Rapport de groupe interparlementaire d'amitié n° 144 - 15 avril 2017


Groupe interparlementaire d'amitié

France-Égypte (1 ( * ))

L'Égypte, un marché aux atouts multiples

Actes du colloque Sénat du 20 février 2017

Sous le haut patronage de
M. Gérard LARCHER, Président du Sénat

Palais du Luxembourg

Salle Clemenceau

Mme Catherine MORIN-DESAILLY,
Présidente du groupe interparlementaire d'amitié France-Égypte

M. Tarek KABIL,
Ministre du commerce et de l'industrie de la République arabe d'Égypte

M. André PARANT, Ambassadeur de France en République arabe d'Égypte

Salle Clemenceau

OUVERTURE

Message de M. Gérard LARCHER,
Président du Sénat

lu par Mme Catherine MORIN-DESAILLY,
Sénatrice de la Seine-Maritime,
Présidente de la commission de la culture,
de l'éducation et de la communication
Présidente du groupe interparlementaire d'amitié France-Égypte

Monsieur le ministre,

Monsieur l'ambassadeur,

Monsieur le directeur général,

Mes chers collègues,

Mesdames et Messieurs,

M. Gérard Larcher m'a chargé de vous transmettre le message suivant :

« Le Sénat se félicite d'accueillir aujourd'hui, en partenariat avec Business France, ce grand colloque économique consacré à l'Égypte.

Je tiens d'abord à saluer la qualité des intervenants inscrits au programme de cette manifestation, et à remercier tout particulièrement M. Tarek Kabil, ministre du commerce et de l'industrie de la République arabe d'Égypte, pour sa présence cet après-midi.

Le mérite en revient en particulier à notre partenaire Business France, qui oeuvre positivement en faveur du rapprochement entre le monde des entreprises et celui des responsables politiques, diplomatiques ou institutionnels.

Mes remerciements s'adressent aussi à notre ambassadeur au Caire, M. André Parant, pour son engagement en faveur de la réussite de ce colloque et la qualité de son action au service de nos relations bilatérales.

Cet événement traduit de fait l'excellence des relations entre l'Égypte et la France, mais aussi la qualité de nos liens interparlementaires.

Le Sénat a reçu le président Abdel Fattah al-Sisi à deux reprises, en 2014 et en 2015. À l'invitation des autorités égyptiennes, je me suis moi-même rendu en visite officielle en République arabe d'Égypte, en novembre 2016, accompagné d'une délégation de cinq sénateurs, membres du groupe interparlementaire d'amitié France-Égypte, parmi lesquels sa présidente, Mme Catherine Morin-Desailly.

Lors de cette visite, nous avons eu des entretiens avec les plus hauts responsables égyptiens : le président al-Sisi, bien sûr, mais aussi le Premier ministre M. Chérif Ismaïl, le président du parlement, M. Ali Abdel Aal, et le secrétaire général de la Ligue des États arabes, M. Ahmed Aboul Gheit, parmi d'autres. Nous avons également rencontré les plus hauts dignitaires religieux, tels le pape Tawadros II et Cheikh Ahmed Al Tayeb, grand imam d'Al Azhar.

Cette visite nous a permis de tisser des liens étroits entre le Sénat français et le parlement égyptien, et a donné lieu à un dialogue approfondi sur la situation au Moyen-Orient, où l'Égypte joue un rôle clef en faveur de la stabilisation régionale. La lutte conjointe contre le terrorisme, notre partenariat stratégique et économique, la coopération entre les deux rives de la Méditerranée pour faire face aux défis communs ont été au coeur de nos échanges.

Je tiens à saluer ici le rôle éminent joué par le groupe interparlementaire d'amitié France-Égypte, l'un des plus anciens du Sénat. Je tiens à remercier tout particulièrement sa présidente, notre collègue Catherine Morin-Desailly, qui fait vivre ces relations institutionnelles fortes. Le groupe d'amitié se rendra d'ailleurs prochainement en Égypte.

L'Égypte occupe à nouveau pleinement sa place sur la scène régionale et internationale. Ses atouts économiques sont nombreux, et les perspectives pour nos entreprises sont multiples : une position géographique stratégique, des réformes économiques ambitieuses et courageuses, de grands projets d'infrastructures alliés à la création de zones économiques spéciales, des capacités de projection vers l'Afrique et le Moyen-Orient... Il ne s'agit que de quelques exemples.

En outre, la France jouit en Égypte d'une image positive, grâce à la réussite de nos entreprises dans de nombreux domaines : matériaux de construction, électroménager, tourisme, agroalimentaire, distribution, téléphonie mobile, etc. Mais, si nos échanges avec l'Égypte ont connu ces dernières années une progression notable, notre présence n'est toutefois pas encore à la hauteur des potentialités.

Votre participation nombreuse témoigne de l'intérêt particulier que nos entreprises accordent aux perspectives prometteuses offertes par ce grand pays, et qu'avec mes collègues sénateurs nous souhaitons accompagner et encourager.

À tous, je souhaite donc des échanges féconds et d'excellents travaux ! ».

Mme Catherine MORIN-DESAILLY - Monsieur le ministre, Monsieur l'ambassadeur, Messieurs les directeurs, Frédéric Rossi et Ludovic Prévost, mes chers collègues, Mesdames et Messieurs, en ma qualité de présidente du groupe d'amitié France-Égypte, je suis heureuse de vous accueillir au Palais du Luxembourg. C'est un après-midi fructueux qui s'annonce, consacré à l'Égypte et aux multiples atouts du marché égyptien.

À mon tour, je souhaite remercier Business France de cette initiative et d'y avoir associé notre groupe interparlementaire d'amitié. Je salue ceux de mes collègues qui sont présents cet après-midi, attestant de l'intérêt que portent les sénateurs au développement des relations d'affaires entre la France et l'Égypte.

À cet égard, je voudrais saluer l'action positive de Business France pour favoriser l'implantation et le développement des marchés de nos entreprises partout dans le monde. Les informations que vous collectez, l'accompagnement et l'appui que vous offrez à nos entreprises, sont, nous le savons, très précieux, en particulier pour les plus petites d'entre elles. J'espère donc que cette rencontre facilitera vos démarches et favorisera le succès de vos projets de développement en Égypte.

Au total, c'est une vingtaine d'intervenants qui se succéderont à cette tribune tout au long de l'après-midi pour vous apporter tous les éclairages utiles, mais aussi pour répondre à vos questions sur ce pays, dont le tableau d'ensemble aura au préalable été dressé par deux experts, MM. Jérôme Baconin, de la direction générale du Trésor, et Ludovic Prévost, directeur de Business France Égypte, que j'ai grand plaisir à retrouver aujourd'hui.

Marché qui recèle un potentiel de 100 millions d'habitants à l'horizon de 2020, l'Égypte bénéficie d'un positionnement stratégique au carrefour de trois continents et de deux mers, sur la route des flux commerciaux de la région, avec le canal de Suez.

Influente dans le monde arabe et en Afrique, l'Égypte se trouve désormais au coeur d'une zone de libre-échange élargie, suite à la fusion, en juin 2015, du marché commun pour l'Afrique de l'Est et du Sud (COMESA), de la communauté de l'Afrique de l'Est (CAE) et de la communauté de développement de l'Afrique australe (SADC).

Malgré la fragilité de la situation sécuritaire et ses conséquences sur l'économie du tourisme, le climat des affaires y demeure néanmoins propice, du fait de la stabilisation progressive de la situation politique, suite à l'accession au pouvoir du président al-Sisi, en juin 2014, et la mise en place du parlement, il y a maintenant un peu plus d'un an. La mise en place du parlement marquait la dernière étape de la feuille de route constitutionnelle élaborée après la révolution du 30 juin.

Dans le domaine économique, la situation, bien que fragile, ouvre des perspectives très encourageantes, du fait des réformes structurelles engagées depuis 2004 et poursuivies par le président al-Sisi : ouverture aux échanges et aux investissements, réforme de la fiscalité des sociétés, restructuration et consolidation du secteur bancaire, développement des partenariats public-privé...

La mise en oeuvre de la réforme de la taxe générale sur les ventes, qui doit conduire à l'instauration d'un régime de TVA et à un système d'imposition simplifiée pour les PME, est aussi à l'agenda du gouvernement. La baisse des subventions et une loi sur le service public sont également attendues.

Les défis ne manquent pas, mais les opportunités qu'offrent le programme de réformes structurelles et le développement des projets en infrastructures font de ce pays un marché indéniablement attractif.

Il y a des opportunités à saisir dans la zone économique du canal de Suez en particulier, mais également dans les énergies renouvelables, le développement des PME, le tourisme, les infrastructures et les petits et moyens projets.

M'étant rendue l'an dernier à deux reprises en Égypte avec le président de la République et, plus récemment, avec le président du Sénat, je puis vous assurer que la France est réellement bienvenue et attendue en Égypte.

Elle est d'ailleurs déjà bien positionnée : huitième partenaire commercial, au moins cent quarante de nos entreprises y sont déjà présentes. Notre pays s'est récemment distingué par la signature de gros contrats, comme la vente d'avions Rafale et de matériel militaire de pointe, le développement du métro du Caire, l'accord entre AXA et la banque égyptienne CIB, pour ne citer que quelques exemples.

Nos relations économiques ont donc vocation à s'intensifier. Après la visite en Égypte du président de la République en avril dernier, et celle du Premier ministre en octobre, il s'agit en effet - je cite - de « porter le partenariat entre la France et l'Égypte à un niveau stratégique ».

À l'appui de cet objectif, l'Agence française de développement (AFD), présente au Caire depuis 2007, joue un rôle essentiel de pivot pour faciliter l'implantation de nos entreprises et leur contribution aux projets qu'elle soutient. Mme Marie-Hélène Loison, directrice pour la Méditerranée et le Moyen-Orient, en parlera en fin d'après-midi.

Bien entendu, le succès viendra de vous, de votre confiance dans ce marché, de votre implication, et de l'énergie que vous mettrez à faire valoir nos talents et notre expertise.

Soyez assurés que notre groupe d'amitié appuiera vos initiatives et vous soutiendra dans tous vos projets. Représentant des territoires ou représentant des Français qui valorisent l'image de la France à l'étranger, nous avons à coeur de faire gagner nos entreprises.

Je vous remercie de votre attention et vous souhaite un excellent après-midi au Sénat.

M. Tarek KABIL,
Ministre du commerce et de l'industrie de la République arabe d'Égypte

Madame la présidente,

Monsieur l'ambassadeur,

Mesdames, Messieurs,

Merci beaucoup de m'avoir invité à parler de l'Égypte aujourd'hui. C'est pour moi très important et je souhaite également remercier le Sénat français pour avoir organisé cette journée.

Ce type de réunion se prête normalement à l'échange d'expériences sur les investissements et les opportunités qui s'offrent aux personnes qui n'ont pas eu la chance de visiter l'Égypte. Permettez-moi de vous rappeler l'histoire passée, présente et future de l'Égypte, où nous en sommes et où nous allons.

Vous le savez, politique et économie sont intrinsèquement liées, même si on souhaite les séparer. Pour commencer, je souhaite donc vous exposer la situation politique.

Nous avons connu des turbulences politiques considérables en 2011 et avons subi presque deux révolutions en deux ans. Ceci a bien sûr eu d'énormes répercussions économiques, sociales et politiques sur le pays.

Le taux d'inflation a augmenté, et l'absence d'investissement des deux dernières années a eu un impact considérable sur la croissance industrielle. Les réserves de la Banque centrale d'Égypte se sont épuisées, et nous avons énormément de problèmes à régler.

Depuis la deuxième révolution, si on peut l'appeler ainsi, le président al-Sisi a établi sa feuille de route autour de trois piliers, l'élection présidentielle, la nouvelle Constitution et la formation d'un parlement.

En janvier 2013, la feuille de route politique a été achevée, et nous avons commencé à nous attaquer à la promotion de la croissance économique pour remettre notre pays en selle. Nous n'avions que très peu de réserves, et un problème de devises entravait la croissance du pays.

Les réformes économiques ont porté sur quatre volets, concernant d'une part les infrastructures, afin de récupérer ce qu'on avait perdu et promouvoir la croissance, clef des investissements étrangers, d'autre part la situation financière, la législation et la gouvernance, afin de faire avancer les réformes structurelles.

Les projets à grande échelle que nous avons lancés depuis 2014 devraient se poursuivre à l'avenir en matière d'infrastructures. Nous avons augmenté celles du canal de Suez, construit une plate-forme industrielle et logistique autour des couloirs qui entourent le canal. Ceci devait être très positif pour les échanges commerciaux et l'industrie.

Nous avons subi des pénuries d'énergie au cours des dernières années. Au cours des dix-huit derniers mois, nous avons augmenté la production d'énergie de près de 50 % et allons poursuivre en ce sens. Nous avons construit une centrale électrique avec Siemens. Elle est en train d'atteindre sa production maximum. Notre objectif, d'ici 2020, est de faire en sorte que 20 % de notre énergie provienne des énergies renouvelables, en particulier solaires, en recourant bien sûr au secteur privé.

Nous sommes en train de construire trois villes, dont une capitale administrative. Le chantier est en cours. Ceci est très important pour la croissance de la population, et constitue également pour nous un saut technologique.

Nous construisons trois nouveaux ports et en mettons trois autres à niveau autour de la plate-forme du canal de Suez et de la mer Rouge.

L'un de nos projets, parmi les plus ambitieux, vise à assainir 1,5 million d'hectares de terres désertiques destinées à l'agriculture. Nous avons lancé la première phase de ce chantier.

Nous avons également mis en place un plan industriel en 2016 et allons le poursuivre. Vous le savez, la réalisation d'infrastructures nécessite un certain temps.

En ce qui concerne le volet financier, nous avons décidé, le 3 novembre dernier, d'établir un taux de change flottant pour la livre égyptienne. Nous ne l'avions encore jamais fait. La dévaluation a été de 20 %. Cette dépréciation importante s'est atténuée au cours des dernières semaines. C'est un facteur très important, qui vise à adapter notre devise et à ne plus la défendre sur les marchés.

Nous souhaitons également supprimer certaines subventions. En juillet, nous avons augmenté le prix de l'eau et de l'électricité de 30 % et, en septembre, réduit d'autres subventions.

Tout est fait simultanément, et tout se passe normalement. On pourrait connaître une troisième révolution, mais le fait que la population accepte signifie qu'elle comprend la situation et soutient le gouvernement et le régime politique.

D'autres mesures ont été approuvées par le parlement, et tout ceci nous a aidés à réduire la dette publique de près de 1,5 %.

Nous avons également mis en oeuvre une réforme de la fonction publique et avons signé un accord avec le FMI pour 1,5 milliard de dollars. Cela paraît peu, mais il est important que le FMI ait entériné la politique économique du gouvernement égyptien.

Il était également important de prévoir pour la population un filet de sécurité du point de vue social. C'est ce que nous avons essayé de faire au fur et à mesure.

Sur le plan législatif, nous avons opéré une percée. Une grande partie de la législation a été adoptée en 2016.

Ainsi, dans le domaine des licences industrielles, on a généralement besoin de six cent cinquante jours en moyenne pour obtenir un agrément. Nous avons fait voter une nouvelle loi qui va réduire cette période à moins de deux semaines. 80 % des industries pourront être agréées par notification, et 20 % pourront bénéficier d'un pré-agrément, comme l'industrie des engrais, qui peut avoir un impact sur l'environnement ou la sécurité.

Une loi sur l'investissement a été adoptée par le conseil des ministres et par le parlement. Ceci constituera un avantage considérable pour certains secteurs industriels. Nous avons besoin de soutenir notre industrie, de rationaliser nos importations et d'augmenter nos exportations. Cela passera par des réductions d'impôt en fonction du montant du capital versé. Cette loi est actuellement débattue au parlement et n'est pas encore adoptée.

Nous avons fait voter une loi concernant les denrées alimentaires et créé une agence de l'alimentation semblable à la Food and Drug Administration (FDA) américaine. Ce débat dure depuis presque quinze ans, et la loi vient d'être promulguée. Nous devons la mettre en vigueur d'ici 2017.

Nous avons décidé de libérer des terres en Haute-Égypte. Nous savons que les compétences existent et que le chômage y est élevé. Nous voulons promouvoir l'investissement dans cette région. Tout ceci fait partie de la réforme globale de l'économie que nous avons menée en 2016.

Le quatrième aspect de la réforme concerne le volet gouvernemental et institutionnel. Nous avons créé plusieurs organisations afin de faciliter et de réorganiser les activités destinées aux investisseurs.

Nous avons créé pour les PME une organisation qui relèvera du ministère du commerce et de l'industrie. Nous allons encadrer les PME depuis l'évaluation de leur projet jusqu'à leur financement, en passant par les ressources humaines et le renforcement de leurs capacités.

Nous avons également prévu de soutenir les exportations grâce à une agence créée à cet effet. Celles-ci représentent un objectif très important pour réduire le déficit de la balance commerciale et augmenter les réserves de dollars américains.

Nous avons lancé ce que l'on appelle le « projet du triangle d'or ». Il s'agit d'un immense projet qui s'étale sur cinquante années, et couvre 9 000 km 2 en Haute-Égypte. Les études de faisabilité ont demandé un an. Ce projet concerne l'extraction des minéraux, l'agriculture, l'industrie, et le tourisme.

Nous avons instauré un Conseil suprême de l'investissement qui se réunit tous les mois et qui discute des sujets les plus importants pour les investisseurs. L'objectif était d'atténuer ou de supprimer la bureaucratie, afin d'avancer plus vite.

Nous avons adopté une stratégie industrielle et commerciale en vue de 2020 en analysant les industries que nous voulons promouvoir au cours des prochaines années. Nous désirons nous concentrer sur les secteurs industriels où nous pensons avoir un avantage concurrentiel, comme la chimie, le textile et les matériaux de construction. Ces secteurs se verront accorder des incitations spécifiques au cours des prochaines années.

Grâce à nos accords de libre-échange avec les États-Unis, l'Union européenne, le marché commun d'Afrique orientale et australe (COMESA), qui compte dix-neuf pays, et la grande zone arabe de libre-échange (GAFTA), nous touchons 1,6 milliard de personnes. Nous négocions par ailleurs avec l'Union économique eurasiatique (UEEA), qui regroupe la Russie, la Biélorussie, le Kazakhstan et l'Arménie.

Nous allons toutefois nous concentrer sur l'Afrique et les pays arabes. Nous avons ouvert des centres de logistique et lancé des lignes maritimes avec les pays africains, avec qui nous avons un avantage compétitif.

Où en sommes-nous depuis un an ? Il s'agit pour nous de réalisations majeures, alors que l'époque apparaît très problématique. Toutefois, les réserves de la Banque centrale d'Égypte ont augmenté de 30 % à 40 % au cours des deux derniers mois, bien que nous ayons laissé flotter notre devise.

En ce qui concerne la balance commerciale, nous avons réduit notre déficit de 18 %, soit 9 milliards de dollars, grâce à la réduction de 7 milliards de dollars des importations et à l'augmentation de 2 milliards de dollars des exportations. Nous pensons avoir compensé nationalement la réduction des importations.

En dépit du manque de devises étrangères, la croissance industrielle a augmenté de 4,2 %. Le tourisme a également progressé, en dépit de gros problèmes économiques et d'une pénurie de dollars ainsi que de devises étrangères. Ceci démontre la force et la résilience de notre économie.

On peut dire que l'économie égyptienne est très diversifiée. Le secteur industriel est le plus important - 17 % -, suivi par l'agriculture, les services et le tourisme. Les revenus issus de ce dernier domaine ont baissé, mais l'économie ne s'est pas effondrée. Il convient de le souligner.

Il faut certes régler les problèmes à court terme, mais il est crucial d'avoir une vision à long terme. Nous avons établi pour l'Égypte un plan de développement durable jusqu'en 2030 et voulons créer un secteur privé ouvert et moderne, qui sera la base de notre économie.

Nous avons des indicateurs de performance clefs tout à fait clair. Notre objectif est de faire partie des trente économies les plus performantes du monde. Je pense que nous pouvons y parvenir. En Afrique, nous sommes la troisième économie et souhaitons revenir au deuxième rang que nous occupions auparavant. L'objectif est également d'améliorer la vie et le bien-être des Égyptiens.

Si, en 2016, nous avons touché le fond, nous progressons actuellement de manière significative. Les exportations ont augmenté de 25 % le mois dernier par rapport à l'an passé. Nous disposons d'une source importante de main-d'oeuvre compétente, que nous envoyons dans les autres pays arabes. Beaucoup d'Égyptiens travaillent hors de leur pays. La main-d'oeuvre égyptienne qualifiée est en effet extrêmement bon marché, son coût avoisinant 100 dollars par mois.

Nous nous efforçons par ailleurs d'améliorer l'environnement commercial, en accordant des incitations et des encouragements aux investisseurs.

Notre objectif est de doubler les investissements au cours des deux prochaines années. Ils ont déjà augmenté de 20 % ces deux derniers mois. Les exportations augmentent aussi considérablement.

Environ 92 millions de personnes vivent en Égypte, et le taux de croissance est élevé. Nous occupons un emplacement géographique stratégique, et la croissance démographique est importante. Il est donc difficile d'ignorer notre pays.

La croissance de l'Union européenne est lente et basse. La plupart des pays recherchent de nouveaux marchés à l'exportation afin de doper leur économie. L'Égypte constitue un marché qu'on ne peut laisser de côté. Nous allons donc faire tout notre possible pour améliorer notre façon de conduire les affaires et faciliter la vie des investisseurs.

La plupart des sociétés françaises font un remarquable travail en Égypte. Implantées dans notre pays depuis très longtemps, nous les considérons d'ailleurs comme des entreprises égyptiennes.

