TABLE RONDE 1 - PERSPECTIVES ÉCONOMIQUES ET CLIMAT DES AFFAIRES

Table ronde animée par M. Arnaud FLEURY, journaliste économique

Ont participé à ce débat :

M. Stéphane COLLIAC, Économiste en chef Afrique, Euler Hermes

M. Zied LADHARI, Ministre du Développement, de l'Investissement et de la Coopération internationale de Tunisie

M. Foued LAKHOUA, Président de la Chambre tuniso-française de Commerce et d'Industrie (CTFCI)

Mme Maya BOUREGHDA, Associée au cabinet Jurismed

M. Alexandre RATLE, Président du Comité des Conseillers du commerce extérieur de Tunis

Mme Ombeline BERNARD MANUSSET ALLANT, Directrice générale de Vocalcom Tunisie

M. Arnaud FLEURY - Monsieur Colliac, quel est votre sentiment sur le contexte macroéconomique ?

M. Stéphane COLLIAC - À l'évidence, comme l'a dit le Premier ministre, la croissance s'est accélérée en Tunisie en 2018. Quand on cite les modèles économiques porteurs, on parle généralement du Maroc. Or la croissance des deux économies converge.

Bien que certains secteurs exportateurs, comme le tourisme ou l'agriculture, aient été perturbés par le contexte des attentats, le rebond des exportations est d'autant plus vital que le déficit commercial est assez élevé. Il importe donc de le réduire pour stabiliser la situation macroéconomique du pays.

On n'est toutefois pas revenu à la croissance des exportations qu'on a connue en 2010. La croissance de la production manufacturière, de 0,5 % par an depuis 2013, n'est pas satisfaisante. Il faut l'accroître. Elle était de 3,5 % dans les années 2000. Il faut revenir à cet objectif.

Il faut pour cela davantage de financements et que la croissance s'élargisse à davantage de secteurs. Un retour à 2,8 % serait une bonne chose, mais il faut au moins 5 %. 2,7 %, c'est à peu près le chiffre de la croissance mondiale. La Tunisie a besoin de plus pour réduire le chômage.

Cependant, l'accumulation des déficits commerciaux ces dernières décennies a impliqué une augmentation de la dette. La Tunisie n'a pas bénéficié de suffisamment d'investissements directs à l'étranger (IDE) pour que la croissance reparte.

Certes, la dette a été la bienvenue puisqu'elle a financé les déficits, mais il faut à présent passer à une autre étape, retisser des partenariats plus importants et développer les investissements étrangers. La France a pour objectif de doubler les siens, mais d'autres pays doivent également investir en Tunisie.

Le verre est à moitié vide - ou à moitié plein - en termes de solde budgétaire et de coût de la dette qui a été contractée par le passé et qui doit être remboursée. Or les flux d'intérêt pèsent sur la stratégie du pays. Ils représentent environ 2,8 % du PIB. Du début des années 2000 jusqu'en 2010 environ, on a connu une baisse du service de la dette. Puis il a augmenté à nouveau. On ne peut que souscrire à la stratégie de consolidation budgétaire annoncée pour retrouver des marges de manoeuvre. Il faut aussi faire jouer l'investissement domestique, d'où la stratégie de consolidation budgétaire, qui est un passage obligé.

M. Arnaud FLEURY - Le dinar a baissé. Comment voyez-vous la suite ?

M. Stéphane COLLIAC - Il faut considérer le taux de change et les réserves de change destinées à payer la dette en devises ou les importations.

La difficulté vient du fait que l'accumulation des déficits commerciaux a pesé sur les réserves de change. L'aide du FMI ne suffit pas à les faire remonter. Elles sont à un niveau tendu et il devient difficile de défendre le cours du dinar par rapport à l'euro. Le dinar s'est donc déprécié. Est-ce un problème ?

