Groupe interparlementaire d'amitié

France-Tunisie (1 ( * ))

Forum économique franco-tunisien

Actes du colloque du 15 février 2019

Sous le haut patronage de
M. Gérard LARCHER, Président du Sénat

Palais du Luxembourg

Salle Clemenceau

Au premier plan, de gauche à droite : M. Youssef Chahed, Chef du gouvernement de la République de Tunisie, M. Jean-Pierre Sueur, Président du groupe interparlementaire d'amitié France-Tunisie et
Mme Agnès Pannier-Runacher, Secrétaire d'État auprès du Ministre de l'Économie et des Finances

De gauche à droite : M. Christophe Lecourtier, Directeur général de Business France,

MM. Youssef Chahed, Jean-Pierre Sueur et Mme Agnès Pannier-Runacher

Salle Clemenceau

OUVERTURE

Message de M. Gérard LARCHER,

Président du Sénat

lu par M. Jean-Pierre SUEUR,

Sénateur du Loiret,

Président du groupe interparlementaire d'amitié France-Tunisie

Monsieur le Chef du Gouvernement de la République de Tunisie,

Madame et Messieurs les Ministres,

Messieurs les Ambassadeurs,

Chers collègues Parlementaires,

Mesdames et Messieurs,

Je me félicite que le Sénat puisse accueillir le second Forum économique franco-tunisien, le premier à Paris, placé sous le signe de l'amitié et du développement économique. Notre Assemblée est le lieu, ouvert vers l'extérieur, où décideurs politiques, diplomates, chefs d'entreprise, investisseurs, se rencontrent une fois de plus.

Je tiens à saluer la présence exceptionnelle au Palais du Luxembourg du Chef du Gouvernement de la République de Tunisie, M. Youssef Chahed, que j'ai reçu hier en audience et avec lequel nous avons longuement échangé sur tous les sujets d'intérêt commun. Il est accompagné de plusieurs de ses ministres, ce qui témoigne de l'importance cruciale de ce moment, dans le programme de sa visite en France.

Je salue également la participation au Forum de Mme Agnès Pannier-Runacher, Secrétaire d'État auprès du Ministre de l'Économie et des Finances, qui représente le Gouvernement français. Mais la clef de la réussite, c'est vous, les représentants des entreprises ici nombreux, fers de lance de la croissance tunisienne et de nos relations économiques bilatérales, qui la détenez.

Je ne m'attarderai pas sur les liens privilégiés, à travers l'Histoire, la langue, les hommes, qui unissent si étroitement nos deux pays et les deux rives de la Méditerranée. Car la Tunisie est à la confluence de plusieurs mondes : euro-méditerranéen, arabo-musulman, africain. C'est à la fois un défi et un formidable atout.

De fait, la Tunisie, après ce qu'il est convenu d'appeler les « printemps arabes », fait figure d'exception. Je mesure le chemin parcouru depuis 2011 et les efforts déployés pour installer et consolider la démocratie et votre économie, malgré les difficultés et les périls, dont certains nous sont communs : je pense en particulier à la lutte contre le terrorisme.

Aujourd'hui, l'heure est au renforcement de notre partenariat commercial et financier, en bâtissant sur les résultats que votre Gouvernement a obtenus, monsieur le Premier ministre, pour améliorer le climat des affaires et l'attractivité de votre pays. Je consultais les chiffres du tourisme, qui constitue un bon indicateur pour mesurer l'attractivité et la confiance retrouvée : 8 millions de touristes en 2018, dont 800 000 Français, après des années 2016 et 2017 particulièrement difficiles ! Il y a des signes qui ne trompent pas !

Le Sénat, vous le savez, s'est engagé pour favoriser à vos côtés le retour de la confiance : plusieurs d'entre vous se souviendront du colloque, tenu ici même en mars 2017, intitulé « Revenir en Tunisie : pour une reprise durable du tourisme et pour une coopération France-Tunisie en ce domaine », organisé à l'initiative du groupe d'amitié France-Tunisie du Sénat et de son président, Jean-Pierre Sueur. Son programme a été exaucé.

La présence financière de la France en Tunisie est forte dans les secteurs industriels et les services. La France est un investisseur de premier plan en Tunisie : depuis la Révolution, elle est même le premier pourvoyeur d'investissements directs en termes de flux et le second en termes de stock.

Mais la présence financière française est appelée encore à se développer, si nous voulons multiplier par deux nos investissements d'ici 2022, comme le Président de la République nous y a encouragés. Les entreprises françaises doivent saisir toutes les opportunités.