Sur le plan politique, les relations entre la France et l'Égypte sont uniques et excellentes. Nous partageons également des liens économiques étroits. L'an passé, la balance commerciale entre nos deux pays s'élevait à 2 milliards d'euros, mais ceci ne reflète pas la force de nos relations. Les investissements des entreprises françaises en Égypte ont dépassé 4 milliards d'euros, et continuent à augmenter chaque année.

Ces entreprises ont accompli un travail remarquable dans beaucoup de domaines, comme le métro égyptien, et je crois que nous pouvons encore améliorer nos relations. J'ai à cette fin rencontré le conseiller commercial franco-égyptien pour déterminer la meilleure façon d'y parvenir.

Voici le tableau de la situation passée, présente et future, qui représente l'histoire de l'Égypte.

M. Arnaud FLEURY - Monsieur le ministre, je vous remercie . Je me tourne maintenant vers M. André Parent, ambassadeur de France en Égypte.

M. André PARANT,
Ambassadeur de France en République arabe d'Égypte

Monsieur le ministre du commerce et de l'industrie de la République arabe d'Égypte,

Madame la présidente du groupe d'amitié France-Égypte du Sénat,

Mesdames et Messieurs les sénateurs,

Monsieur le directeur de Business France,

Mesdames et Messieurs les dirigeants et représentants d'entreprises,

Mesdames et Messieurs,

Je suis très heureux de me trouver parmi vous à l'occasion de cette journée consacrée à l'Égypte.

Je voudrais commencer par féliciter Business France, qui est à l'origine de cette initiative.

Je veux aussi remercier le Sénat, qui nous accueille dans ses locaux prestigieux. J'ai hélas derrière moi une assez longue carrière diplomatique : j'ai toujours été frappé par l'ouverture de cette maison aux réalités du monde et par la contribution très positive qu'elle apporte au développement des relations de la France avec un certain nombre de pays, y compris dans le domaine économique.

Je voudrais enfin saluer tous les responsables et représentants d'entreprises qui participent à cette journée. Leur nombre témoigne de leur intérêt pour l'Égypte. Je pense sincèrement que cet intérêt est justifié : vous avez raison de regarder du côté de l'Égypte, et de le faire maintenant. J'espère que la suite de mon propos contribuera à vous en convaincre.

Mme Catherine Morin-Desailly et M. Tarek Kabil ayant déjà dit beaucoup de choses, je limiterai mon propos à quelques considérations.

Cela a déjà été dit et peut paraître évident, mais il ne coûte rien de le rappeler : l'Égypte est un grand pays, berceau d'une des plus anciennes et des plus riches civilisations du monde. C'est un pays d'une profondeur et d'une richesse historique, culturelle et touristique inouïes, situé à un carrefour stratégique entre l'Afrique et l'Asie. Il a toujours joué un rôle de premier rang dans le monde arabe et, plus largement, dans la région. C'est encore le cas aujourd'hui.

Ce pays a traversé une période très agitée entre 2011 et 2014, mais a retrouvé depuis la stabilité. Il est doté d'institutions solides qui, comme dans beaucoup d'autres pays, fonctionnent malgré de nombreuses imperfections.

C'est enfin un pays confronté, comme bon nombre, au fléau du terrorisme, mais qui est déterminé à le combattre. C'est également un pays, je tiens à le souligner parce que cela ne se sait pas suffisamment, globalement sûr, sauf dans des portions très limitées et périphériques de son territoire : à l'extrême Nord de la péninsule du Sinaï, à la frontière avec Gaza ou dans le dessert occidental et à la frontière avec la Libye.

Second élément : l'Égypte est un grand marché, avec une population extrêmement jeune, souvent bien formée et entreprenante, et avec une classe moyenne nombreuse et en pleine expansion.

C'est un marché de 92 millions d'habitants, avec des perspectives de croissance très fortes, puisqu'on estime que sa population atteindra 150 millions d'habitants en 2050. Il n'y a pas là que des aspects positifs. Je conçois même que cela puisse faire peur. Les plus hauts responsables égyptiens sont d'ailleurs conscients de la nécessité de mieux maîtriser la croissance démographique et envisagent de renforcer l'action conduite en ce domaine. En attendant, cette population nombreuse, très jeune, dont la moitié à moins de vingt-cinq ans, est aussi un gage de vitalité et de dynamisme.

Tous ces jeunes Égyptiens ne sont pas bien formés, mais beaucoup le sont, notamment dans les disciplines techniques ou le numérique.

Je voudrais à cet égard citer deux exemples, qui concernent à la relation entre la France et l'Égypte, et qui illustrent bien ce potentiel de l'Égypte, notamment dans les domaines des sciences et de la technologie.

Valeo, équipementier automobile bien connu, qui est d'ailleurs, je crois, représenté dans cette salle, a établi à Smart Village, à côté du Caire, son deuxième site pour la recherche et le développement dans le monde. Mille six cent ingénieurs égyptiens y travaillent sur la voiture de demain pour les plus grands constructeurs automobiles. Ces ingénieurs égyptiens sont à l'origine, en 2016, de quelque vingt-deux brevets.

Autre exemple : lors des deux premières éditions du concours « French Tech Ticket », lancé par les autorités françaises en 2015, pour aider les start-up du monde entier à se développer à l'international, l'Égypte a été l'un des pays qui a présenté le plus de projets ou de candidats individuels derrière l'Inde, les États-Unis et la Russie. Elle arrivait en quatrième position en termes de projets ou de candidats.

Les habitudes et les aspirations de la classe moyenne égyptienne qui se développe sont semblables à celles des consommateurs européens.

Les distributeurs français l'ont d'ailleurs bien compris. Carrefour, avec une trentaine de magasins, fait déjà partie depuis longtemps du paysage égyptien.

Une grande marque de produits sportifs s'intéresse également à l'Égypte, non plus comme auparavant pour y produire des articles destinés à ses magasins en Europe et dans le monde, mais aussi - et c'est nouveau - pour y distribuer ses produits destinés à cette classe moyenne en pleine expansion.

Le troisième point est peut-être le plus important : l'Égypte a engagé des réformes ambitieuses et courageuses, qui doivent lui permettre, à terme, de rétablir ses équilibres internes et externes, et d'améliorer la compétitivité de l'économie.

Le ministre en a beaucoup parlé : ces réformes étaient inévitables. Le tarissement concomitant de la plupart des sources de devises du pays s'était traduit par une pénurie sans précédent qui asphyxiait totalement l'économie ainsi que par une dégradation très sévère de la balance des paiements et des comptes publics. La situation, à l'été 2016, était devenue quasiment intenable.

Cela étant, l'ampleur des mesures adoptées par les autorités égyptiennes pour remédier à cette situation, la détermination et le courage démontré dans ces circonstances par les autorités méritent à mon sens d'être salués.

Flottement de la livre égyptienne, consolidation fiscale, avec notamment l'institution de la TVA, réforme de la fonction publique, du système des subventions à l'électricité et aux carburants, nouvelle loi sur l'investissement étranger en préparation, toutes ces réformes vont dans le même sens. Elles commencent à produire des résultats positifs. Si le coût social est correctement maîtrisé - il y a là un enjeu extrêmement important dont les autorités égyptiennes sont bien conscientes - toutes ces mesures devraient permettent à l'Égypte de réduire ses déficits et de restaurer la compétitivité de son économie.

Deux réformes méritent à mon sens une mention particulière. Il s'agit de la décision de laisser flotter la livre égyptienne, qui s'est aussitôt dépréciée d'environ 50 % par rapport aux devises fortes, comme l'euro ou le dollar.

Cette dépréciation a naturellement eu pour conséquence immédiate d'augmenter fortement le prix des produits importés, mais elle a eu aussi pour effet de renforcer considérablement la compétitivité des produits fabriqués en Égypte. Produire en Égypte, que ce soit pour servir le marché égyptien ou pour exporter depuis l'Égypte, en profitant de son positionnement géographique exceptionnel et des accords de libre-échange conclus avec l'Afrique et le Proche-Orient, peut et va même désormais devenir plus intéressant que d'y exporter.

L'autre série de réformes que je souhaite évoquer ici sont celles qui visent à l'amélioration du climat des affaires. Je sais que c'est un sujet auquel les entreprises, françaises en particulier, sont légitimement très sensibles.

Plusieurs projets de loi sur les investissements, les licences industrielles, la dématérialisation et l'allégement des procédures sont actuellement en gestation. Je prends bonne note à cet égard des indications apportées par M. Tarek Kabil concernant leur adoption prochaine. Elles sont bien évidemment attendues avec beaucoup d'intérêt par l'ensemble des investisseurs, notamment français.

Enfin, l'Égypte est un pays qui offre, dans un certain nombre de secteurs, des opportunités exceptionnelles. Il serait trop long de tous les énumérer. Le ministre en a déjà cité quelques-uns. Je me concentrerai sur deux d'entre eux, qui correspondent à mon sens à des domaines d'excellence de l'offre française, par conséquent particulièrement susceptibles d'intéresser nos entreprises.

Le premier concerne le secteur des infrastructures. Les besoins dans ce domaine sont considérables, et un certain nombre de grands projets ont été lancés sous l'impulsion du président al-Sisi.

Ils concernent notamment la construction de plusieurs villes nouvelles, des villes que les autorités égyptiennes veulent conformes aux standards les plus avancés en matière de développement durable, c'est-à-dire dotées des solutions les plus modernes en matière de construction, de services et d'aménagements divers, respectueuses de l'environnement. Il y a incontestablement là une chance à saisir pour nos entreprises.

Sous l'égide de l'ambassade, un club « villes durables » rassemblant les entreprises françaises du secteur déjà présentes en Égypte a d'ailleurs étés constitué, et nous comptons saisir bientôt l'occasion du premier salon Batimat Égypte, qui aura lieu du 9 au 11 mars, au Caire, pour valoriser l'ensemble de l'offre française dans ce domaine auprès de nos amis Égyptiens. Je saisis cette occasion pour inviter tous ceux d'entre vous qui sont potentiellement intéressés par ce salon à s'inscrire auprès de Business France pour faire partie de la délégation d'entreprises en cours de constitution.

Le second secteur qui me semble très prometteur est celui de l'énergie. Beaucoup de choses vont se produire dans ce domaine au cours des prochaines années. Le gisement offshore de Zohr, découvert en 2015 par le fournisseur de gaz naturel Eni au large des côtes égyptiennes, va entrer en exploitation l'an prochain, ce qui devrait permettre à l'Égypte de redevenir au moins autosuffisante pour son approvisionnement en gaz.

L'effort engagé au niveau de la production d'électricité va se poursuivre, avec notamment des perspectives très intéressantes dans le domaine des énergies renouvelables. L'augmentation de la production et la modernisation du réseau de distribution vont devenir un sujet majeur.

Enfin, la disparition progressive des subventions à l'énergie va poser de façon de plus en plus aiguë la question de l'efficacité énergétique : quand l'énergie est moins subventionnée, on fait davantage attention à ne pas la gaspiller. Il y a donc là encore beaucoup d'opportunités à saisir pour les entreprises françaises.

J'aurais pu évoquer la qualité exceptionnelle des relations bilatérales entre l'Égypte et la France, l'image très positive de la France, des technologies et des produits français en Égypte, et bien d'autres choses encore. Ce sera pour une autre fois. Je compte sur les entreprises françaises déjà présentes en Égypte pour convaincre celles qui n'y sont pas encore que ce pays est un pari qui vaut la peine d'être tenté.

Ces entreprises qui sont dans la salle aujourd'hui se trouvent en Égypte depuis longtemps. Elles lui sont fidèles. Elles y restent, même lorsque ce pays traverse les périodes difficiles, parce qu'elles croient en son potentiel et en son avenir.

Leurs représentants vous raconteront mieux que moi leur expérience, lors des tables rondes qui vont suivre. Ils vous diront pourquoi l'Égypte a été pour leur entreprise une success story , et pourquoi elle peut le devenir pour vous, particulièrement en ce moment.

M. Arnaud FLEURY - Je vous remercie, Monsieur l'ambassadeur. Je me tourne à présent vers M. Frédéric Rossi, directeur général délégué à l'export de Business France, co-organisateur de ce rendez-vous autour de l'Égypte, pour un mot d'introduction.

M. Frédéric ROSSI,
Directeur général délégué à l'export de Business France

Monsieur le ministre du commerce et de l'industrie,

Madame la présidente du groupe interparlementaire d'amitié France-Égypte,

Monsieur l'ambassadeur,

Mesdames et Messieurs,

Je suis très heureux de participer à ce colloque France-Égypte.

Je commencerai par remercier le Sénat, avec lequel nous collaborons fort bien et de longue date pour promouvoir des destinations importantes pour nos entreprises. Je remercie également HSBC, le cabinet d'avocats Matouk Bassiouny, de leur participation et de leur soutien à cet événement, le Conseil franco-égyptien des affaires et la section Égypte des conseillers du commerce extérieur de la France (CCEF), ainsi que le ministère des Affaires étrangères et le ministère de l'Économie et des finances.

L'Égypte, aujourd'hui, est pour nous un marché important du fait de sa culture et de sa démographie (plus de 90 millions d'habitants), une croissance démographique de 2,4 %, autant de consommateurs potentiels, de ses atouts économiques, de son poids régional et de sa situation vis-à-vis de l'Afrique du Nord et de l'Est, mais aussi, plus généralement, de l'ensemble du marché africain.

Deuxième point important, les opportunités d'affaires pour nos entreprises sont aujourd'hui nombreuses en Égypte : équipements agroalimentaires, transports, infrastructures, ouvertures de nouveaux ports, smart cities - équipements médicaux et énergie. Ce sera le thème de la première table ronde.

L'Égypte est aussi une destination particulièrement attrayante pour les entreprises qui souhaitent investir sur le territoire africain et se projeter à la fois en Égypte et dans les pays environnants. On en aura des témoignages tout à l'heure, comme celui de Seb qui est bien implanté sur le sol égyptien.

On attend également de connaître les dispositions de la nouvelle loi sur les investissements en cours de préparation, pour savoir si l'on va pouvoir investir encore plus dans ce pays, thème de la deuxième table ronde.

La présence française en Égypte est aujourd'hui relativement importante : cent cinquante entreprises implantées dans ce pays ont su rester sur ce marché, malgré les difficultés rencontrées il y a quelques années. Trois mille entreprises - surtout des Petites et moyennes entreprises (PME) et des Entreprises de taille intermédiaire (ETI) - font des affaires avec ce pays et y exportent régulièrement. C'est certes déjà beaucoup, mais il existe encore un potentiel de développement important.

L'Égypte est redevenue stable depuis quelques années. Lorsque j'étais directeur du réseau international de Business France, on a failli fermer notre bureau en Égypte, en 2011-2012. Fort heureusement, on a maintenu une présence minimale dans ce pays pendant deux ou trois ans. Depuis deux ans maintenant, notre bureau du Caire a recruté du personnel supplémentaire, et compte maintenant six personnes. Le développement de l'activité et la demande française y sont de plus en plus importantes.

Cette demande n'est pas uniquement le fait de grands groupes. Beaucoup de PME et d'ETI s'intéressent à nouveau au marché égyptien. Depuis deux ans, on commence même à connaître des success stories avec des PME que l'on a accompagnées et qui réussissent sur ce marché. 50 % des sociétés qui sont accompagnées par Business France sur le marché égyptien réussissent à nouer des courants d'affaires, à trouver un distributeur et à développer leurs produits dans les six mois à deux ans qui suivent leur première mission.

C'est le cas de la société Dubrulle, qui fabrique des machines agroalimentaires notamment destinées aux exploitations de pommes de terre. Elle a signé en 2016 un accord de partenariat avec une société égyptienne et a déjà remporté des contrats.

C'est aussi le cas de la société Prozis, qui réalise des logiciels pour la gestion de projets, et qui est maintenant implantée sur le marché égyptien.

On est encore trop frileux par rapport à ce marché, dont on a l'impression qu'il est difficile. Finalement, les PME qui sautent le pas - il y en a environ cinquante par an - réussissent et obtiennent des contrats. Nous sommes là pour vous y aider, avec notre bureau au Caire.

On a également réussi à ouvrir à nouveau le marché égyptien au volontariat international en entreprise (VIE), qui aide au développement des flux d'affaires des entreprises françaises à l'étranger. On compte 9 500 VIE à travers le monde, et les premiers commencent à revenir en Égypte. N'hésitez pas : les grands groupes comme les PME peuvent avoir recours à cette procédure.

J'espère que nous retrouverons beaucoup d'entre vous au Caire dans les mois à venir !

POINT SUR LA SITUATION MACRO-ÉCONOMIQUE DE L'ÉGYPTE ET SUR LE POTENTIEL DU MARCHÉ

M. Arnaud FLEURY - Nous allons à présent faire un point sur la situation économique de l'Égypte et sur le potentiel de son marché, avec MM. Jérôme Baconin, chef du service économique en Égypte de la direction générale du Trésor, et Ludovic Prévost, directeur de Business France en Égypte.

M. Jérôme BACONIN, chef du service économique en Égypte de la direction générale du Trésor - Monsieur le ministre du commerce et de l'industrie, Madame la présidente du groupe interparlementaire d'amitié France-Égypte, Monsieur l'ambassadeur, Mesdames et Messieurs, j'ai pris mon poste au Caire en septembre dernier, au moment où tout était en train de changer.

On vous a dit que ce pays avait vécu deux révolutions politiques, la première en 2011, la seconde en 2013. Nous sommes en train d'en vivre une troisième - au moins aussi importante - la révolution économique. Elle sera peut-être un peu plus longue à réaliser que les révolutions politiques. Le ministre des finances égyptien disait il y a peu que le pays avait trois ans pour faire ce qui aurait dû être fait il y a trente ans.

On est en train de démarrer la phase des trois ans, et c'est une véritable révolution puisque ce pays va passer d'une économie très largement administrée à une économie utilisant le secteur privé comme moteur de la croissance.

On a beaucoup insisté sur le fait que la population égyptienne croît de deux millions de personnes par an. C'est à la fois un atout, mais aussi un défi.

L'autre grand défi, c'est la proportion de terres habitables et de désert. Imaginez 90 millions d'habitants dans une région équivalente à la Bourgogne-Franche-Comté, avec le désert autour : c'est tout le défi auquel est aujourd'hui confrontée l'Égypte en termes de terres viables. Il s'agit d'un défi phénoménal, d'où les grands projets d'infrastructures qu'évoquait tout à l'heure M. Tarek Kabil.

Le PIB égyptien reste l'un des plus importants d'Afrique - c'est le second derrière celui d'Afrique du Sud, devant le Nigeria. L'Égypte a un taux de croissance régulier, sans disposer des atouts en hydrocarbures dont a pu disposer le Nigeria, d'où une plus forte résilience que le Nigeria.

Le PIB est peu élevé à l'échelle européenne mais, en parité de pouvoir d'achat (PPA), on « flirte » avec les niveaux de l'Albanie.

L'économie est en outre diversifiée, et chacun peut y trouver sa place.

Je parlais de résilience : même lorsque l'Égypte a été confrontée à des difficultés très profondes, durant les révolutions de 2011 et de 2013, durant les périodes laquelle la gestion économique du pays n'était alors pas la priorité des gouvernants de l'époque, nous n'avons jamais connu une situation de récession. L'existence d'une légère croissance a permis au pays de maintenir la tête hors de l'eau. Néanmoins, on était alors largement en-dessous des potentiels.

On répare aujourd'hui les dégâts. Pour créer des emplois et absorber la population qui entre tous les ans sur le marché du travail, il faudrait atteindre une croissance de 7 %. On en est loin. C'est ce qui explique un taux de chômage structurel assez élevé. On espère que le retour d'une croissance plus structurée permettra d'améliorer la situation.

M. Arnaud FLEURY - Peut-on parvenir à 7 % ?

M. Jérôme BACONIN - Le FMI assure que le potentiel actuel, avec les réformes envisagées, va tourner autour de 6 %. On devrait y arriver vers 2020.

La croissance a été essentiellement portée par la consommation durant des années. L'enjeu de l'Égypte est aujourd'hui d'inverser la tendance pour obtenir une croissance plus portée pas les investissements, où les exportations ne pèsent plus sur le PIB de manière négative, comme durant des décennies, afin de reprendre un cours positif. C'est l'enjeu du pays pour les années à venir.

Ce pays est structurellement desservi par un déficit public trop important pour sa capacité réelle d'absorption, compte tenu d'un taux de fiscalité très faible. L'Égypte avait pour habitude de financer son déficit par une émission de dette sur les marchés essentiellement domestiques, dette in fine financée contre le développement de l'économie, le secteur bancaire préférant financer la dette plutôt que l'économie.

La difficulté est d'inverser la tendance, 80 % des dépenses budgétaires faisant partie des dépenses récurrentes. L'objectif est donc de les réduire, notamment les subventions, de manière à consolider les finances publiques et réduire ce déficit de manière structurelle. C'est l'un des grands enjeux du moment.

Aujourd'hui, le déficit de l'Égypte est supérieur à ce que l'on retrouve dans les pays qui ont le même type de notation souveraine, soit B stable, pour mémoire, selon Standard & Poor's.

Comment la crise que traverse aujourd'hui l'Égypte est-elle survenue ? Le pays était assis sur une série de rentes en dollars et en vivait confortablement.

Il exportait peu et voyait les dollars entrer pour financer ses exportations, grâce à un solde positif des hydrocarbures, des recettes touristiques conséquentes, au transfert en grand nombre de ses immigrés établis dans la péninsule Arabique ou les pays du golfe Persique, et aux redevances du canal de Suez.

Pour son malheur - mais c'est aussi sa chance - ces sources de dollars et de devises étrangères, toutes soumises à des aléas externes et à une conjoncture que le pays ne maîtrisait pas, se sont taries à peu près en même temps.

