Renforcement des capacités des parlementaires en matière de développement durable (22 et 23 avril 2005)



Mettre en oeuvre les engagements du Sommet Mondial sur le Développement Durable (SMDD) et les Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD) : un défi majeur

La séance est présidée par Marcel BOISARD, Sous-secrétaire général des Nations Unies.

Marcel BOISARD

J'appelle Monsieur Nitin Desai à nous rejoindre à la tribune. Il est depuis deux ans le conseiller spécial du Secrétaire Général des Nations Unies pour la préparation du Sommet mondial sur la société de l'information.

Nitin DESAI,
ancien Secrétaire général adjoint des Nations Unies pour les affaires économiques et sociales

Chers amis,

C'est un plaisir pour moi d'être parmi vous aujourd'hui. Je félicite le Sénat français d'avoir organisé cette réunion. Je suis heureux de voir autant de parlementaires réunis ici autour du développement durable. C'est un sujet important à bien des égards.

I. Le développement durable, passerelle entre environnement et croissance

Cette notion joue un rôle croissant au niveau national et international. Ce concept est transnational. Il a été défini dans le cadre du rapport de la commission Brundtland. Au cours de cette réflexion, certains pensaient que l'objectif prioritaire était la préservation de la nature, alors que d'autres estimaient que le premier objectif du politique était celui de la croissance et du développement. Le développement durable jette un pont entre environnement et croissance, qui sont deux éléments profondément liés. L'environnement et le développement font partie d'une seule et même structure politique.

Dans les faits, nous restons encore assez éloignés d'une mise en oeuvre satisfaisante de la notion de développement durable. Je suis donc ravi de voir autant de parlementaires présents aujourd'hui autour de ce sujet.

II. Les défis globaux à relever

Le premier des défis à relever en matière de durabilité au XXI e siècle est la reconnaissance de la concurrence pour l'espace environnemental qui va apparaître. Nous arrivons en effet aux limites des capacités de notre planète. La durabilité exige que ceux d'entre nous qui sont riches acceptent d'adapter leur niveau de vie pour permettre aux plus pauvres de voir le leur augmenter. Il s'agit d'un rééquilibrage au niveau international mais aussi au sein même des pays. Cela implique des changements dans les modes de vie et de production, dans les pays riches comme dans les pays pauvres. Un plan pour l'environnement est nécessaire pour mesurer l'impact de nos attitudes sur l'environnement aux niveaux local et global.

Les études montrent que les exigences des pays riches vis-à-vis de l'environnement dépassent de beaucoup les ressources disponibles à long terme. Il faut donc adapter nos habitudes en matière de consommation d'énergie et de ressources. Il est en effet possible de rééquilibrer notre consommation d'énergie dans les faits pour l'adapter aux ressources disponibles.

Il faut également s'intéresser aux modes de production dans les pays pauvres, notamment dans les zones rurales des pays en voie de développement. Certains modes de production traditionnels ne sont plus viables et, pour eux aussi, un rééquilibrage paraît nécessaire. S'il faut réduire notre consommation d'énergie dans les pays riches, il faut également s'intéresser à l'utilisation qui en est faite dans les foyers des pays pauvres en milieu rural.

1. L'éradication de la pauvreté

Le premier des défis à relever est celui de l'éradication de la pauvreté. Des engagements ont été pris à Copenhague, ou dans le cadre des OMD. L'objectif, dans ce domaine, n'est pas de faire une sorte de « cadeau ». En revanche, il est essentiel de modifier les logiques d'accès aux ressources dans le monde entier, dans les pays riches comme les pays pauvres. Certains pensent que le marché peut régler les problèmes. Néanmoins, le marché ne fait qu'accroître les inégalités. Il faut donc en permanence avoir présent à l'esprit les impératifs du développement durable. La réduction de moitié de la pauvreté est un axe essentiel des OMD.

2. L'explosion urbaine

L'explosion urbaine est un autre défi posé au monde en matière de durabilité. De nombreuses villes ont déjà atteint le point de rupture et la situation ne fera qu'empirer sous le poids de la démographie. Nous avons peut-être affaire, dans ce domaine, à un enjeu fondamental : les rapports entre les riches et les pauvres au sein des villes.

3. La mondialisation

Le troisième défi est celui de la mondialisation, mondialisation du commerce mais aussi mondialisation de la culture. Soulignons qu'il est plus facile aujourd'hui qu'hier de délocaliser les risques environnementaux. En effet, les risques de contagions environnementales sont accrus.

