Colloque Moyen-Orient



Table des matières


Actes ( * ) du colloque
Sénat-Ubifrance

----

Jeudi 28 juin 2007

----

A la tribune (de gauche à droite) : M. Jean ARTHUIS , Président de la Commission des Finances du Sénat, Mme Agnès LEVALLOIS, Directrice adjointe de la rédaction de France 24, M. Eric ELGHOZI, Directeur général délégué d'Ubifrance et M. Jean-Christophe VICTOR , Directeur du LEPAC, concepteur et auteur de l'émission "Le dessous des cartes" sur Arte.

Vue de la Salle Clemenceau

MOYEN-ORIENT
Crise, enjeux et opportunités

Ouverture

Eric ELGHOZI
Directeur Général Délégué Ubifrance

Je vous remercie de votre présence parmi nous pour analyser les évolutions des marchés au Moyen-Orient, zone hétérogène, très dynamique et parmi les plus solvables du monde.

Avec 160 millions d'habitants, cette région dispose d'un PIB équivalent à celui de l'ensemble du continent africain et deux fois supérieur à celui du MERCOSUR. Elle réalise également 300 milliards de dollars d'importations.

L'hétérogénéité de cette zone se traduit économiquement par une variation de PIB allant de 13 milliards de dollars pour Bahreïn à 310 milliards de dollars pour l'Arabie Saoudite. De même, les productions de pétrole varient, selon les pays, de rien du tout à 11,5 millions de barils par jour.

Avec une dizaine de milliards d'exportations, la France tente de trouver sa place au sein de ces marchés. Elle doit néanmoins faire face à la concurrence très rude des Américains, des Japonais, des Allemands, des Chinois, etc.

Je tiens à remercier :

• les représentants des missions d'avoir accepté de venir nous expliquer la situation de la France dans ces pays ;
• Agnès Levallois, qui animera les débats ;
• Jean-Jacques Van Der Slikke, Co-président de la Commission Proche et Moyen-Orient du CNCCEF ;
• les sénatrices et les sénateurs.

Moyen-Orient : pivot géopolitique

Jean-Christophe VICTOR
Directeur du LEPAC, concepteur et auteur de l'émission « Le dessous des cartes »

Je vous présenterai le cadre géographique et humain de la région du Moyen-Orient autour de quelques grands thèmes :

• la spatialisation des hydrocarbures ;
• les populations ;
• les religions ;
• l'Irak implosé ;
• la carte des islams.

Mon propos sera donc plus politique qu'économique.

I. Cadre général

Le Moyen-Orient est une zone de climat semi-désertique, avec un niveau de stress hydrique assez fort, ce qui explique la concentration des populations autour du Nil, du Tigre et de l'Euphrate. Ce n'est pas un hasard en effet si de grandes civilisations ont été fondées près de ces fleuves.

Le Moyen-Orient se caractérise également par sa force d'attraction. La première raison en est la présence de plus de 60 % des réserves pétrolières mondiales.

Il s'agit par ailleurs d'une zone de conflictualité quasi-permanente, dont j'écarte néanmoins les pays du Golfe. Ce potentiel de conflictualité est dû tout d'abord à des facteurs historiques. Ainsi, la thèse de Mackinder, selon laquelle il s'agirait d'un « pivot géopolitique », s'est-elle réalisée. Les pays du Moyen-Orient ont également souffert d'une mauvaise assimilation du concept d'Etat-nation. Les évènements actuels en Irak sont à ce titre révélateurs. Si l'Irak est un Etat en effet, il n'a jamais été une nation, contrairement à l'Iran. D'autres chocs historiques sont à prendre en compte, comme la fin du califat en 1924 et la création de l'Etat hébreu en 1948. Enfin, l'immobilisme politique d'un certain nombre de régimes de la région a contribué à aggraver cette conflictualité.

De nombreux plans diplomatiques ont été élaborés pour tenter de résoudre les conflits au Moyen-Orient, du plan Mac-Mahon à l'absence totale de plan de la part de l'actuelle présidence américaine.

Les accords Sykes-Picot ont également pesé sur le découpage actuel de l'Irak, l'existence de pétrole à Kirkouk ayant déterminé le choix de la zone d'influence britannique, au détriment des Français, qui l'ignoraient.

Pour des raisons politiques, il m'a paru impossible de tenir la Turquie à l'écart de ce cadre géographique. Celle-ci joue en effet un rôle extrêmement important dans la zone comme passerelle vers l'Europe. Les Turcs font aussi l'objet d'une certaine animosité de la part des Arabes, non seulement pour des raisons historiques mais également à cause des accords qu'ils ont passés en 1996 avec Israël.

De même, nous devons prendre en compte Israël, qui constitue, selon le Centre d'analyse et de prévision, une « zone de billard ». Il est en effet impossible de dissocier les conséquences du conflit israélo-palestinien du reste des problèmes du monde arabe.

II. Les populations

Il convient de distinguer la Turquie et les peuples turcomans, les Kurdes, les Arabes et les Perses.

Ces peuples se vouent entre eux des animosités historiques, malgré la tentative, au début du XX ème siècle, de les réunir autour d'une idéologie anticoloniale. Le panarabisme en effet n'a jamais eu le succès espéré. Il a dû laisser la place à une idéologie religieuse, construite sur le mythe de l' oumma . Sur le plan géopolitique néanmoins, cette idéologie reste relativement « molle » et nécessite d'être portée par un leader charismatique, ce qui se traduit par une grande difficulté à mettre en place des accords inter-économiques entre ces Etats. Nous pourrions presque considérer qu'Israël constitue le seul point de ralliement du monde arabe.

III. L'Irak implosé

La nouvelle donne en Irak constitue l'un des éléments au coeur de la situation du Moyen-Orient. Nous parlons d'implosion dans la mesure où ses frontières externes, elles, restent stables. Malgré la nouvelle constitution de 2005 en effet, les rivalités entre Irakiens ont tendance à augmenter. Ainsi, les attentats entre sunnites et chiites sont-ils plus nombreux que ceux dirigés contre les Américains. Cette guerre civile, qui a démarré avec l'intervention anglo-américaine de 2003, laisse aujourd'hui deux questions en suspens, concernant, d'une part, le maintien ou non des troupes américaines et d'autre part, la répartition du pays. Le Kurdistan en effet a acquis une grande autonomie. La langue arabe y est en voie de disparition. Il dispose en outre de sa propre armée et s'est déclaré propriétaire des nappes de pétrole sur son territoire. Actuellement, le seul élément commun reste la monnaie. Néanmoins, la décision d'accroître ou non l'autonomie du Kurdistan se joue davantage à Ankara et à Washington qu'à Bagdad.

La zone sunnite, historiquement située entre le Tigre et l'Euphrate, c'est-à-dire là où était la richesse, a perdu le pouvoir au moment de la chute de Saddam Hussein en 2003. Elle représente à peine 20 % de la population. En principe partisane d'un Etat fort, elle reste néanmoins extrêmement divisée.

Disposant sur son territoire de deux des lieux saints du chiisme, l'Irak est en réalité un grand pays chiite, même si cette communauté est plus précisément située entre la frontière de l'Iran et l'ouest de l'Irak, près de la zone de Karbala. Malgré sa victoire aux élections, cette communauté connaît de nombreuses divisions (entre ceux qui sont au gouvernement et ceux qui ne le sont pas, entre les proaméricains et ceux qui souhaitent le départ des forces d'occupation, entre Karbala et Nadjaf, entre les partisans de l'Iran et les indépendants, etc.)

A ces facteurs d'implosion interne s'ajoute le cadre régional, notamment l'influence prépondérante de l'Iran qui pourrait s'avérer plus pacificatrice si son gouvernement acceptait de passer un accord sur le nucléaire avec la communauté internationale. Or ce pays a compris que plus les Américains seraient embourbés en Irak, plus il aurait les mains libres sur le nucléaire. Du point de vue des stratèges iraniens, ce principe de sanctuarisation du territoire est logique. Il découle de leur sentiment d'être encerclé par les Américains, qui disposent au nord et au sud du pays de 23 bases et de 48 facilités de déploiement de matériel, sentiment renforcé par le concept de guerre préventive développé en 2003.

IV. Le facteur religieux

Historiquement, les divisions entre musulmans sont liées à la succession de Mahomet. Au sein de l'islam en effet, les chiites constituent une minorité numérique et politique. A l'exception de l'Iran, ce statut minoritaire se retrouve dans chaque pays du Proche et Moyen-Orient.

Aujourd'hui, certains observateurs mettent en évidence la formation d'un véritable « croissant chiite », notamment en raison de l'influence majeure de l'Iran dans la région, qui déploie ses soutiens au Hamas en Palestine, aux groupes chiites irakiens ainsi qu'au Hezbollah libanais. Le chiisme présente en outre une capacité de mobilisation de la rue beaucoup plus importante que le sunnisme dans la mesure où il prend en charge un grand nombre d'aspects sociaux délaissés par les gouvernements de la région.

Si cette montée d'un chiisme politique est avérée et qu'elle s'est vue renforcée par l'intervention occidentale en Afghanistan et en Irak, il s'agit surtout d'une vision sunnite de la situation, dans laquelle ses représentants craignent une forme de contestation de leur pouvoir. Il convient donc de rester prudent et d'éviter d'inventer des « fantasmes géopolitiques négatifs ». Il n'existe pas nécessairement de liens en effet entre tous les chiites de la région.

En guise de conclusion, j'évoquerai deux approches différentes du Moyen-Orient. La première, particulièrement néfaste et commune, représente la région par un « arc de crise », appelé « croissant musulman ». Cette représentation politique, qui finit par nous influencer et qui provoque la crainte, assimile des Etats qui ont des cultures, des climats, etc. très différents.

Une seconde approche, plus satisfaisante, spatialise correctement les différences existantes entre les peuples, les pratiques religieuses, les phénomènes d'influence des déserts, etc.

D'une manière générale, l'Irak, qui détient 9 à 10 % des réserves de pétrole, constitue aujourd'hui le coeur de la problématique du Moyen-Orient. Dans cette zone, le gouvernement américain est confronté à l'alternative suivante : retirer ses troupes, au risque d'augmenter les conflits entre sunnites et chiites, ou les maintenir, au risque d'accroître le ressentiment antioccidental. En définitive, la guerre en Irak, qui avait pour objectif de lutter contre le terrorisme, a plutôt contribué à le renforcer.

Moyen-Orient : un gisement de liquidités

Jean ARTHUIS
Sénateur de la Mayenne, Président de la Commission des Finances du Sénat

Je suis très heureux d'être parmi vous, ce matin, pour participer à ce colloque sur les enjeux et les opportunités du Moyen-Orient organisé en partenariat par le Sénat et Ubifrance.

Le thème de ce colloque est très large, tant la région du Moyen-Orient compte aujourd'hui parmi les plus dynamiques du monde. Je ne pourrai, par conséquent, apporter qu'un éclairage partiel sur l'immense gisement de liquidités que représente cette zone, et dont j'ai pu me rendre compte au cours d'un déplacement récent accompagné de membres du bureau de la commission des finances. J'ai en effet eu l'honneur de présider une délégation qui s'est rendue fin mars 2007 dans plusieurs pays du Golfe (Abou Dhabi et Dubaï en ce qui concerne les Emirats Arabes Unis, le Royaume de Bahreïn et l'Arabie Saoudite) dans le but de publier un rapport sur les Etats bénéficiant de la manne pétrolière.

Sur place, nous avons pu rencontrer des interlocuteurs de grande qualité, formés pour la plupart dans les meilleures écoles britanniques et américaines, très conscients du caractère éphémère de cette rente, soucieux de diversifier leur économie et désireux d'investir à l'extérieur afin de participer pleinement à la mondialisation.

Le Moyen-Orient, en dépit de sa grande diversité, est la région du monde qui concentre la majeure partie des ressources en hydrocarbures - deux tiers des réserves mondiales - et représente le plus grand gisement de liquidités au monde, ces deux caractéristiques étant bien entendu liées. Les enjeux de la zone sont donc à la fois énergétiques et financiers, et c'est ce phénomène de financiarisation que je me propose d'évoquer devant vous.

Les surliquidités sont issues de la rente pétrolière, poussée par la hausse des cours, dont on peut attendre un nouvel âge d'or.

Le PIB de la zone du Moyen-Orient est estimé à plus de 990 milliards de dollars et la part des hydrocarbures dans la richesse nationale demeure très importante : elle représente encore 42 % du PIB en Arabie Saoudite, 35 % aux Emirats Arabes Unis et 25 % à Bahreïn.

Les avoirs financiers issus de cette manne pétrolière sont cependant difficiles à chiffrer. Les avoirs extérieurs sont détenus pour un tiers par les banques centrales et deux tiers par les gouvernements via des fonds à la gestion assez opaque. En Arabie Saoudite, la fourchette varie entre 400 et 1 000 milliards de dollars. Aux EAU, le fonds chargés d'investir une partie de ces revenus (l'ADIA) ne publie aucun compte, mais ses actifs pourraient représenter 550 milliards de dollars.

Pour la région totale, le chiffre de 3 000 milliards de dollars a été avancé par les représentants d'une banque française de Manama. Les estimations réalisées par la DGTPE avancent une fourchette de 750 à 1 500 milliards de dollars.

En outre, l'économie de la zone est florissante. Cette région connaît actuellement un contexte de forte croissance économique, poussée à la hausse par la progression durable du cours du pétrole - le 18 juin 2007, le prix du baril a atteint son record maximum en dépassant les 72 dollars. Ainsi, l'année 2006 a représenté pour le royaume saoudien la « meilleure » année depuis la fin des années 70, avec une croissance de 4,2 %. Le taux des EAU est toujours remarquable (+ 9,7 %) et celui de Bahreïn atteint 4,5 %.

La plupart de ces pays ont compris que seul le développement d'un secteur privé serait créateur d'emplois et de richesses durables afin de lutter contre les phénomènes de chômage et de pauvreté apparus dans les années 80 et 90. Depuis 2000, et dans la lignée de Bahreïn, Etat pionnier en la matière, les EAU ont lancé un vaste mouvement de privatisation de l'économie et ont vu l'émergence d'un secteur bancaire en pleine expansion. L'Arabie Saoudite a adopté, l'an dernier, le huitième plan quinquennal de développement avec pour objectif d'insérer le royaume parmi les dix économies les plus compétitives du monde d'ici 2010.