Permettez-moi, pour conclure, de remercier tout particulièrement le président du groupe d'amitié France-Tunisie, mon collègue Jean-Pierre Sueur, qui représente notre assemblée, regrettant de ne pouvoir être moi-même à vos côtés ce matin. Depuis de nombreuses années à la tête du groupe d'amitié, il apporte un soutien indéfectible au renforcement de nos relations bilatérales et, aujourd'hui encore, sa contribution énergique et efficace au plein succès de ce Forum. Il a été aux côtés de la Tunisie dans les jours les plus favorables comme dans les moments les plus difficiles.

Mes remerciements s'adressent aussi aux co-organisateurs du Forum, Business France et la Direction Générale du Trésor. Je n'oublie pas non plus le rôle éminent de nos représentations diplomatiques à Paris et à Tunis, et je remercie personnellement les deux Ambassadeurs.

Pour sa part, le Sénat s'attachera à renforcer encore ses liens avec l'Assemblée des Représentants du Peuple Tunisien. Depuis 2016, nos actions de coopération se sont considérablement développées dans le cadre du programme européen de soutien à l'Assemblée tunisienne. À ce titre, le Sénat a mis l'accent sur les ressources humaines et les moyens matériels. Il est devenu, avec l'Assemblée nationale française, un partenaire du Parlement tunisien.

Tel est notre apport, modeste mais déterminé, à la transition accomplie par votre pays pour consolider ses institutions, selon les priorités que vous avez définies, et rendre le parlementarisme à la fois vivant et efficace.

À tous, je souhaite de fructueux travaux en formant le voeu qu'ils contribuent au développement de nos échanges réciproques, au service de la démocratie parlementaire, de la croissance, des investissements et de l'emploi.

Vive la Tunisie ! Vive la France !

M. Jean-Pierre SUEUR, Président du groupe interparlementaire d'amitié France-Tunisie

Monsieur le Premier ministre de la République de Tunisie,

Madame la Ministre,

Monsieur le Directeur de Business France,

Mesdames et Messieurs les Ministres de la Tunisie

Mesdames et Messieurs les Parlementaires de la Tunisie,

Messieurs les Ambassadeurs,

Mesdames et Messieurs les Représentants du monde économique et des entreprises tunisiennes et françaises,

Nous sommes profondément attachés à ce qui se passe en Tunisie.

Depuis 2011, vous êtes les seuls à avoir montré tous les jours que la démocratie est possible dans l'espace arabo-musulman. C'est un espoir pour la Tunisie et pour beaucoup d'hommes et de femmes dans le monde entier.

La Tunisie est un phare. Nous avons été heureux que le Quartet reçoive le prix Nobel. C'est une lumière pour le monde.

Nous savons que ce qui se passe en Tunisie constitue un enjeu essentiel, mais il est nécessaire que l'économie fonctionne bien, car sans emplois suffisants pour des jeunes pourtant formés, on n'aide pas la démocratie. Ce qui se passe ici est essentiel pour qu'elle continue à prospérer et à se développer en Tunisie.

Votre Constitution est unique et nous en avons suivi jour après jour la préparation. Les débats sont en cours au sujet de la Cour constitutionnelle et je sais que vous avez rencontré M. Laurent Fabius, président du Conseil constitutionnel français. Il s'agit là des enjeux fondamentaux.

J'ai été très ému de participer au récent colloque avec des femmes avocates et députées tunisiennes, qui ont défendu, avec coeur et courage, la loi pour l'égalité successorale. Cet événement, qui a eu lieu à Paris, était extraordinaire.

Nous avons réuni ici même, il y a un an, tous les acteurs du tourisme tuniso-français. Le terrorisme nous a touchés, vous et nous, mais nous avons décidé de faire face et cette coopération est exemplaire.

Quand on arrive à l'aéroport de Carthage, on est contrôlé trois fois. C'est une bonne chose. Un effort énorme a été réalisé.

Je rends hommage au Président de République française, M.  Emmanuel Macron, qui tient absolument à ce que nos relations se développent, notamment dans l'ordre économique, et qui souhaite voir se multiplier par deux les investissements économiques français en Tunisie à l'horizon 2022.

Il faut passer des discours aux actes et investir à présent concrètement, pas seulement en matière de sous-traitance mais aussi en termes de partenariat, qu'il s'agisse des énergies nouvelles, du numérique, de l'agro-alimentaire, etc. C'est un grand espoir !

