Les réunions de la délégation du Sénat pour l'Union européenne

10 mars 1999


Budget communautaire

Audition de M. Jean-François Bernicot, membre de la Cour des comptes européenne

Justice et affaires intérieures

Communication et proposition de résolution de M. Paul Masson sur le texte E 1219 relatif au projet de décision du Conseil déterminant les bases juridiques de l'acquis de Schengen

Transports

Communication de M. Jacques Oudin sur l'avenir de la politique autoroutière au regard du droit communautaire


Budget communautaire

Audition de M. Jean-François Bernicot, membre de la Cour des comptes européenne

Compte rendu sommaire

M. Michel Barnier :

Si la délégation a souhaité entendre M. Jean-François Bernicot, c'est d'abord à propos de la proposition de règlement du Conseil instituant un office européen d'enquêtes antifraudes qui a été soumis au Sénat dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution. Cette proposition fait suite au rapport spécial de la Cour des comptes européenne qui auditait l'UCLAF (Unité de Coordination de la Lutte Antifraude) et critiquait, entre autres, le travail de la Commission dans sa lutte contre la corruption interne. Elle répond en outre à une demande formulée par le Parlement européen.

Toutefois, la proposition a été très fortement critiquée. Le Parlement a estimé qu'elle marquait un pas en arrière du fait, d'une part, qu'elle fragmenterait les compétences en matière de lutte contre la fraude et, d'autre part, qu'elle ne permettrait pas un droit d'enquêtes autonomes en matière de contrôle interne. De plus, l'ensemble des délégations des Etats a manifesté, au sein du Conseil, une opposition nette au texte proposé par la Commission. De ce fait, celle-ci doit préparer une nouvelle proposition.

Dès lors, nous n'attendons pas seulement de M. Bernicot qu'il nous donne le sentiment de la Cour sur le texte qu'avait présenté la Commission, mais qu'il nous dise quelles devraient être, à son sens, les caractéristiques principales du texte qui permettrait tout à la fois de satisfaire à l'objectif d'indépendance et à l'objectif d'efficacité de l'organe chargé de la lutte antifraude.

Mais peut-être serait-il bon que vous commenciez par présenter rapidement le travail de la Cour des comptes européenne.

M. Jean-François Bernicot :

Les missions de la Cour des Comptes des Communautés européennes sont fixées par le traité ; elles ressemblent beaucoup à celles de la Cour des comptes française ; elles consistent à assister les deux branches de l'autorité budgétaire, que sont le Conseil et le Parlement européen, dans le contrôle de l'exécution du budget communautaire. La différence notable est que la Cour des comptes européenne n'a aucun pouvoir juridictionnel.

La Cour a une organisation collégiale, de telle sorte que seuls les rapports adoptés par le collège peuvent engager l'institution. Ainsi, à propos du règlement proposé par la Commission au Conseil pour la création d'un office de la lutte antifraude (OLAF), la Cour est toujours en cours de réflexion sur le sujet et je ne peux à ce jour me prononcer qu'à titre personnel.

Les travaux de la Cour font l'objet de rapports annuels et de rapports spéciaux sur des sujets divers (25 en 1998) ; les derniers rapports sont importants en raison de la proximité des élections européennes et de la négociation de l'agenda 2000 (qui couvre 13 projets de règlements sur les fonds structurels et le Fonds de garantie agricole).

Une particularité de la Cour des comptes des communautés européennes, par rapport aux autres Cours des comptes nationales, tient au fait que les institutions européennes peuvent demander à la Cour des avis avant qu'une réglementation nouvelle, notamment financière, ne soit adoptée.

Concernant l'OLAF, le projet de règlement fait suite à un rapport de la Cour des comptes portant sur le fonctionnement de l'unité de lutte antifraude (UCLAF) de la Commission, rapport dans lequel la Cour a souligné un certain nombre de dysfonctionnements, notamment en matière de personnels et d'efficacité dans l'action ; à la suite de ce rapport, la Commission du contrôle budgétaire du Parlement européen, dont le rapporteur était M. Bösch, a fait un rapport dont les critiques vont bien au-delà de celles de la Cour des comptes des Communautés européennes.

C'est à la suite du rapport de la Cour des comptes et de la commission du contrôle budgétaire du Parlement européen que la Commission a proposé, dans le cadre du projet de règlement dont vous êtes saisi, la création d'un nouvel organisme antifraude. Ce projet de règlement a été examiné par le groupe compétent du Conseil. Il a fait l'objet de sévères critiques de la part d'une majorité de délégations et sera soumis au Conseil ECOFIN le 15 mars 1999. Le Parlement européen a également examiné ce projet de règlement le 23 février 1999 et le rapporteur a souligné que la proposition de la Commission était un recul par rapport à la situation actuelle.

L'UCLAF est, dans l'état actuel des choses, un organe interne de la Commission. Seuls les organes judiciaires nationaux peuvent qualifier pénalement les irrégularités constatées. L'UCLAF ne peut donc traiter que des cas de présomption de fraude car, n'étant pas un organe juridictionnel, elle n'a pas plus que la Cour des comptes la capacité de qualifier ce qui est fraude et ce qui ne l'est pas ; tout au plus peut-on parler d'irrégularités. En outre, le droit pénal est très peu unifié au niveau des quinze Etats membres en raison des différences juridiques historiques entre les Etats ; de ce fait, il faut être très prudent dans la qualification pénale des faits constatés et dans l'appréciation des éventuelles sanctions envisageables.

L'autre problème que pose le projet de règlement de la Commission, indépendamment des problèmes de compatibilité avec le traité, est que, dès lors que l'OLAF est placé en dehors de la Commission, il est privé des possibilités de coordination que l'on peut exercer lorsque l'on est au sein même des services de la Commission. Jusqu'à présent, un des avantages de l'UCLAF était précisément de faire communiquer entre elles les différentes directions générales de la Commission, lesquelles sont très indépendantes les unes des autres.

Pour l'avenir, je voudrais faire quelques réflexions personnelles.

La première a trait à l'indépendance statutaire de l'organe chargé de la lutte contre la fraude. Actuellement le directeur de l'UCLAF est un fonctionnaire qui ne bénéficie pas de l'indépendance de décision et de gestion qu'on pourrait attendre d'un organe quasi judiciaire. Il faudrait donc trouver une solution permettant que le directeur de l'OLAF soit placé au sein de la Commission, là où sont les risques de fraudes potentielles les plus importants, tout en lui conférant une certaine indépendance, du type de celle que possède par exemple le contrôleur financier, qui est un directeur de la Commission, mais qui a un statut particulier au regard de son indépendance professionnelle.

Concernant l'indépendance fonctionnelle de cet organe, les principales questions portent sur la conduite des enquêtes ; il conviendrait que l'initiative de celles-ci ne relève pas seulement de la Commission, mais appartienne en propre à l'organe chargé de la lutte contre la fraude. Concernant le champ de l'enquête, celui-ci devrait pouvoir être ouvert à toutes les institutions européennes, et pas seulement à la Commission. Par ailleurs, les enquêtes externes à la Commission devraient être limitées aux seules institutions européennes, leur élargissement aux autorités nationales pouvant poser problème dans certains Etats membres.

Au regard du résultat des enquêtes, celui-ci devrait pouvoir être communiqué aux institutions et aux Etats concernés ainsi qu'au Parlement européen selon des modalités très précises ; il conviendrait en effet de tenir compte de la tendance actuelle de sa commission du contrôle budgétaire de vouloir disposer de la totalité des éléments des enquêtes.

