SERVICE DES ETUDES JURIDIQUES (juillet 2004)

NOTE DE SYNTHÈSE

Le droit d'accès à la justice au bénéfice des plus démunis fut institué en France par une loi de 1851 qui créait l'« assistance judiciaire ». Conçue comme un devoir humanitaire au bénéfice des indigents, l'assistance judiciaire fut remplacée en 1972 par l'« aide judiciaire », octroyée sous conditions de ressources. Alors que les avocats prêtaient gratuitement leur concours dans le cadre de l'assistance judiciaire, la loi de 1972 prévoyait des rémunérations en leur faveur.

La loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique , entrée en vigueur le 1 er janvier 1992, a, d'une part, substitué l'aide juridictionnelle à l'aide judiciaire et, d'autre part, instauré l'aide à l'accès au droit , comprenant l'aide à la consultation, ainsi que l'assistance au cours de procédures non juridictionnelles.

L'aide juridictionnelle peut être demandée pour toute procédure devant un tribunal civil, pénal ou administratif. Elle est octroyée par des bureaux ad hoc . Établis au siège de chaque tribunal de grande instance, ces derniers apprécient la recevabilité de la requête et vérifient les ressources du demandeur, car celles-ci déterminent si l'aide est totale ou partielle, et donc si la prise en charge des dépenses par l'État est totale ou non.

En effet, si l'aide juridictionnelle couvre toujours la totalité des frais de procédure, elle ne couvre l'intégralité de la rémunération des auxiliaires de justice et des avocats que si elle est totale, les bénéficiaires de l'aide partielle devant payer une partie des honoraires des professionnels qui ont participé à leur procès.

Depuis la fin des années 90, plusieurs réformes liées au renforcement des droits de la défense ont multiplié le nombre des bénéficiaires de l'aide juridictionnelle . Ainsi, la loi n° 98-1163 du 18 décembre 1998 relative à l'accès au droit et à la résolution amiable des conflits a élargi le champ d'application de l'aide juridictionnelle au règlement amiable des conflits avant la saisine d'une juridiction, et la loi d'orientation et de programmation pour la justice du 9 septembre 2002 a ouvert le bénéfice de l'aide juridictionnelle sans conditions de ressources aux victimes des crimes les plus graves.

Les dispositions relatives à l'aide à l'accès au droit ont elles aussi évolué, mais dans une moindre mesure : le contenu du dispositif a également été précisé par la loi n° 98-1163 du 18 décembre 1998, de sorte que l'aide à l'accès au droit, dont le champ a été élargi, comporte désormais :

- « l'information générale des personnes sur leurs droits et obligations ainsi que leur orientation vers les organismes chargés de la mise en oeuvre de ces droits ;

- » l'aide dans l'accomplissement de toute démarche en vue de l'exercice d'un droit ou de l'exécution d'une obligation de nature juridique et l'assistance au cours de procédures non juridictionnelles ;

- » la consultation en matière juridique ;

- » l'assistance à la rédaction et à la conclusion des actes juridiques . »

Les conditions d'accès à l'aide à l'accès au droit sont définies par des conseils départementaux ad hoc . Compte tenu de la nature de la prestation fournie et des ressources des bénéficiaires, une partie des frais peut rester à la charge des intéressés.

L'évolution de l'aide juridictionnelle soulève plusieurs problèmes . Le seuil d'éligibilité ne permet pas à tous de bénéficier d'un égal accès à la justice, notamment à cause des différences de prise en compte des ressources des demandeurs par les bureaux d'aide juridictionnelle (intégration ou non dans les revenus des aides au logement, des avantages en nature ...). De plus, la charge imposée aux avocats prêtant leur concours au titre de l'aide juridictionnelle s'est alourdie, sans que la rémunération ait progressé de la même façon.