M. Christophe LECOURTIER, Directeur général de Business France

Monsieur le Chef du Gouvernement,

Monsieur le Président Sueur,

Madame et Messieurs les Ministres,

Mesdames et Messieurs les Parlementaires,

Messieurs les Ambassadeurs,

Mesdames et Messieurs,

C'est un grand honneur pour moi de participer à cette nouvelle édition du Forum économique franco-tunisien, sans doute à un moment de notre histoire commune encore plus important que lors des précédents Forums.

Je tiens à remercier le Sénat et toutes les institutions qui ont participé à son organisation. Ceci a été possible, dans un délai extrêmement court, grâce à la coopération efficace entre l'Ambassade de France, la direction générale du Trésor, la Chambre tuniso-française de commerce et d'industrie (CTFCI), le Comité des conseillers du commerce extérieur de la France (CCEF), et tous nos autres partenaires tunisiens, parmi lesquels l'Union tunisienne de l'industrie, du commerce et de l'artisanat (Utica), le Centre des Jeunes Dirigeants et la Confédération des entreprises citoyennes de Tunisie (CONECT).

Ce Forum est je crois, parmi toutes les opérations organisées au Sénat, celui qui a eu le plus de succès. La présence de beaucoup d'entreprises en atteste. Ceci démontre bien l'importance de l'enjeu pour la Tunisie et pour la France.

Rien de ce qui se passe chez vous, Monsieur le Chef du Gouvernement, ne saurait nous être indifférent, qu'il s'agisse des plus hautes autorités de l'État ou de l'ensemble des Français. Nous constatons tous la capacité de résilience de votre pays. C'est vrai pour ce qui a trait à l'enracinement de la démocratie, mais également du point de vue social et économique.

Business France, agence nationale chargée de la promotion de l'export et des investissements étrangers, a choisi de s'inscrire dans cette dynamique de confiance.

Les dernières années ont confirmé notre engagement envers la Tunisie et nous avons maintenu envers et contre tout une belle et dynamique équipe d'experts du marché local autour de M. Olivier Poivre d'Arvor, Ambassadeur de France à Tunis.

Celle-ci a remarquablement travaillé, à la fois pour aider plus d'entreprises françaises à exporter en Tunisie, mais surtout à investir dans ce pays en y recrutant et en y créant des emplois. J'ai la conviction que travailler à améliorer notre balance des échanges n'est en rien incompatible - au contraire - avec le développement de la Tunisie, selon les axes que vous avez choisis.

À ce titre, la reprise de l'activité économique est une bonne nouvelle, que nous entendons bien accompagner dans les années à venir. Dans les faits, au titre de 2018, l'équipe Business France de Tunis a accueilli plus de 120 entreprises françaises, dans une démarche d'exportation, et très souvent dans un projet d'investissement, avec le soutien extrêmement actif de l'ensemble du dispositif diplomatique français à Tunis.

Dans la même logique de cohérence, Business France concentre ses efforts dans les six secteurs porteurs définis par les deux Présidents de la République, lors de la visite de M. MACRON en février 2018. Il s'agit de la santé, de l'énergie, de l'industrie, du numérique, des transports et la logistique et enfin de l'agroalimentaire. En 2019, notre objectif est d'organiser au moins une dizaine de missions collectives et d'accompagner davantage encore d'entreprises françaises que l'année dernière dans ces différents secteurs. Les échanges de ce matin seront l'occasion d'y revenir plus en détail.

Comme pour ce Forum, c'est tout le dispositif français qui est mobilisé au service de la croissance de la Tunisie. Pour aller plus loin et rendre notre action plus simple pour les entreprises, mais également plus partenariale, nous avons choisi de renforcer notre action commune avec d'autres acteurs présents localement, en particulier la Chambre de Commerce franco-tunisienne et les conseillers du commerce extérieur.

Dans quelques jours, nous lancerons une plateforme de référencement qui permettra d'associer de manière structurelle ces institutions à la Team France Export.

Le moment est évidemment très propice et nous sommes résolus à être à la hauteur des circonstances. Je n'ai aucun doute que ce Forum y contribuera, en permettant aux entreprises participantes de mieux appréhender les spécificités mais aussi la dynamique du marché tunisien.

Vous pouvez, Monsieur le Chef du Gouvernement, Mesdames et Messieurs les représentants des entreprises, compter sur Business France pour être votre partenaire dans cette nouvelle étape.