Les projets de diversification s'orientent essentiellement vers l'industrie et les services.

Bahreïn et les EAU sont considérés comme les économies les plus ouvertes et diversifiées. Je peux d'ailleurs témoigner de la très forte impression, ressentie lors de notre déplacement, devant le formidable essor du secteur immobilier à Dubaï, la production d'aluminium (à Bahreïn surtout mais aussi à Dubaï) et l'expansion du secteur du tourisme et du transport des personnes. Sur ce point, je citerai l'exemple de Dubaï qui revendique la place de première plate-forme aéroportuaire régionale et construit le plus grand aéroport mondial afin de devenir le principal hub nord-sud, mais aussi la montée en puissance des compagnies aériennes comme Emirates ou Qatar Airways, principaux acheteurs d'Airbus et concurrents extrêmement sérieux pour Air France.

Cette diversification investit également le domaine culturel et scientifique : je citerai l'exemple significatif des partenariats entre les EAU et le Louvre et la Sorbonne.

Le Moyen-Orient est donc potentiellement le plus gros investisseur du monde et l'on comprend aisément la nécessité pour la France d'attirer ces investissements.

Ces Etats ont d'ailleurs mis en place une gestion financière stratégique afin de s'imposer comme des partenaires commerciaux et des investisseurs attractifs et crédibles.

Les échanges commerciaux actuels traduisent le boom économique de la zone. La place de la France n'est pas négligeable mais elle est distancée, en Europe, par l'Allemagne et la Grande-Bretagne. Sa part de marché la plus forte se situe aux EAU, où elle atteint 6,4 % (elle est leur sixième fournisseur), et au Qatar (5,9 %, contre seulement 1,8 % à Bahreïn).

Toutefois les intérêts de la France dans ces échanges sont désormais menacés par la concurrence agressive des nouveaux partenaires que sont l'Inde et surtout la Chine : la part de marché de celle-ci est aujourd'hui deux fois plus importante que celle de la France. Ses importations dans la zone représentent également le double et tendent à s'y substituer.

La capacité d'investissement à l'étranger des Etats du Golfe est considérable : le stock d'avoirs extérieurs devrait continuer à augmenter dans les dix prochaines années et s'orienter de plus en plus vers l'euro, l'Europe pouvant représenter une alternative aux Etats-Unis, qui souffrent d'un déficit d'image depuis la guerre en Irak.

Je ne peux cependant que déplorer le caractère trop spéculatif de ces investissements, pas assez tournés vers les infrastructures et les moyens de production en privilégiant la mobilité et la forte rentabilité.

L'exception du Qatar, qui souhaite investir dans EADS, mérite à ce titre d'être soulignée.

Le recyclage de ces avoirs issus des pétrodollars représente donc une formidable opportunité pour la France et l'Europe, d'autant que la zone a mis en place un cadre sécurisé adapté aux échanges internationaux.

En recherche de crédibilité internationale, les places financières se sont inspirées des « best practices » des modèles anglo-saxons.

Bahreïn a été le premier Etat à se doter d'un cadre financier attractif et sécurisé au milieu des années 1970 en mettant en place une zone franche accueillant les entreprises sous statut offshore : son secteur financier représente aujourd'hui un cinquième de son PNB. Le Royaume héberge plus de 360 institutions financières et est devenu la place financière de référence dans le Golfe. Cette place est désormais convoitée par le Dubaï International Financial Centre, DIFC, zone franche instituée en janvier 2004 et très largement inspirée des pratiques de la City.

Empruntant à la fois la voie de l'intégration régionale et de l'ouverture mondiale, la région, qui avait créé le Conseil de Coopération des Etats Arabes du Golfe (CCEAG) en 1981, a inauguré une union douanière en 2003 et jeté les bases d'une future union monétaire. Elle s'est aussi largement ouverte sur le libre-échange mondial avec pour symbole fort l'adhésion de l'Arabie Saoudite à l'OMC en décembre 2005, après douze ans de négociations.

En conclusion, il semble évident que l'on doive considérer désormais les marchés du Golfe comme des marchés matures et compétitifs.

Il est indispensable de maintenir la présence de la France pour défendre ses intérêts économiques (capter les parts de marchés face à la Chine) et culturels (ce qui lui permettra de devenir un partenaire privilégié). Autant d'éléments qui soulignent la double exigence de vision stratégique et de priorité à l'accroissement de la compétitivité française.

Il ne faut pas non plus négliger les facteurs d'instabilité de la zone (notamment les incertitudes sur le futur de l'Irak, la menace iranienne et la situation récente au Liban et en Palestine).

Questions

Agnès LEVALLOIS

Vous venez d'évoquer l'instabilité de cette région. Monsieur Arthuis, cette instabilité a-t-elle fait l'objet de discussions avec vos interlocuteurs au Moyen-Orient ? Comment la perçoivent-ils ?

Jean ARTHUIS

Nos interlocuteurs ont conscience de cette instabilité. La situation en Irak notamment suscite des interrogations quant au rôle des Etats-Unis. Nous avons néanmoins été impressionnés par leur volonté de donner de la consistance à leur potentiel économique, en mobilisant les capitaux et en s'efforçant de créer de la valeur. Pour ce faire, ils essaient de tirer au maximum parti du contexte de la mondialisation, en n'hésitant pas par exemple à faire venir des travailleurs indiens pour participer au fantastique développement de l'immobilier à Dubaï, et ce aux tarifs pratiqués en Inde. Par ailleurs, le partenariat avec la Sorbonne et le Louvres atteste de leur souci de renforcer leur image culturelle.

Claude LOREAU, Président d'honneur de la Commission Proche et Moyen-Orient

En tant que vétéran de cette zone, je suis frappé par l'écart qui existe entre la qualité de l'analyse française de la situation du Moyen-Orient et notre frilosité sur le terrain. Comment expliquez-vous ce phénomène ?

Jean ARTHUIS

Je rappellerai tout d'abord qu'il s'agit d'une zone anglophone. Par ailleurs, il convient de nous interroger sur notre stratégie en matière de politique étrangère et de développement économique. Aujourd'hui, nous sommes surtout présents sur de grands marchés de concession en matière d'eau, d'assainissement, d'armement, etc. Les responsables de la zone ayant complètement intégré les enjeux de la mondialisation, nous devrions désormais tenter de réviser notre modèle afin d'être beaucoup plus présents sur cette région.

Agnès LEVALLOIS

Pendant longtemps, nous avons considéré le Moyen-Orient comme une zone sous influence anglo-saxonne, nos recherches étant davantage concentrées sur le Proche-Orient. En France, la recherche en science politique sur le Golfe est en effet très récente. Elle doit permettre de combler notre déficit de connaissance scientifique sur cette région.

Jean ARTHUIS

Cette zone est d'autant plus intéressante que ses responsables n'ont pas besoin de procéder à la reconversion de leur tissu industriel. Celui-ci étant vierge, ils sont en mesure de faire appel aux équipements les plus sophistiqués ainsi qu'aux talents du monde entier. Il en est de même sur le plan financier. Ainsi les efforts mis en avant à Dubaï pour répliquer la City de Londres sont-ils impressionnants.

Jean-Jacques VAN DER SLIKKE, CNCCEF

Cette zone représente, pour les Etats-Unis et la Grande-Bretagne, le même type d'enjeux que l'Algérie pour la France. Ainsi, l'industrie américaine bénéficie-t-elle du fait que les responsables de ces pays aient été formés aux Etats-Unis. Les initiatives menées par Sciences Po dans ce sens sont donc particulièrement intéressantes, d'autant plus que nous devons faire face à la concurrence de la Chine dont les critères économiques sont beaucoup plus favorables que les nôtres.

Jean ARTHUIS

Alors que les Britanniques travaillent depuis plus de dix ans avec la banque islamique, les grands établissements français ne font qu'accomplir les premiers pas. J'ai quant à moi découvert son importance considérable au cours de ma dernière mission.

Poids économique de la région et opportunités

Sont intervenus :

Eric DAVID, chef du Bureau Proche et Moyen-Orient, Ministère de l'Economie, des Finances et de l'Emploi, DGTPE
Marc MURCIA, Directeur, Direction Moyen Terme, COFACE
Pierre MOURLEVAT, Chef des Services économiques pour le Moyen-Orient

Les débats étaient animés par Agnès LEVALLOIS, Directrice adjointe, Rédaction de France 24

I. Une zone hétérogène et de nombreuses opportunités

Eric DAVID

Je traiterais des opportunités et de l'hétérogénéité de la zone à travers cinq idées générales.

Premièrement, le Moyen-Orient constitue un marché vaste, dynamique et durablement solvable.

Avec 160 millions de consommateurs, cette zone a vu ses flux entrants et sortants multipliés par dix en cinq ans. Son PIB cumulé atteint actuellement près de 1 000 milliards de dollars, suite à une forte croissance, essentiellement due au coût élevé du pétrole.

Détenteur de deux tiers des réserves mondiales de pétrole et consommateur de près d'un tiers d'entre elles, le Moyen-Orient est également propriétaire de 90 % des capacités de production existantes, auxquelles nous pourrions avoir recours en cas de crise pétrolière.

Cette zone bénéficie par ailleurs d'une croissance soutenue et d'une inflation globalement faible. L'enrichissement dû au pétrole lui a permis de dégager des excédents budgétaires significatifs favorisant son désendettement. Celui-ci oscille actuellement entre 5 % et 20 % du PIB, critères proches de ceux de l'Union européenne.

Les pays de la zone ont ainsi pu développer des capacités d'épargne et d'investissement, qui se traduisent par des avoirs extérieurs dont le montant est estimé entre 770 et 1 500 milliards de dollars.

Deuxièmement, le Moyen-Orient est confronté à des défis économiques structurels, en termes de démographie, de diversification et d'ouverture.

La démographie constitue le défi le plus important à relever. Les taux de chômage de ces pays ont en effet très fortement augmenté depuis le milieu des années 90, essentiellement en raison du taux de fécondité élevé. Ce chômage est particulièrement important en Arabie Saoudite où une politique de substitution des emplois a été mise en place, réservant un quota d'emplois aux Saoudiens. Cette politique reste néanmoins limitée dans un pays où, chaque année, 200 000 jeunes arrivent sur le marché de l'emploi.

Par ailleurs, ces pays doivent se diversifier afin de sortir de la dépendance énergétique. Dans ce sens, un secteur privé a été développé et les textes sur les investissements directs, auparavant très restrictifs, ont été assouplis.

Enfin, l'ouverture de cette zone passe par sa participation aux échanges internationaux. Outre leur coopération dans le cadre du Conseil de Coopération du Golfe, les pays du Moyen-Orient tentent de s'intégrer au commerce mondial, comme le montre l'adhésion de l'Arabie Saoudite à l'OMC en 2005. Dans ce sens, ils négocient actuellement un accord de libre échange avec l'Union européenne, qui devrait être conclu avant la fin de cette année.

Troisièmement, nous constatons dans cette région une hétérogénéité assez forte. En matière de sécurité tout d'abord, nous apercevons la présence d'un arc de crise (Irak, Iran, Yémen), qui se dessine autour d'une région centrale, composée des six pétromonarchies du Golfe, qui constitue une zone globalement plus stable, sur le plan politique.

La taille des marchés représente un autre facteur de différenciation. Nous pouvons ainsi constater l'écart qui existe entre les trois marchés les plus importants en termes de population, l'Arabie Saoudite (25 millions d'habitants), l'Iran (70 millions d'habitants) et, dans une moindre mesure, le Yémen (22 millions d'habitants), et les autres pays dont la population n'excède pas quatre millions d'habitants.

Les pays du Moyen-Orient se distinguent également dans leur relation au pétrole. Ainsi, seuls l'Arabie Saoudite, le Koweït le Qatar et l'Emirat d'Abou Dhabi peuvent durablement fonder leurs économies sur le pétrole. A l'inverse, le Yémen, Oman et Bahreïn voient leurs réserves s'épuiser. Enfin, l'Irak et l'Iran disposent de potentialités importantes encore sous-exploitées.

Nous assistons enfin à une grande variété en termes de richesse par habitant. Ainsi, le PIB par habitant de l'Arabie Saoudite est-il relativement faible, en valeur, par rapport à ce qu'il était dans les années 80. Aussi riche à cette époque qu'un citoyen américain, le citoyen saoudien l'est aujourd'hui deux fois moins. Nous pouvons également citer le PIB par habitant du Qatar, qui s'élève à 63 000 dollars, contre 1 600 dollars en Irak et 850 dollars au Yémen.

Quatrièmement, si les positions commerciales de la France dans cette région ont globalement progressé, cette progression doit beaucoup à des facteurs conjoncturels, comme l'absence des Etats-Unis en Iran et l'effacement progressif des Britanniques. Par ailleurs, sa part de marché, qui est inférieure à celles de l'Allemagne et du Royaume-Uni, reste très dépendante des exportations en matière d'armement et d'aéronautique.

Pour autant, la zone du Moyen-Orient ne constitue pas totalement une « chasse gardée » anglo-saxonne. Les entreprises françaises y sont aussi attendues et appréciées.

Par ailleurs, l'obtention des marchés publics n'est pas toujours liée à la qualité des relations politiques bilatérales. Ainsi les Américains ont-ils vu leur part de marché, au cours de ces dix dernières années passer de 12,5 % à 8,5 %, alors que la Chine, relativement peu présente politiquement, a quant à elle vu sa part fortement augmenter. Le soutien politique est par conséquent d'autant plus efficace que l'offre est compétitive, techniquement et financièrement.

De même, la prise en compte des traditions est essentielle. Ainsi, nos partenaires locaux se plaignent-ils souvent du manque de visites et de leur brièveté.

Enfin, la concurrence des pays asiatiques s'exerçant surtout sur des produits de base, il convient de nous concentrer sur des marchés à plus haute valeur ajoutée, sur lesquels l'offre française est particulièrement appréciée.

