SECONDE PARTIE : LE JAPON À L'HEURE DU NUMÉRIQUE

I. REGARDS SUR L'INDUSTRIE CULTURELLE AU JAPON

A. LE SECTEUR DU LIVRE

La délégation a visité la Bibliothèque nationale de la Diète pour s'informer sur la politique de numérisation du Japon. Elle a également été reçue au siège de Dai Nippon printing et a visité le musée du manga à Kyoto.

1. La Bibliothèque nationale de la Diète

La Bibliothèque nationale de la Diète est issue de la fusion en 1948 de la Bibliothèque impériale et de la Bibliothèque des deux chambres parlementaires.

Une de ses missions principales est de prêter assistance à la Diète en lui apportant les informations et analyses appropriées.

Par l'intermédiaire de ses bibliothèques annexes, elle offre les mêmes prestations aux ministères, agences gouvernementales et à la Cour suprême.

De plus, toute personne majeure quelle que soit sa nationalité peut solliciter les services de la Bibliothèque nationale.

Ses autres missions recouvrent :

- l'acquisition et l'échange de tous types de publication ;

- la préservation de l'héritage national ;

- la compilation de catalogues ;

- la coopération inter-bibliothèques, tant au plan national qu'international.

Au cours de l'entretien accordé à la délégation, M. Nagao a indiqué que l'objectif de la Bibliothèque nationale de la Diète était de rendre les oeuvres accessibles au plus grand nombre de citoyens. C'est ce qui a déterminé une politique ambitieuse de numérisation qui devrait atteindre un million d'ouvrages d'ici la fin de l'année 2011.

La numérisation a d'abord porté sur 20 000 livres précieux ou rares et 58 000 restent à numériser. Par ailleurs, 156 000 livres publiés avant 1958 sont consultables sur Internet. Dans le dernier collectif budgétaire, le Gouvernement a débloqué un budget spécifique de 12,7 milliards de yen pour poursuivre la numérisation qui concernera 9 millions de livres, 8 millions de périodiques et 35 millions de documents divers. La numérisation porte sur les oeuvres dont les droits d'auteur sont expirés. Selon M. Nagao, ce budget ne suffira pas : il devrait être cinq fois supérieur pour numériser l'ensemble des ouvrages de la bibliothèque.

M. Nagao a insisté sur le fait que la Bibliothèque nationale a fait clairement le choix de ne pas recourir à un partenariat avec Google, comme cela était affirmé à la conférence organisée par l'Université de Tokyo en 2009, à laquelle participait M. Jean-Noël Jeanneney. Il a considéré que c'est à l'État de le faire sur fonds publics.

Cependant, il a observé que Google avait fait appel aux éditeurs japonais pour lancer Google Edition, considérant à titre personnel que cela posait un problème.

Il a estimé que l'idéal serait de disposer d'une législation pour le dépôt légal numérisé, ce qui règlerait toutes les difficultés. Les éditeurs japonais n'ont pas encore tranché, étant encore très hésitants sur toutes ces questions.

La coopération internationale entre États lui a semblé indispensable pour permettre une alternative à Google.

2. Le livre numérique

La délégation s'est rendue au siège de Dai Nippon Printing (DNP), entreprise d'imprimerie fondée en 1876 qui se diversifie aujourd'hui dans le multimédia à travers sa filiale Mobilebook.jp (MBJ).

DNP emploie 39 000 personnes et réalise un chiffre d'affaires de 614 millions d'euros. Le groupe a des implantations dans 12 pays. Il existe un partenariat avec le musée du Louvre s'appuyant sur la technologie de la réalité augmentée. La communication représente 45 % du chiffre d'affaires et fournit des produits et des services à 30 000 clients. Elle se développe aujourd'hui dans le secteur du livre numérique dont le marché est en pleine croissance.

Le marché du livre électronique est en forte croissance (multiplié par 25 au cours des cinq dernières années) et si le volume n'est pas encore considérable, sa valeur a doublé depuis 2007. Le Japon a été précurseur puisque dès 1998 est né le « Consortium du Livre électronique » regroupant 140 firmes (éditeurs, distributeurs, librairies, fabricants de software et de hardware et une compagnie de téléphone) pour développer ce produit.