Quant à l'idée d'un ministère public communautaire, que le sénateur Pierre Fauchon avait évoquée à l'occasion d'un récent colloque organisé par le Parlement européen, il me semble qu'elle n'est pas encore mûre ; une harmonisation des procédures policières d'enquête serait déjà un grand progrès avec, par ailleurs, le rapprochement entre Europol et l'OLAF.

M. Michel Barnier :

Pouvez-vous nous rappeler l'organisation de la Cour des comptes ?

M. Jean-François Bernicot : 

Le traité indiquait à l'origine que la Cour des comptes, qui a été créée en 1975, serait composée de neuf membres, sans qu'il soit précisé s'il devait y avoir un représentant par Etat membre ; c'est l'usage seul qui a conduit à ce qu'il y ait un membre par Etat de la Communauté. La Cour comprend donc actuellement un collège de quinze membres, avec un personnel relevant du statut de la fonction publique européenne. L'effectif budgétaire de la Cour est d'environ cinq cents fonctionnaires, dont une centaine de traducteurs pour la publication en onze langues de ses rapports.

Le domaine de contrôle est réparti en secteurs de contrôle (par exemple, chacun des fonds structurels constitue un secteur) qui sont placés sous la responsabilité d'un membre de la Cour. L'augmentation du nombre de membres a conduit à une division excessive de ce domaine ce qui ne permet pas toujours d'avoir une vue d'ensemble sur certains sujets communs à plusieurs secteurs.

Pour pallier cette difficulté et maintenir son efficacité, la Cour s'est organisée autour de trois groupes d'audit : le premier porte sur l'agriculture ; le second sur les fonds structurels, les politiques internes et l'assistance aux pays d'Europe centrale et orientale ; le troisième sur l'aide aux pays en développement, les ressources propres et les dépenses administratives. Chaque groupe d'audit n'a pas de possibilité de décision propre car celle-ci reste collégiale ; en revanche cette organisation permet d'améliorer le travail de la Cour.

Pour l'avenir, et dans le cadre de l'élargissement, il faudra revoir l'organisation de la Cour à l'occasion notamment de la future réforme institutionnelle. Il faudra en particulier se demander s'il convient toujours d'avoir une division sectorielle des tâches, quitte à envisager une réorganisation de la Cour en véritables chambres.

M. Michel Barnier :

Je voudrais faire deux réflexions. La première porte sur la gestion des fonds communautaires qui a été mise en lumière à l'occasion de la récente crise interne de la Commission et pour laquelle un des commissaires français est mis en cause. Il me semble que, jusqu'à preuve du contraire, la gestion de la Commission est collégiale, et que, par conséquent, la Commission doit rendre collégialement des comptes au Conseil. Sur ce point, c'est le système lui-même qui maintient une forme d'opacité et qui encourage les soupçons.

Cette opacité tient d'abord au recours trop fréquent aux cabinets d'experts pour gérer des enveloppes communautaires d'un montant considérable. Par ailleurs, la Commission accorde des subventions dans des domaines excessivement vastes. Cette opacité est ainsi directement à l'origine des dysfonctionnements constatés. Un autre problème sensible est celui de la fraude à la TVA intra-communautaire.

M. Jacques Oudin :

Le contrôle est d'autant plus nécessaire que le budget est important. Le système de contrôle à six doit être adapté à quinze ou à vingt-cinq. Par ailleurs, ce système de contrôle est d'autant plus complexe que les institutions n'ont pas les moyens du contrôle de l'utilisation finale des fonds communautaires. Il n'y a pas de FBI européen pour voir comment sont utilisés les fonds dans les Etats. Il faut donc recourir aux institutions nationales pour assurer ce contrôle des subventions européennes.

Mon sentiment est qu'il n'est pas souhaitable de mettre en place un système européen centralisé de contrôle des subventions, mais qu'il faut assurer une réelle coordination et une étroite concertation entre les institutions nationales de contrôle. Il existe en effet dans chaque Etat des structures ou des Cours des comptes dont les statuts sont différents ; il faut donc, comme y travaille Pierre Joxe, poursuivre un travail de coordination des actions nationales de contrôle.

Devant la délégation, j'avais dénoncé il y a quelques années la pratique des " mini-budgets " qui était déjà à l'origine du développement des cabinets d'experts dont on parle beaucoup maintenant. Un exemple du problème posé était déjà illustré dans mon rapport de 1990 par la question simple que je posais alors : combien de fonctionnaires sont employés par les institutions européennes ? Les réponses allaient de 13.000 à 30.000 ! Entre les cabinets d'experts liés par contrats et les contractuels destinés à être embauchés comme fonctionnaires, il y avait déjà des marges de manoeuvre difficiles à cerner. Les réactions françaises ont produit un sursaut salutaire et on a vu alors un freinage substantiel des mini-budgets. Je pense que si on met le doigt sur un point sensible, comme celui des mini-budgets, on doit pouvoir contribuer à une amorce de guérison.

Il faut surtout développer un contrôle interne européen sur l'utilisation des crédits. La plupart des errements négatifs constatés proviennent d'un laxisme qui résulte de l'absence de contrôle des fonds européens. En outre, on est surpris par les antagonismes qui sont permanents entre la commission du contrôle budgétaire du Parlement européen et la Commission européenne. Vu de l'extérieur, cette situation est étonnante et la Cour des comptes pourrait certainement contribuer à améliorer les rapports entre ces deux institutions.

Il faut enfin adopter des règlements moins complexes ; celui sur la TVA en est un exemple très illustratif ; certes, la Cour ne sera jamais saisie préventivement, mais il faut que les règlements puissent être plus facilement appliqués, par exemple dans le domaine des transports routiers.

M. Jean-François Bernicot :

Concernant les relations entre les institutions de contrôle nationales et la Cour des comptes européenne, il me semble que celles-ci sont plus développées que celles qui existent entre certaines institutions européennes et leurs homologues au niveau national. Depuis quinze ans, on assiste à une harmonisation des compétences des Cours des comptes nationales, comme le montre l'exemple italien. L'organisation européenne des Cours des comptes, dont le prochain congrès à Paris sera présidé par M. Pierre Joxe, contribue à ce rapprochement des pratiques.

Dans la mesure où plus de 80 % des fonds communautaires sont gérés au niveau national, il faut évidemment une coordination des structures nationales de contrôle, notamment dans les domaines agricole et des fonds structurels. La réforme agricole, qui donne aux organes nationaux une fonction d'apurement des comptes, va ainsi dans le bon sens. Le travail qui reste le plus à faire porte sur les fonds structurels. Quant aux droits de douane, il est certain que la Commission a un rôle à jouer et la Cour des comptes a critiqué à juste titre son manque d'initiative.

Concernant les mini-budgets, la Cour des comptes n'a eu de cesse de dénoncer cette pratique. Le problème est qu'on est arrivé à un manque total de transparence ; on est passé des mini-budgets - quasi officiels - à des mini-budgets occultes, comme le sont les bureaux d'assistance technique (BAT). Or ces BAT sont des organismes de consultants qui ne vivent que par la Commission, surtout dans le domaine de l'aide directe qui est gérée exclusivement par la Commission. Les domaines concernés sont ceux de l'aide externe (ECHO et aide humanitaire), l'aide aux pays en voie de développement et les politiques internes qui sont gérées directement par la Commission, comme la recherche.