Mme Agnès PANNIER-RUNACHER, Secrétaire d'État auprès du Ministre de l'Économie et des Finances

Monsieur le Chef du Gouvernement de la République de Tunisie,

Mesdames et Messieurs les Ministres,

Monsieur le Président Sueur,

Mesdames et Messieurs les Parlementaires,

Mesdames et Messieurs,

Je suis très heureuse d'être parmi vous aujourd'hui, avec le chef de Gouvernement de la République de Tunisie, M. Youssef Chahed, pour la deuxième édition de ce Forum d'affaires franco-tunisien.

Ce Forum vient, une nouvelle fois, illustrer notre attachement commun au partenariat qui unit la France et la Tunisie.

Aujourd'hui, la Tunisie a besoin d'une économie forte pour répondre aux attentes légitimes de la population et de sa jeunesse et pour consolider la transition démocratique.

Dans ce contexte, je souhaite réaffirmer ici, devant vous, hommes et femmes du monde économique, entrepreneurs, chefs d'entreprise, investisseurs, notre complet soutien à la politique de réforme menée par le Gouvernement tunisien en faveur de l'emploi, de la croissance et du développement des territoires tunisiens.

Je salue en particulier les réformes courageuses engagées avec l'aide des institutions financières multilatérales pour assainir les finances publiques et les progrès accomplis en matière d'attractivité. Dans beaucoup de pays, ces sujets sont à l'ordre du jour, la France n'étant d'ailleurs pas la dernière en matière de dette ou d'attractivité.

Nous avons confiance dans le développement économique de la Tunisie, qui dispose d'incontestables atouts : une main-d'oeuvre qualifiée, la proximité du marché européen, une société civile jeune et dynamique. Ces atouts ne demandent qu'à s'exprimer et à se transformer en une croissance inclusive et durable.

Cette inclusion sera d'autant plus importante si la Tunisie poursuit son ancrage dans les chaînes de valeurs mondiales. Il y a des opportunités en Tunisie pour s'intégrer dans la chaîne de valeurs européennes.

Des occasions peuvent également être saisies pour se développer sur le marché africain, qui recèle un potentiel largement inexploité. J'en veux pour preuve le lancement d'une unité d'assemblage et de commercialisation de pick-up destinés au marché africain, fruit de la collaboration entre PSA et son partenaire STAFIM, avec la création de 400 emplois.

La politique d'attractivité du site Tunisie doit être saluée et accompagnée. L'investissement privé est en effet le moteur d'une croissance durable et inclusive et permettra de résorber le chômage des jeunes et les inégalités territoriales.

Mais cette attractivité ne saurait se construire sur un modèle de préférences fiscales, dont les effets sont négatifs pour l'ensemble de l'économie. Je salue à ce titre l'ensemble des mesures adoptées par la Tunisie dans sa loi de finances pour 2019, visant la mise en oeuvre de standards internationaux en matière de bonne gouvernance fiscale et de transparence.

La France est le premier partenaire de la Tunisie sur le plan économique et entend bien le rester.

Avec environ 1 300 entreprises générant près de 140 000 emplois, la France reste le premier investisseur étranger en Tunisie, notamment dans des secteurs industriels clés comme l'aéronautique - Stelia, Zodiac -, l'automobile - Faurecia, Valeo, MGI Coutier ou encore Plastivaloire -, l'électronique - Sagemcom, Actia et Asteelflash -, ou encore les industries du textile et de l'habillement - Isalys, Proxy, la filiale production de Décathlon. Le secteur des services est également un point fort de la présence française en Tunisie. Je pense à Sofrecom, Talan Tunisie et Orange.

La mobilisation de notre secteur privé - PME, entreprises de taille intermédiaire et grands groupes - pour relancer l'investissement privé en Tunisie est avérée. Nos entreprises ont une responsabilité et un rôle actif à jouer dans le développement économique et social en Tunisie. Elles savent et peuvent faire preuve de créativité, d'innovation, de réactivité, de formation.

Une économie compétitive ne saurait se limiter à une économie à bas coûts, même si cette dimension est encore trop souvent mise en avant.

C'est la raison pour laquelle nous souhaitons enrichir la relation économique autour de secteurs et de projets structurants, en mettant en place un partenariat gagnant-gagnant permettant aux investisseurs français de développer leur présence en Tunisie en faveur de la création d'emplois et d'une croissance inclusive.

Ce partenariat se fera à travers des secteurs porteurs tels que les infrastructures de transport, avec la mise en place de moyens de financements innovants, l'énergie, notamment les énergies renouvelables, la santé, l'environnement, comme le traitement de l'eau et des déchets. Ce sont des priorités qui viendront nourrir la feuille de route franco-tunisienne pour le développement économique au cours des prochaines années.