L'édition numérique s'est développée avec le manga . Première société mondiale dans ce domaine, Solmar, filiale de NTT justifie cette croissance par le haut débit fixe et mobile : (70 millions de téléchargements par mois, 30 000 titres disponibles).

Le livre numérique gagne les autres secteurs de l'édition et on a vu l'apparition des premiers bestsellers mobiles. Le premier du genre, le roman Koizura , écrit sur portable et pour portable par un auteur anonyme répondant au pseudonyme de Mika, a d'abord été téléchargé par 6 millions de lecteurs du site spécialisé « Maho no ilando ». Par la suite, le bestseller a été décliné en livres physiques (2,5 millions d'exemplaires vendus), puis en film.

Au cours de l'entretien, M. Nomura, président de MBJ, a estimé que le marché du livre numérique allait exploser grâce aux tablettes. Sa société fondée en 2005 regroupe déjà 1 000 librairies électroniques et les éditeurs en sont actionnaires. MBJ est fournisseur de contenus pour les librairies électroniques.

Il a considéré que le livre papier avait encore de l'avenir et souligné que sa société visait un équilibre entre livre papier et livre numérique. Il est clair que les coûts vont diminuer. La baisse du prix de revient est d'environ 40 % par rapport au livre papier, au bénéfice des éditeurs.

Dai Nippon Printing vient d'ailleurs de lancer avec l'opérateur NTT DoCoMo un service de distribution de livres numériques pour mobiles, tablettes et PC, en parallèle d'une offre imprimée . Leur entreprise commune, baptisée 2DFacto, gérera leur librairie virtuelle commune basée sur le service existant de livres numériques de DNP.

Ils envisagent d'abord de proposer 100 000 titres de livres, mangas et magazines, à un coût inférieur d'environ 10 à 20 % à celui des versions imprimées sur une multitude de supports fournis par NTT DoCoMo.

Au cours de l'année 2011, l'offre numérique a été combinée avec celle proposée par plusieurs réseaux de librairies. 2DFacto vise un chiffre d'affaires de 40 à 50 milliards de yens d'ici cinq ans.

3. Le phénomène du manga

A l'occasion de son passage à Kyoto, la délégation sénatoriale a eu l'opportunité de visiter le Musée international du manga , qui attire chaque année, près de 280 000 visiteurs. Le fonds du musée comprend 300 000 volumes. Il est possible d'assister à des démonstrations par des artistes, voire de s'inscrire à un atelier pour s'essayer à une création personnelle. Des expositions spéciales mettent en valeur divers aspects du manga et différents types de médias.

Dans l'univers culturel populaire nippon, la bande dessinée occupe une place à part, tant par son histoire que par sa richesse éditoriale et l'étendue de son lectorat. Le manga représente la moitié du milliard et demi d'exemplaires d'ouvrages en tous genres imprimés chaque année , qu'il s'agisse de magazines dont chaque volume est tiré par millions, et vendus en kiosques ou kombini , de livres au format de poche tirés de séries publiées en feuilleton 7 ( * ) .

La possibilité de lire ces magazines dans les rayons a été réduite par l'emballage plastique des revues, mais un marché de l'occasion s'est développé.

Des mangas cafés se multiplient offrant en outre des rayons de manga et de DVD d'animation.

Enfin les téléphones mobiles offrent aujourd'hui un nouveau canal aux mangas : on comptait en 2008 80 sites de téléchargement référencés sur les portails Internet mobile des principaux opérateurs de télécommunication.

Le manga est même devenu un outil majeur de communication et le Gouvernement japonais n'hésite pas à publier sous cette forme des argumentaires pour justifier sa politique dans des secteurs aussi divers que la défense, la justice ou les innovations technologiques.

Cette culture manga s'exporte bien y compris vers la France : une bande dessinée sur deux est maintenant un manga !


* 7 Cf. annexe, p. 58 (le poids du manga)

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