D. LES TRANSFORMATIONS STRUCTURELLES DU SECTEUR MÉDIATIQUE

En analysant le comportement du marché du travail brésilien, on constate que quatre situations ont été présentes dans les dernières décennies du XXe siècle. Aussi bien lors de l'agonie de la période dictatoriale, qui s'est achevée en mars 1985, qu'au début de la re-démocratisation, des vagues de licenciement ont eu lieu dans la presse traditionnelle. Une partie d'entre eux ont été provoqués par la situation économique, une autre partie découlant de l'introduction de nouvelles technologies et une troisième partie étant due à la posture patronale, opposée à l'expression idéologique pratiquée par les journalistes. Parallèlement aux rédactions, des structures de communication institutionnelle, nommées assessoria de imprensa (services de presse), se sont multipliées et sophistiquées, absorbant ainsi de grandes vagues de journalistes licenciés par la presse traditionnelle.

Il faut noter que c'est une phase où les partis politiques traditionnels de gauche, tels que le Parti Communiste du Brésil, le Parti Socialiste et le Parti Communiste Brésilien, sortent de la clandestinité et où de nouveaux partis, comme le Parti des Travailleurs et le Parti Démocrate Travailliste, apparaissent sur la scène nationale. Dans le champ syndical, la Confédération Générale des Travailleurs (CGT), condamnée à la clandestinité par les militaires, est refondée et la Centrale Unique des Travailleurs (CUT) apparaît. Beaucoup de journalistes ne sont pas restés à l'écart de ces processus. C'est également la période de réorganisation de la structure syndicale des journalistes eux-mêmes, la grande majorité des syndicats ne possédant pas plus de 40 ans d'existence.

Les revendications bouillonnaient, autant en ce qui concernait les salaires que les libertés éditoriales. Il n'en était pas de même de la réceptivité patronale. Résultat, les grèves se sont multipliées dans les rédactions de tout le Brésil, la démonstration la plus forte étant la grève nationale des journalistes de 1986. Les grévistes contestaient la politique économique nommée Plan Cruzado II, qui confisquait environ 25 % des salaires des travailleurs, ainsi que l'interdiction imposée aux journalistes par plusieurs moyens de communication de critiquer ce Plan.

Dans le segment médiatique, l'action des professionnels dans l'espace syndical et sur l'organisation de la catégorie professionnelle était rejetée. Les poursuites des entreprises contre plusieurs journalistes qui s'engageaient dans des actions syndicales se sont manifestées par des vagues de licenciements dans la presse traditionnelle. Le mécontentement du patronat vis-à-vis de l'implication des professionnels de la presse sur le front syndical et partisan ne se limitait pas à une résistance vis-à-vis des questions de salaires et de conditions de travail. Les représentants syndicaux étaient les porte-parole des critiques de leurs entités vis-à-vis du profil éditorial de la presse nationale et ils apportaient également à l'intérieur des rédactions les revendications contre la concentration de la propriété médiatique et pour une démocratisation du secteur.

1. Nouvelles technologies, moins d'emplois

Les années 1970 et 1980 ont été marquées par de nombreuses transformations technologiques au Brésil. Des innovations qui allaient se répercuter sur le marché du travail des journalistes. Le système de télécommunication par micro-ondes et satellite s'est consolidé et, dans son sillage, un nouveau modèle de télé et radiodiffusion a été introduit, centralisé autour de stations têtes de réseaux localisées dans les grandes centres, ce qui retirait la nécessité d'une production journalistique locale. Les chaînes locales intervenaient davantage comme des agents de rediffusion des informations provenant de Rio de Janeiro, de São Paulo et de Brasília.

À la même époque, l'impression offset a été introduite, ce qui a entraîné des changements de fonctions, principalement dans la phase de bouclage des journaux et des magazines. Les années 1980 ont été marquées par l'entrée de l'informatisation, qui a aussitôt provoqué de grandes vagues de licenciement parmi les réviseurs et les secrétaires de rédactions dans la presse écrite brésilienne. Le reporter en externe est pratiquement devenu le seul responsable du texte. Il n'allait plus y avoir, entre l'imprimerie et le reportage, d'étape intermédiaire consacrée à la révision du style et de l'orthographe. Dans certaines publications, l'édition finale et le titrage de l'article sont même passés sous la responsabilité du reporter. Il en a été de même à la radio et à la télévision. Le reporter de vidéo s'est mis à monter ses reportages et, dans de nombreux cas, à assurer la fonction de présentateur.

