CONCLUSION DE LA 1ERE PARTIE : DES MÉDIAS POUR LES THÈMES EXCLUS PAR LA PRESSE

Il n'est pas faux d'affirmer que les médias de source, en particulier les médias imprimés dans les années 1980, ont vu le jour en tant qu'option de certains segments de la société en réponse au standard éditorial de l'industrie de l'information brésilienne, aussi bien privée que de l'État. Une réponse au manque de liberté d'expression et, en même temps, une tentative de produire un nouvel espace public, avec de nouveaux paramètres de relations sociales. Le contenu diffusé par ces moyens de communication fait l'objet de suspicions en raison du fait qu'il est très proche des sources qui le gèrent. Sous l'optique traditionnelle, ils ne représenteraient pas l'exercice de l'activité journalistique. Le fait que la source soit le propre diffuseur les renvoie au champ du lobbying, de la publicité, des relations publiques.

Socialement, l'activité journalistique est plus facilement acceptée quand l'entité émettrice est considérée comme suffisamment distante des personnages de la nouvelle. Culturellement, être un spectateur extérieur aux faits a plus de poids que les valeurs déontologiques employées dans la production de l'information, que la pratique productive employée par les professionnels et les chefs d'entreprise, que l'existence d'un contrôle social sur la production de l'information.

Le paysage médiatique décrit jusqu'ici démontre cependant qu'au Brésil, et probablement dans d'autres pays, l'activité journalistique ne peut être définie seulement en fonction de l'adresse à laquelle elle est pratiquée. Ce qu'on appelle la presse indépendante a coutume de déguiser publicité et propagande politique en texte journalistique, elle fait du prosélytisme politique au nom des intérêts sectoriels, elle défend le statu quo d'une oligarchie nationale qui se reflète dans le propre profil de la propriété des moyens de communication. De l'autre côté, des acteurs qui ne sont pas, sous l'optique conventionnelle, des producteurs journalistiques, font contrepoids en comblant une lacune de l'information. Au bout du compte, la démocratie requiert l'existence d'un espace public où sont débattus contradictoirement les grands problèmes du moment 781 ( * ) .

La démarche correcte serait de classer l'information comme journalistique, ou non, en fonction d'autres facteurs, parmi lesquels la soumission de son contenu aux faits, la volonté d'interpréter les événements et l'affirmation de sa dimension pédagogique. La pratique journalistique doit être adaptée aux principes de prestation d'un service public à la société, de transparence, d'orientation et d'adaptation du vocabulaire à la capacité de compréhension présumée du public 782 ( * ) . LEGAVRE rappelle que pour les agents politiques, les individus et les institutions, communiquer est un acte de transparence, c'est rendre des comptes, c'est divulguer 783 ( * ) . BRAULT souligne que la communication institutionnelle doit englober des valeurs humaines comme l'éthique. Ce doit être la base de toute réflexion sur l'utilité sociale des entreprises et des institutions784 ( * ).

Ce n'est pas notre proposition que d'attester l'action informative des médias de source en tant que journalisme de pedigree, si tant est qu'il existe un journalisme pur-sang. En tant que chercheur, nous nous trouvons face à une réalité informative, dans laquelle la presse a cessé d'être l'unique émetteur. Dans le paysage journalistique brésilien, il existe un nouvel émetteur qui se caractérise par l'absence de contours fixes et par l'exécution d'une nouvelle forme d'articulation de l'expression de la parole privée - entendue comme la parole de groupes d'intérêts - et de la parole publique. La parole privée - explique MEHL - vaut en elle-même comme parole publique, c'est-à-dire comme parole susceptible de nourrir le débat collectif, de s'intégrer à l'espace public 785 ( * ) .

Si d'un côté, un tel paysage peut être vu comme découlant d'un historique politico-social, de l'autre, elle peut également être analysée en tant que formes de transformation de la société brésilienne pour exercer le modèle de démocratie qui s'est installé après la constitution brésilienne de 1988. Un modèle qui incite à la participation populaire dans un système de démocratie participative. Bien qu'elle stimule la participation citoyenne, la nouvelle Carta Magna n'a pas réussi à modifier le schéma médiatique national. La fracture qui rejette un nombre incalculable de citoyens et de thèmes hors de l'espace public perdure. Le manque de normes légales et de contrôles sociaux qui puissent inciter les médias journalistiques à être eux-mêmes des moyens de communication plus démocratiques stimule la création de structures parallèles - même sans être sous couvert de la loi, comme dans le cas des radios pirates/libres - avide de favoriser un nouvel espace où le débat, de nature rationnelle ou idéologique, puisse avoir lieu autour de questions d'intérêt général et avec la participation plus ample de la société.

