Colloque sur les collectivités en Europe centrale (Hongrie, Pologne, République tchèque, Slovaquie)


Table des matières





LES COLLECTIVITÉS LOCALES
EN EUROPE CENTRALE :

DE NOUVEAUX
PARTENAIRES ÉCONOMIQUES


HONGRIE, POLOGNE, RÉPUBLIQUE TCHÈQUE, SLOVAQUIE

Actes du colloque du
25 novembre 1998

(séance plénière)

Sous le haut patronage de :

Christian PONCELET , Président du Sénat

Jean-Daniel GARDÈRE , Directeur général du Centre Français du Commerce Extérieur

et sous l'égide de :

Paul GIROD , Vice-président du Sénat, Président du groupe sénatorial France-Slovaquie

Gérard LARCHER , Vice-président du Sénat, Président du groupe sénatorial France-Hongrie

Philippe MARINI , Rapporteur général de la commission des Finances, Président du groupe sénatorial France-Pologne

Philippe NACHBAR , Président du groupe sénatorial France-République tchèque

- SERVICE DES RELATIONS INTERNATIONALES -

Ouverture du colloque

Christian PONCELET, Président du Sénat

Est-il besoin d'insister pour vous dire combien le Sénat et son Président sont heureux d'accueillir le colloque consacré aux collectivités locales en Europe centrale ? Je souhaite la bienvenue à celles et à ceux qui sont venus parfois de loin pour participer à nos travaux. Je souhaite qu'ils en gardent le meilleur souvenir et que ce colloque leur permette de favoriser la coopération entre notre peuple et le leur.

Je tiens à remercier les organisateurs : le CFCE, dont le Président et le Directeur général sont parmi nous, et le Sénat, co-organisateur de ce colloque à travers ses services Relations internationales et Collectivités locales. Je tiens également à souligner le rôle essentiel des groupes d'amitié internationaux et rends hommage à l'action conduite par Messieurs Paul Girod, Philippe Marini et Gérard Larcher, respectivement Présidents des Groupes sénatoriaux France-Slovaquie, France-Pologne et France-République tchèque, et France-Hongrie.

Le partenariat fructueux entre nos deux institutions débouche aujourd'hui sur une nouvelle dimension : ce colloque consacre l'irruption d'une nouvelle catégorie d'acteurs économiques particulièrement dynamiques que sont les collectivités territoriales. Cette manifestation illustre notre volonté de voir le Sénat, représentant constitutionnel des collectivités territoriales, devenir la véritable maison des collectivités locales.

A ce titre, le Sénat se doit d'approfondir sa connaissance des expériences étrangères. Nous serons attentifs aux exemples qui nous seront présentées aujourd'hui. Nous souhaitons également nouer des liens encore plus étroits avec les autorités des pays amis de la France et promouvoir entre les collectivités locales des pays européens une coopération de plus en plus efficace.

Il est en effet évident que l'ouverture à l'international constitue pour nous et nos amis européens une source d'enrichissement mutuel par l'échange d'idées innovantes. A cet égard, la Hongrie, la Pologne, la République tchèque, la Slovaquie, qui retrouvent peu à peu le sens de l'autonomie locale, traversent une période essentielle. Nous devons les encourager dans cette conquête, au fondement de la démocratie à laquelle nous sommes tous attachés.

Je profite de ce colloque pour attirer votre attention sur l'intérêt de la Charte européenne des collectivités locales ratifiée par trois des quatre pays qui sont l'objet de notre colloque. Elle repose sur un double postulat.

· la gestion de proximité
Gérer au plus près des citoyens et être à leur écoute constitue le gage d'une action publique efficace et adaptée aux besoins des populations.
· l'autonomie locale
C'est le point d'ancrage de la démocratie. C'est dans la commune que se réalise l'apprentissage de la liberté. Pour que l'autonomie locale jouisse d'une liberté réelle, quatre conditions sont définies par la Charte : les collectivités locales doivent s'administrer librement par des assemblées élues au suffrage universel ; les collectivités locales doivent exercer des compétences définies par la constitution ou par la loi ; le contrôle des actes des collectivités locales ne doit pas donner lieu à l'établissement d'une tutelle mais tendre à assurer le respect des principes constitutionnels et de la légalité des actes ; enfin, les collectivités locales doivent disposer des moyens, tant financiers qu'humains, nécessaires à l'exercice de leurs compétences.

Notre colloque est l'occasion de valider la montée en puissance des collectivités locales. Ces dernières réalisent en France 170 à 180 milliards de francs d'investissement par an. Elles représentent le premier investisseur du pays. Sans elles, nous n'aurions pas atteint le niveau de croissance actuel. Leur absence aurait des conséquences lourdes sur l'emploi et sur la capacité de la France à intégrer la zone euro.

En ce qui concerne l'autonomie locale et la modernité de la législation, je me permettrai d'insister sur un point. L'autonomie fiscale représente une composante essentielle de l'autonomie de chaque collectivité locale. La maîtrise de l'impôt par le Conseil élu par la population locale est un facteur majeur. Elle permet l'autonomie locale et la croissance économique.

Je suis convaincu que les débats qui vont suivre permettront à notre réflexion de s'enrichir d'une meilleure connaissance de nos législations respectives dans les différents domaines relatifs aux collectivités locales.

Le Sénat français doit être l'interlocuteur naturel des collectivités locales. Nous sommes en permanence à l'écoute de vos problèmes. Nous souhaitons vous apporter tout le soutien nécessaire. Le Sénat est prêt à faire bénéficier de son expertise tous les partenaires. Une telle expérience permettra la croissance économique plus cohérente et plus dynamique de chacun d'entre nous.

Bernard ESAMBERT, Président du Conseil d'Administration
du Centre Français du Commerce Extérieur

Nous avons constaté une forte demande d'information de la part de notre réseau envers les collectivités locales. Elles représentent des opportunités importantes et un marché complexe et en rapide développement.

Je tiens à dire que ce colloque n'aurait pas rencontré un tel succès sans l'efficace collaboration de nos partenaires : conseillers commerciaux, groupe DEXIA et, bien entendu, le Sénat. Il s'agit du 11 ème colloque organisé en collaboration entre le Sénat et le CFCE. C'est dire quel soutien apporte le Sénat à notre action envers les entreprises. Sa qualité de « maison des collectivités locales », comme l'a indiqué Monsieur le Président, apporte à sa participation une dimension supplémentaire.

Dans les pays sur lesquels nous nous penchons aujourd'hui, le pourcentage des dépenses des collectivités locales dans les dépenses publiques est supérieur au pourcentage français. Il s'agit d'un marché très important. Le CFCE a donc institué une base de données, interrogeable depuis Internet, sur ce marché.