II. Quels risques pour les entreprises françaises ?

Marc MURCIA

En tant qu'assureur, je vous présenterai les risques potentiels de la région, divisée à ce titre en trois grands groupes :

• les monarchies pétrolières ;
• l'Iran et le Yémen ;
• l'Irak.

Les pays du CCEAG ont bénéficié de l'effet pétrole, qui leur a permis de se désendetter et d'accumuler de solides avoirs financiers (estimés à 1 550 milliards de dollars), augmentant ainsi leur résistance à un retournement du prix du baril. Ils connaissent par ailleurs une dynamique d'investissements publics et privés porteuse d'espoir pour la diversification de ces économies. En définitive, dans ces pays, les risques restent très modérés.

L'Iran représente un cas de figure plus compliqué. Malgré une situation financière extérieure saine en effet, nous sommes confrontés dans ce pays à des incertitudes politiques, renforcées par un isolement économique et financier. En outre, l'Iran a mis en place un certain nombre de politiques économiques hasardeuses qui non seulement constituent un frein aux investissements mais hypothèquent également son avenir sur le long terme. Ces facteurs rendent l'économie de l'Iran plus vulnérable à une éventuelle baisse du prix du baril et nous contraignent à envisager un risque plus élevé que sur les pétromonarchies du Golfe.

Le Yémen se situe, au niveau du risque, dans une situation proche de l'Iran. Dépendante des revenus pétroliers, son économie est mise en péril par l'épuisement prévu, à l'horizon d'une dizaine d'années, des ressources pétrolières. Par ailleurs, un certain nombre d'ajustements structurels restent indispensables pour éviter l'amplification des déséquilibres macroéconomiques et notamment de la dette.

En Irak enfin, le risque est jugé critique tant il est clair que la situation actuelle fait obstacle au bon fonctionnement des institutions, à la reconstruction et au redémarrage de l'activité.

Le classement OCDE tend à confirmer notre politique de crédit, les pays du CCEAG obtenant une note de 2/7 et l'Irak de 7/7. En ce qui concerne l'Iran en revanche, qui obtient 5/7, je ne serais pas étonné que le classement soit faux. Le Yémen quant à lui est noté 6/7. Il s'agit d'un pays sur lequel nous intervenons au cas par cas.

Les engagements de COFACE pour le compte de l'Etat représentent dans cette région près de 10 % de notre encours total. Trois pays de la région (l'Iran, Oman et le Qatar) figurent parmi les 20 premiers encours. En 2006, cette zone occupait la deuxième place parmi nos contrats garantis. Ces dernières années, nos contrats garantis ont essentiellement concerné les Emirats Arabes Unis, le Qatar, l'Arabie Saoudite et l'Iran, dans les secteurs des transports, de la défense, de l'énergie, de la métallurgie, de la chimie et de la pétrochimie.

Les risques couverts sur cette zone sont relativement classiques, bien que nous ayons généralement affaire à des acheteurs publics, offrant leur garantie souveraine.

Nous rencontrons également des acheteurs privés. De leur notation dépendent la tarification de la garantie et les sûretés exigées. Le plus souvent, nous intervenons sur cette région au comptant, bien que nous utilisions également des financements classiques.

En outre, nous avons assuré un certain nombre de financements de projets ainsi que des investissements. Enfin, comme sur d'autres pays du monde, nous intervenons en réassurance ou en assurance conjointe avec nos confrères étrangers.

D'une manière générale, nous disposons sur la région d'une expérience de paiement relativement positive même si nous devons gérer un certain nombre de sinistres politiques assez anciens. Nous devons néanmoins rester prudents par rapport aux systèmes juridiques qui ne présentent pas toujours les sécurités requises, notamment au niveau de l'exécution des décisions de justice.

Dans ce contexte, l'Iran constitue un cas particulier. Pour ce pays, nous examinons les opérations au cas par cas et nous les autorisons sous réserve du respect de la réglementation internationale en vigueur. Par ailleurs, nous rencontrons des problèmes récurrents sur des cautions relatives à des contrats anciens, qui tardent à être restituées et, partant, qui peuvent être appelées à tout moment par les Iraniens.

Enfin, alors que les grands pays exportateurs ont adopté un certain nombre de règles communes, nous soupçonnons notre homologue chinois d'utiliser, dans cette région, le crédit-export comme un avantage compétitif.

III. Le recyclage des excédents pétroliers

Pierre MOURLEVAT

Depuis 2000, les pays du Moyen-Orient ont utilisé les excédents pétroliers résultant de l'envolée des prix du brut d'une part, pour se désendetter et, d'autre part, pour lancer de grands programmes d'infrastructure, financés sur dotation directe des budgets de l'Etat et augmenter leurs importations.

Néanmoins, des masses financières considérables restent à recycler. Différentes techniques de recyclage sont actuellement mises en oeuvre. Le premier mode de gestion passe par les réserves des banques centrales de ces pays, qui représentent aujourd'hui au moins 340 milliards de dollars, avec une progression très forte.

Bien que ces placements se fassent essentiellement en dollars, il existe une volonté de diversification vers l'euro.

La seconde technique réside dans la création de fonds de réserve, qui sont des entités juridiques distinctes gérées soit par l'Etat soit par des agences. De manière extrêmement prudente, nous estimons le montant de ces avoirs à 553,5 milliards de dollars. Si aucun d'entre eux n'accepte de nous communiquer des chiffres, nous pouvons néanmoins imaginer que ces avoirs dépassent en réalité les 700 milliards de dollars.

Dans ce domaine, les pays du Golfe ont élaboré des stratégies très différentes. Ainsi, l'Arabie Saoudite ne s'estime-t-elle pas assez mûre pour mettre en place un tel fonds de réserve, indépendant de la banque centrale.

Ces fonds de réserves constituent néanmoins un mécanisme permettant de gérer les effets contra-cycliques des revenus du pétrole, les pays en disposant étant autorisés à demander un transfert de ces fonds vers la banque centrale si le cours du baril venait à descendre en dessous d'un certain seuil.

Il s'agit également de fonds de placements pour les générations futures, la rente financière venant à remplacer, dans l'avenir, la rente pétrolière. Cet intérêt est néanmoins plus fort chez les pays dont les réserves sont susceptibles de s'épuiser rapidement. Ainsi, le Qatar a-t-il mis en place le dispositif le plus sophistiqué. D'une manière générale, les avoirs dont disposent ces pays sont tellement importants, qu'il est difficile d'imaginer que le gouvernement ne fasse jamais appel aux fonds de réserve.

Nous pouvons ensuite nous interroger sur la stratégie de gestion de ces fonds. Si dans un premier temps, ils étaient destinés à effectuer des placements financiers de court terme, avec un objectif de rentabilité de l'ordre de 15 %, notamment dans l'immobilier, certains pays commencent à mettre en place des partenariats à plus long terme. Sur ce point, souvenons-nous des discussions entre le fonds d'investissement du Qatar, EADS, Lagardère, etc. Selon cette nouvelle stratégie, la création de valeur n'est plus une priorité exclusive. Les investissements industriels, dans l'immobilier, la santé, les technologies de l'environnement, etc. ont également leur place.

La France fait partie des pays tiers avec lesquels ce type de partenariats est envisagé. Elle souffre néanmoins d'une mauvaise image en termes de réglementation et d'imposition.

En conclusion, il semble que ces masses financières considérables, sans précédent, soient recyclées à la fois dans des investissements locaux et internationaux, assurant ainsi l'avenir de ces pays en cas de retournement de la conjoncture pétrolière ou de crise régionale.

Par ailleurs, cette stratégie de recyclage constitue un moteur de croissance extraordinaire, le taux de croissance durable de ces pays étant évalué en moyenne à 5 %.

Nos partenariats dans ce type d'investissements sont donc importants. Notons à ce titre, que, étant donné le manque de compétitive sur notre territoire, les acteurs de ces pays ont tendance à se focaliser sur les entreprises françaises situées en dehors de France.

IV. Le CCEAG (Conseil de Coopération des Etats Arabes du Golfe) et les accords de libre échange

Le CCG a été créé en 1981 en réaction contre la guerre Iran-Irak. En son sein, l'économie saoudienne est dominante, son PIB représentant la moitié de celui du Conseil. Le Yémen quant à lui ne semble pas destiné à y être officiellement admis.

Contrairement au processus de construction européenne, les institutions de ce Conseil restent largement intergouvernementales. Ainsi, les décisions du Conseil suprême, qui regroupe les chefs de gouvernement, sont-elles toujours prises à l'unanimité. Le Secrétariat de Riyad quant à lui ne peut pas être mandaté pour conduire des négociations commerciales.

Nous assistons néanmoins à un certain nombre de réalisations visibles, comme la suppression des visas au sein de la zone, l'autorisation d'acquérir des propriétés immobilières, l'instauration d'un permis de conduire et d'institutions communes (office commun des brevets, etc..).

Par ailleurs, des accords de libre échange ont déjà été négociés avec le Liban.

Aujourd'hui, se pose la question d'une intégration économique renforcée. Après la mise en place d'une union douanière et d'un TEC en 2003, les Etats du CCEAG ont prévu d'aboutir, en 2010, à l'instauration d'une union monétaire. Malgré l'adoption à ce jour d'un code douanier, d'un certain nombre d'engagements d'éliminer les obstacles non tarifaires ainsi que d'un point d'entrée unique pour prélever les droits de douane, l'élaboration d'un marché commun d'ici 2010 semble compromise.

Premièrement, tous les pays n'appliquent pas d'emblée le tarif commun de 5 %. Par ailleurs, il n'existe pas pour l'instant de véritable liberté de circulation. En effet, l'engagement de prendre des règles identiques sur les produits phytosanitaires n'a pas encore été rempli tandis que certains pays ont choisi de conclure des accords de libre échange séparés avec les Etats-Unis, entraînant ainsi une complexité considérable. Depuis, il a été décidé qu'aucun pays ne pourra désormais conclure des accords bilatéraux avec d'autres pays que les Etats-Unis.

Deuxièmement, malgré le discours incantatoire des responsables du Conseil et des efforts pour adopter, en avril 2006, des critères de convergence similaires à ceux de l'Union européenne, la perspective d'une union monétaire est entravée par des raisons politiques. Les membres du Conseil sont en effet tous des pays jeunes, ayant de fortes revendications en termes de souveraineté. Par conséquent, si le projet ne sera sans doute pas abandonné, l'horizon de 2010 me semble difficile à atteindre. Il convient, pour ces pays, de commencer à mettre en place la convergence de leur économie, notamment en matière d'harmonisation fiscale.

Depuis 1988, des négociations ont lieu entre le CCG et l'Union Européenne pour mettre en place un accord de libre échange et permettre à cette dernière de bénéficier de la clause du traitement national. La lenteur de ce processus de négociation s'explique par le contenu technique de l'accord en question. Si les échanges de marchandise n'ont pas posé de problème, notre demande de suppression du sponsoring en matière d'investissement est plus délicate, bien que des promesses aient été formulées dans ce sens par les Emirats Arabes Unis, pour 2008. Si cet accord reste largement symbolique, il est urgent de parvenir à son aboutissement, afin de garantir notre crédibilité. Lorsque les Américains entament de telles négociations, ils réussissent généralement à conclure un accord en l'espace de quelques mois, avec des dispositions aussi crédibles que les nôtres.

V. La concurrence chinoise et une présence française à renforcer

Le Golfe fait partie des destinations privilégiées des exportations chinoises, qui y ont été multipliées par sept depuis 2000. La Chine est ainsi devenue le deuxième fournisseur du Golfe après les Etats-Unis. Sa part de marché est passée de 5 % en 2001 à près de 10 % en 2006.

La Chine n'est pas la seule à progresser sur ces marchés. C'est le cas de tous les pays émergents, au détriment des pays plus traditionnels. Si elle se maintient à peu près, les parts de marché de la France sont passées en dessous de 5 %. Cet écart ne s'explique pas par un moindre dynamisme, mais parce que notre progression est inférieure à celle de la Chine.

Sur cette zone, comme ailleurs, la stratégie chinoise s'avère extrêmement cohérente. Elle consiste à renforcer sa position commerciale, notamment en utilisant le port de Dubaï, essentiellement sur les biens de consommation courante. Les importations chinoises ont en effet considérablement aidé Dubaï à devenir le troisième port le plus important, après Hong Kong et Singapour. Par ailleurs, la Chine se développe dans les grands projets d'infrastructure, notamment dans le BTP où le prix de la main-d'oeuvre chinoise est particulièrement concurrentiel.

Désormais, la Chine participe également au grand projet d'exploration et de production des hydrocarbures, même si cette présence n'est pas encore évidente.

En outre, les Chinois interviennent dans les secteurs industriels d'infrastructure, directement en concurrence avec nos offres.

Ce renforcement de la position stratégique de la Chine s'accompagne d'une sécurisation de ses approvisionnements énergétiques.

Face à ce mouvement inexorable, comment pouvons-nous ajuster nos stratégies ?

Nous devons tout d'abord exclure d'intervenir sur les biens de consommation à bas prix, sur lesquels la pression concurrentielle de la Chine est trop forte, afin de nous concentrer sur d'autres niches.

Il convient également de tabler sur notre visibilité politique. Ainsi les Chinois ont-ils été les premiers, en 2003, à rouvrir une ambassade en Irak. Malgré l'excellent climat politique dont nous bénéficions avec les pays du Golfe, nous devons renforcer notre présence et la fréquence de nos visites.

Par ailleurs, malgré l'avantage donné au consortium chinois par la règle du moins-disant, celui-ci déçoit souvent ses partenaires par sa pratique de la rallonge de prix en cours de contrat et ses retards très importants. Nous devons quant à nous mettre en avant nos alliances locales et nos technologies. Nous pouvons également envisager, sur certains projets, de nous allier à ce consortium ou encore de lui faire sous-traiter un certain nombre de nos contrats.

En conclusion, dans cette zone en croissance considérable, si la Chine et les nouveaux entrants sont susceptibles de prendre des positions contre les pays européens, il ne s'agit pas pour autant d'un véritable « rouleau compresseur ».

