TABLE RONDE 3 - LES ENJEUX LIÉS AU SECTEUR DE LA SANTÉ : ÉMERGENCE DES CLASSES MOYENNES, ACCÈS AUX SOINS, SILVER ECONOMY

Table ronde thématique animée par M. Arnaud FLEURY, journaliste économique

Ont participé à cette table ronde :

Mme Aude SIMON, Chargée de développement Santé, Business France Singapour

M. Damien PÉRIS, Directeur général, Dessillons & Dutrillaux

M. Miquel LOZANO, Président, Directeur ventes et marketing, Tesalys

M. Arnaud FLEURY - Business France publie une étude consacrée aux systèmes, aux dépenses, aux organisations et aux autorités de santé. Sera-t-elle rendue publique ?

Mme Aude SIMON - Elle l'est déjà en partie. Il s'agit d'une mission que m'a confiée Business France à l'initiative d'Arnaud Leretour, qui porte sur les sept pays de la zone dans lesquels Business France est présent - le Myanmar (ex Birmanie), la Thaïlande, la Malaisie, Singapour, le Vietnam, les Philippines et l'Indonésie.

On y parle des écosystèmes de santé, des acteurs en présence, et c'est un moyen de mettre en évidence les opportunités de développement et les secteurs porteurs pour les entreprises françaises et de leur dire qu'il faut se positionner.

M. Arnaud FLEURY - Cinquante immenses hôpitaux sont en train de se construire, nécessitant de l'ingénierie, de l'équipement, etc.

Existe-t-il des différences entre les pays de l'ASEAN ?

Mme Aude SIMON - La santé est un secteur clé, et les gouvernements des pays de l'ASEAN se mobilisent énormément en faveur de ce domaine. Busines France a fait le pari d'y investir.

En dépit de l'ouverture de l'ASEAN aux échanges internationaux et des efforts qui sont faits en ce sens pour renforcer les coopérations entre États membres, des disparités persistent cependant, notamment en matière économique.

Le PIB de Singapour par habitant, pays le plus riche de la région, atteint un peu plus de 87 000 dollars.

M. Arnaud FLEURY - C'est 50 fois le Myanmar.

Mme Aude SIMON - C'est une zone très diversifiée Les écarts persistent et les enjeux sont majeurs, notamment en termes d'accès à la santé et de qualité des soins.

L'ASEAN est composée de marchés matures - Singapour, Malaisie - et de marchés émergents à croissance rapide. Il faut bien en avoir conscience : les choses peuvent évoluer très rapidement.

Singapour fait office de hub stratégique régional et en matière d'importation de dispositifs médicaux. C'est une région dépendante des importations dans ce domaine, ainsi que dans celui des médicaments.

Le cadre réglementaire est incertain, mais il évolue. On constate un réel assouplissement des règles en faveur de l'importation des dispositifs médicaux, grâce à la création de la Communauté économique de l'ASEAN. Toutefois, certaines chaînes d'approvisionnement restent peu fiables. C'est la raison pour laquelle on recommande vivement d'avoir recours à un partenaire local pour se développer et prospecter les marchés de la zone.

Il y a également de fortes disparités géographiques au sein de l'ASEAN. L'Indonésie est un vaste archipel qui compte beaucoup de déserts médicaux, tout comme les Philippines.

Le vieillissement de la population est aujourd'hui une énorme problématique de la région. On considère que l'ASEAN sera la région la plus âgée au monde en 2050. À Singapour, un habitant sur quatre aura plus de 65 ans en 2030 et les générations ne se renouvellent plus.

La main-d'oeuvre enregistre une certaine pénurie et apparaît peu qualifiée. On y recense des pathologies dominantes. Les maladies transmissibles et non-transmissibles sont en réelle augmentation. Les infrastructures sont pour la plupart insuffisantes, obsolètes et surchargées, sauf à Singapour - je pense au Vietnam ou à l'Indonésie.

Il existe de réelles inégalités en termes d'accès aux soins pour les populations les plus défavorisées, la prise en charge des gouvernements étant par ailleurs minime.