Outre l'importance du marché que représentent les collectivités locales, l'une des raisons importantes de l'organisation de ce colloque est l'offre de services aux collectivités locales, très performante en France. Outre les grands groupes bien connus de tous (Lyonnaise des Eaux, Vivendi, SAUR...), notre pays compte un grand nombre de PME innovantes dans ce domaine. Une façon de reconquérir le terrain perdu en Europe centrale est donc de pousser notre avantage dans ce secteur et de répondre aux appels d'offres des collectivités locales.

Ces pays se caractérisent par un très bon niveau d'éducation et par des dépenses de recherche et de développement relativement élevées. Tout cela crée une réserve de main d'oeuvre qualifiée peu onéreuse, nécessaire pour mettre sur pied une offre de services efficace.

Un autre intérêt de ce colloque réside dans l'évolution des pays d'Europe centrale vers l'intégration dans l'Union européenne. Cette intégration est déjà bien réelle d'un point de vue commercial, puisque 60 % de leurs échanges se font dans sa direction. Vous le savez, des négociations s'engageront dès 1999 pour une adhésion de ces pays dans l'Union européenne. Trois des quatre pays qui nous intéressent aujourd'hui font partie du « premier train ». Les résultats des élections en Slovaquie font qu'il n'est pas impossible qu'elle rejoigne elle aussi ce train. On devrait donc assister au lancement de réformes dont les industriels devraient profiter ainsi qu'à une accélération de la croissance.

Je voudrais dire rapidement un mot sur chacun des pays que nous allons étudier aujourd'hui. En Hongrie, la stabilité politique devrait se traduire par une poursuite de nos échanges. En Pologne, les réformes de fond se poursuivent. De nouvelles privatisations ont été annoncées. Le système fiscal va devenir plus favorable aux entreprises. Enfin, le budget devrait faire plus de place aux projets d'assainissement : les perspectives sont donc prometteuses. En République Tchèque, une loi est en préparation sur la régionalisation, qui devrait clarifier vos relations avec les collectivités locales. Enfin, en Slovaquie, il devrait être possible pour les entreprises françaises d'obtenir des concessions de la part de collectivités locales grâce au résultat des dernières élections.

Tous ces pays bénéficient de l'aide internationale. Les collectivités locales jouissent donc d'une concentration de moyens des plus prometteuses.

Ce colloque devrait vous permettre de vous informer et de nouer des contacts avec le CFCE et avec les postes d'expansion économique. Le réseau des groupes sénatoriaux, qui couvre le monde entier - il est présent dans 180 pays - est également à votre disposition. Je vous souhaite d'utiliser tous ces outils de façon pertinente afin de conquérir des positions nouvelles et des marchés nouveaux dans ces quatre pays d'Europe centrale.

Philippe VALLETOUX, Conseiller du Président de Crédit
Local de France/DEXIA

Je voudrais vous dire tout d'abord combien nous sommes honorés d'avoir pu participer à l'organisation de ce colloque. Le Crédit local de France et le Crédit communal de Belgique, puis le groupe DEXIA ont toujours montré un réel intérêt à la collaboration internationale. Le groupe Crédit local de France est constitué d'un certain nombre de « croisés de la décentralisation ». Nous constatons que dans la plupart des pays sur lesquels nous nous penchons aujourd'hui, des réformes territoriales importantes ont été engagées.

Nous pensons qu'il est nécessaire de bien répartir les compétences entre Etat central et collectivités territoriales. Les aspects financiers sont à cet égard importants. Nous avons toujours suivi cette question de près. Nous savons, pour l'avoir souvent constaté, que la situation financière de certaines collectivités locales reste fragile. Les collectivités locales sont souvent dépendantes du bon vouloir de l'Etat central, lui-même confronté à un certain nombre de problèmes. En France, l'arbitrage entre les finances de l'Etat et celles des collectivités locales est une question toujours délicate ! Nous connaissons donc bien les problématiques que nous allons étudier aujourd'hui.

Le groupe DEXIA est attentif à participer à l'effort effectué pour le développement des moyens des collectivités locales des quatre pays que nous étudions aujourd'hui. Soyez donc assurés que dans le domaine des finances des collectivités locales, nous sommes à votre entière disposition. Je souhaite que les travaux d'aujourd'hui constituent la première pierre des efforts à entreprendre.

Première partie
La première partie est présidée par Philippe NACHBAR, Président du Groupe sénatorial France-République tchèque, membre du Bureau du Sénat.

L'apprentissage de la démocratie par la décentralisation
Professeur Michal KULESZA, Ministre polonais de la
Réforme administrative

C'est un grand plaisir pour moi que d'être ici aujourd'hui. Je voudrais vous parler de la réforme administrative en Pologne. Je suis honoré de le faire en ce lieu qui a vu le départ d'un grand nombre de collaborations entre la Pologne et la France.

Au cours des dix derniers mois, la Pologne a entrepris la deuxième phase de la réforme de l'administration publique. La première phase remonte à 1990 : 2 500 communes ont été créées à cette époque, avec une réelle autonomie administrative et financière. Un bon nombre d'entre vous ont d'ailleurs d'ores et déjà des relations fructueuses, gouvernementales ou non, avec ces communes.

La deuxième étape de la réforme concerne deux nouveaux niveaux d'administration locale et régionale. La constitution de 1997 décrit la nouvelle structure administrative. On distingue trois types de gouvernements locaux territoriaux : la commune (2 500 communes en Pologne regroupant de 3 000 à 1 million d'habitants), les comtés (au nombre de 300), et les provinces bénéficiant d'une autonomie renforcée.

Après la mise en oeuvre de la deuxième réforme, plus de la moitié des financements publics se trouveront sous le contrôle des collectivités locales ou régionales. Cette réforme ne porte donc pas uniquement sur les aspects administratifs : elle concerne également les moyens financiers.

La réforme visait à :

· assurer une meilleure transparence

· renforcer la décentralisation

· renforcer la démocratie aux niveaux intermédiaires de l'administration

· permettre la réforme du gouvernement central, qui ne peut réussir sans la réforme des niveaux intermédiaires
Le gouvernement central peut maintenant gouverner et non se contenter d'administrer grâce à l'administration.
· jeter les bases d'une économie locale et régionale de développement avec l'introduction des voïvodies
La Pologne est un Etat de tradition centralisatrice. Nos politiques sont comparables à celles qui sont mises en oeuvre en France avec l'élaboration de contrats de plan. La nouvelle répartition des tâches, qui prévoit deux niveaux d'administration, permettra au gouvernement central de s'attaquer à de nouveaux défis.