Pour l'instant, la crise des devises est profonde. Les soldes d'hydrocarbures sont devenus négatifs vers 2013-2014, au moment où les gisements de gaz ont fini par s'épuiser. Il a donc fallu se mettre à en réimporter. Ceci a motivé l'Égypte au moins sur un point : il a fallu développer presque en urgence une politique de prospection.

Par chance, on a très vite découvert le gisement de Zohr. Il faut en attendant gérer une période de transition durant laquelle l'Égypte sera structurellement importatrice en devises fortes.

Le second aléa, à peu près à la même époque, a été touristique. Malgré les révolutions, les choses avaient repris en 2014, après un gros creux en 2013.

En octobre 2015, après l'attentat contre l'avion russe, le tourisme en Égypte a été divisé de moitié pendant un an.

M. Arnaud FLEURY - Les choses repartent-elles à présent ?

M. Jérôme BACONIN - On l'espère. Pour l'instant, seuls les Chinois reviennent, pour dire la vérité. On ressent un frémissement.

La troisième source de devises qui soit restée à peu près stable, après avoir été longtemps en croissance, est celle des émigrés égyptiens dans le golfe Persique et en Arabie saoudite. Tant qu'il y avait du travail dans ces pays et que le baril de pétrole était au taux que nous avons connu, les choses allaient bien. Quand le prix du baril s'est effondré, les remittancies des migrants se sont elles aussi effondrées. Le volume des transferts a donc fortement baissé durant cette période.

Enfin, le dernier aléa concerne les revenus du canal de Suez. Comme le ministre l'a déjà dit, on a doublé la capacité du canal, mais on a oublié que le commerce mondial a eu au même moment tendance à se rétrécir. Les revenus n'ont donc pas augmenté. Ils se sont tout au plus stabilisés, mais la fin de la période a connu un infléchissement.

D'avril à juin 2016, les ressources en dollars de l'Égypte se sont peu à peu dégradées, jusqu'à parvenir à la situation qu'on a connue du courant de l'été à octobre 2016, période durant laquelle on ne trouvait plus de dollars sur le marché égyptien.

La balance des comptes courants s'est effondrée elle aussi. Elle s'est très gravement infléchie de fin 2014 jusqu'en 2016, ce qui correspondait au moment où tous les voyants de rentes en dollars ont commencé à s'afficher en orange, puis en rouge.

Pour mémoire, le déficit de la balance des comptes courants était, fin 2016, de l'ordre de 14 %, pour un déficit de la balance des paiements de 2,8 milliards de dollars. L'Égypte n'était absolument pas capable d'absorber ce choc.

Fonctionnant selon un régime de parité fixe entre la livre égyptienne et le dollar, forte de son système de rentes, l'Égypte a, durant toute la période révolutionnaire, de 2011 à 2013, administré son économie suivant un système de caisse et non de comptabilité. On a puisé dans les réserves, sans penser qu'elles n'allaient pas forcément se renouveler automatiquement.

Entre fin 2010 et fin 2014, moment où l'on sort de ces périodes troublées, les réserves de la Banque centrale d'Égypte ont chuté de 35 milliards à 16 milliards de dollars, sans que les rentes ne reprennent pour reconstituer les réserves.

À un moment donné, il n'y a plus suffisamment de ressources pour défendre la parité fixe avec le dollar. Le marché parallèle se développe et, en même temps, la crédibilité de la parité devient nulle en fin de période. C'est le marché noir, devenu le marché tout court, qui dicte le taux de la livre égyptienne par rapport au dollar.

L'Égypte, en juin-juillet 2016, après l'échec de la dévaluation du mois de mars, s'est trouvée confrontée à une disparité complète entre marché parallèle et taux officiel. Elle a fini par faire appel au FMI, ne pouvant plus reconstituer ses rentes au moment où elle en avait besoin. C'est en cela que cette crise a constitué une chance pour l'Égypte, puisqu'on a pris conscience que les choses ne pouvaient plus durer ainsi : on ne peut continuellement vivre avec des rentes en dollars soumises à des aléas externes. Il faut, à un moment donné, rebâtir l'économie.

L'Égypte, ainsi que l'expliquait M. Kabil tout à l'heure, est donc en train de rebâtir une économie, et bénéficie de différents avantages tirés de la crise : gain de compétitivité, consolidation des infrastructures et des finances publiques, et développement d'une industrie productrice afin de transformer l'Égypte en pays exportateur, ce qu'elle n'est pas encore suffisamment aujourd'hui.

L'intervention du FMI traduit la confiance qu'inspire l'Égypte. On a la certitude que le pays va être obligé de réaliser les réformes auxquelles elle s'est engagée. Il s'agit d'un aiguillon qui va l'aider à accomplir ce changement.

L'Égypte commence à réaliser quelques-unes des réformes qu'elle doit mettre en place. La plus importante est la décision de laisser totalement flotter la devise, prise le 3 novembre dernier. À partir de ce moment, l'Égypte a déclaré faire confiance aux marchés pour fixer la parité entre la devise nationale et les devises étrangères. La Banque centrale d'Égypte s'est engagée à ne pas intervenir concernant l'évolution de la parité de sa devise nationale. La parité par rapport au dollar ou à l'euro est donc chaque jour différente. « So far, so good » ! L'Égypte tient sa parole, et c'est bel et bien le marché qui fixe aujourd'hui le taux de parité entre la devise égyptienne et les devises étrangères.

Tout le reste en découle : en effet, le fait d'administrer l'économie comme auparavant fait perdre toute crédibilité à la fixation de la parité par le marché. Toute une série de lois ont été engagées, sur lesquelles je ne reviendrai pas. Parmi elles, un volet est lié à la consolidation budgétaire. C'est une question de crédibilité vis-à-vis des marchés financiers : on s'engage sur une réduction du déficit structurel, en échange de quoi on peut revenir sur les marchés internationaux pour commencer à financer la dette sur le marché international.

L'Égypte est en effet revenue sur les marchés, après une absence de plus de deux ans, avec un très grand succès, pour lever 4 milliards d'eurobonds fin janvier. Preuve de son succès, cette émission a connu trois fois plus de demandes que ce que l'Égypte était prête à accepter.

Effet positif, la signature de l'Égypte est maintenant prise au sérieux sur les marchés. Le taux d'intérêt de ses émissions a par ailleurs été bien inférieur à ce qui était attendu et, surtout, le pays a placé plus d'un milliard et demi de ses émissions à trente ans, ce qui est un joli pari sur le potentiel et l'avenir de sa croissance. C'est là la plus belle des démonstrations pour l'avenir de l'Égypte.

M. Arnaud FLEURY - La contrepartie réside quand même dans l'inflation. Comment la voyez-vous ?

M. Jérôme BACONIN - Elle atteint en effet aujourd'hui 30 %, ce qui est difficile pour l'Égyptien moyen. Le point positif réside dans le fait que cette inflation est essentiellement tirée par l'effet de change, et non par la demande. Quand celui-ci s'atténuera - ce qui devrait être bientôt le cas - la baisse devrait s'enclencher.

Cette inflation a progressé très rapidement. Un grand nombre d'augmentations liées à la baisse des subventions sur l'énergie ont été enregistrées les premiers mois. Elles sont à présent digérées. Le pic d'inflation reste à venir d'ici la fin du trimestre, mais l'effet de cloche devrait commencer à aller dans le bon sens à partir de mars-avril.

M. Arnaud FLEURY - À combien pourrait-on arriver ?

M. Jérôme BACONIN - Il est difficile de le savoir. Le FMI prévoit 18 % en moyenne annuelle. On sera probablement un peu au-dessus, aux alentours de 20 %.

M. Arnaud FLEURY - Ceci ne doit être guère facile à vivre pour la population...

M. Jérôme BACONIN - Il faut en effet que tout ceci soit absorbé par la population. 30 % d'entre elle vit sous le seuil de pauvreté, et 20 % est pauvre, soit 50 millions d'habitants. Il ne faut pas qu'elle subisse un trop fort impact. Toute une politique d'augmentation des subventions alimentaires et numéraires leur est destinée pour leur permettre d'assimiler le choc et éviter que cette révolution économique ne se transforme en révolution sociale.

Après presque quatre mois, les choses semblent tenir. On n'a pas enregistré de remous dans la population, qui s'exprime dans les médias, mais pas encore dans la rue. Il semble que les mesures qui ont été prises et la communication du gouvernement les aient fait patienter. Il ne faut toutefois pas que cela dure trop longtemps. Ce qui devrait être le cas, l'effet positif des réformes engagées depuis novembre commençant à se faire sentir.

Tout d'abord - et c'est la source du succès - les dollars reviennent dans le système bancaire. En novembre, on n'en trouvait plus. Même les dollars qui circulaient au marché noir restaient à un niveau très faible. Les transferts des migrants réintègrent le système bancaire, ce qui n'était pas le cas il y a trois ou quatre mois, avec un niveau supérieur à il y a un an.

De plus, le flottement a finalement eu pour effet d'éliminer quasiment le marché parallèle. C'est le système bancaire qui a pris la relève.

En outre, depuis maintenant deux semaines, toute une série d'indicateurs très positifs apparaissent. Les non-résidents commencent à revenir sur le marché égyptien des bons du trésor pour en acheter de manière significative.

Le marché domestique ne va plus être seul à absorber les émissions de dettes publiques sur le marché national, et les investisseurs étrangers vont s'intéresser à nouveau significativement à la dette égyptienne en devises nationales.

Par conséquent, les taux d'intérêt sur les bons du Trésor commencent à s'infléchir.

Les étrangers non-résidents reviennent aussi sur le marché boursier du Caire.

Enfin, la livre égyptienne se renforce régulièrement depuis deux semaines, signe qu'on a probablement absorbé une partie des demandes des entreprises en dollars dans les banques. Aujourd'hui, c'est bel et bien l'offre et la demande qui régit l'évolution du taux, de manière positive à ce stade.

M. Arnaud FLEURY - Qu'en est-il du secteur financier ?

M. Jérôme BACONIN - Le secteur bancaire continue à être rentable et solide, avec des ratios de solvabilité qui répondent aux obligations réglementaires.

De plus, l'Égypte a des ambitions en matière d'attractivité économique, notamment pour améliorer son classement en matière d'attractivité vis-à-vis des investisseurs. Le pays, qui a aujourd'hui beaucoup de retard, affiche des ambitions assez fortes.

Mon bureau à l'ambassade est toujours ouvert. J'accueille déjà beaucoup d'entreprises, mais on peut en accueillir davantage. Vous êtes les bienvenus au Caire si vous avez besoin de renseignements sur l'évolution de l'Égypte. Cela ne va pas durer éternellement. On finira par entrer dans un rythme de croisière. Pour le moment, il existe des opportunités. Il faut les saisir.

M. Arnaud FLEURY - Merci pour cette présentation relativement optimiste. M. Ludovic Prévost va à présent nous entretenir des opportunités sectorielles que l'on trouve dans le pays.

M. Ludovic PRÉVOST, directeur de Business France pour l'Égypte - Je ne pourrai être exhaustif, mais je suis à la disposition des entreprises pour discuter plus particulièrement d'un secteur ou d'un autre.

L'Égypte est une économie diversifiée. Il est important de le dire, car cela constitue des opportunités sectorielles pour les entreprises, mais je voulais également relever le poids du secteur public dans l'économie égyptienne, qui pèse pour 10,5 % de l'activité et représente 30 % des investissements du pays.

Les accords de libre-échange actuellement en vigueur dans le pays sont nombreux. Cela en fait un tremplin pour se projeter vers le Moyen-Orient et l'Afrique, comme l'a déjà indiqué le ministre du Commerce et de l'Industrie égyptien.

Enfin, grâce à un accord d'association entre l'Union européenne et l'Égypte, la quasi-totalité des biens originaires de l'Union européenne entrent aujourd'hui en franchise de droits de douane sur le marché égyptien. C'est un fait que ne connaissent pas toujours les entreprises.

Quant au commerce extérieur, le principal partenaire de l'Égypte reste l'Union européenne, avec un peu plus de 31 % des échanges, les pays arabes et les pays d'Asie pesant pour un peu moins de 20 % et la Chine représentant elle-même 35 % du total.

Sur l'exercice fiscal 2015-2016, ce sont les Émirats arabes unis qui étaient redevenus le premier partenaire de l'Égypte, suivis par la Chine et l'Allemagne, qui reprend la troisième place, qu'elle n'avait plus occupée depuis 2010.

Les États-Unis, encore premier partenaire de l'Égypte l'année dernière, ont fortement reculé, pour atteindre la cinquième place, avec une diminution des échanges de près de 37 %.

La France, quant à elle, constitue un partenaire économique de premier plan pour l'Égypte. Le commerce bilatéral s'élevait à environ 2 milliards d'euros l'an dernier, dont 1,5 milliard d'euros d'exportations françaises, hors armement. Les flux d'investissements directs à l'étranger sont importants, et on comptait un stock de 3,5 milliards d'euros en 2015. Environ cent soixante filiales françaises sont établies en Égypte et interviennent dans des secteurs très variés (Air Liquide, Servier, Seb, Danone, Axa, Orange, etc.).

M. Arnaud FLEURY - Il existe également de belles ETI...

M. Ludovic PRÉVOST - En effet, le groupe Atlantic, dans le domaine de l'électroménager, produit aujourd'hui en Égypte.

On l'a dit, les relations bilatérales sont excellentes. Nous sommes accueillis en Égypte avec beaucoup de bienveillance et d'intérêt. Cela se traduit dans les chiffres. En 2013, environ 3 128 entreprises françaises exportaient vers l'Égypte, dont 2 800 PME et ETI. Ce chiffre est passé à plus de 3 400 en 2015, dont 3 100 PME et ETI.

Le nombre d'entreprises que Business France accompagne depuis trois ans augmente. Les marques d'intérêt que nous recevons de la part des entreprises sont de plus en plus nombreuses.

S'agissant de l'agroalimentaire, et plus particulièrement du secteur de la production agricole, l'Égypte est aujourd'hui dans une dynamique d'extension des surfaces cultivées et d'augmentation des rendements.

L'agriculture égyptienne est fortement atomisée, et dépend presque totalement des importations en matière de semences, fertilisants, machines agricoles, etc. C'est également un secteur réceptif aux investissements étrangers des pays de la région, comme ceux du golfe Persique, mais pas seulement : Danone détient par exemple en Égypte la plus grosse ferme laitière du pays.

Cela se traduit par des importations qui sont, dans ce domaine, en progression importante - + 35 % par rapport à l'année précédente - et qui s'élèvent à 246 millions en 2015.

La France est très appréciée dans ce domaine, bien qu'elle fasse face à une concurrence assez féroce de l'Italie, de la Chine, de l'Allemagne mais aussi des États-Unis.

L'industrie agroalimentaire est en forte augmentation en Égypte, notamment en raison de la modification des habitudes alimentaires des Égyptiens, qui sont de plus en plus consommateur de conserves, de boissons, de produits manufacturés et emballés. Les prévisions de croissance sont de l'ordre de 9 % jusqu'en 2019.

Environ 4 000 entreprises travaillent dans ce secteur en Égypte aujourd'hui. Les importations sont également en croissance, de l'ordre de 160 millions en 2015.

Les principales productions alimentaires en Égypte sont : le sucre, les produits laitiers, les jus de fruits, les boissons et les légumes transformés. Tous les secteurs majeurs sont représentés sur le territoire égyptien. C'est un secteur qui a radicalement évolué depuis quinze ans. Il se concentre autour de grandes entreprises comme Edita, Americana, voire Coca-Cola ou Danone, dont j'ai déjà parlé.

M. Arnaud FLEURY - On peut également citer Bel ou Bongrain.

M. Ludovic PRÉVOST - En effet. Les importations sont en croissance grâce aux lignes de production développées par ces entreprises.

Le secteur de la santé est par ailleurs aujourd'hui majeur en Égypte, notamment compte tenu de l'évolution de la population et des besoins que cela suscite en termes d'infrastructures de santé. L'Égypte est quasiment le premier importateur d'équipements médicaux du Moyen-Orient, la production locale étant quasi inexistante dans ce domaine.

C'est un marché qui pèse environ 550 millions de dollars par an. Il est soutenu par beaucoup de projets de construction ou de rénovation. Le gouvernement égyptien a annoncé la construction de cent soixante centres médicaux, d'une trentaine d'hôpitaux et d'environ quatre cents centres de santé répartis sur l'ensemble du territoire. Les partenaires bilatéraux du pays, notamment les pays du golfe Persique, ont annoncé vouloir soutenir la politique égyptienne par le développement et la construction de nouveaux hôpitaux. Les opportunités sont nombreuses, tant en matière d'appareils que de conseils, de conception, ou de constitution de structures de santé. Business France monte une opération dédiée aux équipements médicaux et se rendra en Égypte au mois d'avril.

Quant aux industries et aux cleantech (services industriels qui utilisent les ressources naturelles dans une perspective d'amélioration de l'efficacité), l'Égypte fait l'objet d'une expansion extrêmement rapide du tissu urbain sur une partie restreinte du territoire, avec un taux d'urbanisation très élevé, source de beaucoup d'enjeux et de problématiques tournant autour de la gestion des quartiers informels, de la pollution, de la gestion des centres villes et du patrimoine, des services urbains - transport, collecte des déchets, distribution d'eau et d'électricité. Ce sont autant d'opportunités pour les entreprises de développer des partenariats avec le secteur privé égyptien, mais pas uniquement.

On a évoqué la nouvelle capitale, près du Caire, mais il existe également deux programmes de construction de logements sociaux en Égypte, un million d'unités sur cinq ans dans l'ensemble du pays, soutenus par un prêt de la Banque mondiale. On construit également une centaine de milliers d'unités de logements sociaux dans la périphérie du Caire.

Le développement de villes nouvelles autour du Caire a été évoqué. Le ministre a cité tout à l'heure le triangle d'or, ainsi que la zone du canal de Suez.

M. Arnaud FLEURY - La construction de la nouvelle capitale, située à cinquante kilomètres du Caire, est en cours...

M. Ludovic PRÉVOST - Les travaux ont en effet commencé. Ce projet pèsera à terme entre 40 milliards et 80 milliards de dollars.

Le métro est par ailleurs un chantier historique pour les entreprises françaises. Un certain nombre de contrats ont été signés. Le dernier en date concerne la troisième phase de la ligne numéro 3. Il s'agit d'un consortium mené par Vinci, pour un montant de plus d'un milliard de dollars.

Plus récemment, Alstom a signé un contrat pour du matériel roulant. Il existe également des projets de tramways au Caire et à Alexandrie, en partie financés par l'AFD.

Le ferroviaire est également une priorité pour l'Égypte. Il s'agit d'améliorer les conditions de sécurité en rénovant les voies, ainsi que les systèmes de signalisation et de télécommunication y afférent.

On a également parlé du domaine portuaire. Il existe des projets pour le port d'Alexandrie, ainsi que pour le port de Damiette, et dans la zone économique spéciale du canal de Suez, qui constitue un projet bien plus large de développement des infrastructures industrielles dans cette zone. Celui-ci passe par les ports, mais également par l'industrie moyenne, la logistique, l'emballage.

M. Arnaud FLEURY - Le représentant du groupe d'action financière General Authority for Investirent and free zones (GAFI), qui aurait dû être parmi nous, n'est malheureusement pas là. C'est un projet considérable.

M. Ludovic PRÉVOST - Absolument. Beaucoup de choses se font dans des domaines très variés.

Il y a peu, les représentants de l'autorité du canal de Suez étaient dans nos locaux pour nous vanter les mérites des chaînes aquacoles dans la zone du canal.

M. Arnaud FLEURY - Les Français ont-ils conscience que l'Égypte essaye de mettre en place une plate-forme gigantesque ?

M. Ludovic PRÉVOST - Je pense que oui. Si ce n'est pas le cas, on est là pour le leur rappeler.

Je ne peux pas passer sous silence le secteur du pétrole et du gaz. L'Égypte détient environ quinze ans de réserves. Le pays ne souhaite pas augmenter la production, mais conserver cette autonomie une quinzaine d'années. En revanche, l'idée est que le pays devienne autosuffisant sur la partie concernant les produits raffinés.

En effet, aujourd'hui, malgré une production de l'ordre de 700 000 barils par jour, les raffineries égyptiennes ne permettent pas de couvrir la totalité des besoins. Seuls 60 % à 70 % le sont.

Il existe aujourd'hui beaucoup de projets de rénovation et d'amélioration des capacités de production des raffineries en Égypte. Je citerai l'exemple de celle d'Assiout, qui est aujourd'hui menée par Technip. Il existe également un certain nombre de projets d'exploration, ainsi qu'on l'a déjà dit.

M. Arnaud FLEURY - L'association Evolen, qui regroupe les entreprises françaises du secteur parapétrolier, a effectué en Égypte une visite organisée par Total la semaine dernière...

M. Ludovic PRÉVOST - En effet. La France a d'ailleurs eu un pavillon dans le cadre de la première édition de l' Egypt Petroleum Show , qui était assez réussie.

S'agissant du gaz, on a parlé de la découverte du champ de Zohr, qui représente environ 7 milliards à 8 milliards d'investissements, et qui devrait commencer à produire à partir de l'année prochaine.

Depuis, d'autres gisements ont été découverts, notamment dans le delta du Nil. D'autres sociétés explorent d'autres pistes. Je pense à Apache, qui étudie la possibilité d'exploiter le gaz de schiste. Les Égyptiens veulent redevenir autosuffisants, voire exporter à court terme.

On retrouve dans tous les secteurs cette volonté de diminuer les importations, d'augmenter les exportations et de développer la structure industrielle du pays, ce qui représente des opportunités pour nos entreprises.

M. Arnaud FLEURY - Qu'en est-il des services et des cleantech ?

M. Ludovic PRÉVOST - Plus spécifiquement, le secteur des technologies de l'information et de la communication (TIC) pèse aujourd'hui environ 14 milliards de livres égyptiennes par an, soit 3 % du PIB. Les services numériques représentent quant à eux 1,6 milliard de livres égyptiennes d'exportations par an.

