Étude de législation comparée n° 264 - mars 2016

Étude au Format PDF (467 Koctets)


Mars 2016

NOTE

sur

Le régime de l'état d'urgence

_____

Allemagne - Belgique - Espagne
- Italie - Portugal - Royaume-Uni

_____

Cette note a été réalisée à la demande de M. Philippe BAS, Sénateur de la Manche

AVERTISSEMENT

Les notes de Législation comparée se fondent sur une étude de la version en langue originale des documents de référence cités dans l'annexe.

Elles présentent de façon synthétique l'état du droit dans les pays européens dont la population est de taille comparable à celle de l'Hexagone ainsi que dans ceux où existe un dispositif législatif spécifique. Elles n'ont donc pas de portée statistique.

Ce document constitue un instrument de travail élaboré à la demande des sénateurs par la division de Législation comparée de la direction de l'Initiative parlementaire et des délégations. Il a un caractère informatif et ne contient aucune prise de position susceptible d'engager le Sénat.

NOTE DE SYNTHÈSE

Cette note est consacrée au régime de l'état d'urgence, qui se caractérise en droit français par ce que « des pouvoirs de police accrus sont, dans ce cadre, confiés au Gouvernement et au préfet pour faire face à un "péril imminent" résultant d'atteintes graves à l'ordre public ou d'événements présentant par leur nature et leur gravité le caractère de calamités publiques » 1 ( * ) .

Elle repose sur l'étude des dispositions applicables dans six États de l'Union européenne : Allemagne, Belgique, Espagne, Italie, Portugal et Royaume-Uni.

Elle ne s'intéresse pas :

- aux régimes tendant à faire face aux calamités publiques ou aux catastrophes naturelles ;

- aux régimes d'état de siège ou d'état de guerre.

Après avoir rappelé les grands traits du régime applicable en France, et les conclusions qui résultent de l'examen de ces législations, elle présente successivement, pour chacun des pays faisant l'objet d'une des monographies figurant ci-après :

- le cadre constitutionnel applicable à l'« état d'urgence » ou à ses équivalents et son ordonnancement au regard des droits fondamentaux ;

- et les principales normes législatives qui en déterminent le régime.

A. LA SITUATION EN FRANCE

Faute de dispositions constitutionnelles le concernant, le régime applicable à l'état d'urgence résulte, en France, exclusivement de la loi n o 55-385 du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence, récemment modifiée le 20 novembre 2015 2 ( * ) .

• Absence de disposition constitutionnelle

La Constitution française prévoit deux régimes applicables en cas de crise grave, à savoir : l'octroi de pouvoirs exceptionnels au Président de la République (article 16) et l'état de siège (article 36), mais reste silencieuse sur l'état d'urgence.

En vertu de l'article 16 de la Constitution, « Lorsque les institutions de la République, l'indépendance de la Nation, l'intégrité de son territoire ou l'exécution de ses engagements internationaux sont menacées d'une manière grave et immédiate et que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels est interrompu, le Président de la République prend les mesures exigées par ces circonstances, après consultation officielle du Premier ministre, des Présidents des assemblées ainsi que du Conseil constitutionnel ».

Le Conseil des ministres peut, aux termes de l'article 36, décréter l'état de siège, dont la prorogation au-delà de douze jours requiert l'autorisation du Parlement.

À la suite du dépôt par le Gouvernement d'un projet de loi constitutionnelle de protection de la Nation, le Parlement débat de l'inscription dans la Constitution du régime de l'état d'urgence. Le texte, adopté en première lecture par l'Assemblée nationale le 10 février 2016, vise notamment à la constitutionnalisation de l'état d'urgence, dont découleraient de nouvelles mesures de police, comme la retenue de la personne concernée pendant une perquisition administrative ou la possibilité de contrôler l'identité sans avoir à justifier de circonstances particulières 3 ( * ) .

• Le régime applicable à l'état d'urgence

Modalités de déclaration

L'état d'urgence est déclaré par décret en Conseil des ministres en cas de « péril imminent résultant d'atteintes graves à l'ordre public » ou d'« événements présentant, par leur nature et leur gravité, le caractère de calamité publique ». Il ne peut excéder douze jours, prorogeable par la loi, et s'applique sur tout ou partie du territoire (articles 1 er , 2 et 3 de la loi de 1955).

Restriction des libertés publiques résultant de l'état d'urgence

L'état d'urgence permet, dans une zone géographique déterminée, l'application de mesures exceptionnelles visant à restreindre les libertés des individus pour garantir la sécurité et l'ordre publics.