Nous avons commencé à mettre en oeuvre cette réforme. Nous avons créé 308 comtés et 16 provinces. Dans chacune de ces entités, il y aura des représentants élus lors des élections d'octobre. Ces élus sont investis de nouvelles responsabilités. Notre expérience du gouvernement local est donc assez solide. Nous essayons de la développer. Les personnes à la tête des gouvernements locaux sont parfaitement formées et préparées à entamer une coopération fructueuse avec d'autres pays européens.

Tous les services d'administration publique doivent être assurés au niveau des powiats. Le chef des powiats rend compte à l'administration publique.

Les voïvodies, au nombre de 16, représentent chacune un potentiel économique important. Vous trouverez en Pologne des partenaires à tous les niveaux, en particulier au niveau régional. Cet aspect régional de l'administration polonaise est peut-être le plus important de tous. Nous avons participé à la réforme pour dynamiser l'économie, pour rendre le système plus démocratique, transparent et efficace. Nous espérons qu'elle accélérera notre adhésion à l'Union européenne car c'est à l'échelon régional que s'organisent la plupart des coopérations européennes.

Toutefois, chaque région comprend un représentant du gouvernement central qui assure le contrôle de l'autonomie régionale et qui supervise tous les services d'inspection dans la voïvodie. Il rend compte au gouvernement central. Nous espérons que la nouvelle organisation polonaise répondra aux besoins politiques de la démocratie et aux besoins économiques tout en restant en ligne avec le concept d'Etat unitaire.

Cette réforme s'est voulue réaliste. Nous avons décentralisé tout ce que nous avons pu. Elle entrera en vigueur le 1 er janvier prochain. Plus de 50 % des fonds publics seront alors placés sous le contrôle des gouvernements locaux et régionaux. Mais les modes de transfert de ces crédits ne correspondent pas aux besoins : il y a beaucoup de subventions et peu d'impôts locaux. Il est en effet difficile de mettre en place un système d'imposition locale. La mise en place d'un tel système devrait prendre deux ou trois ans.

La réforme de l'administration publique polonaise ne peut que réussir. Les responsabilités ont été officiellement transférées à 300 chefs de powiats. Je suis sûr que les efforts de la Pologne seront couronnés de succès. J'espère que notre coopération le sera également. Je vous remercie de votre attention.

Questions de la salle

Quelle est la réaction du peuple polonais face à cette réforme, qui implique des licenciements massifs de fonctionnaires ?

Michal KULESZA


Il n'y aura que très peu de suppressions d'emplois. Les réactions ont été très positives. Une telle réforme n'aurait jamais pu être introduite sans le soutien actif des collectivités locales. Sous le gouvernement communiste, de telles réformes ont été étudiées mais n'ont jamais vu le jour. Le gouvernement actuel a souhaité réformer en profondeur l'administration locale sans laquelle aucune autre réforme n'était possible. Cette réforme permettra d'introduire rapidement d'autres réformes.

Ma question concerne la nouvelle loi de finances soumise actuellement au Parlement. Il semble que le niveau d'endettement des municipalités sera fortement limité. Celles-ci ne pourront même pas emprunter auprès des banques étrangères. Monsieur Poncelet a insisté sur l'importance de l'autonomie budgétaire locale. Pourriez-vous développer ce point ? Je crois que le gouvernement veut limiter le niveau d'endettement des collectivités locales afin de respecter les critères du Traité de Maastricht. Pourtant, les besoins en investissement sont énormes.

Michal KULESZA


Je ne peux commenter en détail la législation. Toutefois, je tiens à souligner que la crise russe risque d'avoir un impact important sur notre économie. Une nouvelle loi a été votée pour pouvoir évaluer l'endettement général de l'Etat et des collectivités locales. En tout état de cause, les collectivités locales polonaises ne sont pas très endettées et leurs emprunts progressent. Il n'y a pas incompatibilité entre limitation de l'endettement public et préservation de la capacité d'emprunt.

Certaines chambres d'agriculture exercent une action de terrain. Elles devraient devenir des chambres régionales. Leur sort est-il fixé ?

Michal KULESZA


La Pologne compte 49 chambres d'agriculture. Le Parlement discute actuellement d'un amendement sur la loi concernant ces chambres. Nous avons l'intention d'en créer 16 : une par province. Elles doivent devenir des partenaires solides. Les questions agricoles représentent un défi économique important. Nous avons besoin de chambres efficaces qui coopèrent avec les autorités régionales. Nous voulons soumettre à ce sujet un projet de réforme plus important au Parlement au début de l'année prochaine.

Situation économique et financière
des pays d'Europe centrale
Patrick BERGER, Conseiller financier pour les pays d'Europe centrale, orientale et balte
Agence financière, Ambassade de France à Vienne

Je voudrais vous donner une vision d'ensemble des quatre pays les plus dynamiques des PECO, qui représentent 75 % du PIB des dix PECO candidats à l'adhésion à l'Union européenne.

La crise russe peut-elle affecter significativement le dynamisme de l'expansion des pays d'Europe centrale ?

Les effets directs de la crise seront probablement limités. La part des échanges commerciaux des PECO avec la Russie est peu élevée. Elle s'établit à 8 % en Pologne, 5 % en Hongrie et 3 à 4 % en Slovaquie et en République tchèque.

Mais ce sont les effets indirects qui préoccupent les dirigeants des pays d'Europe centrale. Citons tout d'abord le risque d'un ralentissement de l'activité dans l'Union européenne, premier partenaire des PECO. Ensuite, on risque de voir se développer une attitude d'attentisme de la part des investisseurs étrangers.

Néanmoins, on peut penser que la crise russe n'entamera pas significativement le dynamisme de l'expansion en Europe centrale. Les turbulences récentes auront sans doute un impact compris entre 0,4 et 0,5 point du PIB en année pleine pour ces pays. Ce ralentissement se produira dans un contexte qui reste très porteur pour l'Europe centrale. En 1998, la croissance restera très vigoureuse en Pologne (5,2 à 5,6 %) ; l'an prochain, elle ne devrait se ralentir que modérément. En ce qui concerne la Hongrie, l'expansion restera également dynamique : un peu moins de 5 % cette année, légèrement inférieure à 4 % l'an prochain. En Slovaquie, l'expansion a été très vigoureuse en 1996 et 1997 ; elle l'est restée en 1998 puisqu'elle devrait s'établir à 5 % ; le ralentissement qui se dessine pour l'année prochaine sera salutaire, compte tenu des risques de surchauffe qui apparaissent. Enfin, en République tchèque, l'expansion s'est ralentie en 1997 (1 %) suite aux mesures d'assainissement prises. En 1998, on devrait assister à une contraction de 1 à 2 % ; l'an prochain, ce pays devrait renouer avec la croissance.

