B. L'ACCÈS AUX MÉDICAMENTS POUR TOUS : LA NÉCESSITÉ DU DÉVELOPPEMENT DES INDUSTRIES NATIONALES DE SANTÉ

Lors de son entretien avec la délégation, le secrétaire à la science, à la technologie et aux investissements stratégiques (STIC) du ministère de la santé, M. Carlos GADELHA, a précisé que, tout en poursuivant une politique d'universalisation de l'accès à la santé, le Brésil ambitionne de se positionner aujourd'hui comme un pays important dans la production d'innovations et de connaissances dans le secteur de la santé.

Le développement des industries nationales de santé devient une priorité, car le déficit de la balance extérieure en matière de santé croît régulièrement et atteint actuellement 12 milliards de dollars par an.

Il s'agit donc pour le gouvernement de réduire sa dépendance commerciale par la mise en place de dispositifs visant à promouvoir la recherche et la production dans ce secteur.

Environ 35 % de la recherche scientifique brésilienne concerne aujourd'hui le secteur de la santé. La santé est la première demande de la population en matière de recherche. Pour M. GADELHA, ces efforts d'innovation ont porté leurs fruits puisqu'au cours des trois dernières années, 110 nouvelles technologies ont été incorporées au Brésil.

En revanche, le directeur de l'association des laboratoires de recherche pharmaceutique Interfarma, M. Marcelo LIEBHARDT, que la délégation a rencontré à Sao Paulo, a déploré que le Brésil n'ait pas donné une véritable priorité à la recherche médicale comme il l'a fait pour l'agriculture avec la création de l'Entreprise brésilienne de recherche agricole (Embrapa), organisme de recherche public.

Il a fait valoir que les entreprises n'ont pas le goût du risque et de l'innovation, parce que le Brésil est avant tout un grand marché interne. Elles se contentent de faire des copies de médicaments jugés efficaces et rentables, et n'investissent pas dans la recherche. Le Brésil manque de laboratoires publics pour satisfaire la demande de médicaments pour le traitement des maladies complexes.

Pour M. LIEBHARDT, la technologie reçue date de trente ans et si le Brésil ne souhaite pas être dépendant, il lui appartient aujourd'hui de développer les universités et la recherche. De la même façon, les entreprises doivent accepter de financer le risque.

S'agissant de la production , le secrétaire à la science, à la technologie et aux investissements stratégiques du ministère de la santé Carlos GADELHA a rappelé que le Brésil a développé des dispositifs de partenariats permettant aux laboratoires ou aux fabricants étrangers de transférer de la technologie ou d'investir au Brésil dans des conditions préférentielles.

Les PDP (Partenariats pour le Développement Productif) sont formés entre une entreprise étrangère et un laboratoire brésilien. Ce dernier, qui peut être public ou privé, produit au Brésil le produit de santé dont l'entreprise étrangère lui aura transféré la technologie. En contrepartie, le SUS s'engage à acquérir en grandes quantités ce produit, de manière contractuelle (sans appel d'offres, qui constitue la règle) et à un prix qui doit être généralement inférieur d'au moins 20 % au prix des produits importés. Le gouvernement publie tous les ans une liste des produits prioritaires qui pourront faire l'objet d'un PDP.

Les PDP permettent ainsi aux entreprises qui en font le choix d'avoir un accès privilégié au marché brésilien de la santé, de bénéficier d'exonérations fiscales et de financements publics à taux bonifiés par la banque de développement du Brésil (BNDES). L'idée est de développer la capacité de création et de production, et de baisser le prix des médicaments. Le problème du système du PDP est là encore le manque de laboratoires publics.

M. GADELHA a précisé qu'au cours des cinq dernières années, le Brésil a signé 104 projets de partenariat pour le développement productif, dont 35 avec la Fondation Fiocruz. Les produits acquis par l'État sont ceux qui nécessitent le plus de technologie : traitements anticancéreux, antirétroviraux, vaccins.

Le secteur privé a compris l'intérêt de cette « trilatérale gagnante-gagnante » et l'avantage qu'il a à travailler de manière coopérative avec le gouvernement brésilien.

M. GADELHA a ainsi cité l'exemple du laboratoire pharmaceutique américain Merck, qui avait fait l'objet d'une licence obligatoire pour le traitement du HIV, et qui est aujourd'hui le partenaire volontaire du gouvernement brésilien pour la campagne de vaccination contre le cancer du col de l'utérus.

Pour le vaccin contre le cancer du col de l'utérus, le Brésil a négocié avec le laboratoire un transfert de technologie qui s'est traduit par une division par dix du prix du traitement. Ce vaccin, qui aurait pu être réservé à quelques adolescentes privilégiées compte tenu de son coût élevé, est aujourd'hui disponible gratuitement pour toutes les jeunes Brésiliennes, quels que soient les revenus de leur famille.