Le préfet d'un département concerné peut, à ce titre :

- « interdire la circulation des personnes ou des véhicules dans les lieux et aux heures fixés par arrêté » ;

- « instituer, par arrêté, des zones de protection ou de sécurité où le séjour des personnes est réglementé » ;

- « interdire le séjour dans tout ou partie du département à toute personne cherchant à entraver, de quelque manière que ce soit, l'action des pouvoirs publics » (article 5).

Le ministre de l'Intérieur a, quant à lui, la faculté de prononcer l'assignation à résidence d'une personne, assortie le cas échéant :

- de l'obligation de demeurer dans un lieu d'habitation, pour une durée ne pouvant excéder douze heures par jour ;

- de l'obligation de se présenter périodiquement aux services de police et de leur remettre les papiers d'identité ;

- de l'interdiction d'entrer en contact avec certaines personnes ;

- du placement sous surveillance électronique mobile en cas de condamnation à une peine privative de liberté pour un acte de terrorisme (article 6, tel que modifié par la loi n o 2015-1501).

Le Conseil des ministres peut dissoudre par décret les associations dont les activités portent gravement atteinte à l'ordre public (article 6-1).

Le ministre de l'Intérieur ou les préfets ont également la possibilité d'ordonner la fermeture provisoire des salles de spectacles, des débits de boissons et des lieux de réunion et d'interdire les réunions de nature à provoquer le désordre (article 8).

Ces mêmes autorités ont la faculté :

- d'exiger la remise des armes et des munitions (article 9) ;

- d'ordonner des perquisitions, de jour comme de nuit, lorsqu'il existe des raisons sérieuses de penser qu'un lieu est fréquenté par une personne dont le comportement constitue une menace pour la sécurité et l'ordre publics, à condition d'en informer le procureur de la République sans délai (I de l'article 11).

Ne peuvent faire l'objet d'une perquisition les locaux affectés à l'exercice professionnel d'un parlementaire, d'un avocat, d'un magistrat ou d'un journaliste (I de l'article 11, résultant de la loi n o 2015-1501) 4 ( * ) .

Les officiers chargés des perquisitions sont autorisés à consulter les données stockées sur des équipements informatiques (article 11-I 5 ( * ) ). Enfin, le ministre de l`Intérieur peut prendre toute mesure visant à interrompre les services de communication en ligne qui incitent au terrorisme ou en font l'apologie (II de l'article 11).

Contrôle de la mise en oeuvre

Les mesures prises en application de l'état d'urgence sont portées sans délai à la connaissance des deux chambres du Parlement (article 4-1) et sont soumises au contrôle du juge administratif (article 14-1, inséré par la loi n o 2015-1501). Elles cessent de porter effet lorsque prend fin l'état d'urgence, à l'exception de la dissolution des associations dont les activités portent atteinte à l'ordre public (articles 14 et 6-1).

• Le rapport de la Commission des Lois du Sénat sur la prorogation de l'état d'urgence

Le régime de l'état d'urgence, notamment ce qui concerne ses modalités de déclaration et de mise en oeuvre, les limitations des libertés et les dispositions de la loi n o 55-385 du 20 novembre 2015 sont présentés dans le rapport n o 177 du 19 novembre 2015 de M. Philippe Bas, Sénateur 6 ( * ) .

Un bilan des mesures prises au cours de la première période d'application de l'« état d'urgence » depuis le 14 novembre 2015 a été effectué dans le rapport n° 368 du 3 février 2016 de M. Michel Mercier, Sénateur 7 ( * ) .

B. OBSERVATIONS TIRÉES DES LÉGISLATIONS ÉTRANGÈRES

Les six régimes étudiés présentent de fortes disparités puisque :

- la Constitution espagnole distingue, à côté de l'« état d'alerte », deux autres régimes concernant l'« état d'exception » et l'« état de siège » ;

- la Constitution portugaise fait référence à l'« état d'urgence » et à l'« état de siège » ;

- et la loi britannique de 2004 permet de faire face aux situations d'urgence par des mesures exceptionnelles assez voisines de l'état d'urgence.

En revanche, les constitutions de la République fédérale allemande, de Belgique et d'Italie ne comportent pas de dispositif analogue à l'« état d'urgence ».