De la salle

Vous avez mis en avant le fait que le Moyen-Orient représentait un marché sain, dynamique et stable. Or les marchés financiers du Golfe persique constituent probablement la plus grande plateforme de blanchiment d'argent sale.

Il s'agit par ailleurs du secteur bancaire qui prend le moins de risques dans ses investissements.

Enfin, la très grande fluidité de ces masses financières gigantesques constitue une menace pour les marchés de la City.

Par conséquent, même si le Moyen-Orient présente de réelles opportunités, il convient de nous méfier de cette « grande messe incantatoire » organisée par les responsables de ces pays.

Pierre MOURLEVAT

Si je souscris à l'idée de ne pas verser dans un optimisme béat, je nuancerai vos propos.

Le blanchiment semble surtout concerner le secteur bancaire de Dubaï, qui constituerait un refuge pour les capitaux iraniens, voire pour des mouvements de type terroriste.

Néanmoins, les autorités monétaires des Emirats Arabes Unis mettent actuellement en place des mécanismes de régulation et des centres de traitement qui me paraissent rigoureux. Savoir jusqu'où ces mécanismes peuvent être fiables dépasse le cadre de ce débat.

Par ailleurs, si je reconnais que les banques de la zone ont plutôt tendance à s'impliquer dans des projets locaux d'immobilier qu'auprès des grandes entreprises, elles présentent au moins l'avantage d'être assainies.

Le processus de rationalisation est encore en cours d'achèvement. Dans ce sens, il me semble que l'apport de centres financiers offshore peut aider à la moralisation, d'autant plus que les règles suivies sont d'origine anglo-saxonne.

Enfin, la formation de consortiums permet aux banques locales de s'intégrer dans de grands projets.

D'une manière générale, il me semble que nous ne sommes confrontés à aucun risque systémique.

Ateliers sectoriels

Sont intervenus :

Saïd NACHET, Directeur IEFS (International Ernegy Forum Secrétariat)
Jean-Christophe DURAND, Regional Director GCC Countries, BNP Paribas Bahreïn, Président de la section Bahreïn des CCEF
Jean-Charles BEREIL, Senior Vice-President Investment
Philippe REY, associé, Walnut Finance

Les débats étaient animés par Agnès LEVALLOIS, Directrice adjointe, Rédaction de France 24

I. Les enjeux énergétiques : les hydrocarbures et le développement des énergies nouvelles

Saïd NACHET

Je travaille pour un organisme, basé à Riyad, chargé de favoriser le dialogue entre les producteurs et les consommateurs d'énergie. Le secrétariat du Forum international de l'énergie est né d'une idée française lancée au début des années 90 par le Président Mitterrand. Il s'agit sans doute aujourd'hui de la plus importante réunion des Ministres de l'énergie de tous les pays du monde.

Mon intervention portera surtout sur les hydrocarbures dans la mesure où les énergies nouvelles représentent un secteur très peu développé au Moyen-Orient.

1. Les réserves de pétrole brut du Moyen-Orient : un miracle géologique
a. Une production inférieure au potentiel du Moyen-Orient...

L'Arabie Saoudite partage, avec la Russie, le rang de premier producteur au monde, rang qui varie en fonction de la politique de production de l'OPEP.

Si le Moyen-Orient détient 61 % des réserves de pétrole brut mondial, il se situe à peine en dessous du tiers de la production mondiale. L'OPEP n'est en effet pas le premier producteur mondial.

La durée de vie des réserves quant à elle s'élève à près de 80 ans pour les pays du Moyen-Orient contre 40 ans pour le reste du monde.

b. ...mais qui devrait progresser fortement dans le futur

Malgré cette faible production actuelle, le pétrole de demain viendra nécessairement du Moyen-Orient. L'offre mondiale de l'OCDE commencera en effet à décliner à partir de 2010. En 2030, les pays du Moyen-Orient produiront près de 44 millions de barils par jour contre 29 millions pour le reste du monde.

A long terme, cette capacité de production non utilisée donnera au Moyen-Orient un rôle très important en termes de sécurité des approvisionnements pétroliers mondiaux. Les pays de l'OPEP et notamment l'Arabie Saoudite sont d'ailleurs déjà sollicités, en cas de problèmes de production ponctuels dans le reste du monde. Il en a été ainsi, lors de la tempête Katrina.

Quelle que soit la crise, ces pays constituent toujours le dernier recours.

2. Les exportations de pétrole brut
a. Une région stratégique appelée à le rester...

Grâce à ses moyens de production considérables, le Moyen-Orient constitue une zone d'exportation majeure. Dans ce domaine néanmoins, il n'a pas été aidé par le miracle géologique, cette zone disposant de peu de voies d'exportations. Ainsi le pétrole est-il principalement évacué par le détroit d'Ormuz.

b. ...mais une consommation pétrolière intérieure en croissance

Les pays producteurs en effet sont également consommateurs. Or la consommation intérieure de carburants a connu une forte augmentation, favorisée d'une part, par une croissance économique et démographique soutenues et d'autre part, par des prix intérieurs parmi les plus bas au monde.

Mise à part l'initiative notable de l'Iran de limiter la quantité d'essence par automobilistes par des prix réglementés, les pays du Moyen-Orient prennent peu de mesures visant à rationaliser la demande de carburant. Au contraire, l'Arabie Saoudite a baissé le prix du carburant. Ces mesures s'avèrent généralement difficiles à mettre en oeuvre tant elles sont mal acceptées par la population. Ainsi, le numéro du Figaro d'aujourd'hui titrait-il sa une : « le pouvoir iranien face à colère de la rue ».

Pourtant, ce type de mesure va devenir nécessaire pour conforter le surplus exportable et préserver l'environnement.

c. Consommation d'énergie et développement économique

Il est intéressant de mettre en relation le revenu par habitant et la consommation d'énergie par habitant. Le Koweït, Bahreïn et les Emirats Arabes Unis présentent des ratios extrêmement importants. Ce rapport prend non seulement en compte la consommation des ménages mais également celle destinée au transport routier et surtout à la pétrochimie.

3. Le gaz

Le Moyen-Orient abrite également 40 % des réserves de gaz naturel. Il constitue également une zone majeure d'exportation, notamment le Qatar qui en 2015 représentera le quart des importations des Etats-Unis. Les exportations futures se feront nécessairement sur longue distance et, partant, sous forme liquide. Le commerce local par pipe s'effectue quant à lui généralement sur 1 000 à 1 500 km.

Le gaz naturel est également considéré comme un facteur de « diversification » économique et énergétique. Néanmoins, la pétrochimie ne constitue pas à mon sens une diversification dans la mesure où elle s'appuie, comme le pétrole, sur des prix du gaz extrêmement bas. La véritable diversification, à long terme, résidera dans la sortie du cadre des hydrocarbures.

Le bilan gazier de la zone est assez hétérogène. L'Iran, le Qatar, l'Irak et Oman sont excédentaires tandis que les Emirats Arabes Unis et le Koweït, sont déficitaires. La situation de l'Arabie Saoudite quant à elle dépendra de la réussite de l'ouverture gazière en cours, notamment de la participation des compagnies internationales.

Les échanges intra-région sont limités au regard des complémentarités possibles et ce, pour des raisons politiques. Le Koweït par exemple aurait souhaité importer du gaz du Qatar mais a l'interdiction de passer par l'Arabie Saoudite. Les synergies nécessaires pour créer un commerce local ne sont pas encore à l'ordre du jour, même si une étude de faisabilité est en cours et si ces pays font preuves d'une volonté d'exporter vers l'Europe.

4. Un marché pétrolier favorable aux pays producteurs.

L'environnement pétrolier reste extrêmement favorable pour les producteurs, avec un prix du baril qui a déjà atteint plus de 70 dollars. Compte tenu de l'évolution actuelle du marché, il est peu probable que ce prix recommence à baisser, sauf dans le contexte, encore éloigné, de l'après-pétrole.

5. Investissement dans les hydrocarbures

Il est intéressant de se pencher sur les chiffres des investissements dans le secteur des hydrocarbures entre 2006 et 2010. Les investissements en énergie sur les périodes 2005-2009, 2006-2010 et 2007-2011 sont également intéressants. Une hausse progressive du montant des investissements est prévue, en raison non seulement du développement de la production, mais également de la maintenance de gisements vieillissants, de nouveaux projets de raffinage, etc.

Une partie de ces chiffres est également due à l'inflation liée aux coûts de production et de mise en oeuvre des projets.

6. Les énergies nouvelles : encore embryonnaires

Mis à part l'Iran qui consomme de l'hydroélectricité et du charbon, le bilan de la région est largement dominé par les hydrocarbures. Quelques initiatives sont également menées en Arabie Saoudite et aux Emirats avec des projets de construction d'un village solaire ou d'énergie éolienne.

La question du nucléaire reste posée. L'initiative iranienne en matière civile a inspiré les pays du CCG, qui ont rencontré, en mai 2007, une délégation de l'AIEA.

II. Développement des services financiers

Jean-Christophe DURAND

Je suis responsable des activités de BNP pour six pays du Golfe. Mon propos se concentrera donc sur ces six pays.

1. Les services financiers bénéficient d'une croissance et d'une diversification économique sans précédent dans la région

Le PNB des pays du CCG dépasserait les 700 milliards de dollars et son taux de croissance serait supérieur à 6 %.

De l'ordre de 8 %, la croissance hors pétrole est encore plus importante. Ce contexte très favorable crée des opportunités pour le secteur financier. Il permet l'apparition d'acteurs de taille mondiale dans l'industrie et les services, comme DP World, Etisalat ou Agility. Certains, comme SABIC, sont même leaders.

Le Moyen-Orient est également une puissance industrielle. 15 % des produits pétrochimiques y sont en effet manufacturés.

Nous assistons également à une plus grande sophistication des entreprises moyennes ainsi qu'à une forte création de richesses au niveau des particuliers.

a. Les perspectives restent très positives à moyen terme.

Il me semble que nous avançons vers une convergence monétaire. Ainsi, l'échéance 2010 me paraît-elle réaliste. Les effets de surchauffe boursière devraient rester maîtrisés. Enfin, nous constatons un certain nombre d'opportunités d'investissement. D'une manière générale, par rapport aux années 80, l'utilisation des fortes liquidités s'inscrit davantage dans une vision de long terme et dans un objectif de réformes structurelles.

Enfin, nous assistons à une réforme progressive des marchés de capitaux.

b. Le contexte financier exceptionnel : le Moyen-Orient peut devenir un acteur important du système financier international

Les pays du Golfe ont connu des excédents record de la balance courante, que j'ai estimés à 2000 milliards de dollars sur les dix dernières années, faisant ainsi jouer à la région un rôle croissant dans le financement des déséquilibres mondiaux.

Par ailleurs, l'utilisation de ces revenus a beaucoup évolué par rapport aux périodes précédentes. Auparavant consacrés à des investissements stériles, ils sont aujourd'hui utilisés pour :

• la réduction de la dette ;
• des investissements dans les services sociaux et les infrastructures ;
• des investissements internationaux plus ciblés et gérés de façon plus professionnelle qu'il y a vingt ans.

Par ailleurs, si le développement de marchés des capitaux locaux reste limité, son ouverture s'accélère.

Ce contexte favorise le développement des services financiers.

c. Un système bancaire local en pleine mutation.

Il a tout d'abord été assaini, la dernière vague de créances douteuses datant du début des années 90. Il s'agit ensuite d'un secteur performant et efficace, qui a permis de réaliser 26 % de profit en 2006. Enfin, de nouveaux acteurs locaux apparaissent dans des domaines spécialisés.

Néanmoins, la taille du système bancaire reste modeste. Ainsi, fin 2006, les actifs totaux des banques du CCG s'élevaient-ils à 640 milliards de dollars, soit moins de la moitié des actifs du groupe BNP Paribas.

Ce système doit également faire face :

• à une demande de produits de plus en plus sophistiqués ;
• à des besoins de financement bien supérieurs à leur capacité et leur expertise ;
• à l'ouverture des marchés aux banques internationales.

Protégé jusqu'à maintenant, le secteur bancaire local doit s'adapter et se consolider.

d. Une carte à jouer pour les grandes banques internationales au Moyen-Orient.

Au Moyen-Orient, les grandes banques internationales disposent :

• d'un accès privilégié aux marchés internationaux ;
• d'une capacité d'utiliser leurs bilans sur des projets sophistiqués à long terme ;
• de leur expertise industrielle et sectorielle pour jouer un rôle de conseiller ;
• d'une capacité technique forte sur les produits de marché sophistiqués ;
• d'une compétence en matière de gestion d'actifs et de conseil en acquisition.

e. Des besoins de financements énormes et variés qui nécessitent l'accès à des sources diversifiées et une évolution de la structure des financements.

Les projets annoncés ou en cours sont supérieurs à 1 400 milliards de dollars, avec des besoins de financement de plus de 1 000 milliards de dollars, notamment dans l'industrie lourde, l'eau et l'électricité, l'infrastructure des transports, l'infrastructure sociale et les villes nouvelles.

L'immobilier et les besoins d'équipements impliqueront également des financements importants et complexes, notamment dans le domaine de l'aéronautique, les commandes d'avions dépassant les 40 milliards de dollars.

L'augmentation de la taille unitaire des projets explique les besoins d'accès à des sources diversifiées. Par ailleurs, les maturités nécessaires à ces financements se sont allongées et la nature des projets est devenue plus complexe. Ainsi, la plupart des projets font-ils fortement appel au levier financier.

D'une manière générale, les risques sont aujourd'hui beaucoup plus complexes à évaluer, à comprendre et à maîtriser.

Il est désormais nécessaire de faire appel à des sources de financements différentes pour un même projet (banques internationales, locales, islamiques, etc.), donnant ainsi lieu à :

• une combinaison de plusieurs tranches avec des caractéristiques différentes ;
• une couverture des risques plus sophistiquée ;
• un appel aux marchés des capitaux, etc. ;
• un financement des fonds propres (crédit relais et émission obligataire).

