Échanges avec la salle

De la salle

Monsieur Francis DELPÉRÉE, pourriez-vous nous expliquer dans quel contexte la Belgique a changé de mode de scrutin à la fin du 19 ème siècle ? La complexité que vous évoquez pourrait venir du fédéralisme, auquel ce pays s'est rangé pour régler la querelle entre Flamands et Wallons. La Belgique est certes sans gouvernement, mais elle fonctionne. Elle a même assuré la présidence de l'Union européenne pendant six mois. Comment l'expliquez-vous ? Au fond, la belgitude ne consisterait-elle pas à mettre à distance le pouvoir central en développant des identités locales ? Ne serait-ce pas une voie pour l'Europe ?

Francis DELPÉRÉE

En 1893, la révision constitutionnelle entérine le passage du scrutin majoritaire, qui encourage le bipartisme, au scrutin proportionnel pour sauver le parti libéral, lequel demande aujourd'hui le retour au scrutin majoritaire. 1893 est aussi l'année du passage du suffrage censitaire au suffrage de représentation proportionnelle et celle de l'instauration du vote obligatoire.

Il est vrai que le fédéralisme est un élément de complexité, puisqu'il implique un Etat pluri-législatif. Cette complexité est cependant nécessaire pour continuer à faire fonctionner une certaine forme d'Etat en Belgique. Le système continuant à fonctionner malgré la crise politique, la théorie des affaires courantes prend une ampleur considérable et la continuité du service public semble assurée. Pour autant, la situation est complexe. La présidence belge de l'Union européenne s'est certes bien déroulée, mais l'exercice a ses limites. Il n'y plus de nomination d'ambassadeurs ou de secrétaires généraux de ministères et le problème des retraites n'est pas résolu. Le FMI invite la Belgique à prendre des mesures structurelles mais le régime de traitement des affaires courantes ne le permet pas. Le FMI, l'OCDE et les partenaires de la Belgique commencent à l'inciter à se doter à nouveau d'un gouvernement de plein exercice ainsi, ajouterai-je, que d'un parlement de plein exercice.

Jean-Claude COLLIARD

La Belgique est le seul pays de l'Union européenne comprenant deux systèmes de partis. Il arrive qu'un parti d'une même tendance idéologique gouverne dans une partie du pays et soit dans l'opposition dans l'autre partie. Même dans un Etat fédéral comme l'Allemagne, le système de parti est unique.

Bernard OWEN

L'enjeu électoral est perçu différemment dans le cadre d'un scrutin majoritaire ou proportionnel. C'est un élément clé de compréhension, qui rétroagit sur les systèmes électoraux et sur les structures d'accueil. L'idée de rétablir un scrutin majoritaire en Belgique doit prendre en compte cette influence, au vu des résultats des élections passées. Les Pays-Bas et la Finlande ont aussi connu des périodes sans gouvernement parlementaire. Depuis 1945, ces périodes cumulées dépassent un total de quatre ans.

Les gouvernements de grande coalition, tels que l'Allemagne de Weimar les a connus, me semblent également problématiques. Le parti nazi n'obtenait que 2,8 % des suffrages en 1928 alors qu'en 1930, il obtenait 18 %. Dans un gouvernement de cohabitation, l'affiliation politique des électeurs se dilue. Ce n'est pas souhaitable pour la cohésion politique des citoyens.

La désaffectation pour la démocratie est un phénomène pluriel, à la fois structurel et conjoncturel. Elle sera moindre pour une élection présidentielle que pour une élection européenne paraissant lointaine. Plusieurs phénomènes se conjuguent mais dans l'ensemble, je ne crois pas que la désaffection pour la politique soit si forte que certains l'affirment.

De la salle

Sur le thème proposé, « défis et interrogations », on ne peut échapper au parallèle avec l'Afrique. Le cas ivoirien mérite plus une attention de la part des chercheurs, notamment sur la question de la sincérité des scrutins en Afrique. Comment pouvons-nous organiser un scrutin dans lequel le peuple puisse s'exprimer, mais dont la volonté soit prise en otage par un candidat sans que cela suscite de protestation de la communauté internationale, qui a pourtant contribué au financement du processus électoral ? L'une des élections les plus crédibles est celle de la Côte d'Ivoire. Même le Conseil constitutionnel ivoirien ne remet pas en cause la victoire d'Alassane Ouattara. Les résultats de sept départements ont été annulés mais pas ceux des élections. Une telle décision est inédite. En tant que démocrate, je conteste donc les discours sur la souveraineté des pays et l'interventionnisme de la communauté internationale. Pour moi, le seul interventionnisme valable est d'être aux côtés du peuple ivoirien.

Bernard OWEN

Le problème rencontré en Côté d'Ivoire est un problème que nous avons connu en Europe pendant des siècles, à savoir le refus d'alternance. Quant à la communauté internationale, l'expérience de la commission électorale du Rwanda a été marquée par des interventions catastrophiques. De 1960 à 1995, se sont succédé des gouvernements totalitaires, des coups d'état militaires, des exodes de population et des massacres. La communauté internationale peut prêter assistance si on le lui demande, mais elle outrepasse ses compétences si elle se met à exercer du pouvoir. Notre intervention doit se limiter à la dimension technique du processus.

De la salle

Bertrand SIMON, la transparence n'ouvre-t-elle pas la porte à des abus et à une utilisation dictatoriale d'Internet ? En Côte d'Ivoire, la majorité du web semble contrôlé par les tenants de Monsieur Gbagbo. Aux Etats-Unis, les campagnes se mènent sur Internet. Quelle que soit la cause, la loi du plus fort semble s'appliquer. Une ouverture totale laisse la porte ouverte à des prises de position, fondées ou infondées, venant de personnes incompétentes et mues par l'affectif.

Bertrand SIMON

Je ne suis pas certain que le danger vienne d'Internet, même si ces personnes s'expriment avec leur affect, qu'elles soient au moins entendues, à défaut d'être écoutées. Surtout, les forces économiques supporteront mal certaines révélations, l'ouverture ne sera donc pas totale : nous risquons au contraire la censure.

Je ne prône pas une transparence totale, mais une transparence sachant poser ses limites (éviter toute mise en danger de la vie d'autrui par exemple). Une réflexion sur la notion de secret d'Etat, en revanche, serait utile. Un certain nombre d'informations pourraient être partagées avec un peuple de plus en plus instruit. Je préfère faire preuve d'optimisme qu'opter pour un élitisme éclairé.