Je salue, à cette occasion, la participation d'un grand nombre d'entreprises françaises dans le secteur de l'énergie, avec les projets de concession relatifs à la construction et l'exploitation de centrales éoliennes et photovoltaïques. Je sais que nos entreprises souhaitent également se mobiliser dans le cadre du projet smart grid visant la mise en place d'un réseau électrique intelligent à travers l'installation de 400 000 compteurs connectés dans le gouvernorat de Sfax. Ce projet ambitieux permettra la réduction des taux de perte sur le réseau, la diminution des impayés et la lutte contre la fraude. Ce projet bénéficiera d'un prêt souverain d'un montant de 120 millions d'euros de la part de l'Agence française de développement (AFD).

En matière d'infrastructures de transport, les projets de construction de deux lignes de tramway et de trois lignes de bus en site propre sur la région de Sfax mobilisent aussi des entreprises françaises.

Dans le secteur de la santé, l'AFD appuie la modernisation de l'hôpital de Sidi Bouzid ; ce projet bénéficie d'un prêt souverain accordé par l'AFD de 76 millions d'euros, ainsi qu'un financement du Fonds d'expertise technique et d'échanges d'expériences (FEXTE) d'un million d'euros. Des entreprises françaises ont d'ores et déjà déclaré leur intérêt à participer à sa réalisation.

De nombreuses entreprises françaises sont également intéressées par la réalisation de plusieurs projets dans le domaine de l'e-santé au bénéfice du Ministère de la Santé tunisien. Ces projets sont soutenus par la France avec des financements spécifiques.

Lors de sa visite à Tunis il y a un an, le Président de la République a confirmé la volonté de la France d'appuyer le développement de l'entreprenariat tunisien, notamment des PME-PMI. Ces annonces se sont matérialisées avec l'octroi d'une ligne de crédits pour les PME de 30 millions d'euros répartis en prêts et dons. Il est essentiel que cette ligne soit désormais activée et nous espérons pour cela que l'Assemblée des Représentants du Peuple pourra la valider à court terme.

Le soutien public français se matérialise également à travers des actions pour développer des projets en faveur du désenclavement régional : c'est ainsi que l'AFD participe à la réalisation d'un hôpital polyvalent dans la région de Gafsa, financé à hauteur de 80 millions d'euros, issus de la conversion de dette tunisienne.

L'aide bilatérale apportée par l'AFD est structurante pour de nombreux secteurs et s'élèvera au total à plus d'un milliard d'euros d'ici 2020.

Ce partenariat gagnant-gagnant doit également viser à encourager les investisseurs tunisiens à choisir la France pour développer leurs projets en Europe. Il existe des chantiers ambitieux visant à transformer radicalement notre économie en une nouvelle économie des compétences et de l'innovation.

Faisons en sorte que tous ces projets soient porteurs de croissance, d'emplois, de réussite.

M. Youssef CHAHED, Chef du gouvernement de la République de Tunisie

Monsieur le Président,

Mesdames,

Messieurs,

Je suis heureux d'être parmi vous pour célébrer une nouvelle fois l'amitié qui unit la France et la Tunisie et saluer les nombreux amis que compte la Tunisie au sein de cette Haute Assemblée.

Je voudrais tout particulièrement remercier Monsieur Jean-Pierre Sueur, Président du groupe interparlementaire d'amitié France-Tunisie, pour son action en faveur des relations franco-tunisiennes.

J'ai rencontré hier le Premier ministre, M. Édouard Philippe, et je serai reçu tout à l'heure par le Président de la République, M. Emmanuel Macron. Beaucoup d'échanges ont eu lieu ces deux derniers jours. Ce fut l'occasion de réaffirmer la proximité de la France et de la Tunisie, de souligner l'importance de nos relations et de rappeler les grandes opportunités de renforcement de ce partenariat entre nos deux pays.

Sur le long chemin de la Tunisie vers le développement, il me plaît ici de rendre hommage à la France, qui a toujours appuyé ce processus. Nos relations sont séculaires et remontent bien avant le Protectorat, et ce à travers les projets de modernisation lancés par le réformateur Kheireddine, qui créa entre autres le premier lycée bilingue, le collège Sadiki.