Soulignant la qualité reconnue de la recherche et du pôle industriel français de la santé et les atouts de l'expérience brésilienne, M. Carlos GADELHA a insisté sur l'intérêt mutuel de la France et du Brésil à construire et développer un partenariat d'innovation en matière de santé.

Lors de son entretien avec la délégation à Sao Paulo, le président de Sanofi Brésil, M. Patrice ZAGAMÉ, a confirmé l'importance du déficit du Brésil dans le secteur du médicament, qui tient essentiellement à l'obligation pour l'État de fournir un traitement à sa population. Les importations totales de médicaments représentent environ 5 milliards d'euros par an. Elles concernent essentiellement les médicaments de première ligne comme ceux destinés au traitement du cancer.

Il a reconnu que l'obsession du pays est de réduire ce déficit en se montrant très actif pour attirer les investissements de recherche et de production. C'est l'objet des PDP et Sanofi, qui a signé le premier PDP, est partenaire à hauteur de 80 % de ce dispositif.

Ce partenariat a aidé le Brésil à avoir des taux de couverture vaccinale très élevés : 54 millions de Brésiliens sont vaccinés contre la grippe et 2,7 millions d'enfants contre la méningite et la polio. Au total, 98 % de la population reçoit trois vaccins.

Bien que le Brésil soit un pays modèle en matière de vaccination, les 36 000 postes publics de vaccination, auxquels s'ajoutent 1 000 cliniques privées de vaccination, ne sont plus aujourd'hui suffisants pour répondre à la demande, non seulement privée mais aussi des entreprises qui prennent en charge la vaccination pour réduire l'absentéisme. C'est pourquoi une réflexion est actuellement en cours pour autoriser la vaccination dans les pharmacies sans la présence d'un médecin.

La visite de la délégation fut l'occasion pour M. Patrice ZAGAMÉ d'annoncer le succès de la recherche de Sanofi Pasteur consacrée à la vaccination contre la dengue, qui touche 1,5 million de Brésiliens et génère pour le pays des coûts très importants (1 milliard de dollars par an). Il a notamment indiqué que les résultats de l'étude menée en Amérique Latine sur plus de 20 000 enfants et adolescents âgés de 9 à 16 ans montrent une réduction globale de 60,8% des cas de dengue sur les personnes ayant reçu trois doses du vaccin. Plus important encore, l'efficacité du vaccin a été relevée contre chacun des quatre types de virus de la dengue et une observation complémentaire des résultats met aussi en évidence une réduction significative de 80,3 % du risque d'hospitalisation, confirmant l'impact potentiel du vaccin sur la santé publique.

Sanofi Pasteur devrait être en mesure de livrer les premières doses de vaccin dès le deuxième semestre 2015 en donnant la priorité aux pays les plus exposés, et ce après les enregistrements réglementaires. 100 000 doses de vaccin devraient être produites par an à Lyon.

Les responsables de Sanofi Brésil ont également mis en avant sa très forte implication sociale et environnementale, notamment avec le lancement de 50 programmes d'action de responsabilité sociale sur la santé et l'enfant visant 2,5 millions de Brésiliens et la création d'une collection de livres sur le cancer, les maladies cardiovasculaires et le diabète.

La visite de la Fiocruz à Rio de Janeiro a permis à la délégation de découvrir le plus important complexe de recherche biomédicale d'Amérique latine, fondé en 1900 sur le modèle de l'Institut Pasteur. Placée sous la tutelle directe du ministère de la Santé, cette institution comprend 12 000 personnes, dont 1 100  chercheurs, et dispose d'un budget annuel de 1,5 milliard de dollars. Elle poursuit aujourd'hui une longue tradition de coopération avec plusieurs institutions françaises, l'Institut Pasteur, l'INSERM, le CNRS, l'IRD et l'Université Pierre et Marie Curie, mais aussi avec de grands laboratoires pharmaceutiques : en atteste le contrat pour la mise au point du premier vaccin heptavalant signé avec Sanofi, lors de la visite du Président de la République au Brésil, en décembre 2013.

Lors de ses échanges avec M. Jorge BERMUDEZ, vice-président pour la production et l'innovation en santé, et M. Wilson SAVINO, directeur de l'Institut Oswaldo Cruz (IOC) et coordinateur brésilien de deux laboratoires internationaux associés entre la France et le Brésil, la délégation a pu faire le point sur les politiques d'accès aux traitements des nouvelles maladies.