C'est pourquoi le garde des sceaux a confié le 11 décembre 2000 à M. Paul Bouchet, conseiller d'État, une « mission d'étude sur l'aide juridictionnelle mais aussi de proposition en vue d'améliorer ou de refondre [le] système d'aide à l'accès au droit ». Dans son rapport, remis le 10 mai 2001, M. Bouchet insistait sur la nécessaire « remise à plat » du système français d'aide juridique. Il proposait en particulier la suppression de l'aide juridictionnelle partielle, l'introduction d'un prêt sans intérêt pour les personnes ne pouvant prétendre à l'aide juridictionnelle et le développement de l'assurance de protection juridique.

Le rapport annexé à la loi n° 2002-1138 du 9 septembre 2002 d'orientation et de programmation pour la justice prévoit l'amélioration du dispositif d'aide juridictionnelle pour permettre un meilleur accès à la justice, ainsi que la rationalisation de l'implantation des différentes structures oeuvrant en faveur de l'accès au droit.

Si le décret n° 2003-853 du 5 septembre 2003 a précisé les ressources à prendre en compte pour apprécier le droit à l'aide juridictionnelle et revalorisé les honoraires des avocats, une réforme de l'aide juridique paraît inévitable, d'autant plus qu'une réflexion s'est engagée sur le développement de l'assurance de protection juridique dans les domaines de la consommation, de l'habitat et du travail.

Dans ces conditions, l'examen des dispositifs étrangers d'aide juridique revêt un intérêt particulier. Les systèmes mis en place dans plusieurs pays européens, l'Allemagne, l'Angleterre et le pays de Galles, la Belgique, l'Espagne, les Pays-Bas, la Suède, ainsi que dans la province canadienne du Québec, ont été analysés à partir de la distinction française entre aide juridictionnelle et aide à l'accès au droit, même si les législations étrangères ne retiennent pas cette présentation.

Seuls, les systèmes d'aide aux personnes physiques ont été étudiés et le dispositif de la commission d'office en matière pénale n'a pas été pris en compte.

Pour chacun des pays sous revue et pour chacun des deux volets de l'aide juridique que représentent l'aide juridictionnelle et l'aide à l'accès au droit, les points suivants ont été examinés :

- les conditions d'accès à l'aide, en présentant plus particulièrement les conditions de ressources ;

- la procédure d'octroi de l'aide ;

- le domaine couvert par l'aide ;

- la nature de l'aide et le mode d'indemnisation des professionnels qui y participent.

Confrontés au même problème d'augmentation des coûts de l'aide juridique, les différents pays étudiés ont adapté leur dispositif. Au-delà de la description des différents régimes nationaux, il a semblé intéressant de consacrer la présente note de synthèse aux principales mesures prises pour contenir les dépenses de l'aide juridique :

- en Allemagne, aux Pays-Bas, en Suède et au Québec, l'aide juridique revêt un caractère subsidiaire, notamment par rapport à l'assurance de protection juridique ;

- la Suède ainsi que, dans une moindre mesure, la Belgique et les Pays-Bas privilégient l'aide à l'accès au droit ;

- le montant des dépenses susceptibles d'être prises en charge par l'aide juridictionnelle dans chaque affaire est plafonné en Suède, ainsi qu'en Angleterre et au pays de Galles ;

- le champ d'application de l'aide juridictionnelle est limité, explicitement au Québec et implicitement dans la plupart des autres pays ;

- les bénéficiaires de l'aide juridictionnelle fournissent toujours une contribution financière aux Pays-Bas et en Suède ;

- en Allemagne, en Angleterre et au pays de Galles, en Belgique et au Québec, les bénéficiaires de l'aide juridictionnelle peuvent, en cas de succès de la procédure, avoir à rembourser les fonds publics qui ont été consacrés à leur affaire ;

- en Angleterre et au pays de Galles, les professionnels qui collaborent à l'aide juridique s'engagent par contrat à fournir des prestations correspondant à des critères préétablis.

