6. Les discordances internationales

Si la fiabilité des statistiques nationales relatives aux échanges extérieurs des Etats était parfaite, chaque flux bilatéral devrait être évalué dans tous les cas de façon identique par les deux partenaires concernés (la vente d'un bien par une entreprise d'un pays A à un client d'un pays B, par exemple, serait comptabilisée pour un même montant, en exportation, d'un côté de A vers B, et en importation, de l'autre, de B en provenance de A).

Or, cela est loin d'être le cas.

Il existe une asymétrie des « flux miroirs », liée aux difficultés inhérentes à la mesure des échanges 76 ( * ) et à des divergences persistantes entre les appareils statistiques nationaux, dont les conséquences sont non seulement bilatérales mais aussi multilatérales.

Le « bouclage » des échanges commerciaux internationaux, en effet, pose problème, que ce soit au niveau européen ou au niveau mondial.

a) Les écarts sur les estimations des échanges en Europe

Malgré les efforts et les progrès accomplis en vue d'harmoniser les règles comptables nationales qui permettent de mesurer les échanges internationaux au sein de l'Union Européenne (UE) et dans le monde 77 ( * ) , des écarts d'estimation subsistent à différents niveaux.

Les évaluations des différents Etats ne coïncident ainsi ni entre elles ni avec celles réalisées par Eurostat à l'échelle de l'UE.

Sur le plan bilatéral, les exportations déclarées par chaque pays membre sont généralement supérieures d'environ 5 % (avec de fortes variations) aux importations estimées par le pays partenaire .

De fait, les déclarations d'un même flux par deux pays partenaires (pas seulement au sein de l'UE) ne sont jamais concordantes en raison notamment :

- des écarts, déjà évoqués, entre l'appréciation de la valeur d'une marchandise à l'expédition (FAB) et à la livraison (CAF) ;

- des décalages temporaires entre l'enregistrement du départ et de l'arrivée des biens ;

- des divergences de traitement statistique de certaines opérations spécifiques (construction coordonnée d'avions type Airbus, réparation de moyens de transport...).

Les fraudes à la TVA, évoquées plus loin, peuvent conduire, par ailleurs, à une surestimation des exportations 78 ( * ) .

En outre, les statistiques nationales, notamment dans le cas de la France, peuvent différer sensiblement de celles d'Eurostat, s'agissant des échanges du pays concerné réalisés dans le cadre de l'Union Européenne.

Les données publiées par Eurostat sont collectées par les Etats membres, selon les concepts et les méthodes définies par la législation communautaire, et servent à mesurer les résultats du commerce intra et extra communautaire de l'Union Européenne dans son ensemble .

Cependant, chaque Etat continue d'évaluer ses propres échanges avec l'extérieur selon des règles qui lui sont particulières et s'écartent souvent, s'agissant de l'origine géographique des biens importés, de celles retenues par l'Office européen.

En effet, Eurostat se réfère, en la matière, pour les échanges intra-communautaires, au pays de provenance (c'est-à-dire le dernier pays par lequel le bien a transité) alors que les statistiques nationales (notamment françaises) privilégient le plus souvent le pays d'origine (dans lequel le bien a été produit).

Règles appliquées par Eurostat
pour l'évaluation des importations de l'Union Européenne

ORIGINE DES BIENS

CRITÈRE GÉOGRAPHIQUE

BASE ADMINISTRATIVE

1. Union européenne

INTRASTAT

Pays de provenance (1)

Assiette TVA

2. Hors Union européenne

EXTRASTAT

Pays d'origine ou de dernière transformation (2)

Assiette droits de douane

(1) Estimations particulières en cas d'absence de transferts de propriété, de renvoi ou de perfectionnement des biens.

(2) Pays de provenance en cas de perfectionnement.

Ainsi, un ordinateur américain transitant par la Belgique, où il est dédouané, pour être réexporté en France, sera considéré, du point de vue de l'économie française, comme une importation ayant pour origine :

- les Etats-Unis, pour l'INSEE

- la Belgique, pour Eurostat 79 ( * ) .

Dès lors, les importations de la France en provenance du reste de l'UE apparaissent supérieures, dans les statistiques d'Eurostat, à ce qu'elles sont dans les statistiques françaises par pays d'origine.

En outre, les estimations d'Eurostat souffrent de ce que les sources employées (les systèmes statistiques de chaque Etat membre ) ne sont pas toujours parfaitement cohérentes dans la mesure, par exemple, où la définition précise de la notion de pays de provenance ou bien des seuils de déclaration des échanges intracommunautaires ne sont pas partout identiques.

Ces divergences quant à la détermination de l'origine géographique des importations constituent la cause principale des écarts d'estimation des échanges intra-européens.

Dans ces conditions, il est parfois suggéré que les entreprises soient tenues, à l'avenir, de ne déclarer que leurs exportations à destination de l'Union européenne et non plus par pays (les importations en seraient déduites par le pays destinataire grâce aux « flux miroirs »). Mais cette méthode dite du « flux unique » peut sembler constituer une curieuse façon de résoudre un problème en cessant de se le poser !

L'éventuel passage au flux unique aurait un impact important sur les équilibres ressources-emplois par produit ainsi que sur les comptes d'agents 80 ( * ) .

