TABLE
RONDE 4 -
COMMENT SAISIR CES NOUVELLES OPPORTUNITÉS SUR LE
MARCHÉ JAPONAIS ?
Table ronde animée par M. Arnaud FLEURY, journaliste économique
Ont participé à cette table ronde :
Mme Hélène GUILLEMET, Sous-directrice du commerce international, Direction générale des douanes et des droits indirects
M. Norbert LEURET, Président LVMH Japan K.K, vice-président de la chambre de commerce et d'industrie France-Japon
M. Thierry CHOURAQUI, Président, Bio c'Bon
1. Comment simplifier vos démarches export vers le Japon ?
Mme Hélène GUILLEMET - Nous devons faire en sorte aujourd'hui que la mise en oeuvre soit effective et que le dynamisme porté durant les négociations se concrétise. C'est par la mobilisation, l'acculturation progressive que nous rapprocherons les pratiques qui peuvent encore diverger, non pas par défiance ou par crainte, mais parce que, pour le moment, nous ne nous comprenons pas tout à fait.
Pouvoir bénéficier à l'importation de ce démantèlement des droits de douane constitue un enjeu fondamental. Pour ce faire, il faut démontrer une origine préférentielle. Les produits doivent être labellisés comme originaires de l'Union européenne. Personne ne connaît naturellement leur nomenclature tarifaire, leur règle d'origine. Il faut l'anticiper. Cette démarche n'est pas plus compliquée qu'un processus industriel. Vous devez, produit par produit, identifier la nomenclature tarifaire, c'est-à-dire son code douanier. A ce code est associé un critère d'origine particulier. Les critères d'origine diffèrent d'un accord à l'autre. Si vous entretenez déjà des échanges avec le Canada, vous ne devrez pas forcément appliquer la même règle vis-à-vis du Japon.
L'accord prévoit une nouveauté sur la preuve de cette règle d'origine. Il faut montrer que votre produit a été conçu, fabriqué, produit dans l'Union européenne afin que l'importateur japonais puisse prouver que sa demande d'exonération des droits de douane est fondée. La responsabilité pèse en effet sur l'importateur. Vous devez donc nouer un partenariat avec votre client japonais pour déterminer la façon d'apporter cette preuve d'origine à l'arrivée.
Dans d'autres accords, nous utilisons la base REX qui permet à tout exportateur enregistré de porter ce numéro sur le document commercial avec le critère d'origine. Dès lors, l'importateur n'a pas à déclarer les droits de douane. Cette procédure est bien connue et maîtrisée de nos équipes.
L'accord du Japon introduit une nouveauté avec la notion de connaissance de l'importateur, qui fait porter la preuve de l'origine européenne sur l'importateur. C'est à ce niveau que vous devez anticiper la démarche afin d'apporter à l'importateur japonais les éléments de preuve préalables pour lui permettre d'effectuer cette déclaration. Sur ce point, nous avons encore quelques adaptations à réaliser pour éviter que l'importateur n'exige des informations qui peuvent être couvertes par le secret industriel ou commercial. Dans le contrat commercial, vous devez donc préciser la façon dont vous apporterez cette preuve en vous référant à la règle d'origine prévue dans l'accord pour chacun des produits.
M. Arnaud FLEURY - Que préconisez-vous ? Doit-on faire appel à l'importateur ?
Mme Hélène GUILLEMET - Les deux systèmes sont valables. Le premier dispositif est connu et maîtrisé. Les douanes françaises et japonaises interagissent en cas de doute, si une vérification de l'enregistrement de l'exportateur s'avère nécessaire. Ce système protège donc les opérateurs en termes de secret industriel et commercial.
Le deuxième système est nouveau. Il sera dupliqué dans les prochains accords. Il permet d'instaurer une relation commerciale de confiance, sous réserve de respecter quelques précautions de confidentialité, d'anticipation et de clarification du contrat commercial. Lorsque ce système sera rodé, cette preuve d'origine peut devenir un moyen très fluide d'importer et d'exporter.
Business France a réalisé un travail très important sur le sujet, avec des fiches très pédagogiques. Le site internet de la douane française comporte également une page dédiée à cet accord. Nous avons mis en place une foire aux questions (FAQ) et publié les règles directrices édictées par la Commission européenne. Nous avons explicité la notion de critère d'origine : entière obtention pour les fruits et légumes, matière originaire avec des règles de poids pour les produits alimentaires préparés, la livraison spécifique pour le textile, etc.
L'administration des douanes est implantée sur l'ensemble du territoire national et nous organisons des événements partout en France, avec Business France, les chambres de commerce et d'industrie et la direction générale du Trésor. Les douanes et le Trésor, deux administrations de Bercy, travaillent systématiquement main dans la main pour ce genre d'accords, comme nous l'avons fait pour l'accord avec le Canada.
