Colloque Sénat-ESSEC sur l'Afrique - 3 octobre 2003

ACTES DU PREMIER COLLOQUE « AFRIQUE SA » :

ENSEMBLE, DYNAMISONS LE SECTEUR PRIVE

3 octobre 2003

Sous le haut patronage de


Table des matières


Message de bienvenue du Président du Sénat

Xavier de VILLEPIN,
Président de la Commission des Affaires étrangères du Sénat


Je vous lirai le message que vous adresse Christian Poncelet, Président du Sénat.

« Messieurs les Présidents, Messieurs les Ministres, Messieurs les Ambassadeurs, chers collègues, Mesdames et Messieurs, le Sénat est particulièrement heureux d'accueillir ce colloque économique sur l'Afrique, organisé en partenariat avec nos amis du groupe ESSEC.

« Ensemble, dynamisons le secteur privé en Afrique » : l'intitulé de notre rencontre est à lui seul tout un programme, je devrais même dire un véritable défi. D'aucuns trouveront ce thème très ambitieux. Pourtant, je remercie nos amis de l'ESSEC d'avoir lancé ce débat et, dès le départ, d'avoir songé à l'organiser au Sénat, car notre assemblée est très attachée au développement de l'Afrique, avec laquelle notre pays entretient tant de liens privilégiés, forgés dans l'Histoire.

Un simple chiffre en donnera bien la mesure : comme le rappelle souvent le Ministre délégué à la Coopération et à la Francophonie, Pierre-André Wiltzer, qui clôturera ce soir nos travaux, 44 des 54 pays de notre « zone de solidarité prioritaire » sont des Etats d'Afrique.

Parmi tous les ciments qui nous attachent à l'Afrique, je citerai la francophonie, mais sans omettre les relations que nous voulons renforcer avec les pays non francophones. Ceux-ci disposent d'ailleurs au Sénat d'interlocuteurs naturels auprès de nos groupes interparlementaires.

Pour ce qui me concerne, je n'ai aucun doute sur la pertinence et le succès de notre rencontre.

Sur le fond, la diversité et l'expérience des intervenants qui vont se succéder à la tribune toute la journée permettront d'appréhender efficacement la problématique du développement du secteur privé en Afrique et celle de la formation des cadres africains de haut niveau.

A cet égard, je tiens à remercier tous les autres partenaires de cette opération, le MEDEF et Afrique SA en particulier, qui apporteront, chacun dans son domaine, un utile éclairage complémentaire sur ce thème complexe.

Sur la forme, j'ai souvent pu mesurer combien les professeurs et étudiants de l'ESSEC étaient capables de se mobiliser, de d'enthousiasmer et de faire avancer les dossiers les plus difficiles, comme l'a encore démontré le succès des « Tremplins Entreprises » depuis leur lancement, il y a maintenant plus de trois ans.

Je voudrais insister sur l'importance fondamentale que le Sénat attache à la formation des cadres des pays en voie de développement. En effet, pour atténuer le fossé économique qui se creuse entre le Nord et le Sud, et pour alléger la pression migratoire qui s'exerce sur les Etats de l'Union européenne - notamment ses anciennes puissances coloniales, comme la France - l'une des voies les plus crédibles consiste à créer sur place les conditions d'une prospérité économique durable.

Bien entendu, ce développement suppose l'appui des Etats, des bailleurs internationaux et des grandes ONG, mais il exige aussi, et surtout, la mobilisation de la société civile et du secteur privé, en particulier celle des petites et moyennes entreprises.

Depuis quelques années, on parle beaucoup de « bonne gouvernance » : à mes yeux, la bonne gouvernance n'est pas une exigence qui pèse seulement sur les gouvernements et les décideurs publics. C'est aussi un objectif auquel doivent adhérer les responsables privés à tous les niveaux, sous peine de s'enliser dans des déclarations d'intentions sans effets concrets.

Dans cette optique, former un jeune cadre africain - sur place ou dans un grand établissement français - est véritablement un acte de « bonne gouvernance ». Ce n'est pas simplement une action de coopération, ni même une marque de confiance. C'est avant tout un investissement pour l'avenir, car les étudiants d'aujourd'hui seront les entrepreneurs de demain, ceux sur lesquels leurs pays pourront compter pour prendre le relais de la coopération internationale.

Soyons-en convaincus : l'investissement dans l'homme est un investissement à long terme, certes, mais c'est toujours un « investissement productif ».

Encore faut-il que les conflits internes, que les rivalités ou que la corruption ne viennent pas compromette, en aval, les résultats des actions menées par les uns et les autres. La vérité force à reconnaître que sur ce point, beaucoup reste à faire.

Permettez-moi un conseil : il me semble que les enseignements dispensés par nos grandes écoles de commerce et d'ingénieurs devraient accorder une plus grande attention à cette question. Il faut veiller à y intégrer de manière plus systématique non seulement la recherche de l'efficacité commerciale ou technique, mais aussi un haut niveau d'éthique économique, sans laquelle le développement durable risque fort de demeurer un concept abstrait.

Depuis mon élection à la présidence du Sénat, je m'attache à faire de cette institution la « maison des entrepreneurs ». Dans ce cadre, j'ai souhaité multiplier les opérations concrètes en direction du monde de l'entreprise.

Je suis donc heureux qu'avec le concours du Sénat, nos entrepreneurs trouvent une occasion supplémentaire de prendre conscience du formidable vivier de compétences qu'offrent les cadres et les futurs cadres africains : aussi bien ceux qui opèrent dans leur état d'origine que ceux qui travaillent ou étudient en France.

Je vous souhaite un excellent, studieux et fructueux colloque, en espérant que vous en garderez de votre passage au Sénat un bon souvenir, qui vous incitera à y revenir. »

Présentation du colloque

Didier DESERT ,
Président de l'Association des Diplômés ESSEC

Pour commencer, je vous dois une confidence. Lorsque Mahamadou Sako m'a proposé que nous organisions, au nom de l'association du groupe ESSEC, ce colloque, j'ai naturellement été enthousiaste, car il s'agissait d'une vraie démarche citoyenne qui relevait pleinement de notre responsabilité, tant économique qu'académique. Toutefois, j'ai été effrayé par l'immensité du thème et l'ambition du projet. Je sais ce matin que nous sommes à l'aube d'une grande journée.

Je remercie le Président Poncelet d'avoir rappelé les liens forts qui lient le Sénat et l'ESSEC et de nous avoir permis de nous retrouver ici. Par ailleurs, comment imaginer un plateau d'intervenants aussi riche d'idées, de diversités mais aussi de contradictions, qui sont parfois la meilleure voie pour progresser vers la recherche de solutions pratiques ? Au nom des 25 000 diplômés ESSEC, je vous remercie tous d'avoir permis cela.

Nous devons faire converger aujourd'hui des intérêts bien partagés et faire émerger ensemble les bases d'un dialogue, puis d'un développement harmonieux. Les intérêts de l'Afrique, des Etats africains et des Africains appellent un renforcement de l'initiative économique. Il en est de même des entreprises, qui doivent chercher de nouveaux relais de croissance. Pour faire coïncider ces intérêts finalement complémentaires, il faut, à l'intersection des territoires, des cultures et des marchés, trouver les hommes qui permettent cette rencontre et qui seront capables de l'ancrer dans la durée.

L'ESSEC a la conviction qu'il faut investir dans la création de valeur, en formant les cadres qui, demain, sauront faire la synthèse entre la tradition, la culture et les techniques de management. Ces cadres auront la capacité de relayer des projets au siège des grands groupes, là où les expatriés peinent parfois à intégrer les particularismes locaux et où les managers locaux peuvent souffrir d'un manque de pratique des états-majors qui sont souvent très éloignés. Nous avons choisi de donner leur chance à ceux qui le méritent et qui sauront la saisir. Nous souhaitons, avec le concours d'entreprises, permettre à de jeunes Africains de venir étudier en France, à Cergy notamment, plutôt que d'aller, dans le meilleur des cas, étudier aux Etats-Unis, ou dans la plupart des cas de ne pas pouvoir accéder à nos écoles ou nos universités.

Mon souhait est que nous puissions aujourd'hui dégager des perspectives réelles pour y parvenir tous ensemble.

Séance de la matinée : l'Afrique : un cadre propice à l'investissement ?

Présentation du thème de la matinée

Mahamadou SAKO,
Président d'Afrique SA, ancien ministre du Niger

Nous remercions les partenaires institutionnels qui ont contribué à l'organisation de cette rencontre : le Sénat, l'ESSEC, le MEDEF dans sa composante Afrique, la maison des ESSEC qui nous a fourni une logistique importante, les sponsors officiels que sont KPMG et Bolloré, ainsi que nos partenaires médias, en particulier Ecofinance et L'Image de l'Afrique.

Ce colloque ne restera pas lettre morte. En effet, nous créons aujourd'hui une association de loi 1901 appelée Afrique SA, avec pour devise « ensemble, dynamisons le secteur privé », qui se chargera de suivre toutes les actions et les propositions qui seront émises au cours de cette journée.

Après une allocution de Michel Roussin, Président du MEDEF Afrique, nous assisterons à un débat qui abordera les thèmes suivants : investir en Afrique, est-ce un risque ou une opportunité ? ; les difficultés de l'investisseur : barrières à l'entrée, « risque pays » ; le tissu des PME : une relative faiblesse ; créer son entreprise en Afrique. Suivra une séance de questions-réponses, après laquelle Serge Michailof dressera une synthèse et Jacques Pelletier clôturera la matinée.

Le nouveau partenariat pour le développement de l'Afrique (NEPAD) : une nouvelle stratégie pour combler le retard

Michel ROUSSIN,
Président du MEDEF Afrique, ancien ministre

Il m'incombe d'exprimer le sentiment du secteur privé à l'égard de l'idée révolutionnaire que constitue le NEPAD, créé en 2001 et issu d'une prise de conscience par un certain nombre de chefs d'Etat du retard de l'Afrique. Cette démarche est d'autant plus importante que l'insertion de l'Afrique subsaharienne dans les flux d'échanges mondiaux s'est dégradée ces vingt dernières années. Cette initiative ambitionne de changer profondément les perspectives et les méthodes appliquées à la politique de développement en faveur de l'Afrique. Il ne s'agit plus de la politique de la main tendue. Au contraire, le NEPAD se veut le symbole d'un continent qui se prend en charge, d'une Afrique qui gagne et qui veut combler son retard. Il affirme la nécessité d'inscrire ce continent dans la mouvance de la mondialisation.

Pour parvenir à cet objectif, les pères du NEPAD ont choisi de favoriser une participation du secteur privé au financement des projets sélectionnés, de créer un label « NEPAD », d'associer le secteur privé au débat de la bonne gouvernance et de faire de la région l'espace primaire opératoire, afin de surmonter l'étroitesse des espaces économiques traditionnels. C'est pourquoi le NEPAD a décidé d'identifier certains projets prioritaires : la bonne gouvernance ; la bonne gouvernance de l'économie privée ; les infrastructures, l'environnement et l'énergie ; l'éducation et la santé ; l'agriculture et l'accès aux marchés développés.

I. Le secteur privé européen face au NEPAD

Le secteur privé européen a pris conscience du tournant que représentait la création du NEPAD. L'Afrique apparaît en effet décomplexée et désireuse de faire porter sa voix dans le concert des nations. Le secteur privé européen s'est d'ailleurs rapidement manifesté, par le biais de l'UNIC, qui regroupe 43 fédérations patronales européennes. Nous militons pour faire reconnaître les entreprises comme des acteurs incontournables du développement. Lors du colloque de Dakar sur le financement du NEPAD en avril 2002, j'ai soutenu cette nouvelle approche africain qui présentait trois caractéristiques principales motivant la mobilisation des entreprises européennes :

· la reconnaissance du niveau régional comme cadre de développement de l'Afrique ;
· un partenariat actif avec le secteur privé ;
· la nécessité de mobiliser l'investissement étranger.