La mondialisation de la culture, quant à elle, fait courir le risque d'une imitation peu justifiée des modes de vie d'autrui. Mais la mondialisation peut permettre une division du travail plus rationnelle et logique au niveau mondial. On peut évoquer le cas de l'agriculture et son ouverture au niveau mondial. La mondialisation peut aussi permettre le transfert accéléré des technologies respectueuses de l'environnement.

Pour profiter de la mondialisation et en éviter les inconvénients, il faut se fixer des objectifs de libéralisation contrôlée, institutionnaliser la gestion des risques et assurer une meilleure répartition des biens produits.

La science et la technologie sont des domaines fondamentaux pour le développement durable. On assiste aujourd'hui à une sorte de confrontation entre le milieu de la science et celui de l'environnement. Les oppositions sont parfois caricaturales et peu productives. Il faut pourtant s'appuyer sur les données scientifiques pour comprendre les problèmes comme le réchauffement de la planète. Les scientifiques quant à eux tiennent de plus en plus compte des questions environnementales. Mais ces questions touchent de plus en plus au mode de vie même des citoyens. Ces sujets sont suffisamment important pour que l'on surmonte l'opposition entre scientifiques et écologistes.

4. Les défis « sectoriels »

Le développement durable est synonyme de défis sectoriels. Le premier d'entre eux est l'accès à une eau propre à la consommation. La gestion de cette ressource est un véritable défi, mais aussi une opportunité car l'eau peut être le vecteur d'une politique de développement durable dans les milieux ruraux.

En matière climatique, la situation semble plus grave que ce qui avait été prévu, avec des conséquences plus fortes et plus importantes que prévues. Il va nécessairement falloir adopter une approche globale pour traiter ce problème. La biodiversité et la préservation de la diversité culturelle sont un autre enjeu majeur, qui nécessite une approche globale.

III. Le rôle des parlements

Les parlements sont les institutions les plus légitimes en matière de représentation de l'intérêt général. Les parlementaires ont donc un rôle essentiel à jouer pour intégrer le développement durable dans les politiques menées en dépassant les enjeux particuliers. Il faut aller plus loin que ce qui est fait aujourd'hui. Les parlementaires doivent être en première ligne en matière de développement durable. Ils peuvent également jouer un rôle important de responsabilisation de tout un chacun, y compris au niveau des décideurs politiques.

L'absence de durabilité est souvent la conséquence d'un problème de définition des responsabilités. Des lois sont nécessaires pour les encadrer et les parlementaires ont, de ce point de vue, un rôle fondamental à jouer. Dès lors que l'on traite un problème économique ou social, il faut tenir compte de cette notion de durabilité. Le parlement est aussi l'institution la mieux placée pour se faire l'écho de l'expression des aspirations citoyennes.

Dans le nouveau panorama mondial, les relations doivent passer davantage par les parlements. Il faut développer les rapports non seulement entre parlementaires mais aussi et surtout entre parlements.

Le développement durable est le défi de ce siècle dans lequel nous entrons. Nous avons tous un rôle à jouer, parlementaires, fonctionnaires, politiques. Et je n'en suis que plus satisfait d'être parmi vous aujourd'hui.

Marcel BOISARD

Je remercie Nitin Desai pour son intervention. J'ai eu le plaisir et l'honneur de travailler sous sa direction il y a quelques mois. Je tiens à insister sur le rôle prépondérant qu'il a joué dans la préparation des sommets de Rio et de Johannesburg.

Tariq BANURI,
Stockholm Environment Institute

Je tiens avant tout à remercier le Sénat français, l'UIP et l'UNITAR de m'avoir invité dans cette auguste enceinte qui reflète le sens de la démocratie. Je suis ravi de pouvoir partager la parole avec Monsieur Desai. Je félicite l'UNITAR d'avoir réuni des orateurs pakistanais et indiens.

J'aborderai le développement durable non pas sous l'angle des faiblesses et des lacunes mais en m'intéressant plutôt à ses forces et ses atouts. Dans le cadre de la préparation du sommet de Johannesburg, nous avons mené une étude auprès d'acteurs divers au niveau mondial. Nous les avons interrogés sur leur vision du développement durable et nous avons recueilli ainsi un millier d'anecdotes.

Je tiens avant tout à m'adresser à vous en tant qu'individu. Le meilleur des princes est celui qui se trouve toujours près des érudits ! Je me sens très humble face à vous.

Quelles sont les caractéristiques du développement durable en pratique, pour les décideurs, les praticiens, les étudiants, les militants ? Nous avons recensé trois catégories.