M. Arnaud FLEURY - Quand disposerons-nous des premières statistiques ?
Mme Hélène GUILLEMET - Nous attendrons six mois pour produire des statistiques fiables et éviter les effets de bord. Nous les comparerons avec la même période de l'année précédente pour les dix grands produits exportés au Japon.
M. Arnaud FLEURY - Avez-vous déjà identifié des augmentations dans les volumes exportés ?
Mme Hélène GUILLEMET - Nous voyons des effets sur le vin, le fromage, les produits cosmétiques. Je peux aussi témoigner de premières difficultés, avec des formalités demandées par les autorités japonaises qui semblent outrepasser les possibilités des entreprises françaises. Nous avons rencontré les mêmes écueils dans les autres accords. Nous recueillons ces témoignages et nous nous retournons vers les comités de suivi de l'accord pour procéder à ces ajustements très naturels. Ces difficultés ne doivent pas conduire pour autant à des frictions ou à une frilosité de la part des entreprises.
2. L'organisation des réseaux de distribution au Japon et conseils aux entreprises
M. Arnaud FLEURY - Le Japon représente 8 % du chiffre d'affaires de LVMH, dont 12 % pour les alcools. Quelle est votre ambition dans ce pays ? L'accord va-t-il modifier votre stratégie ?
M. Norbert LEURET - Je vis dans ce pays depuis 30 ans et j'y prends toujours autant de plaisir. Le groupe LVMH est présent au Japon depuis 41 ans. Les premières bouteilles de cognac Hennessy auraient été exportées au Japon à la fin du XVIII e siècle et nous avons découvert récemment que certaines tiares de la famille impériale avaient été réalisées par la maison Chaumet.
Le Japon représente 8 % du chiffre d'affaires du groupe, soit 3,7 milliards d'euros. Plus de 40 marques sont présentes, dont Louis Vuitton, Dior, etc. L'activité y est extrêmement bouillonnante. J'arrive du salon VivaTech et les innovations de notre stand se révèlent très nombreuses.
M. Arnaud FLEURY - Quelles sont les conséquences de l'APE pour LVMH ?
M. Norbert LEURET - Je tiens à souligner les efforts des administrations françaises et japonaises pour la signature de cet accord après de longues années de négociations. Je dois aussi saluer le travail de notre ambassade qui nous aide beaucoup au Japon.
Cet accord s'avère utile ; il doit stimuler. En réduisant les barrières douanières, il devrait aussi rendre les prix plus attractifs. J'insisterai surtout sur le fait qu'il est plus intéressant qu'avant de venir au Japon. Dans les années 80, tout le monde souhaitait s'y rendre. Au début des années 90, cette bulle a éclaté et deux décennies ont été perdues.
Depuis quelque temps, nous assistons à une période que nous n'avions pas connue depuis longtemps : un marché intéressant, des clients vifs.
Les jeunes de 22-23 ans travaillent. Ils ont connu le tsunami et Fukushima en mars 2011. Ils ont compris que la vie pouvait être courte et ont envie d'en profiter. Je constate une envie d'acheter de nouveaux produits. En outre, les jeunes se marient plus tard, font des enfants plus tard, et consomment davantage. De l'autre côté du spectre, les Japonais peuvent prendre leur retraite à 60 ans. Les entreprises leur versent une indemnité, parfois importante et peu imposée, mais elles les incitent de plus en plus à rester cinq années supplémentaires en leur payant 100 % de leur salaire. Cette population bénéficie donc d'un pouvoir d'achat élevé. Enfin, le Japon change aujourd'hui grâce aux femmes. Elles travaillent beaucoup plus longtemps qu'avant, gagnent de l'argent et le dépensent.
Même s'ils sont de grands travailleurs, les Japonais disposent de beaucoup de temps libre et le shopping constitue un sport national. Cet apport de liquidités et l'impact du tourisme forment un réseau favorable.
M. Arnaud FLEURY - Les réseaux de distribution changent, les importateurs se concentrent et il est devenu beaucoup plus facile d'être distribué au Japon.
M. Norbert LEURET - Les circuits sont plus courts. Lorsqu'un centre commercial se créait autrefois, il était difficile pour une entreprise étrangère de négocier un emplacement directement. Aujourd'hui, les grands réseaux acceptent de traiter avec les entreprises. J'ai longtemps travaillé pour le groupe espagnol Zara et j'ai ouvert 148 magasins au Japon. Les circuits d'exportation se raccourcissent aussi. Bien sûr, le Japon n'est pas un pays simple, mais aucun pays ne l'est. Il faut seulement suivre son dossier.
M. Arnaud FLEURY - Les grandes franchises ont-elles une place au Japon ?
M. Norbert LEURET - Oui. Les franchises ont toute leur place, que ce soit dans le chocolat, la boulangerie. Les Japonais restent très curieux. Les négociations sont longues avec eux, mais une fois la négociation passée, la mise en oeuvre s'effectue rapidement.
Quel partenaire pour quelle stratégie ?