La volonté des autorités égyptiennes est de porter le poids de ce secteur à 8 % du PIB d'ici à 2020, et de faire passer les exportations de services numériques de 1,6 milliard de livres égyptiennes à 2,5 milliards de livres égyptiennes sur cette même période.

Plusieurs axes peuvent permettre d'y parvenir. Le premier consiste à développer dans le pays des infrastructures comme la 4G, pour laquelle Orange a obtenu une licence il y a quelques mois. Il faut aussi appuyer le développement de l'industrie des TIC, en particulier en attirant les entreprises qui cherchent à externaliser leurs activités. Elles peuvent en effet profiter des dispositifs de soutien mis en place par ITIDA (Information Technology Industry Development Agency), l'agence publique de développement du secteur, notamment grâce à la prise en charge de la formation des employés, à des systèmes de subventions, à l'amélioration du cadre légal du secteur ou au développement de zones économiques spéciales.

L'Égypte développe aujourd'hui des « tech parks ». Deux ont ouvert l'année dernière, et huit autres sont « dans les tuyaux ». Deux autres devraient voir le jour prochainement et offrir aux entreprises du secteur toutes les infrastructures nécessaires au développement de leurs activités, ainsi que des facilités fiscales.

Enfin, énormément de grands groupes ont décidé d'installer leurs centres régionaux en Égypte : Microsoft, IBM, HSBC et, parmi les français, Orange, dont on a déjà parlé, Teleperformance, Jumia, ou Valeo, qui s'est implanté en Égypte en 2005, et qui emploie aujourd'hui près de six cents ingénieurs égyptiens dans le plus grand centre de R & D du pays en matière de programmation informatique.

M. Arnaud FLEURY - Le ministre parlait de 1 600 personnes. On peut également citer l' outsourcing (l'externalisation vers un prestataire spécialisé de certaines tâches dans le domaine du marketing et de la relation client), qui est très développé.

M. Ludovic PRÉVOST - Nos portes sont bien entendu ouvertes. Nous sommes prêts à vous accueillir et à vous aider à vous développer sur le marché égyptien, qui n'attend que vous ! Venez, sinon d'autres prendront la place.

M. Arnaud FLEURY - Nous allons à présent débuter notre première table ronde sur le cadre des investissements en Égypte et les opportunités pour les entreprises françaises...

TABLE RONDE 1 -
CADRE DES INVESTISSEMENTS EN ÉGYPTE ET OPPORTUNITÉS POUR LES ENTREPRISES

Table ronde animée par M. Arnaud FLEURY, journaliste économique

Ont participé à cette table ronde :

M. Jean-Jérôme KHODARA, Associé, Cabinet d'avocats Matouk Bassiouny

M. Fouad YOUNES, Président du Conseil franco-égyptien des affaires

Mme Hanane BADRA, Présidente du groupe Seb Égypte (CCEF)

M. Bruno CARRÉ, Directeur général de Suez Cement (CCEF)

M. Arnaud FLEURY - On connaît davantage l'Égypte sous l'angle géopolitique et culturel que sous l'angle économique alors que ce pays est aussi la troisième puissance du continent africain. Après une période de stabilisation difficile, elle semble à présent pouvoir être la source de grandes opportunités pour les entreprises françaises.

Ce colloque porte sur les possibilités qu'offre ce pays, auquel s'intéressent beaucoup des entreprises qui sont ici présentes aujourd'hui.

La parole est à M. Jean-Jérôme Khodara.

M. Jean-Jérôme KHODARA - J'essaierai tout d'abord de présenter d'une manière concise les traits saillants du cadre de l'investissement en Égypte aujourd'hui.

Je tenterai ensuite, de façon transparente et pratique, de soulever les problématiques que l'on peut encore rencontrer en Égypte, particulièrement pour un investisseur étranger.

Enfin, je ferai le point sur les principales réformes attendues dans les mois à venir.

On sous-estime les efforts accomplis par l'Égypte durant ces deux ou trois dernières années pour atteindre une forme de stabilité institutionnelle. Une nouvelle Constitution a été proclamée en janvier 2014. L'élection d'un nouveau président au suffrage universel a suivi six mois après.

Au niveau local, dix-sept gouverneurs sur vingt-sept ont été remplacés, dont une grande partie issue de la société civile, ce qui est peu habituel en Égypte.

En mars 2015, un énorme effort a été consenti en direction d'investisseurs lors de la grande conférence économique de Charm el-Cheik, la nouvelle loi sur l'investissement ayant été publiée un jour ou deux avant.

Les réformes ont été menées par décrets présidentiels entre juin 2014 et début 2016, ce qui a facilité l'accélération des réformes. Je ne reviendrai pas sur les derniers développements de la fin de l'année dernière, qui ont déjà été mentionnés - loi sur la TVA et flottement de la livre égyptienne.

Je voudrais aussi faire une remarque personnelle, qui est un peu hors de mon sujet, pour ceux qui ne connaissent pas l'Égypte. Hier soir, dans un dîner en ville, on m'a demandé si la situation au Caire n'était pas trop difficile. Je sais que la politique de sécurité de certains groupes français consiste à ne pas envoyer d'expatriés en Égypte, mais j'ai appris que le ministère des Affaires étrangères vient de décider d'y envoyer à nouveau des VIE.

C'est ma huitième année en Égypte : j'y vis en famille, et extrêmement bien. Le Caire est une ville très sûre.

Par ailleurs, le cadre des investissements en Égypte découle de la loi de 1997. Il a subi une réforme importante en 2005 mais, sur un plan technique, demeure relativement sophistiqué et complet en ce qui concerne les garanties qu'un investisseur étranger peut attendre. On retrouve toutes les garanties traditionnelles de l'investissement étranger, qu'il s'agisse du droit de rapatrier ses dividendes - bien sûr si on trouve des devises - du droit de rapatrier le capital, de la protection contre le risque de nationalisation ou de l'égalité de traitement.

En ce qui concerne les investisseurs français, c'est plus une consolidation qu'une véritable nouveauté. Il existe en effet entre la France et l'Égypte un traité d'investissement bilatéral datant de 1974, qui garantit les investissements français en Égypte et, réciproquement, les investissements égyptiens en France.

La conférence de Charm el-Cheikh, qui a eu lieu en mars 2015, a constitué un message fort envoyé à la communauté d'affaires. On avait promulgué la nouvelle loi sur l'investissement 24 heures avant.

Techniquement, il s'agissait d'un amendement à la loi de 1997, mais tellement étendu dans son champ que ceci a constitué un nouveau cadre d'investissement en Égypte.

Les deux principaux sujets d'un investisseur étranger en Égypte sont les conditions dans lesquelles il va pouvoir monter une structure juridique, et les conditions dans lesquelles on pourra obtenir les licences qui sont requises dans la plupart des cas. Il ne faut pas le nier : ce n'est pas toujours facile.

Cette loi a au moins eu le mérite de reconnaître cette problématique. Elle a mis en place un système de guichet unique. C'est le GAFI, équivalent du Registre du commerce et des sociétés (RCS) français et de Business France, qui joue ce rôle. Cette réforme va donc dans la bonne direction.

Elle n'est toutefois pas encore complètement opérationnelle, essentiellement pour deux raisons. Tout d'abord, certains secteurs sont couverts par la réforme. En outre, le GAFI n'a pas de compétences propres pour émettre les licences. Il joue un rôle de coordinateur avec les autres autorités, mais les degrés de coopération peuvent varier selon les cas.

La seconde réforme importante a déjà été mentionnée par M. Tarek Kabil et concerne les licences. C'est un sujet en Égypte. De nombreuses activités sont soumises à l'obtention d'une licence préalable. De très nombreuses administrations sont compétentes selon les secteurs. La principale est l'Industrial Development Authority (IDA).

La bureaucratie existe selon son secteur et les interlocuteurs que l'on a en face de soi. Un projet d'investissement peut être retardé de quelques mois parce qu'on a des problèmes pour obtenir les licences.

Deux développements majeurs sont toutefois intervenus : un nouveau décret permet à l'IDA, qui est une subdivision du ministère de l'investissement, d'émettre des licences à titre temporaire pour une durée d'un an au profit des industries peu sensibles.

Le second développement concerne la loi sur le guichet unique en matière de licence, qui est en cours de préparation.

Le troisième volet important de cette réforme est, de mon point de vue, un de ceux qui fonctionnent le mieux. Il a trait à la résolution des litiges en matière d'investissements.

Beaucoup d'efforts ont été mis en oeuvre pour obtenir des mécanismes extrajudiciaires de résolution des litiges. Le système judiciaire égyptien est assez lourd et la gestion des litiges réclame beaucoup de temps. Les relations entre l'exécutif et le judiciaire en Égypte n'ont pas toujours été simples. Beaucoup de programmes ont donc été mis en place pour contourner les tribunaux et accélérer les procédures de résolution.

Ceci concerne le sujet pénal et les litiges entre un investisseur et une autorité publique égyptienne.

Même si ce litige fait déjà l'objet d'une procédure devant les tribunaux administratifs, il est possible de soumettre ledit litige à un comité comprenant des représentants des ministères concernés et, depuis peu, de certains membres des juridictions, afin de parvenir à une médiation. Si la médiation est obtenue, on enregistre un désistement d'instance du côté judiciaire. Ce système fonctionne.

Le troisième volet de ce mécanisme concerne les privatisations, qui ne sont pas notre sujet aujourd'hui.

M. Arnaud FLEURY - La question de la privatisation se posera forcément en Égypte, mais ce n'est en effet pas encore le cas.

M. Jean-Jérôme KHODARA - La loi de 2015 durcit également les conditions de mise en jeu de la responsabilité pénale des dirigeants.

Cela peut paraître un sujet périphérique, mais ce n'était précédemment pas le cas en Égypte, où il existait un vide réglementaire. Un dirigeant de société pouvait être condamné à une peine de prison ferme pour un accident de circulation qu'il ignorait.

La philosophie de la nouvelle loi de 2015 n'est pas tant orientée vers des incitations fiscales que vers des avantages en nature. Selon les projets, les avantages peuvent concerner l'octroi de terrains dans des conditions favorables, le remboursement des frais de formation, des facilités douanières, etc.

Le quatrième volet de la loi est relatif à l'accès au foncier. Certains projets de nature industrielle nécessitaient un accès au foncier. Un certain désordre réglementaire régnait dans ce domaine. Ce sujet est sensible dans l'opinion égyptienne. La plupart des grands scandales qui ont eu lieu après la révolution étaient liés aux conditions d'attribution du foncier.

Comme pour les licences et les enregistrements des sociétés, la loi de 2015 a saisi ce sujet à bras-le-corps et a mis en place un système d'attribution des terrains plus transparent. On attend encore des améliorations dans la nouvelle loi de 2017.

M. Arnaud FLEURY - Que prépare actuellement le parlement ?

M. Jean-Jérôme KHODARA - La nouvelle loi vise à corriger les imperfections du système de guichet unique et comporte une nouveauté permettant de monter en Égypte une société en ligne en moins de quarante-huit heures. Le système de guichet unique sera également amélioré.

Une nouvelle série d'incitations fiscales va réduire de 30 % à 40 %, selon les localités, l'assiette de l'impôt sur les bénéfices des entreprises qui se tournent vers l'exportation.

Il existe par ailleurs en Égypte une contrainte en matière de droit du travail : une société ne peut compter plus de 10 % de salariés étrangers. Cela n'a jamais constitué une difficulté, puisqu'une des raisons de choisir l'Égypte est de bénéficier d'une main-d'oeuvre qualifiée à un coût intéressant.

M. Arnaud FLEURY - Je me tourne vers M. Fouad Younes, président du Conseil franco-égyptien des affaires, qui est une structure originale. M. Younes est à la tête d'une entreprise d'agents commerciaux qui représente un certain nombre d'entreprises françaises, dont Saint-Gobain ou Alstom.

Est-ce le bon moment pour investir en Égypte selon vous, après la crise des devises et la dévaluation de la livre égyptienne ? Le contexte est-il bon pour cela ?

M. Fouad YOUNES - Le Conseil franco-égyptien des affaires a été créé il y a onze ans par décret présidentiel. Il regroupe quarante hommes d'affaires - vingt Français, vingt Égyptiens - qui se réunissent régulièrement. Notre principal objectif est de soutenir et d'approfondir les relations économiques et les relations d'affaires entre l'Égypte et la France.

M. Arnaud FLEURY - Des banquiers, des avocats et des conseils permettent donc de faciliter les mises en relation d'affaires entre les deux pays, c'est bien cela ?

M. Fouad YOUNES - Exactement. Nous pouvons recommander aux PME qui veulent s'installer en Égypte des cabinets d'avocats, des experts fiscaux et les accompagner dans leur démarche pour établir leur société en Égypte.

Nous avons beaucoup aidé les sociétés déjà existantes, surtout durant la période 2012-2013, face à la pénurie d'énergie et de devises et face aux problèmes sociaux. Nous avons pu, grâce à notre réseau de décideurs, solutionner les problèmes.

M. Arnaud FLEURY - Le cadre vous semble-t-il aujourd'hui le bon ? Beaucoup de choses sont en train de se mettre en place. La loi sur les investissements attendue dans les prochaines semaines doit être perfectionnée. Quel message d'homme d'affaires voulez-vous faire passer concernant le cadre des investissements en Égypte aujourd'hui ?

M. Fouad YOUNES - Il n'a jamais été plus favorable aux investisseurs étrangers. Toutes ces réformes, ces nouvelles législations, comme le one-stop shop (guichet unique) ont changé le contexte de l'investissement étranger en Égypte cette année.

Sur le plan économique, l'Égypte est pour les investisseurs internationaux une destination très favorable. Elle offre les avantages d'un pays stratégiquement bien placé pour héberger les implantations industrielles françaises, qui pourraient tirer avantage d'un large marché national, et de se positionner pour exporter vers les pays du Moyen-Orient et d'Afrique.

M. Arnaud FLEURY - Je me tourne vers Mme Hanane Badra, présidente de Seb en Égypte. L'investissement de cette société est encore modeste, mais il est appelé à augmenter. Pouvez-vous nous parler de la stratégie de Seb à ce sujet et nous dire comment vous avez pu vous implanter en Égypte ? La question des licences industrielles est-elle une question compliquée, même pour Seb ?

Mme Hanane BADRA - Le groupe Seb s'est installé en Égypte fin 2012, dans une période difficile. L'objectif premier pour Seb était de s'installer sur le continent africain. Début 2013, on y a effectivement installé une première filiale. Le projet était de s'orienter vers le marché égyptien, mais également vers les pays du Moyen-Orient et d'Afrique, pour profiter des accords entre l'Égypte et les pays voisins.

L'attractivité et le potentiel de l'Égypte sont réels, le cadre existe, mais toutes les entreprises font malheureusement face quotidiennement à la bureaucratie et à la corruption. On évite de parler de ces sujets dans une réunion comme celle d'aujourd'hui, mais ils existent. Je vis en Égypte depuis quatre ans, et j'ai démarré seule ; mais la réalité est là, et on se demande parfois ce qu'on y fait.

M. Arnaud FLEURY - Les choses ne se débloquent-elles pas tout à coup, « à l'orientale » ? La preuve en est que vous êtes installée en Égypte et que vous produisez.

Mme Hanane BADRA - Oui, cela se développe, mais cela nécessite du temps. Le ministre disait qu'il faut quinze jours pour obtenir une licence : je suis prête à investir à mes frais pour faire la promotion de l'Égypte si la licence est obtenue en quinze jours !

Le guichet unique existait déjà il y a quatre ans, et j'ai pourtant mis plus d'un an et demi pour l'obtenir ! Il faut le dire aux entreprises qui sont ici.

M. Arnaud FLEURY - Êtes-vous aujourd'hui satisfaite de votre investissement ? J'imagine que Seb a l'intention de se développer encore plus en Égypte. Est-il possible d'exporter depuis l'Égypte en termes de normes, de réglementation, de qualité des produits, et de faire de l'Égypte une plate-forme pour se développer dans la région pour une entreprise comme Seb ?

Mme Hanane BADRA - Le projet n'a pas changé : on continue à investir, à se développer et à grandir en vue de monter en Égypte un hub (plateforme de développement) pour toute la région. On a commencé à exporter vers la Turquie.

Récemment, la Turquie a en effet pris des mesures draconiennes contre les produits venant de Chine, et a mis en place des droits de douane de 40 % pour les produits chinois. Le groupe Seb est implanté sur l'ensemble des continents. On a donc pu récupérer certains projets et produire localement en Égypte pour exporter vers la Turquie.

M. Arnaud FLEURY - On peut donc exporter depuis l'Égypte des produits aux normes ?

Mme Hanane BADRA - Peu importe l'endroit où se situe l'usine : nous avons exactement les mêmes normes en France, en Chine ou sur d'autres continents.

De la salle - Pourquoi avoir choisi l'Égypte pour exporter vers la Turquie ?

Mme Hanane BADRA - Au départ, ces produits étaient fabriqués en Chine.

De la salle - La Turquie n'applique pas de taxe aux produits qui viennent d'Égypte ?

Mme Hanane BADRA - Il existe en effet des accords entre l'Égypte et différents pays. La Turquie en fait partie. Pour donner un ordre d'idée, pour un produit venant de Chine, un distributeur local paierait 40 % de droits de douane, alors qu'un produit fabriqué en Égypte et exporté vers la Turquie est taxé à hauteur de 2,5 % à 5 %.

M. Arnaud FLEURY - M. Bruno Carré était encore récemment directeur général de Suez Cement en Égypte, propriété du groupe allemand Heidelberg, l'un des géants mondiaux du ciment. Il est aujourd'hui rentré pour superviser la zone depuis le siège, mais a passé de nombreuses années là-bas.

On est là dans l'industrie lourde. Elle a besoin de forts capitaux pour se développer. Que diriez-vous à propos de votre installation en Égypte ? Êtes-vous satisfait de votre investissement ? Quel message voudriez-vous faire passer à ce sujet ?

M. Bruno CARRÉ - Un investissement dans l'industrie lourde se mesure dans la durée, les capitaux n'étant pas rentabilisés avant quelques années.

Nous sommes en Égypte depuis le début des années 2000. Nous avons commencé par une prise de participation minoritaire, puis avons essentiellement procédé par acquisitions. À partir de 2005, nous disposions d'une majorité de contrôle dans différentes entreprises, dont d'anciennes entreprises d'État.

Nous avons été au coeur de la problématique des nationalisations, notamment pendant la période des Frères musulmans. Les choses se sont un peu calmées depuis, mais les procès sont toujours en cours.

Nous avons connu la première période de pré-crise, en 2010, avant la révolution, alors que le pays connaissait une très forte croissance et que le marché était très rentable. Un des éléments essentiels de notre prix de revient, l'énergie, était fortement subventionné. On bénéficiait donc d'une condition locale particulière.

Nous avons ensuite connu une période difficile jusqu'en 2015. Malgré les vicissitudes politiques, le marché, qui était très résilient, ne s'est pas effondré. C'est une caractéristique que l'on retrouve dans beaucoup de secteurs. Contrairement à d'autres pays qui ont connu les printemps arabes, les marchés égyptiens ne se sont jamais effondrés, à l'exception du tourisme - mais pour d'autres raisons.

L'économie égyptienne a fini par renaître dans une période récente. L'effet d'aubaine sur l'énergie a disparu. On est face à un environnement concurrentiel malgré tout compliqué.

Le marché continue cependant à être très attractif. Il a repris, après avoir stagné durant les périodes difficiles, avec un taux de croissance de l'ordre de 5 à 6 %, supérieur donc au PIB.

On l'a dit, les infrastructures sont fortement consommatrices de béton et de ciment, d'autant plus que l'Égypte possède peu de bois et pas de fabrication d'acier destinées aux structures. Quand on veut construire, il faut donc du béton, surtout si l'on veut aller assez haut. Pour un marché dont la population représente une fois et demie la France, la consommation de ciment est plus de trois fois celle de notre pays.

M. Arnaud FLEURY - Le BTP est donc aujourd'hui en plein essor, les matériaux de construction également, mais la concurrence est forte...

M. Bruno CARRÉ - C'est vrai dans tous les secteurs : matériaux, produits de seconde oeuvre. Certaines entreprises de construction égyptiennes sont assez fortes et actives au-delà de l'Égypte, jusque dans les pays du golfe Persique, voire en Europe. Les marges sont donc aujourd'hui tendues.

M. Arnaud FLEURY - On construit cependant beaucoup, qu'il s'agisse du public ou du privé.

M. Bruno CARRÉ - Absolument. La nouvelle capitale, qui est construite au milieu d'un désert, et qui ne se voit pas trop, est tout simplement un chantier pharaonique. Les choses vont extrêmement vite, comme pour le doublement du canal de Suez. J'espère toutefois que le résultat sera plus favorable pour la nouvelle capitale.

M. Arnaud FLEURY - Monsieur Fouad Younes, j'imagine que vous sensibilisez les entreprises françaises à la réalité de ces grands projets d'infrastructures...

M. Fouad YOUNES - À part la nouvelle capitale administrative, un projet de construction de 40 000 kilomètres d'autoroutes est en cours. Il est exécuté par des sociétés de génie civil privées égyptiennes et supervisé par les forces armées.

Je m'occupe surtout du traitement des eaux pour Degrémont et Suez. On continue à voir des projets fortement soutenus par l'Union européenne, l'AFD et d'autres bailleurs de fonds en matière de dessalement et de traitement des eaux résiduelles.

Nous étudions, avec la chambre de commerce et d'industrie française en Égypte, la Fédération des industries égyptiennes et le gouvernorat d'Alexandrie, un projet pour la création d'une zone industrielle française à Alexandrie, qui s'étendrait sur une superficie d'une dizaine d'hectares.

