Colloque "Rencontres Russie 2006" (9 novembre 2006)



Interventions de :

Christine LAGARDE ,
Ministre déléguée au Commerce extérieur

Je débuterai mon propos en citant Churchill, qui voyait dans la Russie « un rébus, enveloppé de mystère, au sein d'une énigme ». Je trouve en effet cette formule assez juste.

Pour revenir à des données plus concrètes, l'économie russe présente, à l'heure actuelle, les signes d'un dynamisme évident. Et au-delà de l'évolution favorable indiscutable des cours du pétrole et des matières premières, on peut y voir les signes de l'adaptation déterminée d'un appareil industriel et la marque d'une confiance retrouvée des investisseurs et des consommateurs. Cette amélioration résulte non seulement d'une volonté politique évidente, mais également des efforts consentis par le peuple russe, qui s'est toujours distingué par sa force de travail et sa détermination à surmonter tous les obstacles. Pour autant, nous avons bien conscience de la nécessité d'une politique de réformes en Russie, afin d'accélérer la croissance. Aucun pays, en effet, ne peut se contenter de tirer parti de l'évolution favorable de la conjoncture. Les évolutions positives du cours des matières et du pétrole recèlent, à n'en pas douter, des fragilités.

L'Union européenne est aujourd'hui le premier partenaire commercial de la Russie, avec 40 % de ses échanges extérieurs. Des marges de progression sont toutefois encore possibles, dans le domaine énergétique, notamment.

Nos relations commerciales bilatérales avec la Russie ont gagné en intensité, au cours de la période récente. La France tire parti de la forte croissance de l'économie et des importations russes en 2006. Nos exportations vers la Russie, au cours du premier semestre 2006, ont ainsi marqué une très forte progression, de l'ordre de 32 % sur les huit premiers mois de l'année 2006, rapportés aux huit premiers mois de l'année 2005 (à comparer avec un taux de progression de l'ordre de 10 %, pour nos exportations au niveau global).

Notre part du marché russe avoisine les 4 % et plus de 6000 entreprises françaises ont exporté en Russie l'année dernière. Non seulement nous exportons, mais nos entreprises investissent, témoignant ainsi de la confiance qu'elles ont dans l'avenir de ce pays. 500 entreprises françaises sont aujourd'hui implantées en Russie et leurs activités ont fortement augmenté en 2005, pour atteindre, en investissements, 500 millions de dollars, soit plus de deux fois le montant de l'année 2004, plaçant ainsi la France au 6 ème rang des investisseurs directs en Russie.

Ces résultats sont néanmoins insuffisants et le moment de développer nos échanges avec la Russie est opportun. Nous ne sommes qu'au 9 ème rang des fournisseurs de la Russie et notre déficit commercial s'est creusé, en 2005, pour atteindre 4,7 milliards d'euros. Cette tendance, qui s'est poursuivie en 2006, s'explique par l'importance de la facture énergétique.

Nous sommes heureux que 500 entreprises françaises aient déjà fait le pas, mais nous pouvons de toute évidence faire mieux. C'est d'ailleurs pour cette raison que, sur un plan stratégique, le gouvernement français a décidé d'identifier la Russie comme l'un des cinq pays pilotes vers lesquels nous devons concentrer nos efforts, pour encourager l'approfondissement des relations commerciales entre nos deux pays. Pour ce faire, nous comptons notamment intensifier les exportations françaises vers la Russie, ainsi que les investissements directs français en Russie et les investissements directs russes en France.

Dans le cadre du plan Cap export Russie, les outils traditionnellement mis à la disposition des exportateurs français par le gouvernement ont été renforcés, comme ils l'ont été pour les exportateurs travaillant avec les quatre autre pays ayant été désignés comme pays pilotes. Je pense notamment à l'assurance prospection-COFACE (qui couvre à 80 % les dépenses de prospection pour les pays en question, contre seulement 65 % pour les autres pays). Je pense également à la prise en charge possible, au titre du crédit-impôt export, des dépenses consacrées à l'emploi des volontaires internationaux en entreprises.

Pour finir, je ne saurais trop vous conseiller de vous référer au portail internet que nous avons ouvert pour simplifier la tâche des exportateurs français, consultable à l'adresse suivante : www.exporter.gouv.fr. Vous y trouverez tous les liens possibles vers l'ensemble des agences et des chambres de commerce et d'industrie, ainsi que toute une série d'informations qui vous seront, à n'en pas douter, d'un précieux secours.

Je soulignerai enfin combien un rapprochement avec la Russie est opportun, dans le contexte actuel. Le nombre de participants présents aujourd'hui reflète l'intérêt que vous manifestez pour ce pays. La Russie a pratiquement complété son cycle de négociations préalable à son entrée dans l'OMC. Un seul accord significatif demeure à négocier - celui, bilatéral, entre la Russie et les Etats-Unis. Je ne porterai aucun commentaire sur l'état d'avancement de ce calendrier ; j'espère néanmoins -et l'Union européenne l'a d'ailleurs manifesté en concluant un accord en son temps avec la Russie- que l'entrée de la Russie dans l'OMC se fera dans les meilleures conditions et dans les meilleurs délais. Lorsque la Chine est entrée dans l'OMC, nous avons en effet observé la normalisation d'un certain nombre de comportements et l'acceptation d'un certain nombre de principes, lesquels ont permis l'augmentation massive des échanges entre la Chine et les autres pays membres de l'OMC. Je ne doute pas qu'un tel phénomène se reproduise avec la Russie.

