TABLE
RONDE 3 -
QUELLES SONT LES OPPORTUNITÉS SECTORIELLES OFFERTES AUX
ENTREPRISES FRANÇAISES ?
Table ronde animée par M. Arnaud FLEURY, journaliste économique
Ont participé à cette table ronde :
M. Lionel VINCENT, Associé et Managing partner du bureau de Tokyo, LPA-CGR Avocats
M. Bernard VALLAT, Président, Fédération interprofessionnelle des Charcutiers Traiteurs (FICT)
M. Jean-Marc LISNER, Président, Castel Japan K.K
M. Pierre-François LE LOUËT, Président, Fédération Française du Prêt-à-porter féminin
M. Christophe CIZERON, Directeur général adjoint, GL Events
Mme Marion PARADAS, Vice-présidente chargée des relations internationales, Thalès
1. L'agroalimentaire : un secteur prioritaire
M. Lionel VINCENT - Cet accord n'est pas l'accord « voiture contre fromage » pour reprendre l'expression d'un journaliste néo-zélandais. Il développe une approche par les moyens techniques à mettre en oeuvre pour améliorer le libre-échange entre l'Europe et le Japon. Cet accord se compose d'un texte principal de plus de 650 pages et renvoie à d'autres accords liés. Il comporte également un certain nombre d'annexes auxquelles il convient de se référer pour trouver la vérité. Les codes douaniers en constituent la clé d'entrée. Je vous renvoie au dossier documentaire remarquable établi par Business France, qui vous aidera à exploiter cet accord.
L'agroalimentaire représentait un enjeu essentiel pour l'Europe et la France. Il a donné lieu à d'âpres négociations pour aboutir à une solution assez satisfaisante. Ce secteur couvre les vins et spiritueux, les produits carnés, les produits laitiers, les additifs alimentaires, l'épicerie, la confiserie, etc. Il représente 18 % des exportations de la France vers le Japon, dont 550 millions d'euros pour le vin ou 70 millions d'euros pour la viande. Nous pouvons espérer que la mise en oeuvre de cet accord produira des effets importants.
L'accord prévoit des réductions tarifaires immédiates pour 54 % des produits agroalimentaires, notamment le vin, le foie gras, le poisson, les confiseries, etc. Il propose également des réductions tarifaires progressives.
Le Japon est très jaloux de respecter son secteur agricole, avec des lobbys très puissants. Ainsi, le riz n'est pas couvert par cet accord. Sur certains produits sensibles comme les produits laitiers ou carnés, le Japon a souhaité une libéralisation progressive pour ne pas faire souffrir brutalement sa propre industrie. 26 % des produits vont voir leurs tarifs baisser sur 12 ans. Pour 2 % d'entre eux, la baisse interviendra sur 10 ans. Enfin, 18 % des produits, principalement laitiers et carnés, bénéficient d'une réduction des tarifs dans le cadre de quotas.
Les indications géographiques ne bénéficiaient d'aucune protection jusqu'à présent. Les producteurs étaient agacés de trouver de la feta, de la mozzarella ou du camembert d'Hokkaido par exemple. Dans l'accord, 205 indications ont été listées, dont 44 pour la France. Désormais, vous pourrez réclamer qu'un producteur japonais n'utilise pas le terme « camembert » ou « jambon d'Auvergne ». Cette disposition constitue une garantie de provenance du produit mis sur le marché japonais. Elle prévoit néanmoins un sas pour permettre aux entreprises de s'adapter. Elles disposeront ainsi de cinq ans pour changer le nom des produits laitiers et de sept ans pour les produits carnés.
En termes d'effets, la Commission européenne estime que ce traité pourra entraîner une hausse des exportations des produits agroalimentaires préparés de l'Europe vers le Japon de 150 %.
M. Arnaud FLEURY - L'an dernier, j'avais souligné la faiblesse des volumes vendus par la France en comparaison de l'Italie ou de l'Espagne au Japon. Ils étaient 40 fois moins importants que les volumes italiens par exemple. Vous attendez-vous à une amélioration de ces ventes ? Comment la profession se prépare-t-elle pour tirer parti de cet accord ?