2. La finance islamique constitue un moyen de diversifier les sources de financement
a. Sa croissance est soutenue et s'intègre dans le système financier international.

Dans le Golfe, la finance islamique représente environ 20 % des actifs bancaires et bénéficie d'un fort soutien de la part des gouvernements, qui souhaitent avoir accès à ces fonds pour les investir dans de grands projets.

Evoluant dans des marchés très liquides, les banques islamiques sont en recherche d'actifs. Or, aujourd'hui, le financement de projet est par nature tout à fait adapté à cette recherche.

La banque islamique couvre progressivement l'ensemble des besoins financiers des entreprises et des particuliers, dans le cadre :

• de la banque de détail et de la gestion de trésorerie ;
• des marchés de capitaux, avec des produits tels que les Sukuks , c'est-à-dire des obligations islamiques ;
• des financements spécialisés ;
• des investissements et de la gestion d'actifs.

Par ailleurs, ces produits s'intègrent mieux dans plusieurs tranches de financements.

La banque islamique présente également des techniques financières adaptées aux structures de projets, comme :

• l' Istisna'a et le crédit-bail sur actifs à construire ;
• l'achat et le crédit bail ;
• le Murabaha et le Tawarruk , prêts ou dépôt ne donnant pas lieu à des intérêts mais à des profits sur des achats et des reventes.

Grâce à une plus grande maîtrise de ces techniques, les banques islamiques disposent aujourd'hui d'une meilleure réputation et d'une compétence reconnue. En outre, le cadre juridique est désormais sécurisé.

b. Quelques exemples de succès

Alors que les premières opérations mettaient en jeu des montants peu élevés ainsi que des banques islamiques très spécialisées, d'importantes transactions ont désormais été réalisées par des banques conventionnelles. Aujourd'hui, la taille de ces banques est de plus en plus importante et elles regroupent des acteurs très diversifiés, sur des périodes plus vastes.

Etant donné l'importance de ces transactions, le mode de financement islamique est devenu incontournable au sein de tous les grands projets, d'autant plus que les problèmes de liquidités et de parité des prêteurs sont désormais résolus.

En outre, les financements de projets islamiques font intervenir un large panel d'investisseurs (banques islamiques et conventionnelles, fonds, etc.)

Par conséquent, nous estimons que le poids des financements islamiques dans les projets est susceptible d'augmenter fortement. La place des projets financés par les Etats assure en effet une part conséquente aux tranches islamiques. Par ailleurs, la nécessité de trouver un écho favorable auprès du public pour diversifier les sources de financement favorise le développement de structures islamiques sophistiquées. Enfin, la volonté de répondre aux attentes d'un public demandeur de produits islamiques incite les entreprises à développer des financements « Sharia'a compliant »

c. Les défis

Le secteur des banques islamiques est très diversifié. Ainsi, les critères d'acceptabilité de certains produits ne sont-ils pas nécessairement les mêmes. Enfin, bien que ces banques aient besoin d'actifs, généralement, elles ont plutôt des objectifs de court terme.

En conclusion, le Golfe n'est pas une « grande lessiveuse ». Si BNP travaille dans cette zone dans un souci de compliance , un risque de réputation pouvant lui coûter beaucoup plus cher qu'un risque de crédit, ces banques semblent disposer aujourd'hui d'équipes de conformité extrêmement complètes, en termes non seulement de fiabilité mais également de suitability . Dans ce cadre, Dubaï constitue sans doute l'exception notoire.

Néanmoins, sur les autres grands pays, l'engagement des autorités et les systèmes en place sont tout à fait performants. Les risques sont donc relativement limités. Même Dubaï commence à se plier aux normes internationales.

III. L'immobilier un marché en plein essor

Jean-Charles BEREIL

Walnut Finance est une société financière installée aux Emirats Arabes Unis, depuis une vingtaine d'années.

Je traiterai de l'immobilier, un marché en plein essor à Dubaï mais non encore mature. L'ouverture récente du marché aux étrangers l'a par ailleurs fait exploser. Or peu d'investisseurs français ont encore osé franchir le pas, à l'exception du groupe NCI et d'une entreprise du CAC 40.

Certaines sociétés, comme Ali Burton, ont décidé d'établir leur siège à Dubaï. Les responsables de ces pays seraient ravis que les Français s'investissent davantage sur ce type de marché.

Les Emirats ont en effet toujours fait en sorte de se tenir à l'écart des conflits afin de bénéficier de l'afflux de cadres et de sociétés sur leur territoire.

Ce marché, qui offre une rentabilité nette supérieure à 20 %, commencera à se réguler d'ici à 2011, Dubaï ayant vocation à passer entre 10 à 15 millions d'habitants d'ici à 2009.

J'encourage vivement la France à s'impliquer davantage dans ces marchés.

Philippe REY

Je centrerai mon propos sur Dubaï. Bien que Dubaï ne soit pas la seule ville à disposer d'un rôle prépondérant sur ce marché, elle est la première à avoir osé vendre de l'immobilier à des étrangers, avec un succès extraordinaire, notamment auprès des Anglais, des Allemands, des Italiens, etc.

Ce marché est sous-tendu par la dynamique de l'économie locale des Emirats Arabes Unis. Cette « euphorie » devrait perdurer au moins jusqu'en 2011, avec des flux croissants de nouveaux résidents. A Dubaï par exemple, nous comptons actuellement près de 1 000 nouveaux résidents par jour.

En 2006, la valeur de l'immobilier a été estimée à 10 milliards d'euros soit près de 7,5 % du PNB de l'Emirat. Le déficit résidentiel est évalué à 27 000 unités par an de 2007 à 2010. Les prix des propriétés ainsi que le coût du loyer devraient rester dans une fourchette de croissance de 6 % à 10 % jusqu'en 2010. En ce qui concerne les bureaux, le déficit est de l'ordre de 570 000 mètres carré pour 2007 et 2008. Le rendement locatif des bureaux est supérieur à 25 %. Il devrait rester de cet ordre jusqu'en 2010.

Depuis 2000, le développement immobilier dans les pays du GCC a connu un rythme exceptionnel, en partie en raison des évènements de septembre 2001, qui ont d'une part, engendré des rapatriements de capitaux et d'autre part, modifié les mentalités des dirigeants de ces pays qui ont commencé à envisager d'investir localement. Ces liquidités ont été augmentées par les revenus pétroliers, qui ont trouvé une utilisation toute naturelle dans le développement immobilier régional. Depuis 2002, les investissements étrangers sont arrivés en masse, notamment lorsque Dubaï a introduit la législation autorisant les étrangers à acquérir des biens immobiliers. En 2006, cette législation a été étendue à l'acquisition de terrain.

Depuis 2004, la croissance de la demande a surpassé l'offre de façon constante. Il devrait en être ainsi au moins jusqu'en 2011. Une augmentation permanente de la population et des liquidités, due à un accès croissant au crédit, a contribué à renforcer cette demande.

En 2005, les liquidités représentaient 23 % du PNB. La banque centrale des Emirats Arabes Unis indique qu'elles auraient augmenté à un rythme annuel de 37 % entre 2000 et 2005.

L'augmentation de la population est estimée à 6,5 % par an jusqu'à 2012. Cet accroissement démographique constitue l'un des moteurs de la demande immobilière, d'autant plus qu'il s'agit de jeunes, entre 15 et 40 ans, en âge de s'installer.

De 2002 à 2006, Colliers international a constaté un quasi triplement du prix des propriétés sur Dubaï, le prix moyen du mètre carré passant de 660 à 1250 euros.

Certaines voix se sont élevées pour dénoncer la formation d'une bulle immobilière. Cependant, contrairement à Singapour ou Hong Kong, la volonté du gouvernement d'attirer une population de plus en plus importante devrait limiter cet effet spéculatif. Nous estimons que les prix continueront à augmenter en fonction de la hausse de l'activité. La rentabilité nette se situant autour de 10 %, des personnes de tous horizons, notamment du continent indien, sont attirées par le marché.

L'une des raisons du déficit de l'offre immobilière réside dans le retard quasi-structurel de livraison des chantiers en cours, en partie à cause du faible nombre d'ouvriers par rapport aux besoins.

Réforme du travail, éducation et formation

Sont intervenus :

Frédéric WAPLER, Avocat au Barreau de Paris, Cabinet Gide Loyrette Nouel
Serge HATTIER, Senior Vice Président Development Middle East, Africa, ACCOR
Jean-Marc LEBRUN, Directeur Général, Société Fu-com/Retail Arabia, CCEF

Les débats étaient animés par Agnès LEVALLOIS, Directrice adjointe, Rédaction de France 24

Frédéric WAPLER

La conclusion de l'intervenant précédent me servira de transition. Les chantiers sont en retard en effet, en raison des problèmes de recrutement de personnel qualifié.

La politique de l'emploi de tous les pays de la zone présente des constantes et des particularités.

1. Les constantes

Dans tous les pays du Golfe, le respect des règles internationales conduit à des situations à la fois stabilisantes et susceptibles d'évoluer. Elles sont stabilisantes dans la mesure où les cadres juridiques des contrats de travail sont parfaitement connus, définis et, dans certaines limites, rassurants. Je rappelle néanmoins que, pour l'OIT, la durée légale du travail hebdomadaire est de 48 heures. En comptant les heures supplémentaires, nous pouvons estimer que les personnes recrutées dans ces pays travaillent 60 heures par semaine et ne disposent que d'un mois, voire deux semaines, de congés, par an.

Certaines règles sont en revanche négatives. Ainsi, l'absence de représentation collective des employés permet-elle une relative fluidité du marché du travail.

Enfin, les pays de la zone disposent tous de règles de nationalisation du travail, qui, en pratique, ne sont néanmoins pas toujours appliquées à la lettre.

2. Les particularités

L'Arabie Saoudite dispose d'une politique de contrôle de flux de population très particulière qui tient à une double contrainte, géopolitique et religieuse. D'une part, ce pays, cinq fois plus grand que la France et peuplé d'à peine 23 millions d'habitants est en effet entouré de pays surpeuplés. D'autre part, les autorités saoudiennes ont en charge le contrôle du pèlerinage sur la Mecque et Médine.

Par ailleurs, il convient de souligner à quel point les populations employées dans ces pays sont différentes. Ainsi, les Emiriens entretiennent-ils entre eux un certain nombre de rivalités. C'est pourquoi, je recommande toujours de segmenter les relations juridiques, ne pas conclure des accords globaux avec un partenaire sur toute la zone.

Par ailleurs, dans tous les pays du Moyen-Orient, les activités commerciales font l'objet d'un monopole par les nationaux. Bien que l'adhésion de ces pays à l'OMC fasse progressivement disparaître ces règles, celles relatives au niveau d'investissement permettent aux petits commerçants d'être encore protégés. Les Emiriens par exemple disposent toujours d'un monopole dans le domaine de la distribution. Ces règles sont néanmoins tournées par la pratique du non-enregistrement des contrats d'agence de distribution.

Serge HATTIER

Je vous livrerai trois chiffres concernant ACCOR. Présent dans 10 pays, ce groupe dispose dans la région de 25 000 chambres ainsi que de 6 000 employés.

Je précise par ailleurs que la pratique des quotas est en réalité très variable. En Arabie Saoudite par exemple, nous avons négocié un quota de 40 % d'employés saoudiens, dont nous devons nous approcher pour obtenir les permis de travail des expatriés dont nous avons besoin.

S'ils n'ont pas officiellement mis en place de quota, les Emirats exercent une pression pour tendre vers la nationalisation des postes. A Bahreïn en revanche, le quota s'élève à 25 %.

D'une manière générale, nous avons des difficultés à trouver du personnel local qualifié dans la mesure où il n'existe pas, sur place, de formation dans l'hôtellerie. C'est pourquoi nous recrutons majoritairement sur le Sud-Est asiatique. Nous n'engageons du personnel local que sur des métiers très spécialisés, de contact avec la clientèle. De plus, naturellement, ces personnes ont généralement une faible appréhension des notions de service et de travail en général, ce qui explique qu'ils aient une productivité assez limitée. Dans la plupart de ces pays, nous sommes ainsi conduits à doubler les postes, ce qui se traduit nécessairement par un surcoût.

En l'absence de formations qualifiantes dans la zone, nous avons passé des accords avec des sociétés locales et notre propre académie pour former le personnel d'encadrement. Le personnel d'exécution, quant à lui, est formé par nos propres équipes.

Jean-Marc LEBRUN

Au niveau de la grande distribution, nous sommes confrontés aux mêmes problèmes. Nous avons également du mal à embaucher des employés locaux et à les faire évoluer. Par ailleurs, nous constatons les mêmes différences entre pays. Autant, aux Emirats Arabes Unis, nous pouvons choisir la nationalité ou la provenance de nos salariés, autant à Bahreïn ou au Koweït, nous sommes soumis à l'obligation d'embaucher des travailleurs locaux.

En outre, trois grands problèmes se posent dans ces pays.

Le premier est lié au chômage. Il s'élève à Bahreïn à 15 %. Etant donné l'absence de politiques sociales, il nous incombe de donner du travail et des formations à ces personnes.

Le second porte sur les salaires. Dans ce domaine, la différence de prix nous conduit à recruter davantage de personnels provenant d'Inde ou des Philippines. Conscients de ce phénomène, les Etats de la région tentent de nous inciter à inverser la tendance, par le biais de taxe.

Le troisième a trait au travail des femmes, souvent difficilement accepté dans ces pays. En leur offrant des emplois, nous les aidons néanmoins à conquérir une certaine liberté.

Une région pleine de promesses

Philippe MARINI
Sénateur, Rapporteur général de la Commission des Finances du Sénat

Avec ma collègue, Christiane Kammermann, Sénateur des Français de l'étranger, je tiens à vous souhaiter la bienvenue au nom du Président du Sénat. C'est pour nous une opportunité extraordinaire que de voir réunis l'ensemble des missions économiques ainsi que de nombreux représentants du monde de l'entreprise. En ce qui me concerne, je viens d'être élu en remplacement Président d'un groupe d'amitié appelé « France - Arabie Saoudite - Pays du Golfe ».

