d) La prise en compte de l'immatériel

Comme le souligne un rapport du Conseil d'analyse économique, « les flux du commerce international stricto sensu de services recensés par la balance des paiements peuvent largement sous-estimer la dimension immatérielle (de plus en plus importante) de la mondialisation » 52 ( * ) .

Les échanges correspondants, en effet, ne sont récapitulés qu'en partie 53 ( * ) par certaines lignes du poste « échanges de services hors voyages et négoce international » de la balance des paiements (en ce qui concerne les redevances et licences, les services d'informatiques et d'information, les services audiovisuels...).

Des problèmes analogues concernent les revenus d'investissements directs à l'étranger, notamment, la part des bénéfices des filiales étrangères réinvestis sur place.

Ils sont d'autant plus difficiles à mesurer que les actifs immatériels dont il s'agit ne constituent ni des biens ni des services au sens propre de ces termes.

Les statistiques , selon MM. Cohen et Verdier, ne saisissent qu'une part mince d'un phénomène qui participe pourtant, au premier euro dépensé, à la mondialisation.

Aussi, appellent-ils de leurs voeux « une meilleure compréhension des aspects immatériels de la mondialisation et une meilleure mesure quantitative de ces phénomènes » .

L'industrie culturelle est au premier chef concernée. Les transactions courantes enregistrées au total sur les différents postes concernés de la balance des paiements ne représentent pour le moment que 10 % des échanges de services.

Mais ces chiffres, qui sont en forte progression, semblent ne pas prendre en compte l'ensemble des investissements réalisés dans ce domaine.

e) Le cas du commerce électronique

Le cas des échanges électroniques transfrontaliers, que leur croissance rapide oblige à prendre en considération, malgré leur importance encore limitée 54 ( * ) , illustre bien les problèmes statistiques posés par la mondialisation, la tertiarisation et la dématérialisation des activités économiques.

Comme l'a souligné M. Philippe BARBET 55 ( * ) dans le « Livre vert du GET (groupement des écoles de télécommunications) », en 2007, « le développement du commerce électronique international fait figure de laboratoire de la mondialisation et oblige à s'interroger sur la pertinence des frontières et du contrôle des Etats sur les flux d'échanges ».

Les enjeux du développement de cette forme de commerce apparaissent potentiellement importants sur le plan fiscal , même s'ils demeurent encore « relativement marginaux », selon le même expert, au regard de la régulation des échanges internationaux (en termes de droits de douane, les pertes de recettes éventuelles en cause sont peu importantes).

La taxation de ces activités et le partage des ressources correspondantes entre les pays concernés suppose de résoudre les problèmes posés par :

- la localisation des acheteurs et la distinction entre ventes au particulier et échanges interentreprises, s'agissant de la fiscalité indirecte ;

- la localisation des offreurs et la notion d'« établissement stable » (l'activité, dans un pays donné, doit être suffisante pour pouvoir y justifier une imposition quelconque), pour la fiscalité directe .

Le Parlement européen, qui s'est récemment intéressé à la question 56 ( * ) , a demandé à la Commission « d'élaborer une étude approfondie sur les activités commerciales internationales réalisées via l'Internet et de les intégrer aux statistiques », après avoir souligné « la difficulté d'identifier la nature, l'origine et la destination des transactions en cause ».

Le développement du commerce électronique remet en cause non seulement les frontières des Etats mais aussi la distinction traditionnelle entre biens et services.

Il en résulte des divergences d'appréciation entre l'Europe, qui considère comme services, relevant de règles internationales moins libérales, toutes les activités considérées et les Etats-Unis qui assimilent à des marchandises les biens numérisés 57 ( * ) téléchargeables, vendus sur Internet, pour lesquels il n'y a pas de franchissement physique de frontières et qui soulèvent des difficultés particulières d'« évaluation en Douane » et de taxation.

Du point de vue de la régulation de ces échanges, l'Europe, contrairement aux Etats-Unis, considère qu'il s'agit, dans tous les cas, de services qui relèvent du GATS de 1995 (General Agreement on Trade in Services), moins contraignant que le GATT 58 ( * ) , repris dans l'accord fondateur de l'OMC.

L'Australie assimile, pour sa part, les transactions portant sur des biens numérisables à des échanges de droits de propriété intellectuelle (l'achat d'un CD musical, par exemple, équivaut à celui d'une licence d'utilisation limitée).

