Compte rendu d'un déplacement d'une délégation du groupe sénatorial d'amitié France-Corée du Sud

8 mars - 15 mars 2004

CONCLUSION :

LA CORÉE DU SUD AU MIROIR DE L'EUROPE ?

En 1960, le produit intérieur brut de la Corée du Sud était identique à celui du Bengladesh et le revenu par habitant y dépassait à peine 1000 dollars. Il est aujourd'hui de 10.000 dollars et devrait, selon les prévisions, doubler en 2015.

Une telle croissance de la part d'un pays sans ressources naturelles, longtemps coupé du monde, où la pratique de la démocratie date d'à peine vingt ans, représente un exploit qu'il convient de saluer.

Il s'explique par l'étonnante capacité de rebondissement qu'il a manifesté face aux épreuves de l'histoire. Il l'a démontrée en particulier lors de la crise financière de 1997. Il a choisi d'y répondre non pas en se refermant mais en s'ouvrant davantage au monde, en réformant ses structures économiques et financières, en privilégiant les activités, des chantiers navals à l'électronique, où il disposait le plus d'atouts. Il parie aujourd'hui sur la connaissance. Cette mutation est le fruit d'une coordination étroite entre l'Etat qui oriente et finance et la société privée, acteur final et décisif de la production dans tous les domaines .

Certes, ce développement explosif a connu de nombreux à-coups et la crise actuelle de l'endettement écrasant des ménages lié à l'usage sans limites des cartes de crédit, n'est pas la moindre.

De même, la déconfiture de certaines sociétés-phares, les fameux « chaebols », telles Daewoo, SK Global ou LG Card, souligne le caractère irrationnel que peut avoir la fascination pour les nouvelles technologies. Cette fuite en avant, cette disposition à s'engager hardiment sur des chemins inconnus qui contraste si fort avec la lourdeur et la lenteur de la décision au Japon (elle aurait été à l'origine de la chute de Nissan), l'indifférence pour le détail, l'appétit pour des projets les plus audacieux, telle l'aventure du TGV, expliquent les chocs en retour qui ponctuent périodiquement le rythme de croissance de l'économie coréenne.

Il en va ainsi du choix du nucléaire. Il s'imposait sans doute en l'absence de toute ressource énergétique naturelle. Mais le problème des déchets radio-actifs que génèrent les vingt-deux centrales nucléaires reste posé. De même, la pratique généralisée d'internet, surtout chez les plus jeunes, qui concurrence et marginalise la presse et la télévision, modifie le fonctionnement des institutions. On l'a bien vu lors de l'élection du Président ROH en 2002 puis de sa destitution par le Parlement en mars dernier et de la victoire électorale éclatante qu'il a remportée le 15 avril dernier.

Mais le plus intéressant est sans conteste l'impact qu'une croissance aussi forte, aussi rapide peut avoir sur des traditions nationales qui jusqu'alors la soutenait. Il ne s'agit pas de l'évolution qui accompagne, ici comme ailleurs,l'élévation du niveau de vie. C'est ainsi que les grèves, les revendications salariales, les dénonciations de la corruption ont fait leur apparition. Au 1er juillet prochain, le travail hebdomadaire sera ramené de 44 à 40 heures. Car, même s'il a augmenté, le taux de chômage reste inférieur à 5 %. Cette évolution est donc légitime et naturelle. Elle ne met pas en péril par exemple, face à l'immense marché chinois en mal d'équipements, le sort des exportations de biens industriels.

Plus profondément, on peut se demander si la modernité à laquelle la Corée se voue aujourd'hui ne pourrait pas mettre demain en péril la tradition confucéenne de stabilité, de respect de la famille et de la hiérarchie à laquelle elle a dû en bonne part sa capacité à résister aux secousses de l'histoire.

Ainsi en va-t-il en particulier du statut de la femme vouée traditionnellement au service de la famille et du mari. Alors qu'elle fait preuve d'une intelligence évidente -elle contrôlerait 80 % des transactions immobilières-, la femme coréenne aspire a plus d'autonomie et commence à le faire savoir. Deux faits sont révélateurs : le divorce frappe près d'un ménage sur deux ; le taux de natalité qui était encore de 5 enfants par famille il y a trente ans est tombé aujourd'hui à 1,1. Il est l'un des plus bas du monde . Avec comme corollaire, à l'image du Japon, une charge croissante des personnes âgées au cours des prochaines décennies.

Cet appel à une plus grande égalité économique, et sans doute demain politique, des sexes, à l'autonomie de l'individu libéré du lien social, famille ou entreprise, à celle du jeune familier d'internet face à ses aînés est un défi de taille jeté à ce qui a été au cours des siècles le coeur de l'identité coréenne.

Plus rapidement qu'aucun autre pays d'Asie, la Corée du Sud, pays jeune mais qui vieillira vite, se verra affrontée demain à des problèmes qui ressemblent singulièrement à ceux de la « vieille » Europe aujourd'hui.

Peut-être faut-il y voir la raison pour laquelle son peuple témoigne à la France, patrie à la fois de l'Airbus, du TGV mais aussi de l'art de vivre, une sympathie aussi spontanée.

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