1. Définitions

Parmi les textes qui déterminent un régime propre à un équivalent de l'état d'urgence :

- la Constitution espagnole ne donne pas de définition des circonstances dans lesquelles il est loisible d'avoir recours à celui-ci, s'en tenant à fixer les règles intangibles de ce régime. La loi organique précise que le recours à l'« état d'exception » suppose que « le libre exercice des droits et des libertés des citoyens, le fonctionnement normal des institutions démocratiques et des services publics essentiels à la communauté ou tout autre aspect de l'ordre public sont si gravement altérés que l'exercice des compétences de droit commun ne serait pas suffisant pour le rétablir et le maintenir » ;

- la Constitution portugaise vise les cas d'agression de forces étrangères, réelle ou imminente, de menace grave ou de perturbation de l'ordre constitutionnel démocratique ou de calamité publique, qui ne justifient cependant par la proclamation de l'« état de siège » du fait de leur « moindre gravité » et confère aux autorités compétence pour prendre des mesures propres à assurer le retour rapide au fonctionnement ordinaire des institutions ;

- au Royaume-Uni , une loi de 2004 permet l'adoption par l'exécutif de mesures d'urgence afin de faire face à une crise et lui confère à cette fin, sous le contrôle du Parlement, des pouvoirs renforcés susceptibles de limiter certains droits fondamentaux. Ces mesures ont notamment pour objet de protéger les personnes et les biens et de rétablir l'activité des organes parlementaires.

En Allemagne , la législation ordinaire fait référence à la notion de « péril en la demeure » (Gefahr im Verzug) , susceptible de justifier, dans les bornes prévues par la loi, la limitation de droits fondamentaux. Le seul régime de crise qui permet la limitation d'une liberté publique est l'« état de tension » au cours duquel les pouvoirs publics peuvent limiter l'exercice du droit à choisir une profession en astreignant des citoyens à rendre un service civil ou militaire.

Bien qu'il n'existe pas de régime d'« état d'urgence » en Belgique , l'exécutif peut exercer des pouvoirs extraordinaires, sous réserve de l'adoption d'une loi d'habilitation, en cas de circonstances exceptionnelles. La loi fixe la durée de ces circonstances, les matières concernées, les objectifs et la portée de ces mesures. Toutefois, ces mesures ne sauraient suspendre l'application des dispositions relatives aux droits fondamentaux reconnus par la Constitution, ce qui les distingue de la notion d'état d'urgence.

L'article 13 de la Constitution italienne , qui ne connaît pas de dispositif analogue à l'état d'urgence au sens du droit français, dispose toutefois que « Dans des cas exceptionnels de nécessité et d'urgence, formellement indiqués pas la loi, l'autorité chargée de la sécurité publique peut adopter des mesures provisoires, qui doivent être communiquées dans les quarante-huit heures à l'autorité judiciaire, lesquelles sont révoquées et privées d'effets si cette autorité ne les approuve pas dans les quarante-huit heures qui suivent ».

2. Conditions générales applicables aux équivalents de l'« état d'urgence »

La nécessité et le caractère proportionnel des mesures ainsi que l'obligation de motiver et le caractère temporaire sont les maîtres-mots du régime applicable aux actes pris dans le cadre de l'état d'urgence.

• Nécessité

Les mesures prises et la durée de celles-ci doivent être strictement indispensables pour assurer le retour de la situation à la normale en Espagne, au Portugal comme au Royaume-Uni.

• Proportionnalité

Ces mesures doivent être proportionnées aux circonstances aussi bien en Espagne qu'au Portugal, où la déclaration d'« état d'urgence » et ses mesures d'exécution respectent le principe de proportionnalité.

• Motivation

La déclaration d'« état d'urgence » doit être motivée de façon appropriée au Portugal et au Royaume-Uni.

• Caractère temporaire

L'état d'urgence ou son équivalent sont limités à :

- sept jours à compter de la date de dépôt au Parlement du contenu des mesures d'urgence, sous réserve de l'accord de celui-ci pour les mesures adoptées au Royaume-Uni et au plus trente jours à compter de la même date ;

- quinze jours renouvelables sous les mêmes conditions que celles requises pour l'institution initiale du régime au Portugal ;

- et trente jours renouvelables sous des conditions identiques à celles requises pour l'institution initiale du régime en Espagne.

• Non-discrimination

La loi organique portugaise prévoit en outre explicitement que les mesures prises en matière de suspension des droits, libertés et garanties doivent respecter les principes d'égalité et de non-discrimination.