Nous nous sommes satisfaits de la volonté d'intégration régionale affichée par le NEPAD, ainsi que de celle d'un partenariat public-privé dans le domaine des infrastructures. Ce dernier thème, essentiel pour la réalisation de projets, nous conduit à la réflexion suivante : le « tout public » n'est pas le meilleur cadre pour le développement de certains projets, surtout en matière d'infrastructures. Les déficits publics et la dette des Etats doivent être jugulés par un recentrage des dépenses de ces derniers sur les activités régaliennes. La délégation de la gestion de certaines infrastructures à un partenaire privé dûment choisi permet de dégager des ressources publiques pour les besoins que la seule puissance publique est à même d'assurer. L'efficacité de la gestion, dans un cadre régulé par l'Etat ou l'autorité publique et le recours à des professionnels permettent d'optimiser le management. La plupart des organismes de développement s'orientent vers cette voie.

Cependant, nous avons pu constater que les mécanismes du marché « tout privé » n'étaient pas non plus les plus opérants. Plus qu'un simple outil budgétaire, le partenariat public-privé apparaît comme un réel instrument de co-développement et de contribution opérationnelle à la croissance socio-économique. Correctement conçu dès l'origine, il optimise la satisfaction des trois acteurs fondamentaux : Etats et autorités publiques, citoyens consommateurs et opérateurs privés. En intégrant la bonne gestion, le partenariat public-privé constitue un processus vertueux.

L'un des facteurs de succès du NEPAD résidera dans la mobilisation de l'investissement étranger. L'investissement constitue l'élément de la croissance et de l'emploi. Il est le vecteur de transfert de connaissances et de technologies. Lui seul peut combler le retard économique de certains pays. Le secteur privé africain doit s'approprier la meilleure technologie, dans le cadre d'une politique de développement durable, et investir lui-même sur le continent. En effet, comment donner confiance aux investisseurs étrangers quand les entrepreneurs locaux ne croient pas réellement en l'avenir de leur pays, de leur sous-région et de leur continent ? La confiance ne se décrète pas, elle se construit ensemble. La prise en compte de ces réalités par les pères fondateurs du NEPAD est essentielle, car elle témoigne de la volonté politique manifeste de mettre en place les conditions du succès de ce nouveau partenariat et de faire de l'Afrique une destination profitable pour tous.

II. Les limites du NEPAD
1. Des progrès incontestables

Des progrès de trois ordres ont été accomplis depuis deux ans :

· la reconnaissance du NEPAD par les organisations multilatérales : les Nations unies et l'OCDE ont adopté le NEPAD comme base de leur relation future avec l'Afrique ;
· la diffusion du concept du NEPAD auprès de la société civile africaine ;
· un début de financement pour les projets labellisés « NEPAD ».

Rappelons aussi que les accords de Cotonou entre l'Union européenne et les pays ACP est entré en vigueur le 1 er avril 2003. Les liens entre ces accords et le NEPAD sont nombreux et porteurs d'espoir. Par ailleurs, le sommet de Cancun a démontré que le continent africain était capable de s'organiser et de faire porter sa voix dans le concert des nations. A cet égard, l'absence de résultat à Cancun ne me choque pas. James Wolfensohn a déclaré à ce sujet : « La Banque mondiale milite depuis longtemps pour une diminution des subventions agricoles dans les pays riches, qui cassent le développement de l'agriculture des pays pauvres. A Cancun, les pays en développement ont signalé qu'il devait y avoir un meilleur équilibre entre les riches et les puissants d'un côté, et ceux qui sont pauvres et nombreux. Ils ont choisi de faire échouer la réunion ministérielle, estimant que les propositions des pays riches étaient insuffisantes sur l'agriculture, et qu'il n'y avait dès lors pas lieu de discuter d'autre sujet ». Je félicite les pays en voie de développement d'être parvenus à ce résultat, mais aussi James Wolfensohn de s'exprimer si clairement sur le sujet.

De même, la diffusion du concept de NEPAD auprès de la société civile africaine porte ses fruits. En août dernier, lors d'un séminaire à Nairobi, le rôle des parlementaires africains en la matière a été rappelé. En septembre s'est tenu au Burkina Faso un colloque d'information et de sensibilisation de la société civile sur les problématiques de l'intégration économique et du NEPAD. Enfin, récemment, des syndicats ont émis une déclaration intéressante, affirmant que « la réalisation de projets d'envergure sous-régionale prévus dans le cadre du NEPAD ne sera une réalité vécue que si les travailleurs Afrique, unis par un même destin, apportent leur contribution et leur soutien ».

Quant au volet du financement, la Development Bank of Southern Africa et l'AFD viennent d'apporter, à parts égales, trois millions d'euros pour financer des études de faisabilité visant à présenter aux bailleurs de fonds des projets correspondant aux critères du NEPAD. Cette avancée est certes mineure, mais a le mérite d'exister.

2. Dérives

Une dérive me préoccupe en particulier, que j'illustrerai par une publicité pour le NEPAD récemment parue dans Jeune Afrique l'Intelligent , affirmant : « Le NEPAD est une vision et un cadre stratégique pour le renouveau de l'Afrique. Le NEPAD est conçu pour relever les défis auxquels le continent africain est actuellement confronté en matière de recrudescence des effets de la pauvreté, de sous-développement et de la marginalisation continuelle de l'Afrique ». J'y vois un discours tiers-mondiste d'une autre époque. Où est-il question d'infrastructures et de la nécessaire place du secteur privé ? Cette définition est bien éloignée des discours initiaux des pères du NEPAD et de la réalité. La publicité continue en mentionnant les priorités du NEPAD, ne rappelant que des évidences : « Paix et sécurité, démocratie, bonne gouvernance politique, économique et des entreprises, coopération et intégration régionale, renforcement des capacités. » Plus encore, sur le site Internet du NEPAD, où l'on trouve une profusion de discours, l'onglet « projets » est vide ! Le secteur privé n'a pas besoin de discours, mais d'initiatives. La multiplication actuelle de secrétariats généraux liés au NEPAD ne me semble pas y contribuer.

Les obstacles sont également liés aux relations inter-africaines. Le NEPAD repose sur un dispositif d'examen par les pairs. Or certains dirigeants africains sont en désaccord profond avec ce dispositif. Seuls quinze pays africains ont signé un mémorandum pour adhérer à ce principe. Ce dernier est-il bien adapté au contexte africain ?

Certains gouvernements, défendant des positions souverainistes, sont également réticents face à l'intégration régionale. Ils estiment que le NEPAD est trop marqué par l'initiative personnelle. Ils se méfient des pères fondateurs qui, à leurs yeux, ont réalisé l'alliance des pays les plus puissants du continent uniquement. Nous assistons donc à une querelle de leadership.

Le NEPAD souffre d'une absence de coordination et d'une attitude claire en termes de conditionnalité et de mise en oeuvre de la part des bailleurs de fonds. Pour nous, qui l'observons, le NEPAD demeure un exercice « top top », dont les discussions sont menées au niveau le plus haut, celui des chefs d'Etat. Il est révélateur d'une intention politique saine, mais aussi d'une faible capacité des institutions et des administrations des pays africains à adhérer totalement à cette conception. Les politiques du développement des trente dernières années, fondées sur le « tout Etat », n'ont pas permis de créer les conditions d'une coopération efficace entre les secteurs public et privé. Dans les faits, les conditions permettant d'aboutir à un succès du NEPAD ne sont pas réunies. Il faut, pour y parvenir, se reposer sur un triptyque composé des gouvernements, du secteur privé et des bailleurs de fonds. Ces organisations doivent travailler ensemble et se mobiliser très en amont sur les projets du secteur privé.

III. Propositions du MEDEF

Les conclusions de la présidence du sommet d'Evian du 3 juin 2003 ne vous auront pas échappé. Il est dit : « Nous sommes convenus d'élargir le dialogue avec les chefs d'Etats africains sur le NEPAD et sur le plan d'action du G8 pour l'Afrique. Nous invitons les pays intéressés et les institutions internationales compétentes à désigner de hauts représentant pour s'associer à ce partenariat. Nous ferons le bilan des progrès réalisés dans notre plan d'action sur la base d'un rapport en 2005. » Le G8 n'a manifestement pas su répondre au besoin d'instituer un parrain au NEPAD ni lui conférer la visibilité qui lui manque tant. Le NEPAD doit être animé et adapté à la situation sur le terrain. Le secteur privé peut y contribuer efficacement.

C'est pourquoi je renouvelle les propositions que le MEDEF et l'UNIC ont déjà émises il y a plus d'un an et demi. L'Europe doit continuer à être le partenaire privilégié de l'Afrique pour qu'ensemble, nous puissions peser sur les règles du commerce mondial et en tirer ensemble les meilleurs bénéfices. L'échec de Cancun ne doit pas marquer l'arrêt de nos relations. Bien au contraire, il constitue un déclic. Le dialogue entamé entre les chefs d'Etat doit se prolonger parmi les exécutants. Les administrations concernées doivent constituer un lien avec les autres opérateurs agissant sur le Continent : bailleurs de fonds, entreprises africaines et étrangères. Pour cela, il est nécessaire de soutenir les administrations des pays africains pour qu'elles soient en mesure de répondre de façon appropriée aux questions qui sont posées par le secteur privé. Nos amis chefs d'entreprises africains le reconnaissent : il faut une plus grande responsabilisation du secteur privé africain et une plus grande solidarité de notre part.

Il est également essentiel que la formation des administrations publiques africaines et des patronats locaux reste une priorité, et que l'on trouve des financements à cet effet. Le secteur privé européen prendra une part active à cette démarche. Des crédits existent pour cela.

En outre, et je l'ai déjà affirmé par le passé, il doit s'opérer une mobilisation en amont du secteur privé, pour qu'il soit associé à l'élaboration des projets. Le secteur privé n'exécutera pas des projets qui auront été décidés par les politiques et les administrations. Nous sommes prêts à participer à des groupes de travail techniques dans les secteurs identifiés comme prioritaires dans le cadre du NEPAD. Ces groupes de travail, constitués d'entreprises européennes reconnues pour leurs compétences, pourraient intervenir dans les phases de préparation et de mise en oeuvre des projets du NEPAD. Il faut regrouper les structures de représentation du secteur privé africain pour qu'il soit plus fort, par exemple via la Confédération panafricaine des employeurs avec laquelle l'UNIC a conclu un accord. Pour le moment, je n'ai reçu aucune réponse à ces propositions. Le secteur privé n'a encore jamais été sollicité dans le cadre du NEPAD.

Enfin, il est impératif de créer une réelle coordination entre les bailleurs de fonds et le NEPAD, afin de faciliter le travail des entreprises et la bonne mise en oeuvre des financements. Nous sommes parvenus à un accord de principe sur ce thème.

Après deux années d'existence, le NEPAD est arrivé à la croisée des chemins. Soit il continue à être une entreprise reliant uniquement les chefs d'Etats et quelques initiés et il périclite, soit il met fin aux discours et s'engage dans l'action. Le temps des palabres est révolu. Le mouvement annoncé est historique. Le NEPAD constitue une réelle opportunité. Nous devons exploiter le courant favorable créé par cette initiative.

Première table ronde

Participaient à la table ronde :
Jean-Louis CASTELNAU, président du CIAN ;
Edouard ETONDE EKOTO, président d'AGROCOM ;
Charles KONAN BANNY, gouverneur de la BCEAO ;
Jean-Luc RUELLE, associé KPMG ;
Alain VIRY, PDG du groupe CFAO.

La table ronde était animée par Patrick SANDOULY, rédacteur en chef de Ecofinance (groupe Jeune Afrique).


Patrick SANDOULY

Monsieur Konan Banny, L'Afrique vaut-elle le coup qu'on s'y intéresse ?

Charles KONAN BANNY

Comment pourrais-je affirmer le contraire ? Si l'assistance est si nombreuse aujourd'hui et si, en juillet dernier à New York, sous l'égide du PNUD, un colloque a réuni plus de participants encore pour traiter des marchés financiers en Afrique, cela témoigne que l'Afrique constitue un bon investissement.

L'Afrique est l'un des principaux fournisseurs de matières premières agricoles et l'une des premières sources de matières premières minières et minérales. En tant que conseiller des politiques publiques, j'affirme qu'en termes de croissance mondiale, l'Afrique présente le potentiel de croissance le plus fort au monde. Il faut pour cela créer les conditions d'accueil des investissements. Naturellement, tout investissement comporte un risque. Nous devons toutefois transformer les défis en opportunités et les risques en certitudes.