Il y a forcément un lien entre la dépréciation du dinar et l'inflation, mais on a grâce à cela plus d'investissements étrangers. Des pays comme l'Algérie ou le Maroc maintiennent des taux de change relativement fixes, avec des devises chères. Outre l'investissement dans le système productif, une des stratégies peut consister à avoir des coûts compétitifs.

M. Arnaud FLEURY - Le taux de change pourrait-il monter à 4 dinars pour 1 euro ?

M. Stéphane COLLIAC - Cela dépend de l'horizon. Il ira probablement à 4, mais pas cette année.

La dépréciation du taux de change a pour conséquence l'inflation. C'est une problématique importante, la population continuant de connaître un taux de chômage assez significatif. Cette contrainte ne doit pas être sous-estimée.

Ceci touche également les entreprises. Euler Hermes observe une vingtaine de secteurs dans différents pays, dont la Tunisie, selon différents critères : demande, profitabilité, liquidité, cadre légal. Cette inflation joue à la fois sur la profitabilité et sur la liquidité. La situation des entreprises tunisiennes qui subissent cette inflation est donc tendue.

Cela étant, ce n'est pas parce qu'on a, en moyenne, des problématiques plus fortes qu'on ne bénéficie pas de secteurs porteurs, comme les équipements automobiles, la pharmacie, l'électronique, le commerce de détail.

M. Arnaud FLEURY - On rappelle le déficit très fort de la France en termes de commerce extérieur avec la Tunisie. Les Italiens sont passés devant nous en solde commercial. Tout ceci peut nous faire réfléchir.

Monsieur le Ministre, quelles sont les grandes mesures envisagées par votre Gouvernement pour faciliter le commerce et l'investissement ?

M. Zied LADHARI - Je salue, à l'occasion de ce Forum économique, la mobilisation des opérateurs, qui témoigne de la qualité des relations exceptionnelles que nous entretenons État à État, peuple à peuple, secteur privé à secteur privé.

Tout ce que l'on vient d'entendre cerne le cadre dans lequel le Gouvernement essaie de déployer des réformes très urgentes. Pour savoir où l'on va, il faut savoir d'où l'on vient. Si la Tunisie a mené une révolution en 2011, c'est que la situation économique n'était déjà pas rose.

Une période de transition est en soi porteuse d'un certain nombre de défis, d'incertitudes, d'instabilité à court terme. Ces difficultés ou ces problématiques économiques se compliquent et deviennent plus délicates à traiter.

Depuis huit ans, nous avons parcouru un certain chemin. Nous avons consolidé nos institutions, renforcé l'apprentissage de la démocratie. C'est important pour nous, mais également pour vous en tant que partenaires historiques, mais aussi opérateurs économiques.

La démocratie, in fine , c'est l'État de droit, le respect, les garanties accordées à l'ensemble des citoyens, ainsi qu'aux entreprises et aux opérateurs économiques. Nous avons travaillé pour ce faire sur trois axes.

Le premier axe rejoint les réflexions qui viennent d'être présentées sur le cadre macroéconomique. Rétablir les grands équilibres et assainir les finances publiques constituaient des enjeux importants. Les marges d'intervention, année après année, deviennent de plus en plus étroites.

Le Gouvernement a fait face à une tendance quelque peu « dépensière » ces dernières années eu égard aux aspects sociaux. On revient en 2019 à plus d'orthodoxie. Le déficit 2018 est inférieur à 5 %. On table sur 3,9 % pour 2019. Cette année connaîtra pour la première fois une inversion de la dette et de l'endettement public. Un effort important est réalisé au niveau du déficit commercial.

Le deuxième axe concerne les réformes du cadre juridique, réglementaire et institutionnel. Depuis quelques années, la Tunisie a opéré une quasi-refonte de son système juridique afin de l'ouvrir davantage et d'améliorer la compétitivité et l'attractivité du pays. Nous avons une nouvelle loi de la concurrence, une nouvelle loi sur les partenariats public-privé (PPP), les énergies renouvelables, le droit des faillites, une nouvelle loi bancaire. La loi sur l'investissement a constitué une de nos réformes majeures.