3. Nécessité de l'assentiment du Parlement

Laissée à l'initiative de l'exécutif, la demande de proclamation de l'état d'urgence suppose une autorisation du Parlement pour pouvoir entrer en vigueur, que celle-ci soit préalable à la décision, comme en Espagne ou au Portugal, ou rendue dans un délai de sept jours, comme au Royaume-Uni.

• Une initiative de l'exécutif soumise à l'approbation du Parlement

Au Royaume-Uni, quelques autorités appartenant à l'exécutif, dont la liste est fixée par la loi, peuvent recourir à des mesures d'urgence qui prennent effet dès leur présentation au Parlement et deviennent caduques si les deux chambres de celui-ci adoptent une résolution en ce sens ou si elles ne les approuvent pas dans les sept jours.

• Auteur et contenu de la demande adressée au Parlement

Une demande est adressée par :

- le Gouvernement au Congrès des députés en Espagne, qui y détaille, d'une part, les effets de l'« état d'exception » en mentionnant expressément les droits et libertés dont la suspension est demandée dans le cadre de la liste limitative fixée par l'article 55 de la Constitution et, d'autre part, les mesures à adopter concernant les droits dont la suspension est spécifiquement demandée ;

- et le Président à l'Assemblée de la République au Portugal, dont le message contient, tout d'abord, la demande d'autorisation de déclarer l'« état d'urgence », ensuite la mention de l'audition du Gouvernement et enfin la réponse du Gouvernement consulté.

Au Royaume-Uni, un ministre communique, dès que possible, aux deux chambres du Parlement britannique le contenu des mesures d'urgence qui ont été prises, lesquelles sont caduques si le Parlement ne les approuve pas dans les sept jours.

• Détermination du périmètre des droits et libertés susceptibles d'être suspendus

La Constitution ou la loi limitent le champ des droits fondamentaux dont l'application peut être suspendue.

Au Portugal, la Constitution prévoit que la déclaration d'état d'urgence précise la liste des droits, libertés et garanties dont l'exercice est suspendu sans porter préjudice au droit à la vie, à l'intégrité ou à l'identité des personnes, à la capacité civile, à la citoyenneté ou à la non-rétroactivité de la loi pénale, aux droits de la défense des personnes poursuivies ou à la liberté de conscience et de religion. Le décret présidentiel déclarant l'« état d'urgence » ne peut par conséquent prévoir qu'une suspension partielle des droits, libertés et garanties.

En Espagne, la Constitution elle-même dresse une liste des droits et libertés susceptibles d'être suspendus, à savoir :

- la liberté, la sécurité et la limitation de la garde à vue au temps strictement nécessaire pour la réalisation des vérifications nécessaires ;

- la procédure d' habeas corpus (droit pour une personne détenue illégalement d'être présentée au juge immédiatement) et la durée maximum du placement en détention provisoire ;

- l'inviolabilité du domicile ;

- le secret des communications, sauf décision judiciaire ;

- le droit de choisir sa résidence, de circuler sur le territoire, d'y entrer et d'en sortir ;

- le droit d'exprimer et de diffuser librement sa pensée, ses idées et ses opinions ;

- le droit de communiquer et de recevoir librement une information authentique par tout moyen de diffusion ;

- la nécessité d'une décision judiciaire pour saisir des publications, enregistrements et moyens d'information ;

- le droit de se réunir, pacifiquement ;

- ainsi que le droit de grève et celui d'utiliser des moyens adaptés dans le cadre des conflits collectifs du travail.

• Saisine immédiate du Parlement

L'Assemblée de la République portugaise est convoquée sans délai, pour statuer sur la demande du Président de la République.

Au Royaume-Uni, les mesures d'urgences sont applicables à compter de leur dépôt au Parlement et dans les sept jours suivant celui-ci.

• Contenu de l'autorisation parlementaire

Si le Congrès des députés espagnol peut, lorsqu'il débat de la demande, l'approuver dans les termes qu'il détermine et y introduire des modifications, l'Assemblée de la République portugaise ne peut déposer d'amendement ni formuler de conditions lorsqu'elle autorise l'instauration de l'« état d'urgence » au Portugal. Cette chambre adopte une résolution contenant la description détaillée de l'ampleur de l'autorisation et faisant référence à chacun des éléments que doit contenir le décret présidentiel d'instauration.

Au Portugal, la loi organique précise que le refus de confirmer l'autorisation de la commission permanente n'entraîne pas l'invalidité des actes qui ont été pris sur la base du décret portant instauration de l'« état d'urgence ».

