IV. L'INTÉGRATION EURO-ATLANTIQUE

On entend dire parfois que les Croates veulent souligner qu'ils n'appartiennent pas aux Balkans, qu'ils souhaitent tourner le dos au Sud et ne regarder plus que vers l'Atlantique Nord et l'Union européenne. Ces affirmations sont sans doute exagérées, mais elles traduisent assez bien le sentiment de l'opinion croate qui aspire à rejoindre l'Europe dont la Croatie n'aurait jamais dû être détachée. Le pays se définit d'ailleurs, non sans pertinence, comme la « façade méditerranéenne de l'Europe centrale ».

Tous les interlocuteurs avec lesquels votre délégation s'est entretenue ont manifesté le regret qu'ils éprouvaient de ne plus faire partie du premier groupe des candidats à l'instar de la Slovénie voisine, tout en attribuant cette différence de traitement aux conséquences néfastes de la guerre d'indépendance, évaluées à 37 milliards de dollars. La Croatie figurait en effet à la veille de la guerre en 1990 parmi les pays qui avait les meilleures chances de rejoindre l'Europe communautaire. Aujourd'hui encore un fossé la sépare de ses voisins méridionaux parfois regroupés sous le vocable « Balkans occidentaux » (Bosnie-Herzégovine, Serbie-Monténégro, Macédoine, Albanie). Le PIB de la Croatie équivaut à lui tout seul aux PIB de ces quatre pays qui comptent pourtant ensemble 22 millions d'habitants. Avec un PIB/hab. de 5.140 euros (2001), contre un PIB/hab. moyen de 1.350 euros pour ces quatre pays, la Croatie est aujourd'hui bien plus proche des autres pays candidats, et en dépasse même quelques-uns.

Aussi les répercussions de la guerre ne suffisent-elles pas à expliquer la décision de Bruxelles, qui a reporté à plus tard l'entrée de la Croatie dans l'Union européenne. Les autorités européennes ont mis en avant deux autres obstacles à l'adhésion immédiate de la Croatie à l'Union, à savoir le problème des minorités et celui du Tribunal international de La Haye.

1. La question des minorités

a) Avant la reconnaissance de l'indépendance croate

La première Constitution croate adoptée au lendemain des premières élections libres, promulguée le 22 décembre 1990, ne prévoyait aucune disposition spéciale ni discrimination positive à l'égard des minorités, et notamment de la minorité serbe (12 % de la population), se cantonnant à garantir l'égalité de tous les citoyens croates, sans aucune discrimination.

Une Charte des droits des Serbes et des autres minorités nationales de la République de Croatie fut néanmoins adoptée le 25 juin 1991, c'est-à-dire en même temps que la Déclaration sur la souveraineté et l'indépendance de la République de Croatie qui marqua son émancipation politique de la fédération yougoslave. Entre-temps une rébellion armée des éléments les plus radicaux de la minorité serbe de Croatie, soutenue par l'armée yougoslave aux ordres de Belgrade, avait soustrait à l'autorité de Zagreb près d'un quart du territoire croate. Il s'agissait donc pour le gouvernement croate de donner des gages à la minorité serbe par une Charte qui garantisse leur autonomie culturelle, prévoie une organisation territoriale adaptée et pose les principes de leur représentation proportionnelle dans les assemblées des collectivités territoriales, dispositions censées pouvoir désamorcer le conflit. Il n'en fut rien.

Afin d'obtenir la reconnaissance internationale de son indépendance, et compte tenu de la pression internationale, principalement européenne et notamment celle de la France qui s'est montrée très active et très déterminée sur cette question, la Croatie fut amenée à adopter le 4 décembre 1991 une Loi constitutionnelle qui précise les principes énoncés par la Charte. En vertu de ce texte, il était reconnu aux minorités de Croatie notamment le droit:

- d'utiliser leur langue et leur alphabet comme langue officielle aux côtés du croate dans les municipalités où ils constituent la majorité de la population ;

- d'arborer leurs symboles nationaux aux côtés des symboles nationaux croates dans les municipalités où ils constituent la majorité de la population ;

- à l'enseignement maternel, primaire, secondaire et supérieur dans leur langue maternelle ;