La qualité des relations entre la Tunisie et la France a toujours été au centre des préoccupations des élites tunisiennes, à commencer par le Président Habib Bourguiba. Le Président, M. Béji Caïd Essebsi, a maintenu et renforcé ce cap. La France est aujourd'hui le premier client et le premier fournisseur de la Tunisie. Le nombre d'entreprises françaises a triplé en vingt ans.

Nombreuses sont les unités qui ont procédé à des remontées de filières, en créant des bureaux d'études ou de recherche et développement en Tunisie. Selon le baromètre du climat des affaires, publié par la Chambre tuniso-française, la majorité des dirigeants sont optimistes quant aux perspectives 2019. Ils pensent voir leur chiffre d'affaires augmenter, prévoient de nouveaux investissements et comptent créer de nouveaux emplois.

Quant aux échanges commerciaux entre les deux pays, ils ont quadruplé entre 1995 et 2018, passant de moins de 2 milliards d'euros à plus de 7 milliards d'euros l'année dernière.

La France et l'Union européenne restent les partenaires privilégiés de la Tunisie, l'Union européenne recevant 82 % des exportations de la Tunisie et fournit 64 % de nos importations. On pourrait dire que l'économie tunisienne est plus intégrée à l'Europe que celle de plusieurs pays européens !

Cette coopération entre la Tunisie et la France est très diversifiée. Elle touche à tous les domaines et secteurs d'activité. Elle est exemplaire, particulièrement au niveau industriel, puisqu'elle se base sur une approche de codéveloppement.

Comment progresser en la matière ? On peut aller plus loin, grâce aux nombreux atouts dont dispose la Tunisie et aux opportunités de partenariat qu'offre la France.

Les évolutions géostratégiques constatées chez notre principal partenaire, l'Union européenne, l'intervention croissante des pays de l'Est et l'exacerbation de la concurrence internationale constituent une chance pour l'économie tunisienne. Tous nos efforts ont pour objectif de permettre à notre pays de saisir ces possibilités.

Nous faisons en effet face aux mêmes défis qu'impose la concurrence internationale, notamment asiatique. C'est la pérennité de l'ensemble du système de production euro-méditerranéen qui est en cause, ce qui impose le codéveloppement. Le Cercle des Économistes français a évalué à 0,2 % l'impact sur le PIB français d'une plus grande intégration du Maghreb, ce qui dissipe les craintes quant au phénomène de délocalisation dans la région euro-méditerranéenne. Ici, on parle de délocalisation de proximité par rapport à une délocalisation totale, définitive ou lointaine.

La péréquation de coût qui permet une compétitivité globale entre les sites du nord et du sud de la Méditerranée pérennise des milliers d'emplois en Europe. C'est pour cette raison que les professionnels français présents en Tunisie parlent de compétitivité globale entre les sites tunisien et français. On peut dire qu'un emploi créé en Tunisie permet de sauver un emploi en France.

Plusieurs économistes notent que si l'Europe ne veut pas devenir une friche industrielle, son avenir est lié au renforcement de ses liens avec les pays proches et à un plus grand partage des activités de production entre l'Europe et le Maghreb. Plusieurs exemples concrets de retour vers la Tunisie de secteurs comme le textile, les composants automobiles ou les Technologies de l'Information et de la Communication (TIC) l'attestent clairement.

La stratégie économique apparaît ici clairement : il s'agit de faire de la Tunisie un partenaire industriel de l'Europe, et de la France en particulier, en réalisant avec notre région le même type de partenariat qu'ont eu entre eux les pays de l'ASEAN, ou que celui qu'ont connu l'Allemagne et les pays de l'Est dans les années 1990.

Il existe plusieurs raisons pour lesquelles il faut investir et miser sur la Tunisie. Tout d'abord, le cadre macroéconomique apparaît en constante amélioration, avec un écosystème favorable à l'entreprise. En 2018, la croissance a été de 2,8 % et les Investissements Directs à l'Étranger (IDE) ont augmenté. Nous sommes sur la bonne voie, avec des perspectives de croissance de plus de 3 % en 2019 et probablement plus de 4 % en 2020.

On assiste également au retour du textile, secteur en souffrance dans lequel la Tunisie est le pays à avoir enregistré la plus forte hausse parmi tous les fournisseurs méditerranéens de l'Union européenne. Des domaines comme l'agroalimentaire, l'aéronautique, etc., se sont également bien comportés ces derniers mois.