• Nature de l'acte portant proclamation de l'état d'urgence

L'acte portant proclamation de l'état d'urgence procède :

- en Espagne, d'un décret en Conseil des ministres qui en précise les effets, le champ d'application territorial et la durée, lequel est pris après autorisation du Congrès des députés ;

- au Portugal d'un décret du Président de la République, pris après consultation du Gouvernement et approbation du Parlement, sans contreseing ministériel.

• Contenu de l'acte portant proclamation de l'état d'urgence

Au Portugal, le décret présidentiel déclarant l'« état d'urgence » :

- ne peut prévoir qu'une suspension partielle des droits, libertés et garanties ;

- prévoit si nécessaire le renforcement des pouvoirs des autorités administratives civiles et l'appui que leur prêtent les forces armées.

Ce décret contient de façon « claire » et « expresse » :

- la désignation et le fondement du recours à l'« état d'urgence » ;

- son champ d'application territorial ;

- sa durée ;

- les droits, libertés et garanties dont l'exercice est suspendu ou restreint ;

- le degré de renforcement des pouvoirs des autorités administratives civiles et l'appui que leur apportent les forces armées ;

- une référence au fait que ces mesures sont justifiées conformément aux dispositions de la Constitution qui déterminent les trois cas dans lesquels un régime de crise peut être instauré ;

- et les conséquences qu'ont ou pourraient avoir ces événements sur l'atteinte portée au fonctionnement normal des institutions.

4. Effets

On distinguera les effets de l'état d'urgence :

- sur les libertés publiques ;

- et sur le fonctionnement des institutions.

a) Effets sur les libertés publiques

L'état d'urgence et ses équivalents permettent une suspension momentanée de l'application :

- de certains « droit et libertés » en Espagne ;

- de certains « droits, libertés et garanties » au Portugal ;

- de diverses libertés au Royaume-Uni.

• Les restrictions des libertés publiques résultant des équivalents de l'« état d'urgence »

La suspension des libertés publiques peut concerner :

- la liberté individuelle et le droit des étrangers ;

- le droit de propriété ;

- la liberté de réunion ;

- le droit de grève ;

- la liberté d'aller et venir ;

- l'inviolabilité du domicile et les perquisitions ;

- le droit de propriété ;

- la liberté du commerce et de l'industrie ;

- et la liberté d'expression et de communication ;

Suspension de la liberté individuelle

L'autorité administrative peut détenir une personne qui s'apprête à porter atteinte à l'ordre public dix jours au plus en vertu de la loi organique en Espagne.

La préservation des droits de cette personne est prévue par :

- son information sans délai et de manière compréhensible des raisons de sa détention, sans qu'elle soit obligée de faire une déclaration, un avocat lui étant garanti (Espagne) ;

- la communication de cette détention au juge compétent dans les vingt-quatre heures, celui-ci pouvant à tout moment demander des informations, d'office ou par l'intermédiaire d'un juge délégué du lieu où se trouve le détenu (Espagne).

Le droit espagnol soumet les étrangers à un régime plus strict encore puisqu'ils sont :

- tenus de répondre, sous l'empire de l'« état d'exception », aux citations à comparaître lorsqu'ils en sont requis et à respecter les règles relatives au permis de résidence et aux documents d'inscription consulaire, ainsi que toute autre formalité ;

- susceptibles d'être expulsés, aux termes d'une décision motivée, s'ils contreviennent aux mesures prises ou agissent de connivence avec des personnes qui perturbent l'ordre public sauf s'ils s'apprêtent à commettre un délit, auquel cas ils sont soumis aux procédures judiciaires en vigueur, tandis que les apatrides et réfugiés dont l'expulsion n'est pas possible sont soumis au régime applicable aux Espagnols.

Limitation du droit de propriété

La loi britannique ouvre la possibilité de :

- procéder à la réquisition ou la confiscation d'un bien, avec ou sans compensation ;

- et détruire un bien avec ou sans compensation.

Limitation de la liberté de réunion

La liberté de réunion peut être suspendue du fait :

- de restrictions partielles (autorisation préalable) ou totales (interdiction, dissolution), qui ne sauraient toutefois concerner les réunions organisées par les partis politiques, les syndicats et les organisations patronales (Espagne) ;

- de l'intervention d'agents publics mandatés par l'autorité administrative dans des locaux où ont lieu des réunions, hormis le cas de flagrant délit (Espagne).

Le régime portugais ne précise pas la nature des mesures exceptionnelles susceptibles d'être prises mais indique que les réunions des organes statutaires des partis politiques, des syndicats et des associations professionnelles ne peuvent être interdites, dissoutes ou subordonnées à une autorisation préalable.