Le troisième axe porte sur l'environnement des affaires et l'interaction entre l'administration et l'entreprise. La Tunisie a lancé un plan d'action sur lequel nous avons travaillé de manière très étroite avec le secteur privé, mais également avec les différentes structures en charge de l'investissement et des affaires de manière générale.

La première phase nous a permis d'effectuer l'année dernière un saut de huit places dans le classement « Doing business » . Nous sommes dans le top 5 africain, dans le top 5 de la région Moyen-Orient et Afrique du Nord, et nous avons gagné 35 à 37 places dans certains classements.

Le classement « Doing business » est un indicateur parmi d'autres mais surtout une référence sur l'effort de réformes entrepris par les pouvoirs publics. Nous sommes en train de travailler sur la deuxième phase, puis aborderons la troisième l'année prochaine.

Nous sommes conscients de l'importance des réformes à entreprendre pour rendre la Tunisie encore plus attractive et compétitive.

Cependant, le pays continue à souffrir d'un déficit d'image lié à la perception du Printemps arabe, même si la Tunisie s'est beaucoup stabilisée depuis. En matière de sécurité, le retour de 8 millions de touristes, dont 800 000 Français, atteste d'un regain de confiance. En 2018, on a compté 147 extensions d'entreprises françaises installées sur place. Ceci démontre que si la perception peut être mitigée de l'extérieur, les opérateurs économiques font confiance au site Tunisie et entreprennent des extensions importantes. Beaucoup d'entreprises envisagent aujourd'hui de créer 4 000 ou 5 000 emplois. Un signe ne trompe pas : nombre de celles qui ont quitté la Tunisie ces dernières années y reviennent en force.

Il faut donc travailler sur l'image, communiquer, discuter, échanger, être sur le terrain, en contact avec les entreprises. Je saisis l'occasion pour saluer toutes les entreprises françaises mobilisées, qui représentent 40 % des entreprises étrangères établies en Tunisie.

1 400 entreprises emploient aujourd'hui 75 000 personnes en Tunisie, et je tiens à saluer le travail de la Chambre tuniso-française et l'ensemble des opérateurs économiques ici présents. Nous sommes à leurs côtés. N'hésitez pas à nous solliciter, à partager avec nous vos préoccupations et vos soucis. Vous avez reçu l'engagement solennel du Chef du Gouvernement que nous vous accompagnerions. C'est un partenariat gagnant-gagnant. Compte tenu des avantages que présente le site Tunisie, on gagnera tous à dynamiser l'investissement français en Tunisie.

M. Arnaud FLEURY - Monsieur Lakhoua quelle est votre appréciation du climat des investissements en Tunisie ?

M. Foued LAKHOUA - En dépit d'un environnement instable ces dernières années, nous sommes arrivés à conserver toutes les entreprises françaises en Tunisie. Très peu de départs ont été enregistrés. Ces 1 400 entreprises emploient 140 000 personnes et sont toujours là. 85 % des entreprises françaises installées en Tunisie y ont réinvesti une partie de leurs bénéfices. C'est dire toute la confiance qu'elles mettent dans le site Tunisie.

Les investissements concernent pour le moment des opérations d'extension, mais également des opérations de création à hauteur d'un tiers.

Il faut relever l'orientation vers de nouveaux secteurs à plus forte valeur ajoutée, comme l'aéronautique, l'automobile, l'électronique, le numérique, la recherche et le développement.

M. Arnaud FLEURY - L'idée est d'être moins dans une logique d'investissements « tournevis », comme on le disait parfois de manière péjorative. Vous commencez à le constater...

M. Foued LAKHOUA - En effet. De plus, la Tunisie, du point de vue de ses investissements, n'est plus considérée comme un site à bas coût, mais comme un réservoir de ressources humaines, compte tenu de tous les diplômés du supérieur dont nous disposons.

