CONCLUSION

M. Jean-Louis GUIGOU, Président de l'Institut de Prospective Économique du Monde Méditerranéen

Mesdames, Messieurs,

Selon un sondage, 750 chefs d'entreprise du continent africain considèrent la Tunisie comme le pays de la compétitivité et de la croissance. L'optimisme est donc de mise.

La démocratie est par ailleurs un atout que nul autre pays de la rive sud et du Moyen-Orient ne peut revendiquer. Libération de la femme, égalité des droits : la Tunisie est dans la convergence la plus totale !

Très souvent, mes amis tunisiens ont des complexes vis-à-vis de leur voisin marocain ou algérien : taille du pays, démographie, richesses. Ils ont tort ! Dans le monde moderne, les pays ne sont pas grands par leur surface mais par leurs valeurs démocratiques et leur capacité à maintenir des activités de haut niveau.

J'ai beaucoup apprécié les propos du Premier ministre Youssef Chahed au sujet de la proximité géographique. Durant la phase de mondialisation, les entreprises avaient « saucissonné » leur chaîne de valeurs à travers le monde et recherchaient le moindre coût. C'en est fini.

Désormais, les entreprises occidentales de l'OCDE sont obligées de réduire les coûts de transport, garantir la qualité et éviter les phénomènes de dévaluation monétaire. Les Allemands travaillent sur 3 000 ou 4 000 kilomètres. Pour le reste, ils exportent, coproduisent avec les pays de l'Est et vont maintenant le faire avec les pays du Maghreb. Il ne faut plus parler de « délocalisation ». C'est absurde ! La délocalisation, c'est un départ.

En moyenne, 80 % des importations de la Tunisie viennent de France, d'Allemagne, d'Italie et d'Espagne. 85 % des exportations de la Tunisie sont destinées aux quatre mêmes pays européens, et 90 % des investissements directs à l'étranger (IDE) proviennent de France, d'Allemagne, d'Italie et d'Espagne.

Le Premier ministre l'a dit : la Tunisie est peut-être plus intégrée à l'Europe que certains pays européens ! Nous ne sommes plus dans un rapport commercial à court terme, mais dans des rapports de redistribution de l'appareil de production.

On a beaucoup parlé de coproduction en évoquant les IDE, première phase un peu sauvage des relations entre pays : on fait du commerce, puis on réalise des IDE, parfois prédateurs. Les IDE concernent surtout les grands groupes et non les PME, les PMI, ou les entreprises de taille intermédiaire. On n'arrive pas à maîtriser les IDE. Ils vont où ils veulent, et un Gouvernement ne peut s'en servir à des fins stratégiques. 59 % des IDE de Tunisie se trouvent dans le Grand Tunis et accroissent les disparités régionales.

En Tunisie, 27 000 entreprises, sur un total de 34 000, réalisent 80 % des exportations par l' offshore qui n'en disloque pas moins le tissu industriel et reste onéreux sur le plan fiscal. Cela ne peut donc durer.

Nous avons observé ce que font les Chinois et les Japonais vis-à-vis des pays du Sud-Est asiatique. Nous avons observé ce que font les Allemands et les pays de l'Est en termes de coproduction. Un partenaire du sud n'est plus mon client : il devient mon partenaire. On partage la valeur ajoutée, le transfert de technologie.

Les entreprises allemandes recherchent désormais des partenaires pour investir. La coproduction, c'est l'insertion dans des chaînes de valeurs à parts égales. On n'est plus dans des rapports entre dominants et dominés, on a un pied au nord, un pied au sud.

Avec M. Zied Ladhari, ministre du Développement et de la Coopération nationale de Tunisie, nous avons engagé un travail sur un échantillon d'entreprises tunisiennes. Nous allons rendre nos conclusions publiques prochainement. Si ces entreprises tunisiennes travaillaient avec un partenaire européen, elles seraient capables de créer énormément d'emplois. Notre travail est d'identifier ces entreprises tunisiennes.

Avec le Centre des Jeunes Dirigeants d'Entreprises (CJD), nous allons mettre en relation de jeunes entrepreneurs français d'un secteur avec des entreprises tunisiennes d'un autre secteur afin qu'ils se lancent dans la coproduction.

J'en arrive à ma conclusion. Je suis économiste, mais j'aime les visions, la carte, la géographie. De Gaulle souhaitait que l'Europe aille de l'Atlantique à l'Oural. Hassan II parlait du Maroc en disant que ses racines étaient en Afrique et ses ombrages en Europe.

Deux images me viennent à l'esprit. Tout d'abord, la Tunisie a beaucoup d'avance en matière de santé par rapport au Maroc et à l'Algérie. Ne peut-elle un jour devenir la Floride de l'Europe et de l'Afrique ?

Enfin, la Tunisie a de l'avance par rapport au Maroc ou à l'Algérie en matière de techniques de l'information et de la communication, de numérique, de digital. Ne peut-on imaginer, dans dix ans ou quinze ans, qu'elle sera devenue la Californie de l'Europe et de l'Afrique ?

Je vous remercie.

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