La loi britannique permet quant à elle de soumettre les rassemblements à autorisation et de les interdire.

Limitation du droit de grève

La Constitution espagnole prévoit explicitement que l'autorité administrative peut interdire la grève et les actions liées aux conflits collectifs du travail.

Limitation de la liberté d'aller et venir

La loi organique espagnole dispose également que la liberté d'aller et venir peut être limitée par :

- l'interdiction de circuler faite aux personnes et véhicules à certaines heures et dans certains lieux ;

- l'obligation d'attester son identité et de suivre un itinéraire ;

- la fixation de périmètres de protection ou de sécurité et les conditions de séjour dans ceux-ci des personnes qui peuvent entraver l'action de la force publique ;

- l'obligation de communiquer, avec un préavis de deux jours, tout déplacement hors de la localité où une personne a sa résidence habituelle ;

- la faculté donnée à l'autorité administrative de prévoir le déplacement de certaines personnes hors d'une localité ;

- le pouvoir conféré à la même autorité d'assigner provisoirement une personne à résidence dans une localité donnée, adaptée à sa situation personnelle ;

- en cas de mesures d'assignation à domicile ou d'interdiction de se déplacer, l'obligation faite à l'autorité administrative de prendre les mesures qui en découlent (voyages, logements, entretien des personnes concernées...).

La loi portugaise prévoit, quant à elle, que des restrictions d'aller et venir faites aux personnes et les limitations à la circulation des véhicules peuvent être édictées. Les autorités doivent faire en sorte que ces mesures tendent à atteindre le but fixé dans la déclaration d'« état d'urgence », en particulier en ce qui concerne le transport, le logement et l'entretien des citoyens qui en sont l'objet.

La loi britannique ouvre la possibilité :

- d'interdire la circulation d'un lieu à un autre ;

- de fixer un itinéraire obligatoire ;

- et de prohiber des voyages à des périodes données.

Inviolabilité du domicile et droit d'effectuer des perquisitions

La protection du domicile peut être suspendue, ce qui permet :

- d'effectuer des inspections et des perquisitions domiciliaires nécessaires pour faire la lumière sur des faits présumés délictueux et pour la préservation de l'ordre public, sous réserve de la participation de témoins qui peuvent être requis à cet effet et de l'établissement d'un procès-verbal communiqué à l'autorité judiciaire (Espagne) ;

- de limiter les formalités relatives aux perquisitions domiciliaires et aux autres moyens de preuve mis en oeuvre à l'établissement, en présence de deux témoins, d'un procès-verbal, lequel est communiqué au juge d'instruction, accompagné d'une information concernant les motifs et le résultat de ces opérations (Portugal).

Saisie d'armes

La loi organique espagnole permet explicitement à l'autorité administrative de saisir tout type d'armes, de munitions ou de substances explosives.

Contrôle de certaines activités

Du fait de l'état d'urgence, l'autorité administrative peut :

- ordonner l'intervention ou la supervision temporaire des industries et commerces susceptibles de menacer ou faciliter une menace à l'ordre public en rendant compte à tous les ministères concernés (Espagne) ;

- ordonner la fermeture préalable des salles de spectacle, des débits de boisson et des locaux du même type (Espagne) ;

- suspendre la diffusion de tout type de publications, d'émissions de radiodiffusion et de télévision, ainsi que des spectacles de cinéma et de théâtre (Espagne et Portugal).

La loi britannique permet, quant à elle, d'interdire certaines activités, sans autre précision.

Contrôle des transports

L'autorité administrative espagnole peut, en vertu de la loi organique, contrôler tous les moyens de transport et leur cargaison.

Contrôle des communications

L'autorité administrative a la faculté, en Espagne, en vertu de la loi organique, de :

- contrôler tout type de communications (postales, télégraphiques, téléphoniques...) pour mettre en lumière des faits présumés délictueux ou préserver l'ordre public, le juge compétent étant immédiatement informé de ce contrôle ;

- ordonner la saisie des publications, sans pouvoir exercer de censure préalable (Espagne et Portugal).