Le Chef du Gouvernement a tout à l'heure parlé d'audace. Le Président Macron a souhaité doubler les investissements français en Tunisie. Il faut donc être imaginatif et prévoir les mécanismes pouvant y contribuer, d'autant que, d'après les dernières statistiques, plus de 3 000 ingénieurs informatiques ont quitté la Tunisie en direction de la France et de l'Allemagne. Il faut donc que nos amis français nous aident à créer de l'emploi en Tunisie pour eux.

M. Arnaud FLEURY - Le Premier ministre s'est montré plutôt optimiste quant au climat. Quel est le ressenti de vos membres ?

M. Foued LAKHOUA - On constate certains dysfonctionnements de l'administration, mais c'est tout à fait normal après une révolution. Les procédures se numérisent, les opérations de transfert s'assouplissent. L'administration est en train de réaliser sa propre révolution, et nous espérons qu'elle reviendra à son meilleur niveau d'ici deux à trois ans.

M. Arnaud FLEURY - Madame Boureghda, vous avez monté en Tunisie une structure qui bouscule les codes en matière de conseils juridiques et de droit des affaires.

Qu'en est-il du cadre réglementaire de l'investissement, de la transférabilité des devises et de la modification du régime fiscal des exportations ?

Mme Maya BOUREGHDA - Comme le rappelait Monsieur le Ministre, on assiste depuis quelques années à une véritable inflation législative. Cela représente beaucoup pour l'administration.

Je me concentrerai aujourd'hui sur les lois qui vous intéressent. Une loi sur l'investissement votée en 2016 est entrée en vigueur l'année dernière. Elle comprend plusieurs aspects qui affectent les différents secteurs économiques. Elle a changé la façon d'accéder au marché tunisien.

Auparavant, un certain nombre de secteurs étaient ouverts à l'investissement étranger. On a aujourd'hui changé la façon d'envisager les choses : tout est libre, sauf deux secteurs, où l'investissement est limité à 50 % et où des autorisations sont nécessaires. Les secteurs doivent donc se libéraliser. C'est ce qui est en train de se faire.

L'autre souci concerne l'administration et les procédures. On connaît également cela en France. Il fallait les clarifier et surtout encadrer les délais de réponse de l'administration. La loi prévoit donc un encadrement, et notamment pour la Banque centrale.

L'autre point qui a fait l'objet d'une réforme récente concerne la réglementation des changes. Dans certains pays, lorsqu'on investit en devises, il n'est pas toujours possible de récupérer son argent en devises. Une circulaire a récemment été publiée pour aller plus vite et permettre ce transfert. En général, je conseille de faire les choses dans les règles dès le départ. C'est ensuite bien plus facile.

Un système échappe cependant à la réglementation des changes. Il concerne les sociétés non résidantes, même si on constate une disparition du secteur offshore au niveau fiscal. Une convergence des secteurs doit avoir lieu en 2021, mais ces sociétés n'y sont pas soumises.

M. Arnaud FLEURY - Il s'agit pour l'essentiel de sociétés exportatrices.

Mme Maya BOUREGHDA - On constate également une ouverture au recrutement de cadres étrangers, qui va de pair avec la montée en gamme de l'investissement.

De nouvelles lois arrivent avec des perspectives qui répondent à des phénomènes comme la fuite des ingénieurs. Un cadre en faveur des start-up vient d'être créé. Il se veut très innovant et n'existe pas dans beaucoup de pays.

M. Arnaud FLEURY - Vous avez participé à l'équipe qui a élaboré certaines dispositions de cette loi...

Mme Maya BOUREGHDA - Cette loi a été élaborée en collaboration avec l'administration et les différents intervenants.

Il existe également un projet de code sur le capital-investissement qui va ouvrir la porte à de nouveaux fonds d'investissement en devises, un projet de loi sur le « crowdfunding », et on envisage la modernisation du code des sociétés commerciales favorisant les sociétés par actions simplifiée (SAS), ainsi que de nouveaux instruments financiers qui permettront la structuration de « stock-options » et de « management packages », comme au niveau européen.

