b) Les effets de la mondialisation
La mondialisation s'est accompagnée d'une accélération de la croissance des échanges internationaux de biens et services au cours des deux dernières décennies. C'est aussi vrai pour les échanges financiers.
La mondialisation s'appuie en effet sur les comportements différents des entreprises en matière d'investissements et d'échange de marchandises dans le cadre de deux motivations principales qui sont :
- d'accéder à de nouveaux marchés (accroissement des débouchés) ;
- d'organiser mondialement leur activité (amélioration de la compétitivité).
Ces deux motivations peuvent a priori accroître les échanges ou, au contraire, les diminuer selon la recomposition géographique des implantations des entreprises. Les investissements « horizontaux » peuvent conduire à substituer aux exportations des entreprises la production de leurs unités délocalisées pour se rapprocher géographiquement de la demande finale.
Il reste que l'un des traits fondamentaux de la mondialisation est bien d'accroître l'échange économique international. Aux flux classiques d'exportations et d'importations s'ajoutent ceux que suppose la nouvelle division internationale de la production au sein des groupes et l'intensification, difficilement mesurable, des échanges de biens intermédiaires .
Mesure des échanges extérieurs : difficultés dues à la mondialisation La mondialisation rend la mesure des échanges extérieurs plus difficile. - En ce qui concerne les marchandises : les biens étant de plus en plus composites et cosmopolites du fait de la segmentation et de l'internationalisation des processus de production, il faut pouvoir évaluer le contenu en importations des exportations et, à l'inverse, la part de biens d'origine nationale que comprennent les importations pour analyser de façon pertinente les résultats du commerce extérieur. Il importe aussi de mieux connaître la façon dont les entreprises résidentes utilisent la sous-traitance internationale (externalisation d'une partie de leur production...) - Concernant les opérations financières , elles aussi de plus en plus sophistiquées et souvent fragmentées pour en optimiser les conditions, notamment fiscales, les principaux problèmes rencontrés concernent : la distinction entre investissements physiques (création ou extension de capacités de production...) et financiers (acquisition ou vente de parts de capital social), la détermination de l'investisseur initial (holding...) ou du bénéficiaire ultime lorsque plusieurs intermédiaires interviennent, la consolidation des flux multiples auxquels peut donner lieu une seule et même opération (fusion-acquisition ou autre...), l'identification des clients des banques résidentes qui effectuent des dépôts auprès d'elles ou obtiennent des prêts de leur part (sont-ils résidents ou non ?). - Enfin, le développement des échanges intragroupe ( cf . encadré suivant) ne fait qu'accroître toutes ces difficultés, s'agissant notamment de l'évolution du prix des services que se rendent mutuellement les filiales apparentées ou des cessions de biens ou d'actifs auxquelles elles procèdent entre elles. |
Les investissements directs à l'étranger (IDE) liés à ce processus de réorganisation intragroupe, qui sont dits « verticaux », complètent, en effet, les échanges traditionnels (exportations et importations).
(1) Améliorer la connaissance des échanges intragroupe
En ce qui concerne la France, ce sont des entreprises multinationales qui sont à l'origine d'environ 90 % de nos échanges 34 ( * ) ; 40 % de ces derniers se rattachant à l'activité, en France, de filiales de groupes étrangers .
Les échanges intragroupe représentent une part appréciable de notre commerce extérieur (de 25 % à 40 % selon les estimations 35 ( * ) ) et cette proportion tend à augmenter.
Améliorer la connaissance des échanges intragroupe est donc l'un des principaux défis que doivent relever les statisticiens spécialisés dans la mesure des échanges extérieurs .
Or, cette mission est d'autant plus délicate que la logique, essentiellement territoriale, des comptes de la Nation diffère profondément de celle des comptes consolidés des multinationales.
L'appareil statistique, dans ce domaine, est actuellement inadapté :
- La principale difficulté inhérente à la mesure des échanges concernés tient à la complexité même des structures et des configurations géographiques des groupes.