La dérive du règlement financier tient au fait que les élargissements successifs de l'Union ont amené des cultures différentes de contrôle des finances publiques. Lorsque les Communautés ont été créées, elles l'ont été sur un modèle qui était bien connu, proche du système budgétaire français avec des ordonnateurs et des comptables, un contrôleur financier qui contrôlait a priori et une procédure de décharge très proche de celle qui est mise en oeuvre en France avec la loi de règlement. Avec l'arrivée des pays anglo-saxons, on est passé de la notion de contrôle à la notion d'audit, c'est-à-dire d'une logique juridique à une logique gestionnaire. Tant qu'on n'aura pas clarifié ces fonctions, contrôle et audit, on ne parviendra pas à régler ce problème.

L'autre problème est celui du statut de la fonction publique européenne. Celui-ci est devenu trop rigide : il ne facilite pas l'adaptation nécessaire de l'organisation des services, ni des compétences des agents aux nouvelles tâches de gestion de la Commission.

Concernant l'antagonisme entre la commission du contrôle budgétaire du Parlement européen et la Commission, la Cour des comptes en est la première victime. La Cour a des relations très étroites avec le Parlement européen ; mais elle en est aussi victime dans la mesure où il faut de bonnes relations avec l'organisme contrôlé pour faire un bon contrôle. Il faut garder à l'esprit que le rôle de la Cour des comptes est un rôle de " chien de garde " et non de " chien de chasse ". La situation est rendue plus difficile par le fait qu'il n'existe pas à la Commission une culture développée de la transparence dans le domaine financier. Par ailleurs la commission du contrôle budgétaire du Parlement européen, qui est une commission relativement nouvelle, cherche souvent à affirmer son rôle politique.

M. Emmanuel Hamel :

Quelles décisions faudrait-il prendre pour améliorer la gestion et permettre un fonctionnement de la Commission européenne sans gaspillages et sans fraudes ?

M. Jean-François Bernicot : 

On demande parfois trop de choses à la Commission. Il faut préciser ses missions. Il faudrait prêter beaucoup plus d'attention au rôle de trois directions générales à vocation horizontale : la DG XIX (Budget) qui devrait avoir plus de pouvoirs d'arbitrage entre les différentes directions générales de la Commission ; la DG IX (Personnel et administration) qui devrait pouvoir repenser les procédures de recrutement et le statut de la fonction publique européenne dans le sens de la flexibilité ; enfin la DG X (Information, communication) concernant la communication interne afin de développer, parmi les fonctionnaires de la Commission, un état d'esprit de fierté d'appartenance à la fonction publique européenne. On ressent actuellement un problème de motivation des personnels. Par exemple, de jeunes fonctionnaires européens, le plus souvent brillants, s'inquiètent de leurs perspectives de carrière dans une institution où les emplois de direction sont pourvus dans de nombreux cas par un tour extérieur qui n'est pas quantitativement encadré.

M. Maurice Blin :

Vous avez dit qu'il n'y avait pas de communication entre les différentes directions générales. Cette situation est-elle à rapprocher de celle existant entre ministères dans notre pays ? Ou bien existe-t-il une rigidité propre à la Commission qui expliquerait cette imperméabilité entre directions de la Commission, comme certains exemples d'attribution de subventions sembleraient le confirmer ?

M. Jean-François Bernicot :

Le risque de fraude, qui est inhérent à toute organisation bureaucratique, est aggravé à Bruxelles par les différences de cultures au sein de la Commission. La répartition des tâches au sein de la Commission mériterait également une attention particulière. Il y a par exemple quatre commissaires qui s'occupent des relations extérieures. Il y a un commissaire qui s'occupe à la fois de la protection des consommateurs, de l'aide humanitaire et de la pêche. Où est la priorité ? A-t-on besoin d'une DG XII (Science, recherche et développement) et d'une DG XIII (Télécommunications, marché de l'information et valorisation de la recherche) qui sont très proches. N'y a-t-il pas des doubles-emplois ?

M. Michel Barnier :

Dans le cadre de la réforme des institutions - qui ne doit pas se résumer aux trois points habituels - il faudra veiller à réduire le nombre de membres de la Commission, pour éviter des télescopages de portefeuilles, et des membres de la Cour des comptes européennes, pour maintenir son efficacité. La délégation compte se pencher prochainement sur ces questions.


Justice et affaires intérieures

Communication et proposition de résolution de M. Paul Masson sur le texte E 1219 relatif au projet de décision du Conseil déterminant les bases juridiques de l'acquis de Schengen

La modification de la Constitution intervenue en 1993 a accordé au Parlement le pouvoir de se prononcer sur les propositions d'actes communautaires ; malheureusement la formulation de cette révision était imparfaite puisque le Conseil d'Etat a estimé que le Parlement ne pouvait pas se prononcer sur les projets d'actes de l'Union, notamment dans les domaines de la justice et des affaires intérieures.

La dernière modification de la Constitution a été l'occasion de revenir sur la rédaction de l'article 88-4 de telle sorte que le Parlement peut désormais connaître des projets d'actes de l'Union. La proposition de résolution que je présente inaugure cette nouvelle procédure, et ceci avant même la mise en vigueur du traité d'Amsterdam.

Le Gouvernement, qui a manifesté à plusieurs reprises son intention d'associer le Parlement aux travaux du Conseil dans le domaine du troisième pilier, vient ainsi de saisir les assemblées d'un projet de décision émanant du secrétariat général du Conseil des ministres de l'Union européenne et qui a pour objet, s'il est adopté, de déterminer la base juridique de chacune des dispositions ou décisions qui constituent l'acquis de Schengen. Ce projet a été imprimé et distribué sous le numéro E 1219.

L'acquis de Schengen est un vaste domaine qui constitue l'essentiel de ce qui a été fait entre Etats pour lutter contre l'immigration clandestine, les trafics de drogue, la réglementation de l'asile, etc. Je rappelle que le traité d'Amsterdam, lorsqu'il sera mis en vigueur, aura pour effet de communautariser la politique des visas, de l'asile, de l'immigration et des autres domaines liés à la libre circulation des personnes ; ces politiques, transférées dans la compétence de la Commission, vont ouvrir à cette dernière un champ nouveau et vaste d'intervention.

Mais l'aspect pratique de ces matières, par exemple l'application du droit de suite ou la mise en place des contrôles de personnes et de marchandises illicites, relève de la matière qui est actuellement traitée dans le cadre de la convention de Schengen de 1990 et qui est un cadre intergouvernemental. Malgré les carences inhérentes à ce genre de coopération, Schengen existe et est utile. C'est cet acquis de Schengen qui, du fait d'un protocole annexé au traité d'Amsterdam, va être transféré dans le cadre de l'Union européenne, et il revient au Conseil de décider, à l'unanimité, des modalités de ce transfert. Tant que cette décision ne sera pas prise, les matières de Schengen continueront à relever toutes du domaine intergouvernemental de l'Union.

Le débat est donc de savoir, pour chaque article de la convention de 1990, s'il est transféré dans le premier pilier ou dans le troisième pilier. Le travail de ventilation de cet acquis a été engagé dès la signature du traité d'Amsterdam et il approche de son terme. Il s'agit maintenant de connaître les positions que le Gouvernement français va arrêter définitivement et on peut penser que, si elle est appuyée par une résolution du Parlement, sa position de négociation sera plus solide.

Je rappelle que, dès l'entrée en vigueur du traité d'Amsterdam, et donc dès l'entrée en vigueur du protocole Schengen, le Conseil de l'Union européenne se substituera au Comité exécutif des ministres qui avait été créé par la Convention de 1990. Son premier acte devrait être, à l'unanimité des membres concernés, d'arrêter les nouvelles bases juridiques de chacune des dispositions ou décisions constituant l'acquis de Schengen. Comme cet acte du Conseil doit être adopté à l'unanimité, le Gouvernement français dispose d'un pouvoir de blocage de toute décision de transfert qui ne serait pas conforme aux intérêts de notre pays.