Mesures de surveillance et de protection

L'autorité administrative espagnole peut, en vertu de la loi organique, ordonner les mesures de surveillance et de protection des édifices, installations, ouvrages, services publics et industries de tout type, notamment en instaurant une surveillance armée appropriée.

b) Effets sur le fonctionnement des institutions

• Réunion du Parlement et d'instances appartenant aux pouvoirs publics

La Constitution prévoit la réunion du Parlement :

- en Espagne hors session, les deux chambres du Parlement (Congrès des députés et Sénat) étant immédiatement réunies ;

- au Portugal, sur convocation de la commission permanente de l'assemblée de la République qui rend une première décision sur la demande du Président de la République, laquelle permet de mettre en oeuvre l'état d'urgence dans l'attente de la réunion plénière de cette assemblée.

En Espagne, la Constitution dispose que la députation permanente 8 ( * ) du Congrès des députés exerce les compétences de celui-ci s'il a été dissous ou si son mandat a expiré.

La Constitution portugaise prévoit, en outre, la réunion, pendant la durée de l'état d'urgence :

- du conseil supérieur de la défense nationale lorsque l'ensemble du territoire national est concerné ;

- des services du procureur général de la République ;

- et des services de l'équivalent du médiateur de la République français.

• Interdiction de la dissolution du Parlement

La Constitution prohibe la dissolution :

- du Congrès des députés espagnol durant l'application de l'« état d'alerte » ;

- de l'Assemblée de la République portugaise dans le cadre de l'« état d'urgence ».

• Dispositions relatives au fonctionnement des institutions

La Constitution précise en ce qui concerne la marche des institutions que :

- ni le fonctionnement du Congrès des députés ni les autres pouvoirs constitutionnels de l'État espagnol ne s'interrompent (Espagne) ;

- la proclamation de l'équivalent de l'« état d'urgence » ne porte pas atteinte au principe de responsabilité du Gouvernement établi par la Constitution (Espagne) ;

- les lois qui déterminent le régime de l'« état d'urgence » fixent les conditions dans lesquelles les forces armées sont utilisées à cette occasion (Portugal).

La loi britannique permet une modification de la répartition des compétences en autorisant l'exécutif à :

- ne pas appliquer ou modifier une loi ou une disposition prise en vertu d'une loi ;

- exiger d'une personne ou d'un organisme qu'il agisse dans l'exercice de ses fonctions ;

- attribuer une compétence à un tribunal ;

- prendre des dispositions relatives aux eaux territoriales, aux zones de pêche britanniques ou au plateau continental.

• Prohibition de toute révision constitutionnelle

La Constitution interdit :

- toute révision constitutionnelle sous l'empire de l'« état d'exception » en Espagne et de l'« état d'urgence » au Portugal ;

- toute modification des dispositions de la Constitution relatives au régime de l'état d'urgence lui-même dans le cadre des pouvoirs exceptionnels dont le Gouvernement est investi au Portugal, où l'assemblée bénéficie d'une compétence exclusive et absolue pour modifier ce régime d'exception (Portugal) ;

- toute modification du fonctionnement ordinaire de la Constitution, sans qu'il soit possible de déroger aux règles constitutionnelles applicables au fonctionnement des « organes de souveraineté » (Président de la République, Gouvernement, juges) ni à ceux qui gouvernent les régions autonomes, non plus que les droits et immunités des titulaires de ces fonctions (Portugal).

• Désignation de personnes chargées de la mise en oeuvre de l'état d'urgence

Le Gouvernement portugais a la faculté de désigner :

- les personnes qui coordonnent les mesures relatives à la déclaration d'« état d'urgence » sur le territoire métropolitain, ces mesures étant prises dans les régions autonomes (les Açores et Madère) par le représentant de la République qui coopère avec le gouvernement régional ;

- et, le cas échéant, des commissaires chargés d'assurer le fonctionnement des institutions et entreprises publiques et nationalisées et des autres entreprises dont l'importance s'avère vitale dans ces circonstances.

Le Gouvernement britannique peut, quant à lui, désigner des « coordinateurs d'urgence » pour les différentes parties du Royaume et des « coordinateurs régionaux » dans chaque région concernée par les mesures qu'il a édictées.

• Concertation avec les autorités locales

Si la déclaration d'« état d'urgence » concerne :

- les régions autonomes, l'Assemblée de la République en consulte les gouvernements de la façon la plus rapide et la plus appropriée compte tenu des circonstances (Portugal) ;

- exclusivement tout ou partie du territoire d'une communauté autonome, l'autorité administrative peut coordonner l'exercice de ses compétences avec le gouvernement de cette communauté (Espagne).