I. Comment envisager le développement durable ?

Si vous comparez le développement durable à une maison, cela suppose d'établir sa construction sur des plans. Si vous le pensez en tant qu'arbre, vous estimez qu'il faut le faire croître.

En matière de développement durable, l'un des principaux défis à relever est celui de l'écoute. C'est la première leçon que nous avons tirée de notre étude. Or il est fréquent que l'écoute fasse défaut. La deuxième leçon est qu'il ne faut jamais se limiter aux processus politiques mis en place : il faut aussi s'intéresser à la mise en oeuvre du développement durable.

Enfin, la troisième leçon fondamentale a été de constater qu'il existait une véritable volonté civique, parmi les citoyens. Cette volonté est réelle, nous l'avons identifiée, et c'est elle qui va induire la volonté politique.

Certaines personnes envisagent le processus du développement durable en « partant de la fin ». Mais qui agit réellement en matière de développement durable ? Comment s'initie-t-il ? A Dakar par exemple, le maire a réuni des comités dans les bidonvilles pour réfléchir au développement durable. Des actions sociales et civiques sont également menées dans les quartiers pauvres en Inde. La volonté des citoyens est le moteur des initiatives et des décisions politiques. La société civile joue donc un rôle majeur pour encourager la réforme en faveur du développement durable. Dans bien des cas, les lacunes existant entre la législation et les exigences du développement durable ont finalement été comblées par la société civile. Il faut donc accorder à la société civile, aux citoyens, toute la place qu'ils méritent pour que les initiatives en matière de développement durable puissent voir le jour.

II. Comment reconnaître le développement durable ?

Souvent, le développement durable sous-tend des initiatives qui contribuent à rassembler les communautés, à les solidariser.

Autre constatation de notre étude, on ne peut rien construire tant que les citoyens ne sont pas directement impliqués dans le développement durable. Les initiatives de développement durable qui réussissent sont celles qui permettent aux citoyens de mieux vivre.

Les exemples que nous avons analysés ont montré que le développement durable supposait avant tout une utilisation rationnelle des ressources, sur le plan écologique comme sur le plan économique.

Une autre leçon tirée de notre étude est que les initiatives en matière de développement durable doivent être adaptables pour pouvoir être étendues. Une ONG a ainsi su créer un programme combinant la maîtrise de l'énergie, la gestion des ressources forestières et la lutte contre la pauvreté. Cette initiative a ensuite été dupliquée dans bien d'autres lieux. Nombreuses sont les initiatives locales qui sont ensuite répliquées, grâce à la coopération.

III. Comment faire en sorte que le développement durable soit mis en pratique ?

En matière de développement durable, on ne peut ignorer le rôle absolument central et fondamental de l'être humain. A la base de chaque projet, de chaque initiative en matière de développement durable, on trouve une personne, un être humain qui intervient pour combler une lacune.

Souvent, le développement durable suppose aussi des investissements. Il faut, pour permettre la mise en place du développement durable, une recherche scientifique de très haut niveau, et cette recherche doit concerner les plus pauvres comme les plus riches.

Nous avons rencontré de nombreux acteurs ayant travaillé dans des cadres institutionnels internationaux. Leur action a souvent consisté à institutionnaliser les processus qu'ils avaient mis en place suite à l'initiative qu'ils avaient prise. Ils ont pour cela été aidés, et cette aide n'a souvent été possible que parce qu'un effort de communication avait été fait autour du projet.

La notion de partenariat est essentielle pour la mise en pratique des initiatives en matière de développement durable, entre acteurs de la société civile, parlementaires, techniciens, décideurs politiques, militants, étudiants...

Le développement durable se développera si l'on investit plus fortement en matière de promotion. Il faut parler du développement durable, l'encourager, le faire connaître.

Nous avons découvert au travers de notre étude qu'il y avait très peu de nouveauté en matière de développement durable. Souvent les acteurs se contentent de reproduire des initiatives qui ont déjà été prises par le passé en innovant pour les adapter. L'innovation et l'imitation sont des moteurs très importants pour voir se concrétiser les projets de développement durable.

Le grand enseignement tiré de notre étude est que le développement durable donne déjà lieu à de très nombreuses expériences positives de par le monde. Je vous conseille de prendre connaissance de cette étude pour vous en convaincre.

Marcel BOISARD

Cet exposé complète parfaitement le précédent en mettant l'accent sur ce qui se concrétise sur le terrain. Il est important que les parlementaires aient ainsi une vision des initiatives populaires. L'étude évoquée par Monsieur Banuri est à votre disposition.