La négociation a buté sur deux points sensibles.

Le premier point sensible concerne la gestion future du Système d'Information Schengen (SIS), car le SIS est la pierre angulaire des accords : pas moins de 28 articles de la convention de 1990 (articles 92 à 119) sont concernés qui définissent les catégories de données traitées, les conditions d'intégration des signalements nominatifs dans le système informatisé, les motivations des signalements de non-admission pour des étrangers non communautaires, la nature des données relatives aux personnes disparues, aux témoins, aux personnes citées à comparaître devant les autorités judiciaires, aux surveillances discrètes, aux objets, véhicules, armes à feu, documents d'identité recherchés, aux utilisateurs des données, à la protection des données à caractère personnel et à la sécurité des données, à l'autorité de contrôle commune...

Plusieurs propositions ont été formulées au cours des négociations. Une première proposition consisterait à fonder les articles qui traitent de l'architecture et de la gestion du SIS sur une base du troisième pilier, tandis que les articles concernant les données relatives à la circulation des personnes seraient, eux, répartis entre le premier et le troisième pilier. Une seconde proposition a été formulée par le service juridique du Conseil. Le SIS serait considéré comme une entité créée antérieurement, en dehors du cadre de la Communauté et de l'Union. Son intégration résulterait de l'adoption de deux actes : d'une part, un acte communautaire (premier pilier) et, d'autre part, un acte du Conseil de l'Union (troisième pilier). Ainsi, la Communauté et l'Union reconnaîtraient toutes deux le SIS et approuveraient son fonctionnement, chacune pour ce qui la concerne et en fonction de ses compétences propres. Dans cette hypothèse, toute modification ultérieure des règles du SIS conduirait à rouvrir le débat sur la nature communautaire ou intergouvernementale du système, ouvrant la porte à un contentieux devant la Cour de Justice. Ces propositions ne sont pas satisfaisantes ainsi que je l'ai développé en décembre dernier dans le rapport que j'ai déposé au nom de la délégation. Il convient en effet que le système continue de relever d'une gestion entre Etats, la coopération policière et judiciaire en matière pénale restant du domaine intergouvernemental ; il faut être conscient que le passage d'une gestion intergouvernementale à une gestion communautaire du SIS comporterait des risques sérieux.

Le second point sensible concerne l'avenir de la clause de sauvegarde. Cette clause stipule que " lorsque l'ordre public ou la sécurité nationale l'exigent, une Partie Contractante peut... décider que, durant une période limitée, des contrôles frontaliers nationaux adaptés à la situation seront effectués aux frontières permettant à un Etat de rétablir les contrôles aux frontières lorsque l'ordre public ou la sécurité nationale l'exigent " (article 2 § 2 de la Convention). Dès juin 1995, la France a utilisé cette clause de sauvegarde pour assurer le contrôle de sa frontière avec la Belgique. En décembre 1996, le Comité exécutif des ministres a défini une procédure comportant une consultation préalable des autres Etats membres et l'indication d'une durée limite d'effet. Cette clause a été également utilisée par nos partenaires : les Pays-Bas l'ont appliquée il y a dix-huit mois à l'occasion d'une rencontre sportive ; plus récemment, en février dernier, la Belgique, et le Luxembourg ont à nouveau eu recours à cette clause pour contrôler l'identité de manifestants agriculteurs et kurdes.

Selon les informations que nous avons recueillies au cours des auditions auxquelles nous avons procédées en novembre dernier, il a été envisagé par les négociateurs que la clause de sauvegarde relève du pilier communautaire. Ce transfert vers le domaine communautaire de la clause de sauvegarde aurait des conséquences importantes, car même si le traité prévoit la possibilité, pour les gouvernements, de prendre des mesures dictées " par la sécurité intérieure et le maintien de l'ordre public ", ces mesures seraient indirectement placées sous le contrôle de la Cour de justice ; certes la Cour n'aurait pas compétence pour apprécier l'opportunité ou la proportionnalité des mesures de maintien de l'ordre décidées par les ministres de l'intérieur, mais elle pourrait néanmoins interpréter les arguments avancées par un Etat pour faire valoir que sa sécurité est en cause. De plus, les conditions de procédure de l'application de la clause de sauvegarde, qui avaient été définies dans une décision de décembre 1996 du Comité exécutif Schengen, seraient à l'avenir réglementées sur proposition de la Commission, sous le contrôle de la Cour de justice. Il ne faudrait donc pas exclure la possibilité de contentieux si des contrôles fixes étaient maintenus - comme, par exemple, par la France sur la frontière belge - ou mis en place exceptionnellement par les Etats membres.

Là encore, j'ai expliqué dans mon rapport de décembre dernier les inconvénients de ces dispositions, dès l'instant où la communautarisation de la clause de sauvegarde aurait comme effet d'en placer l'usage sous le contrôle de la Commission, du Parlement européen qui bénéficierait de la codécision, et de la Cour de Justice de Luxembourg. Je propose, dans la proposition de résolution que je vous soumets, de soutenir la position qui a été exprimée publiquement par le ministre de l'intérieur et qui n'allait pas dans le sens de la communautarisation de la clause de sauvegarde.

Il est vraisemblable que la perspective de l'entrée en vigueur du traité d'Amsterdam va entraîner prochainement une reprise active de la négociation et une pression nouvelle pourrait ainsi apparaître en faveur de propositions auxquelles la France s'est jusqu'alors opposée. Il importe donc que le Sénat exprime fortement sa position vis-à-vis du SIS dont la gestion devrait demeurer clairement dans le domaine intergouvernemental. De même les Etats membres devraient rester maîtres de l'utilisation de la clause de sauvegarde. Il serait utile que le Sénat puisse s'assurer, à l'occasion de l'adoption de cette proposition de résolution, que telle demeure bien aujourd'hui la position du Gouvernement.

Nous sommes là au coeur des problèmes de la sécurité des citoyens ; elles concernent la gestion au quotidien des menaces qui pèsent sur la tranquillité publique ; elles sont très sensibles aux yeux de l'opinion et nous devons, à cet égard, aider le Gouvernement français dans la recherche d'un équilibre entre le principe de la liberté de circulation des personnes et la préservation de ses capacités d'intervention. Cette proposition de résolution doit donner au Gouvernement un argument supplémentaire dans la négociation qu'il mène avec nos partenaires européens.

Compte rendu sommaire du débat consécutif à la communication

M. Michel Barnier :

Comme l'a souligné Paul Masson, la présentation de ce texte est une première qui prouve, s'il en était besoin, que le Sénat va exercer sa vigilance sur ce sujet pendant les cinq ans qui viennent et au cours desquelles va se mettre en place la nouvelle politique communautaire en matière de la sécurité ; il s'agit bien d'une période intermédiaire pendant laquelle les Etats disposeront d'un droit de veto jusqu'au moment où le Conseil des ministres aura décidé, à l'unanimité, de gérer désormais la question de la sécurité des citoyens à la majorité qualifiée.

Notre rôle consiste, dès maintenant, et avant même que le traité d'Amsterdam ne soit ratifié, de montrer au Gouvernement que nous sommes non seulement vigilant sur cette question, mais également prêts à l'aider. Nous pouvons faire confiance à Paul Masson, qui suit attentivement cette question depuis des années, pour nous suggérer des auditions au fur et à mesure de l'élaboration de cette politique communautaire et pour que nous puissions exprimer notre sentiment, dans cette matière si sensible et pour laquelle le Parlement dispose de compétences très spéciales.

