TABLE RONDE 4 - PROJETS PRIORITAIRES DANS LE SECTEUR DES TRANSPORTS

Table ronde animée par M. Arnaud FLEURY, journaliste économique

Ont participé à ce débat :

M. Hichem BEN AHMED, Ministre des Transports de la République de Tunisie

M. Montassar DRAIEF, Directeur Afrique du Nord, de l'Ouest et du Centre Systra

M. Georges SERRE, Conseiller institutionnel du groupe CMA CGM

M. David VERMEERSCH, Directeur Maghreb Bansard

M. Arnaud FLEURY - Monsieur le Ministre, il y a aujourd'hui d'importants projets en Tunisie en matière de transports, comme le port en eaux profondes d'Enfida, l'aéroport de Tunis, la modernisation des autoroutes, ainsi qu'un certain nombre de remises à niveau. Est-on dans une nouvelle phase au cours de laquelle les transports vont devenir prioritaires, le pays retrouvant de l'oxygène ? Quel message voulez-vous faire passer aux entrepreneurs ?

M. Hichem BEN AHMED - Aujourd'hui, la stratégie dans le secteur des transports est surtout fondée sur le développement des transports publics. Ces dernières années, nous avons pris beaucoup de retard en matière d'investissements, d'infrastructures et d'achats de matériels. Plusieurs axes sont actuellement prioritaires : transport public collectif, transport ferroviaire et autres infrastructures recourant aux nouvelles technologies, à travers des projets de partenariats publics-privés (PPD).

En matière maritime, l'un de nos grands projets concerne le port en eaux profondes d'Enfida. C'est un projet structurant, qui va toucher une grande partie de la Tunisie.

M. Arnaud FLEURY - Il est situé entre Tunis et Sfax...

M. Hichem BEN AHMED - Nous faisons tout pour commencer les travaux d'ici la fin de l'année. Nous sommes en train de finaliser l'appel d'offres.

M. Arnaud FLEURY - À combien s'élève ce projet ?

M. Hichem BEN AHMED - Il va dépasser le milliard d'euros.

M. Arnaud FLEURY - C'est considérable !

M. Hichem BEN AHMED - C'est surtout un projet qui va favoriser les échanges commerciaux, car il s'agira en grande partie d'un port de transbordement. On en parle depuis douze ou treize ans.

L'autre grand projet concerne les quais 8 et 9 du port de Radès, à Tunis. Nous avons traversé une période difficile. Un grand nombre de bateaux étaient en rade. Une des solutions passe par ces quais 8 et 9. Les travaux devraient débuter d'ici avril ou mai. Un nouveau système de gestion va voir le jour.

M. Arnaud FLEURY - Un nouvel aéroport est-il nécessaire à Tunis en matière de fret ou de transport des voyageurs ? Ce serait très structurant, mais aussi très cher...

M. Hichem BEN AHMED - Il y a actuellement un souci avec l'aéroport de Tunis-Carthage, qui ne peut normalement dépasser les 5 millions de passagers. Nous avons lancé des consultations pour l'améliorer et en augmenter sa capacité, qui avoisinera 7,5 millions de passagers.

Nous finalisons par ailleurs une étude pour trouver un endroit où construire un nouvel aéroport international, mais ce n'est pas une priorité. L'option est toutefois sur la table.

M. Arnaud FLEURY - On met beaucoup en avant le tramway de Sfax et le Réseau Ferroviaire Rapide (RFR) autour de Tunis. Que voulez-vous dire aux investisseurs concernant les transports publics ?

M. Hichem BEN AHMED - Concernant le métro léger, nous avons finalisé l'avant-projet sommaire (APS). Nous comptons, d'ici trois à quatre mois, finaliser l'avant-projet détaillé (APD) et mettre en place l'appel d'offres pour l'infrastructure et les machines.

M. Arnaud FLEURY - L'idée est-elle de pouvoir dupliquer tout ceci assez rapidement à travers le pays ?

M. Hichem BEN AHMED - Oui. Nous avons un certain retard en la matière. Les grandes villes connaissent une congestion incroyable de la circulation.

Ce qui est important, c'est d'avoir aujourd'hui une vision - Sfax, le RFR, qui va toucher le Grand Tunis. D'autres lignes de métro sont étudiées au niveau du Grand Tunis. On trouve dans le Sahel un dédoublement des voies sur une partie du métro existant. Dans le sud, on finalise une étude concernant le train qui va aller de Tunis à Gafsa en passant par Enfida. Tout ceci est en train de se mettre en place. On développe beaucoup de projets structurants.

M. Arnaud FLEURY - Quel est le message à faire passer aux entreprises françaises ?

M. Hichem BEN AHMED - Les conditions sont réunies pour que tout se déroule dans les temps. Nous sommes dans une phase intéressante. Investir en Tunisie dans ces projets structurants ou dans l'industrie est une très bonne chose.

