D. UN ESPACE PUBLIC PARTAGÉ

L'espace public contemporain est plus vaste que celui pensé par Habermas. C'est le lieu de légitimation du politique. C'est par l'espace public que les citoyens ont accès aux informations politiques, qu'ils peuvent débattre et se forger une opinion [...] C'est par l'espace public que les citoyens se sentent non seulement destinataires du droit, mais aussi auteur de ce droit - explique DACHEUX 751 ( * ) . Cet espace a subi et subit en permanence l'influence des diverses modalités de transmission des informations, du journalisme d'opinion jusqu'aux techniques modernes de communication institutionnelle 752 ( * ) . Nous estimons que les médias de source contribuent à la configuration d'une nouvelle étape dans le processus de construction de l'espace public. Dans un contexte où les médias traditionnels dans leur ensemble transmettent pratiquement tous les mêmes contenus et les mêmes idées, les médias de source favorisent l'existence du contradictoire, élément indispensable pour l'existence d'un espace public et, par conséquent, du processus démocratique.

Notre hypothèse est que, s'ajoutant aux techniques de communication traditionnelles utilisées par les divers acteurs sociaux et à l'action des médias - que ce soit à travers le journalisme d'opinion, la presse commerciale de masse ou les médias audiovisuels de masse, pour suivre la définition de MiÈGE -, les médias de source apparaissent comme un élément qui était, d'une certaine façon, jusqu'à présent exempt d'interférence et de divulgation d'idées. Ils se présentaient aussi bien comme des éléments pour influencer l'agenda de la presse traditionnelle, que pour communiquer directement, sans intermédiaires, avec l'opinion publique. Ils sont capables aussi bien de réduire l'inégalité entre ceux qui n'ont pas accès à l'espace public - et qui disposeraient avec eux d'un canal - que d'accroître davantage encore le fossé des inégalités, en renforçant les capacités de ceux qui ont toujours disposé d'un canal ouvert.

Selon notre conjecture, l'espace public acquiert une nouvelle configuration à chaque apparition d'un nouveau média de source. Ce dernier apporte une nouvelle pièce à la mosaïque, qui entretient, ou non, des liens avec celles déjà présentes. La nouvelle géométrie de l'espace public s'étend en direction de nouvelles classes, catégories et segments sociaux, mais ne se présentera pas de façon monolithique, au contraire, il sera constitué d'un ensemble de fragments 753 ( * ) , représentant chacun une action des acteurs sociaux dotés de leurs propres médias.

La configuration de l'espace public dans son ensemble serait la résultante de la somme des fragments et de la couverture de chacun d'eux. La multiplication des espaces publics morcelés n'implique pas nécessairement l'existence de relations parallèles avec ceux déjà existant 754 ( * ) . L'un des défis de ces nouveaux médias est justement d'intervenir comme élément d'articulation entre les pièces périphériques et centrales de cette immense mosaïque ; d'éviter la domination par le mainstream media des individus médiatiquement les plus dépourvus, en tentant de réduire les inégalités culturelles, sociales et informationnelles, de façon à permettre l'inclusion des nouveaux fragments dans le débat public.

Selon notre perspective, chaque fragment de cette immense mosaïque conserve - intégralement ou en partie - sa spécificité, mais une zone commune d'échanges apparaît. Un lieu où tous les membres de la mosaïque sont simultanément sous l'influence de l'action de la presse traditionnelle et de divers médias de source - mis en oeuvre par une multiplicité d'acteurs sociaux - ainsi qu'en raison des techniques de communication généralisée, mises en oeuvre via la presse, comme le montre le diagramme 1.3.

En cherchant dans les mathématiques une visualisation de ce phénomène, nous aurions ce qu'on appelle une intersection d'ensembles. La zone de plus forte confrontation dans la conquête de cet espace est justement celle où les actions des diverses techniques et des divers acteurs impliqués s'entrecroisent. C'est dans cette zone d'intersection des pétales qu'a lieu la plus grande confrontation. La tendance, en gardant à l'esprit la quantité infinie d'acteurs, est que ce graphique acquiert un nombre infini de pétales, prenant ainsi la forme d'une rose, ou d'une marguerite. Chaque pétale représente une action indépendante en tant que fragment de l'espace public, mais tout en faisant partie intégrante d'une même fleur, d'une somme d'ensemble, autrement dit, de l'espace public comme un tout.

DIAGRAMME 1.3.

ZONE D'INFLUENCE DANS L'ESPACE PUBLIC

C'est un processus dynamique avec des actions dans toutes les directions (voir diagramme 1.2). Des zones intermédiaires d'interférence pourront exister. Les médias de source pourront subir des interférences des services de presse, de la même façon que ceux-ci agissent sur la presse traditionnelle. A son tour, cette dernière pourra intervenir sur la production informative des deux premiers, principalement dans le cas de confrontation des informations (réponse à une dénonciation, contre-présentation d'un point de vue, etc.). D'une certaine manière, l'action des sources à travers leurs médias se montre encore plus faible que celles des autres membres de ce processus. Vu leur capacité potentielle de diffusion, les moyens de communication de masse conservent une plus grande capacité d'interférence. Cependant, les MS agissent en utilisant ce potentiel, comme nous l'avons déjà expliqué. Et le public exercera également sa dose de pression dans la construction de tout ce processus.

* 751 DACHEUX, Eric, 2003, p. 153.

* 752 MIÈGE, Bernard, 1995, p. 60.

* 753 Idem.

* 754 GIROD, Alain, 2003, p.80.

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