M. Bernard VALLAT - Nous sommes optimistes. Le budget alimentaire des Japonais atteint 25 %, contre moins de 15 % en France. L'image de la qualité des produits français est très positive au Japon. Nous sommes capables de mettre en marché 450 recettes de produits de charcuterie contrôlés. Or nos concurrents, avec une gamme beaucoup plus restreinte, performent 10 à 20 fois mieux que nous. Nous remercions l'Union européenne d'avoir financé une campagne pour la promotion des produits charcutiers au Japon avec la Fédération et d'autres partenaires. Durant trois ans, nous pourrons ainsi mettre en oeuvre des programmes de promotion avec des visites de journalistes et d'importateurs en France, des démonstrations dans les supermarchés, etc. Les premiers résultats se révèlent d'ailleurs encourageants. Nous nous attendons aussi à l'impact positif de la coupe du monde de rugby. Nous pouvons nouer une belle alliance avec les producteurs de vins et les fromagers pour cet événement.
M. Arnaud FLEURY - Avez-vous des remontées de producteurs qui ont commencé à exporter grâce au Japon ?
M. Bernard VALLAT - Nous avons déjà observé des frémissements sur le jambon sec et le saucisson. Le démantèlement des 8,5 % de tarifs douaniers s'opèrera néanmoins en 12 ans seulement.
M. Arnaud FLEURY - L'accord permettra-t-il aux produits de charcuterie français de devenir plus compétitifs ? Facilitera-t-il les référencements dans la grande distribution ?
M. Bernard VALLAT - Nous le pensons. Notre programme de promotion est axé sur la grande distribution, les dégustations publiques, les actions dans la presse, les concours de cuisine, les relations avec les chefs cuisiniers, etc. Nous sommes convaincus que ces actions auront un impact important. Je tiens aussi à souligner le contexte favorable créé par l'accord s'agissant des barrières non tarifaires. Le Japon a développé des exigences bien supérieures aux normes internationales. Or cet accord a instauré un contexte de décrispation que nous mettrons à profit, notamment sur les menaces qui pèsent en matière d'épizooties. Jusqu'à aujourd'hui, en effet, un seul cas pouvait ruiner l'ensemble de nos efforts, avec une fermeture totale du marché.
M. Arnaud FLEURY - Un plus grand nombre d'entreprises de charcuterie sera agréé au Japon.
M. Bernard VALLAT - Tout à fait. Il existe un lien évident entre les efforts de promotion et les demandes d'agrément pour répondre à une demande croissante.
M. Arnaud FLEURY - En France, ce secteur représente un chiffre d'affaires de 6 milliards d'euros. Le Japon va-t-il devenir un pays prioritaire pour l'export ?
M. Bernard VALLAT - Il est classé parmi les trois pays prioritaires avec lesquels nous souhaiterions développer nos échanges, avec le Canada et Hong-Kong. Nous remercions tous les partenaires publics qui nous aident à atteindre nos objectifs et nous appelons de nos voeux des alliances solides avec les secteurs du fromage et du vin.
M. Arnaud FLEURY - Avez-vous réfléchi à une action dans le cadre de la coupe du monde de rugby ?
M. Bernard VALLAT - Des entreprises exportatrices de jambon sec ont noué des accords officiels avec la fédération de rugby pour distribuer du jambon de grande qualité aux équipes participantes et à leurs délégations de supporters.
M. Arnaud FLEURY - M. Lisner, vous avez écrit un ouvrage « De Renault à Tokyo, les tribulations d'un entrepreneur français dans l'archipel nippon ». Vous connaissez très bien le Japon. Castel est le numéro un français du vin. En quoi cet accord change-t-il la stratégie du groupe ?
M. Jean-Marc LISNER - Je vis au Japon depuis 33 ans. J'ai commencé dans la décoration intérieure et j'ai repris la direction du groupe Castel voilà six ans. Le groupe vend notamment les Châteaux Castel. La marque Roche Mazet est devenue, depuis l'année dernière, la première marque française en termes de ventes au Japon.
La baisse des droits de douane prévue par cet accord sert notamment les vins d'entrée de gamme, vendus entre 500 et 1 000 yens, soit entre 4 et 8 euros. 80 % des vins vendus au Japon coûtent moins de 1 600 yens, soit 12 euros. En 2015, le Chili avait dépassé les vins français en termes de volumes, même si nous conservions la première place en valeur. Avec l'accord, les importateurs et les producteurs comme nous qui possèdent des marques fortes en France ont réussi, dès le mois de février, à reprendre la main sur le marché japonais. Avec certaines de nos marques, notamment Vieux Papes, nous avons même dépassé la première marque chilienne, Alpaca.
