3. Un format journalistique pour la communication institutionnelle.

Le marché extra-rédaction s'est révélé, pour les journalistes, une excellente option pour ceux qui n'obtenaient pas d'espace dans les rédactions. A partir des années 1980, un exode professionnel significatif a eu lieu (voir les chiffres dans la IIe Partie, item I-D - Le segment hors rédaction ). L'entrée des journalistes dans le secteur de la communication institutionnelle a donné à ce dernier la marque d'une activité se préoccupant, selon CHAPARRO, de la valeur publique de l'information 473 ( * ) . Un modèle où les substantifs étaient plus importants que les adjectifs. La présomption de pouvoir délimiter l'intérêt public fait partie de l'imaginaire journalistique, même quand il est exercé hors des rédactions, comme si le droit de représenter le public avait été formellement délégué à ces professionnels 474 ( * ) .

Pour les journalistes, c'était un territoire vierge. De même que les travailleurs ruraux sans terre ont recherché la survie en terres amazoniennes, les journalistes ont migré vers le champ de la communication institutionnelle et ils ont emporté dans leurs bagages la connaissance, le savoir-faire dont ils disposaient dans les rédactions au sein des organisations publiques et privées. Pour conserver la métaphore agricole, les premiers professionnels ont planté les graines d'un journalisme institutionnel qui allait être la pépinière, la serre du journalisme de sourceque nous connaissons aujourd'hui.

La nouvelle réalité territoriale a créé des routines de travail spécifiques, différentes des routines antérieures. Dans le nouveau modèle de journalisme institutionnel, une action journalistique est exercée hors des rédactions, selon CHAPARRO 475 ( * ) , dans la mesure où les structures de service de presse promeuvent des politiques publiques destinées à résoudre les problèmes de la communauté. Ce dernier distingue cinq éléments de base pour différencier l'action des services de presse brésiliens de celles réalisées par les autres champs de la communication:

• Existence d'une culture interne dans laquelle les motifs d'information, et non de propagande, orientent le travail et les choix.

• Acte d'informer toujours avec rapidité, clarté et véracité

• Utilisation des techniques du journalisme uniquement là où le journalisme est irremplaçable : pour l'information et l'analyse de l'actualité

• Assumer la vocation journalistique de travailler sur le conflit, cultiver la divergence, favoriser la polémique

• Organisation de bases d'information et de connaissances, pour qu'il y ait toujours des réponses, et de bases de sources accréditées et/ou spécialisées, pour qu'il y ait toujours quelqu'un de qualifié pour répondre.

En suivant de telles recommandations, la communication institutionnelle acquiert ainsi un caractère de communication publique, conçue comme une activité informative donnant la priorité à l'intérêt public et contribuant au développement de la citoyenneté 476 ( * ) . Il est reconnu au journaliste, attaché (de presse) ou non, la compétence d'évaluer et de distinguer ce qui intéresse ou non le public 477 ( * ) . Communication publique ne veut pas dire uniquement communication produite par l'État, elle englobe toute communication d'intérêt public, pratiquée non seulement par des gouvernements, mais aussi par des entreprises, le secteur tertiaire et la société en général 478 ( * ) . L'élément qui lie cette activité au journalisme et l'éloigne des autres techniques de communication est précisément l'existence d'un caractère d'intérêt public dans les informations qu'elle divulgue. Même si l'intérêt particulier de celui qui utilise ces services tend naturellement à être le critère de sélection des informations divulguées 479 ( * ) , dans une étude réalisée auprès des journalistes des services de presse du secteur public, MACHADO et MOREIRA ont observé que 52 % d'entre eux utilisent comme critère de séléction des informations susceptibles d'être divulguées le niveau d'intérêt public que le fait peut susciter 480 ( * ) .