La croissance va donc se poursuivre. En outre, elle sera sans doute mieux équilibrée : elle se ralentira dans les pays proches de la surchauffe (Pologne et Hongrie) et se raffermira en Slovaquie et en République tchèque.

Par ailleurs, ces pays se trouvent dans une situation très favorable par rapport aux autres pays d'Europe centrale : leur PIB a rattrapé ou dépassé son niveau de 1989. Cette performance est remarquable car au début de la transition, la contraction du PIB a été drastique, de l'ordre de 30 à 40 %. A titre de comparaison, le PIB russe actuel représente 56 % de celui de 1989.

En outre, on assiste à une baisse notable de l'inflation dans les pays d'Europe centrale, puisqu'elle est retombée à 9 % en moyenne. En Slovaquie, elle est de 6,2 %, de 8,2 % en République tchèque, de 9,9 % en Pologne et de 12 % en Hongrie.

Certes, on constate un déficit des paiements courants. Mais cela reflète le dynamisme de la demande interne généré par la consommation des ménages mais également par les besoins d'investissement.

Enfin, les pays d'Europe centrale peuvent se prévaloir d'une relative maîtrise des déficits publics. La Pologne affiche un déficit inférieur à 3 % du PIB. La République tchèque a un déficit public inférieur à 2 % du PIB. Celui de la Slovaquie est proche de 5 % du PIB mais devrait retomber à 3 % l'an prochain. En Hongrie, le gouvernement s'est engagé à ramener les déficits publics à environ 4 % du PIB en 1999. Le chiffre de 6 % obtenu cette année est exceptionnel et lié au sauvetage d'un établissement financier.

Les déficits budgétaires sont maîtrisés. Un léger dérapage a été constaté en République tchèque, ce qu est normal car ce pays est au bord de la récession. Une politique de relance a donc été conduite.

La crise russe peut-elle être à l'origine de crise financière dans les PECO ?

Va-t-on vers une dévaluation généralisée des devises des PECO ? Le 1 er octobre dernier, la banque centrale a fait flotter la couronne slovaque. Cependant, cette mesure reflète essentiellement des difficultés propres à la Slovaquie. Les devises des PECO se sont presque toutes rétablies et le loyer de l'argent a même entamé un mouvement de détente, particulièrement sensible en République tchèque et en Pologne. Cela montre bien que les investisseurs distinguent clairement la situation de la Russie et celle des PECO les plus avancés.

J'ajoute que les agences de notation internationales n'ont pas revu significativement les notes des PECO. Seule la République tchèque, en raison de sa situation particulière, a vu sa note se dégrader.

On assiste au retour des capitaux sur ces marchés. Le spread entre les obligations polonaises et américaines était de plus de 4 points au moment de la crise russe ; il n'est plus que de 1,2 à 1,6 point.

Enfin, en ce qui concerne le système bancaire, les risques semblent limités. Au vu des informations rendues publiques par les banques centrales, les engagements totaux du système bancaire des PECO envers la Russie sont très limités : ils ne dépassent pas 1 % en Pologne ni 2 % en Hongrie. Toutefois, la rentabilité des banques d'Europe centrale sera sans doute affectée par les dotations aux provisions qui s'imposeront.

En conclusion, je crois que les PECO sont de moins en moins perçus comme des marchés émergents. Les analystes distinguent clairement la Russie et les pays d'Europe centrale. Toutefois, les situations de ces derniers ne sont pas homogènes. Mieux gérés, ces pays pourront bénéficier du retour des capitaux des investisseurs étrangers, même si ceux-ci se montreront sans doute plus prudents que par le passé.

Le développement de l'autonomie locale en Europe centrale
Alain DELCAMP, Directeur général de la communication et du développement technologique, Sénat

Un mouvement général de développement de l'autonomie locale

Dans leur souci d'affirmer leur adhésion aux valeurs de l'économie libérale, les quatre pays que nous étudions aujourd'hui ont souhaité abandonner les pratiques anciennes qui empêchaient l'expression de la démocratie locale.

Ces quatre pays ont été parmi les premiers à organiser des élections locales. Ce souci de création aussi rapide que possible d'une nouvelle légitimité a amené à privilégier l'autonomie locale, voire communale. En Hongrie, le nombre de communes a doublé après la transition. En République tchèque, il est passé de 4 000 à 6 000.

Tous ces pays ont choisi des modalités d'élection permettant une forte identification aux nouveaux pouvoirs - la Slovaquie et la Hongrie ont ainsi choisi l'élection directe et séparée de l'exécutif. Enfin, ils ont privilégié les possibilités d'intervention directe des citoyens.

Ces pays ont dépassé les pays de l'Ouest en se rattachant à la Charte européenne de l'économie locale. Cette Charte a été signée par les trois quarts des pays du Conseil de l'Europe. Des Etats comme la France et la Belgique l'ont signée, mais ne l'ont pas ratifiée... La Hongrie et la Pologne ont signé et ratifié cette Charte ; la République tchèque l'a signée mais ne l'a pas ratifiée ; la République slovaque ne l'a pas signée. Mais tous ces pays ont essayé d'en respecter les principes. On constate d'ailleurs que leurs constitutions sont beaucoup plus avancées que la nôtre sur la question des collectivités locales, à laquelle elles font une grande place.

La mise en place de l'autonomie locale

Ces pays se sont heurtés à la difficulté de transposer des concepts à une culture d'Etat centralisé. Le partage de la propriété publique n'a pas non plus été aisé. Il a fallu séparer clairement compétences publiques et privées. Enfin, il n'a pas été simple d'établir des bases fiscales locales.

Les administrations locales ont parfois eu du mal à admettre la nécessité de contrôle de l'administration centrale. De même, cette dernière a parfois montré une certaine réticence à l'idée d'abandonner une partie de ses pouvoirs.

Les différences sont réelles entre les quatre pays. La question des différents niveaux d'administration a généralement été éludée, la Pologne faisant figure d'exception. En Hongrie, le niveau départemental (comitat) avait été consacré. En 1990, la réforme a renforcé le pouvoir des communes. La loi de 1996 a ajouté au niveau départemental des conseils de comitats pour le développement régional.

En Pologne, les 16 voïvodies ont un rôle de coordination alors que le niveau des powiats permet la coopération entre les communes.

En République tchèque et en République slovaque, le problème est un peu différent. Les deux pays prévoyaient dans leur constitution la création d'un niveau régional. Mais s'il a été mis en place, ces régions ne jouissent pas aujourd'hui d'un réel pouvoir. Ces deux pays ont toutefois conscience de la nécessité de mettre en place un réel niveau régional. Une loi votée en 1997 prévoit la mise en place en République tchèque de 14 régions en l'an 2000. En Slovaquie, 8 régions devraient être créées.