Les participations indirectes ne sont en effet pas identifiées dans la statistique habituelle.
- L'analyse, difficile, des investissements directs étrangers 36 ( * ) concernant la France risque de s'en trouver faussée par une surestimation de la part des non résidents 37 ( * ) ou une surestimation de celle des entreprises non cotées (dont les activités sont moins bien suivies).
D'autres problèmes se posent :
- concernant les échanges de biens, la réconciliation entre les comptes de l'entreprise et les statistiques douanières peut être délicate (du fait de décalages entre le fait générateur et le moment de l'enregistrement de la facture).
- L'enregistrement par la balance des paiements ou l'interprétation de certains flux financiers recensés par elle peuvent soulever des difficultés (cf. encadré).
Conséquences de la complexité des relations intragroupe sur la balance des paiements On relève, dans les publications de la Banque de France 1 , des développements sur les conséquences de la complexité des relations intragroupe des firmes multinationales sur les statistiques de la balance des paiements relatives aux investissements directs à l'étranger (IDE). Elle souligne ainsi que certaines opérations (rachat d'entreprises, augmentation de capital d'une filiale) effectuées par un groupe dans un pays donné par l'intermédiaire d'un centre de financement situé à l'étranger peuvent donner lieu à des investissements directs à la fois sortants et entrants. Les prêts et emprunts intragroupe entre sociétés soeurs (sans liens capitalistiques directs) se révèlent particulièrement difficiles à récapituler. S'agissant des fusions-acquisitions, les normes internationales relatives aux balances des paiements ne permettent pas d'identifier clairement la part qui leur revient dans les IDE. Pour une même opération, des flux inverses (investissement de l'acquéreur, désinvestissement du vendeur) peuvent ainsi être signalés en balance des paiements alors que les bases de données spécialisées n'enregistrent que le montant brut de l'acquisition. Si cette donnée est effectuée au moyen d'un emprunt local, l'opération n'est pas prise en considération par le compte financier. Dans ces conditions, les statistiques de flux d'investissements directs doivent être interprétées avec précaution. L'OCDE recommande, dans un document récent sur la question, des mesures (voir plus loin) tendant à neutraliser les effets des « boucles » de financement ou transits de fonds conduisant à l'enregistrement, en balance des paiements, de flux intragroupe d'investissements multiples et de sens contraire. Les prêts et emprunts entre sociétés soeurs, notamment, seraient consolidés selon certains critères. La Banque de France 2 montre qu'une telle consolidation aurait une incidence significative sur les résultats des investissements directs, le solde net des prêts intragroupe apparaissant alors faible ou proche de l'équilibre. Ainsi la progression des flux d'investissements directs français à l'étranger entre 2005 et 2007 est probablement liée, pour l'essentiel, plutôt qu'à la progression des prêts entre filiales, à l'augmentation des transactions en capital social 3, qui reflète elle-même la croissance des opérations de fusion-acquisition (dont une partie se trouve cependant financée par des prêts intragroupe enregistrés dans la sous-rubrique « autres opérations » 3 du compte financier). ______________________ 38 et 2 : rapport annuel 2007. La balance des paiements et la position extérieure de la France. 3 La rubrique « investissements directs » du compte financier est subdivisée en trois postes : capital social, bénéfices réinvestis et autre opérations. |
(2) Le problème de la valorisation des échanges intragroupe : « les prix de transfert »
Par ailleurs, les prix de transfert 38 ( * ) , rémunérant les prestations mutuelles des sociétés d'un même groupe, ne correspondent pas toujours aux prix du marché, pour des raisons d'optimisation fiscale 39 ( * ) .
Les sociétés situées dans un pays où la pression fiscale est forte vont avoir tendance, en effet, pour minorer leur résultat imposable, à diminuer le prix de leurs exportations, et à majorer celui de leurs importations à destination ou en provenance de sociétés du même groupe, à l'instigation de la société mère ou tout du moins avec son assentiment. Pour les mêmes raisons, ces mêmes filiales seront souvent sous-capitalisées, s'endettant pour bénéficier de la déductibilité des intérêts de leurs emprunts.
