B. L'IMPACT ET LES ABUS LIÉS AUX POLITIQUES DE RELOGEMENT DE MASSE

1. Les relogements forcés sans consultation des foyers concernés

Tout d'abord, HRW considère que les déplacements des Tibétains sont forcés, non parce qu'elle dispose de preuves de recours à la force mais parce qu'aucune alternative n'a été proposée aux familles concernées.

Rappelons qu'en droit international, le concept « d'expulsion forcée » n'est pas qualifié par le seul recours à la force physique, mais s'applique aussi aux situations où n'existent aucune consultation ni compensation significatives, ou encore dans les cas où aucune alternative à l'expulsion n'a été offerte.

« Pas le droit de refuser » : les politiques de relogement et de déplacement sont, en effet, présentées par les autorités chinoises de sorte que les communautés concernées aient l'impression que les programmes menés ont force de loi.

L'absence de mécanismes de contestation ou de système judiciaire indépendant vers lequel se tourner a pour conséquence directe l'impuissance des communautés tibétaines, démunies de recours légaux, pour s'opposer ou négocier les termes des programmes de relogement et de déplacement de masse. Les Tibétains interviewés pour ce rapport ont témoigné qu'en pratique, la loi n'est autre que ce qu'en disent les autorités.

Illustrant l'absence de consultations crédibles des populations concernées, le Conseil des affaires de l'État de la République populaire de Chine, l'organisme civil administratif principal de la RPC, a ordonné en juin 2011 l'accélération des politiques de sédentarisation des pasteurs-nomades dans treize provinces comprenant d'importants pâturages (dont le Qinghai, le Sichuan, la Mongolie Intérieure et le Xinjiang) afin que ces programmes soient terminés d'ici fin 2015. Malgré les centaines de milliers de personnes concernées et un délai de seulement quatre ans, rien ne semble témoigner de la volonté des autorités de consulter les foyers ciblés.

2. De graves conséquences économiques

Force est de constater une réelle et volontaire  opacité en matière d'information. La plupart des déclarations faites par les autorités et les médias officiels, à partir desquelles les Tibétains tirent l'essentiel de leurs informations sur la question, semblent faire volontairement l'impasse sur l'importance des contributions financières des foyers concernés.

De même, les autorités chinoises se gardent bien de donner aux foyers concernés une visibilité sur leurs sources de revenus au-delà du court terme, c'est-à-dire après le tarissement des subventions publiques et des investissements massifs dans les secteurs des infrastructures et de l'exploitation des ressources naturelles.

S'agissant du développement économique, les statistiques officielles montrent le quadruplement du PNB de la Région autonome du Tibet entre 1997 et 2007, avec un taux de croissance chaque année plus élevé que celui du reste du pays. Le revenu par tête des agriculteurs et éleveurs a, quant à lui, doublé entre 2005 et 2010, tandis que la proportion des foyers les plus pauvres a été réduite de moitié. Enfin les agriculteurs et pasteurs-nomades ne représenteraient plus que 56 % de la population active en 2008, contre 76 % en 1999 18 ( * ) .

Pourtant les statistiques officielles révèlent que l'essentiel de la croissance enregistrée a été générée par l'injection de fonds publics dans les grands projets d'infrastructures et l'exploitation accrue de ressources naturelles expédiées vers les centres industriels du pays. Si les experts s'opposent entre ceux qui insistent sur la marginalisation des communautés rurales tibétaines au profit de migrants chinois, et ceux qui soulignent le tournant majeur vers une économie où l'agriculture n'est plus le secteur dominant, tous s'accordent pour exprimer des doutes quant à la viabilité d'un développement économique financé par l'État et qui a rendu l'économie tibétaine toujours plus dépendante des subventions publiques.

L'ensemble des politiques ainsi menées conduisent à une déstabilisation certaine des modes de vie des Tibétains . Au-delà des pasteurs-nomades du Qinghai contraints de réduire leur bétail et soumis à des restrictions de pâturages, les Tibétains interrogés par HRW ont, dans de nombreux cas, rapporté qu'ils avaient été forcés d'abandonner des sources de revenus modestes mais stables au profit d'une économie de marché incertaine, au sein de laquelle ils sont souvent les acteurs les plus faibles.

En 2009, un rapport officiel d'une équipe d'enquête de la Commission pour le développement et la réforme, émanant du Conseil des affaires de l'État, a relevé des problèmes très proches de ceux identifiés par HRW dans la mise en oeuvre des politiques de relogement, tels que la non-considération des besoins réels des populations concernées ou le risque accru de défaut de paiement de la part des foyers concernés.

Les documents officiels consultés par HRW montrent, en effet, que contrairement à ce que la communication du gouvernement met en avant, ce sont les foyers eux-mêmes qui doivent payer le plus gros des coûts induits par la politique de relogement : les chiffres officiels font apparaître que l'autofinancement et les prêts bancaires obligatoires représentent 75 % du coût de rénovation ou de reconstruction des logements.

3. La mise en oeuvre de mécanismes de contrôle social et de répression

Les politiques déployées dans le but de créer une « Nouvelle campagne rurale socialiste » portent intrinsèquement atteinte à des droits consacrés par le droit international qui connaissent pourtant une traduction en droit chinois. Si, par exemple, les terres agricoles chinoises appartiennent à la collectivité, la Constitution chinoise, révisée en 2004, souligne la nécessité de consultations préalables, puis de compensations en cas d'expropriation ou de réquisition par les autorités. De même, la Chine est membre du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, qui consacre le droit à la protection contre les expulsions forcées.

Au-delà du caractère intrinsèquement abusif de ces politiques de transformation de la société rurale tibétaine, les autorités ont renforcé les mécanismes de contrôle social dans la région à partir de 2008, preuve de leur inquiétude quant à la grogne croissante. Ainsi des milliers de cadres du Parti (tibétains et chinois) ont été affectés dans les villages tibétains. Des cadres du gouvernement ont été postés dans les monastères tibétains. Enfin, de nouvelles structures du Parti ont été créées pour surveiller les foyers en zone urbaine.


* 18 Les sources statistiques sont disponibles dans le rapport de Human Rights Watch « They Say We Should Be Grateful: Mass Rehousing and Relocation in Tibetan Areas of China» http://www.hrw.org/reports/2013/06/27/they-say-we-should-be-grateful-0

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