C'est pour toutes ces raisons que l'on assiste aujourd'hui à une vraie explosion des dépenses de santé. Le nombre moyen de lits d'hôpitaux dans la région est de 1,58 lit pour 1 000 habitants. Le Myanmar, les Philippines et l'Indonésie sont clairement en dessous des quotas recommandés par l'OMS. Par comparaison, la France atteint en moyenne sept lits pour 1 000 habitants.

M. Arnaud FLEURY - Il en va de même pour les médecins.

Mme Aude SIMON - En effet. Les besoins sont vastes. C'est une zone à fort potentiel. Il existe énormément d'opportunités de développement pour les entreprises françaises.

Un mot sur la couverture universelle, beaucoup de pays ayant accumulé un certain retard au cours de ces dernières années, qu'ils tentent de combler actuellement. C'est le cas de l'Indonésie, qui a mis en place une couverture santé depuis 2015 et qui espère couvrir les 265 millions d'Indonésiens d'ici 2019. Ceci est également en cours au Vietnam, au Myanmar. Quant à la Thaïlande, elle est relativement bien couverte.

Il faut mentionner une importante demande de dispositifs médicaux à forte valeur ajoutée. Il y a une grande pénurie dans les pays qui comptent peu de production locale. On enregistre un réel engouement autour de l'innovation. On a besoin de matériels de pointe, surtout pour répondre aux normes d'accréditations et aux standards en matière de tourisme médical.

Enfin, un des secteurs porteurs de l'ASEAN est le tourisme médical. La Thaïlande est le premier dans ce domaine, suivie de Singapour pour la chirurgie plus spécialisée, et de la Malaisie. Il y a des opportunités pour l'expertise française dans le domaine des « salles », des hôpitaux, etc. La France détient un véritable savoir-faire. Il faut le faire valoir en Asie du Sud-Est.

En termes de R & D, en dehors de Singapour, le coût de la main-d'oeuvre est assez abordable, les frais d'infrastructures également. Énormément de sièges régionaux s'installent dans ces pays. Les gouvernements ont mis en place des incitations fiscales pour faciliter l'implantation d'entreprises et de sièges sociaux.

La pénurie du personnel médical est réelle. Le marché pharmaceutique est en pleine croissance pour toutes les raisons que l'on a citées auparavant. C'est une zone qui est dépendante des importations de médicaments, et les médicaments génériques représentent une manne assez importante dans ce domaine. Il y a donc encore énormément d'opportunités de croissance, même si la médecine traditionnelle joue aussi un rôle important dans certains pays.

L'Indonésie a adopté une loi concernant la certification halal pour les médicaments. Elle entrera en vigueur dès 2019, ce qui pourrait changer par mal de choses pour les industriels. La France a la chance de bénéficier de dispositifs connectés.

Je pense à la réalité virtuelle pour répondre aux besoins de la télémédecine, à l'imagerie médicale, aux implants, etc. Il existe partout des opportunités dans ces différents pays.

M. Arnaud FLEURY - En va-t-il de même des infrastructures cliniques, qui comptent de grands projets ?

Mme Aude SIMON - Les centres de proximité sont également nécessaires pour pallier la pénurie d'infrastructures dans les déserts médicaux. La santé connectée est l'avenir. L'ASEAN sera une des régions leaders dans quelques années. On en a également besoin pour désengorger les hôpitaux.

La silver econcomy nécessite aussi nombre d'infrastructures et de matériels adaptés aux personnes âgées.

M. Arnaud FLEURY - Il y a aussi de la place pour les laboratoires.

Mme Aude SIMON - Absolument. Les concurrents de la France ont pris une certaine avance. Je pense aux Allemands dans le domaine des salles blanches, etc. Il y a vraiment une carte à jouer et encore de la place.

M. Arnaud FLEURY - Nous partons à présent dans le Lot-et-Garonne, où Dessillons et Dutrillaux fabriquent des matériaux destinés au diagnostic médical - chirurgie orthopédique, réanimation médicale, garrots, tensiomètres, etc. Vous êtes présents sur le marché de l'ASEAN et vous êtes pourtant une petite entreprise. Vous avez réussi à relocaliser en France votre production qui était partie en Asie.

M. Damien PÉRIS - Nous fabriquons des dispositifs médicaux depuis un peu plus de 60 ans. Nous sommes présents à l'exportation dans 30 pays, dont trois de la zone ASEAN : Singapour, la Thaïlande et la Malaisie.