M. Xavier de Villepin :

Pour que nous soyons efficaces, ne faudrait-il pas effectuer un certain nombre d'auditions sur ce sujet qui est actuellement en grande évolution, par exemple le ministre de l'intérieur et le préfet coordonnateur. Par ailleurs, pouvez-vous nous dire quelle est l'évolution de nos partenaires ? Ont-ils ou non une réticence à communautariser ces matières ?

M. Paul Masson :

C'est bien parce que nous aurons transféré à la Commission ces sujets que nous serons, à l'avenir, critiqués. L'idée européenne, dans son abstraction, prendra des allures bien plus concrètes que celles que l'on connaît épisodiquement avec les procédures d'aujourd'hui. Nous entrons pour la première fois dans des questions qui touchent au quotidien, et de manière proche, aussi bien les français que les allemands ou les italiens. Tout ce que nous pourrons faire pour montrer notre vigilance sera le bienvenu.

Jusqu'à présent, peu de nos partenaires ont pris conscience de l'ampleur du problème dans sa réalité quotidienne. Maintenant on commence à découvrir la vérité derrière les mots. Tout ce qui se passe en Italie, mais aussi tout ce qui se passera demain et inévitablement ailleurs, forcera nos gouvernements à une obligation de résultat. On ne pourra plus se réfugier derrière les carences de l'un ou de l'autre. Par conséquent, nous passons de la diplomatie abstraite et globale à la réalité de terrain. C'est pourquoi nous avons un devoir d'information réciproque au plus près avec nos partenaires européens.

Il faut également convaincre les corps d'exécution - douanes, polices, gendarmeries - de notre pays comme de nos voisins, qui n'ont d'ailleurs pas les mêmes pratiques ni les mêmes méthodes, de l'urgence de cette collaboration ; il faudra mener une réflexion intense et mettre en place des techniques qui conduiront fatalement à exercer une surveillance réciproque. Il ne nous est donc pas interdit de faire des missions pour voir ce qui se passe réellement dans le sud de l'Italie ou sur l'Oder ; ces missions nous permettront d'apporter une analyse politique et responsable à des fonctionnaires qui n'ont pas toujours nécessairement notre vision politique de la situation, ni notre préoccupation des opinions publiques.

M. Michel Barnier :

Nous sommes tous d'accord pour effectuer ces missions d'information, notamment au regard de la coordination des politiques d'immigration.

M. Maurice Blin :

J'ai été tout à fait sensible à la précision de l'exposé de notre rapporteur sur ces matières délicates. Il s'agit d'une affaire de tout ou rien, avez-vous dit, M. le rapporteur, et il suffit donc qu'un Etat manifeste son opposition pour que le processus, qui est contenu dans le traité d'Amsterdam, soit bloqué et qu'il ne se passe rien ; ainsi le traité d'Amsterdam serait vidé de son contenu. Ce qui revient à dire que, si la France, ou un autre pays, prenait la décision de bloquer ce transfert à la Commission des matières de Schengen, le traité deviendrait une coquille vide ; notre débat de ratification perdrait alors toute sa valeur historique. Je découvre avec inquiétude qu'Amsterdam, sans ce contenu, perd beaucoup de son intérêt et que de ce fait nos choix revêtent une grande importance.

Ma seconde question est la suivante : si Schengen a bien fonctionné dans un cadre intergouvernemental, pourquoi prendre la décision grave d'en changer l'attributaire. Pourquoi transférer à la Commission ce qui fonctionne bien ? Est-ce un souci de pureté idéologique ? Est-ce parce que le système marcherait mieux s'il était confié à la Commission plutôt qu'aux Etats, ce dont je doute ?

Je n'arrive toujours pas à comprendre enfin comment on peut transférer une matière aussi délicate et aussi sensible à la Commission. Dans mon esprit, la Commission reste un organisme de proposition, et non d'organisation, de décision ou de gestion. Elle n'est pas équipée pour cela et nous en avons eu la confirmation tout à l'heure, avec l'audition de M. Jean-François Bernicot. Plus la Commission sera chargée de compétences de gestion et moins elle pourra avancer. Je comprendrais, à la rigueur, qu'on transfère ces compétences au Conseil, qui est composé d'exécutifs responsables, mais pas à la Commission. Il y a là un défaut de logique qui m'inquiète.

Cette affaire mérite la plus grande attention et la plus grande vigilance. Il faut donc que nous nous y appesantissions davantage afin de bien mesurer le geste que nous allons accomplir.

M. Emmanuel Hamel :

J'adhère totalement aux analyses de notre rapporteur et je soutiens la proposition de résolution qu'il nous a présentée, même si elle conduit à soutenir le Gouvernement dans l'action qu'il mène sur ce sujet.

M. Xavier de Villepin :

Mon interrogation porte sur le point de savoir si nous pouvons aujourd'hui nous prononcer sans connaître la future composition de la Commission.

M. Michel Barnier :

Alors que quatorze de nos partenaires se sont déjà prononcés pour transférer à la Commission la gestion communautarisée de Schengen, il convient que notre Gouvernement soit vigilant sur les conditions du transfert de cette nouvelle compétence à la Commission. Je ne suis d'ailleurs pas totalement certain que le Conseil serait parfaitement organisé pour exercer cette compétence. Concernant la clause de sauvegarde, je voudrais demander à notre rapporteur son sentiment sur son avenir.

M. Paul Masson :

Mon sentiment est que rien n'est définitif. Nous sommes devant une très grande affaire et je crains qu'on n'ait pas totalement réfléchi aux conséquences du sujet. Si les choses marchent bien, rien ne s'opposerait alors à ce que l'on donne à la Commission la capacité de gérer elle-même la clause de sauvegarde, c'est-à-dire de définir les mutations qui peuvent intervenir dans sa gestion. Par exemple, la Commission pourrait proposer que la clause de sauvegarde ne soit mise en oeuvre qu'avec l'accord du pays voisin directement concerné. En réalité, je ne vois pas actuellement l'utilité de la communautarisation de la clause de sauvegarde ; cette communautarisation correspond à une appréciation prise en fonction du grand principe de la libre circulation des personnes. C'est la doctrine qui a, jusqu'à présent, mobilisé une grande majorité de la Commission, du Parlement européen et des diplomates. Mais on peut être d'un avis différent.

Concernant notre attitude au regard de la Commission dans le futur, je répondrai à M. de Villepin que certains avaient défendu un amendement, lors du débat constitutionnel, qui consistait précisément à permettre au Parlement de revoir, dans cinq ans, le dispositif avant que le gouvernement de l'époque ne prenne définitivement sa décision de transfert de ces matières dans l'ordre communautaire. On avait alors évoqué l'enjeu du transfert, dans cinq ans, de ces matières, alors que subsiste toujours l'inconnu de la future composition de la Commission et de ses conditions de fonctionnement.

Pour répondre à M. Blin, la décision sur laquelle nous nous exprimons est effectivement du tout ou rien comme le précise le protocole du traité d'Amsterdam : " Aussi longtemps que les mesures visées n'ont pas été prises, les dispositions ou décisions qui constituent l'acquis de Schengen sont considérées comme fondées sur le titre VI intergouvernemental du traité sur l'Union européenne ". C'est un scénario catastrophe auquel je ne crois pas personnellement, car les Etats sont parfaitement conscients de la responsabilité de celui qui bloquerait cette décision ; mais le texte même du traité prévoit cette possibilité, ce qui permet notamment à la France de chercher à rallier une unanimité sur ses positions.