Au-delà de l'accord, ce résultat est aussi le fruit des efforts des fabricants et des importateurs. Au Japon, rien n'est simple. Il faut adapter le produit au marché.
M. Arnaud FLEURY - Aujourd'hui, Castel vend 4 millions de bouteilles. Quelle est votre cible sur cinq ans ?
M. Jean-Marc LISNER - Nous espérons atteindre 5 millions de bouteilles. Ce marché était en perte de vitesse. Les Japonais consomment 3 litres par habitant contre 50 en France et cette consommation n'a pas augmenté depuis cinq ans. Les jeunes Japonais boivent des cocktails et des boissons moins alcoolisées. Le fait de disposer de marques très fortes en France contribue aussi au succès, car les Japonais suivent beaucoup notre marché. Il est beaucoup plus facile de vendre au Japon des produits numéro un en France.
M. Arnaud FLEURY - Le prix public est diminué de 15 %. Vous avez pour stratégie de jouer sur des marques fortes et la publicité en attaquant à la fois la grande distribution, les importateurs, les cavistes.
M. Jean-Marc LISNER - Le Japon est avant tout un pays de bière. Même dans un très grand restaurant, le Japonais boira une bière. Avec l'accord, les rayons de vins ont remplacé les rayons de bières dans les supermarchés. Les prix ont baissé de 100 yens environ et des campagnes ont été lancées dans les supermarchés. Nos importateurs, qui s'étaient concentrés sur les vins chiliens au gré de l'accord entre les deux pays, se tournent aujourd'hui vers les vins français. Ce changement de mentalité est favorable à tous les producteurs, quelle que soit leur taille.
M. Arnaud FLEURY - L'accord profite-t-il aux grandes coopératives concurrentes et aux vignerons indépendants ? Les petits producteurs peuvent-ils trouver leur place sur ce marché ?
M. Jean-Marc LISNER - Tout à fait. Les Japonais étaient présents aux salons Prowein en Allemagne et Vinexpo à Bordeaux. Ils s'intéressent à de petits producteurs. Ils adorent le côté manuel. Ils veulent quelqu'un derrière le vin. Souvent, nous ajoutons sur l'étiquette le portrait du viticulteur. Les petits producteurs peuvent se développer avec la charcuterie et la fromagerie locales. Nous en voyons de plus en plus chez les cavistes au Japon. Cet accord constitue donc une chance pour le vin français et les résultats des trois premiers mois se révèlent très prometteurs.
2. Textile, chaussures, maroquinerie
M. Lionel VINCENT - Nous retrouvons les mêmes mécanismes que dans le secteur précédent : la suppression immédiate des tarifs douaniers pour les produits d'habillement, l'élimination progressive sur 10 ans pour les chaussures et sur 11 ans pour la maroquinerie. L'accord pose toutefois l'exigence des règles d'origine. Pour être éligibles, les produits doivent venir de l'Union européenne. Des tolérances sont accordées. De nombreux producteurs se fournissent dans d'autres pays, comme la Chine ou l'Inde. Le traité admet que le produit contienne jusqu'à 50 % d'éléments ne venant pas de l'Union et jusqu'à 45 % pour la maroquinerie. Pour le textile, l'accord prévoit une règle de double transformation. Il exige que la matière et la conception soient réalisées dans un pays de l'Union européenne.
La règle de non-manipulation est également admise. Si le produit transite par un pays tiers, dans un centre de logistique chargé de fractionner les lots, dès lors qu'il n'est pas porté atteinte à l'intégrité de ce produit, l'exemption des droits continue de s'appliquer. L'étiquetage constituait un véritable enfer, car des étiquettes spécifiques devaient être posées sur chaque pièce, avec un surcoût énorme. Grâce aux négociations, le Japon a adopté des règles standards d'étiquetage, supprimant ces manipulations supplémentaires.
Avec cette exigence de production européenne, les marques bas de gamme qui font produire en Chine, en Inde ou en Afrique du Nord éprouvent forcément plus de difficultés à établir la règle d'origine. Cet accord bénéficiera donc aux marques de luxe et aux petits créateurs. L'Union européenne attend un effet de 220 % sur ce secteur.
M. Arnaud FLEURY - Comment cet accord est-il perçu dans le prêt-à-porter, alors qu'une grande partie des marques françaises ne produisent plus dans l'Union européenne ?
M. Pierre-François LE LOUËT - Je préside également NellyRodi, une agence de conseil en intelligence business créative, implantée à Tokyo depuis 1987.