M. Arnaud FLEURY - Cette loi sur les start-up est très attendue. On en a beaucoup parlé lors du Forum du Moniteur du Commerce international (Moci) consacré à l'Afrique.

Comment permettre la montée en puissance du numérique ? La Tunisie est souvent citée en exemple en Afrique. Reste à voir comment cela pourra se transformer.

Monsieur Rattle, je voulais revenir sur la convergence fiscale. L'Union européenne estime que la Tunisie n'est pas assez coopérative en la matière et que l' offshore doit s'aligner sur l' onshore . Qu'en pensez-vous ? On sait aussi que l' offshore a permis le formidable développement des exportations tunisiennes.

La convergence et l'éventuelle disparition de ce régime, pour des raisons d'équité, soulève-t-elle l'inquiétude ?

M. Alexandre RATLE - Le régime offshore , avant d'être essentiel aux investisseurs étrangers, est indispensable à la Tunisie. Il concerne 3 000 entreprises mais également 300 000 emplois, multipliés par le nombre de familles qui en dépendent.

Lorsqu'on investit, on prend en compte un ensemble de paramètres. Contrairement à ce que pense le grand public, l'aspect fiscal n'est qu'un des éléments, comme la proximité géographique de la Tunisie, ou la qualité de sa main-d'oeuvre.

Certes, la Tunisie a été mise sur la liste noire européenne des territoires non coopératifs, mais elle doit vraisemblablement en sortir en mars. La convergence doit avoir lieu et on peut le comprendre, mais il y a d'autres possibilités de favoriser l'industrie, que l'Union européenne ne sanctionne pas. Il faut donc être imaginatif et audacieux.

M. Arnaud FLEURY - Comment appréhendez-vous le climat des affaires ? La croissance est confirmée et pourrait atteindre 4 % l'an prochain. Quel est le ressenti des conseillers du commerce extérieur français ?

M. Alexandre RATLE - Au niveau macroéconomique, les chiffres sont discutables. L'économie tunisienne n'est pas entièrement formelle...

M. Arnaud FLEURY - 30 % à 50 % selon les sources.

M. Alexandre RATLE - Peut-être la croissance de la Tunisie se situe-t-elle de ce fait à 3,5 % ou 4 %.

L'économie informelle a cependant des aspects extrêmement négatifs - absence d'impôts affectant le budget, etc. Les chambres syndicales et patronales, le Gouvernement, vont certainement faire en sorte de faire entrer cette économie informelle dans l'économie formelle. D'un point de vue mathématique pur, le réservoir de croissance de la Tunisie est donc peut-être supérieur à ce que l'on en dit.

On sent la reprise sur le plan microéconomique. On est au-delà de l'inflation. Les secteurs exportateurs se portent bien. La compétitivité de la Tunisie se rétablit avec vigueur. Les habitants commencent à voir leur croissance revenir. Le tourisme est de retour. Les signaux sont donc au vert.

M. Arnaud FLEURY - Un équipementier automobile français, Vernicolor, a annoncé il y a trois jours qu'il allait installer une usine en Tunisie en septembre prochain.

Il faut cependant aller encore plus loin...

M. Alexandre RATLE - On envie parfois le Maroc d'avoir Peugeot, mais des entreprises comme Stelia ou Sagemcom ont également réussi à construire des clusters .

Des locomotives sont en train d'arriver. La Tunisie a la capacité et les compétences pour réussir dans ce domaine, qui permettra de structurer l'industrie et de rendre le pays beaucoup plus fort.

M. Arnaud FLEURY - Je me tourne vers Mme Ombeline Bernard Manusset Allant, qui dirige Vocalcom en Tunisie. Votre société développe en France des logiciels pour les centres d'appel et l'expertise en relations clients. Vous êtes sous le régime des entreprises exportatrices.

On a beaucoup parlé des services en Tunisie, qui ont une vraie logique. Peut-on aller plus loin dans l'externalisation ? Quelle est votre stratégie pour l'avenir en Tunisie ?

