ORGANISATION DÉCENTRALISÉE DE LA RÉPUBLIQUE

M. le PRÉSIDENT -

L'ordre du jour appelle la discussion et le vote du projet de loi constitutionnelle relatif à l'organisation décentralisée de la République.

M. RAFFARIN, Premier ministre -

Je salue votre initiative, monsieur le Président, d'adresser un message de paix pour soutenir les initiatives de la France : il y a toujours une alternative à la guerre !

J'ai l'honneur, au nom du Président de la République, de soumettre à votre approbation ce projet de loi constitutionnelle. Dans ce cadre solennel du Congrès, je suis heureux, quinze jours après avoir annoncé les orientations du Gouvernement à Rouen, de pouvoir vous proposer le socle de notre réforme.

J'avais annoncé en octobre que le gouvernement se donnait cent cinquante jours pour engager de façon irréversible l'acte II de la décentralisation. Notre projet est maintenant précis et public. Moins de cinq mois après notre engagement, la phase constitutionnelle s'achève alors que commence le travail sur la loi de transfert de compétence. La Constitution, c'est la loi des lois, c'est la colonne centrale de notre pacte républicain : il appartient au Constituant de la faire vivre. Nous ne voulons pas la VI è République. La Vème République du Général de Gaulle et de Michel Debré a donné à notre pays la stabilité institutionnelle qu'il a cherchée si longtemps. (Applaudissements)

Mais nous pensons aussi que ce texte de 1958 a besoin d'évoluer et peut, maintenant que l'autorité de l'Etat est solidement établie, être complété pour renforcer la démocratie locale.

Maurras, polémiquant avec Clemenceau au tout début du siècle dernier, disait que « la République ne peut décentraliser » et il se réjouissait de cet aveu de faiblesse. J'ai aujourd'hui la conviction inverse : notre République peut se décentraliser. Elle sera même d'autant plus forte qu'elle sera décentralisée. Une République décentralisée est une République humanisée.

« La France vient du fond des âges, elle vit, les siècles l'appellent ». Cette mission historique du Général de Gaulle nous engage. Il faut libérer la France de ses lourdeurs pour qu'elle puisse toujours exprimer ses valeurs.

N'oublions pas, au printemps dernier, ces Français, sceptiques sur le fonctionnement de la République, se réfugiant dans l'abstention ou dans l'exaspération, ces Français reprochant à l'action publique une certaine impuissance. Les Français veulent que la proximité permette de gérer la complexité et que la responsabilité permette de rétablir le lien qui s'effiloche entre les élus et les citoyens. Les Français aiment l'Etat, ils aiment leur maire, mais ils veulent un Etat et une administration efficaces.

Les Français avaient d'abord besoin d'ordre. La République devait rétablir ses valeurs : ce fut la priorité du Gouvernement pendant le premier semestre de son action. Nous avons rétabli l'autorité républicaine, renforcé la justice, renforcé la police, renforcé l'armée. Et les résultats sont là. Après la loi de programmation militaire, la France est d'autant plus forte pour défendre la paix dans le monde qu'elle n'a pas fait le choix du pacifisme.

Mais les Français ont aussi besoin de mouvement : ils savent que l'immobilisme est la plus grande menace pour notre pacte républicain, car l'immobilisme affaiblit l'Etat. Sous l'impulsion du Président de la République, nous voulons être, aujourd'hui, l'expression du mouvement.

La révision constitutionnelle que je vous demande de ratifier aujourd'hui, va nous offrir des leviers majeurs de réforme. Je voudrais insister plus particulièrement sur cinq d'entre eux.

Le premier levier, c'est le principe de subsidiarité et de proximité. L'urgence aujourd'hui est de définir le niveau pertinent de l'exercice des responsabilités. La République reste unitaire ; elle n'est pas fédérale ; mais elle doit adapter, dans notre ordre institutionnel, le principe de subsidiarité qui doit nous guider dans la juste répartition des compétences.

La Constitution n'est pas qu'un outil de juristes, c'est aussi un texte qui rassemble les valeurs de la République, exprime notre devise, affiche notre drapeau et protège notre langue. Au nombre de ces valeurs, il faut ajouter la recherche de la proximité car les libertés locales renforcent le lien national : la démocratie de proximité renforce la République.

Cet article aura bel et bien un effet juridique : il empêchera de recentraliser les compétences bien exercées au niveau local et de corseter l'action des collectivités locales par des normes trop tatillonnes.

Le droit à l'expérimentation constitue le deuxième levier de réforme. La Constitution le reconnaîtra pour l'Etat comme pour les collectivités locales. Nous avons trop tendance à privilégier les grandes réformes, cartésiennes et globales. Il nous faut être plus pragmatique, accepter l'idée que des expérimentations permettent à certaines collectivités d'aller plus vite que d'autres.

Une révision de la Constitution était donc nécessaire, pour ouvrir la possibilité de déroger temporairement au principe d'égalité. Le Parlement restera le garant du processus. Il autorisera l'expérimentation et l'évaluera ; il n'y aura pas d'expérimentation lorsque seront en cause « les conditions essentielles d'exercice d'une liberté publique ou d'un droit constitutionnellement garanti. »

Autoriser trois communautés urbaines ou plus à expérimenter de nouvelles règles d'emploi des PALULOS ; tester, grandeur nature, de nouveaux dispositifs d'aménagement du territoire ou d'urbanisme : je ne vois rien là qui menace l'unité de la République. Ces expérimentations nous permettront de mieux préparer les réformes dont notre pays a besoin.