1) En Allemagne, aux Pays-Bas, en Suède et au Québec, l'aide juridique revêt un caractère subsidiaire

En Allemagne, aux Pays-Bas et en Suède, le caractère subsidiaire de l'aide juridique exclut que l'aide juridictionnelle soit accordée aux titulaires d'un contrat d' assurance de protection juridique et que l'aide à l'accès au droit soit octroyée aux personnes susceptibles d'obtenir les renseignements dont ils ont besoin en consultant par exemple le service juridique de leur syndicat ou d'une association dont ils sont membres. La loi suédoise dispose même que l'aide juridique doit être refusée aux personnes dépourvues d'une assurance de protection juridique, mais qui auraient dû en avoir une.

Le caractère subsidiaire de l'aide juridique constitue un élément d'autant plus important en Suède que l'assurance de protection juridique est quasiment généralisée, puisqu'elle est notamment prévue dans tous les contrats d'assurance des logements et des automobiles.

Au Québec, l'aide à l'accès au droit a également un caractère subsidiaire, de même que l'aide juridictionnelle en matière civile.

2) La Suède ainsi que, dans une moindre mesure, la Belgique et les Pays-Bas privilégient l'aide à l'accès au droit

En Suède, l'aide juridique revêt principalement deux formes : l'aide judiciaire et le conseil juridique. La première correspond non seulement à l'aide juridictionnelle, mais aussi aux prestations les plus élaborées de l'aide à l'accès au droit. Le second constitue la forme la plus simple de l'aide à l'accès au droit. Or depuis 1996, l'octroi de l'aide judiciaire suppose que l'intéressé ait d'abord eu recours au conseil juridique, la consultation ayant duré au moins une heure.

De même la loi belge relative à l'aide juridique établit une distinction entre l'aide juridique de première ligne et de deuxième ligne. L'aide juridique de première ligne, gratuite, permet à toute personne d'obtenir, à l'occasion d'une courte consultation , des renseignements d'ordre pratique ou juridique, donnés par des avocats ou par d'autres professionnels. L'aide juridique de deuxième ligne, accordée sous conditions de ressources, couvre exclusivement les prestations des avocats. Celles-ci ne sont pas nécessairement fournies dans le cadre d'une procédure et peuvent consister en une consultation plus approfondie que celle donnée en première ligne. L'aide juridique de première ligne, sans être un point de passage obligé avant l'aide de deuxième ligne, est donc conçue comme un filtre.

Le régime néerlandais est proche du système belge : chacun peut bénéficier d'une consultation gratuite d'une demi-heure dans le cadre de l'aide à l'accès au droit, tandis que les consultations suivantes sont réservées aux personnes qui remplissent les conditions requises pour bénéficier de l'aide juridictionnelle. La première consultation gratuite fonctionne également comme un filtre.

3) Le montant des dépenses susceptibles d'être prises en charge par l'aide juridictionnelle dans chaque affaire est plafonné en Suède, ainsi qu'en Angleterre et au pays de Galles

En Suède , l'aide juridictionnelle ne peut en principe couvrir les prestations des avocats que dans la limite de 100 heures . Des dépassements sont certes possibles, mais ils doivent être explicitement autorisés par le tribunal.

En Angleterre et au pays de Galles , le montant des frais susceptibles d'être engagés à l'occasion de chaque procédure est également limité. En effet, des barèmes prévoient, pour chaque type d'affaires, le montant des honoraires et, pour les affaires auxquelles ne correspond pas de barème, les avocats concluent des contrats préalables, qui déterminent notamment le temps nécessaire .

4) Le champ d'application de l'aide juridictionnelle est limité, explicitement au Québec et implicitement dans la plupart des autres pays

Au Québec, l'aide juridictionnelle ne peut être octroyée que dans certains cas, expressément précisés par la loi .

Ainsi, en matière pénale, l'aide est essentiellement accordée lorsque l'accusé est soupçonné d'avoir commis un crime ou qu'il s'agit d'un adolescent poursuivi dans le cadre de la loi sur les jeunes délinquants. L'aide peut également être octroyée dans d'autres cas graves : lorsque l'accusé encourt une peine d'emprisonnement ou risque de perdre ses moyens de subsistance, ou lorsque l'affaire apparaît particulièrement grave ou complexe. De surcroît, l'acceptation de la demande dépend de critères plus subjectifs, comme la comparaison du coût pour la collectivité avec le profit que le requérant peut obtenir de l'aide.