- à une représentation proportionnelle au Sabor (Parlement), au Gouvernement et au sein des plus hautes instances judiciaires pour les minorités représentant plus de 8 % de la population (en l'occurrence la minorité serbe) ;

- à 5 députés pour l'ensemble des minorités ne dépassant pas, séparément, ce seuil (Italiens, Hongrois, Tchèques, Slovaques, Ukrainiens, Allemands, Autrichiens, toute l'ancienne mosaïque ethnique héritée de l'Empire austro-hongrois) ;

- à un statut d'autonomie particulier accordé aux onze municipalités ( opcine ) où les minorités - la minorité serbe en l'occurrence - représentent plus de la moitié de la population. Ce statut prévoit notamment la représentation proportionnelle des minorités au sein des conseils municipaux, des fonctionnaires territoriaux, des instances judiciaires autonomes, des commissariats de police municipaux, des établissements scolaires.

b) La Croatie indépendante mais partiellement occupée

Ces dispositions - jugées conformes aux standards européens en matière de protection des droits des minorités par la Commission d'arbitrage présidée par notre collègue M. Robert Badinter - ouvrirent la voie à la reconnaissance de l'indépendance de la Croatie par la Communauté européenne, devenue officielle dès le mois suivant, le 15 janvier 1992.

Un amendement voté le 8 mai 1992 autorisa ensuite le regroupement des municipalités autonomes en districts autonomes ( kotarevi ), afin de prendre en compte le fait que les onze municipalités à population à majorité serbe constituaient deux espaces connexes, de respectivement cinq et six municipalités. Il prévoyait également des mesures complémentaires qui visaient à faciliter aux citoyens croates de souche serbe l'accès aux postes de responsabilité sur l'ensemble du territoire croate, en dehors des deux districts, eu égard au fait que ceux-ci n'abritaient en 1991 que 145 000 Serbes, c'est-à-dire un quart de la minorité serbe de Croatie, tandis que la grande majorité de celle-ci résidait dans les principales villes de Croatie, où elle constituait une population très minoritaire.

Ces districts ayant été occupés par l'armée serbe de 1991 à 1995 et soustraits de fait à la juridiction croate, la Loi constitutionnelle relative au statut des minorités n'a toutefois pas pu y être appliquée.

c) Après la reconquête de 1995

Au lendemain de la reconquête militaire de ces territoires par l'armée croate, en août 1995, la quasi totalité des Serbes de souche a fui dans le sillage des troupes serbes vaincues. D'autre part, le retour des 120 000 Croates et autres minorités chassés de cette région par les milices serbes en 1991 nécessitait du temps et la mise en place dans vaste programme de reconstruction et de déminage. Aussi le gouvernement croate en a-t-il provisoirement suspendu l'application, le 20 septembre 1995, faute de pouvoir la mettre en oeuvre dans une région sinistrée et désormais quasiment inhabitée.

Selon les amendements à la loi électorale en date du 21 septembre 1995, sur l'ensemble de 127 députés élus au Sabor, 8 députés sont appelés à représenter les minorités nationales, soit 3 députés pour la minorité serbe, 1 député pour la minorité hongroise, ainsi que pour la minorité italienne, et enfin trois député répartis à raison de un pour chacun des trois groupes de minorités suivantes : tchèque et slovaque, ruthène et ukrainienne, et, enfin, allemande et autrichienne.

Une nouvelle loi électorale votée le 29 octobre 1999 a de nouveau modifié cette répartition. Ainsi le Parlement est désormais composé de 151 membres élus pour 4 ans au suffrage universel direct (scrutin proportionnel) : 140 députés représentent les Croates de Croatie, 5 députés les minorités ethniques (1 serbe, 1 italien, 1 hongrois, 1 tchèque et slovaque et 1 représentant d'autres minorités) et 6 députés représentent les Croates de l'étranger (ce nombre, variable, est fixé proportionnellement, en divisant le nombre de votants par le nombre moyen de suffrages obtenu en métropole par député, permettant ainsi une égale représentation au Parlement des Croates de métropole et de ceux de l'étranger).