M. Arnaud FLEURY - Vous avez fait 400 % de croissance en dix ans, et votre part d'exportation est passée de 6 % à 50 %.

M. Damien PÉRIS - En effet. L'entreprise achetait auparavant des produits en Asie pour les vendre en Europe, principalement en France. Aujourd'hui, on a inversé la tendance. On achète des matières premières en Europe, on les transforme et on les vend dans un certain nombre de pays, dont l'Asie.

M. Arnaud FLEURY - Comment les choses se passent-elles en ASEAN ?

M. Damien PÉRIS - Il existe un véritable intérêt pour les dispositifs médicaux, notamment français, à condition que ces produits soient réellement fabriqués en France.

En effet, si on fabrique des dispositifs médicaux en Asie et qu'on les importe en Europe pour les réexporter en Asie, tout le monde finit par le savoir et cela ne fonctionne pas. Il manque de la valeur ajoutée !

M. Arnaud FLEURY - Le made in France constitue donc un plus sur lequel vous jouez.

M. Damien PÉRIS - C'est un plus. Si on avait continué comme précédemment à produire des dispositifs médicaux bien identifiables en Asie, on n'aurait pas pu les vendre dans les pays de l'ASEAN.

M. Arnaud FLEURY - Ils ont aujourd'hui une certaine exigence.

M. Damien PÉRIS - Notamment à Singapour...

M. Arnaud FLEURY - Les distributeurs sont-ils faciles à trouver ? Prennent-ils des marges élevées ?

M. Damien PÉRIS - Non, si on a le bon produit, ils sont faciles à trouver, et ils sont très efficaces.

M. Arnaud FLEURY - Avec qui traitent-ils ? Les cliniques, les hôpitaux ?

M. Damien PÉRIS - Ils traitent en direct. On travaille également avec l'armée de Singapour, par l'intermédiaire de notre distributeur.

M. Arnaud FLEURY - Où êtes-vous présents à part Singapour et la Malaisie ?

M. Damien PÉRIS - En Thaïlande. Le Vietnam et l'Indonésie sont en cours de négociations.

M. Arnaud FLEURY - Est-ce compliqué ? Le Vietnam n'est pas facile à aborder d'un point de vue administratif...

M. Damien PÉRIS - Après la négociation avec le distributeur, il faut enregistrer le produit au ministère de la santé, mais cela reste assez facile si l'on compare à des marchés d'Amérique du Sud, où les organismes sont bien plus compliqués et où les choses mettent beaucoup plus de temps, comme en Argentine ou au Brésil. Dans les pays de l'ASEAN, cela a demandé une petite année. Les choses vont relativement vite.

M. Arnaud FLEURY - Vous m'avez dit qu'ils ont les moyens et savent ce qu'ils veulent.

M. Damien PÉRIS - Tout le monde veut vendre à Singapour. Ils ont donc le choix, ce qui n'est pas toujours le cas de pays comme le Pakistan ou le Yémen. Si on veut vendre, il faut placer la barre suffisamment haut et avoir un prix compétitif.

M. Arnaud FLEURY - L'ASEAN représente une part très importante de vos exportations...

M. Damien PÉRIS - Oui, et l'on souhaite continuer à s'implanter dans les autres pays de l'ASEAN.

M. Arnaud FLEURY - Il y a donc un retour sur investissement. Êtes-vous passé par Business France ?

M. Damien PÉRIS - Nous avons eu la chance de faire partie du dernier voyage du Président François Hollande en ASEAN, ce qui a accéléré les choses.

M. Arnaud FLEURY - Tout cela vous permet de prospecter et d'avoir des contacts.

M. Damien PÉRIS - Ils entrent assez vite dans le vif du sujet par rapport à d'autres pays.

M. Arnaud FLEURY - Vous êtes cependant une petite entreprise. Quel est votre chiffre d'affaires ?

M. Damien PÉRIS - Nous ne communiquons pas sur ce sujet. Il est de moins de 5 millions d'euros. Nous sommes moins de vingt personnes.