Mme Ombeline BERNARD MANUSSET ALLANT - Ma société est implantée depuis plusieurs années en Tunisie. Je vous parlerai quant à moi des hommes et des femmes.

Vocalcom a 25 ans. Elle est en Tunisie depuis une quinzaine d'années et bénéficie d'un régime offshore , mais aussi onshore . On commercialise depuis la Tunisie dans le reste de l'Afrique, et on est en train de délocaliser la partie R & D sur la filiale tunisienne. Vocalcom a donc misé sur la Tunisie pour s'attaquer à l'Afrique.

On a commencé à faire de l' offshore . Ce n'est plus le cas aujourd'hui. On a de vraies compétences. La fuite des cerveaux existe dans tous les pays. On doit les retenir et leur proposer des défis intéressants. Les compétences sont très importantes dans le milieu des services et du numérique.

M. Arnaud FLEURY - Peut-on encore monter en gamme ? Les centres d'appel n'ont peut-être plus la réputation qu'ils avaient. L'idée de l'externalisation est de toujours être dans la valorisation. Est-ce possible, alors que la pression salariale est forte ?

Mme Ombeline BERNARD MANUSSET ALLANT - Absolument. On a la capacité d'aller plus loin. Le Premier ministre rappelait que 17 % du budget est attribué à l'éducation. La Tunisie est un exemple pour d'autres pays en termes d'éducation. On n'est donc pas au bout du process . Je pense toutefois qu'on ne fait pas suffisamment de communication ou de marketing, notamment par rapport au Maroc. Nous n'arrivons pas à nous mettre en valeur, alors qu'on a vraiment tout pour y arriver - et bien plus que les Marocains !

M. Arnaud FLEURY - Le « start-up Act » pourrait avoir une dimension forte. Il commence à être mis en avant et la Tunisie doit peut-être communiquer à ce sujet.

Vous avez dit vouloir faire de la recherche et délocaliser. Cela ne va peut-être pas faire plaisir à la France, mais ce serait bon pour la Tunisie...

Mme Ombeline BERNARD MANUSSET ALLANT - Ce serait bon pour les deux pays ! Cela donnerait surtout envie aux jeunes de rester dans le pays. Il ne s'agit pas seulement d'avantages fiscaux, mais aussi de créer de l'emploi dans le pays. Des idées, il y en a, et on sent l'énergie tous les jours sur le terrain, alors qu'on ne l'imagine pas forcément.

M. Arnaud FLEURY - Où en est la numérisation de l'économie tunisienne ?

Mme Ombeline BERNARD MANUSSET ALLANT - Le secteur des technologies de l'information et de la communication (TIC) représente aujourd'hui 11 % du PIB. C'est un secteur dynamique qui a beaucoup évolué. En 2017, on était à 7,2 %. Beaucoup de choses ont été mises en place en matière numérique. Il y aurait des choses à faire s'agissant de la dématérialisation. On n'y est pas encore, mais des décisions ont été prises pour aller en ce sens. C'est assez encourageant.

M. Arnaud FLEURY - Le baromètre affiche un certain optimisme, et on a l'impression que la croissance est bien consolidée pour les années à venir...

M. Foued LAKHOUA - Le tout dernier baromètre a fait apparaître des résultats très positifs. L'évolution est notable à tous les niveaux.

Pour ce qui est des dysfonctionnements de l'administration, l'Instance Supérieure de l'Investissement a pris en charge tous les problèmes afférents aux investisseurs et est en train de les traiter. Un délai maximal de 60 jours a été accordé pour que les administrations traitent les dossiers d'investissement. Tout silence de l'administration au-delà de ce délai équivaut à un consentement.

M. Arnaud FLEURY - Il est intéressant de constater que, globalement, la Tunisie reste dans le sillage du Maroc ou au même niveau pour les années à venir.

M. Stéphane COLLIAC - La croissance revient en effet. Il faut la consolider et passer l'étape du financement, majeure pour la pérenniser.

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