d) Le tournant politique de 2000

Après la défaite aux élections législatives de janvier 2000 et la victoire de la coalition de centre-gauche conduite par le SDP et le HSLS, la Loi constitutionnelle de 1991 relative au statut des minorités fut amendée le 11 mai 2000, en attendant d'être révisée. Ces modifications supprimèrent définitivement les districts et municipalités autonomes, et par voie de conséquence, le régime territorial de représentation proportionnelle des minorités, aussi bien dans les instances politiques et judiciaires locales, les administrations que dans l'enseignement. Il fut cependant décidé que soit rétabli, après publication des résultats du recensement de la population de 2001, le seuil de 8 % au-delà duquel le poids d'une minorité nationale lui donne le droit à une représentation proportionnelle au Sabor. L'ensemble des minorités représentant séparément moins de 8 % de la population obtenaient, quant à elles, un nombre de député compris entre cinq et sept, selon les dispositions de la loi électorale.

De même les deux lois votées le 6 avril 2001, l'une, relative au statut des collectivités territoriales (municipalités et régions), l'autre, relative aux élections municipales et régionales, ont pris acte de cette harmonisation administrative, fixant les mêmes règles sur l'ensemble du territoire.

e) 2002 : une nouvelle Loi constitutionnelle sur les droits des minorités

Au terme de vifs débats, le Sabor, résolu à se conformer aux exigences de Bruxelles et de l'OSCE, est parvenu à voter, le 13 décembre 2002, une nouvelle Loi constitutionnelle relative aux droits des minorités nationales, publiée dans le Journal officiel du 19 décembre 2002. A l'instar de la loi constitutionnelle de 1991, celle-ci reprend également à son compte la plupart des textes fondamentaux en la matière (Charte de l'ONU, Déclaration universelle des droits de l'homme, Acte final de l'OSCE, Convention du Conseil de l'Europe sur la protection des droits de l'homme et des libertés fondamentales, etc.) - (Art. 1).

La Loi réaffirme que la Croatie rejette (Art. 2) et interdit (Art. 4) toute forme de discrimination et précise que la protection des minorités fait partie intégrante de l'ordre démocratique établi en Croatie (Art. 3), ce que garantissent la Constitution et la Loi constitutionnelle (Art. 4).

Les minorités nationales jouissent notamment du droit :

- d'utiliser leur langue et leur alphabet, en privé, en public ainsi qu'en tant que langue officielle (dans les documents d'état civil, lorsque la minorité concernée représente plus du tiers de la population municipale ou sur les panneaux d'indication publics [toponymes, noms de rues] dans les localités où les minorités constituent une population « importante ») ;

- à l'enseignement et à l'éducation dans leur langue maternelle (programmes et établissements scolaires spécifiques, personnel enseignant spécialisé) ;

- à l'usage de leurs symboles nationaux (drapeau, armoiries, hymne) aux côtés des symboles nationaux croates dans les municipalités où ils constituent la majorité de la population ;

- à l'autonomie culturelle ;

- à affirmer leur appartenance religieuse notamment au travers d'associations à caractère religieux ;

- à être représentées dans les instances représentatives au niveau local et national, ainsi que dans l'administration et les instances judiciaires ;

- à prendre une part active dans la vie publique par le biais des Comités et des représentants des minorités nationales ;

- d'entretenir librement toute relation avec leur mère patrie ;

- à être préservés de toute menace qui viserait à restreindre ces droits.

Le service audiovisuel public veillera à diffuser des émissions permettant à un large public de mieux connaître les us et coutumes des différentes minorités nationales (Art. 18).

Il est garantit aux membres des minorités nationales une représentation au Parlement, comprise entre cinq et huit députés. Les minorités nationales qui constituent plus de 1,5 % de la population (en l'occurrence uniquement la minorité serbe) sont représentées par au moins un et au plus trois députés, étant entendu que les minorités nationales qui constituent séparément moins de 1,5 % de la population (soit toutes les autres minorités) doivent être représentées par au moins quatre députés (Art. 19).


COMPOSITION ETHNIQUE DE LA POPULATION CROATE
(recensement de 2001)

Population

Nbre d'hab.