Il n'y aura pas d'investissement en Afrique tant que la sécurité des investissements ne sera pas assurée. La sécurité des investissements, du matériel et des personnes est la condition première, même si certains investisseurs sont prêts à affronter les balles pour extraire de l'or, du pétrole ou du diamant. Si nos pays offrent la paix et la sécurité, les potentialités africaines pourront être exploitées.

En deuxième lieu, il convient de mener des politiques adaptées portant sur l'environnement économique. Aucun investissement ne peut être rentabilisé si le cadre macro-économique dans lequel il s'inscrit n'est pas stable. Nous sommes maintenant en mesure d'y parvenir.

La troisième condition des investissements réside dans un contexte réglementaire et légal clair. L'Afrique n'est pas un pays, mais un continent. Nous devons, autant que possible, harmoniser les règles. En outre, le cadre dans lequel doivent s'inscrire les investissements africains doit être régional ou sous-régional. L'harmonisation des règles permettra de rendre le continent africain plus lisible.

La BCEAO s'est fortement inspirée de ces pistes et a travaillé sur l'environnement économique. Naturellement, nous n'avons pas de prise sur la sécurité physique. A cet égard, je suis convaincu que c'est grâce au mécanisme de pression des pairs que les Africains pourront se parler en toute franchise, rappeler à certains que leurs politiques sont vouées à l'échec et les conduire sur la voie de la démocratie et de la liberté.

Dans notre sous-région, nous avons amplement oeuvré à l'harmonisation des règles et du cadre macro-économique. Je suis le gouverneur d'une banque centrale de plusieurs pays. Nous disposons d'une monnaie commune solide. Nous avons harmonisé le droit des affaires et la comptabilité des entreprises. Ces éléments, s'ils sont diffusés en Afrique, offriront aux investisseurs une lisibilité, pourvu que la sécurité soit assurée.

Patrick SANDOULY

Monsieur Castelnau, vous qui représentez les investisseurs français en Afrique, comptez-vous parmi vos adhérents d'autres entreprises que celles qui extraient de l'or ou du pétrole en bravant les balles ?

Jean-Louis CASTELNAU

Charles Konan Banny s'est positionné en tant que représentant du secteur public, mais aurait tout aussi bien pu représenter le secteur privé. Je partage entièrement les propos qu'il a tenus.

La chance du CIAN réside dans la diversité des investisseurs qu'il représente. Nous constituons l'association patronale des sociétés investies en Afrique. Nous sommes donc riches d'une expertise de terrain diversifiée. Nous comptons cent maisons mères et leurs 1 500 filiales dans les domaines minier, pétrolier, agroalimentaire, de la transformation, de l'industrie, de la banque, de l'assurance et des avocats d'affaires.

En tant qu'industriel, je ne connais pas d'opportunité sans risque, en Afrique ou dans le reste du monde.

Par ailleurs, l'Afrique n'est pas une entité unique. Les dirigeants africains doivent être conscients que tout conflit africain pollue l'image de l'Afrique. L'Afrique que l'on remarque est celle qui est mal en point, bien qu'il existe une Afrique qui gagne, comme en témoignent certaines études. Le développement de l'intégration régionale devrait réduire ces différentiels entre les pays.

La bonne gouvernance, que mes prédécesseurs ont déjà évoquée, comporte deux volets, l'un politique et l'autre économique. La sécurisation des investissements ne peut se passer d'une bonne gouvernance économique. Nos industriels interviennent dans le monde entier et sont confrontés à une concurrence planétaire. L'Afrique jouit d'un retour sur investissement parmi les meilleurs. Dès lors, pourquoi les investissements n'y sont-ils pas plus nombreux ? Cela tient à la bonne gouvernance et à la sécurité.

La bonne gouvernance se résume en quelques mots clés, parmi lesquels la visibilité économique et l'environnement des affaires. Ce dernier point est particulièrement critique, ce dont les responsables politiques sont conscients. Chacun doit participer à l'amélioration de l'environnement des affaires. Nous éditons chaque année un baromètre du profil de l'environnement des affaires de nombreux pays. Outre la sécurité des investissements, nous accordons un rôle majeur à la justice. Or l'Afrique, notamment francophone, a la chance de disposer d'un droit unifié et d'une possibilité de recours supranational, qui est essentielle pour les investisseurs.

Enfin, il se pose le problème de l'étroitesse de marchés. Si les marchés n'atteignent pas une certaine masse critique, les investisseurs ne peuvent pas en attendre de retour sur investissement. C'est pourquoi j'enjoins les chefs d'Etat d'accélérer les intégrations régionales. Lors d'une récente réunion des ministres de Finances de la zone franc, il est apparu que la CEMAP devait afficher un taux de croissance de 4 % et l'UMOA de 1,4%. Cela témoigne de l'influence de la situation de la Côte d'Ivoire sur l'UMOA, voire de la CDAO. De même, une étude réalisée par le centre de développement de l'OCDE fait état de corrélations nettes entre la bonne gouvernance et la croissance économique.

Patrick SANDOULY

Alain VIRY, vous dirigez l'un des groupes les plus importants et présents de longue date en Afrique ? Comment travaillez-vous en Afrique ?

Alain VIRY

Depuis quatre ans, la CFAO s'est implantée dans onze nouveaux pays africains, créé dix entreprises, opéré quinze acquisitions et investi 250 millions d'euros sur le continent. Les chiffres d'affaires des onze nouveaux pays représentent 430 millions d'euros fin 2003, et ces entreprises sont rentables.

Le PNB officiel de l'Afrique est équivalent à celui de la Hollande, avec des marchés de tailles diverses. Il existe en Afrique de petits marchés de niches, pour lesquels la régionalisation est indispensable pour attirer des investisseurs, mais aussi des marchés très importants dont il est plus rarement question. Nous avons une vision large de l'Afrique, y compris des pays anglophones ou de l'Afrique méditerranéenne.

Patrick SANDOULY

On peut donc gagner de l'argent en Afrique ?

Alain VIRY

L'on peut naturellement faire des affaires en Afrique comme ailleurs. Je me suis battu au sein de mon groupe pour que l'on cesse de plaindre l'Afrique et que l'on s'y intéresse avec un regard lucide. Si la visibilité sur les marchés n'est pas suffisante, il faut se donner les moyens de l'acquérir et de connaître ses clients et ses consommateurs. Si l'on manque d'hommes, il faut se donner les moyens de les former.

Patrick SANDOULY

Monsieur Etonde Ekoto, comment attirez-vous les investisseurs à Douala ?

Edouard ETONDE EKOTO

D'une manière générale, je rappellerais que l'Afrique dispose de grandes chances d'évoluer car elle est constituée à 60 % de jeunes de moins de vingt ans. Pour que ce vivier soit utile, il faut toutefois que ces jeunes acceptent de travailler ardemment, comme le font les jeunes Asiatiques. Est-il envisageables que de jeunes Africains travaillent 35 heures par semaine, alors que les Coréens travaillent seize heures par jour ?

Nous devons organiser un nouveau Code du travail. L'Afrique ne peut pas se développer avec les conditions qui lui sont imposées. Nous devons élaborer des conditions spécifiques permettant aux Africains de travailler davantage. C'est ce à quoi nous nous efforçons à Douala, sans ressources particulières mais en mobilisant la population de notre ville. Nous avons affirmé que si les habitants ne consentaient pas d'effort, Douala serait un bidonville dans quelques années. Je vous invite à Douala pour étudier la possibilité de réaliser certains projets et contribuer à l'éveil d'un pays dont Douala représente la moitié du potentiel de développement.

Patrick SANDOULY

Monsieur Ruelle, vous travaillez à Abidjan et êtes un observateur du comportement et des stratégies des entreprises en Afrique. Les marchés africains sont-ils trop petits ? Les Africains travaillent-ils assez ? Les conflits constituent-ils un réel frein pour les investissements ?

Jean-Luc RUELLE

En tant qu'expert-comptable, auditeur et partenaire de KPMG en Côte d'Ivoire et dans d'autres pays d'Afrique francophone, la société que je représente est en contact avec la plupart des opérateurs privés intervenant en Afrique francophone. Il est à cet égard intéressant de s'interroger sur la nature de ces investisseurs. Sont-ils uniquement des grands groupes internationaux ? Existe-t-il un tissu de PME locales ? Quel type d'investissement les pays d'Afrique souhaitent-ils accueillir ?

Des progrès significatifs ont été réalisés, notamment depuis une dizaine d'années en Afrique francophone. Nous pouvons en rendre hommage au gouverneur de la Banque centrale pour l'Afrique de l'Ouest. Ces progrès ont permis un développement de l'intégration régionale. Tout en répondant au problème de l'étroitesse du marché, cette dernière permet une harmonisation des conditions de fonctionnement des entreprises et constitue une réponse aux inquiétudes des investisseurs.

Patrick SANDOULY

Monsieur Castelnau, les membres de votre organisation vous font-ils fréquemment part de difficultés à l'entrée dans les pays ?

Jean-Louis CASTELNAU

Les difficultés ne résident pas tant à l'entrée qu'à l'intérieur des pays. En effet, le tarif extérieur commun a déjà bien évolué. Mais il faut reconnaître que les problèmes principaux tiennent à la fraude fiscale ou douanière. Nous nous devons d'intervenir dans ces conflits et de saisir les gouvernements concernés. Il importe en outre de résoudre la question de l'économie informelle, qui atteint directement les recettes de l'Etat. Il ne s'agit pas de réduire cette économie à néant, car elle est peut-être nécessaire dans une certaine mesure. Toutefois, dès lors que l'informel empiète sur le formel, il importe de réagir. Les importations frauduleuses tuent l'économie locale, elle-même victime de sa taille industrielle, ce qui a finalement des incidences sur l'emploi.

Patrick SANDOULY

Monsieur Etonde Ekoto, que répondriez-vous à un investisseur français qui s'inquiéterait d'un éventuel drame politique au Cameroun semblable à celui que connaît la Côte d'Ivoire ?

Edouard ETONDE EKOTO

La Côte d'Ivoire, malheureusement pour nous tous, a fait un faux-pas. Pour sa part, le Cameroun a déjà connu sa part de drame, de 1955 à 1965. Après les épisodes difficiles de la transition démocratique en 1990-1992, la Tripartite a permis de rétablir la situation. Il y a de fortes chances que les drames passés ne se reproduisent pas. En outre, nous sommes entourés de pays comme le Tchad, la République Centrafricaine ou le Nigeria d'où nous parviennent régulièrement des réfugiés, et qui constituent des contre-exemples.

La sécurité de l'investissement au Cameroun est une réalité, grâce à une stabilité politique qui ne s'est jamais démentie. Les investissements divers qu'accueille Douala en sont le témoignage.

Alain VIRY

La Côte d'Ivoire, si elle ne faisait pas partie de la zone du franc CFA, se serait effondrée sur le plan économique. Le franc CFA constitue une forme de sécurisation de l'investissement.

Patrick SANDOULY

La stabilité monétaire peut-elle contribuer à combattre l'économie informelle et la fraude, et ce faisant à assurer l'essor de l'Afrique de l'Ouest ?

Charles KONAN BANNY

La stabilité de la monnaie et des prix est le premier moyen nous permettant de lutter contre la pauvreté. Il reste à savoir si cette arme permet de combattre toutes les dérives. Sans stabilité monétaire, le secteur informel serait certainement plus important. Ce ne sont pas les régimes monétaires qui créent un secteur informel mais les pratiques administratives, et notamment les régimes tarifaires et le contournement de l'impôt.

Pour sa part, la zone UMAO a abaissé son tarif extérieur commun. Sa fiscalité intérieure est en cours d'harmonisation. Il apparaît donc une lisibilité fiscale. Toutefois, dans l'application pratique, les barrières tarifaires officielles visibles sont doublées de barrières non tarifaires invisibles. Nous devons nous attacher à assurer une transparence toujours plus grande.