GRAPHIQUE 1.1

DISTRIBUTION DES PROFESSIONNELS DE COMMUNICATION INSTITUTIONNELLE DANS LE SECTEUR PUBLIC - BRÉSIL -2004

Source: MACHADO, Márcia B.et MOREIRA, Fabiane B. 2005

La prestation d'un service public se présente comme un élément important de reconnaissance de ce segment professionnel en tant que territoire journalistique. Comme le souligne RUELLAN, l'autonomie et l'utilité publique constituent les principes essentiels de la stratégie qui permet à un groupe de revendiquer ou de conserver le monopole de son activité. D'un autre côté, les frontières entre groupes professionnels ne sont pas naturelles - complète BOLTANSKI 481 ( * ) - et bien moins encore entre relations publiques et journalisme hors des rédactions. Un groupe professionnel tend à être constitué d'une agrégation autour d'un pôle d'attraction. Il n'existe pas, dans la pratique, d'autre limite que la zone d'incertitude où se fait sentir l'attraction d'autres pôles. A mesure que les techniques du discours journalistique étaient insérées, l'attraction vers le champ journalistique s'accroissait, ainsi que l'éloignement de celui des relations publiques. Pour consolider ce nouveau territoire, les services de communication devaient se soucier d'offrir des contenus liés à l'actualité, avec une qualité journalistique, et d'intervenir comme une extension des rédactions de la presse.

GRAPHIQUE 1.2

L'ORIGINE DES JOURNALISTES EN EXERCICE DANS LES STRUCTURES DE COMMUNICATION INSTITUTIONNELLE DU SECTEUR PUBLIC - BRÉSIL -2004

Source: MACHADO et MOREIRA, op. cit

Les journalistes ont pratiquement expulsé les professions voisines de cet espace communicationnel. La consolidation de la prise de ce territoire par les journalistes est bien mise en évidence par les données d'une étude réalisée en 2004 pour tracer le profil des professionnels présents dans les structures de communication sociale des institutions publiques brésiliennes (voir graphique 1.1) Elle indique que 82 % de ceux qui y travaillent sont détenteurs de la carte de presse, contre 6 % seulement de professionnels des relations publiques 482 ( * ) . Parmi les étudiants en stage dans ce segment - ils représentent une fraction de 7 % de l'ensemble des communicateurs -, 92 % suivent une formation de journalisme. En regroupant les professionnels et les étudiants, 86 % sont ainsi du champ journalistique 483 ( * ) .

Cette étude confirme la forte migration des rédactions vers les services de presse (voir graphique 1.2). Neuf professionnels sur dix étaient déjà passés par les médias traditionnels avant de rechercher un emploi hors des rédactions. Plus de la moitié est formée de professionnels expérimentés, avec onze années ou plus dans la profession (voir graphique 1.3).

GRAPHIQUE 1.3
TEMPS D'EXPERIENCE PROFESSIONNELLE DES JOURNALISTES EN EXERCICE DANS LES SERVICES DE PRESSE DU SECTEUR PUBLIC - BRÉSIL -2004

Source: MACHADO et MOREIRA, op. cit.

Pour l'école fonctionnaliste, une profession repose sur un ensemble de valeurs partagées par une communauté de travail 484 ( * ) . La rédaction de textes par les journalistes et leur édition par les éditeurs cristallisent un ensemble de normes professionnelles, de valeurs sociales et de relations de pouvoir, entre autres. À mesure que l'action corporative a eu comme but d'étendre au journalisme institutionnel des valeurs professionnelles existant dans les rédactions - au point d'appliquer le même code déontologique et d'exiger le même standard de formation académique et d'habilitation légale pour l'exercice de telles fonctions -, un même spectre professionnel s'est construit. Pour la corporation, l'exercice professionnel dans les services de presse devrait être considéré comme une activité journalistique.

* 473 CHAPARRO, Manuel C., 2003, p. 45.

* 474 REIS, Ruth, 1997, p. 12.

* 475 CHAPARRO, Manuel, 2005.

* 476 MATOS, Heloiza, 2003, p. 32-37

* 477 REIS, Ruth, op.cit. p. 11.

* 478 OLIVEIRA, Maria José. 2004.

* 479 REIS, idem.

* 480 MACHADO, Márcia B. et MOREIRA, Fabiane B., 2005, p. 122.

* 481 BOLTANSKI, L., apud RUELLAN, Denis, 1993, p 49.

* 482 CHAISE et TIXIER-GUICHARD (1993: 210) indiquent qu'en France, 20 % des chargés de presse - ou Dircoms comme ils les nomment - sont des journalistes vétérans ayant quitté les médias et qu'ils ont contribué à démontrer que l'information peut aider les entreprises à s'affirmer dans l'espace public, par des moyens qui ne sont ni la publicité, ni le marketing.

* 483 MACHADO et MOREIRA, op. cit.

* 484 RUELLAN, Denis, 1993, p. 38.

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