La question de l'imposition des transactions réalisées par le commerce électronique, qui nécessite qu'elles soient, au préalable, correctement mesurées, fait l'objet de nombreuses discussions au niveau international :

- concernant les droits de douane, les Etats-Unis ont obtenu que les échanges électroniques internationaux en soient provisoirement exemptés. La conférence ministérielle de l'OMC à Doha, en 2001, a décidé de prolonger ce moratoire qui sera donc rediscuté à la fin du cycle de négociation actuel. Il en résulte une discrimination, un même bien restant soumis à des droits de douane lorsqu'il est expédié par des moyens traditionnels alors qu'il en est dispensé en cas de livraison électronique ;

- sur le plan fiscal, l'OCDE propose d'appliquer au commerce électronique les règles fiscales existantes (ce qui constitue une position médiane entre les positions des tenants, d'un côté, d'une défiscalisation totale et, de l'autre, de la création de taxes spécifiques, « taxe à l'octet » par exemple). L'organisation internationale a posé quelques principes concernant la définition de l'« établissement stable » pour ce type d'échanges 59 ( * ) .

La directive européenne du 12 février 2002 soumettant tous les fournisseurs, y compris ceux situés en dehors de l'Union européenne, à la TVA applicable dans le pays de destination, pour les ventes aux particuliers de produits numérisables (logiciels, jeux, audiovisuel...), a été jugée protectionniste par les Etats-Unis.

*

* *

En conclusion, il semble particulièrement difficile aujourd'hui de préciser la marge d'incertitude qui affecte les résultats des échanges extérieurs du fait notamment de la mondialisation, de la tertiarisation ou de la « dématérialisation » des activités économiques .

Les effets de ces phénomènes sont en effet trop variés, diffus et complexes pour pouvoir être correctement évalués.

Mais différents indices témoignent de la fragilité des statistiques dans ce domaine : l'ampleur de certaines corrections, les « erreurs et omissions » du compte financier de la balance des paiements ou bien ce qu'on appelle « l'asymétrie des flux miroirs » (c'est-à-dire le fait que les exportations déclarées par un pays ne correspondent pas, pour un même produit, aux importations enregistrées par son partenaire).

* 52 Mondialisation : les atouts de la France - août 2007. Contributions 3 de Daniel Cohen et Thierry Verdier sur « la mondialisation immatérielle ».

* 53 Il conviendrait - selon Isabelle Bensidoun et Deniz Unal-Kesenci du CEPII - d'ajouter aux flux enregistrés dans le compte des transactions courantes les ventes de services effectuées par des prestataires lorsqu'ils se déplacent ou s'installent durablement à l'étranger.

* 54 Le commerce électronique de détail ne représente que 3,2 % du commerce de détail total aux Etats-Unis mais avec un taux de croissance annuel moyen, qui était avant la crise, supérieur à 25 %.

Dans l'Union européenne, près d'un citoyen sur trois effectue des achats en ligne, mais pour 30 millions seulement d'entre eux, ces achats on un caractère transfrontalier.

* 55 M. BARBET est professeur d'économie à l'université PARIS 13 et à l'Ecole nationale supérieure des télécommunications.

* 56 Proposition de résolution 2008/2204 (INI) sur les échanges internationaux et l'internet.

* 57 Une partie du commerce électronique concerne la recherche, la commande, le paiement et la livraison, par des moyens traditionnels, de biens tangibles, pour lesquels la situation, concernant la TVA et les droits de douane, est a priori la même que pour les autres modalités de vente à distance.

Le commerce électronique concerne aussi l'application des techniques modernes d'information et de communication à des prestations de services préexistants dans des secteurs d'activité tels que la banque, les télécommunications, la publicité, le courrier...

Enfin, Internet permet la transmission et la livraison électronique (via un téléchargement), ou conventionnelle (moyennant, par exemple, un CD comportant un logiciel), d'un contenu numérisé (musique, films, jeux...) ou de biens et services immatériels (logiciels, moteurs de recherche, octroi et protection d'un nom de domaine etc.).

* 58 General Agreement on Tariffs and Trade, conclu initialement en 1947.

* 59 Un site Internet ou un fournisseur de services qui ne réalise pas de transactions ne peuvent être considérés comme un établissement stable. Un serveur peut l'être, s'il est utilisé par une entreprise pour effectuer des transactions.

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