C'est donc le niveau communal qui a généralement été privilégié dans ces pays, à l'exception de la Pologne.

Les compétences détenues par les structures décentralisées

Il est difficile de dire clairement quelles sont les compétences détenues par les structures décentralisées. Si l'on étudie le pourcentage des budgets locaux en fonction du PIB, on note qu'il n'y a plus de réel clivage entre pays de l'Est et pays de l'Ouest. Selon ce critère, le pays le plus faiblement décentralisé serait la Slovaquie et le pays le plus décentralisé serait la Hongrie.

Si l'on étudie la part des dépenses municipales en pourcentage des dépenses publiques, on constate que la Hongrie et la Pologne sont les mieux placées. Les différences s'expliquent toutefois souvent par la méthode de décentralisation retenue.

Qu'en est-il des procédures de contrôle ? La Charte européenne recommande qu'elles soient réduites au minimum. Là encore, la Hongrie est très en avance puisque le représentant de l'Etat ne peut annuler un acte. Tout au plus peut-il saisir les tribunaux. La loi polonaise distingue les compétences propres et les compétences déléguées. En matière de contrôle financier, elle a mis en place un système de chambre régionale des comptes. En Slovaquie et en République tchèque, le contrôle est un peu plus important. Le contrôle des finances slovaque ressemble plus à la situation allemande ou britannique que française. Il est en effet confié à un contrôleur indépendant, membre d'une association professionnelle.

Le statut des personnels de l'administration territoriale ressemble beaucoup à celui des personnels de l'administration centrale. Leur nombre comparé montre qu'un chemin important a été parcouru dans tous ces pays.

Aujourd'hui, les compétences des communes tchèques et slovaques sont comparables à celles des communes françaises. En revanche, en Hongrie, les compétences des communes s'apparentent davantage à celles des communes scandinaves : enseignement, santé, etc. Dès 1993, l'ensemble des compétences en matière d'éducation ont été confiées aux communes. En Pologne, les communes s'occupent d'aide sociale et les powiats de santé. A partir de 1994, un grand nombre de compétences ont été transférées aux communes.

En conclusion, le choix fait en 1990 de la mise en place d'un système d'autonomie locale n'a pas été remis en cause. Le basculement des compétences en faveur des collectivités locales a été impressionnant. La perspective de l'entrée dans l'Union européenne a débloqué la réforme territoriale au niveau intermédiaire. Toutefois, il faut noter que le choix de la régionalisation n'a pas correspondu à une demande profonde de la population, à l'exception de la Pologne. Par ailleurs, le taux de participation aux élections communales n'a pas dépassé 48 % en Hongrie et 45 % en Pologne : l'élan démocratique au niveau local est donc encore limité. Il n'en reste pas moins que les collectivités locales restent un interlocuteur privilégié pour tous les investisseurs qui souhaitent s'implanter dans ces pays.

Les ressources des collectivités locales en Europe centrale
Marie-Alice LALLEMAND FLUCHER, Directeur du département Etudes et Notoriété,
DEXIA Project and Public Finance International Bank

Le poids financier des collectivités locales en Europe centrale

Les collectivités locales sont un acteur économique essentiel dans les pays d'Europe centrale. La Hongrie, mais aussi la Pologne et la République tchèque sont très proches de la France et devant la Belgique en matière de part des dépenses publiques locales dans le PIB. Seule la Slovaquie est un peu en retard sur ce critère.

En revanche, les dépenses du secteur public local par habitant restent assez faibles. Cet état de fait est normal car les PIB des pays d'Europe centrale sont moins élevés que ceux des pays d'Europe occidentale. Il y a donc encore beaucoup à faire.

J'ajoute que la part des dépenses publiques locales au sein de l'ensemble des dépenses publiques est de 25 % en Hongrie alors qu'elle est légèrement inférieure à 20 % en France.

Les ressources des collectivités locales

Ces ressources sont très variées et très structurées :

· recettes fiscales propres ;

· recettes fiscales partagées ;

· ressources provenant de la vente des actifs ;

· emprunts.
52 % du budget des collectivités locales françaises est issu de recettes fiscales propres. La fiscalité propre des collectivités locales polonaises représente plus de 30 % de leurs ressources et les recettes fiscales partagées, 24 % : le cumul des deux situe donc la Pologne devant la France. Pour la Pologne, un tiers de ces ressources provient de la taxe foncière, le reste provenant de taxes sur divers services. En République tchèque, la taxe sur la propriété repose sur une base déclarative qui ne correspond pas à la culture du pays. Elle ne génère donc que peu de rentrées. En Slovaquie, les recettes fiscales propres sont composées des impôts sur le foncier bâti et le foncier non bâti, de la taxe d'habitation et d'une sorte de taxe professionnelle.

L'impôt sur le revenu des personnes physiques et l'impôt sur le revenu des sociétés composent les recettes fiscales partagées (le second n'existant pas en Hongrie). Les recettes fiscales partagées constituent une ressource importante, mais les collectivités locales n'ont aucune maîtrise du niveau de ces ressources.

La part estimée des dotations d'Etat dans les recettes totales varie beaucoup suivant les pays. Cela s'explique par les compétences différentes des collectivités locales. En Hongrie et en Pologne, par exemple, elles ont en charge l'éducation. La Slovaquie a vu ses subventions baisser de moitié en quelques années. En République tchèque, seules les collectivités locales ayant atteint l'équilibre budgétaire peuvent percevoir une subvention.

Les recettes d'exploitation représentent une part importante dans les recettes totales des collectivités locales en Europe centrale. Seule la Pologne n'y a que modestement recours.

Enfin, le recours à l'emprunt n'est pas très élevé dans ces différents pays. Ils n'ont en effet pas de culture de l'emprunt. En outre, il a longtemps manqué une offre de financement spécifique. Le cas de la Hongrie est un peu atypique. Dans ce pays en effet, l'endettement des collectivités locales a décru de 1994 à 1996. Les collectivités locales avaient financé par l'emprunt, de 1992 à 1994, leurs dépenses de fonctionnement. Cet endettement excessif a conduit l'Etat, les banques et les collectivités locales elles-mêmes à adopter une politique beaucoup plus restrictive à l'égard de l'emprunt. Ainsi, Budapest a remboursé tous ses emprunts en 1995 et 1996 en vendant ses actifs. Depuis 1996, l'endettement des collectivités locales hongroises est reparti à la hausse. Dans les autres pays, les emprunts augmentent régulièrement.

Les collectivités locales d'Europe centrale vont donc pouvoir se lancer dans des politiques d'investissement plus dynamiques. Le total des encours de dette des pays d'Europe centrale est de 13 milliards de francs : cela laisse une marge confortable pour emprunter et investir.