Troisième levier constitutionnel de changement : le développement de la démocratie locale. Le nouvel article 72-1 créera trois outils de démocratie locale renforcée : le droit de pétition, le référendum local et la consultation locale.

Ces trois outils permettront de resserrer les liens entre les élus et les électeurs : la démocratie participative est la garantie d'une décentralisation durable. Vous le constaterez d'ici un an.

Nous avons aussi voulu définir un nouveau cadre financier pour garantir l'autonomie financière et développer la péréquation entre les territoires.

Comme le Président de la République s'y était engagé, nous avons souhaité rénover le cadre financier de l'action des collectivités territoriales : la Constitution fixera désormais quatre principes : autonomie financière (les collectivités « disposent librement de leurs ressources, dans les conditions fixées »), juste compensation (chaque transfert de compétences doit s'accompagner du transfert des moyens humains et financiers correspondants) (Applaudissements sur quelques bancs), autonomie fiscale. En privilégiant le transfert de fiscalité sur celui des dotations, nous voulons renforcer la responsabilisation des élus... et à ce compte, la pression fiscale baissera ! (Mouvements divers) Oui, la réforme est faite pour baisser la fiscalité locale ! (Vifs applaudissements)

UNE VOIX -

Mon oeil !

M. le PREMIER MINISTRE -

Quatrième principe, la péréquation : nous l'inscrivons dans la Constitution car la République des proximités ne sera pas la République des inégalités.

Sur tous ces points, nous prenons les engagements les plus formels, nous les inscrivons dans la Constitution et nous acceptons de nous placer sous le contrôle du juge constitutionnel. (Applaudissements)

Cinquième innovation : la reconnaissance d'un droit à la spécificité, avec la possibilité d'adapter le statut des collectivités, en métropole et outre-mer.

M. CHARASSE -

Fossoyeur de la République !

M. le PREMIER MINISTRE -

En métropole, la possibilité de créer des collectivités à statut particulier en lieu et place des collectivités de droit commun permettra d'apporter des réponses appropriées si des demandes s'expriment en Corse, en région parisienne, ou dans d'autres collectivités.

La Corse doit être à la pointe de la décentralisation et exploiter toutes les possibilités offertes par la Constitution. Nous avons pris, et nous continuerons à prendre, avec Nicolas Sarkozy, les dispositions spécifiques nécessaires, pour adapter ses compétences, ses ressources et son organisation à sa situation particulière.

M. CHARASSE -

Explosive !

M. le PREMIER MINISTRE -

Enfin, nous redéfinissons totalement le cadre institutionnel de l'outre-mer, en lui donnant de la souplesse, mais également de la lisibilité, puisque la Constitution réaffirme solennellement l'appartenance des différentes collectivités d'outre-mer à la France et à la République. (Applaudissements)

Ces principes seront prolongés par des lois organiques et ordinaires ; nous croyons ainsi répondre aux attentes des Français.

Je voudrais vous exprimer trois convictions que je tire des vingt-six assises territoriales qui viennent de se dérouler mais aussi d'une expérience personnelle d'élu local et d'un travail effectué dans de nombreuses instances de réflexion nationale sur la décentralisation notamment, ces dernières années au sein de la commission présidée par Pierre Mauroy.

Je l'ai entendu : les Français aiment l'Etat.

Nous ne voulons pas organiser son désengagement, mais au contraire lui donner les moyens de répondre aux attentes de nos compatriotes. La décentralisation permettra à l'Etat de se recentrer sur ses responsabilités. Je crois en l'Etat, mais je le veux fort dans ses missions régaliennes, efficace et capable d'humanité dans ses missions de solidarité, stratège, régulateur, et non ankylosé. Cette réforme est la première étape d'une ambitieuse réforme de l'Etat.

Le Parlement doit rester le garant de la réforme. Le pouvoir législatif ne sera ni éclaté, ni dispersé. Nous nous donnons les moyens de transformer notre architecture territoriale ; en quelques années, nos régions, par exemple, pourront conquérir la puissance européenne, mais seulement en accord avec le Parlement.

Vous autoriserez et vous contrôlerez en amont et en aval les expérimentations dans le domaine législatif. Au vu des résultats, vous déciderez de généraliser, d'abandonner ou de modifier l'expérimentation. Vous déterminerez également les ressources dont pourront disposer librement les collectivités territoriales et vous assurerez l'égalité des Français devant les droits fondamentaux. Vous déciderez de l'évolution des collectivités à statut particulier et des collectivités d'outre-mer. Vous serez pour le Gouvernement des alliés précieux et constructifs pour la réforme de notre Etat.

Nous nous retrouverons tous, je le crois, pour que vive cette réforme. Je pense aujourd'hui que certains ont eu tort, au début des années 1980, de jeter un regard partisan sur les lois Defferre et Mauroy qui n'étaient pas partisanes. Elles avaient leur force, elles ont cependant dû être régulièrement adaptées. Je vous propose aujourd'hui l'Acte II de la décentralisation, il a sa force, il devra faire aussi l'objet d'adaptation.

Les Françaises et les Français savent reconnaître les limites des clivages politiques. Ils savent que « la constance est la plus haute expression de la force ». L'erreur des uns, hier, sera, peut-être l'erreur des autres aujourd'hui ! Le temps fera son oeuvre...

L'essentiel est que, grâce aux responsabilités nouvelles, aujourd'hui données aux acteurs de terrain, la République se rapproche de son inspirateur : le Peuple de France. (Applaudissements nourris et prolongés)

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