Dans les autres pays, c'est par l'examen du bien-fondé de la demande que le champ de l'aide est réduit. Certes, l'octroi de l'aide est partout subordonné à un examen de la recevabilité de la demande, mais, en Allemagne, en Angleterre et au pays de Galles, aux Pays-Bas et en Suède, l'instance responsable de l'examen des demandes procède à une réelle analyse du bien-fondé de la requête.

En Allemagne et aux Pays-Bas , l'attribution de l'aide dépend notamment de la probabilité de succès de la procédure .

En Angleterre et au pays de Galles , l'octroi de l'aide est, en matière civile, lié à l'évaluation comparée de la valeur du litige et des perspectives de succès de la procédure envisagée , l'aide devant toutefois être attribuée indépendamment de toute analyse coûts-avantages lorsque le litige revêt un caractère prioritaire (protection de l'enfance, violences conjugales, liberté individuelle...). En matière pénale , l'octroi de l'aide dépend du sérieux de la demande.

En Suède, la demande n'est acceptée que s'il apparaît « raisonnable que l'État participe aux frais ».

5) Les bénéficiaires de l'aide juridictionnelle fournissent toujours une contribution financière aux Pays-Bas et en Suède

Aux Pays-Bas et en Suède, le bénéficiaire de l'aide juridictionnelle doit, en règle générale, participer aux frais de son procès quelles que soient ses ressources financières.

Sauf exception, l'aide n'est donc jamais totale et le titulaire de l'aide doit verser une contribution dont le montant varie en fonction du revenu net. La contribution minimale s'élève à 89 € aux Pays-Bas et à 2 % des frais en Suède.

6) En Allemagne, en Angleterre et au pays de Galles, en Belgique, aux Pays-Bas et au Québec, le bénéficiaire de l'aide juridictionnelle peut, en cas de succès de la procédure, avoir à rembourser les fonds publics qui ont été consacrés à son affaire

En Angleterre et au pays de Galles, en matière civile, l'aide juridictionnelle fonctionne généralement comme une avance : en cas de succès de la procédure, le bénéficiaire de l'aide doit rembourser les fonds publics qui ont été consacrés à son affaire.

En Allemagne, en Belgique, aux Pays-Bas et au Québec, l'application de cette règle est limitée aux cas où le bénéficiaire de l'aide se trouve, à l'issue de la procédure, dans une situation financière qui l'exclut du bénéfice de l'aide.

7) En Angleterre et au pays de Galles, les professionnels qui collaborent à l'aide juridique s'engagent par contrat à fournir des prestations correspondant à des critères préétablis

La loi de 1999 sur l'accès à la justice a substitué au régime d'agrément, qui avait été introduit en 1994, un dispositif de contractualisation .

Désormais, les professionnels habilités à travailler dans le cadre de l'aide juridictionnelle et de l'aide à l'accès au droit doivent satisfaire aux critères fixés par la Legal Services Commission, qui est l'agence nationale responsable de l'organisation de l'aide juridique, et sont liés à cette dernière par contrat. Le nombre des professionnels concernés est ainsi passé de 11 000 à 5 500. La contractualisation doit permettre à la Legal Services Commission de contrôler les coûts tout en assurant aux bénéficiaires de l'aide juridictionnelle des prestations de qualité.

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À ces diverses mesures, il convient d'ajouter une disposition qui, sans relever de la législation relative à l'aide juridique, a une incidence indirecte sur les dépenses publiques engagées en la matière : l'élargissement des possibilités de recours aux honoraires conditionnels. Cette solution a été retenue en Angleterre et au pays de Galles, où, dans la plupart des procédures, le client et son avocat peuvent désormais s'entendre pour faire dépendre les honoraires de l'issue de la procédure : au minimum convenu et dû quel que soit le résultat du procès, s'ajoute, mais seulement en cas de succès, un supplément. Les justiciables que les critères financiers excluent du bénéfice de l'aide juridictionnelle devraient ainsi bénéficier d'un meilleur accès à la justice.

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