Le gouvernorat et la Fédération des industries égyptiennes seraient responsables de la préparation de cette zone sur le plan des infrastructures - énergie, électricité, eau, eaux résiduelles, déchets industriels - ainsi que de la construction de bâtiments de deux étages en béton, et de leur location à des sociétés françaises, qui pourraient obtenir leur licence rapidement.

M. Arnaud FLEURY - Le message est passé !

Madame Badra, Monsieur Khodara avez-vous le sentiment que la dévaluation a été une bonne chose et qu'on a aujourd'hui changé de paradigme ? L'Égypte a-t-elle retrouvé sa compétitivité ?

Mme Hanane BADRA - Oui et non, c'est là tout le paradoxe !

D'une manière générale, un ouvrier payé 120 euros auparavant touche aujourd'hui, avec la dévaluation, entre 65 euros et 70 euros. Si on ne considère que ce facteur, la compétitivité est donc réelle, mais il nous faudrait aussi des fournisseurs locaux disponibles. Or, ce n'est pas le cas aujourd'hui, puisqu'on est obligé d'importer la majorité de nos composants en dollars. L'effet de la dévaluation n'est donc pas si positif pour l'ensemble des produits.

M. Arnaud FLEURY - Accédez-vous aujourd'hui au dollar ?

Mme Hanane BADRA - On y a accès, pas forcément autant qu'on le souhaiterait mais, par rapport à il y a quelques mois, les choses s'améliorent.

M. Arnaud FLEURY - Monsieur Khodara, vos clients sont-ils rassurés par l'accès aux devises et par le fait de pouvoir rapatrier leurs dividendes ?

M. Jean-Jérôme KHODARA - Cela a effectivement contribué un certain optimisme.

Comme le disait Mme Badra, on a connu à la fois des effets positifs et des effets négatifs. Le fait que la livre égyptienne ait été sous-évaluée durant toute une période a rendu beaucoup d'actifs égyptiens très attractifs, les valorisations étant inférieures aux valeurs de marché. Cela a généré de nombreuses acquisitions, surtout de la part de fonds d'investissement, etc.

Les investisseurs stratégiques ou industriels, comme Seb, par exemple, sont demeurés attentistes, personne ne voulant investir d'argent sans possibilité de rapatriement.

Si on avait tenu cette conférence en octobre, on aurait dû constater qu'il était impossible de rapatrier des dividendes d'Égypte vers la France. Aujourd'hui, si c'est encore problématique, la situation se résorbe néanmoins.

M. Arnaud FLEURY - Monsieur Carré, Heidelberg souhaite-t-elle investir à nouveau de manière importante en Égypte ?

M. Bruno CARRÉ - La réponse n'est pas tout à fait affirmative, notre capacité d'instillation étant largement excédentaire.

Nous projetons d'utiliser l'Égypte comme base d'exportations vers l'Afrique de l'Est et les pays du golfe Persique, ce qui n'était pas le cas lorsque la valeur de la devise égyptienne était trop importante, sachant que les pays du golfe Persique sont tous en surcapacité de production, tout comme la Turquie. Nous avons toutefois la possibilité de nous battre sur les marchés d'Afrique de l'Est.

M. Arnaud FLEURY - L'armée est très puissante en Égypte et a de grands intérêts économiques. Comment négocie-t-on avec elle quand on s'implante en Égypte ?

M. Jean-Jérôme KHODARA - On ne négocie pas !

M. Arnaud FLEURY - Que faut-il savoir par rapport à l'armée en tant qu'acteur économique en Égypte ?

M. Bruno CARRÉ - C'est un acteur important et incontournable, surtout en matière de projets d'infrastructures. C'est plus le levier du président que du gouvernement. Cela a été le cas pour le canal de Suez, et c'est le cas de la nouvelle capitale administrative, ainsi que pour les autoroutes.

On ne traite surtout par avec l'armée, mais avec les entreprises égyptiennes qui sont contractantes de premier rang de l'armée. Il faut se placer en deuxième rideau, les contractants de premier rang ayant en général besoin de nos compétences, de notre force de frappe, et de nos capacités pour suivre les demandes relativement massives et urgentes de l'armée.

M. Arnaud FLEURY - Monsieur Younes, y a-t-il des choses à savoir sur l'armée ?

M. Fouad YOUNES - Avec l'armée, tout se fait par négociation directe plutôt que par adjudication, comme pour les grands projets d'infrastructures.

M. Arnaud FLEURY - Quelles sont les relations avec l'administration ? On parle toujours, en Orient, d'un temps différent, d'une approche différente ? Constatez-vous une professionnalisation de l'administration, comme on le dit souvent ? Quels conseils pouvez-vous donner en matière de relations avec l'administration ?

Mme Hanane BADRA - Je pense que l'administration égyptienne correspond à ce que l'on avait il y a cinquante ans ou soixante ans en France. Elle fait preuve d'une certaine lourdeur.

On doit cependant mettre l'accent sur la volonté des autorités égyptiennes - gouvernement et président - d'avancer. Il y a un fossé entre l'administration et la volonté d'avancer du gouvernement. Il faut du temps.

M. Arnaud FLEURY - Le fait qu'on soit aujourd'hui dans des procédures de notification plutôt que d'approbation devrait faciliter les choses et améliorer les relations avec l'administration.

M. Jean-Jérôme KHODARA - La bureaucratie est très contraignante.

La haute fonction publique égyptienne est d'un niveau impressionnant ; elle est remarquable. Tous les textes dont on a parlé vont dans la bonne direction et sont généralement bien faits, mais il existe un décalage entre l'annonce, la promulgation et la mise en pratique, le temps que l'administration de niveau intermédiaire se mette en marche.

Mme Badra a attendu un an et demi pour obtenir une licence. Cela me paraît particulièrement long mais, en 2012-2013, aucune licence n'était délivrée.

Mme Hanane BADRA - Ce sont nos avocats !

M. Jean-Jérôme KHODARA - C'est effectivement long, mais il existe de véritables blocages dans certains pays de la zone. En Égypte, cela peut être plus long que prévu, mais on y arrive généralement.

Mme Hanane BADRA - Le gouvernement a mis en place un enregistrement des entreprises et des usines. Pour les entreprises françaises, c'est plutôt un avantage, puisque cela va réduire les importations de Chine.

On a suivi la procédure d'enregistrement. Aujourd'hui, dédouaner un conteneur nécessite entre un mois et un mois et demi. Les douanes demandent que l'on passe des tests de normes internationales, alors que le rapport a déjà été remis. Il faut retourner à l'aéroport du Caire, même si l'on a déjà importé les mêmes produits de la même usine. Quand on le leur fait remarquer, les douanes nous répondent qu'il s'agissait d'une erreur : on perd ainsi trois semaines !

M. Bruno CARRÉ - Il faut aussi regarder la réalité en face : les caisses étaient vides. Le gouvernement a donné des instructions non officielles très claires à l'ensemble de l'administration des douanes pour lui demander d'éviter de dépenser des devises. Certains blocages administratifs ont été fortement motivés par cette demande. Les chiffres le montrent : ils ont été assez efficaces dans ce domaine.

Les entreprises ont souffert. Nous n'avons pas pu faire venir certaines pièces détachées et avons été obligés de reporter des maintenances planifiées depuis six mois. Ceci a été assez désastreux en termes de fonctionnement.

Néanmoins, on a évité l'embolie complète de l'économie du pays. Si les entreprises souffrent en termes microéconomiques, la bonne décision a été prise en matière macroéconomique. Il faut bien reconnaître que les autorités n'avaient pas le choix et étaient obligées de fermer les barrières.

M. Arnaud FLEURY - Les zones franches sont-elles un vrai plus ? Faut-il les avoir en tête quand on décide d'investir en Égypte ? Je crois qu'il en existe neuf, et que la volonté est d'aller plus loin. Est-ce un véritable avantage lorsqu'on est dans une logique d'exportation ?

Mme Hanane BADRA - C'est bien sûr un réel avantage pour développer l'exportation depuis l'Égypte.

M. Arnaud FLEURY - Le cadre des zones franches vous paraît-il le bon ?

Mme Hanane BADRA - Bien sûr.

M. Jean-Jérôme KHODARA - Je le confirme. Le sujet a prêté à polémique, car il existait deux types de zones franches, les unes publiques, les autres privées. La réforme de 2015 a mis fin aux zones franches privées. Le système fonctionne bien, et les avantages sont considérables, puisqu'on bénéficie d'une quasi-exonération de l'impôt sur les bénéfices.

M. Arnaud FLEURY - Avez-vous l'impression que l'Égypte peut jouer le rôle de plate-forme ?

On a fait il y a un mois un colloque sur le Maroc, qui constitue un hub entre l'Afrique de l'Ouest et l'Europe de l'Ouest. Peut-on selon vous dupliquer ce modèle pour faire de l'Égypte une plate-forme entre l'Afrique de l'Est, la Turquie, les Balkans, et le Proche-Orient, voire au-delà ?

M. Bruno CARRÉ - Je suis également responsable du Maroc. Je puis donc faire la comparaison - au moins dans les secteurs qui m'intéressent. Je pense que l'Égypte a vocation à devenir une puissance économique très active en Afrique de l'Est. Quelques différences existent cependant : pour une entreprise française, il est quand même plus simple de travailler au Maroc pour des raisons évidentes. Il faut aussi reconnaître que les Marocains ont eux-mêmes envoyé davantage de personnels dans les pays d'Afrique de l'Ouest que ne l'ont fait les Égyptiens.

M. Arnaud FLEURY - Cela va venir. Le potentiel existe-t-il ?

M. Bruno CARRÉ - Oui, il existe une volonté de faire. Il faut mettre les choses en oeuvre, mais la vocation est légitime.

M. Arnaud FLEURY - Monsieur Younes, confirmez-vous que l'Égypte peut avoir sa place en tant que hub régional ?

M. Fouad YOUNES - Absolument. Il existe un énorme projet du secteur privé destiné à encourager les investisseurs étrangers à établir leurs usines en Égypte. Les conditions sont favorables, et on peut utiliser le pays comme plate-forme vers les pays d'Afrique de l'Est et du Sud.

Deux autres associations de libre-échange africaines sont en train de se joindre au Comesa.

M. Arnaud FLEURY - On a pu croire à une époque que les investissements étrangers pourraient être menacés par les visées islamistes. Est-ce encore le cas aujourd'hui ou les choses sont-elles stabilisées ?

M. Bruno CARRÉ - On a tous été sensibilisés à ce sujet. Toutes les entreprises ont pris des mesures pour protéger les sites. Nous n'avons jamais été menacés directement. Seule Orange a eu des problèmes, mais Orange était historiquement liée à un homme politique et homme d'affaires éminent, et l'on se demande qui était visé. Quelques actes ont bien eu lieu, mais rien de très important.

Autre paramètre important : le benchmark (indice de référence) international est en train d'évoluer. On se sent bien plus en sécurité au Caire que dans le métro parisien !

Mme Hanane BADRA - On ne rencontre aucun problème de sécurité en Égypte. On se sent autant en sécurité en Égypte qu'à Paris. Il faut le répéter : il n'y a là-bas aucun problème de sécurité !

M. Fouad YOUNES - Non, aucun problème. L'usine de Vicat, une cimenterie située dans le Nord du Sinaï, qui a toujours été une zone dangereuse, continue à tourner normalement. C'est la seule zone où il y a encore du grabuge.

M. Jean-Jérôme KHODARA - Je suis d'accord.

M. Arnaud FLEURY - La parole est à la salle...

M. Jean-François TALLEC - Nous rencontrons deux types de difficultés en Égypte. La première concerne évidemment le rapatriement des fonds. M. Khodara nous a donné quelques éléments de réponse. Nous avons bien compris la difficulté due au manque de devises. J'ai compris qu'il y avait quelques frémissements positifs mais, pour autant, a-t-on une idée du moment où il sera possible de rapatrier des fonds plus librement ?

La seconde difficulté a également été évoquée par M. Khodara. Nous investissions en Égypte dans l'activité d'agent maritime, mais nous souhaitons le faire à 100 %, afin d'être beaucoup plus actifs dans notre développement. Or, cela ne semble pas possible aujourd'hui. Pensez-vous que des évolutions sont en train de se faire ? Vous avez parlé de l'ouverture à 100 % aux investissements étrangers, mis à part quelques secteurs particuliers : avez-vous des précisions sur ce point ?

M. Jean-Jérôme KHODARA - Je commencerai par répondre à la seconde question, qui est plus juridique. En effet, sur un plan réglementaire, l'activité d'agent maritime est limitée aux sociétés détenues au moins à 51 % par les actionnaires égyptiens. Pour compliquer les choses, depuis maintenant deux ans et demi à trois ans, même avec 51 %, il n'est pas évident d'obtenir une licence.

Je ne suis pas au courant d'une ouverture de ce secteur à un actionnariat étranger complet. Nous avons plusieurs clients dans ce domaine. On peut mettre en place certaines formes d'arrangements qui permettent, sans avoir forcément un actionnariat direct à 100 %, de tirer néanmoins totalement bénéfice des opérations.

Quant aux devises, je n'en sais rien. Ce n'est pas une question juridique. Sur le plan juridique, il n'existe pas vraiment de problématique. HSBC pourra vous en dire plus à ce sujet. Aucun de mes clients ne me dit qu'il a aujourd'hui remonté tous ses dividendes, mais certains commencent à avoir un accès.

Ainsi que l'a démontré M. Baconin dans sa présentation, la livre égyptienne est en train de se renforcer par rapport aux devises étrangères. Une des raisons pour lesquelles il existe peu de rapatriements ces dernières semaines vient du fait que les gens attendent que la livre égyptienne se soit renforcée le plus possible avant d'acheter la devise. Je suis optimiste, mais je n'ai pas de calendrier à vous proposer.

M. Hassouna HASSIB - Je suis directeur d'une filiale du groupe CA-CIB, actionnaire de l'Union des banques arabes et françaises (UBAF). Je travaille en Égypte pour le groupe CA-CIB depuis vingt-et-un ans, et depuis treize ans avec l'UBAF, qui finance le commerce entre l'Union européenne, le monde arabe et l'Asie.

Notre chiffre d'affaires en Égypte s'est élevé à 2 milliards d'euros en 2016, dont une grande partie grâce aux produits liés au pétrole. Nous finançons les banques et, dans certains cas, directement les clients.

En janvier 2011, la banque a décidé de ne pas geler les seuils. À l'époque, nous avions pris appui sur les très fortes réserves de l'Égypte. Même depuis leur épuisement, nous n'avons pas connu de retards de paiement.

M. Arnaud FLEURY - Qu'en est-il aujourd'hui ?

M. Hassouna HASSIB - C'est encore mieux !

En ce qui concerne le rapatriement des dividendes, comme M. Carré l'a expliqué, les gouvernements doivent établir des priorités, notamment en matière d'industrie et de normes sociales.

Troisièmement, après le flottement de la livre égyptienne en novembre, le taux de change a subi une correction. Les entreprises ont investi, car elles savaient que la devise n'était pas la bonne valeur.

Pour en revenir aux questions de règlement, nous avons connu une chute de 30 % depuis deux semaines. Ceci est avantageux pour les entreprises, qui ont pu réduire leurs pertes.

M. Arnaud FLEURY - C'est un bon témoignage d'un financier sur la problématique du contrôle des changes...

De la salle - L'Égypte est un pays très procédurier, où les choses se font doucement. Les lenteurs administratives assurent la protection de l'État et on doit parfois les affronter, mais ce n'est pas une si mauvaise chose. Pendant la période des Frères musulmans, cela a permis de continuer à appliquer les procédures.

On ignore souvent que la population égyptienne augmente tous les deux ans de 5 millions d'habitants, soit la totalité de la population de la Norvège. Or, ce pays est géré de façon assez exceptionnelle et offre même le pain. Nous accueillons également un million à un million et demi de réfugiés, qui fuient des conflits dans lesquels nous ne sommes pour rien.

Il ne faut donc pas oublier ces points et le fait que nous nourrissons la population, malgré une croissance exceptionnelle.

M. Arnaud FLEURY - La priorité reste en effet d'assurer la croissance raisonnable de la population égyptienne...

Mme Marie-Estelle REY, Organisation de coopération et de développement économiques ( OCDE) - Ma question concerne la loi sur l'investissement, dont on nous annonce qu'elle va être approuvée dans les prochaines semaines. Toutefois, un remaniement ministériel a eu lieu en Égypte la semaine dernière. La ministre de l'investissement a changé. C'est maintenant Mme Sahar Nasr qui est chargée de l'investissement et de la coopération internationale. Cela va-t-il affecter le passage de cette loi ?

Par ailleurs, le Conseil d'État a retoqué un certain nombre de points de la loi, notamment concernant les incitations, qui constituaient l'un des « fondamentaux » de la révision. Cette instabilité juridique et institutionnelle traduit-elle une certaine divergence en termes de stratégie de l'investissement ?

M. Arnaud FLEURY - Qu'en pensez-vous Monsieur Khodara ?

M. Jean-Jérôme KHODARA - Je ne sais pas. Le remaniement date de deux ou trois jours. Le ministère de l'investissement a en effet fusionné avec celui de la coopération internationale.

Je suppose que la période de prise en main va entraîner quelques jours à quelques semaines de retard. La procédure d'adoption était parvenue à l'étape finale. La loi avait été revue par le Conseil d'État, qui avait retoqué quelques articles, mais rien de majeur.

On est à présent devant le parlement. En principe, le changement de ministre ne devrait pas entraîner de report, mais il y aura probablement une demande de remise à plat du projet de la part de la nouvelle ministre.

M. Arnaud FLEURY - Comment la direction générale du Trésor voit-elle les choses ?

M. Jérôme BACONIN - Je pense que la nouvelle ministre est devenue « l'homme fort » du gouvernement, si je puis me permettre l'expression.

Elle a maintenant un poids encore plus important que par le passé. Si je ne me trompe pas, elle est proche du président de la République. On se trouve donc dans une constellation plutôt favorable, qui sous-entend le maintien de cette ligne pour favoriser la venue d'investisseurs.

Beaucoup d'entreprises, après la réforme qui a été engagée, sont venues me voir pour me dire qu'elles craignaient que les choses ne se compliquent.

Un certain nombre avait déjà l'idée d'investir. Quelques-unes, qui produisaient des biens de faible valeur ajoutée dont le prix a quasiment doublé du jour au lendemain, ont dû réfléchir à un nouveau business plan , et ont décidé de constituer des joint-ventures (entreprise commune) avec des partenaires égyptiens pour fabriquer en Égypte des produits qu'ils n'auraient pu continuer à exporter du fait du prix, l'idée étant de le faire après avoir satisfait le marché égyptien.

On le voit dans beaucoup de domaines, même pour des biens de grande consommation, où la marge est relativement faible. Il est à présent plus intéressant dans certains cas de trouver un partenaire égyptien pour produire en Égypte que d'exporter cette catégorie de produits.

M. Arnaud FLEURY - D'une façon générale, il existe donc des partenaires en Égypte et une classe d'affaires importante qui peuvent s'associer à des capitaux français...

Mme Hanane BADRA - Il y a en Égypte d'excellents hommes d'affaires et de belles entreprises d'un niveau international équivalent à de grands groupes mondiaux.

M. Arnaud FLEURY - Il existe également des dynasties de conglomérats...

Mme Hanane BADRA - Bien sûr, et ils font preuve d'un professionnalisme de haut niveau.

M. Arnaud FLEURY - Monsieur Carré, êtes-vous à 100 % ?

M. Bruno CARRÉ - Non, car nous sommes un opérateur industriel.

Je conseille aux entreprises françaises qui souhaiteraient s'implanter en Égypte d'utiliser si possible le toll manufacturing, (participation à la fabrication d'un produit) en priorité, à une réserve près : si vous possédez un brevet, l'Égypte n'est pas le pays le plus simple pour le défendre. La propriété industrielle y est difficile à faire respecter.

Ce cas mis à part, on trouve d'excellents cotraitants, qui peuvent permettre d'entrer dans un marché complexe, en gérant tout l'aspect industriel sans avoir à y investir soi-même son énergie et son talent.

M. Arnaud FLEURY - Monsieur Younes, il existe des dynasties de conglomérats dans tous les domaines. On pense à Orascom, dans les télécommunications, qui a vendu à Orange ou à Lafarge, par exemple.

M. Fouad YOUNES - Absolument. Ils travaillent de manière efficace.

On a beaucoup discuté des problèmes de l'administration égyptienne. Je dirai que pour les contourner, il faut disposer d'un agent commercial efficace.

Mme Marie BISHARA , créatrice de mode, vice-présidente d'un groupe de textile égyptien - L'importation de fournitures sans passer par la douane ordinaire est possible si le produit fini est ensuite réexporté.

J'exporte personnellement vers l'Europe et les États-Unis. Nous ne payons aucune taxe sur les importations destinées à la fabrication des produits que l'on exporte. On peut tout dédouaner en quarante-huit heures.

À ce sujet, la ville nouvelle du 10-Ramadan est une zone industrielle où existent des terrains dont l'infrastructure est déjà organisée pour accueillir les PME.

M. Arnaud FLEURY - Où cela se situe-t-il ?

Mme Marie BISHARA - Sur la route d'Ismaïlia, à 40 kilomètres du Caire.

Mme Hanane BADRA - On s'est déjà rencontrées à la conférence de Charm el-Cheikh. Le dédouanement temporaire avant réexportation existe et on le pratique, mais les démarches sont compliquées.