Le directeur de l'IOC a fait état du coût prohibitif de ces traitements au Brésil, prenant pour exemple le coût du traitement contre l'hépatite C, qui s'élève actuellement à 84 000 dollars au Brésil et à 18 000 dollars aux États-Unis et en Europe, alors qu'il est seulement de 900 dollars en Égypte.

Il a fait observer que le Brésil ne peut pas émettre de licences obligatoires, comme il l'a fait en 2007 pour les antirétroviraux, car il n'est pas encore en mesure de produire le médicament. D'où la nécessité d'importer.

C'est pourquoi des patients, des associations, voire l'industrie pharmaceutique elle-même ont initié des procédures judiciaires contre le gouvernement fédéral pour l'obliger à fournir le médicament contre l'hépatite C, soit par la production de vaccins brésiliens, soit par des licences d'importation.

L'ensemble de ces acteurs de l'industrie pharmaceutique ont également évoqué les difficultés d'accès au marché brésilien pour les laboratoires étrangers.

Dopé par l'émergence de la classe moyenne et les programmes sociaux d'accès aux médicaments, le marché pharmaceutique est en pleine croissance (plus de 10 % par an). Or la faiblesse de l'investissement brésilien fait que les grands laboratoires étrangers sont très présents au Brésil.

Ces laboratoires - notamment français - déplorent la persistance d'un certain nombre d'entraves administratives : le dédouanement intervient généralement au terme de délais souvent excessifs (de 0,8 à 35,7 jours en moyenne selon le niveau de vérification requis) et le délai d'enregistrement des produits pharmaceutiques est dans la pratique supérieure à 90 jours.

Pour contourner ces barrières réglementaires et avoir de meilleurs prix, les grands laboratoires français sont ainsi contraints de disposer d'unités locales de fabrication au Brésil.

Le siège de la Fiocruz à Rio de Janeiro

Rencontre avec M. Jorge Bermudez
à la Fiocruz

Deux autres difficultés ont été également mises en avant par les interlocuteurs de la délégation :

- La première porte sur l'enregistrement des brevets, en raison d'un système inédit de double examen, qui fait intervenir l'Agence nationale de vigilance sanitaire (ANVISA) et l'Institut national de la propriété industrielle (INPI). Pour le Brésil, le consentement de l'ANVISA doit intervenir préalablement à la notification formelle de délivrance du brevet pharmaceutique par l'INPI. Un brevet ne peut donc être délivré par l'INPI si l'ANVISA prononce un avis défavorable. Or les critères d'examen de cette agence dit « d'intérêt public » font entrer en ligne de compte le prix, alors que le Brésil prévoit dans sa législation le mécanisme de licence obligatoire pour y remédier. Toujours est-il qu'un médicament jugé contraire à l'intérêt public ne sera pas breveté au Brésil.

- La seconde concerne l'accès à la biodiversité : la délivrance des autorisations préalables aux prélèvements est complexe et longue. Qu'ils soient locaux ou étrangers, les laboratoires doivent aujourd'hui attendre 18 mois pour obtenir ces autorisations.

Ils ont enfin souligné que, en raison de la forte croissance de ce secteur et des prix élevés pratiqués, le Brésil n'est pas épargné par la contrefaçon des produits pharmaceutiques. On estime ainsi que 20 à 30 % des médicaments mis en vente seraient contrefaits. Plus de 90 % de ces produits proviendraient d'Asie.

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Grâce à ces entretiens sur la thématique de la santé, la délégation a pu prendre la mesure des avancées et des limites du SUS.

Parce que les manifestations de juin 2013 ont placé explicitement l'accès aux soins au premier rang des revendications, aux côtés de la sécurité et de l'éducation, le gouvernement brésilien serait aujourd'hui confronté à d'importants choix politiques :

- Entre le principe de l'universalité de l'accès aux soins et la réalité d'une médecine « à deux vitesse», dans quel sens entend-il consolider son système de santé ? Souhaite-t-il améliorer et développer son système public ou à l'inverse poursuivre la privatisation de la santé ? Le secteur privé est en effet en plein essor au Brésil et les couches intermédiaires et supérieures peuvent contourner les désavantages du SUS en souscrivant des plans de santé privés.

- Est-il prêt aussi à consentir l'effort financier nécessaire pour remettre à niveau son système de santé publique ? Avec des dépenses de santé publiques représentant 4,2% du PIB, soit une dépense moyenne annuelle d'un peu plus de 400 € par habitant, cet effort financier reste encore relativement faible.

Après une décennie de réelles avancées et des résultats avérés, la politique de santé publique du Brésil est aujourd'hui à la croisée des chemins.

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