Le marché japonais de l'habillement représente 73 milliards d'euros, contre 28 milliards d'euros pour le marché français. Il est plus orienté vers le haut de gamme. Certes, la démographie n'est pas très favorable, mais le pouvoir d'achat se révèle important. Le Japon constitue le 12 e client de la France dans ce domaine en 2018, le 9 e pour le prêt-à-porter féminin. La structure de distribution, très différente de la structure française, est plutôt favorable aux petites marques. Les chaînes d'habillement restent assez peu développées. En revanche, les grands magasins et les chaînes de concept store sont privilégiés, ce qui est très favorable aux petites marques françaises et aux marques haut de gamme.
A la fin des années 90, la fédération française du prêt-à-porter féminin a mis en place une opération commerciale renouvelée depuis tous les six mois. « Mode in France » rassemble 60 à 80 marques en janvier et juillet, chaque année, et accueille 1 400 visiteurs sur deux jours. Ces opérations bénéficient beaucoup aux petites marques souhaitant s'ouvrir à un marché japonais extrêmement éclaté, qui affiche le plus fort ratio au monde de magasins indépendants. Ces salons sont subventionnés grâce au DEFI, le centre de promotion et de développement, qui fait l'objet de l'attention du gouvernement actuellement, avec une mission dont nous attendons depuis plusieurs mois les conclusions sur l'avenir des centres de promotion et de développement économique.
M. Arnaud FLEURY - Les grandes marques qui produisent hors Union européenne pourraient-elles envisager de faire revenir leur production en Europe pour exporter vers le marché japonais ?
M. Pierre-François LE LOUËT - La fédération rassemble plus de 600 marques françaises, mais elle ne couvre pas les grands groupes de luxe. Les grandes marques implantées au Japon font beaucoup de « made in France ». Toutes les usines membres de notre fédération connaissent d'ailleurs un vrai développement de leur activité ces dernières années grâce aux marques de luxe qui ont relocalisé une partie de leur production. Elles se fournissent en textiles français, italiens, voire japonais et fabriquent en Europe et en France. De ce point de vue, l'accord constitue une très bonne nouvelle. Il en est de même pour les petites marques qui n'ont pas d'autre choix, compte tenu des volumes, de fabriquer en France.
M. Arnaud FLEURY - Qu'en est-il pour le coeur du marché ?
M. Pierre-François LE LOUËT - Pour celui-ci, la portée de l'accord reste assez limitée, car de nombreux acteurs de la mode française produisent au Maghreb ou dans des pays hors Union européenne.
M. Arnaud FLEURY - Pourraient-ils relocaliser leur production en Europe de l'Est, par exemple, pour bénéficier de l'accord ?
M. Pierre-François LE LOUËT - D'une manière générale, nous observons un mouvement fort de relocalisation du grand export vers l'Europe de l'Est, la Roumanie et la Bulgarie notamment.
M. Arnaud FLEURY - En est-il de même pour les chaussures ?
M. Pierre-François LE LOUËT - Les règles restent assez spécifiques, puisqu'il faut respecter un pourcentage d'éléments dans le produit.
M. Arnaud FLEURY - Comment le contrôle sera-t-il effectué ?
M. Lionel VINCENT - Le contrôle est effectué a priori sur une base documentaire et a posteriori avec des vérifications sur pièces.
M. Pierre-François LE LOUËT - En termes de développement durable, le made in France contribue à améliorer le quotient de responsabilité sociétale des entreprises qui s'y intéressent. Les aspects sociaux et environnementaux sont très bien contrôlés dans notre pays et le Japon est lui-même particulièrement intéressé par les marques qui développent une telle approche. Les entreprises françaises qui souhaitent exporter doivent donc insister fortement sur cette dimension. Le gouvernement y est également très attaché, comme en témoigne la mission confiée cette semaine à François-Henri Pinault sur le développement durable et la mode. Cette question constitue l'une des trois priorités de notre Fédération et nous nous engageons à accompagner les entreprises dans ce mouvement.