M. Arnaud FLEURY - Monsieur Draief, quelle est la stratégie de Systra concernant le métro léger de Sfax ? Où en est-on de cet ambitieux chantier ?

M. Montassar DRAIEF - Le projet de métro léger - ou tramway de Sfax - est l'un des projets d'infrastructure ferroviaire les plus importants en Tunisie. Systra est positionné sur ce projet depuis février 2018.

On a remis les études avant-projet sommaire (APS) fin décembre. On est en pleine consultation publique, démarche assez nouvelle en Tunisie : au milieu d'un projet, on consulte les autorités locales mais aussi la population pour le partager avec elles et connaître leur retour.

Les dossiers d'appel d'offres seront prêts début 2020. Il s'agit d'un projet de tramway classique, qui va intéresser beaucoup d'acteurs tunisiens et étrangers.

M. Arnaud FLEURY - Le RFR de Tunis constitue un projet guère facile à mettre en oeuvre. Les choses avancent-elles ?

M. Montassar DRAIEF - Difficilement. Elles reprennent ces derniers mois. Le contexte tunisien n'a en effet plus rien à voir avec ce qui avait cours avant la Révolution - anticipation des expropriations, déviation de réseaux, passation de marchés, etc. Le Grand Tunis présente nombre d'opportunités.

M. Arnaud FLEURY - Vous êtes engagés en matière de smart mobility . Des études stratégiques se mettent en place pour réfléchir à des outils digitalisés. Comment vous positionnez-vous sur cette question en Tunisie ?

M. Montassar DRAIEF - Le rôle du numérique dans le transport, de l'innovation, les nouvelles technologies sont des sujets qui intéressent Systra. La Tunisie est l'un des premiers pays où l'on travaille sur cette thématique. Une étude stratégique pour le compte du ministère des Transports, financée par l'AFD, a pour objectif de définir les orientations stratégiques dans ce domaine. On est quasiment à la fin du projet. Ce genre d'outils peut apporter une grande valeur ajoutée en matière de transports en commun.

M. Arnaud FLEURY - La Tunisie a été choisie comme centre régional par Systra. Pour quelles raisons ?

M. Montassar DRAIEF - La Tunisie est un vivier de compétences en termes de génie civil et d'infrastructures de manière générale, mais aussi en termes d'expertise ferroviaire, ce qui permet d'être compétitif sur un certain nombre de marchés d'Afrique du Nord et d'Afrique de l'Ouest. Des équipes tunisiennes qui travaillent aujourd'hui sur le train express régional (TER) de Dakar nous ont aidés à terminer des projets de ligne grande vitesse (LGV) au Maroc et interviennent aujourd'hui en Algérie.

M. Arnaud FLEURY - Vous pourriez cibler la Libye ?

M. Montassar DRAIEF - On en étudie la possibilité. Un centre de services partagés travaille depuis la Tunisie sur toute la région.

M. Arnaud FLEURY - Monsieur Serre, le monde maritime évolue beaucoup. Il ne s'agit plus de shipping , mais aussi de logistique. Cette évolution s'applique-t-elle à la Tunisie ?

M. Georges SERRE - Je me fais ici le porte-parole de la profession pour remercier le Ministre des efforts qui ont été faits et du dialogue qui a été mis en place pour améliorer le fonctionnement du port de Radès. C'est grâce à cela que nous avons récemment fait de très nombreux progrès.

Le métier change en effet beaucoup. On assiste à une forte consolidation du maritime pur. Nous avons ainsi racheté Contenerships, compagnie maritime qui travaillait dans le nord de l'Europe. Elle fait aujourd'hui des escales en Tunisie, dessert l'est de la Méditerranée et le nord de l'Europe, accélérant les relations entre ces deux parties du monde en matière de transport maritime. Nous servons aujourd'hui le client porte à porte, nous transformant en ensembliers et fournissant un service complet.

La Tunisie fonctionne bien sur ce plan, car les indicateurs y sont très forts. Le trafic des conteneurs a augmenté de 14 % en 2018, particulièrement à l'importation. Le trafic de remorques, qui part de Marseille et dessert les différents ports de Tunisie, a également augmenté de près de 4 %. Enfin, le transport de poissons ou de légumes en conteneurs frigorifuges a quant à lui connu une progression remarquable de près de 35 %.

C'est en fournissant un service complet, avec des assurances et des conteneurs adaptés, qu'on arrive à participer à ce mouvement de développement de la Tunisie.

M. Arnaud Fleury - La stratégie de CMA CGM est-elle de continuer à investir en Tunisie ?

M. Georges SERRE - À court terme, il s'agit d'être sur les nouveaux quais 8 et 9 du port de Radès, mais également d'être présent dans les « ports à sec ». Il existe à cet égard un projet intéressant, celui de la zone d'activité logistique de Ben Gardane, dans le sud, qui aura une vocation à l'exportation, au-delà du Sahara. Des « ports secs » sont également prévus pour désengorger les différents pôles industriels. Nous participerons bien entendu aux études pour le nouveau port Enfida.

