REGARDS CROISÉS SUR LES RELATIONS BILATÉRALES FRANCE-CANADA

Présentation par M. Axel BAROUX, directeur d'Ubifrance Canada

Sont intervenus :

M. Lawrence CANNON, ambassadeur du Canada en France
M. Philippe ZELLER, ambassadeur de France au Canada

M. Axel BAROUX . - Monsieur Cannon, vous avez été ministre des affaires étrangères fédéral du Canada, après avoir été ministre des transports, des infrastructures et des collectivités et ministre responsable du Québec auprès du Gouvernement du Canada. Vous avez également été élu à plusieurs reprises : conseiller municipal, provincial et élu au niveau fédéral. Par ailleurs homme d'affaires, vous avez été membre du conseil d'administration d'Oceanic Iron et vice-président aux affaires gouvernementales de la société Unitel.

Monsieur Zeller, vous avez été successivement conseiller diplomatique au sein du cabinet du professeur Hubert Curien, ministre de la recherche, ambassadeur de France en Hongrie et en Indonésie, ambassadeur chargé de mission sur l'adoption internationale et en charge des questions environnementales. Vous avez également été préfet du département de l'Ariège.

M. Lawrence CANNON . - La relation bilatérale se caractérise par la complicité que Philippe Zeller et moi-même avons développée, celui-ci s'étant montré un appui essentiel depuis ma prise de fonction un an auparavant. Cette complicité se manifeste dans plusieurs dossiers que nous avons traités ensemble. La relation entre la France et le Canada est d'ailleurs l'une des meilleures qui existent. Nous nous en réjouissons : de nombreux Français admirent le Canada pour ses grands espaces, le taux d'imposition en vigueur pour la petite entreprise, entre 15 % et 20 % et la chaleur de l'accueil. Les Français sont également étonnés par la ténacité et le dynamisme avec lesquels les Québécois défendent et promeuvent la langue française et la culture francophone. La complicité favorise l'innovation dans nos rapports et les échanges économiques.

M. Philippe ZELLER . - Nous sommes chanceux d'avoir comme ambassadeur du Canada un ancien ministre des affaires étrangères, ce qui n'est pas fréquent. Cette situation découle d'un choix personnel du Premier ministre canadien, prouvant l'importance qu'il souhaite donner à la relation franco-canadienne. Ses deux visites officielles en un an, ainsi que les contacts à l'occasion du G8, du G20, des sommets de la francophonie et de l'OTAN en témoignent également.

Depuis mon arrivée au Canada, une vingtaine de mois auparavant, trois éléments m'ont interpellé. Premièrement, la démographie : dans l'esprit de ma génération, le Canada est un immense pays abritant une faible population. Lors de sa fondation en 1867, le Canada ne comptait que 3 millions d'habitants, contre une dizaine de millions au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Actuellement, 36 millions de personnes y vivent. Au XXI ème siècle, le Canada sera aussi peuplé qu'un grand pays européen, de 50 à 60 millions d'habitants, grâce à une démographie active, particulièrement liée à l'immigration : 260 000 nouveaux immigrés y arrivent chaque année. Cela fait de la société canadienne un creuset multiculturel extrêmement riche.

Deuxièmement, la structure de l'économie canadienne change. Je percevais le Canada comme un pays traditionnellement agricole, du fait de ses grandes plaines céréalières, mais aussi comme un pays industriel. Or, il évolue vers le secteur primaire à travers la mise en valeur de toutes ses ressources naturelles : le pétrole, en particulier les sables bitumineux de l'Alberta, et le secteur minier, qui fait l'objet de grands projets. Par conséquent, l'activité se déplace vers le nord et l'ouest du pays : le nord du Québec, avec le Plan Nord ; le nord du Saskatchewan, avec l'uranium ; le nord de l'Alberta et les Territoires du Nord, les nouvelles technologies permettant de les valoriser et de permettre à l'homme d'y vivre. Le secteur tertiaire se développe également via le domaine du numérique.

Troisièmement, le Canada assure un rôle spécifique sur la scène internationale. Autrefois pays des casques bleus, il s'engage désormais directement : en Afghanistan, en Libye, au Mali... Il est également membre du G8, du G20, de l'OTAN, et de l'Organisation internationale de la francophonie. Il est actif au sein des Nations Unies, malgré quelques divergences de vues avec la France concernant le multilatéralisme onusien.

M. Lawrence CANNON . - L'intégration économique se manifeste par la présence de plus de 550 firmes françaises sur le territoire canadien, particulièrement concentrées au Québec mais dont le nombre croît en Ontario et dans l'ouest canadien. Le Gouvernement français a d'ailleurs réajusté sa présence sur le territoire canadien en installant des consulats généraux dans sa partie ouest.

Dans ce domaine, nous poursuivons le travail sur notre plan stratégique d'action triennal. Nous examinons les obstacles et les difficultés en collaboration avec les représentants des ministères de l'économie et des finances et des affaires étrangères français et canadien. Nous pourrons ainsi ajuster ce plan d'action.

L'accord de coopération concerne aussi la diplomatie culturelle, celle-ci incluant les liens entre nos universités respectives. Les échanges se multiplient et la mobilité des enseignants est encouragée. Ces derniers se familiarisent avec des projets lancés en collaboration avec le secteur privé. C'est le cas de travaux menés par Sanofi avec l'Université de Toronto. Philippe Zeller et moi-même avons pu en constater l'avancée lors de la visite du Premier ministre français au mois de mars à Toronto.