Séance de questions-réponses

Monsieur SEME NOUNGON, Semme Mineral Water

Il est choquant de constater qu'alors que les banques sont sur-liquides au Cameroun, elles accordent aux entreprises locales des prêts à 20 % ! Par ailleurs, en matière de risque, les pays d'Afrique sont classés par grandes zones, ce qui peut leur être défavorable. Ainsi, le Cameroun est classé avec le Burundi, qui présente un taux de risque très élevé.

Charles KONAN BANNY

Peut-être les banques prêtent-elles de l'argent à un taux élevé aux investisseurs locaux parce qu'elles n'ont pas suffisamment confiance. Ces banques justifient leurs taux par la forte proportion de mauvais payeurs dans leurs portefeuilles. C'est pourquoi la bonne gouvernance d'entreprise doit devenir une réalité.

Les autorités monétaires n'administrent plus les taux d'intérêts. Nous avons toutefois enjoint la BCAO, il y a quelques mois, de baisser ses taux. Nous avons également réduit le taux d'intervention de la Banque centrale. Il reste à savoir si les banques s'approprieront ce message.

Alain VIRY

Dns la zone CFA, nous avons la chance de bénéficier de taux bas. Par ailleurs, toute entreprise doit disposer de fonds propres, les banquiers n'étant pas les seuls financeurs des entreprises. Enfin, il existe en quelque sorte une mutualisation des risques en Afrique. Si les règles appliquées dans les pays occidentaux l'étaient en Afrique, nombre d'entreprises ne pourraient plus obtenir aucun crédit. Les grandes entreprises payent souvent pour les petites.

Jean-Michel TAMOKOUE

Vous avez omis un risque majeur qui se dissémine à travers l'Afrique, celui du Sida. Sur 46 millions de personnes atteintes par ce virus, 30 millions se trouvent en Afrique. Comment assurer la croissance alors que la population est à ce point touchée ?

A ce titre, le groupe CFAO a lancé le programme « CFAO solidarité santé Sida ». Je sais également de Monsieur Viry oeuvre au sein de Sida Entreprises, qui réunit plusieurs groupes français présents en Afrique. L'OMC a décidé de faciliter la commercialisation des produits génériques. Or la CFAO est un leader en matière de distribution de produits pharmaceutiques. Monsieur Viry, quelle action prévoyez-vous pour profiter de cette nouvelle opportunité ?

Alain VIRY

Le problème du Sida devient très préoccupant pour les entreprises, en particulier dans les pays d'Afrique australe et de l'Est. La CFAO a mis en place, dans les pays où elle opère, le programme « Sida Entreprises » de dépistage et de soin. Par ailleurs, en partenariat avec d'autres groupes français et internationaux, elle a créé une association ayant pour vocation de mobiliser les directions générales des groupes sur le sujet et d'organiser des coopérations sur le terrain, afin de mutualiser les moyens.

Philippe ANIZAN, Cossanex

Monsieur le Gouverneur, l'euro remplacera-t-il un jour le franc CFA, ce qui redonnerait confiance aux entreprises et éloignerait les risques de dévaluation ?

Charles KONAN BANNY

Votre question laisse entendre que seules les monnaies africaines sont vouées à la dévaluation. Estimez-vous que les Africains sont incapables de gérer une monnaie ? Une telle interprétation serait inacceptable. Aujourd'hui, grâce à l'arrimage du franc CFA à l'euro à taux fixe, il est indifférent que notre monnaie soit le franc CFA ou l'euro. Nous avons créé une zone de solidarité et de stabilité monétaire.

La stabilité monétaire constitue un élément important pour les transactions et les investissements. Nous avons pris des risques politiques pour y parvenir, car nous étions convaincus que ce choix était pertinent. Je souhaite d'ailleurs qu'une telle zone s'étende à l'ensemble de l'Afrique.

Naturellement, nos politiques économiques doivent soutenir cette parité fixe. Or nos fondamentaux ne font pas état de risque de dévaluation du franc CFA.

Roland PORTELLA MAKANY, Finabanque Conseil

Vous avez évoqué un manque de confiance de la part des opérateurs économiques locaux. Or ces opérateurs n'entretiennent pas de véritable coopération avec les investisseurs privés qui s'implantent dans leur pays. S'il existait une cohésion entre les opérateurs informels rejoignant le secteur formel, les opérateurs locaux et les investisseurs étrangers, peut être le volet politique pourrait-il évoluer.

Par ailleurs, comment expliquez-vous l'échec des privatisations, auxquelles les acteurs économiques locaux n'ont pas été associés ?

Jean-Luc RUELLE

Je partage votre première remarque. Sachez qu'en Côte d'Ivoire, mille entreprise réalisent plus d'un milliard de chiffre d'affaires et sont gérées par la Direction des grandes entreprises, alors que quarante mille entreprises sont soumises à l'impôt synthétique.

Par ailleurs, il me semble que les gouvernements n'ont pas la volonté politique de transformer les opérateurs du secteur informel en PME, en leur offrant les moyens nécessaires.

Enfin, il faut noter que certaines privatisations se sont opérées au bénéfice d'investisseurs locaux, bien qu'ils soient des groupes transnationaux africains.

Edouard ETONDE EKOTO

J'affirme que nous sommes responsables des problèmes des PME. Les PME n'obtiennent pas de prêts car elles refusent de tenir des comptabilités ou se livrent à des pratiques frauduleuses. Nous devons accepter de jouer le jeu de la bonne gouvernance.

S'agissant des privatisations, il faut se garder des généralisations. J'ai été témoin de la privatisation de la banane au Cameroun. En deux ans, le nombre d'employés de ce secteur a triplé et le volume de production a été multiplié par six. Nous avons besoin que des opérateurs étrangers et nationaux participent aux privatisations. Dès lors que nous disposons de bourses de valeur, tout le monde peut y prendre part.

Ababacar MBENGUE, Université de Reims

J'aborderai la mise à niveau des entreprises africaines. Comment les entreprises peuvent-elles être actives dans le contexte de globalisation des échanges ? Comment faire intervenir les petites entreprises, notamment par le biais du portage ?

Alain VIRY

Les principaux décalages entre l'Europe et l'Afrique se trouvent dans les esprits. Un volume important d'argent est prêt à être investi en Afrique, mais il manque les forces humaines nécessaires. Les entrepreneurs de talent doivent s'implanter en Afrique plutôt que de chercher des rentes en Europe.

Par ailleurs, le portage est difficile dans la mesure où les entreprises internationales sont très focalisées sur leur métier. Certains grands groupes, pétroliers ou industriels, l'ont pratiqué dans le passé, mais je ne suis pas certain que cela fonctionne encore. Naturellement, il importe de créer des passerelles entre les grandes entreprises et les plus petites. Dans certains pays très difficiles, les entreprises en place - celle que je représente notamment - pourraient mettre quelques moyens logistiques à la disposition d'entrepreneurs qui souhaiteraient faire de la prospection.

Charles KONAN BANNY

Avant de prétendre participer à la compétition mondiale, encore faut-il se doter du niveau requis. Les entreprises doivent aller résolument à la conquête des marchés en recherchant les avantages comparatifs. Pour cela, nous devons nous mettre à niveau.

Jean-Louis CASTELNAU

La Tunisie et le Maroc constituent des exemples de mise à niveau réussie. L'Union européenne dispose de fonds pour la mise à niveau. Cette dernière doit d'abord passer par un audit de l'entreprise pour en déterminer les points forts et faibles. Cette méthode fonctionne très bien. Près de 400 entreprises tunisiennes l'ont suivie et en voient les résultats en termes de compétitivité.

Chicot EBOUE, Université Nancy II

S'agissant du risque des investissements en Afrique, j'aurais souhaité que les intervenants mentionnent plus précisément les marges unitaires élevées de nombreux pays africains dans les domaines des transports aériens, des télécommunications, des services ou des banques.

Monsieur Viry, j'ai été heureux d'entendre que les multinationales disposaient d'un savoir-faire pour construire une visibilité. Qu'en est-il de ce savoir-faire en matière de construction des investissements directs étrangers dans des pays corrompus ou mal organisés ?

Patrick SANDOULY

Je vous répondrai moi-même. Je suis l'un des membres fondateurs de l'association Africa 2005. Lorsque nous avons créé cette association, composée de nombreux jeunes africains, nous avons d'abord parodié la phrase du président Kennedy en affirmant : « Au lieu de me demander ce que l'Afrique peut faire pour moi, je me demande ce que je peux faire pour l'Afrique ».

Jérôme MINIE, Earnst and Young

Je suis le seul Africain parmi les 200 associés Earnst and Young en France. Mon parcours étudiant et professionnel m'a permis d'aboutir à ce niveau. Cela prouve que les Africains ont du talent, qu'il suffit de promouvoir.

Synthèse et conclusion du thème

Serge MICHAILOF ,
Directeur exécutif Opérations Etats étrangers à l'Agence française de Développement

I. Investir en Afrique : opportunité ou risque ?

Comme l'a rappelé Charles Konan Banny, l'Afrique n'est pas un pays mais un continent immense, avec des visages multiples. Si certaines régions sont sinistrées et subissent des conflits latents ou ouverts, d'autres connaissent des croissances formidables. A titre d'exemple, les institutions financières sud-africaines ont tant financé d'opérations ces deux dernières années au Mozambique qu'elles ont dépassé leur plafond grand risque.

Il faut reconnaître que l'Afrique fait peur aux investisseurs étrangers. L'investissement direct étranger y est très faible. Il est de surcroît principalement destiné au Maghreb et à l'Afrique du Sud. En outre, la part destinée à Afrique subsaharienne s'oriente davantage vers les secteurs pétrolier et minier que vers les PME.

Cette peur s'explique par deux raisons : l'inquiétude causée par les conflits et la perception d'une gouvernance médiocre. S'y ajoute l'étroitesse des marchés. Nos intervenants ont rappelé que les processus d'intégration régionale et d'harmonisation des affaires constituaient des solutions.

Malgré ces difficultés, Monsieur Viry a affirmé qu'il existait des réussites remarquables d'investissements privés en Afrique. J'ajouterais que l'AFD possède une filiale, PROPARCO, qui finance des opérations en Afrique à hauteur de 250 millions d'euros par an. Le taux de casse de ces opérations est de l'ordre de 2 % à 3 %, bien que nous financions des opérations dites risquées : PME et infrastructures en partenariat public-privé.

Il reste que l'on constate un dérapage des résultats de l'Afrique subsaharienne par rapport aux objectifs du millénaire à 2015. L'Afrique a besoin d'investissements privés plus importants et doit atteindre des taux de croissance de l'ordre de 7 %.

Par ailleurs, s'il est vrai que le NEPAD produit de nombreux discours, il a également abouti à quelques réalisations. Ainsi, l'AFD a monté avec la DBSA, institution financière sud-africaine, un fonds d'études de six millions d'euros visant à amorcer des projets et devant générer 200 à 300 millions d'euros d'investissement.

II. Les difficultés des investisseurs

Echangeant les rôles que l'on attendait d'eux, Charles Konan Banny a évoqué un problème de visibilité économique alors qu'Alain Viry a loué la stabilité monétaire apportée par le franc CFA.

A mes yeux, trois problèmes ont constitué des handicaps considérables pour les investisseurs et sont en cours de traitement.

· Si l'instabilité macroéconomique était prégnante dans les années 1975-1985, des progrès considérables ont été accomplis dans la plupart des pays, notamment grâce aux banques centrales d'Afrique centrale et d'Afrique de l'Ouest.
· Alors qu'au cours des années 80 les pouvoirs publics et politiques étaient méfiants envers les investisseurs privés, le dialogue s'est amélioré.
· Dans certains pays, les infrastructures sont reconstruites grâce à des opérations de partenariat public-privé, de mise en concession de service public ou de privatisation.
Néanmoins, trois problèmes graves n'ont pas encore trouvé de réponse.
· l'instabilité politique

Cette instabilité ne peut qu'inquiéter les investisseurs.