Cela étant, je suis très réservé sur le transfert du Système d'Information Schengen à la Commission, car le système intergouvernemental fonctionne ; pour le reste nous assisterons alors à des débats philosophiques, qui ne seront certes pas sans intérêt, mais qui seront en plus aggravés par les discussions au Parlement européen, où on évoquera la question des droits de l'homme ou même on remettre en question la raison d'être du système lui-même. L'opinion va en fait bientôt prendre conscience de l'importance de la matière et de ses incidences sur la sécurité au quotidien : prenons garde aux incidents qui pourraient perturber une certaine opinion publique dans les années qui viennent si on ne parvient pas à maîtriser la situation dans le contexte d'une communautarisation que nous aurons nous-mêmes créée par notre vote.

M. Claude Estier :

Parmi les quinze pays de l'Union européenne qui ont ratifié le traité d'Amsterdam, certains ne sont pas membres du système Schengen. Que signifie pour eux le transfert dans l'Union européenne de Schengen ?

M. Michel Barnier :

Ces pays disposent dans le cadre du traité d'un opting-in pour rejoindre la coopération Schengen.

Au regard des opinions, nous aurons à faire preuve de vigilance sur le bon fonctionnement du système communautarisé. J'ajoute qu'une des raisons qui nous ont fait nous rallier à cette communautarisation tient au fait que ce système, parce qu'il devient un acquis communautaire, s'impose aux pays candidats à l'adhésion à l'Union européenne. Avec un système intergouvernemental, les pays candidats n'auraient pas été contraints de reprendre l'acquis de Schengen.

M. Maurice Blin :

Je suis toujours troublé par le fait que nous pourrions donner notre assentiment au traité d'Amsterdam tout en risquant de le priver de son contenu par une décision négative sur la communautarisation de Schengen.

M. Michel Barnier :

Le traité d'Amsterdam ne se limite pas à ce seul aspect ; il y a par exemple la politique extérieure et de sécurité commune ; nous avons toujours dit que, dans un délai de cinq ans, les ministres auront un droit de veto sur cette communautarisation des matières de sécurité intérieure.

M. Xavier de Villepin :

Je m'inquiète du risque d'affaiblissement de notre position au regard de la lutte contre les trafics de stupéfiants si la clause de sauvegarde est communautarisée ; et il est non moins inconcevable que l'on continue à tolérer la culture de drogues douces sur le sol européen.

M. Paul Masson :

Compte tenu de la situation géographique de la France, il est clair que sa position au regard de la lutte contre les trafics de stupéfiants sera considérablement affaiblie en cas de communautarisation de la clause de sauvegarde. La plupart des saisies de stupéfiants sont en effet rendues possibles grâce au maintien de contrôles fixes à la frontière belge, sans qu'il soit pour autant nécessaire qu'un cordon de douaniers ou de policiers soit en permanence en faction. Mais la possibilité juridique de faire ces contrôles reste un élément appréciable d'intervention dans cette lutte contre les trafics de stupéfiants. Personne ne peut nier que, à partir du moment où ce dispositif sera contrôlé par la Commission, celui-ci sera plus difficile à mettre en oeuvre.

M. Michel Barnier :

Il me semble que, sur cette question de la drogue, il serait souhaitable que notre délégation procède à l'audition des responsables compétents, afin que l'information des membres de la délégation soit la plus complète possible, en particulier au regard de la politique laxiste de santé publique des Pays-Bas.

A l'unanimité, les sénateurs communistes s'abstenant, la délégation a alors approuvé le dépôt de la proposition de résolution suivante :

Proposition de résolution

Le Sénat,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu le projet de décision du Conseil déterminant la base juridique de chacune des dispositions ou décisions constituant l'acquis de Schengen (E 1219),

Considérant que le traité d'Amsterdam, en créant un nouveau titre IV, transfère dans l'ordre communautaire, dès sa mise en vigueur, les domaines des visas, de l'asile, de l'immigration et des autres politiques liées à la libre circulation des personnes ;

Considérant d'autre part que le traité d'Amsterdam, par le moyen d'un protocole annexé, régit l'introduction de l'acquis de Schengen dans l'ordre communautaire et qu'il prévoit, à cet effet, la répartition des dispositions constituant l'acquis de Schengen soit dans le premier pilier, soit dans le troisième pilier ;

Considérant que cette ventilation détermine le traitement communautaire ou intergouvernemental de matières jusqu'alors traitées exclusivement dans le cadre intergouvernemental et que cette ventilation peut conduire à une remise en cause de l'équilibre même du traité, tel qu'il a été signé à Amsterdam, le 2 octobre 1997 ;

Considérant enfin que le présent projet de décision du Conseil doit être adopté à l'unanimité ;

Demande au Gouvernement :

- de s'opposer au transfert dans l'ordre communautaire du dispositif de la convention d'application des accords de Schengen qui traite du système d'information Schengen (SIS), la coopération policière et judiciaire en matière pénale relevant du domaine intergouvernemental ;

- d'obtenir le maintien dans le ressort de la seule responsabilité des Etats de la clause de sauvegarde de l'article 2 § 2 de la convention d'application des accords de Schengen du 15 juin 1990.

La proposition de résolution de M. Paul Masson a été publiée sous le numéro 263 (1998-1999).


Transports

Communication de M. Jacques Oudin sur l'avenir de la politique autoroutière au regard du droit communautaire

Je vous épargnerai un long discours sur la nécessité, à mes yeux incontestable, de doter la France d'un réseau routier et autoroutier performant. Les faits sont là : le volume des marchandises acheminées par la route correspond à quatre fois le volume acheminé par le rail ; un constat identique peut être dressé pour le transport de personnes puisque, à elles seules, les autoroutes concédées transportent 30 % de passagers-kilomètre de plus que le rail. Les autoroutes correspondent donc bien à un besoin économique, besoin qui, nul ne le conteste, ira croissant dans les prochaines années : le trafic autoroutier, personnes et marchandises, devrait croître au rythme annuel de 2 % pendant deux décennies, alors que le trafic ferroviaire devrait au mieux rester stable.

Le développement du réseau routier et autoroutier est d'ailleurs indispensable pour une politique d'aménagement du territoire cohérente. La route permet de gagner n'importe quel village, n'importe quel endroit du territoire ; en revanche, on imagine mal comment le rail pourrait à lui seul acheminer des marchandises partout et à tout instant.

Enfin, si l'on se place dans une perspective européenne, force est de constater que la route est la seule infrastructure de transport terrestre qui permet de passer sans difficulté aucune d'un Etat à un autre, alors que le train donne lieu, au passage des frontières, à des changements de conducteurs ou à des difficultés tenant à la largeur des voies ou à l'alimentation en énergie.

Nul ne peut donc sérieusement mettre en doute la nécessité pour la France et pour l'Europe de développer leur réseau routier et autoroutier. Le ministre chargé des transports, que nous avons entendu la semaine dernière, s'est d'ailleurs dit convaincu de l'utilité de poursuivre la construction de ce réseau, y compris en ce qui concerne les autoroutes. J'ai été fort satisfait de constater que l'idée d'un moratoire sur les autoroutes, chère à sa collègue chargée de l'environnement, n'était plus à l'ordre du jour. Ces assurances n'ont cependant pas effacé cette impression de frilosité qui me semble caractériser la politique autoroutière du Gouvernement, frilosité que je ressens lorsque j'entends tel ou tel ministre évoquer les contraintes que le droit communautaire, en vigueur ou à venir, mettraient au développement des autoroutes.