M. Arnaud FLEURY - Même une PME comme la vôtre peut donc trouver sa place.

Je me tourne vers M. Lozano. Votre entreprise intervient auprès des hôpitaux dans le domaine du traitement des déchets infectieux, et propose notamment des solutions miniaturisées...

M. Miquel LOZANO - Tesalys est une société qui a été créée en 2012. Nous avons eu l'idée de créer une machine qui broie et stérilise tous les déchets comportant des risques biologiques. Ces déchets deviennent dès lors des déchets ménagers. Ils ne sont dangereux ni pour le personnel ni pour l'environnement et peuvent donc être recyclés. C'est en ASEAN qu'on a trouvé un très fort levier de croissance.

M. Arnaud FLEURY - L'idée est d'explorer des marchés où il n'existe pas encore de filière de recyclage de ces déchets.

M. Miquel LOZANO - Beaucoup de pays comportent des filières bien structurées pour le traitement des déchets spéciaux, notamment les déchets infectieux qui sortent des hôpitaux mais dans certains autres, les réseaux ne sont pas structurés et parfois très difficiles d'accès.

Au Vietnam, dans les zones rurales, les systèmes de santé sont très décentralisés. Il n'est donc pas économique de faire 500 kilomètres pour récupérer des déchets et les traiter en ville. De même, aux Philippines ou en Indonésie, les centres médicaux des îles ne peuvent prendre ces déchets en charge. Notre système permet de les traiter sur place.

M. Arnaud FLEURY - Quelle est votre stratégie sur l'ASEAN, et quelles sont vos perspectives ?

M. Miquel LOZANO - Notre équipement est à la frontière du médical, de la santé et de l'environnement. Nous utilisons un réseau de distributeur dans chaque pays où nous sommes implantés. Ce sont soit des sociétés qui interviennent soit dans le domaine du matériel médical, du matériel de laboratoire ou de l'environnement. Il faut simplement les sélectionner.

La difficulté réside dans la distance : il faut se déplacer pour créer le lien, qualifier ces distributeurs et être présent sur les marchés. Notre entreprise est à peu près de la taille de l'entreprise précédente.

Nous réalisons moins de 5 millions de chiffre d'affaires et notre société compte une vingtaine de personnes. Les coûts sont relativement importants, mais on ne peut en faire l'économie si on veut pénétrer sur le marché.

M. Arnaud FLEURY - Vous avez cité les Philippines, l'Indonésie, le Vietnam...

M. Miquel LOZANO - Ce sont les trois principaux marchés où nous sommes présents. On y a réalisé des projets relativement importants, et d'autres sont encore en cours.

M. Arnaud FLEURY - Les délais de paiement sont-ils satisfaisants ?

M. Miquel LOZANO - Le financement est aussi une problématique pour toute entreprise qui se lance dans l'exportation et qui n'a pas de surface financière suffisante. Tous nos paiements sont sécurisés. On a parlé des crédits documentaires : ce sont des outils qui s'utilisent de façon classique à l'exportation. Cependant, l'investissement financier demeure important. Les délais sont longs, ne serait-ce que du fait de la procédure administrative.

Une de nos priorités pour les années à venir est d'arriver à trouver des voies de financement.

M. Arnaud FLEURY - Il faut peut-être « cofacer » les distributeurs.

M. Miquel LOZANO - Pas seulement. Il faut également pouvoir proposer des facilités de financements aux clients. Les Allemands, les Japonais, les Chinois proposent aux entreprises des modes de financement souples. En France, ces outils sont plutôt réservés aux grosses entreprises et encore peu destinés aux PME.

M. Arnaud FLEURY - Le financement peut également se faire par le biais des bailleurs internationaux.

M. Miquel LOZANO - En effet. Dans la zone ASEAN, l'infrastructure hospitalière de beaucoup de pays est très déficiente - Myanmar, Laos, Vietnam. Ces pays recourent à des bailleurs de fonds internationaux, comme l'AFD, la Banque mondiale, etc. Il faut être à l'affût de ces projets.

Mme Aude SIMON - C'est un marché à fort potentiel, qui demeure plein de défis pour les industriels. Des efforts sont encore à faire en sens, mais il existe un réel engouement autour de l'innovation. Il est temps pour les entreprises françaises de songer à se positionner. De nombreux projets de construction sont en cours : il faut y aller !

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