Les données par pays d'origine, intéressantes bien que d'interprétation difficile, seraient vraisemblablement perdues en ce qui concerne les échanges intra-européens, ce qui serait regrettable.

En réalité, la détermination, pour l'assujettissement aux droits de douane, de l'origine d'un produit importé en France peut s'avérer beaucoup plus complexe que dans le cas, évoqué plus haut, de l'ordinateur américain transitant par la Belgique, en raison de la fragmentation du processus de fabrication des biens, liée à la mondialisation (cf. encadré).

La complexité de la détermination du pays d'origine d'un produit

Selon un règlement du Conseil européen de 1992, précisé par la Commission en 1993, une marchandise dans la production de laquelle sont intervenus un ou plusieurs pays (ce qui est de plus en plus souvent le cas) est considérée comme originaire du pays où a eu lieu la dernière transformation ou ouvraison substantielle.

Mais pour que ce soit le cas, il faut que la valeur des pièces fabriquées dans ce pays et des opérations de montage qui y ont été réalisées représentent 45 % du prix du bien .

A défaut, le pays d'origine sera celui qui a fourni le pourcentage le plus élevé de composants.

Ces critères objectifs qui privilégient la référence à la valeur ajoutée par l'assemblage 81 et par les composants, plutôt que l'interprétation subjective du caractère substantiel de la dernière transformation, ont été validés par la Cour de justice des communautés européennes dans deux affaires opposant les importateurs de téléviseurs aux douanes françaises.

En l'occurrence, le pays d'origine retenu à été celui d'Asie où avait été fabriqué le tube cathodique (qui représente plus de 40 % du prix de l'appareil) et non celui où avait eu lieu l'assemblage (la Turquie dans un cas, la Pologne, dans l'autre, qui avaient fourni, en outre, certains autres composants).

Dans cet exemple, le point de vue de l'administration française s'est révélé pleinement conforme au droit communautaire, sans que se pose un quelconque problème de divergences de méthodologie statistique.

______________________

81 L'assemblage est un processus complexe qui n'est pas identique pour tous les biens ni pour tous les fabricants.

L'application de la règle du pays d'origine au calcul, par l'INSEE, des importations françaises, souffre d'une exception importante en ce qui concerne la comptabilisation de certains flux d'énergie électrique et de gaz naturel pour lesquels, il est fait référence au concept de pays de provenance.

Cela contribue à expliquer le niveau très élevé des importations de la France en provenance de la Belgique, eu égard à la dimension de l'économie belge (cf. encadré), Zeebrugge constituant un des principaux « hubs » gaziers d'Europe pour l'acheminement du gaz d'origine russe ou norvégienne (Mer du Nord).

L'importance des importations françaises en provenance de Belgique :
proximité et mondialisation

Bien que le PIB de la Belgique ne représente qu'environ 1/6 e de celui de la France, ce pays se classait, en juillet 2007, au deuxième rang de nos fournisseurs (avec 8,3 % des importations françaises totales), derrière l'Allemagne, à peu près à égalité avec l'Italie.

Il s'agit de notre troisième plus important déficit commercial bilatéral, après celui que nous enregistrons avec la Chine et Hong Kong, puis avec l'Allemagne ;

Deux causes peuvent expliquer cette situation.

- Tout d'abord un « effet de proximité » géographique.

La forte intégration des deux économies va, en effet, au-delà de ce que requerrait une simple logique économique de voisinage.

La Belgique constitue, en effet, une destination privilégiée des investissements français.

- Ensuite, un « effet mondialisation » : la Belgique dépend de façon importante du commerce extérieur. Ses exportations représentent environ deux tiers de son PIB (elle exporte proportionnellement deux fois plus que l'Allemagne).

Le secteur industriel belge ressemble à une machine complexe : il importe des matières premières et des produits semi-finis (pétroliers et chimiques notamment) qui sont ensuite réexportés une fois traités.

La Belgique est, par ailleurs, l'une des têtes de pont des exportations américaines vers l'Europe.

Les industries de transformation (métallurgie...), de conditionnement (nourritures et boissons) et d'assemblage automobile figurent, enfin parmi ses principales activités.

Le port d'Anvers, le deuxième d'Europe, est un grand centre d'activités industrielles et de services (chimie, pétrochimie, télécommunications, construction automobile, transports, logistique...).

Celui de Bruges est l'un des plus importants de notre continent pour le trafic de rouliers (navires à rampe mobile), le gaz naturel et les importations et exportations de véhicules nouveaux.

* 76 Cf. supra corrections CAF-FAB etc.

* 77 Cf. le Système européen de comptes (dit SEC95), défini par l'Office Statistique des Communautés Européennes (Eurostat), et proche du système de comptabilité Nationale de l'ONU (dit SCN 93).

* 78 Par exemple, en déclarant comme telles des ventes de produits qui n'en sont pas, le producteur peut récupérer indûment la TVA correspondante déjà versée.

* 79 Mais l'arrivée de l'ordinateur dans l'UE aura été enregistrée au préalable par Eurostat comme une importation belge en provenance des Etats-Unis.

* 80 Cf. Frédéric Ouradou Responsable de la Section « Echanges extérieurs et compte du Reste du monde » à la Direction des Etudes et synthèse économiques de l'INSEE (note n° 48/G 434 du 5 décembre 2006).

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