C'est pour prendre toute la mesure de ces contraintes que j'ai demandé à notre délégation de me charger d'une étude sur ce sujet, et que, dans ce cadre, je me suis rendu à deux reprises à Bruxelles pour y rencontrer des hauts fonctionnaires de la Commission européenne en charge, pour les uns, des transports et, pour les autres, des marchés publics. C'est en effet dans ces deux domaines que des dispositions communautaires touchant les autoroutes ont été adoptées ou pourraient l'être prochainement.

*

Je commence par une présentation de la politique des transports de Bruxelles, ce qui vous permettra ensuite d'apprécier l'état d'esprit dans lequel la Commission juge notre système autoroutier.

L'objectif de la Commission, c'est de placer les différents modes de transport - et, au sein de ceux-ci, les entreprises - sur un pied d'égalité pour faire jouer véritablement la concurrence.

L'instrument privilégié de cette politique est celui de la tarification.
L'objectif de la Commission est de parvenir à ce qu'elle appelle une " tarification équitable " pour l'utilisation des différents types d'infrastructures.

Elle cherche à faire en sorte que les redevances versées pour l'utilisation des infrastructures reflètent le coût marginal. Par exemple, si la circulation d'un train ou même d'un wagon supplémentaire à tel endroit et à tel moment coûtait X euros à la collectivité, l'entreprise ferroviaire devrait acquitter une redevance de X euros. Ces X euros, nous dit la Commission, seront calculés en tenant compte de tous les coûts, y compris externes, par exemple du bruit, de la pollution, des coûts de signalisation supplémentaire ou de l'usure des voies.

C'est ce que l'on appelle parfois le principe de l'utilisateur-payeur..

Mais cette politique de la Commission doit être replacée dans son contexte européen, celui de la gratuité de principe des routes, et même des autoroutes, dans les Etats membres. Dans ce contexte, on peut comprendre que le rail soit largement privilégié par la Communauté européenne. La plupart des projets de réseaux transeuropéens de transport concernent le ferroviaire ; le train bénéficie de la majeure partie de l'aide communautaire aux infrastructures de transports : près de 62 % en 1998, soit 292 millions d'écus, contre 12,5 % pour les routes. Ces aides européennes s'ajoutent aux subventions publiques massives versées par les Etats à leur système ferroviaire (sauf en Grande-Bretagne). Comme je l'ai dit à mes interlocuteurs de la Commission, qui ne m'ont point démenti : " l'Europe s'occupe surtout du malade ". Les dossiers en cours, je pense notamment aux différentes propositions de directives concernant le train et au livre blanc de juillet dernier intitulé " des redevances équitables pour l'utilisation des infrastructures ", poursuivent l'objectif affiché d'une revitalisation des chemins de fer.

Doit-on pour autant en conclure que Bruxelles est opposée au développement de la route ? Certainement pas. Mes interlocuteurs ont reconnu la nécessité pour l'Europe de se doter d'un réseau routier et surtout autoroutier performant. Ce qu'ils souhaitent, c'est enrayer le déclin continu du ferroviaire constaté dans tous les pays membres. En d'autres termes, la Commission espère que l'accroissement du trafic attendu au cours des prochaines années bénéficiera en partie au train, et non exclusivement à la route.

Or, dans cette optique d'une tarification équitable de l'utilisation des infrastructures, le " péage à la française " paraît une solution incontournable qu'il conviendrait de généraliser.

Qu'y a-t-il en effet de plus conforme au principe de l'utilisateur-payeur que le péage ?
Certainement pas la subvention.

Je constate au passage que, en ce qui concerne le train, il y aurait beaucoup à faire pour parvenir à une tarification au coût marginal. Je ne pense pas -je suis même persuadé du contraire- que le prix des billets SNCF couvre tous les coûts, internes et externes, d'utilisation du ferroviaire puisque l'aide financière globale de l'Etat au système ferroviaire avoisinerait 70 milliards de francs.

Les hauts fonctionnaires de la DG VII m'ont ainsi affirmé que le péage autoroutier répondait pleinement à leurs préoccupations. Ils ont même considéré qu'il devrait être le principe, alors que, aujourd'hui, le principe en France est celui de la gratuité de l'utilisation des autoroutes, le péage étant l'exception autorisée mais très généralisée.

D'un point de vue français, il me paraît d'autant plus justifié de préférer le péage à l'impôt que, comme l'a d'ailleurs souligné le ministre de l'équipement et des transports devant notre délégation le 4 mars dernier, notre pays est un important lieu de transit : pourquoi le contribuable français paierait-il pour des automobilistes qui ne font que se rendre d'Allemagne ou de Belgique en Italie ou dans la péninsule ibérique ?

Reste à savoir comment faire accepter le principe du péage par les Etats situés à la périphérie de l'Union et dont, comme c'est le cas en Allemagne, les autoroutes sont utilisées gratuitement, ou donnent au mieux lieu à la perception d'une " euro-vignette ".

Reste à savoir également comment assurer la meilleure modulation entre les véhicules selon leur volume, selon leur poids et aussi selon leur plus moins forte contribution, si j'ose dire, à la pollution. Ce dernier aspect est essentiel aux yeux de la Commission et M. James Currie a longuement insisté, lors de son audition devant notre délégation, sur la place de plus en plus importante tenue par l'environnement parmi les priorités de Bruxelles.

Une solution fort intéressante a été présentée par la Commission. Il s'agit du péage électronique.

Ce système permet le péage à distance sans intervention humaine : au lieu de vous arrêter au péage, un dispositif électronique enregistre et facture votre passage sur l'autoroute. Cela réduit les risques d'encombrement et d'accident, rend relativement indolore le prélèvement sur l'usager tout en permettant une modulation selon les catégories de véhicules.

C'est une solution que nous aurions intérêt à défendre au sein de l'Union européenne et j'ai cru comprendre que le Ministre des transports y était favorable.

*

J'en viens, à présent, au droit communautaire applicable aux marchés publics. Il concerne les autoroutes en ce qu'il soumet les concessions autoroutières à certains impératifs.

Outre une tarification équitable pour l'utilisation des infrastructures, la Commission préconise, dans ce domaine comme dans d'autres, la transparence, notamment lors de la passation des marchés publics.

Elle a ainsi adopté le 24 février dernier un projet de communication interprétative qui rappelle que les concessions sont, bien entendu, soumises aux dispositions générales des traités et aux principes dégagés par la Cour de justice. Ce projet, soumis à consultation et sur la base duquel une communication sera adoptée avant l'été, privilégie notamment l'égalité de traitement entre les candidats, la non-discrimination et la reconnaissance mutuelle. Ce projet de communication rappelle également le droit dérivé applicable en la matière, en l'occurrence la directive 93/37/CEE dite " directive travaux ". Ce texte impose au pouvoir adjudicateur des règles de publicité et de transparence, à savoir la publication au Journal Officiel des Communautés Européennes d'un avis de concession permettant une mise en concurrence au niveau européen.

Toute la difficulté consiste à savoir si la procédure française de passation des concessions est ou non contraire à ces principes et dispositions communautaires.

Vous savez que cette procédure repose sur ce que l'on appelle l'adossement : la construction d'une section d'autoroute nouvelle par une société est financée par un allongement de la durée d'une concession dont bénéficie la société sur une autoroute existante. Ainsi, la société chargée de la construction, en percevant le produit des péages pendant une durée plus longue sur des sections rentables, n'a pas besoin d'une subvention pour financer de nouveaux travaux.

L'opération est neutre pour les finances publiques ; la charge financière repose sur l'usager, non sur le contribuable.