3. Infrastructures, marchés publics
M. Lionel VINCENT - Ce sujet était extrêmement important. L'accord prévoit l'extension des marchés publics, avec leur ouverture à des entreprises étrangères. Il emporte la suppression de la clause de sécurité opérationnelle excipée de l'accord sur les marchés publics conclu dans le cadre de l'Organisation mondiale du commerce (OMC). Le Japon en avait adopté une interprétation assez discutable, considérant que le ferroviaire et l'énergie constituaient des domaines dans lesquels il était nécessaire de sauvegarder la souveraineté et la sécurité du pays, compte tenu de sa situation géographique. Il contient aussi des dispositions sur la communication et clarifie les références étrangères admises. Jusqu'alors, les entreprises devaient recourir à des joint-ventures ou des acquisitions dans l'espoir d'acheter des références pour remplir les critères de soumission. Désormais, les entreprises étrangères peuvent faire valoir leurs références, même si celles-ci n'ont pas été acquises au Japon. Enfin, l'accord décrit les modalités de sélection des offres, basées sur la valeur globale de l'offre soumise, avec une dimension qualitative. Les procédures de recours n'ont jamais été très efficaces, mais un effort a été consenti pour les améliorer et permettre un recours auprès du comité des marchés publics et gouvernementaux.
M. Arnaud FLEURY - Les grands groupes français se positionnent-ils déjà sur les marchés publics ?
M. Lionel VINCENT - Oui. Les grands groupes essaient de tirer parti du contenu de cet accord et des entreprises de moindre taille se positionnent aussi aujourd'hui, ce qui se révèle assez nouveau.
M. Arnaud FLEURY - Vinci gère déjà les aéroports d'Osaka et Kobe avec un partenaire japonais. Thalès est-il présent au Japon ?
M. Marion PARADAS - Thalès, leader de l'électronique de sécurité et de défense, est présent au Japon depuis près de 50 ans, essentiellement dans le domaine de la défense, des forces armées terrestres et de la marine. Le groupe s'est diversifié dans le domaine civil. L'acquisition de Gemalto, effective début avril, nous donne une nouvelle étendue de compétence, puisqu'elle double notre chiffre d'affaires au Japon, le portant à 200 millions d'euros (sur un total de 19 milliards d'euros). Ainsi, la sécurité des données va devenir la première activité de Thales au Japon. Nous avons aussi de fortes ambitions dans le transport terrestre, avec la possibilité de concourir aux marchés publics sur le métro de grandes villes, mais aussi sur la cybersécurité des systèmes de transport à l'aune des Jeux olympiques.
M. Arnaud FLEURY - Les Japonais ont longtemps défendu la clause de sécurité pour se protéger de toute concurrence. Sur le sujet, l'accord change-t-il la donne, notamment dans le domaine ferroviaire ?
M. Marion PARADAS - Nous essayons de pénétrer aussi le contrôle aérien. Sur le ferroviaire, l'accord nous permet d'entrer sur le marché japonais, mais il reste un certain nombre de barrières liées à des conditions contractuelles très exigeantes, notamment des clauses de responsabilité illimitées et le passage par des maisons de commerce qui ne les prennent pas en charge. En outre, si la levée de ces clauses concerne les marchés publics, elle ne touche pas les entreprises privées qui pourraient constituer de potentiels clients. La mise en oeuvre de l'accord appelle donc encore un peu de vigilance.
M. Arnaud FLEURY - Les appels d'offres restent aussi très différents de ceux que nous connaissons en France et en Europe.
M. Marion PARADAS - Tout à fait. Lorsqu'un appel d'offres est lancé sur un système de signalisation de métro en Europe, par exemple, il précise dès son lancement les plages de temps dans lesquelles vous pouvez intervenir. Tel n'est pas le cas au Japon. Si vous remportez le contrat, vous pouvez disposer de trois heures d'intervention sur la nuit plutôt que de six, ce qui double la durée de mise en oeuvre du contrat et fait courir des risques de pénalités.
M. Arnaud FLEURY - L'accord ouvre aussi les marchés des villes de plus de 300 000 habitants, des établissements hospitaliers et universitaires, etc.
M. Marion PARADAS - Nous avons passé des accords avec des universités sur les lasers de haute puissance, par exemple. De nombreux domaines sont ouverts, que ce soit la santé, le transport aérien. Travailler avec des entreprises japonaises sur des marchés tiers peut aussi constituer un bon moyen de se développer. Nous avons connu deux beaux exemples, avec le métro de Dubaï, remporté dans le cadre d'un consortium mené par Mitsubishi Heavy Industries et le contrôle aérien des Philippines, en collaboration avec Sumitomo. Ces coopérations pourraient se développer dans le Pacifique, en Australie par exemple.
M. Arnaud FLEURY - En 2010, vous avez perdu le contrat de contrôle aérien. Auriez-vous une chance aujourd'hui si un contrat de ce type était ouvert ?
