été mobilisés, complétés par 1,2 million d'euros dans le cadre de contrats de filière conclus avec les régions et les Drac. Ces dernières ont attribué 1,3 million d'euros de subventions en 2024, auxquelles s'ajoutent des dispositifs spécifiques, tels que Jeunes en librairie, renforcés depuis 2024 pour les établissements en zone rurale, dans le cadre du plan Culture et ruralité.

M. Ian Brossat.  - Madame la ministre, je vous remercie très chaleureusement pour cette réponse d'une grande clarté.

La ministre de la culture, par ailleurs élue de Paris, n'a pas eu un traître mot pour condamner les dégradations de ces librairies parisiennes. Pas un tweet, pas un communiqué, pas une expression publique. Pire, ce sont des élus proches de Mme Dati qui ont lancé un raid numérique contre la librairie Violette and Co, et qui ont voté au Conseil de Paris contre une subvention de 500 000 euros à quarante librairies indépendantes. Je regrette que vous ne soyez pas ministre de la culture ! (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K et SER)

Restitution des restes humains à l'Algérie

M. Xavier Iacovelli .  - En juillet 2020, la France a restitué à l'État algérien vingt-quatre crânes conservés dans les collections publiques, appartenant à des combattants algériens morts lors de la conquête coloniale. Depuis l'adoption de la loi du 26 décembre 2023 relative à la restitution des restes humains appartenant aux collections publiques, une attente forte s'exprime en faveur de la restitution totale des restes humains d'origine algérienne encore conservés en France.

Où en est-on, tant en termes de recensement que d'instruction des demandes formellement présentées par l'Algérie depuis l'entrée en vigueur de ce texte ?

En tant que président du groupe français de l'Union interparlementaire, je vous confirme l'enjeu diplomatique que porte cette loi, qui répond à l'exigence éthique de rendre aux peuples leurs morts, de restaurer la dignité des défunts et de permettre aux familles comme aux nations de faire oeuvre de mémoire. Elle engage pleinement notre responsabilité morale et notre capacité à construire un dialogue fondé sur la vérité et sur le respect mutuel.

La place des restes humains est dans des sépultures, non dans des musées.

Mme Stéphanie Rist, ministre de la santé, des familles, de l'autonomie et des personnes handicapées .  - La loi du 26 décembre 2023 marque une évolution du droit patrimonial en conciliant le principe d'inaliénabilité du domaine public avec le respect de la dignité humaine et la considération due aux personnes décédées. Ce cadre juridique participe également à une démarche d'apaisement des mémoires et de dialogue avec les États concernés.

À l'issue d'un processus d'instruction bilatérale et après avis favorable du Conseil d'État, une cérémonie officielle de restitution à Madagascar de trois crânes sakalava s'est tenue le 26 août dernier. Preuve que nous savons répondre à des demandes de restitution dans un cadre juridiquement sécurisé et scientifiquement étayé.

S'agissant de l'Algérie, aucune demande officielle n'a été formulée depuis la promulgation de la loi. Si une telle demande devait être présentée, elle ferait l'objet d'un examen attentif, dans le respect des dispositions prévues par le texte. Celui-ci prévoit la constitution d'un comité scientifique conjoint chargé de documenter l'origine, l'ancienneté et les trajectoires historiques des restes humains concernés.

Enfin, le recensement des restes humains conservés dans les collections publiques constitue un chantier de long terme. Après une enquête nationale en 2015 et 2017, des recherches de provenance seront engagées à partir de 2026 dans les régions pilotes.

Classification des pansements oxygénants

M. Michel Canévet .  - Des sociétés de biotechnologie spécialisées dans les produits de santé - comme Hemarina dans le Finistère, créée par le Dr Franck Zal - ont mis en avant le pouvoir d'oxygénation de la molécule M101, issue des vers arénicoles marins. Cette hémoglobine, capable de transporter quarante fois plus d'oxygène que l'hémoglobine humaine, ouvre d'immenses perspectives thérapeutiques. Toutes les pathologies ischémiques pourraient en bénéficier.

Or, l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) considère que les pansements oxygénants conçus pour cicatriser les brûlures graves et les plaies chroniques, comme le pansement HEMHealing d'Hemarina, sont des médicaments, et non des dispositifs médicaux, ce qui impose un circuit d'évaluation clinique très lourd. HEMHealing a pourtant fait l'objet de plus de 80 autorisations compassionnelles délivrées par l'ANSM ; l'Allemagne reconnaît des produits similaires, comme le Granulox, à base d'hémoglobine porcine, qui sont déjà disponibles en France.

Cette lourdeur administrative est difficilement compréhensible, alors qu'il y a 700 000 plaies chroniques à soigner chaque année et que la cicatrisation représente un coût important pour la sécurité sociale. La France pourrait devenir leader mondial dans le domaine de l'oxygénation tissulaire et de la transplantation !

Cette innovation technologique ne pourrait-elle être classifiée comme dispositif médical ?