Des propos tenus par des ministres m'avaient inquiété car ils considéraient, semble-t-il, la fin de l'adossement comme une " conséquence inéluctable " du droit communautaire. C'est notamment ce qu'indique notre collègue Gérard Larcher dans son rapport fait au nom de la Commission d'enquête du Sénat sur les infrastructures terrestres et déposé en juin 1988.

M. Gayssot avait d'ailleurs affirmé que, je cite : " les exigences européennes nous (conduisaient) à modifier le système de financement actuel ". Mme Voynet avait, elle aussi, affirmé que l'entrée en vigueur des textes communautaires comportait " implicitement une remise en cause du mode de dévolution à la française des concessions autoroutières ".

Pourtant, plus récemment, et notamment lors de son audition par notre délégation le 4 mars dernier, M. Gayssot a été beaucoup plus nuancé. Il a ainsi pu écrire à notre collègue député Robert Lamy, qui l'avait interrogé sur ce point, que, je cite, " l'adossement financier n'est ni autorisé, ni interdit par la directive, dont ce n'est pas l'objet ".

Vous comprendrez que, face à ces hésitations, j'ai tenu à m'adresser directement aux services de la Commission européenne. Leur position sur la question m'a paru extrêmement claire. Elle peut être résumée en trois affirmations :

- tout d'abord, l'adossement n'est pas, dans son principe, contraire au droit communautaire. Peu importe à la Commission que l'on finance le développement de notre réseau par le péage, la subvention ou tel autre mode de financement, même si sa préférence va au péage en raison de l'application du principe de l'utilisateur payeur. Ce qui compte, à ses yeux, c'est que les candidats soient informés des règles du jeu et que, bien entendu, ces règles soient les mêmes pour tous ;

- deuxième affirmation de la Commission : tel qu'il est aujourd'hui pratiqué en France, l'adossement pose effectivement des problèmes au regard du droit communautaire : les règles du jeu ne sont pas connues de tous les candidats puisque seules des sociétés déjà titulaires d'une concession sur le réseau français sont informées d'une procédure de passation de marché ; en outre, ajoute la Commission, même si tous les candidats potentiels étaient informés de cette procédure, les règles du jeu seraient faussées en raison du statut privilégié des sociétés françaises d'autoroutes : comment, nous dit Bruxelles, pourriez-vous prétendre que vous respectez l'égalité entre les candidats alors que vos sociétés échappent au droit commun en matière fiscale, par exemple au regard de la TVA et de l'impôt sur les sociétés ?

- d'où la troisième affirmation de la Commission : il ne tient qu'à vous, Français, de rendre votre système d'adossement compatible avec le droit communautaire. Pour ce faire, il vous faut tout d'abord assurer la transparence en publiant un avis européen de mise en concurrence dans lequel l'Etat doit indiquer son intention d'aider le concessionnaire soit par l'allongement d'une concession existante, soit - car l'égalité ne peut se concevoir que si l'on ne réserve pas le contrat à des sociétés en place - d'une autre manière. C'est précisément ce que nous avions suggéré à M. Gayssot il y a un an lorsque nous avions chargé le Président Genton de lui adresser une lettre soulignant que, sous réserve de quelques aménagements, le droit communautaire n'interdit pas l'adossement.

Il faut ensuite, pour que toutes les sociétés intéressées soient sur un pied d'égalité avant de faire leur offre, que le statut des sociétés d'économie mixte concessionnaires d'autoroute (SEMCA) ne leur assure pas une position privilégiée par rapport à leurs concurrents.

J'ajoute que cette transparence que souhaite la Commission doit être continue : elle ne doit pas se limiter à la procédure de passation des contrats, mais porter aussi sur la poursuite de l'activité des entreprises. D'où la nécessité de disposer d'une comptabilité claire. D'où également la nécessité de ne pas mélanger les choses. La tarification équitable des infrastructures, l'application du principe de l'utilisateur-payeur, impliquent que chaque type de transports ait un système de financement clair et cohérent. De ce fait, un système de transports ne saurait financer un autre système de transports ce qui introduit un facteur d'opacité et de complexité. A cet égard, Bruxelles est fort critique, à mon avis à juste titre, sur l'utilisation en France des recettes procurées par les péages qui, via le fonds d'investissement des transports terrestres et des voies navigables, servent à financer des routes, des investissements ferroviaires ou des voies navigables.

*

J'en ai terminé avec une communication qui, je l'espère, vous aura permis de relativiser l'ampleur des problèmes que nous pose le droit communautaire. Ces problèmes, nous pouvons les résoudre. Nous le devons même car les autoroutes répondent non seulement à un besoin économique, mais contribuent aussi à réduire les accidents de la route et, en assurant la fluidité du trafic, à lutter contre la pollution. Je souhaite bien entendu que nos chemins de fer soient plus performants. Il faut cependant bien prendre en considération l'extrême diversité des situations locales. J'ai évoqué tout à l'heure l'utilité de la route pour desservir les zones rurales ; je reconnais que le train et les transports communs en général sont fort utiles dans les grandes agglomérations. Cela étant, il faut se garder de raisonner comme si l'Europe ne comprenait que des agglomérations comme l'Ile-de-France. Le " tout-ferroviaire " et le " tout-routier " n'existent pas.

Compte rendu sommaire du débat consécutif à la communication

M. Emmanuel Hamel :

Je ne partage pas le jugement sévère que vous portez sur le chemin de fer. Le transport ferroviaire, ainsi que la voie d'eau, sont moins bruyants, moins dangereux, moins polluants que la route. Il faut encourager leur développement.

M. Jean Bizet :

Comment peut-on assurer la transparence lorsque le financement d'une section d'autoroute est le lot de multiples intervenants : Etat, départements, régions... ? Les collectivités locales peuvent-elles espérer récupérer les sommes ainsi investies ?

M. Jacques Oudin :

La question de la répartition du produit de l'utilisation des autoroutes devra être réglée par le législateur. Mais, auparavant, c'est à la question du principe même du péage que nous devons répondre. Lorsque je parle de transparence, je veux notamment dire que l'on ne peut pas continuer à financer sur les deniers publics, qu'ils viennent de l'Etat ou des collectivités locales, à la fois la construction de nouvelles sections et l'entretien de milliers de kilomètres d'autoroute. Nous devons donc recourir au péage. Lorsque je dis " nous ", je ne pense pas qu'à la France car la question intéresse tous les Etats de l'Union, puisque tous doivent maîtriser leurs finances publiques.

Je tiens à indiquer à notre collègue Emmanuel Hamel que je ne porte pas un jugement sévère sur le rail. J'ai même dit que je souhaitais que nos chemins de fer soient plus performants. Mais je considère que chaque mode de transport correspond à des besoins particuliers et que l'on ne peut forcer un opérateur à recourir à l'un plutôt qu'à l'autre s'il ne le veut pas. Bien sûr, rien n'empêche, selon moi, les pouvoirs publics de conduire une politique volontariste pour développer tel ou tel type de transports. L'essentiel est que, conformément d'ailleurs aux exigences de Bruxelles, la cohérence dans les tarifs et dans les comptabilités soit préservée.

J'ajoute que, sans méconnaître les avantages du rail, la route est, au niveau européen, le seul mode de transport véritablement cohérent. L'automobiliste ne s'aperçoit pratiquement pas qu'il passe une frontière. L'usager du train est, lui, confronté aux différences nationales tenant par exemple à la largeur des voies ou à l'alimentation en énergie. Il doit par exemple changer de train et de conducteur.