La base de données du CFCE

Christine POINTEREAU - ISTED

Le CFCE, DEXIA et l'ISTED ont élaboré une base de données rassemblant des informations sur une trentaine de pays. Chaque fiche pays comporte des données socio-économiques, présente le cadre réglementaire, donne des noms de contacts, etc. La base de données est accessible sur les sites Internet des différents partenaires.

Deuxième partie
La deuxième partie est présidée par Paul GIROD, Vice-Président du Sénat, Président du Groupe sénatorial France-Slovaquie.

Le cadre juridique de la gestion déléguée
des services publics urbains en Europe centrale
Jean-Jacques LECAT, Avocat associé, Bureau Francis Lefebvre

Les compétences des autorités locales

Beaucoup d'informations vous ont déjà été données sur l'autonomie des collectivités locales. Les municipalités polonaises jouissent d'une grande autonomie, alors que la République tchèque et la République slovaque s'inscrivent dans un cadre beaucoup plus centralisé. Le niveau d'autonomie a des conséquences sur la déconcentration des tâches administratives.

Aucun des pays que nous examinons aujourd'hui ne comporte de définition générale du service public telle qu'elle existe en France par le biais du Conseil d'Etat. Les compétences respectives des collectivités locales et de l'Etat sont donc définies au coup par coup. Par exemple, en République tchèque, la production d'énergie thermique relève du ministère de l'Industrie. La répartition des compétences n'étant pas toujours aussi claire, on rencontre toutefois souvent des problèmes pour trouver le bon interlocuteur.

Cette incertitude a des conséquences directes en matière d'amortissement des infrastructures. Il n'y a pas de définition générale du domaine public. Le domaine de l'Etat a été en partie privatisé ou attribué aux collectivités locales. La construction de biens privés sur les terrains relevant du domaine public obéit à des règles variables d'un pays à l'autre. En Pologne par exemple, les communes peuvent céder les terrains dont elles ont la propriété mais pas ceux qui appartiennent à l'Etat. Seule la Hongrie a créé un régime des terrains qui varie selon l'affectation de ces derniers. Toutes les infrastructures affectées à des services publics de type administratif sont incessibles en Hongrie alors que celles affectées à des services publics « commerciaux » sont cessibles. Toutefois, les frontières ne sont pas toujours très claires et là encore, des difficultés peuvent surgir.

Enfin, la question de l'autorité compétente pour fixer les tarifs mérite d'être posée. En République tchèque, une centralisation importante est maintenue : les tarifs de la plupart des services locaux doivent être fixés en suivant des structures de prix définies par le ministère des Finances. Toutefois, cette définition de structures ne signifie pas que le ministère des Finances fixe les prix de façon rigide : la variation des tarifs est admise à l'intérieur de la structure. En ce qui concerne la Hongrie, les autorités nationales sont chargées de donner leur accord sur tout ce qui concerne la distribution et le traitement de l'eau ou l'énergie thermique.

Les modalités juridiques de la participation d'acteurs privés aux services publics

On dénombre dans le monde trois types de régimes juridiques pour organiser l'intervention d'acteurs privés.

Dès 1991, la Hongrie a adopté une loi sur les concessions. La Slovaquie a fait de même en 1996. Dans ces deux pays, un texte général définit donc les modalités des concessions. En Pologne, il existe des textes pour chaque secteur. Le cadre général est très succinct et se borne à autoriser la délégation au niveau local. En République tchèque, les interventions des acteurs privés sont régies uniquement par contrat.

La transformation des sociétés municipales en sociétés commerciales a parfois posé problème. Elle implique en effet une double négociation : pour l'entrée dans le capital de ces entreprises et pour la définition du contrat liant ces entreprises à la collectivité locale. Il est généralement préférable de créer une nouvelle société plutôt que d'entrer dans le capital d'une société municipale.

Quelles sont les règles qui régissent la sélection du concessionnaire ? La loi sur les concessions en Hongrie définit une procédure précise alors que dans les autres pays, les contrats de délégation sont traités comme des marchés publics habituels. En Pologne notamment, le bureau des marchés publics émet des directives qui constituent le cadre principal des contrats de délégation. La procédure d'appel d'offres est obligatoire et la durée maximale du contrat est normalement de 15 ans. Mais on peut obtenir des dérogations.

Les contrats de concession, lorsqu'ils relèvent du droit commun, n'ont pas obligation de comporter de disposition particulière, par exemple sur l'exigence de continuité du service public ou sur l'indemnisation du fait du prince. Seule la Hongrie fait exception. De même, les litiges sont réglés devant des organismes de droit commun. Les contrats de droit local sont soumis aux législations locales. En Hongrie, la loi sur les concessions permet le recours à l'arbitrage des chambres locales dont l'efficacité est remarquable.

Le financement et la gestion des investissements locaux
en Europe centrale
Débat

Johan BASTIN, Directeur, Département des infrastructures locales, BERD, Londres

Marc BOUDIER, Directeur, Département international, Vivendi

Jan KOTULA, Adjoint au Maire de Bratislava

Denis LEVY, Délégué général, Institut de la Gestion Déléguée

Michel NOËL, Manager Initiative de Finances Municipales, Banque mondiale, Washington

Michel TESCONI, Directeur général, Citelum

Le débat est présidé par Paul GIROD, Vice-Président du Sénat, Président du Groupe sénatorial France-Slovaquie.


Johan BASTIN

1. Généralités


La BERD a investi 700 millions d'écus pour un investissement total de 2 milliards d'écus dans les infrastructures municipales et environnementales. La BEFD prépare un milliard d'écus de nouveaux financements. Je précise que la BERD est présente dans 17 pays.

Les problèmes sont nombreux dans les pays en transition. La qualité des services urbains n'est pas satisfaisante. En outre, l'investissement dans ces services a été insuffisant pendant de nombreuses années. L'approvisionnement a longtemps été inefficace. Enfin, la Commission encourage ces pays à adopter les critères environnementaux de l'Union européenne. Cela signifie par exemple pour la Pologne un investissement de 20 milliards d'écus dans le secteur de l'eau pour les dix années à venir.

La demande en financement et en investissement va croître. En effet, la décentralisation fiscale a mis à disposition des municipalités des moyens importants qui leur permettront d'investir. Par ailleurs, dans la plupart des pays de l'Europe centrale, le principe selon lequel les recettes des collectivités locales doivent couvrir leurs dépenses est désormais accepté. En outre, les collectivités locales ont désormais des responsabilités importantes. Toutefois, les différents pays d'Europe centrale présentent des différences marquantes. Enfin, le recours à l'emprunt reste, de façon générale, insuffisant.