Certains ministres français, M. Manuel Valls notamment, se sont aussi rendus au Canada pour prendre connaissance des bonnes pratiques fédérales et provinciales en matière d'accueil et d'intégration des communautés culturelles. Des rapports sont également entretenus entre les « think tankers » français et canadiens. Les informations s'échangent donc à différents niveaux, contribuant à la profondeur exceptionnelle de nos relations.

Enfin, le devoir de mémoire est essentiel : les actes posés durant la Seconde Guerre mondiale et la défense de la liberté et des valeurs que nous promouvons sur la scène internationale définissent également la relation de nos deux pays.

L'agenda de coopération renforcée comprend ces éléments et permet d'évoluer progressivement grâce aux propositions concrètes de nos équipes.

M. Philippe ZELLER . - Ce programme de coopération renforcée a été élaboré conjointement par les deux ambassades, témoignant de la qualité de la relation bilatérale. En effet, il est rare qu'un plan d'action conjoint soit adopté. Celui-ci l'a été le vendredi 14 juin dernier par le Président de la République français et le Premier ministre canadien lors de sa visite officielle à Paris.

Le secteur universitaire génère la recherche scientifique, celle-ci se faisant essentiellement dans la vingtaine de grandes universités canadiennes. Par ailleurs, en tant qu'ambassadeurs, nous sommes responsables de la mise en oeuvre de ce programme sous l'angle du service public d'État. À ce titre, la vivacité entre collectivités, provinces canadiennes et régions françaises, est essentielle : un lien est entretenu entre la région Rhône-Alpes et le Québec ; la Basse-Normandie développe des relations avec le Manitoba ; Bordeaux travaille de manière étroite avec la ville de Québec ; tandis que Saint-Pierre-et-Miquelon a un rôle à jouer auprès des provinces atlantiques.

Les relations interparlementaires jouent également un rôle. L'existence d'une unique association de parlementaires canadiens et français témoigne de l'intégration particulière entre nos deux pays et enrichit le dialogue. Cette association représente un relais pour les responsables d'entreprises en termes d'accompagnement et de valorisation de leurs projets.

Enfin, le réseau d'accueil du service public français au Canada inclut Ubifrance, le service économique régional rendu par six consulats et des outils de rayonnement de la langue française (Alliances françaises, accords de coopération éducative).

La francophonie compte pour le Québec, mais se développe également dans le reste du Canada, l'Ontario par exemple, comptant 500 000 francophones. De plus, 30 000 jeunes de l'Alberta apprennent la langue française, offrant une perspective de relais culturels, voire d'influences. Des acteurs comme l'Office franco-québécois de la jeunesse (OFQJ) valorisent l'action économique : ce dernier a fait venir à Montréal une quinzaine de jeunes entrepreneurs français, afin de faciliter leur expansion internationale.

Un intervenant dans la salle . - Quel bilan tirez-vous de l'accord de reconnaissance des compétences entre la France et le Québec ?

M. Lawrence CANNON . - Cet accord a été conclu par le gouvernement du Québec avec le gouvernement français. Jusqu'à présent, près de quatre-vingt ententes ont permis la reconnaissance de compétences professionnelles. Dans le cadre de la coopération renforcée, nous souhaitons étendre à toutes les provinces qui le souhaitent cet excellent accord qui a permis d'éliminer de nombreux obstacles bureaucratiques. Le Premier ministre français s'est montré très enclin à coopérer avec le gouvernement de Mme Kathleen Wynne pour développer une entente avec l'Ontario en la matière. Pour ma part, j'ai rencontré le secrétaire d'État à l'Éducation à Calgary et ai attiré avec succès son attention sur ce dossier, puisque l'Alberta recherche de nombreux travailleurs expérimentés et bien formés.

M. Philippe ZELLER . - Cet accord intergouvernemental nécessite d'être appliqué par les professions, notamment celles régies par des ordres professionnels. Par exemple, un médecin français doit être reconnu par ses pairs pour pouvoir exercer au Québec. Cette application n'est pas problématique pour 90 % des métiers ; cependant, certains métiers médicaux ou paramédicaux, en particulier le métier d'infirmier, posent problème. Ce sujet a d'ailleurs été évoqué lors de la visite du Premier ministre français à Québec.

Depuis que l'entente a été signée, 680 Français ont bénéficié de cette reconnaissance. Parmi ceux-ci se trouvent 300 infirmières qui, pour des raisons techniques, rencontrent un problème de reconnaissance de leur niveau de formation.

Enfin, dans le cadre de l'Accord économique et commercial global (AECG) entre l'UE et le Canada, la reconnaissance mutuelle des diplômes constitue l'un des sujets négociés.

Un intervenant dans la salle . - Les visas de travail sont-ils faciles à obtenir ?

M. Philippe ZELLER . - Près de 20 000 jeunes Français obtiennent chaque année un permis de travail canadien, dont 14 000 dans le cadre de l'accord de mobilité des jeunes. Normalement, l'entreprise doit démontrer qu'aucun Canadien n'est capable d'occuper le poste concerné, mais de nombreuses exceptions existent. Un jeune Français parlant l'anglais et possédant des contacts sur place, notamment grâce à la communauté française au Canada, aura des opportunités. De plus, un étudiant français peut travailler durant ses études au Canada.

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