· les incertitudes du cadre juridique

Dans de nombreux pays, l'on achète les décisions de justice. Les investisseurs de longue date, bien insérés dans les tissus locaux, peuvent surmonter ces difficultés. En revanche, les nouveaux venus se font spolier. Les chefs d'Etats africains ne savent comment y remédier, du fait de la séparation des pouvoirs. S'y ajoutent le terrorisme fiscal parfois opéré par des ministères des finances soumis aux fortes pressions du Fonds monétaire, mais aussi la concurrence des réseaux de fraude organisée.

· le respect des contrats et des engagements des Etats face aux investisseurs privés
La mise à niveau des entreprises en Afrique ne saurait se passer d'un partenariat public-privé. L'on constate toutefois un certain désenchantement des investisseurs, qui s'inquiètent de voir leurs partenaires étatiques remettre en cause régulièrement des contrats qui avaient été conçus sur le long terme. Ceci est d'autant plus dommage que de nombreux exemples de telles opérations ont donné des succès remarquables, comme la SODESI ou la SEG au Gabon.
III. Le tissu de PME en Afrique

Certains pays se sont caractérisés par des tissus de PME relativement solides, comme la Côte d'Ivoire qui est toutefois fragilisée par le contexte actuel. Par ailleurs, dans la quasi-totalité des pays africains, l'on constate un dynamisme évident des micro-entreprises. Comme l'ont souligné Edouard Etonde Ekoto et Jean-Luc Ruelle, ces dernières ont des difficultés à passer dans le secteur formel.

S'agissant de la mise à niveau, Jean-Louis Castelnau a rappelé l'exemple de la Tunisie, dont les pays d'Afrique subsaharienne auraient tout intérêt à s'inspirer. Ces actions nécessitent toutefois un environnement des affaires sain.

Enfin, il est capital d'apporter un soutien aux systèmes financiers locaux, indispensables à l'allocation rationnelle des ressources. Dans la zone UMOA, un dynamisme se met justement en place pour des émissions obligataires. L'aide internationale, en particulier celle de l'AFD, s'intéresse à ces aspects et instaure des instruments de garantie et de rehaussement de crédits en monnaies locales.

IV. Créer son entreprise en Afrique

Nos intervenants ont évoqué des problèmes d'instabilité politique et macro-économique, de sécurité, d'environnement des affaires et de qualité des infrastructures. J'insisterai pour ma part sur les besoins immenses en matière d'infrastructures, pour lesquels il est indispensable de mobiliser des financements privés. L'aide internationale, au-delà des financements qu'elle consent, devra envisager des opérations visant à sécuriser les investisseurs étrangers. L'AFD le pratique par le biais de la couverture partiale de risques.

Le continent africain est soumis à des mutations prodigieuses, face auxquelles il faut se garder de tout catastrophisme. Alors que la République démocratique du Congo se transformait il y a trois ans en terra incognita , les investisseurs affluent aujourd'hui à Kinshasa. Nous sommes tous inquiets de la situation de la Côte d'Ivoire. Depuis une cinquantaine d'année, cette dernière a connu un quadruplement de sa population et une émigration considérable, ce qui a engendré de grandes tensions. Lorsque ce pays aura surmonté ses difficultés actuelles, il sera susceptible d'un formidable rebond.

L'Afrique est donc un continent jeune qui a envie de travailler et qui présente de nombreuses opportunités.

Allocution de fin de séance

Jacques PELLETIER ,
Sénateur, Président du groupe d'amitié France-Afrique australe

Je me suis investi depuis une dizaine d'années dans la coopération non gouvernementale, qui repose à mes yeux sur quatre acteurs entrant en synergie : les ONG, les collectivités territoriales, les entreprises et l'éducation. Dans ce contexte, l'entreprise est centrale. Sans investissement en effet, il ne peut y avoir ni croissance, ni emploi, ni distribution de revenus, ni diminution de la pauvreté. L'entreprise combine les facteurs de production permettant de créer de la richesse, qui est ensuite distribuée sous forme de revenus ou par le biais des prélèvements fiscaux, dans le cadre des politiques publiques. Elle a vocation à offrir des perspectives d'emploi aux vingt millions de jeunes qui arrivent chaque année sur le marché du travail en Afrique. De ce point de vue, la situation du continent semble être défavorable.

Le NEPAD est de nature à créer des conditions propices aux investissements. Cela nécessite que les engagements soient réellement tenus de part et d'autre. A ce titre, le gouvernement britannique a suggéré que les Etats occidentaux empruntent afin d'être en mesure d'allouer les sommes promises plus rapidement.

En Afrique comme ailleurs, les politiques devraient s'ordonner autour de l'entreprise, qui doit bénéficier d'un environnement porteur. Or il se pose encore de nombreux problèmes, en premier lieu la corruption qui agit comme un repoussoir absolu pour les investisseurs, domestiques ou étrangers. L'Afrique n'a naturellement pas l'exclusivité de la corruption. Il reste que dans des pays qui ont moins réussi que d'autres leur décollage économique, la corruption a des conséquences paralysantes pour le développement.

En outre, les systèmes fiscaux et douaniers entraînent souvent des surcoûts et des délais incompatibles avec la vie des affaires. Ils freinent la circulation des marchandises. L'Afrique souffre aussi de l'étroitesse de ses marchés et de leur enclavement. Il en résulte une faiblesse des marchés locaux qui ne permet pas aux investisseurs d'amortir leurs engagements dans des conditions normales. Enfin, des procédures de paiements sécurisés et rapides sont nécessaires.

Sur le plan de la justice, malgré les progrès enregistrés grâce à l'OHADA notamment, beaucoup reste à faire pour consolider les systèmes judiciaires et d'arbitrage en termes de professionnalisme et d'indépendance. Du point de vue juridique, la propriété intellectuelle demeure insuffisamment protégée. Le droit du travail est largement inapproprié. S'y ajoutent des formalités administratives et des procédures d'octroi de visas dissuasives.

S'agissant des infrastructures financières, les systèmes sont peu performants et caractérisés par de grandes difficultés d'accès aux crédits, une préférence pour le financement des activités commerciales et un niveau de taux d'intérêt souvent dissuasif. En outre, l'investisseur est particulièrement sensible à la stabilité et à la lisibilité des politiques publiques et des réglementations. Il faut rappeler que les investissements étrangers représentent près de la moitié de l'investissement productif en Afrique, contre 25 % en Amérique latine et 12 % en Asie. L'investissement étranger conditionne également l'insertion des pays dans l'économie mondiale.

Tout cela implique des politiques publiques relatives à l'Etat de droit, à la bonne gouvernance, aux réformes structurelles et à l'intégration régionale.

Je ferai pour finir une suggestion. Il faudrait que dans chaque pays soit établi un cadre de concertation régulière entre les pouvoirs publics, les investisseurs et les chefs d'entreprises, pour qu'ils examinent ensemble comment avancer dans la voie du développement des entreprises et créer un cadre propice à l'investissement en Afrique.

Séance de l'après-midi : quelle formation pour les cadres africains performants ?

Présentation du thème de l'après-midi

Mahamadou SAKO ,
Président d'Afrique SA, ancien ministre du Niger

Afrique SA se fixe des objectifs de trois ordres :

· la formation de cadres africains ;
· l'intégration des jeunes cadres africains dans les entreprises multinationales ;
· un meilleur dialogue entre le secteur public et le secteur privé.

Pour notre part, nous consacrerons l'après-midi à la formation des jeunes talents. Après une allocation de Roger Melingui, Ministre du Budget au Cameroun, Alain Lempereur évoquera son expérience personnelle en Afrique dans le domaine de la négociation. La table ronde sera suivie d'une séance de questions-réponses, après quoi Roger Melingui nous livrera une synthèse et Pierre-André Wiltzer clôturera la journée.

La formation des cadres africains : urgence parmi tant d'autres ou priorité ?

Roger MELINGUI ,
Ministre du Budget du Cameroun

Je serais bien incapable de parler de la formation en spécialiste. Je vous ferai plutôt part de mon expérience et de mes observations.

I. La formation : une priorité à gérer dans le long terme

La formation des cadres ne peut pas être traitée en urgence, mais dans le temps. La sélection des cadres, le transfert des connaissances, l'apprentissage et l'entretien des savoir-faire acquis nécessitent du temps. En revanche, la formation constitue certainement une priorité en Afrique. En effet, l'homme tient un rôle central dans l'entreprise, et en particulier les cadres.

Si la formation ne se gère pas dans l'urgence, c'est qu'elle participe de la planification stratégique de l'Entreprise. Cela nécessite que les objectifs de l'entreprise soient clairement définis, ce qui n'est pas toujours le cas. Outre les investissements matériels, les besoins en ressources humaines doivent être également évalués. Or il est rarement attribué à cet inventaire des besoins humains la place stratégique qui lui revient.

S'il existe un problème des cadres africains, il tient principalement au processus de planification et de gestion des ressources. Certains manquements apparaissent à cet égard.

· la définition des besoins

L'entreprise doit s'assurer que pour un travail donné, elle a réellement besoin d'un cadre. Les cadres africains sont souvent sous-payés, ce qui incite les entreprises à recruter des cadres plutôt que des agents de maîtrise, ce qui peut conduit à de graves difficultés.

· la formation des cadres

Les grandes entreprises ayant des ambitions africaines doivent s'impliquer dans la formation de leurs futurs cadres. Cela permet de fidéliser les cadres et de les imprégner de la culture de l'entreprise. Se contenter de recrutements en fin de formation scolaire ou universitaire, sans véritable formation professionnelle interne à l'entreprise, mène à de nombreux échecs.

· la motivation des cadres africains
Le cadre africain ne doit pas avoir le sentiment d'être un cadre de seconde zone soumis à l'arbitraire de son employeur du fait de la précarité économique qui sévit dans son pays. Mon expérience m'a permis de déplorer de telles situations. Les cadres africains formés doivent être rémunérés au même niveau que leurs collègues expatriés. L'alignement des salaires des cadres africains aux rémunérations des pays où sont installées les entreprises est une source évidente de frustration et de mal gouvernance.

Au-delà de la formation, le problème fondamental est celui de l'après-formation. Comment les cadres africains sont-ils intégrés dans les entreprises ? Font-il l'objet de discriminations ? Malheureusement, les échecs d'intégration des cadres africains dans les entreprises internationales sont nombreux. Ces cadres tendent à considérer leur entrée dans ces entreprises comme une simple étape initiale de leur carrière. Cela s'explique certainement par les frustrations et les discriminations dont ils peuvent faire l'objet. Je suis convaincu que l'évolution de l'état d'esprit des employeurs, qui souhaitent bien former et bien intégrer les cadres, permettra à ces aventures humaines de participer au succès des grandes entreprises internationales en Afrique.

Leadership et négociation en Afrique

Alain LEMPEREUR ,
Professeur associé à l'ESSEC, consultant

Je limiterai mon intervention à un travail que nous menons depuis près d'un an au Burundi.

I. Contexte d'implication de l'ESSEC au Burundi

L'institut IRENE forme, grâce à l'intervention d'une vingtaine de praticiens ou de théoriciens de la négociation, environ 2 500 personnes par an à l'ESSEC, en entreprises ou pour d'autres écoles comme l'ENA. Depuis 1999, nous développons des programmes de formation à la négociation en Afrique, avec le concours de l'OMS et de l'UNITAR. Ces formations sont centrées sur les « vieux talents » : la formation continue des leaders africains. Pour que les partenariats soient plus durables en Afrique, il faut en effet rendre plus efficaces les négociations entre bailleurs de fonds et porteurs de projets.

Les accords d'Arucha ont ouvert la voie, il y a plus d'un an, à un processus de réconciliation au Burundi. L'alternance gouvernementale a joué le 1 er mai dernier, le président Tutsi ayant laissé la place à un président Hutu. La plupart des mouvements rebelles sont associés au processus de paix. Il reste que les besoins sont énormes, parmi lesquels :

· l'établissement de la confiance ;
· le renforcement des capacités dans le domaine de la négociation et de la prise de décisions concertée ;
· l'accompagnement du changement ;
· la gestion de projets ;
· l'élaboration d'une vision commune.

II. Action et principes

Notre action s'article autour de trois principes : l'appropriation, l'adaptation et l'action-formation.

