B. UNE CIVILISATION À PART ENTIÈRE

La culture tibétaine ne constitue certainement pas une variante locale de la culture chinoise, mais bien une civilisation à part entière qui possède en propre sa littérature, son architecture, son art et sa religion 1 ( * ) . Cette civilisation a bien sûr subi l'influence de ses grandes voisines, essentiellement la civilisation indienne et, dans une moindre mesure, la civilisation chinoise. Ces influences ne valent pas appartenance. Ainsi, bien plus que les Tibétains, les Japonais se sont nourris au cours des siècles de la civilisation chinoise : leur pays n'est pas devenu une province chinoise pour autant.

L'origine lointaine des Tibétains est méconnue mais, selon les données de l'archéologie et de l'anthropologie, résulte d'un brassage de populations variées, avec une dominante mongoloïde. La langue tibétaine commune, qui sert de lingua franca entre les différents dialectes, s'est constituée au VII ème siècle et n'a pratiquement pas varié depuis. Elle se rattache au groupe linguistique du tibéto-birman. A la différence du chinois, elle ne s'écrit pas avec des idéogrammes, mais avec un alphabet d'inspiration indienne. Cette langue sert de support à un immense corpus d'oeuvres littéraires, historiques et religieuses.

La civilisation tibétaine connut son apogée militaire au VII ème et VIII ème siècle. A l'époque, l'empire tibétain forgé par les armes s'étendait de la capitale chinoise Chang'an - qui fut même brièvement occupée par les Tibétains en 763 - à l'Est, au Pamir et à Samarcande à l'Ouest, aux plaines de l'Inde au Sud, et aux oasis d'Asie centrale au nord. Le roi Song-tsen Gampo veilla à contracter une alliance matrimoniale avec la Chine, en épousant une princesse chinoise. Certains historiens chinois datent d'ailleurs de ce mariage le « rattachement » du Tibet à la chine, ignorant délibérément que le souverain tibétain épousa également une princesse népalaise, ainsi qu'un certain nombre de femmes issues de clans tibétains, et que l'on ne peut de bonne foi y voir un acte d'allégeance.

Comme chacun sait, la civilisation tibétaine est inséparable du bouddhisme, même si cette religion n'est pas la seule pratiquée par les Tibétains : 10 % d'entre eux environ sont restés fidèles à la religion originelle tibétaine, le Bön , et il existe une petite minorité de Tibétains musulmans. Le bouddhisme est né en Inde au V ème siècle avant Jésus Christ, d'où il s'est diffusé d'abord en Chine, puis au Tibet. Cette origine explique d'ailleurs qu'il ait été parfois dénoncé par les autorités chinoises comme une « religion étrangère ».

Le bouddhisme s'est répandu au Tibet, à partir du Vème siècle, dans un premier temps par la prédication de moines venus simultanément de Chine et d'Inde. Mais, une fois qu'il fut devenu religion d'Etat, les souverains tibétains voulurent choisir la « meilleure » école du bouddhisme. Le roi Trisong Dhe-u Tsen organisa donc un débat entre un moine indien, Kamalashila, et un moine chinois, Hoshang. La « controverse de Samyé » dura deux ans, de 792 à 794. A la fin, Kamalashila fut déclaré vainqueur et le roi tibétain promulgua un décret instituant la voie indienne comme foi orthodoxe du Tibet. Les moines chinois furent interdits de prédication et invités à regagner leur pays.

Le bouddhisme tibétain se rattache au Mahayana, ou voie du Grand véhicule, variante du bouddhisme selon laquelle l'éveil de l'individu passe par la compassion pour tous les autres êtres sensibles. Il intègre la dimension du tantrisme, voie spirituelle ésotérique commune à l'hindouisme et au bouddhisme. Le bouddhisme tibétain se caractérise aussi par l'importance du rôle joué par le monachisme et par son organisation en écoles, fondées chacune autour d'une personnalité charismatique historique et de ses enseignements transmis oralement par des générations de maîtres spirituels, ou lamas. Le Dalaï-Lama n'est que le hiérarque le plus éminent de l'école guélougpa . Sur un plan strictement religieux, il n'a pas autorité sur les autres écoles bouddhiques.

Le bouddhisme tibétain est d'autant plus précieux qu'il joue le rôle de conservatoire pour le vaste canon du bouddhisme indien, traduit du sanscrit en tibétain, longtemps après que cette religion a quasiment disparu dans sa patrie d'origine, sous l'effet du renouveau de l'hindouisme puis des invasions des Huns et des musulmans.

L'aire d'influence de la civilisation tibétaine est très vaste, puisqu'elle a dépassé les frontières du Tibet ethnique pour s'étendre à la Mongolie et à la Chine. En effet, certains hauts dignitaires religieux tibétains, avant même la lignée des Dalaï-Lamas, ont établi au XIII ème siècle des relations de maître spirituel à protecteur temporel avec les souverains mongols, à l'époque où ceux-ci régnaient aussi sur la Chine. Cette relation, dite choe-yon , s'est ensuite prolongée sous les dynasties impériales chinoises successives, jusqu'à la chute de la dynastie mandchoue en 1911.

L'aire d'extension du Tibet ethnique et culturel est moindre, mais aussi tout à fait considérable. D'autant plus qu'elle va bien au-delà des limites actuelles de la région autonome du Tibet, qui a été réduite à la portion congrue par le gouvernement chinois après l'annexion de 1949.

* 1 Voir « Le Tibet - Une civilisation blessée » de Françoise Pommaret - 2002 Découvertes Gallimard. Voir aussi « La civilisation tibétaine » de Rolf A. Stein - 1996 L'Asiathèque.

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