On ne connaît pas suffisamment ici la Tunisie industrielle et technologique. Plus de 3 300 entreprises industrielles européennes sont implantées en Tunisie. C'est le plus grand nombre d'entreprises européennes installées dans un pays du sud de la Méditerranée. Il faut savoir que 51 entreprises européennes opèrent en Tunisie dans le domaine de l'aéronautique, et 255 dans le domaine automobile, ce qui est un chiffre assez élevé comparé à d'autres pays.

Il faut aussi investir en Tunisie pour la qualité des ressources humaines et son aptitude à acquérir de nouvelles compétences pour répondre aux besoins spécifiques exprimés par les entreprises.

Nous avons en effet donné la priorité absolue à l'éducation nationale, à laquelle nous consacrons plus de 17 % du budget tunisien, ce qui constitue un des taux les plus élevés à l'échelle mondiale. Cet effort a permis la mise en place d'un réseau d'universités scientifiques et techniques, d'écoles d'ingénieurs, d'instituts de formation professionnelle, de centres de recherche répartis sur toutes les régions du pays, qui assurent aux entreprises une ressource humaine abondante et de qualité.

Par ailleurs, il est recommandé d'investir en Tunisie en raison de la performance des infrastructures qui hébergent les entreprises. Je rappelle que la Tunisie a mis en place une stratégie ambitieuse en matière de technopôles spécialisés dans différentes activités, tels que les industries mécaniques, électroniques, microélectroniques, agroalimentaires, le textile, les TIC, l'industrie pharmaceutique et les biotechnologies. Tous ces technopôles ont déjà des accords de partenariat avec leurs homologues français.

Enfin, dans un monde en récession démocratique depuis plus de dix ans, la Tunisie apparaît comme une exception. Le G8 a employé l'expression d'« universalité » concernant la Tunisie.

La Tunisie compte bien sûr d'abord sur ses propres forces, mais elle a besoin d'investissements, de financements extérieurs importants pour passer le cap de la transition. Pour la communauté internationale, investir en Tunisie serait rentable et peu coûteux.

Récemment, un article du New York Times recommandait un plus grand appui économique à la Tunisie, indiquant que lorsqu'on parle de guerre, on le fait en milliards d'euros, alors que lorsqu'on parle de développement, on le fait en million d'euros.

Si la Tunisie, aujourd'hui aux avant-postes de la lutte antiterroriste, était menacée, l'Europe le serait probablement également.

Notre plan de développement comprend de nombreux projets dans des secteurs comme les routes, les ports, les aéroports, les zones industrielles, les pôles technologiques, l'informatique, l'exportation et la production pétrolière et gazière, les énergies renouvelables, les télécommunications, mais également dans les secteurs de l'environnement, de la mobilisation des ressources en eau, du transport de l'énergie.

Il faut savoir que l'État investit annuellement environ 2 milliards d'euros dans les infrastructures publiques.

Investir en Tunisie, c'est investir dans la démocratie et dans un nouveau relais de croissance et de compétitivité. En fait, ce que nous demandons à nos amis français, c'est ce que pourrait demander une entreprise à une administration nationale. Soyez rapides, efficaces, faites preuve d'audace. Encore de l'audace, toujours de l'audace, pour citer Danton. L'audace, aujourd'hui, c'est d'aller vers les pays du sud et la Tunisie.

Nul ne doute que la Tunisie traverse une période cruciale de son histoire. Les défis sont nombreux, mais la détermination est entière pour les relever.

Sur le plan politique, la construction démocratique est en marche, malgré les difficultés et les obstacles qu'elle rencontre. Néanmoins, je tiens à affirmer que le choix démocratique est définitivement arrêté et que rien ne pourra nous faire dévier de l'objectif d'une Tunisie juste, prospère et moderne.

Sur le plan économique, les défis sont de taille. Personne ne peut ignorer les pressions sur nos grands équilibres, mais la reprise est là, la croissance aussi, tout comme la trajectoire engagée en matière de réduction des déficits. Ce sont des éléments encourageants dans la mise en oeuvre résolue de notre politique, basée notamment sur les outils que j'ai évoqués. On parle aussi du pacte de compétitivité entre l'État et les principaux secteurs.

Le secteur privé est très dynamique en Tunisie. Il s'engage dans des objectifs d'investissements, d'exportations, d'emplois et d'innovations. C'est une vision ambitieuse de la Tunisie. On devrait pouvoir se situer parmi les 50 économies les plus compétitives du monde d'ici deux à trois ans. Le Gouvernement tunisien s'attache à concevoir et à mettre en oeuvre une politique économique et sociale adaptée, novatrice, au service d'un nouveau modèle de développement qu'on voudrait plus ambitieux internationalement, avec un ancrage par le haut dans la mondialisation, plus inclusif régionalement et socialement, et plus durable écologiquement, les Tunisiens ayant développé une sensibilité importante aux questions environnementales.