2. Analyse des risques

Quels sont les facteurs d'amélioration de la viabilité financière ? Aujourd'hui, grâce à la décentralisation, les collectivités locales ont la responsabilité du financement de leurs investissements. Les garanties souveraines se font plus rares. Par ailleurs, les entreprises de services locaux qui remplacent de plus en plus les services communaux veillent davantage aux questions de rentabilité. Il y a donc une amélioration de la viabilité financière des collectivités locales.

Quels sont les facteurs de risque de crédit municipal ? Il faut bien comprendre que les systèmes de financement des collectivités locales et les équipements urbains sont en pleine mutation. Il faut donc rester très prudent dans ses projections. Par ailleurs, on constate que l'autonomie fiscale locale reste insuffisante. La génération de revenus au niveau local reste en deçà du potentiel. De plus, les systèmes comptables et d'audit sont inadaptés ou incomplets. La structure d'endettement ne pourra peut pas être maintenue à terme. En effet, les dettes sont essentiellement des dettes à court terme, souvent sous forme d'obligations. Or elles financent des investissements de long terme. Il y a toutefois un besoin considérable d'investissements car les équipements urbains sont insuffisants.

Il existe également des facteurs de risque locaux. Le taux d'endettement est généralement bas. Mais la capacité de gestion financière et d'administration des revenus est plutôt réduite. Cela pose problème dans un grand nombre de municipalités. Par ailleurs, si le développement économique général est certain, il reste très inégal. Certaines municipalités restent prisonnières des anciennes structures centralisées héritées du communisme. Enfin, l'environnement politique n'est pas encore tout à fait mûr. Il n'est pas non plus toujours stable : certaines municipalités cessent brutalement les privatisations. Cela constitue pour les investisseurs un facteur d'incertitude important.

3. Les financements de la BERD

Comment se déroule le financement de la décentralisation par la BERD ? Nous acceptons d'accorder des financements locaux sans garantie souveraine, puisque 95 % de nos financements ne sont pas garantis par l'Etat. Nous sommes la seule institution à financier des sociétés de services locaux publiques et privées.

Nous acceptons le risque lié à la transition économique, y compris le risque politique. Nous savons que ce type de transition ne se fait que rarement selon un processus linéaire. J'ajoute que tous nos investissements reposent sur une base saine. Nos taux sont ceux du marché. Notre palette de financement est large, ce qui nous donne une grande flexibilité : prêts municipaux sans garanties souveraines, prêts d'entreprise aux sociétés de services locaux, garanties partielles de crédits ou de risques et participation au capital et quasi-fonds propres.

Michel NOËL

Nous gérons une initiative dont le but est d'aider les gouvernements à créer un environnement favorable au développement du marché des finances municipales. Le marché des investissements locaux en Europe centrale et en Europe de l'Est est appelé à croître considérablement. Il s'agirait d'un marché privé : les gouvernements sont très réticents à donner des garanties souveraines pour des opérations financières réalisées au niveau local.

Ce marché est aujourd'hui très étroit en Europe centrale (0,2 à 0,3 % du PNB). Nous pouvons aider les gouvernements à mettre en place une stratégie d'actions précises visant à développer le marché. Mais les problèmes en cause sont d'ordre structurel.

1. Au niveau fiscal

Le premier de ces problèmes est celui de la décentralisation fiscale. On constate un déséquilibre entre les responsabilités attribuées aux gouvernements locaux et les ressources dont ils disposent. Pour y remédier, il faut faire en sorte que les gouvernements locaux développent des mécanismes de coopérations qui leur permettent de mettre en oeuvre des investissements à un niveau qui soit économiquement rentable. Dans de nombreux pays d'Europe centrale, les communes sont très nombreuses (3 200 en Hongrie) mais de taille très modeste. Il faut mettre en place des outils de coopération. Un deuxième axe d'action correspond au développement des ressources propres des gouvernements locaux. Les taxes locales, et en particulier les taxes sur la propriété, sont trop faibles. Il y a là un potentiel important pour stabiliser les ressources locales.

Les dotations aux investissements sont opaques. Ce manque de transparence crée une incertitude dommageable quant à la possibilité de monter des financements au niveau local. On pourrait multiplier les exemples de tentatives de montage de financements au niveau local qui ont échoué faute de certitudes en matière de subventions.

On peut par ailleurs observer des faiblesses en matière de réglementation prudentielle de l'endettement local. Certes, des plafonds existent. Mais, lorsqu'ils sont trop stricts, ils incitent les autorités municipales à contourner la difficulté en augmentant la dette des entreprises municipales, non comptabilisée dans l'endettement local. Par ailleurs, beaucoup d'investisseurs considèrent que les emprunts locaux sont assortis de façon implicite d'une garantie souveraine. Cela ne contribue pas au développement d'un marché sain. C'est pourquoi nous préconisons l'adoption de lois de faillite municipale afin d'assainir le marché des finances locales.

2. La réglementation des marchés financiers

La plupart des pays dont nous parlons aujourd'hui souffrent d'un manque d'information, notamment en matière d'endettement des gouvernements locaux : prêts, obligations, garanties, obligations contractuelles, etc. Les réglementations en vigueur sur les émissions d'obligations publiques nous semblent insuffisantes. Dans de nombreux cas, les lois sur les marchés des capitaux ont été rédigées pour des entreprises privées et non pour les gouvernements locaux qui s'adressent au marché financier.

3. La capacité de gestion

La qualité du marché dépendra de la qualité des emprunteurs. Or dès que l'on quitte les grandes villes, les capacités de gestion laissent à désirer. En matière d'évaluation des projets, d'accès au marché des capitaux, etc., beaucoup de progrès restent à faire.

On peut classer les municipalités depuis celles qui ne peuvent emprunter jusqu'à celles qui n'ont pas besoin d'aide car elles ont un rating proche de celui de l'Etat. Entre ces deux extrêmes, on trouve des municipalités que nous pouvons aider. La meilleure aide que nous puissions apporter est l'action pour la modification de la réglementation. Nous pouvons également apporter un support technique. Nous réfléchissons à la façon dont la société financière internationale pourrait intervenir par l'intermédiaire d'organismes financiers locaux et dans les privatisations.

Denis LEVY

Nous constatons la faiblesse de la sphère privée dans les pays d'Europe centrale sur les marchés financiers. Il y a un problème de cohérence du cadre légal et réglementaire. La répartition des compétences entre Etat central et collectivités n'est pas toujours claire. Les modalités de la concession, c'est-à-dire des interactions public/privé, sont parfois imprécises. Enfin, les dispositions législatives sectorielles restent insuffisantes. Il y a donc un important travail législatif à accomplir.