M. Marion PARADAS - Nous sommes le leader mondial dans ce domaine et nous venons de remporter le contrat One Sky de surveillance aérienne en Australie. Nous entretenons des contacts avec la direction générale de l'aviation civile et son homologue japonais pour rester informés. Il s'agit très certainement d'un sujet d'avenir. Thalès dispose d'une filiale de 150 personnes au Japon.
M. Arnaud FLEURY - GL Events a constitué une filiale au Japon pour les jeux olympiques et a remporté un appel d'offres en joint-venture avec une société japonaise pour gérer un parc d'expositions à Nagoya.
M. Christophe CIZERON - Nous sommes implantés depuis trois ans au Japon. L'un des métiers de notre groupe consiste à accompagner les grands événements. Dans la perspective des Jeux olympiques de Tokyo, nous avons positionné une équipe début 2017 pour travailler sur les infrastructures temporaires et l'accompagnement de l'événement. GL Events constitue l'un des deux groupes dans le monde à pouvoir assurer la capacité d'ensemblier. Sur Rio et Londres, par exemple, nous avons géré 70 % de toutes les infrastructures temporaires.
M. Arnaud FLEURY - Emmenez-vous des entreprises françaises dans votre sillage ?
M. Christophe CIZERON - Oui. Nous sommes impliqués dans la filière « sport » lancée voilà quelques années dans le cadre des contrats de filière. Sur les pelouses ou à la billetterie, nous proposons différents services. La première équipe nous a permis d'identifier cette opportunité sur Nagoya.
Au Japon, le tourisme d'affaires se trouve à une période charnière, avec des ambitions très fortes d'ouverture dans la perspective des Jeux olympiques. La France compte 2,5 millions de surfaces événementielles, contre seulement 400 000 au Japon. La préfecture de Daishi a investi 300 millions de dollars et lancé le premier contrat de concession. Après une première consultation infructueuse auprès des opérateurs japonais, le gouverneur souhaitant une ouverture internationale, nous avons été sollicités pour établir un partenariat majoritaire.
M. l'Ambassadeur m'a signalé que nous étions l'une des premières entreprises à gagner une telle position.
M. Arnaud FLEURY - Le Japon est perçu comme un pays coûteux. Quelles sont vos ambitions du point de vue tarifaire ?
M. Christophe CIZERON - Le Japon privilégiait jusqu'à aujourd'hui la régie intéressée, mais nous avons inventé un nouveau modèle. La pratique des salons est très différente des autres pays d'Asie et du monde. Nous voulons ouvrir le pays à de nouvelles pratiques pour faire évoluer le business model et attirer les exposants internationaux.
M. Arnaud FLEURY - Le Japon libéralise les complexes sportifs, les parcs de loisirs, les casinos, etc. Ces marchés peuvent-ils intéresser des prestataires français ?
M. Christophe CIZERON - Nous avons constitué un club sport au Japon et nous essayons de favoriser les entreprises françaises. Nous développons des stratégies d'alliance avec des entreprises japonaises, car nous constatons que pour réussir dans ce pays, il faut nouer des partenariats sur le temps long.
M. Arnaud FLEURY - Vous avez monté l'une des premiers salons sur l'industrie du futur à Lyon. Avez-vous l'ambition de le dupliquer à Tokyo ?
M. Christophe CIZERON - Le salon Global industrie est organisé en alternance à Paris et Lyon. Il constitue aujourd'hui le deuxième salon européen sur l'industrie après Hanovre et nous sommes très fiers de cette réussite. Nous travaillons avec les services de Mme Péridon à la mise en place d'un Global industrie Japon pour faciliter la venue des industriels français et européens et la présentation de leur savoir-faire. Dans ce parc d'exposition ultra-moderne, nous bénéficions de conditions extrêmement favorables, avec la proximité de l'aéroport de Nagoya et l'existence d'une zone franche. Nous faisons le pari qu'à travers un outil moderne, un modèle économique repensé et des connexions, nous instaurerons une nouvelle porte d'entrée sur le Japon à côté de Tokyo.
M. Lionel VINCENT - Ces trois exemples me semblent extrêmement pertinents. Ce traité constitue un très bon outil concret. Les intervenants doivent néanmoins s'adapter à cette nouveauté. Il faut le comprendre, savoir l'utiliser. Les gouvernements s'y emploient pour essayer de lui donner vie. Il vous revient maintenant de vous en saisir. N'hésitez pas, faites-le.