M. Arnaud FLEURY - Rendez-vous est pris !

TABLE RONDE 2 -
PRATIQUE DES AFFAIRES EN ÉGYPTE
ET ACCÈS AU MARCHÉ

Table ronde animée par M. Arnaud FLEURY, journaliste économique

Ont participé à cette table ronde :

M. Jean-Jérôme KHODARA, Associé, Cabinet d'avocats Matouk Bassiouny

Mme Sana GHABRI, Chef de projet informations réglementaires Afrique/PMO, Filières Art de vivre - santé/industries & cleantech, Service Réglementation internationale, Business France

Mme Nadine BARBIER, Présidente de Naos Égypte (CCEF)

M. Eric BONNEL, Directeur Égypte Air Liquide (CCEF)

M. Gérard CHARLES, Directeur général de Servier Égypte

M. Arnaud FLEURY - Nous allons passer à la table ronde suivante sur la pratique des affaires en Égypte et l'accès au marché.

La parole est à M. Khodara...

M. Jean-Jérôme KHODARA - Il existe en Égypte deux véhicules principaux d'investissement, la société anonyme (SA) et la société à responsabilité limitée (SARL). Les règles de fonctionnement sont assez proches de celles que vous connaissez en France, à une exception près : pour une SARL, le gérant doit en effet obligatoirement être de nationalité égyptienne. Dans la pratique, ce n'est pas un problème, puisqu'on peut nommer plusieurs gérants et limiter les pouvoirs.

Les délais de création - sous réserve de ce qui a été dit à propos du temps nécessaire pour obtenir les licences - sont relativement rapides. Il faut un à deux mois maximum pour préparer le dossier, la société étant ensuite constituée en une semaine.

Naturellement, en termes de choix de structures, si on est à 100 % sur des opérations moyennes, il est préférable de choisir une SARL. Si on envisage un partenariat et une gouvernance plus complexe, il faut se diriger vers une SA.

Certaines entreprises qui n'ont pas suffisamment de visibilité pour savoir si elles veulent créer une société de droit égyptien envisagent des structures intermédiaires plus légères, comme le bureau de représentation ou la succursale. Nous ne les recommandons pas forcément.

En effet, l'existence de la succursale qui, en principe, peut développer des activités commerciales et facturer, est limitée à un contrat. Ce n'est donc le type de véhicule juridique qui permettra de réaliser deux à trois ans d'étude du marché. Ce n'est en outre pas plus simple à constituer qu'une société. Par ailleurs, on prend toujours moins au sérieux une succursale qu'une société.

Quant au bureau de représentation, il ne peut développer aucune activité commerciale. Dans les années 1970, beaucoup d'entreprises étrangères choisissaient le bureau de représentation. La sûreté égyptienne a donc toujours prêté une grande attention à ce sujet, et la phase d'examen peut remettre en question le calendrier.

M. Arnaud FLEURY - Vous ne conseillez ni la succursale ni le bureau de représentation. Que recommandez-vous donc lorsqu'on fait ses premiers pas ?

M. Jean-Jérôme KHODARA - Tout dépend de l'industrie. On peut avoir un partenaire local, une agence commerciale ou un distributeur, et avoir un représentant sur place en Égypte qui, selon l'activité, sera évidemment taxable.

J'aborderai rapidement deux sujets, celui de l'agent commercial et celui de l'importation, afin d'illustrer les contraintes que l'on peut rencontrer dans la pénétration du marché égyptien.

Le premier problème concerne le contrôle du réseau commercial. Il existe une réglementation ancienne totalement déséquilibrée en faveur de l'agent. Même une résiliation pour faute oblige, en pratique, à régler des indemnités.

M. Arnaud FLEURY - Cela va-t-il changer ?

M. Jean-Jérôme KHODARA - On l'espère, mais je n'ai pas d'information à ce sujet. En tout état de cause, tout le monde s'en plaint.

C'est la même règle pour les importations. Une société d'importation doit obligatoirement être entièrement détenue par des actionnaires égyptiens, et dirigée par des personnes de nationalité égyptienne.

Il existe des zones de flexibilité pour les niveaux supérieurs d'actionnariat, mais cela reste problématique pour les sociétés implantées en Égypte, qui produisent ou non localement et qui nécessitent des contrôleurs d'importation. Il s'agit d'une question de contrôle de l'implantation et de pertes de marges, puisqu'on est tenu de passer par un tiers.

Je me tourne vers Mme Sana Ghabri. Que faut-il savoir quand on veut exporter en Égypte ? Quelles questions doit-on se poser ? J'imagine que la langue et le sérieux de l'agent local sont des paramètres importants, mais il doit en exister d'autres...

Mme Sana GHABRI - Il faut bien vérifier que l'agent local dispense les licences nécessaires en fonction du produit et s'assurer de sa fiabilité, étant donné la barrière de la langue.

C'est en effet la seule relation que l'on a avec les autorités, qui sont difficilement joignables et avec lesquelles il faut utiliser généralement la langue arabe si l'on veut qu'elles soient coopératives.

Il faut par ailleurs vérifier si le produit que l'on veut exporter relève ou non de la réglementation. Une liste regroupe les produits alimentaires, laitiers, la céramique et les cosmétiques. L'exportateur, qu'il soit représentant de la marque ou fabricant, doit être enregistré auprès de la General Organization for Import and Export Control (GOEIC), l'autorité de contrôle de l'import-export en Égypte. C'est une procédure qui nécessite du temps.

Le produit qui figure dans la liste des produits réglementés est soumis à l'obtention d'un certificat de conformité.

En Égypte, pour 90 % des entreprises françaises qui exportent, cela signifie une procédure d'inspection avant embarquement par des organismes accrédités par l'Égypte. Celle-ci prend un certain temps.

Enfin, l'origine du produit est importante. Dans notre cas, l'Égypte a signé un accord de libre-échange avec l'Union européenne. Presque tous les produits, depuis 2014, sont exonérés de droits de douane.

M. Arnaud FLEURY - Quels sont les points forts et les points faibles de la représentation en Égypte ?

Mme Sana GHABRI - Les points faibles résident dans le fait que 90 % de la réglementation récente est uniquement accessible en arabe. Il faut donc être arabophone ou avoir un agent local fiable.

Les autorités sont difficilement joignables. Or, on doit vérifier à chaque fois les informations dont on dispose auprès des autorités, en arabe et par mail. Celles-ci répondent en moyenne sous dix jours, ce qui est déjà bien par rapport à d'autres pays. Cela dépend des autorités.

Il faut donc disposer d'un accompagnement sûr, qu'il s'agisse d'un agent, de Business France Égypte ou notre service de réglementation internationale.

On a par ailleurs évoqué les restrictions bancaires. Le premier décret relatif au crédit documentaire et à la remise documentaire est sorti le 21 décembre 2015. Il faut que l'importateur dispose de la bonne devise.

Les choses se sont cependant améliorées, après que quatre à cinq circulaires sont sorties, la dernière datant d'avril. Certains produits sont exonérés, comme les pièces détachées, les produits essentiels tels que les médicaments, les produits chimiques ou les pièces d'aviation. Les choses vont dans la bonne direction, mais on ne sait pas si cela va continuer.

Enfin, les droits de douane ont augmenté jusqu'à 60 % pour certains produits, mais ceci est lié aux difficultés économiques. Selon moi, cela devrait être temporaire.

M. Arnaud FLEURY - Quels sont les points forts ?

Mme Sana GHABRI - Il y en a beaucoup.

Le premier concerne les accords avec l'Union européenne. L'exonération des droits de douane n'est toutefois pas automatique. C'est vrai pour la plupart des produits certes, mais trois conditions doivent être respectées. La première consiste à détenir un certificat d'origine qui prouve que le produit provient bien de l'Union européenne. Les deux autres conditions ont trait au territoire et au transit.

Il faut donc consulter l'accord...

M. Arnaud FLEURY - Dans les faits, en est-on loin ou non ?

Mme Sana GHABRI - Pour le moment, les produits des entreprises françaises sont éligibles.

Le second point positif concerne la réglementation, qui doit être claire et accessible. Pour l'Égypte, je trouve que la réglementation sur les produits consommables ou les produits cosmétiques est assez simple et disponible.

En général, ce qui est écrit dans la réglementation est vraiment applicable. C'est très rassurant : ce n'est pas le cas dans tous les pays d'Afrique, du Proche-Orient ou du Moyen-Orient.

Enfin, l'Égypte reconnaît les normes internationales et les normes européennes, comme le Codex alimentarius . Ce n'est pas écrit textuellement, mais un produit de l'Union européenne aura plus de facilité à entrer sur le marché qu'un produit d'une autre origine. L'Égypte reconnaît également la convention sur la propriété intellectuelle et le carnet ATA (admission temporaire), relatif à l'admission temporaire de produits dans les foires pour l'exhibition, qui permet de faire entrer une marchandise en exonération de droits de douane.

M. Arnaud FLEURY - Les mesures techniques sont-elles équilibrées ?

Mme Sana GHABRI - Dans ce domaine, l'Égypte se réfère plus à des textes, à des circulaires, à des décrets ou à des décisions qu'à des normes émises par des organismes. Bien que ces textes soient en arabe, il faut les étudier pour vérifier que le produit est bien conforme à la réglementation égyptienne.

M. Arnaud FLEURY - Je me tourne vers Mme Barbier. Vous vous êtes installée il y a treize ans en Égypte. Depuis dix ans, vous avez monté une entreprise d' outsourcing qui intervient notamment dans le domaine des call centers (centre d'appels) et des services annexes. Elle emploie aujourd'hui 1 200 personnes en Égypte.

Êtes-vous d'accord avec tout ce qui vient d'être dit ? Peut-on vraiment faire des affaires en Égypte ?

Mme Nadine BARBIER - J'interviens dans les services, dans le cadre d'une petite entreprise qui a commencé avec dix personnes il y a dix ans. Nous sommes à présent 1 200. Nous avons grossi régulièrement, de 30 % à 40 % tous les ans, même pendant les événements.

M. Arnaud FLEURY - Le gouvernement avait fait du potentiel de l' outsourcing en Égypte une des lignes prioritaires de son action économique. Existe-t-il en Égypte un véritable « plus » dans ce domaine, comparable à l'Inde ?

Mme Nadine BARBIER - On n'en est peut-être pas encore au même niveau, mais l'Inde cherche à externaliser de temps en temps ces activités en Égypte.

C'est le gouvernement qui a créé, il y a une douzaine d'années, un premier centre d'appels afin que des entreprises s'installent.

Il y a à présent énormément de Business Process Outsourcing (BPO) en Égypte et de centres d'appels . Teleperformance , qui est installé au Caire, est le premier au monde et compte 3 000 personnes. Beaucoup d'Américains sont là également.

M. Arnaud FLEURY - On peut faire du service d'achat à distance...

Mme Nadine BARBIER - Oui, cela s'appelle du « e-procurement ». Je n'en fais pas pour l'instant, mais j'exporte beaucoup de services. Je travaille pour des entreprises européennes. Maintenant que la livre égyptienne a perdu de sa valeur, nous sommes très attractifs pour les pays du golfe Persique et l'Europe. Pour les Français, la référence la moins chère en matière de centres d'appels était Madagascar. Nous sommes en ce moment moins chers que Madagascar ! C'est dire si l'on est devenu attractif.

La qualité peut être au rendez-vous, même s'il faut se battre pour cela tous les jours, y compris dans les services.

M. Arnaud FLEURY - On trouve aujourd'hui en Égypte beaucoup d'agences de communication, de publicité ou de marketing digital, ainsi que des personnes qui interviennent dans le domaine des applications et du développement...

Mme Nadine BARBIER - En effet. Valeo, par exemple, externalise les services informatiques en Égypte. Il en va de même pour le digital, l'Égypte étant un pays où on utilise beaucoup les téléphones mobiles et où tout se fait par Facebook. Je pense que l'on parviendra, dans un deuxième temps, à exporter les services de marketing digital.

M. Arnaud FLEURY - Je me tourne vers le directeur d'Air Liquide, société vedette du CAC 40 : sur quoi voudriez-vous insister concernant la pratique des affaires et l'accès au marché ? Vous traitez avec des clients industriels, mais aussi hospitaliers. Que faut-il en retenir ?

M. Éric BONNEL - Nous croyons en l'Égypte depuis longtemps : Air Liquide y a implanté sa première usine en 1924. Les vicissitudes de l'histoire nous en ont fait sortir en 1956, mais nous y sommes revenus en 2002.

La principale activité d'Air Liquide se résume à une activité industrielle : nous produisons de l'oxygène, de l'azote, de l'argon, de l'hydrogène et du gaz carbonique pour l'industrie, ainsi que de l'oxygène pour le milieu médical.

Nous travaillons en Égypte directement avec les clients, en particulier industriels, et nous pratiquons notre métier comme on le fait partout en Europe, aux États-Unis ou en Chine. Nous contractualisons sur des règles internationales, avec des contrats très semblables aux contrats français.

Les hôpitaux relèvent quant à eux du secteur public et du régime des appels d'offres, qui comportent une partie technique et une partie purement commerciale.

Nous opérons par ailleurs de façon classique avec le secteur privé médical.

M. Arnaud FLEURY - Les équipements hospitaliers constituent un marché qu'Air Liquide suit de très près, et dans lequel il investit...

M. Éric BONNEL - La domaine de la santé est un axe stratégique du groupe partout où nous opérons. L'Égypte est un pays important sur le plan hospitalier. Il existe des hôpitaux universitaires dans les grandes villes d'Égypte, comme Alexandrie et Le Caire.

Nous avons, pour nous rapprocher des PME, ouvert une activité de soins à domicile avec VitalAire. C'est un métier proche du business to customer qui se développe en Égypte.

On revient en effet toujours aux fondamentaux de l'Égypte. La croissance démographique du pays fait que le potentiel est énorme.

M. Arnaud FLEURY - De l'extérieur, on a l'impression que tout est à faire. Quel est l'état des hôpitaux. ?

M. Éric BONNEL - Ayant été en poste en Afrique de l'Ouest, je peux faire des comparaisons. Le niveau de qualification des médecins est excellent. J'ai dernièrement rencontré un chirurgien orthopédique de très bonne réputation, qui a fait des stages en France. Les équipements techniques sont également très bons. En Égypte, il existe des hôpitaux publics et des hôpitaux militaires, où les soins peuvent être prodigués à toute personne qui souhaite être soignée.

M. Arnaud FLEURY - Je me tourne vers M. Gérard Charles, qui est en Égypte depuis 40 ans sans discontinuer. Servier, numéro 6 local, y détient deux usines.

M. Gérard CHARLES - Nous y produisons en effet l'ensemble de nos ventes.

M. Arnaud FLEURY - Vous avez investi quasiment uniquement pour le marché local...

M. Gérard CHARLES - Initialement, oui. Aujourd'hui, 95 % de notre production est à destination de l'Égypte. Nous commençons à être présents à l'export, mais cela reste modeste.

M. Arnaud FLEURY - Tous les grands noms du médicament sont présents en Égypte, ainsi que les locaux. Comment se fait l'accès au marché ?

M. Gérard CHARLES - L'aspect réglementaire est très important. Dans ce domaine, la réglementation est stricte. L'Égypte a son propre système d'autorisation de mise sur le marché (AMM). Il faut compter en moyenne trois ans pour obtenir une AMM pour un nouveau médicament, ce qui constitue d'ailleurs une difficulté.

Cependant, il a été proposé récemment de réduire cette durée à trois mois. J'attends cependant de voir. L'idée est simple : si le médicament est autorisé en Europe et aux États-Unis, l'Égypte ne le contrôlera pas davantage. Cela permettrait de raccourcir les délais.

M. Arnaud FLEURY - Les médicaments se retrouvent-ils très vite sous forme de génériques en Égypte ? La contrefaçon dans ce domaine existe-t-elle ?

M. Gérard CHARLES - La protection industrielle et intellectuelle en Égypte est relativement modeste.

Les brevets nationaux sont reconnus. Curieusement, les brevets internationaux le sont un peu moins, et il n'est pas rare de voir des médicaments génériques arriver sur le marché avant même le produit original.

M. Arnaud FLEURY - La contrefaçon est-elle une réalité ?

M. Gérard CHARLES - On a énormément de mal à obtenir des indications fiables. Le chiffre qui circule parmi les acteurs de la profession est de l'ordre de 10 %. Personnes ne dispose vraiment des données d'origine pour le vérifier. La contrefaçon existe, mais elle reste modeste.

Les autorités ont pour projet, en particulier pour le médicament, d'implémenter un système de code-barres infalsifiable sur les boîtes, qui n'existe pas à ce jour et qui devrait permettre de combattre ce fléau.

M. Arnaud FLEURY - Il n'empêche que le groupe Servier est là depuis quarante ans et semble satisfait de la situation. C'est un marché certes volatil, mais il existe des consommateurs...

M. Gérard CHARLES - En Égypte, dans le domaine du médicament, le remboursement n'existe pas. Seul le patient paie. Il s'agit d'une barrière naturelle, le pouvoir d'achat des Égyptiens restant pour l'instant modeste. L'entreprise pharmaceutique, en particulier étrangère, s'adresse globalement à 10 % de la population.

Ce secteur est potentiellement appelé à se développer significativement si un système de remboursement est mis en place. On voit apparaître ici et là une première ébauche de remboursement du médicament.

L'Égyptien est selon moi quelqu'un qui aime consommer, mais qui raisonne à court terme. Lorsqu'il a de l'argent, il consomme, lorsqu'il en a moins, il consomme moins. Ce n'est pas quelqu'un qui capitalise.

M. Arnaud FLEURY - Assiste-t-on à l'émergence d'une classe moyenne ?

Mme Nadine BARBIER - Il existe une vraie classe moyenne en Égypte, qui a souffert depuis quelques mois. Ces gens, qui avaient des salaires relativement élevés, subissent l'inflation de plein fouet. La plupart consommaient des produits occidentaux et ont pris l'inflation de plein fouet. La classe moyenne a vraiment souffert récemment, mais elle existe.

M. Arnaud FLEURY - Et elle a soif de consommer...

Mme Nadine BARBIER - Bien sûr.

M. Arnaud FLEURY - Le coût salarial constitue-t-il un problème en Égypte ?

Mme Nadine BARBIER - Si l'on vit avec des clients égyptiens, que l'on travaille en Égypte et qu'on paye des salariés égyptiens, l'écosystème fonctionne. J'ai cependant un problème majeur : l'un de mes clients a fait figurer dans mon contrat une clause stipulant que l'augmentation ne serait que de 6 % par an. Or, l'inflation était de 29 % le mois dernier. Les salariés réclament une augmentation de 15 % à 20 %. Mon client refusant, cela me met mal à l'aise.

J'ai beaucoup de difficultés à accéder à la demande des salariés, qui me semble néanmoins légitime. J'essaye de faire en sorte que mes prix soient indexés sur le taux d'inflation de la Central Agency for Public Mobilization and Statistics (CAPMAS), l'équivalent de l'INSEE, mais mes clients refusent.

M. Arnaud FLEURY - Existe-t-il un fort turn over (taux de rotation de la main d'oeuvre) dans votre domaine ?

Mme Nadine BARBIER - C'est le cas en France. En Égypte aussi, car les salariés sont capables de quitter un centre d'appel pour un autre pour deux euros de plus par mois. C'est une difficulté.

M. Arnaud FLEURY - Les cadres sont-ils fidèles ?

Mme Nadine BARBIER - Oui. Une partie de mon personnel travaille chez les clients J'exerce donc moins de contrôles, et le turn over est dans ce cas très élevé. En revanche, il existe très peu de turn over au sein de mon entreprise.

M. Arnaud FLEURY - Monsieur Bonnel, comment gère-t-on les cadres ? On parle d'une grosse pression salariale sur cette catégorie, dont les salaires ne sont pas au niveau français, mais environ à 50 %. Est-ce un problème ou non ?

M. Éric BONNEL - Je reviens sur la question du turn over . Le point clé, c'est de venir en Égypte avec une solide culture d'entreprise. Selon moi, cela permet de limiter la volatilité des cadres.

Durant mes trois premières années en Égypte, j'ai connu un grand turn over . J'ai réussi à le stabiliser au prix de beaucoup d'efforts, en faisant connaître les valeurs du groupe au management, en l'y faisant adhérer et en l'impliquant.

Un groupe comme Air Liquide, quel que soit le lieu où il est implanté, développe les mêmes valeurs.

M. Arnaud FLEURY - On peut en outre penser que la direction d'entreprise en Égypte est très hiérarchisé, un peu « à l'oriental ». C'est d'autant plus difficile.

M. Éric BONNEL - C'est très juste. Depuis une dizaine d'années, on a beaucoup travaillé sur la transversalité afin de satisfaire le client et lui livrer le produit et le service qu'il attend.

En Égypte, j'ai eu beaucoup de difficultés pour mettre en place ces managements transversaux, car je me heurtais à une vision verticale - en Égypte, on pourrait dire pyramidale. C'est encore aujourd'hui une difficulté de faire partager un même objectif à toute une équipe. On a plus une impression de silos verticaux - finances, approvisionnement,...

M. Arnaud FLEURY - L'approche transversale se met néanmoins en place...

M. Éric BONNEL - Oui, mais il faut absolument que les candidats qui souhaitent venir en Égypte planifient les étapes et ne cherchent pas à obtenir rapidement des résultats à court terme. Mieux vaut avoir une vision à moyen-long terme, ce qui permet d'avancer avec efficacité.

M. Arnaud FLEURY - Comment le groupe Servier gère-t-il à la fois la direction d'entreprise et la pression salariale ? Il paraît que les syndicats sont puissants en Égypte...

M. Gérard CHARLES - Le travail en silo est très important, et il est très difficile de faire travailler les gens ensemble.

L'aspect humain et les valeurs comptent également beaucoup. On peut fédérer une équipe autour de valeurs humaines, au point que les gens peuvent même se sentir parties prenantes de l'entreprise et tolérer dans les moments difficiles de ne pas pouvoir obtenir tout ce qu'ils souhaitent. C'est à mes yeux un état d'esprit assez extraordinaire. Quant aux syndicats, je n'en ai pas dans l'entreprise. Je ne peux donc pas en parler.