M. Arnaud FLEURY - Pourriez-vous y investir ?

M. Georges SERRE - Notre vocation est de mettre la Tunisie au coeur du commerce mondial. Nous rayonnons à partir de ce pays dans les différents hubs du monde entier. Il s'agit de trouver la meilleure formule pour satisfaire le client, par exemple en important le plus rapidement possible de Chine un bien qui va servir à la production en Tunisie. Ce produit va passer par Tanger Med, avant d'arriver en Tunisie.

M. Arnaud FLEURY - Monsieur le Ministre, que répondez-vous au fait qu'Enfida ne soit pas en ligne droite par rapport au canal de Gibraltar à Suez ?

M. Hichem BEN AHMED - Je ne suis pas technicien, mais des études environnementales ont démontré que cet endroit était celui qu'il fallait choisir pour implanter en Tunisie un port en eaux profondes.

M. Arnaud FLEURY - Que mettez-vous en avant dans la compétition avec le port de Tanger Med ?

M. Hichem BEN AHMED - Je suis certain que les entreprises seront au rendez-vous. C'est un service qui peut être intéressant pour les clients.

M. Arnaud FLEURY - Monsieur Serre, voyez-vous une complémentarité entre les deux zones ?

M. Georges SERRE - Il existe aujourd'hui de très grands ports de transbordement, comme Algésiras et Tanger, ou Jebel Ali dans les Émirats arabes unis, qui accueillent des conteneurs de 400 mètres de long. Des conteneurs plus petits interviennent ensuite. Il convient de trouver le meilleur prix pour que la marchandise parvienne le plus vite possible aux clients, afin de pouvoir par exemple monter des usines de voitures. On peut déjà réaliser une partie de l'assemblage grâce au processus de transport et au concept de « port sec ».

M. Arnaud FLEURY - Quel est l'investissement envisagé en Tunisie ?

M. Georges SERRE - Un « port sec » revient aujourd'hui à un investissement de 5 millions d'euros.

M. Arnaud FLEURY - Monsieur Vermeersch, Bansard traite essentiellement des remorques de bateaux. Avez-vous remarqué une augmentation des volumes corroborant la reprise en Tunisie ?

M. David VERMEERSCH - Oui. Nous accompagnons nos clients depuis plus de cinquante ans en matière de solutions opérationnelles dans le transport et la logistique. On voit que le niveau de passage de remorques se maintient et évolue positivement, ce qui traduit un certain dynamisme.

M. Arnaud FLEURY - La clientèle est constituée d'entreprises de transformation qui réexportent ensuite...

M. David VERMEERSCH - En effet. Je suis en quelque sorte le relais des sociétés françaises, pour qui la Tunisie est un lieu de production.

M. Arnaud FLEURY - Que pouvez-vous dire sur les questions de congestion des ports, des douanes et de la dématérialisation des procédures douanières ?

M. David VERMEERSCH - L'amélioration est en cours. Certains points restent cependant à parfaire en matière de douanes. Or on se retrouve aujourd'hui confronté à certains blocages de la douane tunisienne, alors que ces procédures n'existent plus en Europe. Cela entrave la fluidité dont les entreprises françaises ont besoin.

M. Arnaud FLEURY - L'idée pour Bansard est-elle de continuer à investir en Tunisie ?

M. David VERMEERSCH - Notre souhait est d'accompagner nos clients. Nous sommes arrivés en Tunisie il y a cinq ans pour aider des sociétés avec qui nous travaillons beaucoup sur l'Asie, et qui nous ont demandé de leur proposer une solution en Tunisie.

Notre souhait est d'augmenter nos entrepôts, mais l'administration tunisienne doit faciliter notre installation et accompagner le développement des transitaires et des clients français.

M. Arnaud FLEURY - Monsieur le Ministre, ces projets témoignent de la reprise, mais aussi de la nécessité d'accélérer...

M. Hichem BEN AHMED - En effet, le ministère et moi-même sommes à l'entière disposition des entreprises, ainsi que les différentes structures.

Certains PPP peuvent être intéressants pour les entreprises françaises en matière de réalisation et de développement des zones de logistique. Environ 580 hectares seront mis en place au cours des trois à quatre prochaines années, du nord au sud.

J'incite les entreprises françaises à partager ces projets. On constate une vraie reprise en Tunisie en matière économique ou en matière de sécurité. La Tunisie s'ouvre beaucoup aux autres pays d'Afrique.

La Tunisie vient de signer un accord pour faire partie du Marché commun de l'Afrique orientale et australe (COMESA) et exporter sans taxe. Le transport aérien avec l'Afrique, la Libye, l'Algérie, se développe également.

M. Arnaud FLEURY - Sans oublier le Moyen-Orient, où les droits de douane sont quasiment nuls.

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