1. L'appropriation

Ce programme est dirigé par Howard Wolpe, ancien envoyé spécial du président Clinton dans la région des grands lacs, qui a de nombreux contacts au Burundi. Le programme connaît un certain succès car il repose sur une appropriation par les groupes d'acteurs importants :

· les leaders de l'ensemble des partis en présence (gouvernement et mouvements rebelles) ;
· les équipes de médiation internationales ;
· les chefs des troupes d'interposition sud-africaines ;
· les bailleurs de fonds, en particulier la Banque mondiale et USAID ;
· les personnalités locales, notamment l'ancien Ministre des Droits de l'Homme au Burundi.
· les participants eux-mêmes.

2. L'adaptation

Les formations doivent être adaptées aux besoins des participants, dans une logique de « tropicalisation » des théories plutôt que d'adoption des concepts occidentaux. Le programme évolue progressivement en fonction des événements qui interviennent. Si l'un des participants est par exemple incarcéré pour délit de presse, la formation aborde naturellement cette problématique.

3. L'action-formation

L'action-formation est proche de la notion d'apprentissage développée par l'ESSEC. La formation n'est pas un but en soi. Dans une logique de développement durable, il est nécessaire que la formation soit liée à l'action. Grâce à des réunions mensuelles, nous jugeons ainsi de l'adaptation des théories qui ont été dispensées aux besoins des participants une fois retournés dans leur milieu d'origine. De même, le programme de formation repose sur des projets spécifiques, par exemple la constitution d'une bibliothèque au Burundi.

III. Un pari

Notre pari est de contribuer à l'établissement des conditions propices au renouveau économique. Souvent, la formation a été conçue sur la base de concepts occidentaux, fondés sur les principes de compétition et d'individualisme. Or ces notions ne peuvent pas fonctionner en Afrique et risquent au contraire d'accentuer les divisions. Les objectifs de bonne gouvernance, de promotion des droits de l'Homme et de liberté de la presse doivent être atteints sur la base de la coopération, qui repose sur les théories de la négociation. Il importe pour cela de valoriser la concertation et la responsabilisation de toutes les parties.

Seconde table ronde

Participaient à la table ronde :
Elisabeth BETON DELEGUE, directrice de la Coopération scientifique, universitaire et de recherche au Ministère des Affaires étrangères ;
Daniel CHENAIN, directeur de la Maison des ESSEC ;
Jean-Marc DECLETY, associé KPMG ;
Charles M'BA, chargé de mission au département Formation de TotalFInalElf ;
Marianne MENSAH, Programme manager au PNUD ;
Philippe RATYNSKI, président directeur général de Vinci Construction ;
Aminata NIANE, directrice générale de l'APICS ;
Monsieur NICOLLE, directeur adjoint de l'INTEC, CNAM.

La table ronde était animée par Didier ACOUETEY, fondateur d'Africa Search.


Didier ACOUETEY

Ce sont bien les hommes qui font fonctionner les économies et les entreprises. Toutefois, de nombreuses contradictions apparaissent dans ce domaine : cadres sous-payés, étudiants sans visa, cadres africains travaillant en France, etc.

Monsieur Chenain, la formation de l'ESSEC est-elle adaptée aux besoins des économies africaines ?

Daniel CHENAIN

De 1969 à 1975, j'ai occupé à Dakar les fonctions de secrétaire général d'ICOTAF, avant de rejoindre la direction des ressources humaines du groupe OPTORG, qui comptait trente filiales africaines. J'ai terminé ma carrière africaine en assurant la direction de Peyrissac Côte d'Ivoire de 1985 à 1989. Les problématiques qui nous occupent sont simples, dans la mesure où nous parlons d'êtres humains. Je ne fais aucune différence entre un Asiatique, un Africain ou un Occidental. Chacun s'accorde à considérer que dans les entreprises, il serait idéal de chiffrer l'actif que représentent les hommes. Toutefois, nous ne pouvons que constater l'existence de certaines difficultés culturelles.

La politique d'enseignement en Afrique est-elle suffisamment bien menée pour que des futurs cadres africains occupent les fonctions pour lesquelles ils présentent les qualités requises ? Les entreprises internationales et africaines gèrent le personnel de la même façon, au regard des adéquations entre les besoins, les compétences professionnelles et les qualités personnelles. Il se pose toutefois un problème historique issu de la colonisation. J'ai pu constater qu'en 1985, la Côte d'Ivoire était devenue un tout autre pays que celui que je connaissais en 1968. Alors qu'OPTORG comptait 500 cadres expatriés pour 200 cadres africains en 1976, la moitié des cadres étaient africains en 1985. Plus de que réaliser des économies, cette évolution visait à promouvoir l'Afrique.

Je regrette que le projet de création d'une grande université africaine à Yamoussoukro n'ait pas suscité l'intérêt des autres pays africains. Il se pose à cet égard le problème des relations entre les investissements publics et privés. Chaque partie peut consentir des efforts, et notamment les entreprises privées grâce à des bourses.

Didier ACOUETEY

Madame Beton Delègue, quels programmes de formation le Ministère des Affaires étrangères développe-t-il pour les élites africaines ?

Elisabeth BETON DELEGUE

L'Afrique est le continent qui exporte le plus ses étudiants, et la France reste l'espace privilégié de formation des étudiants d'Afrique francophone. Un étudiant étranger sur cinq vient d'Afrique subsaharienne. Si la majorité de ces étudiants se trouvent en premier cycle, ils sont néanmoins de plus en plus nombreux en deuxième et troisième cycle. Cette orientation me semble encourageante. Les disciplines les plus suivies sont les sciences économiques, la gestion, le droit, les sciences politiques et l'administration économique et sociale. Par ailleurs, la France forme près de 10 000 docteurs africains par an.

Il se pose ensuite la question de la valorisation du potentiel que constituent ces étudiants, notamment au profit des pays d'origine. Nous ne savons malheureusement pas mesurer le taux de retour des étudiants. En outre, le vivier d'étudiants africains est peu organisé et manque de points d'appui pour établir des passerelles avec les pays d'origine. Toute initiative visant à assurer le suivi de ces étudiants et à les mettre en contact est bienvenue.

Depuis 1998, la législation en matière d'accueil d'étudiants étrangers a été considérablement assouplie. Un étudiant ayant obtenu une inscription dans une université et remplissant les conditions de ressources se voit aujourd'hui attribuer un visa. Ceci est doublé d'une politique générale menée en faveur de l'attractivité des étudiants étrangers qui porte ses fruits.

Le Ministère applique une politique traditionnelle ancrée dans le temps. Pourtant, la versatilité des bailleurs a entamé la bonne coopération avec l'Afrique et a coûté cher à la formation, notamment supérieure. Nous quittons en effet une période de dogme en faveur de l'enseignement de base. Il s'ensuit un problème considérable de vieillissement des élites politiques, alors que les exigences naturelles et partagées de bonne gouvernance sont patentes. Aujourd'hui, la nécessaire formation des élites est heureusement reconnue par la communauté des bailleurs.

Nous avons toujours travaillé sur deux volets complémentaires mais souffrant toujours d'une articulation insuffisante : la formation en France et la formation sur place. S'agissant de la politique d'aide à la venue en France, le Ministère des Affaires étrangères a la responsabilité de l'octroi de bourses. Naturellement, ces bourses ne sont pas suffisantes et le budget n'est pas en croissance. Il reste que l'Afrique subsaharienne demeure le premier bénéficiaire de bourses de formations initiales ou professionnalisantes D'autres partenaires interviennent dans ce domaine, comme l'Agence Universitaire pour la francophonie. S'il est possible d'intéresser les entreprises à des formations courtes, elles renâclent souvent à collaborer à des formations longues.

Par ailleurs, nous développons un dispositif d'appui aux formations sur place. La formation des cadres implique une approche différenciée selon les secteurs. Outre les besoins des grandes entreprises, il importe de prendre en considération les besoins de formation au service du développement des entreprises locales plus petites.

Didier ACOUETEY

Philippe Ratynski, quelles compétences recherche votre groupe en Afrique ?

Philippe RATYNSKI

Vinci Construction est présent en Afrique dans le domaine des infrastructures : routes, ponts, canalisations, stations de traitement, ports, métros. Nous comptons environ 10 000 salariés propres en Afrique, dont 300 cadres africains. La proportion de ces derniers est croissante car nous menons une politique volontariste d'exploitation des compétences locales. Par ailleurs, nos 160 expatriés sont pour la plupart des cadres.

Nous estimons qu'il est naturel que notre entreprise emploie des cadres africains. Nous ne recourons aux expatriés que lorsque nous ne trouvons pas de cadres locaux répondant à nos besoins. Bien que nous soyons un groupe de nationalité française, nous sommes cotés en bourse et appartenons majoritairement à des étrangers, dont la nationalité nous importe peu. Dès lors, nous n'alignons pas la rémunération des cadres africains sur celle des expatriés. Nous rémunérons les cadres au prix du marché : les expatriés au regard de leur marché d'origine et les cadres africains au regard du marché local avec un abondement de 15 % à 20 %.

La formation de base n'est pas problématique, aussi bien concernant les cadres africains recrutés en France que les cadres recrutés en Afrique. Il existe de très bonnes écoles à Thiès, Yaoundé ou Ouagadougou avec lesquelles entretenons des relations privilégiées, notamment par le biais de stages.

Il reste que nous sommes confrontés à deux difficultés majeures.

La première difficulté concerne les cadres africains formés en France et qui souhaitent travailler en Afrique. Après des premières années d'évolution rapide, ces cadres acceptent mal de ne pas recevoir le même salaire que leurs homologues expatriés. Nous devons leur expliquer que nous nous adaptons au marché local, sur lequel nous sommes en concurrence avec des entreprises internationales, chinoises ou bulgares par exemple, ou avec les entreprises locales, dont le prix de la main-d'oeuvre est plus faible.

Par ailleurs, les marchés locaux d'une taille suffisante ne sont pas suffisamment nombreux. Or nous raisonnons en termes de zones, et non de pays. De ce fait, nous ne pouvons pas promettre une carrière entièrement camerounaise à un Camerounais. Cela soulève des problèmes techniques d'obtention de visas.

Didier ACOUETEY

Monsieur Declety, quels problèmes rencontrez-vous en Afrique ?

Jean-Marc DECLETY

KPMG emploie 3 000 cadres en Afrique, dont 400 en Afrique francophone. Nous recrutons chaque année entre 200 et 400 cadres. La formation de ces cadres constitue à nos yeux un souci permanent. Lorsque nous trouvons les bons profils, nous nous attachons à les conserver grâce à une politique de rémunération adaptée et à une formation permanente.

Lors de leurs cinq premières années, nos cadres suivent entre un mois et trois semaines de formation chaque année. Nous regrettons qu'il n'existe pas en Afrique d'école adaptée pour former des experts-comptables. Les cadres doivent se former en France ou en Europe, où ils reçoivent une formation qui n'est pas toujours adaptée à la fiscalité de leur pays d'origine.

Didier ACOUETEY

Marianne Mensah, quel est le point de vue des organisations internationales sur la formation des cadres africains ?

Marianne MENSAH

Le PNUD intervient dans six domaines : la gouvernance démocratique, l'éradication de la pauvreté, l'énergie, l'environnement, la lutte contre le Sida, la prévention des conflits, l'information et la technologie pour le développement. Le PNUD est présent dans 166 pays, dont tous les pays d'Afrique. Il a pour vocation de mobiliser tous les acteurs du développement pour mener à bien des projets. Il travaille en partenariat, en Afrique, avec les gouvernements et les institutions. Le PNUD a également une vocation de médiateur, en particulier entre les acteurs des secteurs privé et public. En Angola par exemple, le PNUD a soutenu un partenariat entre une société américaine et le Gouvernement pour créer un programme de formation et une bourse à l'emploi.

A mes yeux, la formation doit être multisectorielle et pluriculturelle. En effet, partant d'un modèle compétitif, le développement revêt un modèle plus inclusif, qui nécessite que tous les acteurs se réunissent et discutent d'une stratégie commune. De ce fait, les cadres africains doivent présenter des compétences aussi bien dans le secteur privé que dans le secteur public. Ces cadres sont très appréciés pour jouer un rôle de médiation dans les partenariats entre les deux secteurs. Par ailleurs, en termes de mobilisation et de mise en place d'accords à l'échelle régionale, il est important que les cadres suivent une formation aussi bien en France qu'à l'étranger.