Nous avons donc la charge des relations avec cinq Etats, c'est-à-dire l'ensemble du Conseil de coopération du Golfe, sauf le Koweït, et l'ensemble de la péninsule Arabique, à l'exception du Yémen, des groupes d'amitié spécifiques étant en charge de ces deux pays. En ce qui concerne le Golfe, j'ai été associé à la mission du bureau de la Commission des Finances lancée en mars dernier.

Les enjeux dont il est question aujourd'hui sont tout à fait considérables. Zone contrastée, complexe et conflictuelle, le Golfe est également plein de promesses, ce qui nous amène à observer le comportement d'investisseur de pays bénéficiaires des surliquidités pétrolières. Dès lors, l'intérêt est réciproque. C'est aussi bien celui de nos entreprises dans la zone que celui des relations entre investisseurs du monde proche-oriental et plus spécialement de la péninsule Arabique et du Golfe avec les entreprises et les intérêts économiques européens et français.

Nous sommes dans une nouvelle période, notamment en France où nous entamons, depuis l'élection présidentielle, un nouveau cycle politique. Notre président de la République ne laisse rien au hasard. Il utilise chaque minute disponible de chaque journée. Je me plais notamment à rappeler les rencontres très importantes de ces dernières semaines. Ainsi, le premier président de la zone à avoir été reçu par le nouveau Président de la République française est l'Emir de l'Etat du Qatar. Le 21 juin et le 25 juin, nous avons également eu les visites respectives du Roi Abdallah et du Président du Yémen. La forte implication de la France dans les questions libanaises a été une nouvelle fois démontrée, après la visite du Ministre des Affaires étrangères à Beyrouth, peu de temps après sa prise de fonction, par la visite du Président du Conseil des Ministres libanais au Président de la République le 26 juin.

Au sein de cette zone diverse, chaque Etat dispose de sa propre personnalité, quelle que soit sa dimension. Nous assistons également à des concurrences internes, notamment pour déterminer le centre d'affaires le plus à même de rayonner sur l'ensemble de la zone. Il en résulte une pluralité, ce que nos entreprises doivent prendre en compte dans leurs politiques d'implantation.

Par ailleurs, les interprétations politiquement correctes du contexte régional se heurtent souvent aux réalités de terrain, quels que soient les régimes politiques.

Cette zone vaut tant par son potentiel que par son positionnement à l'égard de ses grands voisins. Si l'Irak reste concerné par nos présents débats, il doit faire l'objet d'une grande prudence.

Serons-nous en mesure, nous Français, d'occuper toute notre place ? La réponse à cette question dépend d'un grand nombre de facteurs. A ce titre, je tiens à souligner toute l'importance des liens que tissent les missions économiques françaises. Notre réseau a trouvé son équilibre avec d'une part, des liens plus forts entre les considérations diplomatiques et économiques, d'autre part, l'intégration plus forte au sein de nos postes diplomatiques, avec en contrepartie, une confiance encore plus grande accordée par nos diplomates aux chefs de mission économiques, aux attachés financiers, à leurs collaborateurs.

Nous avons été passionnés par le sujet de la finance islamique. Nous avons en effet découvert une réalité sociale, des données culturelles ainsi que l'utilisation de concepts d'un autre ordre pour fonder des relations d'affaires, réelles et actuelles. Il s'agit d'une combinaison fascinante que je me suis efforcé de suivre jusqu'à Londres quelques semaines plus tard. J'ai ainsi pu observer comment nos amis britanniques s'employaient à conjuguer ces spécificités et, de manière empirique, de les intégrer à leur propre place financière. Ce n'est pas un hasard si, dans les conclusions que je viens de remettre au nom d'une mission commune d'information du Sénat sur la compétitivité de la France, j'ai ajouté une proposition, visant à faire en sorte que les obstacles juridiques et fiscaux soient identifiés et, autant que possible, éliminés, pour que la place financière française bénéficie des remontées de la finance islamique.

En définitive, ces pays sont extrêmement étranges car ils bénéficient de toutes les capacités de développement mondial donné par les technologies d'aujourd'hui. Ils anticipent sur les technologies de demain et, dans le même temps, ils sont issus de cultures très profondes. Ce sont en effet des pays qui véhiculent des valeurs en même temps que du commerce. Ils sont donc très sensibles aux aspects culturels.

Sur ce plan, la France a déjà remporté quelques succès éclatants, notamment à travers les grands accords d'Abou Dhabi conclus avec les Emirats. Un grand nombre d'actions dans ce sens restent à mener. La formation des esprits « à la française » est en effet en lien avec le développement de cette zone du monde. Naturellement, nous ne pouvons que nous réjouir du fait que le Château de Fontainebleau bénéficie de ces accords culturels.

Etre présent au Moyen-Orient : quelle structure pour quel projet ?

Jean-Christophe CHUNIAUD, Directeur commercial Moyen-Orient, Systra (transport ferroviaire)
Jean-Pierre QUEMION, Directeur général, Sidem Saudi Ldt, CCEF
Serge HATTIER, Senior Vice Président Development Middle East, Africa, ACCOR (tourisme)
Patrick ROUCHOUSE, Directeur commercial Sofrecom, CCEF, (Télécommunications)
Patrice de ROUX, Responsable Zone Moyen-Orient, Euroco (Négoce international-agroalimentaire)
Bernard JACQUEMART, Directeur de l'information, Sécurité sans frontières

Les débats étaient animés par Agnès LEVALLOIS, Directrice adjointe, Rédaction de France 24

Agnès LEVALLOIS

Durant cette séance, je souhaiterais qu'il y ait davantage d'échanges que de présentations.

Jean-Pierre QUEMION

SIDEM est une entreprise spécialisée en dessalement d'eau de mer. En 1965-67, avec l'arrivée des bateaux à moteurs diesel, notre directeur général s'est rendu au Moyen-Orient afin d'y exporter notre activité.

En 1968, un premier projet a été mené au Koweït sans succès dans la mesure où, à l'époque nous étions une filiale d'une compagnie détenue par Rothschild.

Cette première expérience nous a conduits à la création de SIDEM. En 1971, j'ai été recruté par l'équipe dirigeante et, en 1973, j'ai été envoyé au Qatar, avec la mission de remettre en route une usine nous appartenant. Ce succès a confirmé notre présence au niveau international. En 1974, j'ai été envoyé à Abou Dhabi où je suis resté jusqu'à présent, malgré la récession économique entre 1982 et 1990.

En 1988, j'ai été contraint de réduire notre bureau d'Abou Dhabi de moitié, ce qui nous a permis de repartir sur des bases plus saines. Nous avons ensuite étendu notre activité vers l'émirat de Chardja ainsi qu'à Bahreïn. Nous venons d'être également d'être choisis pour un contrat à Marafiq, représentant 280 millions de gallons. Actuellement, nous avons six appels d'offres en cours sur la région.

En termes d'implantation, nous disposons de 120 personnes au siège social et de 240 personnes au Moyen-Orient. Nous essayons en effet d'être au plus proche du terrain. Au-delà de l'engineering, de la qualité et du contrôle, nous disposons de nos propres équipes de management, de chantier ainsi que de mise en service. Nous ne déléguons pas non plus les garanties. Nous faisons en effet en sorte de former nous-mêmes notre personnel afin d'assurer la maintenance des installations.

Nous disposons actuellement de deux agences : une à Chardja, qui constitue une zone très importante de fabrication et une prévue à Bahreïn. Nous avons également créé une filiale complètement étrangère en Arabie Saoudite, pour répondre aux défis des 15 prochaines années.

Si notre chiffre d'affaires s'élève entre 15 et 20 milliards de dollars, l'histoire de notre société est avant tout une histoire d'hommes, notamment celle d'un premier PDG qui, en 1968, a eu une vision. Le Moyen-Orient est en effet très particulier. Il demande une présence continue dans la mesure où le contact personnel y est très important. La longévité donne en effet de la crédibilité. Nous devons donc recruter des collaborateurs suffisamment ouverts et volontaires pour obtenir des rendez-vous, dans une région où cela peut parfois s'avérer très difficile. C'est ainsi que j'ai été amené à « faire le siège » d'un Ministre pour qu'il accepte de me recevoir.

Agnès LEVALLOIS

Ces propos vont dans le sens de ce qui a été évoqué ce matin au sujet de la nécessité de maintenir une présence.

Jean-Christophe CHUNIAUD

Systra est une société d'ingénierie française spécialisée dans les transports, notamment le transport public et ferroviaire. Cette société, forte de 1 300 collaborateurs, réalise 75 % de son chiffre d'affaires à l'export. Nous sommes présents dans la région du Moyen-Orient depuis plus de 30 ans. Nous étions notamment très actifs du temps du Shah. En 2003, nous avons remporté le marché du métro de Dubaï, ce qui nous a permis de nous y installer et d'y créer une structure commerciale de pilotage des projets ainsi qu'une structure de production.

Aujourd'hui, nous sommes responsables des études de la ligne de chemin de fer en Arabie Saoudite. Nous sommes également présents sur des projets moins ambitieux, notamment en amont. Le plus souvent en effet, nos clients ne nous connaissent pas. Il convient donc de les accompagner et de les former. Je suis moi-même responsable du développement commercial.

Dans cette région, nous développons également notre capacité de production. Nos concurrents dans ce secteur sont principalement anglo-saxons.

J'insisterai sur le problème de la formation qui constitue un sujet important tant pour les décideurs que pour les clients. Nous faisons face en effet à une demande très forte en matière de formation, que nous sommes souvent contraints de réaliser à nos frais. Dans ce domaine, un soutien des autorités serait donc souhaitable.

Aujourd'hui, nous avons conclu des contrats aux Emirats Arabes Unis, en Arabie Saoudite, à Bahreïn ainsi qu'en Iran où nous travaillons sur quatre projets de métro. Nous estimons qu'il est important de maintenir une présence, y compris dans les pays comme l'Iran, dans la mesure où nous pouvons en retirer une très forte crédibilité.

Agnès LEVALLOIS

L'approche du marché iranien est-elle très différente de celle des pays du CCG ?

Jean-Christophe CHUNIAUD

Sur le marché iranien, Systra bénéficie d'une image très positive dans la mesure où nous sommes à l'origine des métros de Téhéran. Sur ce type de pays en effet, il est très important de maintenir une présence, les négociations prenant parfois plus de temps que la réalisation des marchés eux-mêmes. Par ailleurs, contrairement aux pays du Golfe, l'Iran fait preuve d'une grande culture en matière d'infrastructures publiques, qui facilite notre travail sur place.

Serge HATTIER

ACCOR s'est installé au Moyen-Orient au début des années 80, notamment en Arabie Saoudite. Après une période de développement relativement modérée dans les années 90, nous nous sommes implantés dans six ou sept pays, avec seulement cinq hôtels. Nous avons connu une expansion à partir de 2000, grâce à Dubaï qui a propulsé l'ensemble de la zone sur le devant de la scène internationale. En 2003, nous avons ouvert un siège à Dubaï afin de superviser l'ensemble de la zone, tout en conservant une sous-direction régionale en Arabie Saoudite afin d'y garder une présence.

Si nous avons choisi Dubaï, c'est parce que les mentalités et les pratiques dans le domaine des affaires y sont très proches de celles que nous connaissons en Europe. Actuellement, nous y disposons de 17 hôtels, soit 5 000 chambres. Nous avons également engagé la construction de neuf hôtels, soit l'équivalent de 9 000 chambres. D'une manière générale, un tiers de notre développement est localisé à Dubaï.

Au total, Dubaï compte aujourd'hui 30 000 chambres. 35 000 sont actuellement en construction et il est question d'un projet pharaonique de 30 000 chambres supplémentaires à l'horizon 2015. A titre de comparaison, Paris n'offre que 75 000 chambres.

Or nous souffrons actuellement d'un manque en termes de matériel de BTP, de personnels, etc. En outre, les investisseurs avec lesquels nous travaillons ont prévu dans leur projection une inflation de 2 % par mois du coût de leur investissement. A l'horizon 2012-2013, nous disposerons dans la région de 70 hôtels, soit 20 000 chambres, répartis dans 13 pays.

Il s'agit pour nous d'une zone de fort développement, notamment dans l'hôtellerie très haut de gamme. Néanmoins, contrairement à nos concurrents, nous prévoyons également de développer la chaîne Ibis dans les pays les plus importants de la région.

En Iran, la pratique des affaires est complètement différente des autres pays du Golfe. Dans ce pays, nous devons compter avec les cercles du pouvoir, la difficulté étant de bien identifier le cercle dans lequel nous nous trouvons. Si, avec l'appui de la mission, nous avons réussi à signer des contrats, ces derniers ont dû être suspendus temporairement pour des raisons politiques évidentes.

En matière de structure financière, je précise que nous n'avons pas d'investissements en propre dans le Golfe. Jusqu'à très récemment en effet nous n'avons pas eu accès à la propriété du sol ou à la propriété mobilière. D'une manière générale néanmoins, nous n'en avons pas besoin, les investisseurs du Golfe étant suffisamment fortunés pour financer leurs projets démesurés.

Nous nous positionnons donc davantage comme des prestataires de service pour le compte du propriétaire. Aujourd'hui, nous mettons également en place des joint-ventures en prenant des participations minoritaires.

Agnès LEVALLOIS

Je souhaiterais que le prochain intervenant nous fasse plus particulièrement part de son expérience au Yémen.

Patrick ROUCHOUSE

Sofrecom est l'une des filiales internationales du groupe France Télécom. Elle mène principalement des activités de conseil et d'intégration de système, exclusivement auprès des opérateurs de télécommunication, à l'exception de certains gouvernements.

Basés à Paris en terme de siège social, nous sommes principalement répartis sur les pays émergents.

Notre chiffre d'affaires s'élève à près de 82 millions d'euros et 65 % de nos effectifs sont à l'étranger. Cette présence, déjà évoquée, est d'autant plus importante dans le domaine des télécommunications qui nécessite une proximité, notamment en termes techniques.

Cette stratégie de proximité s'effectue selon trois approches :

• la présence de responsables de région qui se déplacent chez nos clients ;
• des présences locales, soit à travers nos filiales, soit à travers des succursales ;
• une activité de lobbying importante auprès des institutions de ces pays.

