V. PRÉSENTATION DES ENSEIGNANTS DE FRANCAIS ET BILAN DE LEUR FORMATION

Le contact avec la langue-culture française se fait essentiellement en milieu institué. Cet enseignement/apprentissage demeure élitiste et maintient sa vocation intellectuelle et culturelle. C'est pourquoi la forte augmentation des sections françaises dans les universités au cours des quinze dernières années ne signifie pas que le statut du français en Corée se soit affermi en proportion.

Avec le contenu de l'enseignement/apprentissage livresque, il existe un décalage sensible entre le français appris à l'école et la pratique de la langue française. Les enseignants, issus de ce système, perpétuent ce mode d'enseignement. C'est donc la formation des enseignants qu'il convient, en premier lieu, d'améliorer.

Le professorat demeure un métier considéré et respecté. Pourtant, à la suite de l'extraordinaire développement économique de ces trois dernières décennies, les meilleurs éléments délaissent les postes d'enseignant, pour choisir les filières scientifiques conduisant aux carrières prestigieuses offertes par l'industrie. Ce changement a affecté particulièrement l'enseignement secondaire. Au sein de l'Université, le statut d'enseignant s'est banalisé, en raison de l'accroissement important du nombre de postes.

La considération pour les enseignants varie en fonction de l'importance de la matière enseignée : ceux de langues étrangères, hormis les professeurs d'anglais, sont moins bien considérés que leurs collègues des matières scientifiques. Dans cette hiérarchie, les enseignants de français sont peu reconnus de leur institution, mais bénéficient d'un certain prestige auprès de leurs élèves, grâce à la bonne image de la France. Ils sont d'autre part tributaires de la conception générale de l'enseignement : leur méthode directive et leur rôle dominant en découlent d'une certaine façon.

Leur compétence insuffisante en langue-culture française nécessite de faire appel à des lecteurs français, mais ces derniers communiquent difficilement avec leurs élèves, en raison de leur ignorance de la langue-culture coréenne.

Cela pose le problème de la formation des enseignants de français. L'étude de la formation initiale et de la formation continue permettra d'en isoler les carences et de proposer quelques projets d'amélioration.

A. PRÉSENTATION DU CORPS ENSEIGNANT

Préalablement à la présentation du corps enseignant, de son rôle et profil, ainsi qu'à l'évaluation de sa compétence, il semble nécessaire d'exposer la conception générale de l'enseignement, qui influence l'enseignant de français et détermine ses méthodes.

1. Conception et méthode de l'enseignement

Dans un pays où le taux d'alphabétisation s'élève à 99 % et où le diplôme universitaire apparaît comme indispensable, quels principes s'est donné l'enseignement ?

Celui-ci, comme il a été dit plus haut, représente avant tout la voie pour atteindre le plein achèvement de l'homme. Pour qu'un être devienne véritablement accompli, il lui faut étudier, si possible dans les meilleurs établissements, aller jusqu'au bout de l'enseignement offert et valoriser tout cela par l'obtention de diplômes.

En pratique, l'enseignement repose davantage sur l'accumulation de connaissances, tant pour la culture générale que pour le domaine spécialisé. On enseigne surtout à apprendre par coeur et très peu à réfléchir. Cette attitude ne développe ni l'esprit de synthèse, ni le jugement critique. Elle permet simplement l'insertion dans un système voulu, respecté et rarement contesté.

Cet état de fait est certainement lié au confucianisme qui imprègne les mentalités de la société coréenne et privilégie la bonne entente et l'harmonie dans la collectivité, plutôt que l'autonomie de chaque individu. Dans cet enseignement directif, les initiatives individuelles sont peu recherchées, et la nature des relations entre enseignants et apprenants demeure hiérarchique.

L'enseignant, auquel la tradition accorde le rôle dominant, est de plus confronté à une classe surchargée. L'effectif moyen est de soixante élèves et, dans la plupart des sections universitaires, davantage. Les conditions de travail sont donc défavorables, tout particulièrement pour les cours de langue. Le cours magistral est presque une fatalité.

En faculté, le niveau hétérogène des étudiants est une autre difficulté fréquemment rencontrée, car certains ont déjà appris la langue au cours des années de lycée alors que d'autres la découvrent, ce qui conduit obligatoirement à centrer l'enseignement sur l'apprentissage de la grammaire, considéré comme la base nécessaire pour pallier les différences de niveau.

Ces deux phénomènes concourent à renforcer l'aspect théorique de l'enseignement hérité de la tradition. La méthode doit aussi tenir compte du degré de motivation des étudiants, qui ne choisissent généralement pas le français pour des raisons strictement professionnelles ; ils n'ont pas une forte incitation à un travail intensif et le rythme de progression est lent. Mais de ce fait, ils peuvent apprendre de manière plus détendue.

En ce qui concerne le matériel didactique, les établissements secondaires utilisent les manuels conçus par les éditeurs locaux. Quelques facultés élaborent elles-mêmes leur méthode de langue, mais elles se ressemblent beaucoup. Les méthodes publiées en France sont couramment adoptées : Mauger, De Vive Voix, A Paris... actuellement remplacées par Sans Frontières, Archipel, Libres Echanges...

En dehors des manuels, le dictionnaire est un outil indispensable. Un dictionnaire français-coréen datant de 1971, le coréen-français de 1978, publiés par la Société Coréenne de Langue et Littérature Françaises, " constituent la base des études françaises chez les Coréens " , comme le précise l'ancienne Présidente de cette société 41 . Ainsi, le manuel et le dictionnaire sont les deux sources essentielles ; les matériaux sociaux ou le recueil de textes sont rarement utilisés, par manque de formation des enseignants et aussi à cause d'un certain rejet des étudiants, qui veulent à tout prix terminer la méthode choisie.

Si les cours de langues ne se font pas toujours dans la langue enseignée, cela peut s'expliquer par deux raisons principales : l'utilisation du coréen est due surtout à l'enseignant lui-même qui maîtrise mal la langue et, par ailleurs, les étudiants ressentent souvent le besoin qu'on leur explique des mots difficiles ou des points de grammaire avec la logique de leur propre langue. Dans les cours animés par les lecteurs étrangers, de grosses difficultés de communication se posent entre enseignants et étudiants, l'enseignant étranger ne parlant presque jamais le coréen. Toutefois, le fait qu'ils s'expriment en langue étrangère, donnent abondamment leur avis, prononcent de longues phrases face aux étudiants qui n'en comprennent que des bribes, peut avoir pour effet une familiarisation formatrice, et ainsi constituer un avantage pour les étudiants, qui ont peu l'occasion d'entendre la langue enseignée en dehors du cours.

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41
In-Hwan KIM, Professeur du département de langue et littérature françaises à l'Université féminine Ewha, décorée de l'Ordre des palmes académiques du gouvernement français en 1986.

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