L'excellence n'a pas de couleur. Si un cadre est performant, qu'il soit africain, européen ou asiatique, il sera reconnu. J'ai pu le constater lorsque j'ai occupé la fonction de directeur financier pour une société britannique à Hong Kong.

Le PNUD propose un programme de jeunes professionnels qui embauche des cadres africains et les fait travailler dans toutes les régions du monde pendant trois ans. Ces cadres suivent des cours de négociation, de politique économique ou de leadership , dans plusieurs langues. Cela leur permet d'intégrer les organisations internationales. Nous recrutons également sur une base compétitive, au seul regard de la compétence.

Didier ACOUETEY

Certaines études révèlent toutefois que les Africains, à études comparables avec les Français, mettent plus de temps à trouver des emplois. Dans d'autres pays, notamment anglo-saxons, la question semble moins prégnante.

Charles M'Ba, peut-on servir l'Afrique depuis l'étranger, comme l'exemple de Marianne Mensah le laisse entendre ?

Charles M'BA

L'un de nos intervenants a expliqué qu'il n'appelait des expatriés que lorsqu'il ne trouvait pas de cadres africains. Cela ne correspond pourtant pas à la réalité, pour des raisons culturelles typiquement françaises. Il semble que les entreprises françaises ne sachent pas dissocier la rentabilité financière des projets de la volonté de gouverner politiquement les entreprises et le développement en Afrique. Or un opérateur français peut faire du profit en Afrique en faisant travailler des Africains.

Le management ne peut pas faire l'impasse de la culture d'un pays. Ainsi, l'expression « peut-être » n'a pas le même sens pour un Japonais que pour un Français. C'est pourquoi, dans une optique d'efficacité de leadership et de management, les groupes français qui interviennent en Afrique ont tout intérêt à employer des cadres africains.

Les opérateurs français enverront de plus en plus d'expatriés en Afrique, pour deux raisons. D'une part, parmi les cadres qui se forment en France, 20 000 ne retournent pas en Afrique car ils y recevraient une rémunération inférieure à celle qu'ils pourraient toucher en France. En outre, les expatriés coûteront plus cher du fait de la dangerosité accrue du monde actuel. C'est pourquoi les cadres africains doivent être convenablement rémunérés dans leur pays. Le Conseil économique et social français, avec lequel j'ai collaboré sur cette question, a préféré qualifier cette évolution « d'exode des compétences » plutôt que de « fuite des cerveaux ».

Pourquoi faut-il former les Africains au management ? Alors que cette idée est implantée de longue date dans les pays anglo-saxons, la France découvre que le management constitue une compétence à part entière, de même que l'audit. J'observe en outre qu'en termes de carrière, mes collègues français évoluent plus rapidement que mes collègues africains. On ne peut pas raisonnablement proposer à un jeune Africain de 22 ans, sortant d'une école renommée, de stagner pendant dix ans.

Didier ACOUETEY

Aminata Niane, partagez-vous la vision de Charles M'BA ? Comment payez-vous vos cadres ?

Aminata NIANE

Je ne me suis pas reconnue dans la vision de Charles M'BA, car je suis davantage tournée vers l'avenir que vers le passé. J'estime que notre génération a pour responsabilité de travailler pour l'Afrique de demain. L'Afrique ne peut pas se faire sans les Africains. Certes, cela peut nécessiter des sacrifices.

L'APICS, agence pour la promotion des investissements et des grands travaux au Sénégal, est une jeune institution, créée il y a trois ans, qui emploie une soixantaine de cadres de très haut niveau, tous sénégalais, ayant suivi des études et travaillé en Afrique ou dans le monde entier. Ma première difficulté a consisté à trouver des cadres présentant un profil privé dans un environnement public. La première génération de cadres que j'ai pu attirer était moins motivée par les aspects matériels - que je ne pouvais pas offrir - que par l'intérêt et l'ambition du projet, dignes des normes internationales. Au fur et à mesure que l'équipe s'est formée, je me suis efforcée de rémunérer ces cadres au niveau du meilleur secteur privé africain. Par la suite, les salaires ont pu être pris en charge par les bailleurs de fonds.

La motivation des cadres africains doit donc être également politique. Les jeunes Africains doivent mener leur combat, comme leurs parents l'ont fait à l'époque de l'indépendance. Ceux qui ont la chance d'accéder à l'éducation supérieure, au prix de sacrifices de la société, ont un devoir de contribution envers leur pays d'origine.

Didier ACOUETEY

Monsieur Nicolle, je crois savoir que vous développez des programmes d'échanges avec des écoles africaines.

Monsieur NICOLLE

Le CNAM est un grand établissement de formation qui présente la caractéristique de permettre à quiconque d'atteindre des diplômes élevés, de bac+2 à bac+5 et au doctorat, sans formation initiale. Cette institution a une vocation internationale. Nous développons ainsi des activités avec 29 pays partenaires et accueillons 4 500 étudiants étrangers en France chaque année.

L'INTEC, qui est le plus important institut du CNAM, forme des experts-comptables. Il compte 17 centres en Afrique. Nous avons appliqué depuis l'origine une stratégie de formation à distance, tout d'abord sur support papier grâce à un partenariat avec le CNED. Cela nous a permis d'assurer le même niveau d'enseignement quelle que soit la localisation des étudiants. Cette stratégie s'est développée autour d'une équipe de vingt enseignants permanents, de 500 vacataires et surtout de partenariats et de conventions avec l'ensemble des centres INTEC implantés dans le monde. Ces derniers assurent localement les cours présenciels. Nous appliquons donc une stratégie de délocalisation et de distribution des compétences. Nos formations évoluent grâce aux supports CD Rom, avec des connexions sur la plate-forme du CNAM.

Enfin, la formation sur place que nous dispensons ne soulève pas la question du retour des cadres dans leurs pays d'origine.

Didier ACOUETEY

Monsieur Ratynski, pourriez-vous préciser votre position sur la rémunération des cadres africains ?

Philippe RATYNSKI

Raisonnons par l'absurde. Notre groupe réalise la moitié de son chiffre d'affaires hors de France. Lorsque nous avons acquis des sociétés en Pologne après la chute du Mur, nous y avons envoyé des expatriés, sans aligner les salaires des Polonais sur ceux de ces expatriés ! Nos cadres polonais, qui sont bien formés, ont rapidement remplacé ces quelques expatriés. En Europe de l'Est, nous réalisons des chiffres d'affaires importants sans expatriés. Il en est de même en Afrique : nous nous adaptons au prix du marché, en le dépassant quelque peu. Dans un environnement concurrentiel, nous ne pouvons pas aller à l'encontre du marché.

Il est vrai que la différence de rémunération est sensible pour les cadres débutants. Toutefois, dès lors que les cadres atteignent un niveau élevé, notamment de directeur d'agence, les rémunérations sont équivalentes entre les expatriés et les Africains, pour des raisons qui tiennent au marché et non pas à l'idéologie.

Daniel CHENAIN

La problématique du retour au pays ne se résume pas à la motivation financière. Les choix de carrière des cadres reposent sur cinq éléments : l'argent, la reconnaissance, le pouvoir, l'épanouissement personnel et la vie sociale. Il n'est pas exact d'affirmer que les cadres ne retournent pas en Afrique uniquement pour des raisons financières.

Séance de questions-réponses

Mohamadou DIALLO, Les Echos - Lettre des Télécommunications

Il est frustrant pour un cadre africain de se contenter d'un salaire minimum, alors qu'il a dû financer des études onéreuses. Peut-être la solution réside-t-elle dans la formation sur place. Les sociétés privées et les institutions publiques seraient-elles prêtes à financer les projets d'universités africaines ?

Jean-Marc DECLETY

Nous intervenons déjà largement dans la formation permanente de nos collaborateurs, pour les aider à passer leur examen d'expertise comptable. Nous leur offrons des congés avec solde et prenons en charge certains cours. Nous serions prêts à envisager d'autres formes de collaboration.

Philippe RATYNSKI

Nous nous efforçons de développer des partenariats avec des écoles. Les écoles africaines sont d'ailleurs d'un très bon niveau et sont plus ouvertes que les écoles françaises à la coopération avec les entreprises. Elles acceptent notamment d'allonger les durées de stages, ce qui n'est pas envisageable en France.

Angela MINYEM, L'Image de l'Afrique

Outre la formation théorique, il importe aussi pour les cadres de bénéficier de formations pratiques. Les chefs d'entreprises estiment parfois que « les Africains ne savent pas travailler ». Bien qu'ils soient surdiplômés, ces derniers rencontrent parfois des difficultés dans la mise en oeuvre pratique de leurs connaissances.

Elisabeth BETON DELEGUE

Il existe des formations en alternance et des appuis de la Coopération à des dispositifs de formation professionnelle sur place.

Elvis NGBONDO SAKPO, CDC Ixis Asset Management

La France compte un dispositif incitant les étudiants étrangers à rentrer dans leur pays après leurs études. Toutefois, lorsque l'étudiant a besoin de compléter sa formation initiale par des expériences de terrain, ne pourrait-on lui en donner la possibilité dans un cadre précis, par le biais d'une « prime à l'embauche » ?

Elisabeth BETON DELEGUE

Cette question appelle plutôt une réponse en termes de formation professionnalisante au sein du système d'enseignement supérieur.

Daniel CHENAIN

Dans cette optique, le nouveau MBA de l'ESSEC impose 18 mois d'expérience professionnelle validée.

Charles M'BA

Je ne laisserai personne penser que les cadres africains ne sont sensibles qu'aux motivations financières. Toutefois, l'on ne peut pas affirmer d'une part que les problèmes fondamentaux de l'Afrique doivent être résolus grâce à des moyens financiers, et d'autre part que le salaire n'est pas un élément important dans la décision des cadres africains de retourner dans leur pays.

Enfin, mon expérience personnelle m'a permis de constater combien il était difficile pour les jeunes Africains formés d'obtenir des stages.

De la salle

Monsieur M'BA, combien avez-vous recruté de cadres africains ? Je suis en effet convaincue de l'importance des réseaux dans le recrutement d'Africains.

Charles M'BA

Je partage ce point de vue. Les cadres accèdent aux responsabilités grâce à leurs compétences, parmi lesquelles la gestion de leur réseau. J'ai été le point de passage de jeunes diplômés dans mon entreprise, dont environ 10 % d'Africains. Je consacre de surcroît un temps important à partager mon expérience avec les jeunes cadres africains, afin qu'ils connaissent les codes de recrutement des grandes entreprises.

Synthèse et conclusion du thème

Roger MELINGUI ,
Ministre du Budget du Cameroun

Nous n'avons pas usé de langue de bois, ce dont je remercie nos intervenants. Nous ne nous sommes en effet pas réunis pour aboutir à un consensus mais pour évoquer les problèmes que rencontrent les jeunes Africains lorsqu'ils prennent le chemin des entreprises.

Nous avons abordé rapidement les formations au management, notamment avec Charles M'BA, et l'accès aux postes de décisions. Il est apparu qu'il se posait un problème de culture, les entreprises anglo-saxonnes étant plus enclines à appliquer la diversité culturelle dans les postes de management que les entreprises françaises.

Par ailleurs, nos interlocuteurs ont tous reconnu que l'admission des jeunes Africains dans les institutions de formation des cadres de haut niveau ne constituait pas un réel problème, certains dispositifs permettant en outre de financer ces études. En revanche, le recrutement semble plus difficile. Plus encore, l'intégration est réellement problématique. Aminata Niane a insisté sur le fait que l'intérêt des projets était majeur pour la motivation des cadres. Pour sa part, Philippe Ratynski a indiqué qu'il recrutait les cadres africains au niveau du marché, plus un bonus. Cette position soulève une question majeure : il y aurait donc deux poids et deux mesures entre les cadres africains et leurs homologues français ? Peut-être s'agit-il d'un problème culturel propre à la France, puisque ce type de distinction ne semble pas intervenir aux Etats-Unis ni à Hong Kong, nous ont dit certains.