D'un point de vue plus global, une insuffisante prise en compte de l'intragroupe notamment dans sa dimension verticale (liée à l'éclatement géographique et à la segmentation des processus de production) peut ainsi fausser l'interprétation des résultats de la balance des paiements comme de ceux du compte du Reste du monde.
Les soldes bilatéraux affichés risquent d'être trompeurs dans la mesure où un bien peut être exporté vers un pays qui ne corresponde pas à sa destination finale ou être importé en vue d'être réexporté après avoir été transformé.
(3) La segmentation des chaînes de production
Les consommations intermédiaires importées utilisées dans le cadre des productions tendent partout à augmenter .
La croissance de ce « commerce vertical » accentue les problèmes au regard de l'interprétation du commerce international d'un pays résultant de ce qu'à un même flux d'exportation peuvent correspondre des valeurs ajoutées par les firmes localisées sur le territoire très différentes dans leur ampleur.
Ainsi, à l'analyse traditionnelle des flux en valeur d'échange, on pourrait adjoindre une analyse tenant compte de la valeur ajoutée, qui permettrait de mieux saisir la dépendance de la production d'un pays à son commerce international avec un partenaire donné .
Un exemple mentionné par l'OFCE 40 ( * ) permet d'illustrer le problème : « Le « commerce en valeur » mesure les flux de marchandises à partir de leur valeur d'échange. La valeur de l'ensemble des consommations intermédiaires entrant dans la production du bien échangé est intégrée dans chaque flux, même si ces consommations intermédiaires n'ont pas été produites dans le pays exportateur. Le « commerce en valeur ajoutée », réaffecte les valeurs ajoutées des différentes étapes d'élaboration du produit exporté à chacun des pays ou des branches qui les ont effectivement produites. Ainsi, un pays A qui exporte uniquement des voitures vers un pays B peut, en tant que valeur ajoutée, n'exporter que les pare-brises qu'il a produits et posés sur des voitures non finies importées d'un pays C en tant que consommation intermédiaire. Contrairement à la mesure traditionnelle, le pays A n'est plus, dans la nouvelle mesure, en déficit par rapport au pays C et devient moins excédentaire par rapport à B : il n'y exporte en fait que les pare-brises. Le pays C par contre devient excédentaire par rapport à B et non plus par rapport à A. »
Ainsi, il faudrait être capable de déterminer dans quelle mesure l'économie française est au total créatrice nette de richesses ou non vis-à-vis de chacun de ses principaux partenaires .
Cela nécessite de faire la part des échanges de biens intermédiaires dans le commerce international en vue de mesurer les flux de valeur ajoutée entre pays . En effet, comme l'ont souligné récemment les mêmes économistes de l' OFCE , « Une analyse du commerce extérieur basée non plus sur la valeur des échanges mais sur les flux de valeur ajoutée fournit une vision plus réaliste des performances relatives des pays et de leurs relations de dépendance »
La remarque vaut aussi pour les résultats des échanges par branche (chacune utilisant des consommations intermédiaires fournie par d'autres).
Au total, selon ces experts « l'utilisation du commerce apparent donne ainsi une idée fausse des déficits bilatéraux et des avantages comparatifs par branche de la France. Elle peut donc conduire les politiques qui visent à améliorer la compétitivité de la France à se tromper d'objets ».
Les difficultés statistiques qui devraient être surmontées pour parvenir à cette nouvelle approche 41 ( * ) sont importantes.
De son côté la DGTPE 42 ( * ) , en évoquant la contribution de l'extérieur à la croissance , a récemment estimé qu'il s'agissait « d'un indicateur trop fruste pour comprendre le rôle que joue le commerce extérieur dans l'activité économique française » proposant de calculer les contributions de chacune des composantes de la demande intérieure en défalquant leurs contenus en importations respectives (voir plus loin, graphique p. 79).