Il existe de multiples voies pour l'analyse de cette nouvelle action informative. L'une d'elles est la possibilité de diviser ce débat en deux champs : d'un côté la guerre de la communication, de plus en plus agressive, avec l'utilisation intensive des outils du marketing. Une autre - qui nous touche de plus près - est que ces actions de communication sont un héritage du modèle de communication pour le développement, préconisé par l'Unesco. Il stimule l'utilisation intensive des médias pour la transformation sociale et pour la transparence des faits publics. Même si la proposition peut être considérée comme démodée, elle a laissé des racines profondes dans des générations de professionnels qui ont étudié (le journalisme) à partir des années 1970 et, comme nous l'avons démontré, ont construit une manière particulière de concevoir la communication et le rôle de ses professionnels.

Dans ce champ, se trouveraient les médias montés par les ONG, les mouvements sociaux, les communautés d'habitants et même certains secteurs publics dont les activités de communications sont guidées par la stimulation de la construction de la citoyenneté et par le principe de la transparence des faits publics. Transparence des faits publics, démocratisation de l'accès aux informations, fidélité à la véracité des faits, sont des valeurs qui paraissent dogmatiques dans l'imaginaire journalistique brésilien pour l'institution d'une ligne de partage entre information et communication. Ce sont des paradigmes qui guident aussi bien les journalistes de la presse traditionnelle que ceux qui sont en dehors des rédactions.

Du côté du marketing, apparaissent les divers mécanismes d'utilisation de plus en plus féroce des médias à des fins économiques, mercantiles, de construction d'image et même de totalitarisme politique. Dans cet espace, prévalent des paradigmes communs aux relations publiques, dont la fonction première est la self-interested communication, selon GANDY, et dont la proposition est d'agir as an instrumental resource that is regularly called into a play by actors seeking to influence the outcome of a policy debate 786 ( * ) .

Un média de source pourra intervenir aussi bien d'un côté que de l'autre, d'où l'importance de connaître la nature du contenu et de ses intentions. Il pourra avoir l'objectif d'élargir le débat public, d'alimenter l'opinion publique, d'influencer ou même forcer la presse à traiter d'une thématique donnée ou à accorder un traitement éditorial donné, en faisant obstacle à son intervention sur les thèmes indésirables, ou en faisant diversion 787 ( * ) .

Une autre voie recommandable est de se pencher sur les routines productives, le contenu et la motivation de tels médias. Nous nous concentrerons sur cette tâche dans les IIe et IIIe parties de ce travail. Nous pensons qu'il sera possible de classer de tels moyens de communication en au moins quatre groupes : a) celui du lobbying traditionnel, avec des caractéristiques publicitaires, de marketing et de relations publiques; b) celui de la mobilisation sociale, avec prédominance d'une action journalistique engagée, idéologique; c) celui de la transparence - accountability -, visant l'accès de la société aux espaces obscurs des pouvoirs publics et stimulant la démocratie participative; et d) celui de l'advocacy, qui se différencie du lobbying car il défend une cause sociale sans profit personnel/privé direct, qui ne porte pas nécessairement des ambitions corporatives.

Tous interviennent d'une certaine manière dans le modelage de l'espace public. Cependant, avec ces catégories, nous aurions des informations diffusées par les médias de source plutôt journalistiques, plutôt publicitaires ou plutôt de relations publiques. Le contenu et l'intention du diffuseur sont, à nos yeux, les meilleurs éléments pour délimiter cette pratique informative, qui peut aussi se révéler mixte. Tous ont en commun de chercher à exercer une influence sur l'espace public, à multiplier les pièces de la mosaïque impliquées dans le débat et, dans la mesure du possible, à construire des ponts d'une pièce de la mosaïque de l'espace public à l'autre, pour qu'elles puissent entrer en relation. Cette vision renforce notre hypothèse de l'existence d'un journalisme d'Influence.

* 781 WOLTON, Dominique, 1991-A, p. 95.

* 782 NEVEU, Erik, 2001, p. 63.

* 783 LEGAVRE, Jean Baptiste, 1993, p.61.

* 784 BRAULT, Lionel, 1992, p. 134.

* 785 MEHL, Dominique, 2002, apud GIROD, Alain, 2003, p. 76.

* 786 GANDY, Oscar, 1992, p. 137.

* 787 MORISSETE, Rodolphe, apud DAGENAIS, Bernard et SAUVAGEAU, Florian, 1995, p. 3.

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