M. Arnaud FLEURY - Qu'en est-il pour vous, Madame Barbier ?

Mme Nadine BARBIER - Il n'y a pas de syndicat chez moi non plus.

M. Arnaud FLEURY - On les trouve plutôt dans les entreprises d'État...

Mme Nadine BARBIER - En effet. Ils ont même rejeté une première fois la loi sur la fonction publique. Je pense qu'on les trouve uniquement dans ces organismes. En France, les centres d'appels sont très syndicalisés. Ce n'est pas du tout le cas en Égypte.

M. Arnaud FLEURY - Que faut-il pour faire face aux demandes salariales des cadres en Égypte ? Peut-on border le sujet ou est-ce la saine concurrence qui s'exerce ?

M. Jean-Jérôme KHODARA - Il existe plusieurs dimensions. Juridiquement, les choses sont assez flexibles. On peut avoir des rémunérations indexées sur tel ou tel indice. C'est plutôt un problème de ressources humaines. Nous sommes plus de cent cinquante dans notre cabinet d'avocats. Les demandes d'augmentation sont extrêmement fortes cette année, mais il n'y a pas de difficultés sur le plan juridique.

Mme Nadine BARBIER - Je pense aussi que c'est plutôt un problème de ressources humaines et de management. Je m'adresse souvent à une grande partie des salariés pour leur expliquer pourquoi je ne peux pas les augmenter plus que ce que je propose. Je pense qu'ils le comprennent.

J'ai mis beaucoup de choses en place au niveau interne. J'ai même créé une application mobile pour mes 1 200 salariés. C'est une innovation en matière de communication et de ressources humaines qui ne se fait pas tellement ailleurs. L'important est de créer du lien pour pouvoir garder ses salariés et partager des valeurs, comme on l'a dit.

M. Arnaud FLEURY - En droit du travail, on s'appuie sur le code Napoléon de façon générale ?

M. Jean-Jérôme KHODARA - Le code Napoléon concerne plus le droit civil que le code du travail. Cela étant, un Français ne serait pas trop dépaysé par le droit du travail égyptien. Toutefois, les employeurs peuvent avoir de bonnes surprises : il n'y a par exemple pas de limitation au nombre de renouvellements d'un contrat à durée déterminée (CDD). Globalement, c'est toutefois assez rigide.

Mme Nadine BARBIER - C'est très proche du droit français.

M. Éric BONNEL - En France, il existe des instances représentatives du personnel. Celui-ci s'exprime par l'intermédiaire des comités d'entreprises, des Comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) ou des délégués du personnel. En Égypte, nous n'avons pas ce genre d'instances ni de dialogue avec les représentants du personnel.

M. Arnaud FLEURY - Rien n'existe ?

M. Éric BONNEL - Je ne pense pas que les instances représentatives égyptiennes soient, dans ce domaine, identiques aux instances françaises.

M. Arnaud FLEURY - On peut penser qu'elles se mettront un jour en place.

M. Éric BONNEL - Oui, quand elles sont bien utilisées, cela peut être intéressant.

Mme Nadine BARBIER - On a beaucoup parlé des grandes entreprises, mais il n'est pas toujours facile pour les Très petites entreprises (TPE) de s'implanter sur le marché égyptien. La barrière culturelle est un premier obstacle et il n'est pas aisé de créer une entreprise d'une ou deux personnes.

Compte tenu de mon expérience, j'ai ouvert un hôtel d'entreprises afin d'accueillir des sociétés qui ne voudraient pas supporter la création d'une entité en Égypte. J'héberge six entreprises françaises, dont le groupe Roullier (Saint-Malo) et Digital Virgo (Lyon), qui sont de grandes entreprises ou Neoen, qui intervient dans le domaine des énergies renouvelables.

Ces entreprises louent des bureaux dans mes locaux. Je salarie leurs employés. Il n'existe donc pas de structure juridique. J'envoie une facture une fois par mois à la maison mère.

M. Arnaud FLEURY - L'idée est cependant qu'elles s'implantent en leur nom propre. Certaines ont-elles franchi le pas ?

Mme Nadine BARBIER - Pas encore. J'ai ouvert il y a presque trois ans. La maison mère trouve qu'il est plus facile d'avoir une seule facture à gérer plutôt que de devoir s'occuper des relations avec les organismes sociaux, les impôts, etc.

M. Arnaud FLEURY - Mais s'ils veulent grandir...

Mme Nadine BARBIER - Dans ce cas, je ne serai plus capable de les héberger, mais cela peut constituer une solution intermédiaire pour des gens qui ne veulent pas se soucier de l'aspect administratif.

M. Arnaud FLEURY - La question des religions entre-t-elle en ligne de compte, notamment entre musulmans et coptes ? Selon ce que j'ai entendu, ce n'est pas vraiment un problème dans le monde de l'entreprise. Le confirmez-vous ?

Mme Nadine BARBIER - En effet, ce n'est pas un problème pour nous. Nous gérons autant de chrétiens que de musulmans, sans aucune difficulté.

En revanche, j'ai strictement interdit tout discours religieux. Nous y avons été confrontés en 2012-2013. J'ai expliqué à leurs auteurs que c'était impossible.

M. Arnaud FLEURY - Monsieur Charles, on dit souvent que le pouvoir économique, dans certains domaines, est tenu par les Coptes. Tout ceci peut-il être géré indépendamment de la notion de religion ?

M. Gérard CHARLES - Absolument. Toutes les religions sont représentées dans l'entreprise. Les gens vivent très bien ensemble, beaucoup mieux qu'on ne le pense. Ils se respectent énormément et célèbrent même les fêtes des uns et des autres sans aucun problème.

C'est avant tout une manière de gérer les gens, avec tolérance et ouverture, qui fait qu'il n'y a pas de souci. Il y a l'image des extrémistes que diffusent les médias et la réalité. Souvent, la réalité est différente. En tout cas, dans les affaires, ce n'est pas un problème.

M. Arnaud FLEURY - La société égyptienne est multiculturelle. Elle est composée de personnes qui viennent des quatre coins du Proche-Orient, et on le retrouve dans l'entreprise.

M. Éric BONNEL - 95 % de l'effectif est égyptien.

Mme Nadine BARBIER - Pas chez moi. Je travaille avec toute l'Afrique, et on parle toutes les langues africaines. On doit pratiquer cinquante langues africaines différentes dans mon entreprise.

M. Arnaud FLEURY - Le quota d'emplois égyptiens, qui était de 90 %, mais qui pourrait être ramené à 20 %, constitue-t-il un problème pour vous, Monsieur Bonnel ? Je pense plus particulièrement aux cadres...

M. Éric BONNEL - Air Liquide privilégie un encadrement local. L'expatrié est minoritaire. Nous sommes actuellement trois et serons deux dans quelques mois. On limite donc vraiment le nombre d'expatriés.

M. Arnaud FLEURY - Ce n'est donc pas un problème pour vous ?

M. Éric BONNEL - Non, ce n'est pas un problème.

M. Arnaud FLEURY - Qu'en est-il pour vous, Monsieur Charles ?

M. Gérard CHARLES - Sur cinq cents salariés, je suis le seul étranger.

M. Arnaud FLEURY - Comment fait-on si, dans certains domaines, on est confronté à cette problématique de l'emploi égyptien ?

M. Jean-Jérôme KHODARA - C'est très rare. On l'a dit, le niveau du personnel d'encadrement égyptien est excellent - et pas seulement pour les ingénieurs. C'est d'ailleurs une des raisons pour lesquelles on s'implante en Égypte.

On rencontre ce problème davantage sur de petites structures, dans de petites SARL qui démarrent, ont peu d'actif, ont peu recruté et ont besoin de deux ou trois managers, français ou d'autres nationalités. Il existe des flexibilités. On peut utiliser l'exemption - mais c'est très théorique. En pratique, la règle ne concerne que les salariés et non les mandataires sociaux. On peut donc trouver trois ou quatre managers dans une SARL.

M. Arnaud FLEURY - La question des visas de travail, qui ont été durcis ces dernières années, constitue-t-elle un souci ?

Mme Nadine BARBIER - Je ne sais si je dois le dire ici, mais je n'ai pas réussi à avoir de visa de travail pour le directeur général de l'entreprise. Cela fait quatre ans qu'il est chez moi. Il est actionnaire et dit qu'il vient faire un audit de l'entreprise tous les mois.

M. Arnaud FLEURY - Y a-t-il des questions ?

M. Christophe MOUCHE - Je dirige une société qui intervient dans la maintenance industrielle, et qui est spécialisée dans l'hydraulique.

Existe-t-il une retenue à la source lorsqu'on envoie du personnel sur place ?

Mme Nadine BARBIER - Quand le personnel est salarié en Égypte, la retenue à la source pour les impôts se fait en Égypte. J'ignore ce qu'il en est pour les salariés français.

M. Christophe MOUCHE - Ma société intervient dans des opérations de maintenance de courte durée, sur des sites industriels cimentiers, etc. Au Maroc, on nous retient 10 %, en Algérie 25 %.

M. Jean-Jérôme KHODARA - Cela dépend des conditions et de la durée, et si ces salariés sont résidents fiscaux égyptiens ou non. S'ils ne sont pas résidents, la retenue à la source peut être de 20 %. Il faut étudier les cas particuliers.

M. Arnaud FLEURY - Revenons-en à la sécurité. Votre entreprise est-elle confrontée à des problèmes en ville ?

Mme Nadine BARBIER - Non, pas du tout. Nous sommes installés dans un immeuble où on ne trouve que des entreprises. Nous étions auparavant dans un immeuble qui ne comportait que des logements. On a vécu un vrai changement, parce qu'on a vu arriver les inspecteurs de tous les organismes d'État qui désirait savoir s'ils pouvaient nous infliger des pénalités. Cela mit à part, il n'y a pas vraiment de problèmes de sécurité au Caire.

M. Éric BONNEL - Nous avons, pour ce qui nous concerne, renforcé la surveillance de nos sites en raison des révolutions de 2011 et de 2013 et avons arrêté d'exporter nos produits par la route vers Gaza et la Libye, du fait de l'insécurité évoquée par l'ambassadeur en introduction.

M. Gérard CHARLES - La sécurité ne nous pose pas non plus de problème, que ce soit à titre professionnel ou personnel. Je ne me sens pas en insécurité au Caire. Il ne faut bien sûr pas sortir des sentiers battus, mais lorsqu'on vit normalement, il n'y a aucun souci.

M. Arnaud FLEURY - La parité existe-t-elle en Égypte ?

Mme Nadine BARBIER - On ne peut pas le dire ainsi. J'essaie de promouvoir les valeurs de la République française et de respecter la parité entre les hommes et les femmes.

J'emploie à peu près autant d'hommes que de femmes. Néanmoins, seuls les hommes sont autorisés à travailler dans les équipes de nuit. Ce point mis à part, nous comptons autant de cadres parmi les femmes que parmi les hommes, ce qui peut poser parfois des difficultés, il ne faut pas le nier. Les hommes et les femmes sont payés au même tarif.

M. Arnaud FLEURY - Merci.

Mme Régine PRATO, conseiller consulaire - Je vis en Égypte depuis 35  ans. Venez ! Je fais le lien entre les 6 500 Français qui résident là-bas. Nous bénéficions de lycées et d'une très belle vitrine culturelle.

Mes enfants ont passé leur baccalauréat là-bas. Ma fille vit ici. Elle parle cinq langues. Mon fils également. Les enfants sont généralement trilingues à dix ans. Nous avons des professeurs qui mettent la priorité sur les langues afin que leurs élèves puissent voyager et échanger rapidement avec le monde des affaires. Ce n'est pas le cas en France, où les enfants parleront difficilement anglais et français à dix-huit ans, alors que les nôtres sont trilingues ! Il n'y a pas énormément de problèmes. On vit très bien au quotidien. On a le soleil et l'ambiance chaleureuse orientale.

J'ai dirigé une agence de voyage et une compagnie aérienne. J'ai été l'une des premières à fermer en 2011 du fait de l'absence de touristes. Je suis cependant restée, car j'ai beaucoup investi dans l'immobilier en Égypte.

Bien qu'étrangère, on peut faire des affaires et investir dans ce pays. J'y suis encore. Venez au moins voir ce qui s'y passe.

M. Arnaud FLEURY - Vous possédiez une compagnie de charters , je crois...

Mme Régine PRATO - Cinq Airbus, en effet...

M. Arnaud FLEURY - Peut-être qu'avec le regain du tourisme...

Mme Régine PRATO - Pourquoi pas ? On y est, on y reste, pour le meilleur et pour le pire !

M. Arnaud FLEURY - Je vous remercie.

TABLE RONDE 3 -
FINANCER SES PROJETS ET SES EXPORTATIONS

Table ronde animée par M. Arnaud FLEURY, journaliste économique

Ont participé à cette table ronde :

Mme Nancy TAWFIK, Directeur Marché des entreprises, HSBC Bank Egypt

M. Omar KRONFOL, Directeur commercial grands comptes, Commerce & Financement international, HSBC France

M. Louis MARGUERITTE, Chef du bureau Fininter 1 (crédit export et garanties à l'international), sous-direction du financement international des entreprises (Fininter), direction générale du Trésor

M. Eric TAINSH, Responsable export, Bpifrance

Mme Marie-Hélène LOISON, Directrice Méditerranée et Moyen-Orient, Agence française de développement

La dernière table ronde porte sur le financement des projets d'investissements et des exportations.

Madame Tawfik, d'une façon générale, quelle est la réalité du système bancaire égyptien - banques égyptiennes, banques internationales - et quels sont les services proposés aux entreprises ?

Mme Nancy TAWFIK - L'Égypte possède environ une quarantaine de banques sur le marché. Nous avons constaté une certaine consolidation dans ce secteur depuis quelques années, et avons assisté à davantage de concentration dans le secteur bancaire.

Trois banques publiques contrôlent environ 30 % des actifs du marché. Ces banques financent principalement des projets du gouvernement, avec d'autres banques du secteur privé, et l'on trouve également beaucoup de banques de détail.

Il n'existe en fait pas de concurrence entre les banques privées et les banques internationales, car cela ne concerne pas beaucoup d'investissements.

Du côté du secteur public, nous avons pu voir, depuis six ans, quelques banques multinationales quitter l'Égypte, comme la Société générale ou BNP Paribas. Ce n'est en fait pas lié au marché égyptien proprement dit, mais plutôt à un changement de stratégie en termes de présence internationale.

HSBC est quant à elle présente sur le marché depuis cinquante ans. Il s'agit d'une présence historique très forte. En pleine croissance, l'Égypte est un pays important pour HSBC, qui constitue la plus grande banque multinationale du pays.

Les banques multinationales ont été remplacées par des banques régionales, venues des pays du golfe Persique, ainsi que par des banques du secteur privé.

Nous avons depuis quelques années constatées beaucoup d'évolutions, notamment en matière de devises. Cela résulte en particulier de la réduction du flux touristique le long du canal de Suez. Toutefois le niveau des importations reste le même.

La Banque centrale d'Égypte a dû intervenir en 2012. Nous avons connu deux années d'opérations normales après la révolution alors que nous n'avions rien subi pendant les deux premières années.

Vers la fin de 2012, les réserves s'épuisant, le gouvernement et HSBC ont dû créer des limites en termes d'échanges entre les marchés et intervenir par rapport à la parité.

Quelques secteurs sont demeurés prioritaires, tels que l'alimentation, la pharmacie, les machines et les matières brutes, afin que l'activité puisse continuer dans le pays.

M. Arnaud FLEURY - Comment voyez-vous aujourd'hui l'activité des banques après la dévaluation et le flottement de la livre ? Y a-t-il un retour à la normale d'un point de vue interbancaire ?

Mme Nancy TAWFIK - D'un point de vue bancaire, les flux entrants sont plus élevés que par rapport au mois de novembre. Nous avons par ailleurs constaté une augmentation des investissements obligataires.

Quant aux arriérés de paiement, il est en voie d'allégement, mais l'amélioration va demander un peu de temps.

M. Arnaud FLEURY - Que recommandez-vous aux entreprises clientes d'HSBC en Égypte qui souhaitent exporter ?

Mme Nancy TAWFIK - Cela varie suivant les importateurs. Durant les années difficiles, les banques ont augmenté les seuils afin de soutenir l'activité. Des facilités sont par exemple accordées aux clients locaux qui importent depuis la France et qui rencontrent un problème de paiement.

Cela dépend des types de produits qui sont importés et des relations avec la banque en Égypte. Si les relations sont bonnes, il est plus facile d'obtenir le paiement et d'éviter les retards de règlement. Cela peut changer d'une entreprise à l'autre, mais les choses s'améliorent.

M. Arnaud FLEURY - Monsieur Kronfol, quels sont les produits et les services bancaires mis à disposition des entreprises qui exportent vers l'Égypte ? Que leur conseillez-vous en matière de sécurisation des paiements ?

M. Omar KRONFOL - L'Égypte est un marché parfaitement normal en termes d'offres bancaires. Nous n'avons pas de restriction, c'est juste une question d'évaluation des risques.

La Banque centrale d'Égypte contrôlant les sorties de devises, on a mis en avant les produits bancaires comme le crédit documentaire, pour lequel le paiement est réalisé après présentation d'un document qui atteste de la bonne exécution du contrat. On a en effet pu constater que les entreprises importatrices détenaient des devises même si la situation change et évolue favorablement.

L'appétit des banques est bien réel depuis ces deux dernières années. HSBC a la chance de pouvoir s'appuyer sur une forte présence en Égypte pour réaliser une cartographie du marché, mais les autres banques françaises de la place sont tout à fait prêtes à collaborer ou même à nous concurrencer.

M. Arnaud FLEURY - Même si seul le Crédit agricole est sur place ?

M. Omar KRONFOL - Certaines banques régionales sont de plus en plus implantées à Paris, notamment des banques arabes. Même les gros projets sont parfaitement sécurisables et finançables, précisément en raison de l'appétit des banques, sous réserve d'un risque acceptable.

Aujourd'hui, d'un point de vue offshore , l'intervention des secteurs public ou bancaire égyptiens constitue souvent un prérequis pour obtenir des structures de financement à moyen terme.

M. Arnaud FLEURY - Constatez-vous une augmentation de la demande depuis la France après la dévaluation ?

M. Omar KRONFOL - Je n'ai pas suffisamment de recul pour attester d'une véritable modification mais, sur les dix-huit derniers mois, nous avons été très actifs en matière de sécurisation et de financement des flux, notamment dans le domaine des matières premières, qui représentent aujourd'hui l'essentiel des importations.

Les projets portant sur les biens d'équipement, qui ont pour objectif de favoriser la production locale, sont un peu plus difficiles à financer parce que l'on recherche des maturités un peu plus longues, mais on y arrive. Les projets du secteur privé sont souvent adossés à une garantie locale bancaire.

M. Arnaud FLEURY - S'il fallait noter l'Égypte de 1 à 10 sur la question du risque bancaire et du risque de paiement, où la situeriez-vous ? À quel pays pourrait-on la comparer ?

M. Omar KRONFOL - Si on s'en tient aux instituts ou à l'OCDE, l'Égypte ne bénéficie pas d'un classement très favorable. Sur l'échelle de l'OCDE, qui va de un à sept, l'Égypte est classée sixième.

Je pense en revanche que les perspectives sont positives. Le niveau du risque est plus élevé pour l'Égypte, mais le sujet d'actualité est la capacité du pays à générer suffisamment de ressources pour rembourser des prêts en devises.

On constate aujourd'hui que les réformes sont plutôt bien engagées de ce point de vue, même si l'on peut tous éprouver une inquiétude à court terme quant à un éventuel ralentissement des importations, qui sont devenues plus chères pour les entreprises qui produisent et commercialisent sur le marché local.

M. Arnaud FLEURY - Par rapport au Nigeria, les choses sont cependant bien mieux contrôlées en Égypte ?

M. Omar KRONFOL - Absolument.

M. Arnaud FLEURY - Madame Tawfik, une entreprise locale ou française installée sur place peut donc emprunter en Égypte. Quelles conditions financières proposez-vous ? J'imagine que les taux d'intérêt sont très élevés du fait de l'inflation ?

Mme Nancy TAWFIK - En effet. Et cela se traduit par une facture plus lourde pour les entreprises sur place. Les restrictions par rapport aux prêts en devises ont toutefois été assouplies par la Banque centrale d'Égypte. Nous pouvons consentir des prêts en devise locale, mais les entreprises doivent cependant tenir compte de cette différence dans leurs calculs.

M. Arnaud FLEURY - Y a-t-il une demande de la part des milieux d'affaires égyptiens pour emprunter en Égypte du fait des différents projets ?

Mme Nancy TAWFIK - En effet, différents projets ont été mis de côté depuis quelques années. C'est un marché qui subit tout de même les suites de la dévaluation. La demande n'est donc pas stable, mais les entreprises égyptiennes, en dépit des taux d'intérêt, formulent tout de même des demandes de prêt en devises.

M. Arnaud FLEURY - À combien évaluez-vous la livre égyptienne d'ici trois mois ?

Mme Nancy TAWFIK - C'est une question difficile. Je ne saurais répondre.

M. Arnaud FLEURY - Existe-t-il une convergence des différentes banques ou de vos services sur la tenue de la livre égyptienne dans les prochains mois ?

Mme Nancy TAWFIK - HSBC a publié un avis autour de 17 euros pour une livre égyptienne. Aujourd'hui la livre égyptienne s'échange à 15,35 euros. Oui, elle restera stable.

M. Arnaud FLEURY - HSBC a-t-il un d'autres renseignements à nous communiquer à propos du financement des exportations et des investissements ?

M. Omar KRONFOL - Tout ce que l'on peut dire sur le marché égyptien, c'est qu'il est assez sophistiqué. Les termes contractuels sont plutôt de bonne facture. Les exigences des opérateurs égyptiens sont à de haut niveau de standard en matière de garanties et de performances de la part des entreprises françaises.