Daniel Chenain a avancé une idée très « politiquement correcte », selon laquelle les cadres africains n'étaient pas seulement motivés par la rémunération. C'est probablement vrai, même s'il reste préférable de jouir d'un bon salaire !

S'agissant de l'implication des cadres africains dans leur pays, Aminata Niane a rappelé que seuls les Africains pouvaient sortir l'Afrique de l'ornière. Outre le salaire, les cadres peuvent être mus par une motivation politique et sociale les enjoignant de mettre leur savoir-faire à la disposition de leur pays.

Pour ma part, j'estime que l'on ne peut pas durablement sous-payer les cadres et espérer qu'ils apportent aux entreprises tout ce qu'ils sont en mesure d'offrir. Il faut reconnaître que la plupart des entreprises profitent de la situation précaire des marchés africains pour sous-payer leurs cadres.

Allocution de clôture

Pierre-André WILTZER ,
Ministre délégué à la Coopération et à la Francophonie

Le continent africain ne bénéficie toujours pas du niveau d'investissement, public et privé, dont il a besoin pour se développer. La situation s'est même dégradée au cours des dernières années. Une évolution se dessine toutefois depuis deux ou trois ans, et en particulier en 2003. La communauté internationale et l'ensemble des acteurs publics et privés prennent conscience de la nécessité de mobiliser des moyens pour mettre un terme à la situation injuste et dangereuse de l'Afrique. C'est pourquoi nous assistons à un redémarrage de l'aide au développement.

Comment l'Afrique peut-elle attirer davantage d'investisseurs étrangers pour créer des entreprises ? Comment impliquer les étudiants, les élites en formation et les cadres africains en activité dans le développement du continent et du secteur privé ? Cet enjeu est fondamental pour que l'Afrique sorte de la pauvreté.

Il reste beaucoup à faire dans divers domaines. A cet égard, il faut se garder de toute généralisation. L'Afrique est un continent immense et divers. Or le point de vue des opinions publiques est souvent faussé par l'attention accrue portée aux crises. Il n'en demeure pas moins qu'il subsiste des problèmes de stabilité politique, de maintien ou de rétablissement de la paix et de l'Etat de droit, de rigueur dans les politiques économiques, d'insuffisance des infrastructures, de blocages dans les échanges économiques et commerciaux, dans l'éducation et l'information.

Je me concentrerai sur deux sujets : l'environnement des entreprises et la formation des cadres et des élites.

I. L'environnement des entreprises
1. La sécurité

L'environnement des entreprises doit être amélioré. C'est une condition indispensable pour attirer les investissements privés. Les entreprises ont besoin d'évoluer dans un contexte sûr, garantissant au premier titre la sécurité physique. Le développement économique ne peut se passer d'une protection assurée aux biens et aux personnes. En dehors des souffrances et des destructions dont ils sont responsables, les conflits constituent en effet un obstacle majeur au progrès et au développement dans les pays où ils se produisent mais aussi, par contagion en termes d'image, dans les autres pays.

Les opérations de prévention et de résolution des conflits, de maintien ou de rétablissement de la paix sont donc une condition de l'aide au développement. La France assume son rôle et ses responsabilités à cet égard, mais elle ne souhaite pas le faire isolément. Au cours des mois passés, lorsqu'elle a été conduite à apporter une contribution, elle l'a toujours fait dans le cadre des organisations régionales et sous-régionales de l'Afrique, avec le soutien des organisations internationales. Nous pensons que les réponses aux crises, aux conflits et aux tensions doivent être recherchées dans un cadre régional et multilatéral. L'Europe partage cette démarche, comme en témoigne, pour la première fois dans son histoire, l'appui qu'elle a apporté à l'intervention de la France et de quelques pays africains dans l'Est de la République démocratique du Congo. C'est dans le même esprit que la France apporte son soutien à la CDAO et à la SEMAC pour contribuer à la résolution des crises en Côte d'Ivoire et en République Centrafricaine. De même, elle participe aux mécanismes de prévention, de gestion et de règlement des conflits sur le continent. Par ailleurs, l'un des principes du NEPAD, auquel la France apporte un soutien constant et déterminé, est de prendre en considération la sécurité et cette démarche collective.

La sécurité est aussi financière. Les entreprises doivent pouvoir accéder sans difficulté aux banques et aux marchés de capitaux. J'observe d'ailleurs avec satisfaction, au sein de l'UMOA, le développement des missions obligataires à partir de ressources locales. Il nous faut aussi construire de nouveaux outils. L'Agence française de développement (AFD) oeuvre pour couvrir les risques politiques élargis, au-delà des interventions de la Banque mondiale et de la COFACE. L'AFD et la Commission européenne s'emploient à élaborer de procédures permettant de répondre à ce besoin.

En outre, la sécurité juridique et judiciaire est essentielle au développement des affaires. Nous accordons un soutien depuis son origine à l'OHADA, dont il faut assurer le financement pérenne. Cet instrument est de nature à établir et à garantir des règles sures et impartiales en matière de droit des affaires et de traitement des éventuels contentieux.

2. Les infrastructures

Les entreprises ont besoin d'infrastructures en nombre et en qualité suffisants. Ces dernières ont été un sujet de polémique au cours des quinze dernières années. Certes, des erreurs ont pu être commises en la matière, les investissements ne répondant pas aux besoins réels. Certains en ont conclu hâtivement la suppression du volet des infrastructures. Nous sommes aujourd'hui sortis de cette incompréhension, et chacun considère que les besoins en infrastructures doivent être pris en compte.

L'aide publique au développement ne suffira pas à financer ces infrastructures. Il faut établir pour cela un partenariat entre les investissements publics et privés. Ce sont ces partenariats que nous prônons, en synergie avec l'AFD, avec pour objectif la gestion des projets et la mobilisation de l'épargne locale. Les investissements doivent par ailleurs répondre aux enjeux du développement durable, mais aussi de la préservation des équilibres naturels.

3. L'environnement des PME

Plus le tissu des PME s'étoffe, plus le contexte social et politique se stabilise. L'apparition d'une classe moyenne constitue l'une des bases de la stabilité sociale. Nous devons accompagner les efforts des secteurs public et privé pour promouvoir la création et le développement de ces petites, voire très petites, entreprises.

Je distingue en cela cinq objectifs :

· aider à la structuration des organisations professionnelles et consulaires ;
· renforcer les services d'appui aux entreprises, notamment en conseil en gestion ;
· développer l'accès à l'information technique et économique ;
· encourager les financements spécifiquement adaptés au PME ;
· promouvoir une éthique fondée sur la responsabilité sociale des entreprises.

4. L'intégration régionale

L'amélioration de l'environnement des entreprises passe par une meilleure intégration régionale, qui permet d'élargir la taille des marchés et de favoriser les échanges entre les pays d'une même région. Si les unions douanières se sont multipliées, des progrès restent toutefois à accomplir pour encadrer et protéger les investissements. Nous soutenons ces initiatives d'intégration, aux côtés de l'Union européenne.

II. La formation des cadres et des élites et leur insertion dans les économies africaines

Le soutien à l'enseignement supérieur et à la recherche est une constante de la politique française de coopération avec l'Afrique. Cette politique se décline en deux volets : la formation sur place et les programmes de bourses.

1. L'enseignement en Afrique

Notre effort en faveur de l'enseignement supérieur africain porte surtout sur la mise en place de filières professionnalisées, qui correspondent à de réels besoins, et sur le renouvellement du corps enseignant. Nous soutenons également un certain nombre d'initiatives privées, comme l'Université libre d'Afrique centrale. Grâce à un système de bourses régional, nous incitons aussi les étudiants à se tourner vers des établissements africains dont le niveau d'enseignement et la qualité sont reconnus, comme les Ecoles Inter-Etats de Ouagadougou dans le domaine de l'hydraulique et de l'équipement rural.

S'agissant du monde de l'entreprise, je citerai deux types d'actions spécifiques. Au Sénégal, nous soutenons trois établissements qui forment les futurs gestionnaires et managers. En Afrique de l'Ouest et en Afrique centrale, un réseau de douze écoles de gestion couvrant sept pays se constitue, en partenariat étroit avec des établissements français.

2. Les formations en France

Parallèlement à notre effort de renforcement des capacités de formation des établissements africains, nous devons pouvoir accueillir les jeunes élites africaines dans nos universités et nos grandes écoles. Le continent africain demeure le premier bénéficiaire de nos programmes de bourses. La moitié des boursiers qui étudient en France provient du continent africain, et un quart de l'Afrique subsaharienne. En 2002, 11 000 bourses ont été délivrées à des étudiants ou à des jeunes chercheurs africains. En 2001, selon les statistiques de l'UNESCO, 36 % des jeunes Africains qui étudiaient à l'étranger étaient accueillis en France, contre 14 % aux Etats-Unis et 9 % au Royaume-Uni et en Allemagne. Depuis 1998, ce nombre a progressé de près de 58 %. La France reste donc la première destination pour acquérir une formation de haut niveau. Elle compte chaque année 28 000 étudiants africains inscrits en doctorat. Les étudiants africains sont plus spécialement attirés par certains domaines : sciences de l'ingénieur, sciences exactes, médecine, gestion, droit et sciences politiques. La question est de savoir s'il y a lieu d'orienter les étudiants vers certaines filières.

Un certain nombre d'étudiants restent dans le pays où ils ont fait leurs études. Plus d'un tiers des étudiants africains diplômés de haut niveau sont aujourd'hui expatriés, principalement en France. Ce phénomène s'est accentué dans les années 90. En offrant davantage de moyens d'accueil aux élites africaines, les pays développés ne contribuent-ils pas à une fuite des cerveaux ? J'ai le sentiment qu'il faut non seulement accueillir mieux et davantage les étudiants, mais aussi renforcer les systèmes de formation d'excellence sur le continent africain.

III. Conclusion

Je vous adresserai pour finir un message qui mêle la lucidité sur les problèmes de l'Afrique et l'optimisme. J'ai eu récemment l'occasion de participer à plusieurs rencontres internationales. J'en retire le sentiment d'une prise de conscience de l'urgence de répondre aux besoins du continent africain en matière de lutte contre la pauvreté. Les Africains abordent manifestement leur propre développement d'une manière nouvelle qui peut nous laisser espérer franchir des pas significatifs. L'avenir de l'Afrique n'est pas aussi sombre que certains le disent. S'il y a certes des crises en Afrique, il y a aussi une Afrique qui travaille, dont on ne parle pas assez.

Par ailleurs, la démarche du NEPAD, bien qu'elle présente des limites, témoigne de la volonté africaine de prendre une part importante de responsabilité dans la conduite du développement, en offrant notamment la garantie de la réussite des partenariats nécessaires. La sécurité et les bonnes pratiques du gouvernement sont au coeur du développement économique. C'est tout l'intérêt de la démarche du NEPAD, en particulier de l'évaluation par les pairs. Ce principe est courageux car il nécessite d'accepter que des tiers portent un jugement sur sa propre gestion. En Europe, nous avons mis du temps à accepter ce principe par le biais de l'OCDE.

Le développement économique de l'Afrique est donc l'affaire de tous. Il repose sur trois piliers :

· l'augmentation de l'aide publique au développement ;
· la croissance des investissements privés ;
· l'accès des productions africaines aux marchés internationaux, dans des conditions équitables.
La France agit sur ces trois volets, comme en témoignent son engagement de consacrer à l'aide publique au développement 0,7 % de son PIB en 2012 et les dispositions qu'elle s'est engagée à examiner avec ses partenaires africains concernant les productions de l'Afrique subsaharienne dans les structures du commerce international.

Je souhaite que la démarche que vous avez engagée avec Afrique SA trouve des prolongements. Rien n'est en effet plus convaincant que d'entendre des praticiens témoigner de la façon dont nous pouvons participer au développement de l'Afrique.

Synthèse réalisée par Ubiqus Reporting
01 44 14 15 00, www.ubiqus-reporting.com

Colloque économique organisé par la Direction des Relations internationales du Sénat
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