Les entreprises privées qui opèrent dans les pays d'Europe centrale le font généralement sous forme de société mixte avec une participation majoritaire des collectivités locales. Cela permet à ces dernières de contrôler le service. Cela pose la question du contrôle et de la régulation des services publics.

Marc BOUDIER

Un grand nombre de pays d'Europe centrale ont transféré de façon massive les responsabilités de l'Etat central vers les collectivités locales sans toujours transférer les moyens afférents.

C'est d'autant plus préoccupant que les coûts des services publics de ces pays ne sont pas forcément inférieurs à ceux d'Europe occidentale. En matière d'énergie thermique par exemple, la consommation par habitant est beaucoup plus élevée qu'en Occident : un Roumain consomme quatre fois plus de combustible qu'un Français ! Or, à l'inverse, les ressources des collectivités locales d'Europe centrale sont bien inférieures à celles de leurs consoeurs occidentales. Malgré un endettement faible, leurs capacités d'emprunt ne sont pas forcément très importantes. Un SDF n'a généralement pas de dette, mais ce n'est pas pour autant qu'il a les moyens d'emprunter !

Il est donc important de privilégier la progressivité des investissements. Dans ces pays, on observe une culture technicienne très forte et la tentation est forte de « s'offrir » la meilleure infrastructure possible. Or il vaut mieux privilégier l'efficacité et l'économie.

Aujourd'hui, dans le domaine de l'énergie comme dans celui de l'eau, on commence à pouvoir répondre aux besoins de petites collectivités locales avec des projets qui ne grèvent pas leurs budgets. Il faut persévérer dans la voie d'investissements peu coûteux permettant des économies importantes.

Michel TESCONI

Citelum est une filiale d'EDF qui intervient dans le domaine de la mise en lumière des bâtiments. Depuis deux ans, nous nous sommes implantés en Slovaquie et en République tchèque. Notre position rejoint celle de Marc Boudier. Il serait utopique et très dangereux de pousser les collectivités locales de pays émergents à réaliser des investissements qui les « mettrait à genoux » sur le plan financier.

Il est très important de structurer les projets avec les partenaires locaux et de tenir compte de leur culture et de leurs attentes. Il faut savoir faire preuve d'humilité. L'apport financier que l'on est amené à faire comporte toujours un risque qu'il faut assumer.

Questions

De la salle

Les précisions que nous avons obtenues ce matin sont remarquables. Mais j'aurais aimé avoir un exemple concret d'entreprise privée s'étant implantée avec succès dans ces pays.

Marc BOUDIER

Les entreprises se heurtent souvent à des problèmes de cadre légal. Lorsque l'on intervient en Pologne dans le domaine de l'énergie, par exemple, la loi limite la concession à trois ans : c'est beaucoup trop court. Par ailleurs, il y a des problèmes de délais de paiement qui peuvent être importants.

Angio DELATI, Suez-Lyonnaise des Eaux

Une entreprise privée peut s'implanter avec succès dans un pays émergent. La Lyonnaise des Eaux l'a prouvé.

De la salle

Quelle est l'évolution des endettements obligataires en Pologne ? Quel est le rôle des agences de rating ?

Michel NOËL

Nous n'avons pas effectué de projection sur les flux futurs d'émissions obligataires par les collectivités locales polonaises. Mais nous réalisons en ce moment cette étude pour la Hongrie. Elle devrait être terminée d'ici la fin de l'année calendaire. Je reconnais qu'une telle étude serait très utile en Pologne.

Quant au rôle des agences de rating, il est évidemment très important, notamment pour les grandes villes. Pour les villes de taille moyenne, il serait bon que des agences de rating locales se développent pour assurer une meilleure transparence des marchés. Une telle agence se crée en Hongrie.

Johan BASTIN

Je ne suis pas tout à fait d'accord avec Michel Noël. Une poignée seulement de municipalités bénéficient d'un rating. Ce sont les plus avancées. Le rating sert à faciliter l'accès au marché des capitaux pour les municipalités. Mais en Europe, il n'est guère répandu et une ville comme Budapest, qui n'en bénéficie pas, n'a pas de problème pour attirer des investissements. Le rating n'est donc pas indispensable. J'ai pour ma part quelques doutes sur son utilité : il est fait pour les acheteurs et non pour les vendeurs.

Un représentant d'une agence de développement général du Limousin

coopérant avec la Pologne


La SAUR a signé un contrat d'affermage pour la distribution de l'eau de la ville de Gdansk (500 000 habitants). La qualité de l'eau a augmenté, mais le coût a quadruplé...

De la salle

Comment la ville de Bratislava traite-t-elle ses déchets ?

Jan KOTULA

Un projet est en cours en collaboration avec Siemens depuis un an.

De la salle

La Banque mondiale a envisagé de créer un fonds de développement social pour venir en aide aux collectivités locales qui n'ont pas les moyens de mettre en place un système d'adduction d'eau et de gaz. Je crois que les collectivités locales insolvables ne doivent pas être abandonnées.

Michel NOËL

Pour les collectivités locales insolvables, les outils traditionnels, avec garanties souveraines, peuvent être mis en place par la Banque mondiale. Cependant, ces outils ne sont pas des outils de marché. La garantie souveraine ne doit pas être un recours utilisé systématiquement.

Dans un grand nombre de cas, les problèmes des municipalités ne peuvent pas être résolus dans le cadre strict des limites municipales. Nous devons donc pousser les municipalités à collaborer afin d'atteindre un poids permettant aux investissements nécessaires d'être rentables. Nous pensons que le marché peut résoudre de nombreux problèmes pour peu que les municipalités se regroupent.

Conclusion
Roland HECHT, Président du Directoire, DEXIA Project and
Public Finance International Bank

Tout au long de cette matinée, nous avons pu constater que le secteur local faisait preuve d'une grande vitalité en Europe centrale. Les besoins en équipement et en infrastructures à leur charge sont très importants. Mais comme l'a souligné Monsieur Bastin, il existe un déséquilibre certain entre ces besoins et les moyens financiers disponibles. Madame Lallemand Flucher a souligné que si la capacité d'emprunt des collectivités locales est assez grande (opinion que ne partage pas forcément Monsieur Boudier), elle est assez peu utilisée pour des raisons culturelles, même si les choses évoluent.

De plus en plus d'acteurs étrangers et locaux s'intéressent aux collectivités locales. DEXIA a de nombreux contacts avec des gouvernements locaux en Europe centrale. Nous estimons que si les projets sont économiquement viables et sont adaptés à la structure légale et financière du pays concerné, ils ont toutes les chances de trouver un financement sur le marché.

Je remercie le Sénat et le CFCE de nous avoir permis de participer à ce colloque.

Synthèse réalisée en temps réel par la société Hors Ligne 01 55 64 04 44




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