%

Croates

3 977 171

89,63

Serbes

201 631

4,54

Bosniaques

20 755

0,47

Italiens

19 635

0,44

Hongrois

15 595

0,37

Albanais

15 082

0,34

Slovènes

13 137

0,30

Autres

174 454

3,93

TOTAL

4 437 460

100

Il est par ailleurs garanti aux membres des minorités nationales une représentation au niveau des collectivités territoriales (conseils municipaux et assemblées régionales) - Art. 20.

Dans les municipalités où une minorité nationale au moins représente entre 5 % et 15 % de la population, la loi électorale veillera, si la condition n'est pas remplie après les élections, à ce qu'au minimum un représentant de l'une de ces minorités entre au conseil municipal.

Dans les municipalités où une minorité nationale dépasse le seuil de 15 % de la population, la loi électorale veillera, si la condition n'est pas remplie après les élections, à ce qu'il entre au conseil municipal autant de représentants que nécessaire de chacune des minorités concernées jusqu'à ce soit reflété leur poids respectif dans la population municipale.

Dans les régions où une minorité nationale dépasse le seuil de 5 % de la population, la loi électorale veillera, si la condition n'est pas remplie après les élections, à ce qu'il entre à l'assemblée régionale autant de représentants que nécessaire de chacune des minorités concernées jusqu'à ce soit reflété leur poids respectif dans la population de la région. Le dernier recensement de la population étant le document de référence (Art. 20).

Dans les collectivités territoriales où les minorités nationales bénéficient d'une représentation proportionnelle dans les conseils municipaux ou assemblées régionales, ce droit s'étend également aux instances exécutives.

Au niveau national, on veillera à une représentation adéquate des minorités nationales dans l'administration et les instances judiciaires, ainsi que dans les services déconcentrés et décentralisés. A compétences égales, priorité est donnée aux membres des minorités nationales (Art. 23).

Dans les municipalités où les minorités nationales représentent plus de 1,5 % de la population ou plus de 200 personnes, ainsi que dans les régions où elles représentent plus de 500 personnes, il est institué un Comité de la minorité nationale. Dans les collectivités territoriales où résident au moins 100 membres de minorités nationales, il est procédé à l'élection d'un représentant de la minorité nationale. Le Comité ou le représentant représentent la minorité nationale auprès des instances locales et peuvent leur soumettre leurs avis, propositions ou doléances.

Au niveau national, plusieurs Conseils peuvent instituer une Coordination nationale.

Il est créé au niveau national un Conseil des minorités nationales dont la mission consiste à promouvoir le rôle des minorités nationales dans la vie publique de la République de Croatie. Le Conseil, composé douze membres (sept proposés par les Comités des minorités et cinq personnalités éminentes représentatives de ces minorités) peut soumettre ses avis, propositions ou doléances au gouvernement. Il gère et distribue les fonds publics alloués aux minorités nationales. Les Comités, les représentants des minorités nationales ainsi que Conseil des minorités nationales peut saisir le Conseil constitutionnel s'il le juge nécessaire.

Au moins une fois par an le gouvernement soumet au Parlement un rapport sur la mise en oeuvre des dispositions de la Loi constitutionnelle sur les minorités ; le Conseil des minorités nationales soumet quant à lui un rapport semestriel au Parlement.

f) La loi électorale

Afin d'achever l'harmonisation législative, le Parlement a voté le 2 avril 1993 des amendements à la loi électorale relative aux élections législatives. Ceux-ci précisent les dispositions de l'article 19 de la Loi constitutionnelle sur les minorités  nationales qui fixent le nombre des représentants parlementaires des minorités nationales au Sabor. Dorénavant le nombre de députés représentant les minorités nationales au Parlement est fixé à 8 :

- 3 députés représentant la minorité serbe ;

- 1 député représentant la minorité hongroise ;

- 1 député représentant la minorité italienne ;

- 1 député représentant les minorités tchèque et slovaque ;

- 1 député représentant les minorités autrichienne, bulgare, allemande, polonaise, rom, roumaine, ruthène, russe, turque, ukrainienne, valaque et juive ;

- 1 député représentant les minorités albanaise, bosniaque, monténégrine, macédonienne et slovène ;

g) Les minorités et la question des réfugiés

La question des minorités est indirectement liée à celle des réfugiés. Elle se complique du fait des mouvements de populations consécutifs à la guerre : la question du retour des derniers réfugiés serbes est ralentie par le fait que leurs maisons nécessitent pour partie d'être reconstruites lorsqu'elles ne sont pas occupées à titre provisoire par les réfugiés croates chassés de Bosnie qu'il faut reloger faute d'espoir de retour en zone serbe de Bosnie.