Je pense qu'il s'agit d'un marché concurrentiel. On voit d'ailleurs de plus en plus d'acteurs, notamment asiatiques, très intéressés par ce marché. On a connu en 2013 une période d'inquiétude et un moindre appétit des banques pour intervenir sur ce marché, mais c'est aujourd'hui un marché courant et nous accompagnons nos clients français. On sécurise et on réalise de plus en plus de financements à moyen ou long terme selon la nature du projet. On émet surtout, sur ordre de nos clients français, des garanties au bénéfice des autorités égyptiennes qui cherchent des opérateurs de qualité.

M. Arnaud FLEURY - Les Égyptiens aiment-ils les services bancaires ? Compte-t-on de plus en plus de comptes bancaires et d'applications ?

Mme Nancy TAWFIK - Oui, dans une certaine mesure. Comme cela a déjà été dit, 50 % de la population reste en dessous du seuil de pauvreté et ne possède pas de compte bancaire, mais les entreprises réalisent de plus en plus de virements et ne paient pas toujours en liquide.

M. Arnaud FLEURY - Je me tourne vers M. Margueritte, haut fonctionnaire à Bercy, qui est plus particulièrement en charge du crédit à l'exportation et des garanties internationales. Les choses sont plus difficiles pour les PME que pour les grandes entreprises, d'où l'importance d'un soutien public à l'exportation. Comment une PME française peut-elle bénéficier de soutiens publics à l'exportation si elle veut aller vers l'Égypte ? Quels sont vos outils ?

M. Louis MARGUERITTE - Vous avez évoqué les grands groupes. Ceux-ci nous connaissent assez bien, tout comme la COFACE, dont les équipes ont été transférées au groupe Bpifrance pour ce qui est de la gestion des garanties publiques pour le compte de l'État.

On arrive à la fin d'un cycle de plusieurs années, au cours duquel les réformes qui ont été effectuées ont permis d'élargir la palette de nos outils et les rendre plus compétitifs. Le benchmarking (référenciation) avec nos partenaires et concurrents européens est courant. On peut considérer que l'on intervient tout au long de la vie d'un projet, de la première idée jusqu'à la conclusion finale et même après, l'assurance-crédit publique que nous proposons permettant à une banque de se prémunir contre le défaut de son acheteur.

On arrive à quelque chose d'assez compétitif et diversifié. C'est un peu l'objectif du transfert de la gestion des garanties publiques souhaité par le Président de la République il y a deux ans. Il s'agit d'avoir une meilleure diffusion. On sait bien qu'on n'est pas toujours les meilleurs en la matière. Grâce à Bpifrance, on souhaite qu'il y ait une meilleure diffusion, de telle façon que les PME, en région, puissent avoir davantage accès à ces outils et compléter la palette de ce qui leur est offert.

M. Arnaud FLEURY - Quelle est la politique de Bercy en termes de sélection des projets et de garantie des crédits acheteur vis-à-vis de l'Égypte, qui représente un pays important en prêts souverains français ?

M. Louis MARGUERITTE - L'Égypte est un pays qui reste ouvert, avec des conditions de saisine du ministre assez souples au regard de ce que l'on peut connaître pour d'autres pays.

Il existe trois grandes catégories de pays en la matière, ceux bénéficiant d'une ouverture sans condition, ceux frappés par la fermeture, comme la Corée du Nord et ceux ouverts avec condition, comme l'Égypte, qui comporte une condition de saisine du ministre.

Vous l'avez dit, l'Égypte est la première exposition souveraine de la France - et de l'UE - à la fois s'agissant des crédits à l'exportation et des autres expositions publiques de la France (AFD, etc.).

Cela prouve que nous avons été très actifs ces trente dernières années. On a beaucoup accompagné les entreprises françaises. Je citerai l'incontournable métro du Caire, dans lequel beaucoup d'entre elles se sont impliquées.

Une exposition importante signifie davantage de sélectivité vis-à-vis des projets. On continue bien évidemment à accompagner les entreprises, en sélectionnant tout d'abord la thématique des projets. L'infrastructure et l'énergie se retrouvent assez fréquemment. Les énergies renouvelables correspondent à de vraies priorités pour le gouvernement égyptien.

En second lieu, on est très sélectif en matière de montant et d'assiette de garantie. La modulation dépend de la nature de la part française et de la part locale.

La sélectivité s'établit en fonction de ces deux paramètres. Celle-ci s'est peut-être accrue par rapport à il y a vingt ans, mais elle permet de continuer à accompagner les entreprises françaises.

M. Arnaud FLEURY - Sentez-vous frémir la demande française concernant l'Égypte, notamment du fait du transfert des garanties publiques gérées par la Coface à Bpifrance ?

M. Louis MARGUERITTE - D'une manière générale, la demande reste relativement importante s'agissant de l'Égypte. Tout un travail de sélection avec les entreprises et les banques est mené pour continuer à accompagner au mieux nos entreprises à l'exportation.

S'agissant des PME, le frémissement n'est peut-être pas encore perceptible, mais on ne doute pas qu'il le sera dans les prochaines semaines. Il n'y a pas eu de changement majeur par rapport au transfert. On pense que celui-ci va avoir un effet d'entraînement sur la demande.

Je veux également citer l'accompagnement des projets énergétiques avec l'opérateur électrique EETC. La France a remporté un contrat assez important via General Electric France, qui comporte un réseau vert et un réseau intelligent de soutien aux projets de ville durable et de gestion de l'énergie.

Il faut noter que ces contrats sont souvent souscrits avec des entreprises égyptiennes, ce qui démontre l'intérêt à la fois du gouvernement égyptien, des entreprises françaises et des sous-traitants locaux en la matière.

M. Arnaud FLEURY - M. Tainsh de Bpifrance est le fidèle partenaire de Business France dans l'exportation et l'investissement à l'étranger. Quel message désirez-vous faire passer en matière de crédit à l'exportation et, plus particulièrement, sur l'Égypte ?

M. Éric TAINSH - Tous nos compétiteurs utilisent en ce moment l'ensemble des moyens mis à leur disposition pour soutenir leurs emplois domestiques et faire en sorte que leurs entreprises gagnent sur les marchés internationaux.

Nos compétiteurs utilisent les agences de crédit à l'exportation, de généreux prêts de développement et parfois des entreprises publiques. Je pense à la Chine qui, selon le New York Times de la semaine dernière, a mis sur la table 500 milliards de prêts de crédits à l'exportation et d'assurances exportation au titre de 2015 pour supporter ses exportations.

C'est dans ce contexte assez compétitif que les pouvoirs publics nous font l'honneur de nous confier les différentes garanties publiques en matière de prospection, de change, de crédit et de risques pays. Tout ceci aide les entreprises à obtenir des contrats et permet aux banques d'absorber du risque, elles qui doivent fournir des garanties de soumission et de restitution de comptes.

M. Margueritte l'a très bien dit : notre point fort est d'avoir un réseau extrêmement dense en région, avec quarante-sept implantations et six-cents exploitations sur le terrain. À compter du 2 janvier, date du transfert, notre ambition est d'abaisser le centre de gravité de toutes ces garanties publiques pour faire en sorte que des milliers d'entreprises françaises puissent gagner des marchés internationaux en étant mieux assurées, mieux coachées, mieux garanties, mieux financées et, mieux capitalisées. Une des dimensions de Bpifrance est d'être en effet un puissant investisseur et d'entrer dans le capital des entreprises pour faire en sorte qu'elles réussissent sur les marchés internationaux.

M. Arnaud FLEURY - Parvenez-vous à savoir ce qui est demandé sur l'Égypte ?

M. Éric TAINSH - Non, mais j'ai attentivement écouté les débats de cet après-midi. J'observe qu'à peine 3 000 entreprises exportatrices sur 124 000  exportent vers l'Égypte, soit 3 % du total. Cent cinquante entreprises sont installées sur place. Or, j'ai entendu qu'il était extrêmement important d'être là-bas pour pouvoir rayonner sur l'Afrique.

Le cahier des charges est très simple : nous devons inciter les entreprises françaises à exporter vers l'Égypte, marché de cent millions de consommateurs, à condition qu'elles assurent leur prospection et que 65 % du coût de cette prospection leur soit remboursé si les choses fonctionnent mal.

M. Arnaud FLEURY - C'est ce que vous proposez ?

M. Éric TAINSH - Oui, mais il faut qu'elles aient un bilan suffisamment solide. Réussir en Afrique en général et en Égypte en particulier est une oeuvre de longue haleine. Pour remporter des marchés, il faut également être en mesure d'accorder des délais de règlement à trente, soixante, quatre-vingt-dix jours s'il s'agit de biens de consommation, ou plus en cas de gros équipement. C'est tout le fondement du crédit à l'exportation : permettre à des entreprises françaises qui vendent de l'équipement et qui sont sur des projets importantes en Égypte de venir avec un package comportant la proposition technique, la technologie et le financement, de sorte que l'Égyptien puisse payer sur trois, quatre, cinq ou huit ans et se payer de la technologie française.

M. Arnaud FLEURY - Vous êtes venu avec l'un de vos confrères, basé à Dubaï.

M. Éric TAINSH - Oui. Il est sur le point de s'y installer.

M. Emmanuel BRÉCHARD , représentant de Bpifrance au Moyen-Orient - Nous intervenons historiquement sur le financement des entreprises françaises depuis la France avec des prêts internationaux garantis. Nous finançons à présent directement les importateurs dans les pays qui achètent des biens français via le crédit acheteur et via le rachat de crédit fournisseur, pour des montants assez faibles, qui vont de 1 million à 25 millions.

On adresse directement les ETI et les PME qui vendent des biens à des entreprises privées, ou directement à du public ou du parapublic. On n'a pas encore monté de dossier pour l'Égypte, mais on en étudie quelques-uns actuellement. C'est un marché.

M. Arnaud FLEURY - Dans quel secteur ?

M. Emmanuel BRÉCHARD - Dans le secteur des fours à pain, des turbines et des infrastructures, notamment à destination de l'État.

M. Éric TAINSH - Imaginez une entreprise française qui s'implante en Égypte, avec 5 millions de livres égyptiennes. Elle dispose de 1,5 million de livres égyptiennes pour capitaliser sa filiale et recherche 3,5 millions de livres égyptiennes. On a vu toutes les vicissitudes qui existent autour de cette monnaie. Si on gagne sa vie en livres égyptiennes, il est peut-être bon d'emprunter sur place. Une banque égyptienne peut être prête à lever 2,5 millions de livres égyptiennes pour aider l'entreprise française, à condition de disposer d'une caution à 100 % de la banque française. Bpifrance aide la banque française en la garantissant à hauteur de 60 %.

Nous pourrons aider les banques dans la mesure où on peut compléter les 2,5 millions de livres égyptiennes prêtés sur place par un prêt de croissance international. C'est le produit phare de Bpifrance. Il s'agit d'un produit sur sept ans, qu'on ne commence à rembourser qu'à partir de la troisième année. Il est sans garantie et concerne tous les investissements immatériels, toujours si délicats à financer à l'international. Il s'agit des prêts Croissance International, qui se vendent « comme des petits pains ». On en a vendu pour 760 millions l'année dernière. Cette année, nos ambitions sont plus fortes encore, puisqu'ils permettent de renforcer le bilan des entreprises.

M. Arnaud FLEURY - Nous allons conclure avec Mme Marie-Hélène Loison de l'Agence française de développement (AFD).

Que représente l'Égypte pour l'AFD ? Et quelle stratégie propose-t-elle dans cette zone ?

Mme Marie-Hélène LOISON - Nous sommes installés en Égypte depuis 2006. C'est un des plus importants pays sur lesquels nous travaillons. La zone que je couvre va du Maroc à la Turquie.

Nous intervenons comme agence de développement, avec comme priorité l'amélioration des conditions de vie des populations et l'accompagnement d'une croissance durable du secteur productif. Cela couvre un champ d'intervention relativement large.

Nos emprunteurs et nos clients sont des contreparties égyptiennes publiques (État, entreprises publiques, banques publiques) ou privées, via notre filiale Proparco.

Notre portefeuille s'élève à 1,6 milliard, dont 1 milliard de prêts souverains à destination de l'État égyptien. Cette tendance va se poursuivre, car nous allons beaucoup travailler avec ce dernier.

Nous recourons principalement à des prêts plus ou moins bonifiés et à des outils de garantie à destination du secteur bancaire. Proparco intervient dans des prêts pour le secteur privé ou des financements de projets.

Nous disposons d'une toute petite enveloppe de subventions, qui nous sert principalement à financer des études et des actions d'assistance technique.

Nous sommes positionnés sur des infrastructures relatives à l'énergie, au transport, à l'eau et à l'assainissement. Ce sont des secteurs où l'offre française est très bien placée. Notre portefeuille comporte beaucoup de projets où des entreprises françaises ont pu obtenir des attributions.

En matière d'énergie, nous intervenons sur la promotion des énergies renouvelables. Nous finançons notamment la première centrale photovoltaïque connectée au réseau égyptien. Nous travaillons également sur l'amélioration et le renforcement du réseau, le financement de centres de contrôle régionaux, ainsi que sur la connexion au gaz, grand projet que nous avons financé il y a un ou deux ans.

Le transport est aussi un secteur important. On a évoqué le métro du Caire. On travaille également sur un projet de tramway à Alexandrie, qui va sortir prochainement. Nos priorités tournent autour de l'accompagnement de la croissance urbaine et de la thématique de la ville durable.

M. Arnaud FLEURY - La France, suivant les instructions de l'OCDE, propose un financement délié, contrairement aux Chinois. Il n'existe donc pas de contreparties obligatoires pour les entreprises françaises. Dès lors, comment faire en sorte d'entraîner des entreprises françaises dans votre sillage, afin de ramener de la valeur ajoutée en France ?

Mme Marie-Hélène LOISON - En tant qu'agence bilatérale de coopération, nous sommes particulièrement bien positionnés pour faire connaître les savoir-faire et les technologies françaises à nos partenaires égyptiens. Ceci passe par un dialogue régulier et par l'organisation de séminaires, de colloques, etc.

On a par exemple organisé en novembre dernier deux jours de séminaire sur la mobilité urbaine avec l'association de coopération pour le développement et l'amélioration des transports urbains et périurbains (Codatu). Le ministre des transports égyptiens était là pour prendre des notes concernant le modèle français et les technologies.

C'est grâce à ce type d'événement que l'on peut contribuer à faire connaître nos savoir-faire. Nous jouons également le rôle de trait d'union avec les entreprises françaises pour les informer en amont des secteurs prometteurs égyptiens. C'est ce que nous demandent nos partenaires.

Il s'agit bien de financements déliés. En revanche, il convient de repérer les secteurs sur lesquels l'offre française est bien positionnée.

Nous avons également des avis à donner sur les dossiers d'appels d'offres. Nous devons veiller à ce que les appels d'offres soient le plus ouverts possible, et notamment faire en sorte, en matière de technologies, que les choix ne ferment pas la porte à une possible offre française. Nous devons aussi être attentifs au fait que ces appels d'offres incluent des standards de niveau international à la fois environnementaux et sociaux ou techniques.

On sait par exemple que, dans un certain nombre de secteurs, le fait de mettre l'accent non seulement sur les équipements, mais également sur la maintenance et l'exploitation, peut contribuer à bien positionner l'offre française.

M. Arnaud FLEURY - L'amitié franco-égyptienne est une réalité. L'idée est-elle de continuer en Égypte ou bien d'être sélectif et de prendre son temps ?

Mme Marie-Hélène LOISON - On s'inscrit dans un contexte similaire à ce que décrivait M. Margueritte. On dispose d'un portefeuille relativement important. Nous sommes amenés à opérer une certaine sélectivité par rapport aux projets sur lesquels on pense que le positionnement des entreprises françaises peut être favorable à plus ou moins long terme.

Notre force est de travailler sur le moyen et le long termes et de réfléchir à ce qui peut être porteur pour les entreprises françaises en matière d'environnement. On travaille actuellement sur le secteur de l'énergie, à travers un soutien de nature plus budgétaire, qui accompagne une dynamique de réforme dans le secteur.

Il n'y aura pas forcément d'intérêts français stricto sensu en termes d'attribution de marché. En revanche, on sait que le fait de pourvoir libéraliser le secteur du gaz ou de l'énergie, ou le fait de pouvoir contribuer à une gouvernance de qualité dans ce domaine va créer un environnement plus favorable aux entreprises françaises.

M. Arnaud FLEURY - Y a-t-il des questions ?

M. Emmanuelle PEZÉ , représentant de Tinubu Square - Ma société fournit des systèmes et des services dans le domaine du risque de crédit business to business . Nos clients sont des assureurs-crédit, des banques, etc.

Les grands assureurs-crédit - Euler, Atradius, Coface - ne sont pas très généreux pour l'Égypte. Bpifrance semble plus proactif. Qu'en est-il ?

Par ailleurs, HSBC possède une activité d'affacturage en Égypte. Comment voyez-vous son développement en Égypte ?

Mme Nancy TAWFIK - Il faut une licence spécifique pour réaliser de l'affacturage en Égypte. On ne peut le faire avec les banques commerciales. Nous pouvons en faire, mais c'est une question de disponibilité du projet.

M. Emmanuelle PEZÉ - L'affacturage est d'une extrême importance pour le financement des activités, pour les créances et le commerce. Il faut le développer en Égypte. Vous êtes un acteur important dans ce pays : qu'en pensez-vous ?

Mme Nancy TAWFIK - Je pense qu'il faut développer ce secteur sur le marché. Du point de vue du potentiel de croissance, nous avons le marché.

Il est évident que cela prendra un certain temps avant de pouvoir le développer. Nous devrons également obtenir un agrément de la part des autorités de réglementation. C'est l'un des secteurs de croissance pour l'avenir.

M. Éric TAINSH - Vous avez cité Atradius, Euler et Coface. S'agissant des garanties, Coface devient Bpifrance Assurance Export.

Nous parlons là de garanties sur des financements supérieurs à deux ans, qui permettent de se prémunir contre le défaut de paiement ou l'interruption du contrat. S'agissant de ce produit bien particulier, l'ambition de Bpifrance est d'abaisser le centre de gravité de l'assurance-crédit pour permettre aux PME et aux ETI d'en bénéficier.

En effet, les entreprises nous ont fait savoir à maintes reprises qu'elles avaient énormément de mal à trouver un financement et une garantie pour financer des équipements de 1 million à 10 millions. C'est là que nous voulons agir.

M. Emmanuelle PEZÉ - C'est du moyen terme !

M. Éric TAINSH - Il s'agit de financer la contrepartie égyptienne pour que ce pays puisse acheter de l'équipement français et que nos exportateurs se trouvent dans des conditions similaires à celles que connaissent les exportateurs allemands, italiens ou chinois, avec un financement embarqué sur une durée intéressante.

M. Louis MARGUERITTE - J'imagine que vous parlez aussi d'assurance-crédit à court terme, inférieur à deux ans, réputé a priori couvert par le marché privé. En réalité, ce n'est pas toujours le cas. On y réfléchit.

Un dispositif a vu le jour entre 2009 et 2011. Ce dispositif, dénommé CAP+ et CAP Export, était un système de réassurance par la puissance publique des assureurs-crédit privés.

On souhaitait remettre ce dispositif en application. Les textes étaient prêts. On avait même l'autorisation de la Commission européenne. Les discussions avec les assureurs-crédit privés sont compliquées. Le transfert n'a pas forcément aidé à aller dans ce sens, mais l'option de revenir à la réassurance telle qu'on la connaissait en 2009-2010 ou de réfléchir à faire de l'assurance-crédit directe à court terme est bien réelle.

M. Arnaud FLEURY - Madame Tawfik, en conclusion, êtes-vous optimiste s'agissant de la situation au Caire ? On a l'impression que les écuries d'Augias ont été nettoyées, que le pays est sur de bons rails pour la suite et qu'il peut compter sur la force que représentent ses 90 millions d'habitants.

Mme Nancy TAWFIK - Les changements ont été importants, mais je pense que nous sommes sur la bonne voie. Nous avons commencé à apprécier l'impact positif de tout cela. Nous avons bien sûr dû passer par pas mal de difficultés pour atteindre notre but ; mais nous avons pris les mesures qui s'imposaient. Je suis donc optimiste pour l'avenir.

M. Arnaud FLEURY - Une certaine stabilité est peut-être aujourd'hui en train de s'installer dans la région.

Merci à vous tous. Merci également aux équipes du Sénat et de Business France de nous avoir accueillis avec autant de professionnalisme.

ANNEXE


* ( 1 ) Membres du groupe interparlementaire d'amitié France-Égypte : Mme Catherine MORIN-DESAILLY, Présidente , Mme Leila AÏCHI, Vice-présidente, Mme Christiane KAMMERMANN, Vice-présidente, Mme Bariza KHIARI, Vice-présidente, Mme Françoise LABORDE, Vice-présidente, M. Bernard SAUGEY, Vice-président, M. Michel AMIEL, Mme Annick BILLON, M. Jean-Marie BOCKEL, M. Philippe BONNECARRÈRE, M. Olivier CADIC, M. Yvon COLLIN, Mme Hélène CONWAY-MOURET, M. Jean DESESSARD, Mme Françoise FÉRAT, M. Christophe-André FRASSA, Mme Joëlle GARRIAUD-MAYLAM, M. Loïc HERVÉ, Mme Sophie JOISSAINS, M. Claude KERN, M. Daniel LAURENT, M. Jean-Yves LECONTE, M. Jean-Pierre LELEUX, M. Hervé MARSEILLE, M. Hervé MAUREY, M. Jacques MÉZARD, M. Jean-Jacques PANUNZI, M. Jean-Pierre VIAL

_________________________________________

N° GA 144 - Avril 2017

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page