Mme Stéphanie Rist, ministre de la santé, des familles, de l'autonomie et des personnes handicapées .  - L'ANSM accompagne Hemarina dans ses démarches réglementaires, mais considère que son pansement, par son action pharmacologique, relève du statut du médicament

Ce pansement a bénéficié d'autorisations d'accès compassionnel, permettant un accès anticipé aux médicaments les plus innovants. Je suis très attachée à ce système qui concilie innovation, sécurité, accès au traitement et attractivité de notre marché pharmaceutique. Rappelons que l'accès compassionnel ne concerne que les médicaments, et non les dispositifs médicaux.

Vous dénoncez la lourdeur administrative inhérente au statut du médicament. Mobilisée pour accompagner l'innovation, j'ai annoncé la création d'une direction Recherche et innovation au sein du ministère. Le choix du statut réglementaire ne se fait néanmoins pas en fonction de la complexité réglementaire, mais des propriétés intrinsèques et du mode d'action du produit. Je suis pleinement engagée avec les services et agences du ministère pour favoriser l'accès rapide et sécurisé des patients aux produits les plus innovants.

M. Michel Canévet.  - Cette réponse ne me satisfait pas du tout. Veut-on favoriser l'innovation dans notre pays ? Nous avons la chance d'avoir des entreprises qui innovent, qui apportent des solutions sources d'économies pour la sécurité sociale. Aidons-les, plutôt que de leur compliquer la vie ! (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; M. Simon Uzenat applaudit également.)

M. Vincent Louault.  - Excellent !

Défaillances de l'aide sociale à l'enfance à Paris

M. Francis Szpiner .  - La révélation de graves dysfonctionnements au sein de l'aide sociale à l'enfance (ASE) à Paris a mis en lumière des difficultés structurelles.

D'abord, un sous-effectif chronique. Le manque de cadres, de travailleurs sociaux, de magistrats spécialisés entraîne des retards dans le traitement des dossiers et une prise en charge inadaptée, parfois trop tardive. Les mineurs en danger subissent les conséquences du manque de coordination entre les services de l'ASE, les tribunaux, les associations et les hôpitaux, mais aussi du manque de places d'hébergement. Enfin, il n'y a pas de suivi post-ASE : les jeunes sortant du système sans accompagnement suffisant sont exposés à des risques de précarité, lorsqu'ils ne sont pas exploités par des réseaux.

Mme Marion Canalès.  - C'est vrai.

M. Francis Szpiner.  - Ce sont autant de graves violations des droits de l'enfant.

Quelles mesures d'urgence le Gouvernement peut-il mettre en oeuvre pour renforcer les moyens financiers et humains, non seulement de l'ASE, mais du système judiciaire et du système hospitalier, afin de garantir un suivi et un accueil digne pour chaque mineur signalé ? Envisagez-vous un audit indépendant pour évaluer les dysfonctionnements et proposer des réformes structurelles ?

La protection des mineurs en danger est un marqueur du pacte républicain. Si nous ne sauvons pas l'enfance, nous ne méritons pas de gouverner. Il est urgent que l'État prenne ses responsabilités pour combler ces manques et garantir la protection à chaque enfant.

Mme Stéphanie Rist, ministre de la santé, des familles, de l'autonomie et des personnes handicapées .  - Oui, la protection de l'enfance est une exigence absolue et collective. Le Gouvernement a conscience des fragilités de notre système, malgré l'engagement des 130 000 professionnels et l'effort financier considérable des départements, pour près de 12 milliards d'euros. Nous devons redoubler d'efforts. Trop d'enfants subissent des délais dans l'exécution des décisions de placement, des ruptures de parcours, des retards de scolarisation, des difficultés d'accès aux soins. C'est inacceptable.

J'ai échangé avec la maire de Paris sur les dysfonctionnements signalés. J'ai saisi la procureure de la République et chargé l'Igas de formuler des recommandations opérationnelles rapides, notamment sur la formation des professionnels.

Mon action est guidée par des principes clairs : transparence, protection immédiate des mineurs, responsabilisation de chacun. Aux côtés de la Ville de Paris et des acteurs concernés, l'État veillera à la qualité et à la sécurité de l'accueil, à travers des contrôles renforcés, une meilleure traçabilité des événements graves et un renforcement de l'attractivité des métiers.

Les moyens dédiés à la protection de l'enfance sont en hausse de 55 millions d'euros. L'accès aux soins est une urgence absolue : les parcours de soins coordonnés renforcés, qui seront mis en place début 2026, permettront d'avoir un bilan et d'assurer les soins nécessaires dès l'entrée dans la protection de l'enfance.

Conformément aux conclusions de la commission d'enquête parlementaire, une réponse systématique est indispensable.

Je proposerai prochainement des mesures opérationnelles, pour que nous puissions enfin parler de ce sujet avec plus d'optimisme.

M. Francis Szpiner.  - Merci de votre réponse.