Le gouvernement croate a d'ores et déjà accompli beaucoup d'efforts sur cette question qui est à présent en grande partie résolue. A ce jour plus de 306 000 réfugiés ou déplacés ont pu rentrer chez eux en Croatie, dont 98 000 citoyens de souche serbe. D'autre part, moins de 27 000 réfugiés, dont une moitié de Serbes attendent encore de pouvoir retourner chez eux, beaucoup de Serbes n'ayant pas déposé de demande de retour. Il serait en effet illusoire d'espérer que tous les réfugiés serbes de Croatie aspirent au retour, sachant que la jeune génération a déjà opté pour une installation en Bosnie ou en Serbie et que si les plus âgés aimeraient revenir mourir chez eux, beaucoup craignent de retrouver leurs biens occupés ou détruits et leurs champs minés.

2. Les relations de la Croatie avec le Tribunal pénal international de La Haye

Lors de la mission de la délégation en Croatie, le Parlement croate s'est réuni d'urgence lorsque est tombée la nouvelle que le Général Bobetko était mis en examen par le Tribunal pénal international de La Haye. L'opinion publique et la grande majorité de la classe politique se sont insurgées contre cette mise en examen d'un héros de la guerre d'indépendance, homme de 83 ans qui s'était auparavant illustré dans la lutte contre le fascisme sous le gouvernement pro-hiltérien et qui a également participé à l'insurrection de 1971 contre la dictature communiste. A cette occasion, le HSP a solennellement demandé la modification de l'accord liant la Croatie au Tribunal et il a exigé que chaque demande de comparution du Tribunal fasse dorénavant l'objet d'une approbation du Sabor.

Cet épisode que votre délégation a vécu sur le vif illustre parfaitement l'incompréhension qui existe entre une certaine « Europe occidentale » (Bruxelles avec l'UE, Strasbourg avec le Conseil de l'Europe et La Haye avec le Tribunal pénal international) et la Croatie nouvellement libre, indépendante et démocratique sortie d'une guerre douloureuse. Cependant cet épisode embarrassant pour le gouvernement croate a trouvé sa conclusion dans la mort du Général Bobetko en avril dernier. Les funérailles de ce héros national ont donné lieu à un grand rassemblement empreint de ferveur nationale.

Pourtant, dès son arrivée au pouvoir, le nouveau Gouvernement de M. Racan a annoncé que Zagreb reconnaissait la compétence du Tribunal de La Haye pour les crimes de guerre commis pendant et après les opérations de reconquête du territoire croate détenu par les Serbes. Le Président Mesic, que votre délégation a rencontré, défend la même ligne politique. Lors de l'audience que le Président a accordée à la délégation, il a indiqué qu'il considérait que l'idée de « responsabilité collective » troublait les esprits. A ses yeux, les Serbes étaient certes responsables de ce qui avait été fait aux Croates, les Croates responsables de ce qui avait été fait aux Serbes, toutes proportions gardées, et les deux responsables de ce qui avait été fait aux Bosniaques. Mais il fallait toutefois, selon lui, rappeler que la guerre menée par les Croates était une guerre de légitime défense et que si certains crimes avaient été commis en Croatie, il convenait maintenant que quelqu'un en assume la responsabilité et non pas la collectivité.

Le Président Mesic a clairement déclaré que lorsqu'un crime de guerre est commis, soit la hiérarchie l'ignorait et elle doit le prouver, soit elle ne l'ignorait pas et elle l'a couvert et alors elle doit en répondre aujourd'hui.

Cette position n'est pas partagée par l'opinion croate qui reste très critique à l'égard du Tribunal pénal international. L'inculpation des héros croates tels que Bobetko reste perçue comme une inadmissible mise sur un pied d'égalité de l'agresseur serbe et de sa victime croate.