Comme toutes les SS2I, nous sommes confrontés au problème des ressources. Ainsi, avons-nous mis en place, sur Rabat une plateforme offshore de 150 personnes.

Au Yémen, comme ailleurs, nous essayons de travailler avec nos partenaires locaux, dont l'opérateur historique, notamment en matière de conseil.

Agnès LEVALLOIS

Dans le cadre du Yémen, comment, concrètement, assurez-vous la formation des personnels locaux ?

Patrick ROUCHOUSE

Nous n'assurons pas de formation locale. Nous intervenons en effet davantage en termes de consulting. Si nos partenaires nous aident à appréhender correctement le contexte, ce sont nos équipes françaises qui se déplacent pour intervenir localement, contrairement à d'autres pour lesquels nous avons organisé des actions de formation.

Agnès LEVALLOIS

Qu'en est-il du marché iranien ?

Patrick ROUCHOUSE

Actuellement, nous n'avons aucun contrat en cours avec l'Iran.

Agnès LEVALLOIS

Nous évoquerons maintenant l'exemple d'une PME, expérience qui me paraît particulièrement intéressante.

Patrice de ROUX

Notre société est même une TPE puisqu'elle est composée de quatre personnes, basées à Marseille depuis 1979, et travaillant au Moyen-Orient depuis 1992. Nous achetons des produits alimentaires à des sociétés françaises, puis nous les exportons et nous les refacturons à nos clients du Moyen-Orient. Ces produits nous sont confiés par des PME pour qui ce système présente des avantages logistiques non négligeables puisqu'elles sont réglées en France et que nous leur demandons simplement de livrer à Marseille.

Nos clients dans le Golfe sont des chaînes de supermarchés, qui importent des produits alimentaires soit pour leurs magasins, soit dans d'autres chaînes de supermarchés. Certains importateurs, notamment en Arabie Saoudite, référencent nos produits pour les vendre à d'autres clients, notamment dans le domaine du food service .

Les importateurs bénéficient également de ce système dans la mesure où nous leur expédions des conteneurs dits « assortis », c'est-à-dire dans lesquels sont stockées sept ou huit lignes de produits différents, avec des dates de production récente.

Nous rencontrons nos principales difficultés au niveau français où je passe une grande partie de mon temps à essayer de convaincre les exportateurs d'adapter leurs produits. Il est souvent nécessaire de commencer par exporter de très petites quantités. Depuis quinze ans que je travaille au Moyen-Orient, je m'aperçois que les grandes sociétés sont beaucoup flexibles et ouvertes que les PME dans la mesure où elles ont plus l'habitude de l'exportation.

Nous sommes également confrontés à la hausse de l'euro qui, depuis quelque temps, ralentit notre activité.

Agnès LEVALLOIS

A quel rythme vous déplacez-vous dans la région ?

Patrice de ROUX

Dans la mesure où nous ne disposons d'aucune structure sur place, je me déplace moi-même, pendant deux semaines, deux fois par an. Au niveau logistique, nous expédions nos conteneurs chez nos clients qui prennent en charge le dédouanement, le stockage et la ventilation des produits.

Il est extrêmement important de nous y rendre le plus souvent possible, d'autant plus que, dans le domaine alimentaire, nous travaillons avec des sociétés familiales qui attachent énormément d'importance aux relations humaines.

Agnès LEVALLOIS

Pourtant, vos déplacements semblent relativement limités.

Patrice de ROUX

Nous rencontrons également nos clients à l'occasion de salons alimentaires ou de visites d'usines que nous organisons. Nous procédons également à un suivi téléphonique et électronique très important.

Agnès LEVALLOIS

Considérez-vous difficile de travailler dans cette région ?

Patrice de ROUX

Dans le domaine alimentaire, une fois les problèmes de conservation résolus, nous ne sommes confrontés à aucune difficulté majeure. Au niveau logistique en effet, nous disposons de toutes les structures nécessaires, notamment de services sanitaires extrêmement vigilants.

Agnès LEVALLOIS

Concernant l'aspect sécuritaire de cette zone, je passe la parole à Bernard Jacquemart de Sécurité sans frontières.

Bernard JACQUEMART

Née en 1999-2000, Sécurité sans frontières est une filiale de SOFEMA. Son objectif consiste à offrir aux entreprises françaises et internationales des produits et services de sécurité allant de la prévention (information, collecte, traitement et diffusion) aux assurances, en passant par des dispositifs opérationnels tels que l'audit et la mise à disposition de personnels en position de conseil auprès des chefs de projets.

Nous sommes présents en Arabie Saoudite, aux Emirats Arabes Unis, au Liban, au Pakistan, en Tunisie, en Algérie et au Maroc.

Je commencerais par lever une ambiguïté. Alors que les responsables de développement à l'international ont tendance à craindre que nos services ne réduisent leurs marges commerciales, notre objectif consiste avant tout à permettre à l'entreprise de gérer au mieux les risques qu'elle est prête à prendre.

Par ailleurs, nous ne pouvons pas envisager les conditions de sécurité de façon homogène sur toute la zone.

En Arabie Saoudite, nous avons malheureusement assisté en février dernier à l'assassinat de quatre de nos compatriotes. Pour nous, le plus important consiste à gérer le transport et surtout les temps de loisir, dans un contexte où les sorties sont rares et souhaitées, notamment pour les familles des professionnels à l'étranger.

Afin d'éviter d'interdire aux familles d'être présentes, nous essayons de cerner l'ensemble des conditions du pays et de fixer un certain nombre de règles, plus ou moins souples permettant d'y travailler et d'y vivre.

Il nous incombe également de faire en sorte que les chefs d'entreprise puissent développer leur activité sereinement, face à un renforcement de la jurisprudence mettant de plus en plus en cause la responsabilité du mandataire social.

Malgré une approche particulière pour chacun des pays, la proximité avec nos clients est partout essentielle.

Enfin, des entreprises françaises semblent commencer à s'intéresser au marché irakien. Nous avons été interrogés à ce titre par deux d'entre elles.

Agnès LEVALLOIS

Je profiterai de votre remarque pour demander aux différents intervenants s'ils ont pour projet de travailler en Irak.

Patrick ROUCHOUSE

L'Irak pour nous figure en liste rouge. Nous n'avons pour le moment aucune intention d'y travailler.

Jean-Pierre QUEMION

Nous n'y avons pas de projet non plus dans la mesure où l'Irak est principalement alimenté par des rivières.

Jean-Christophe CHUNIAUD

Pour nous également, la situation est compliquée. Il nous est parfois proposé de travailler depuis la Jordanie, avec des partenaires locaux. Néanmoins, nous ne sommes pas encore prêts à faire le pas.

Serge HATTIER

Une certaine masse critique, en termes de demande, étant nécessaire, nous n'avons pas intérêt, pour l'instant, à nous rendre en Irak. Il y reste quelques hôtels qui répondent largement aux besoins du pays.

Patrice de ROUX

Pour l'instant, nous n'avons pas l'intention de nous y rendre. Néanmoins, nous ne sommes pas certains que les produits que nous vendons à Dubaï n'y sont pas acheminés.

Agnès LEVALLOIS

Avant 2003, y étiez-vous présent ?

Patrice de ROUX

Nous n'avons jamais été en Irak. Je rappelle que nous avons commencé notre activité en 1992.

Serge HATTIER

Un sujet n'a pas été abordé. De plus en plus, les produits et les services offerts tendent à s'adapter aux spécificités du monde islamiste. Ainsi, il est probable qu'à l'avenir nous construisions des hôtels « Sharia'a compliant ».

Agnès LEVALLOIS

L'un d'entre vous pourrait-il évoquer son expérience en matière de recrutement et de formation du personnel local ?

Jean-Pierre QUEMION

Depuis deux ans, nous sommes confrontés à un problème de formation de personnel compétent. La reprise des projets pétroliers en effet a entraîné une pénurie de chef de projet, qui explique que nous ayons des difficultés, en France et en Europe, à trouver des personnes expérimentées en matière de conduite de grands travaux.

Pour faire face à ce problème, nous avons eu recours à plusieurs solutions. Actuellement, nous embauchons des VIE que nous formons par la suite à des responsabilités de chantier.

Par ailleurs, parmi les 200 personnes de notre équipe du Moyen-Orient, près de 20 nationalités sont représentées, 10 personnes seulement étant d'origine européenne. Actuellement, nous nous tournons de plus en plus vers l'axe Philippines-Thaïlande qui constitue une source de personnels éduqués, même si celle-ci tend à se tarir.

Nous menons également des actions en collaboration avec les universités, notamment celles de Bahreïn et d'Abou Dhabi, pour essayer de détecter, dès la deuxième année, les jeunes ayant du potentiel. Nous nous intéressons également aux jeunes formés par la Royal Commission et l'ARAMCO.

A l'avenir, l'une des clés de notre succès résidera dans l'intégration de personnel local au sein de nos équipes.

Jean-Christophe CHUNIAUD

Dans le domaine de l'ingénierie, la croissance très forte de la région reste difficile à suivre en termes de recrutement, les bons éléments étant littéralement arrachés d'un concurrent à l'autre.

Par ailleurs, étant donné le volume horaire de ces pays, les Français refusent généralement d'y travailler. Pourtant, nous aurions la possibilité de recruter beaucoup plus que nous ne le faisons actuellement.

Patrick ROUCHOUSE

Il s'agit en effet d'un marché très tendu en termes de ressources. Nous avons néanmoins la chance de faire partie d'un grand groupe qui permet de disposer d'effets de mobilité intéressants.

Nos efforts restent concentrés sur le marché français. Dans la région du Moyen-Orient, la meilleure approche consiste pour nous à disposer d'un partenaire local exerçant le même métier que nous, permettant ainsi d'une part, de disposer d'une structure plus légère et d'autre part, de participer au développement économique du pays et, partant d'être reconnus par les cercles locaux.

En outre, en termes de maintenance, il s'avère plus intéressant de former des personnels susceptibles d'intervenir sur place.

De la salle

Le fait que personne ne soit disposé à prendre part aux opportunités que vous venez de présenter démontre la dépendance de ces pays par rapport au marché du travail international. Or le tarissement des sources indiennes et d'Asie du Sud-Est risque d'accroître ces difficultés.

Sur le marché local, si nous constatons une très forte augmentation du nombre d'étudiants inscrits dans les universités, l'essentiel de ces étudiants sont des femmes, ce qui pose un problème supplémentaire en termes d'embauche.

Ainsi, toutes les entreprises de la zone sont-elles contraintes de s'interroger, dans ce contexte, sur la pérennité des projets pharaoniques qu'elles ont engagé ainsi que les investissements qui leur sont liés.

Jean-Pierre QUEMION

Après 37 ans de présence dans ce pays, je constate que la condition féminine a beaucoup évolué. Il convient néanmoins d'être patient tant il n'est pas possible de changer la culture de ces pays du jour au lendemain. En Arabie Saoudite par exemple, des associations de femmes d'affaires se sont mises en place. Or ces femmes ne disposent pas encore de toutes les prérogatives accordées aux hommes dans le même cadre.

Nous pouvons néanmoins saluer l'évolution de ces pays qui, en comparaison aux nôtres, a été extrêmement rapide. Les gouvernements actuels disposent de liquidités qu'ils souhaitent investir dans des équipements. Ils ont pris conscience du danger que représentaient l'oisiveté et l'islamisme pour leurs populations. Ils cherchent donc à lutter contre le chômage.

Alors qu'en trente ans, je n'ai jamais réussi à engager une femme, j'en ai désormais une qui travaille pour moi.

Peut-on travailler à partir de Dubaï sur l'ensemble de la région ?

Jean-François GOUMY, Adjoint au Chef de la mission économique de Dubaï
M. FOUGERAT, Escot Télécom
Firo DJAVANSHIR, Directeur du développement International, Okaïdi (vêtements pour enfants)
Natacha AUDOYE, Directrice Marketing, responsable communication, Bioderma

Les débats étaient animés par Jean-François GOUMY

Jean-François GOUMY

En introduction, je vous livrerai un certain nombre de données chiffrées.

Sur la présente carte des douanes de Dubaï, nous pouvons observer le rayonnement de la ville chiffré au travers de ses exportations et importations. Particulièrement élargie, cette zone englobe près de deux milliards d'habitants puisqu'elle prend également en compte l'Inde.

La seconde carte tend à démontrer la situation géographique privilégiée de Dubaï, en indiquant les zones susceptibles d'être atteintes en moins de trois semaines depuis son port.

Dubaï constitue également le troisième centre de réexportation mondial. Elle représente 80 % des échanges des Emirats Arabes Unis. Ses zones franches notamment jouent un rôle déterminant puisqu'elles assurent 40 % des échanges de l'Emirat de Dubaï et près de 50 % de ses exportations et réexportations. La plus grande zone franche (Jafza) concentre plus de 6 000 entreprises.

En outre, Dubaï héberge le huitième port de containers mondial.

Son centre des expositions internationales de 60 000 m 2 . en fait également un acteur privilégié du monde des affaires. D'ici à 2010, il est prévu de doubler cette capacité.

Sur le plan logistique, il s'agit d'un hub commercial considérable. En témoigne la présente carte, sur laquelle figure le futur projet de ville, notamment la construction d'un aéroport international plus grand qu'Heathrow et JFK réunis, auquel la zone franche sera accolée.

En matière de réexportations, les principaux clients de la région sont l'Iran, l'Inde, l'Irak, l'Arabie Saoudite et la Pakistan. Ses principaux utilisateurs sont la Chine, qui arrive largement en première place, le Japon, les Etats-Unis, l'Allemagne. La France en revanche arrive très loin derrière ces pays.

Natacha AUDOYE

Je travaille pour Bioderma, laboratoire de cosmétiques distribués par le réseau pharmaceutique, basé à Lyon et présent dans 64 pays dans le monde.