René ANDR É,
Député, Président d'Ubifrance

Le contexte de nos échanges avec la Russie est incontestablement favorable, du fait du dynamisme de l'économie russe. La forte croissance de cette économie ne fléchit pas et le PIB progresse à un rythme de 6,5 %. La consommation a augmenté de 10 % cette année et reste le principal moteur de cette économie. Cette forte croissance de la consommation a engendré une augmentation massive des importations : +26 % par rapport au premier semestre 2005, +48 % dans les secteurs des équipements de machines et des moyens de transports. Parallèlement, les investissements en Russie ont progressé depuis le deuxième semestre 2005 et se diversifient. Tous les secteurs d'activités, hors hydrocarbures, sont concernés, avec une croissance des investissements excédant les 40 % au cours du premier semestre 2006.

La France tire sans nul doute profit de ce développement, mais encore insuffisamment. 2005 a été une année décevante ; en 2005, la France est passée du 8 ème au 9 ème rang des fournisseurs de la Russie, position qu'elle occupait encore au premier semestre 2006. Cependant, sa part de marché qui s'était effritée entre 2004 et 2005, en passant de 4,1 à 3,73 %, a commencé à se redresser au premier semestre 2006.

La croissance des exportations françaises vers la Russie - sur les six premiers mois de 2006, par rapport aux six premiers mois de 2005 - a été de 32,5 %, pour atteindre un volume de 2 milliards d'euros. Cette forte progression s'explique notamment par l'augmentation des exportations de biens de consommation, notamment de produits pharmaceutiques (+95 % par rapport au premier semestre 2005) et de produits cosmétiques (+39 %). Elle s'explique également par l'augmentation de la vente de nos voitures (+39 %) ainsi que par d'excellentes performances dans le domaine chimique (+51 %). La France répond donc bien aux besoins croissants de consommation des Russes, dans les domaines du luxe et de l'équipement du foyer.

Elle répond mal, en revanche, aux besoins de diversification de l'industrie russe. Certes, près de 500 entreprises françaises sont désormais implantées en Russie et plus de 6 000 entreprises ont d'ores et déjà investi dans ce pays. Ces améliorations sont cependant insuffisantes et il convient par conséquent d'oeuvrer sans relâche au développement de la présence française en Russie, ce à quoi s'emploie quotidiennement Ubifrance, en partenariat avec la mission économique de Moscou. Une publication sur les modalités d'ouverture d'un point de vente en Russie a ainsi vu le jour, au cours de la période récente, et une autre publication, offrant un panorama global du marché russe, devrait paraître d'ici la fin de l'année. Du 21 au 24 novembre prochain, une manifestation visant à promouvoir le savoir-faire français, en matière de tourisme, sera par ailleurs organisée à Moscou.

Pour finir, je voudrais vous livrer un regard plus personnel, sur l'avenir de la coopération entre nos deux pays. Pour l'heure, force est de reconnaître que l'image de la Russie, dans les médias français, n'est pas très positive, ce qui se retourne non seulement contre la Russie mais également contre les investisseurs français et qui explique sans doute la faiblesse de notre présence dans cette partie du monde. Sur cette base, et même si nous avons bien conscience de la nécessité de poursuivre le processus de démocratisation amorcé dans ce pays, je vous invite à méditer la déclaration récemment faite par l'ex-chancelier Gerhard Schröder, laquelle a été publiée dans Le Monde du 4 novembre dernier :

« Les élites russes se sentent proches de l'Europe. Cela vaut en particulier pour Vladimir Poutine. La question que doivent se poser les Européens est la suivante : veulent-ils une Russie étroitement liée à eux, politiquement, économiquement, culturellement ? Ou veulent-ils qu'à cause des difficultés qu'on lui fait cette Russie se mure dans son rôle de puissance asiatique ? Il existe une chance que la Russie se rapproche de l'Europe. Mais le processus ne peut être à sens unique. Il faut que les Européens aussi fassent un effort et cessent de voir la Russie uniquement à travers le prisme de la guerre en Tchétchénie. (...) je mets en garde contre les jugements à sens unique. Après des siècles de tsarisme, soixante-dix ans de communisme et dix ans d'effacement de l'Etat, le mérite de Vladimir Poutine est de rétablir l'Etat comme protecteur des citoyens et des investisseurs, ce qui est la condition préalable à la démocratie. »

Ceci pour dire que si nous développons une vision objective et positive de la Russie, cette dernière en tirera nécessairement parti, au même titre que nous. Je ne saurais donc que vous encourager à consentir des efforts dans cette voie.