En 2004, les exportations nettes de leur contenu en importations auraient ainsi contribué positivement à la croissance (à hauteur de 0,3 point) alors que la contribution apparente du commerce extérieur était négative (- 0,6 point). En contrepartie, l'investissement et surtout la consommation intérieure joueraient un rôle moins moteur qu'il n'y paraît dans l'accroissement du PIB.
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La mondialisation rend ainsi plus difficile la mesure des échanges extérieurs du fait, notamment, d'une insuffisante connaissance des flux intragroupe et de leurs effets réels sur les économies nationales. Elle tend aussi à altérer la signification des statistiques traditionnelles et la pertinence des conclusions qui peuvent en être tirées, en raison de la nouvelle division internationale du travail et de la globalisation financière.
D'autres problèmes sont liés à la difficulté de faire la part dans ces échanges, des activités de services.
* 34 91 % des exportations et 88 % des importations en 2004 selon la Direction générale des douanes.
* 35 En 1999, 41 % des exportations et 36 % des importations de la France correspondaient à des échanges intragroupe selon le SESSI (service des études et des statistiques industrielles) du ministère de l'économie. D'autres estimations plus récentes font état d'une proportion d'un tiers pour les exportations et du quart pour les importations - cf. DGTPE (Direction Générale du Trésor et de la Politique économique).
* 36 Investissements directs à l'Etranger (IDE) : par convention, il y a investissements directs si la société investisseur détient au moins 10 % du capital social de la société investie. Le stock d'investissements directs à l'étranger représente un quart du PIB mondial aujourd'hui contre 6-7 % pendant les années 80. Sont comptabilisés comme flux d'investissements directs à la fois les implantations ex nihilo, les prises de participation, les apports, l'immobilier, les opérations de fusion ou les réinvestissements de bénéfices.
Il s'agit du principal poste créditeur de la position globale de la France vis-à-vis de l'extérieur. En 2006, les investissements directs sortants ont atteint 92 milliards d'euros dans notre pays (contre 63 milliards pour l'Allemagne).
Les sorties, nettes des investissements étrangers en France, se sont montées à 27 milliards. L'analyse des IDE doit tenir compte non seulement des flux mais aussi de la situation des encours. Leurs effets sur les échanges de biens (substitutions éventuelles aux exportations), sur l'emploi, et sur la localisation finale des activités sont difficiles à apprécier.
* 37 C'est la conclusion d'une étude de la Banque de France (cf. : l'article de M. Pierre Caussé « répartition géographique finale des investissements directs : une approche par les groupes de sociétés » bulletin de la Banque de France n°159. mars 2007) selon laquelle de nombreux investissements directs étrangers en France sont réalisés par des sociétés en vérité sous contrôle français. C'est le cas aussi d'une part importante des investissements effectués hors de nos frontières par des filiales françaises de groupes qui ne sont étrangers qu'en apparence.
* 38 Les prix de transfert sont ceux qui rémunèrent ou auraient dû rémunérer, s'il s'agit de prestations monnayables fournies gratuitement (mise à disposition de personnel ou d'éléments incorporels), des échanges non seulement de biens et de marchandises, mais aussi de services, entre sociétés du même groupe avec passages de frontières.
* 39 cf. les travaux de Hines (1996), Clausing (1998), Grubert (2001) sur les multinationales américaines et de Overesch (2006) à partir de données allemandes.
cf. aussi les conclusions d'un travail important présenté par la DGPTE (Direction générale du Trésor et de la politique économique) au séminaire Fourgeaud de juin 2007.
* 40 Revue de l'OFCE (Observatoire français des conjonctures économiques). N°98- juillet 2006. « Le commerce extérieur en valeur ajoutée », par Guillaume Daudin, Paola Monperrus-Veroni, Christine Rifflart, Danielle Schweisguth.
* 41 Affinement de l'analyse sectorielle et géographique des données obtenues de séries chronologiques pour les tableaux entrées sorties (TES) de la comptabilité nationale.
* 42 Direction Générale du Trésor et de la Politique Économique du Ministère de l'Economie et des Finances. Lettre n°6, décembre 2006.