Si nos objectifs sont atteints d'ici à la fin de l'année, le Moyen-Orient deviendra notre principale filiale. Ouvert en 2002, notre bureau au Moyen-Orient est essentiellement destiné à accompagner nos douze distributeurs présents sur le terrain. Il ne procède en revanche à aucune facturation. Nous rayonnons sur douze pays principaux du Golfe et d'Afrique, notre volume de ventes le plus important étant réalisé en Iran, en Egypte et au Liban. En valeur néanmoins, c'est au Koweït et dans les Emirats que notre chiffre d'affaires est le plus important.

Alors que nous avions prévu de nous installer au Liban, les attentats du 13 février 2005 nous en ont dissuadés. Dubaï, qui présente un cadre de vie sécurisé, notamment pour les femmes, nous est alors apparu comme la solution idéale. 6 000 Français y vivent actuellement, sans compter les autres nationalités francophones. Nous y disposons de réseaux très satisfaisants en termes d'écoles et de lycées. En outre, aucune restriction alimentaire ou vestimentaire n'y est imposée. Le temps constitue également un facteur non négligeable, même si les mois de juillet et d'août peuvent parfois s'avérer difficiles.

Les problèmes de visa de travail sont également restreints et les déplacements sont facilités par le système des deux passeports et la présence de toutes les compagnies aériennes.

En termes de recrutement, après quelques difficultés rencontrées il y a trois ans, nous disposons désormais d'un personnel qualifié et très motivé, notamment des Libanais, trilingues en arabe, français et anglais.

Il s'agit également d'un pays structuré et très dynamique, qui dispose d'un réseau de pharmacies équivalent à celui de la France. Enfin, en tant que Français, nous disposons auprès des populations locales d'une excellente image de marque.

Je soulèverai néanmoins quelques points négatifs. La densité du trafic tout d'abord constitue une perte considérable de temps et d'argent. Par ailleurs, nous sommes actuellement confrontés à une augmentation du coût de la vie.

Malgré l'ouverture d'esprit général, nous rencontrons souvent des problèmes de compréhension, qui peuvent parfois conduire à des situations catastrophiques sur le plan juridique.

En outre, si le climat favorise la vente de nos produits solaires, il constitue un désagrément pour les familles et parfois un risque pour nos produits lorsque nous les transportons en voiture.

Par ailleurs, il est très difficile pour une femme de travailler au Moyen-Orient. Ainsi, en Arabie Saoudite, ai-je été amenée à me faire remplacer par un homme. Je suis par ailleurs contrainte d'adapter les supports visuels de communication qui me sont envoyés de France aux règles du Moyen-Orient en termes de représentation du corps de la femme.

Enfin, au Moyen-Orient, le volume horaire travaillé est particulièrement important.

Firo DJAVANSHIR

J'appartiens à un Groupe composé de trois marques, Okaïdi, Obaïbi et Jacadi. Nous sommes passés de 200 magasins essentiellement en France en 2001 à 700 magasins aujourd'hui. Nous avons pour projet d'aboutir à 1 400 magasins d'ici trois ans.

Nous avons fait le choix délibéré de nous diversifier au Moyen-Orient en raison :

• de la forte natalité ;
• de la demande ;
• de la consommation ;
• de l'absence de contraintes douanières.

En outre, nous étions particulièrement attendus sur ce marché. Nous avons en outre choisi de travailler sur deux zones, les Emirats et l'Arabie Saoudite, en partenariat avec des sociétés internationales importantes (Zara, Mango, Promod, etc.), disposant, sur place, d'une expérience pertinente.

Il nous a néanmoins été difficile de nous décider parmi ces partenaires dans la mesure où, dans cette région, la recherche d'information requiert beaucoup de tact. Nous nous sommes donc appuyés sur les exemples d'expériences réussies. Depuis cinq ans, mis à part l'Iran, la Syrie et le Yémen, nous avons investi tous les pays du Golfe.

Notre activité étant à flux tendus, les infrastructures offertes par Dubaï ont parfaitement répondu à nos attentes. Dans cette ville, nous sommes en effet en mesure de livrer deux, voire quatre fois, par semaine des produits à nos magasins dans la région.

Sur Dubaï, nous disposons d'une quinzaine de magasins. Nous avons pour objectif de passer à 25 d'ici deux ans.

Dubaï constitue également une plateforme de transport tout à fait adaptée pour importer les produits que nous faisons fabriquer en Asie. Outre l'avion, des solutions intermédiaires par air ou par mer sont également possibles pour se déplacer depuis la Chine ou l'Asie du Sud-Est.

Enfin, les pays de la zone sont particulièrement demandeurs de savoir-faire et de techniques, y compris au niveau du commerce de détail et de la distribution. Ainsi, nous avons créé des écoles de formation qui soutiennent des sessions deux fois par an dans la région et deux fois par an en France. Nos responsables régionaux se déplacent également dans la région pour contrôler et mettre en place tout ce qui a trait à la présentation des vitrines et au management des équipes.

Notre expérience au Moyen-Orient nous semble donc très réussie. Nous espérons continuer à nous implanter à Dubaï, à hauteur de 80 magasins d'ici à deux ans. Dubaï reste également un point central pour assurer notre développement en direction de l'Inde. Ainsi, d'ici un an ou deux, nous envisageons de créer une plateforme de redistribution chargée d'alimenter les pays du Golfe ainsi que l'Inde à partir de Dubaï.

M. FOUGERAT

Je représente un groupe de PME qui, avec environ 450 personnes, produit 35 millions de chiffre d'affaires par an. En tant qu'intégrateur de solutions de télécommunications, proposant des produits provenant de Chine ainsi que de nos usines de fabrication en propre en Inde et en Turquie sur des marchés d'Afrique et du Moyen-Orient, Dubaï nous est apparu comme une plateforme centrale et incontournable pour faire face à la concurrence des Chinois et des Indiens, notamment en termes de coûts. Nous intervenons tant sur des marchés régionaux que sur des opérations de soutien de sociétés françaises, comme Bouygues Télécom ou sur des opérations de marché clé en main en Afrique.

Jean-François GOUMY

Parmi vos produits, il me semble que certains ont été conçus par Philippe Starck.

M. FOUGERAT

Avec Philippe Starck, nous avons en effet conçu des pylônes de télécommunication susceptibles de se fondre davantage dans le paysage naturel et d'être montés en une demi-journée.

Jean-François GOUMY

S'agissant des grandes entreprises à dimension internationale, il me semble que Gérard Escot compte s'appuyer sur Etisalat pour étendre son rayonnement dans la région et au-delà.

M. FOUGERAT

Avec Etisalat, nous disposons d'une part d'un marché sur Oman et nous travaillons d'autre part sur des filiales africaines.

Jean-François GOUMY

A l'issu de ce débat, la réponse à la question posée en introduction reste très nuancée. Elle varie notamment en fonction du secteur et de la dimension des marchés. Dubaï constitue néanmoins un centre d'affaires qui facilite considérablement les rencontres. Une marge de développement est encore possible, de nombreuses entreprises ayant installé dans cette ville leur siège régional. Une limite à ces avantages réside cependant dans l'obligation de s'associer à un partenaire local pour créer une société sur le territoire. La législation sur ce point a néanmoins vocation à évoluer.

Comment aborder l'Arabie Saoudite ?

Sont intervenus :

Jean-Claude DAUPEYROUX, Chef de la Mission économique de l'Ambassade de France en Arabie Saoudite
Jean-Christophe CHUNIAUD, Directeur commercial Moyen-Orient, Systra


Les débats étaient animés par Jean-Claude DAUPEYROUX

Jean-Claude DAUPEYROUX

Avec 25 millions d'habitants, l'Arabie Saoudite constitue un grand marché. Il s'agit d'une population très urbanisée dont les habitudes de consommation sont en évolution permanente. La demande intérieure est extrêmement forte, notamment en raison de l'absence quasi-totale de loisirs organisés, qui conduit les Saoudiens à consommer.

En matière de biens d'équipement, l'Arabie Saoudite a engagé un programme de 500 milliards de dollars de projets pour les dix prochaines années, projets qui appellent des interventions étrangères de plus en plus sophistiquées.

Ces réalisations se font sous forme d'appel à l'investissement direct étranger ainsi qu'au partenariat public-privé, la part globale du financement de l'Etat ne dépassant pas 30 %. En outre, la compétitivité de l'offre ne dépend plus de la règle du moins-disant.

Il s'agit donc d'un marché extrêmement ouvert, exigeant et vaste. Il s'organise autour de trois grands centres de consommation :

• la côte Ouest, avec Djeddah, La Mecque et Médine (3,5 millions d'habitants) ;
• Riyad (5 millions d'habitants) ;
• à l'est, la conurbation d'Al-Khobar-Damman-Dhahran (3,5 millions d'habitants).

Ce marché exigeant appelle une approche stratégique à moyen terme. S'agissant des biens de consommation, nos entreprises doivent avoir une approche stratégique similaire à celle qu'elle pourrait conduire sur un grand marché sophistiqué développé. S'agissant des grands projets, nous devons opter pour des solutions de partenariat, avec des grands groupes saoudiens.

Il s'agit par ailleurs d'un marché très solvable, qui ne connaît que de rares litiges, à mettre en partie sur le compte de sociétés françaises.

La France y est attendue, les Saoudiens souhaitant notamment s'émanciper de la prééminence anglo-saxonne. Or force est de constater que nos entreprises ne répondent pas toujours présentes aux sollicitations dont elles font l'objet. Nous sommes pourtant loin d'être absents de ce marché. Nous disposons dans ce pays de près de 60 implantations qui occupent près de 20 000 salariés. Nous avons par ailleurs à notre actif quelques succès dans le domaine des services ainsi que dans les secteurs de pointe.

Actuellement, 4 000 Français sont immatriculés auprès du Consulat et de l'Ambassade, qui met à leur disposition une structure d'accueil et d'appui très active et très disponible, au travers notamment de ses deux missions économiques.

Si Dubaï constitue une plateforme logistique de première importance, elle reste coupée de la réalité du marché. En outre, ses intermédiaires ne permettent pas de mesurer le potentiel que représente l'Arabie Saoudite.

Jean-Christophe CHUNIAUD

En 2001, Systra a obtenu un contrat pour les études d'une ligne ferroviaire en Arabie Saoudite. Je soulignerai à ce titre les difficultés que nous rencontrons parfois à obtenir des visas, qui demandent une procédure relativement longue.

Nous avons également remporté la suite du marché, notamment la supervision des travaux et le management du projet de réalisation. Nous devons ainsi mobiliser plus de 300 personnes à travers toute l'Arabie Saoudite, ce qui implique de prendre en compte un certain nombre d'aspects en matière de sécurité.

Quant à la gestion du marché, nos clients sont très exigeants, notamment quant aux délais de réalisation. Ils sont néanmoins très compréhensifs en ce qui concerne les éventuelles modifications de coût en cours de contrat.

Le cadre juridique en revanche demeure parfois imprécis, ce qui implique d'être convenablement conseillé.

En ce qui nous concerne, nous avons créé une société, dont nous sommes actionnaires, composée à 100 % de capitaux étrangers. Nous devons faire participer les Saoudiens à notre projet et ce, en toute transparence.

Clôture

Pierre MOURLEVAT
Chef des Services économiques pour le Moyen-Orient

Premièrement, le Moyen-Orient constitue une zone très hétérogène, réunissant des pays pauvres, comme le Yémen, avec les pays les plus riches du monde, comme le Qatar. Les tensions en Iran et Irak offrent également un contraste par rapport à des pays qui vivent un véritable miracle économique. Enfin, nous notons des différences de culture importantes.

Deuxièmement, il s'agit d'une zone saine au point de vue macroéconomie. L'inflation est sous contrôle, sauf au Qatar et aux Emirats Arabes Unis, de même que les flux financiers.

Nous assistons également à une modernisation du système bancaire. Ces réformes se sont traduites par l'entrée à l'OMC d'un certain nombre de pays, notamment l'Arabie Saoudite. Il s'agit également du centre mondial de production des hydrocarbures. La régulation est marquée par la gestion des excédents de capacité de production. Au niveau du gaz, malgré son hétérogénéité, cette zone a vocation à s'imposer pendant longtemps comme l'une des principales régions de production.

Les excédents pétroliers se traduisent par une politique d'investissement public, en soutien de la croissance. Avec le boom de l'immobilier, celle-ci s'élève actuellement à près de 5 % par an.

Ces pays ont anticipé l'après-pétrole et gaz d'une part, en menant une politique de diversification de leur économie et d'autre part, en créant des fonds de réserve, dont les montants sont sans équivalent dans le monde.

Troisièmement, l'intégration régionale se renforce. L'union douanière progresse. Si l'union monétaire tarde à se concrétiser, une marche vers la monnaie unique est néanmoins amorcée.

Nous espérons également voir aboutir les accords de libre échange entre le CCG et Union européenne.

Quatrièmement, malgré la concurrence dans cette zone, la France maintient ses positions. Malgré nos prix, nous disposons d'atouts importants en matière d'infrastructure.

Deux pays méritent une approche particulière : l'Iran d'une part, pour lequel un travail de veille et de persévérance est nécessaire et l'Irak, d'autre part, où nous devons cibler nos efforts sur les marchés américains ainsi que sur les grands marchés de reconstruction. Les bases arrière de ces marchés se situent à Dubaï et en Jordanie.

Ensuite, il a paru important aux participants de suivre les perspectives d'investissement des grands fonds d'investissement des pays du Golfe.

Un débat sur le rôle de Dubaï en tant que pôle régional a également eu lieu. Si cette plateforme est centrale, elle ne doit pas nous empêcher de mener une prospection stratégique et commerciale directement dans les différents pays.

Nous avons également évoqué le problème de l'emploi et de la formation. Dans ces pays, nos entreprises doivent en effet faire face à la politique de nationalisation des emplois, sur un marché tendu qui n'offre pas toujours les compétences nécessaires.

En conclusion, il s'agit d'une région motrice de la croissance mondiale, qui dispose des ressources nécessaires pour le rester durablement. La France devrait sans doute y renforcer sa présence. Nous espérons que les informations délivrées aujourd'hui y auront contribué.


* Quelques interventions n'ont pas fait l'objet de compte rendu.