M. Arnaud FLEURY - Vous êtes implantés au Japon et vous avez ouvert votre capital à votre partenaire japonais. Racontez-nous cette belle expérience.
M. Thierry CHOURAQUI - La chaîne Bio c'Bon a été créée voilà 11 ans. Au hasard de pérégrinations, nous avons rencontré le président du groupe AEON. Nous nous sommes entendus. M. Okada a anticipé le développement des produits bio au Japon et nous avons créé une joint-venture à 50/50 ensemble.
En décembre 2016, nous avons donc ouvert le premier magasin 100 % bio au Japon, avec l'idée que les Japonais consommeraient différemment dans les années à venir. A l'époque, le marché du bio représentait 1,6 milliard d'euros contre 8 milliards en France. Nous avons anticipé les modes de consommation des Japonais et nous commençons à la percevoir aujourd'hui. Nos points de vente voient leurs parts de marché progresser de façon tout à fait significative.
Nous sommes également présents en Suisse, en Italie, en Belgique et en Espagne. L'Italie représente notre implantation étrangère la plus importante, avec 16 points de vente, mais le Japon devrait la rattraper rapidement, car nous atteignons déjà 11 points de vente.
M. Arnaud FLEURY - AEON est un géant en Asie.
M. Thierry CHOURAQUI - Bio c'Bon compte 1 400 salariés en France alors qu'AEON en emploie 550 000 dans le monde. Nous avons noué une relation humaine et de proximité qui nous a permis de développer ce partenariat fructueux.
M. Arnaud FLEURY - Le groupe a également pris 20 % de votre capital, ce qui devrait permettre de faire converger vos intérêts encore plus étroitement.
M. Thierry CHOURAQUI - Cette participation prouve notre bonne entente. Le marché évolue fortement, y compris en France, avec des restructurations. Le groupe AEON nous a proposé de devenir notre partenaire en France et nous avons accepté.
M. Arnaud FLEURY - Le fait de vous implanter au Japon avec le concours de ce mastodonte pourrait-il augmenter le nombre de références françaises vendues dans vos magasins ?
M. Thierry CHOURAQUI - Nous avions pour objectif de créer un magasin 100 % bio en respectant les spécificités du consommateur japonais et en lui donnant la possibilité d'acheter ce qu'il recherche, ainsi que des produits français. Aujourd'hui, nous vendons 650 références de produits français au Japon.
M. Arnaud FLEURY - L'accord vous permettra-t-il d'augmenter le nombre de références ? Constatez-vous des difficultés à importer des produits ?
M. Thierry CHOURAQUI - Nous avons réalisé un travail colossal avant l'accord, puisque notre premier magasin a ouvert en décembre 2016. Nous avons dû répondre à des milliers de questions des douanes japonaises afin d'obtenir leur validation et pouvoir vendre nos 650 références. Le bio reste plus coûteux que l'alimentation traditionnelle. De ce point de vue, l'accord nous permettra de pratiquer des prix plus concurrentiels sur les produits que nous exportons et de nous adresser au plus grand nombre.
M. Arnaud FLEURY - Pensez-vous que le bio va exploser au Japon ?
M. Thierry CHOURAQUI - Nous pensons effectivement que les Japonais devraient rattraper très rapidement leur retard. Ils ont pris conscience que la nourriture disponible jusqu'à présent n'était pas nécessairement d'une qualité irréprochable. La traçabilité du bio et les modes de culture devraient inciter les Japonais à se tourner de plus en plus vers ce marché. Nous constatons d'ailleurs dans nos points de vente que de jeunes parents achètent de la nourriture bio pour leurs enfants. Il apparaît essentiel de s'implanter au bon endroit. Sur les zones de chalandise accueillant des familles, nous sommes convaincus que le développement va s'accélérer dans les prochaines années.
M. Arnaud FLEURY - Auriez-vous pu vous implanter seuls sur le marché japonais ?
Thierry CHOURAQUI - Non. Il nous a fallu moins d'une année pour finaliser ce partenariat. Nous n'aurions jamais eu l'idée de nous implanter au Japon sans une démarche conjointe. Il est évident que notre développement est possible, car nous bénéficions du support des structures du groupe AEON.
M. Arnaud FLEURY - L'enjeu consiste donc à mieux faire comprendre et à assurer toujours plus de visibilité sur ces accords. C'est le travail des douanes et de tous les partenaires.
M. Hélène GUILLEMET - Tous les partenaires de la Team Export France sont mobilisés pour que ce marché ouvert devienne un marché d'expansion et de renforcement de la compétitivité des entreprises françaises. La douane française n'assure pas seulement le contrôle. Pour être en confort avec la légalité de flux, il faut la maîtriser, et nous sommes là pour vous aider dans ce partenariat qui offre des débouchés à vos produits.
M. Arnaud FLEURY - Nous espérons que, comme pour la Corée du Sud, cet accord se traduira par une augmentation des volumes français exportés et un rééquilibrage de la balance commerciale. Nous vous souhaitons le meilleur au Japon.