3. L'entrée dans l'OTAN

C'est dans cette atmosphère que se déroulent les préparatifs de l'entrée de la Croatie dans l'OTAN. Comme dans le cas de la Pologne et de la République Tchèque, l'adhésion à l'OTAN a toutes chances de se faire avant l'adhésion à l'Union européenne, ce que les Croates ne manquent pas de faire remarquer à leurs interlocuteurs étrangers.

Les Croates vont même jusqu'à sous-entendre qu'ils sont encore plus attachés à l'OTAN qu'à l'Union européenne. Il est de fait que l'entrée de la Croatie dans l'OTAN représentera le double avantage de rendre accessibles les quelque 5.000 kilomètres de côtes croates à la 6 e flotte américaine, ainsi qu'un remarquable marché d'équipement militaire. Les Américains ont d'ailleurs entamé une coopération technique très généreuse à l'égard des Croates. Il convient de rappeler toutefois que l'armée croate bien que victorieuse sort d'une guerre qui l'a laissée exsangue, trop nombreuse, mal payée, humiliée par le Tribunal international et dotée d'un matériel hors d'état de marche ou obsolète dans le meilleur des cas. Enfin, il existe une convergence de vues entre les Américains et l'opinion publique croate sur le Tribunal pénal international. Les Etats-Unis sont d'ailleurs prêts à aider la Croatie à restaurer l'ordre judiciaire de telle manière que la Croatie puisse juger ses criminels de guerre sans passer sous les fourches caudines du Tribunal de La Haye.

4. L'adhésion à l'Union européenne

Si l'adhésion à l'OTAN peut constituer une satisfaction diplomatique, l'adhésion à l'Union européenne constitue malgré tout un enjeu économique indéniable et une nécessité plus évidente.

Le 29 octobre 2001, un accord de stabilisation et d'association (ASA) a été signé. La Croatie qui l'a ratifié le 30 janvier 2002, est entrée dans un processus désormais irréversible de rapprochement avec l'Union européenne. La France a ratifié à son tour cet accord le 12 mars 2003 (Journal officiel du 13 mars 2003).

Le processus de stabilisation et d'association s'articule autour de cinq volets essentiels : les réformes démocratiques, le respect des droits des minorités, la collaboration avec le Tribunal pénal international, les réformes économiques et le développement de la coopération régionale. En outre, la Croatie a lancé un programme de lutte contre la corruption et d'indépendance des médias.

Dans le domaine des réformes, la Croatie a montré qu'elle pouvait se doter d'institutions démocratiques stables. Il lui reste à parachever la réforme du système judiciaire et le processus de décentralisation. Le projet de loi sur les droits des minorités respecte les principes exigés par Bruxelles et le Conseil de l'Europe, même si la question des réfugiés de part et d'autre de la nouvelle frontière reste entière. Elle demandera sans doute du temps et une approche au cas par cas. La collaboration avec le Tribunal pénal international est certes délicate, mais chaque crise a pu être dénouée.

Les réformes économiques passent par des mesures drastiques : suppression d'ici mars 2003 de 10.000 postes de fonctionnaires, diminution de 10 % du traitement de la fonction publique et fermeture des entreprises d'Etat non compétitives, réduction de certaines prestations sociales, en vue de réduire le déficit budgétaire.

Malgré cette feuille de route très exigeante, la Croatie se fait fort d'être prête pour l'adhésion en 2007, bien qu'aujourd'hui, aucune date n'ait encore été fixée.

La Croatie est d'ailleurs particulièrement affectée par l'exigence, indirectement formulée par certains au sein de l'UE, d'imposer un regroupement des pays des Balkans comme préalable à l'adhésion. La Croatie défend à juste titre l'approche individuelle qui permet à chaque pays d'entrer quand il est prêt, approche qui a prévalu dans le passé pour son voisin immédiat, la Slovénie. Pour souhaitable que soit le développement de bonnes relations entre les pays de l'ancienne fédération communiste, il ne doit pas être un préalable à l'intégration d'un pays normalement développé et déjà doté des atouts nécessaires à sa bonne intégration dans le concert des nations européennes.

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