Les années 1980/1990 ont été marquées par des difficultés financières, imposées par la chute des recettes publicitaires - les recettes moyennes entre 1990 et 1993 ont été inférieures de plus de 60 % à celles observées en 1997/1998 421 ( * ) -, par la dévalorisation de la monnaie nationale face au dollar et par la hausse du prix du papier, importé presque en totalité et payé en monnaie forte. Pour faire face à ces contraintes, l'homme d'affaire de l'information a provoqué une rupture dans le modèle éditorial traditionnellement pratiqué au Brésil. Les journaux ont commencé à utiliser un format de plus petite taille et avec un moindre nombre de pages 422 ( * ) .

Moins de pages signifiaient une réduction des coûts, mais aussi moins de nouvelles publiées et/ou des nouvelles plus courtes. Les rubriques ont été condensées, des cahiers et des suppléments supprimés. La nouvelle technique de distribution des informations abandonnait l'utilisation habituelle de multiples sections thématiques spécialisées, telles qu'éducation, santé, environnement, etc. Tout a été regroupé dans un espace éditorial unique, nommé par certaines publications de Général et, par d'autres, de Brésil, Pays ou National. Même le journalisme économique, auparavant subdivisé en sections agriculture, marché externe, ports, industries, système financier, etc., a dû regrouper tous les thèmes. Un phénomène similaire a eu lieu dans la couverture de la presse locale, dont les cahiers destinés à couvrir les actualités étaient eux aussi divisés en sous-thèmes, sans compter les rubriques consacrées aux faits-divers, aux sujets culturels, criminels et à la politique locale. Aujourd'hui, tous ces champs thématiques sont regroupés en quelques pages sous une rubrique unique, nommée Local ou Ville.

Ces changements se sont reflétés sur la taille et le profil des équipes journalistiques. Avec une plus faible spécialisation thématique, on pouvait travailler avec moins de professionnels et avec des journalistes moins spécialisés. Le personnage du journaliste spécialisé nommé setorista, dans la couverture d'un thème donné, a été abandonné. Cette pratique a presque exclusivement été conservée pour les informations de politique, économie et sports. Les autres thèmes ont été placés sous la responsabilité des généralistes, un terme du jargon journalistique pour désigner un journaliste sans aucune spécialisation, couvrant n'importe quel thème. Ce processus a entraîné des rédactions plus réduites, une charge de travail plus intense et une plus grande dépendance des rédactions vis-à-vis des informations distribuées par les sources.

Des entreprises traditionnelles, comme le Jornal do Brasil et la Folha de São Paulo, ont organisé des licenciements massifs et ont fermé des succursales, principalement hors des grands centres. La Rede Tupi, principale chaîne de télévision à l'époque, est entré dans un processus de faillite et les deux entreprises qui lui ont succédé, Rede Manchete (qui a également fait faillite à la fin des années 1990) et le Sistema Brasileiro de Televisão - SBT, n'ont pas absorbé tous les journalistes embauchés par leur prédécesseur. Entre 1990 et 1992, la presse écrite brésilienne - journal, magazine et agence - a réduit ses effectifs de 11 %. Cet immense passaralho - dénomination journalistique pour les licenciements en masse -, a réduit de 26 % la rédaction du JB, de 20 % celle de O Globo, et de 32 % celle de Última Hora 423 ( * ) . Dans la succursale de la capitale fédérale de la Folha de São Paulo - la plus grande rédaction de l'entreprise, après celle de la maison centrale à São Paulo - qui possédait 45 professionnels - reporters, photographes et coordinateurs - s'est mise à fonctionner avec 15 journalistes. Entre 1989 et 1992, selon les données du Ministère du Travail, la réduction du marché dans son ensemble a été de 12,4 %. (Voir détails dans la IIe Partie - Les contours du marché du travail et des médias de source au Brésil).

* 421 Cf. Anatel, 2004, p. 22.

* 422 Les réformes éditoriales ont été mises en oeuvre à partir de la fin des années 1980 et dans les années 1990. Les 96 journaux membres de l'Association Nationale des Journaux ont décidé de réduire la largeur des feuilles. Le format `standard' est devenu plus étroit que le format traditionnel. Le prix du papier est généralement fixé à la tonne et la réduction de quelques centimètres représentait une économie de nombreux dollars.

* 423 Cf. Azedo, Maurício, 1980.

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