Ce modèle de développement mise sur la place d'un État de droit, à la fois social et favorable à l'entreprise, alliant politique publique volontariste et écosystème propice à l'épanouissement du secteur privé, moteur du développement. L'État impulse des stratégies concertées impliquant le public et le privé, dans une forte mobilisation autour d'objectifs ambitieux.

C'est là le projet qu'on voudrait présenter, celui d'une Tunisie ouverte sur son espace géographique naturel, la Méditerranée, le Maghreb, l'Afrique, mais aussi et toujours l'Europe et la France, notre partenaire historique. Sans projet, sans vision, rien de tout cela ne pourra être réalisé.

Nous voulons une Tunisie orientée vers la technologie, l'économie numérique, les énergies renouvelables, l'industrie à haute valeur ajoutée, l'éducation. Nous voulons une Tunisie pépinière de compétences, capable de produire et d'exporter son intelligence et son savoir-faire. Avec nos partenaires, nous visons plus de codéveloppement, moins de sous-traitance. Nous offrons des opportunités et demandons des partenariats solides et valorisants.

La réussite de notre projet suppose de moderniser l'État grâce à la digitalisation, afin qu'il soit plus attractif pour les opérateurs économiques. Nous souhaitons libérer l'initiative privée de manière à permettre aux chefs d'entreprise de développer leurs affaires sans entrave bureaucratique. L'administration doit être plus efficiente et se mettre au service de l'opérateur économique. Bref, nous souhaitons libérer tous ces moteurs de croissance, tout ce potentiel, toute cette énergie, pour assurer un développement durable et juste à toutes les Tunisiennes et à tous les Tunisiens.

Tout est fait pour mobiliser les capacités productives du pays et faire régner la confiance, base de toute relation et de tout développement possible entre nos deux communautés d'affaires. Nous voulons plus d'engagements, plus d'implication pour l'intérêt de la Tunisie, plus de productivité, d'innovations et bien sûr plus de compétitivité internationale.

Je veux dire aux opérateurs économiques ici présents, tunisiens et français, qui ont envie d'investir et d'innover en Tunisie, que nous serons toujours à leurs côtés, à leur écoute pour assurer la réussite de leurs projets. Le succès de cette transition démocratique dépend en grande partie de notre réussite économique et de notre prospérité.

Je suis persuadé enfin que le renforcement des acquis de la coopération bilatérale nécessite le concours de tous - Gouvernement, entreprises, société civile. Le besoin se fait sentir de définir ensemble de nouveaux programmes d'assistance technique et financière répondant aux attentes spécifiques des opérateurs des deux pays. C'est ce à quoi nous nous attelons avec nos collègues français. Il reste bien sûr nombreux défis devant nous, mais la cause est connue.

Notre poète national, Abou El Kacem Chebbi, a écrit, dans La volonté de vivre : « Quand un jour le peuple veut vivre, forcément, le destin lui obéit. Forcément, la nuit se dissipe et forcément les chaînes se brisent ». En 2011, le peuple tunisien a brisé ses chaînes. Aujourd'hui, notre défi, c'est de faire évoluer ce modèle économique tunisien, l'orienter vers plus de valeur ajoutée, plus d'innovations, plus de création de richesses.

Ensemble, nous pouvons y parvenir.


* ( 1 ) Membres du groupe interparlementaire d'amitié France-Tunisie : M. Jean-Pierre Sueur, Président, M. Thierry Carcenac, Vice-président, M. Vincent Delahaye, Vice-président, Mme Catherine Dumas, Vice-présidente, M. Claude Kern, Vice-président, Mme Sylvie Robert, Vice-président, M. Jean-Pierre Vial, Vice-président, M. Jean-Marc Gabouty, Secrétaire, Mme Christine Lavarde, Secrétaire, Mme Christine Prunaud, M. Richard Yung, Mme Nicole Bonnefoy, M. Olivier Cadic, Mme Laurence Cohen, M. Ronan Dantec, M. Jean-Pierre Grand, M. François Grosdidier, M. Charles Guené, M. Loïc Hervé, Mme Mireille Jouve, M. Jean-Yves Leconte, M. Ronan Le Gleut, M. Jean-Pierre Leleux, Mme Catherine Morin-Desailly.

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N° GA 153 - Mai 2019

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