5. Modification, renouvellement, cessation

• Modification

La procédure de modification est asymétrique :

- en Espagne puisque si le Gouvernement souhaite y adopter des mesures autres que celles autorisées par le Congrès des députés, il présente à celui-ci une nouvelle demande, dans les conditions applicables à la demande initiale, et que s'il estime souhaitable de mettre fin à l'« état d'exception » avant le terme initialement prévu, il en informe le Congrès des députés ;

- et au Portugal, où les mesures initiales peuvent être renouvelées ou étendues dans des conditions analogues à celles prévues pour leur instauration et réduites par décret du Président de la République soumis au contreseing du Gouvernement, sans que celui-ci ne soit consulté ni que l'Assemblée de la République ne doive donner une autorisation ou une confirmation.

• Durée de la prorogation

L'état d'urgence peut être prorogé :

- tout au plus trente jours en Espagne sous réserve de l'autorisation du Congrès des députés ;

- pour quinze jours renouvelables sous les mêmes conditions que celles requises pour l'institution initiale du régime au Portugal.

6. Contrôles de la mise en oeuvre, contentieux et sanctions pénales

• Information du Parlement et contrôle qu'il exerce

La Constitution portugaise fait référence au contrôle parlementaire de l'état d'urgence puisque :

- durant la période où l'« état d'urgence » est en vigueur, le Gouvernement est tenu d'informer de son action le Président de la République et l'assemblée monocamérale ;

- dans les quinze jours suivant la cessation de l'« état d'urgence », et dans les quinze jours suivant chaque renouvellement, le Gouvernement remet à l'Assemblée de la République un rapport détaillé sur les mesures prises sous l'empire de l'« état d'urgence ». L'Assemblée, ou sa commission permanente, statue par une résolution relative aux mesures nécessaires pour mettre en cause la responsabilité civile ou pénale en cas de violation des dispositions du décret relatif à l'« état d'urgence ». Les décisions de la commission permanente sur ce sujet doivent être confirmées par l'Assemblée dès que possible.

• Contrôle juridictionnel des atteintes aux droits individuels

Les actes de l'administration pris durant la période où l'« état d'exception » est en vigueur sont susceptibles de recours juridictionnel dans les conditions de droit commun (Espagne).

Les personnes qui subissent des dommages du fait de l'« état d'exception » au titre d'actes qui ne leur sont pas imputables ont droit à indemnisation (Espagne).

Au Portugal, les juges d'instruction doivent recevoir communication, dans les vingt-quatre heures, de toutes les assignations à résidence et de toutes les détentions de personnes consécutives à la violation des règles de sécurité en vigueur pendant l'état d'urgence, dans le respect du droit à l' habeas corpus .

• Contentieux des atteintes aux droits individuels

Durant la période pendant laquelle l'« état d'urgence » est en vigueur, les citoyens conservent, dans sa plénitude, la faculté d'intenter des recours devant les tribunaux dans les conditions de droit commun, pour la défense de leurs droits, libertés et garanties lésés ou menacés par toute disposition contraire à la Constitution ou à la loi (Portugal).

Sous réserve des termes de la déclaration d'« état d'urgence », les tribunaux de droit commun exercent, sous l'empire de l'« état d'urgence », leurs compétences. Ils veillent au respect des règles constitutionnelles (Portugal).

Les citoyens dont les droits, libertés et garanties viendraient à être violés du fait d'une mesure résultant de l'état d'urgence ou d'une décision qui en découle, laquelle contrevient à la loi ou à la Constitution, peuvent obtenir une indemnisation dans les conditions du droit commun (Portugal).

• Dispositions relatives aux sanctions pénales

Si un juge constate, durant la période où s'applique l'« état d'exception », des faits contraires à l'ordre public et à la sécurité, il peut, après avoir entendu le Parquet, placer le responsable en détention provisoire jusqu'à la fin de l'« état d'exception ». Les condamnés dans une telle affaire ne peuvent bénéficier de la remise conditionnelle durant la période d'« état d'exception » (Espagne).

Au Portugal, la violation des dispositions contenues dans la déclaration d'« état d'urgence » constitue une infraction pénale.

Le montant maximum des sanctions pécuniaires que les autorités administratives sont autorisées à infliger aux contrevenants est précisé dans la demande initiale soumise au Congrès des députés espagnols.

Au Royaume-Uni, l'exécutif a la faculté d'instituer une infraction pour non-respect de ou obstruction aux mesures qu'il a ordonnées.

Les sanctions prononcées par les autorités chargées de la mise en oeuvre de l'« état d'exception » disparaissent au terme de celui-ci, hormis celles devenues définitives (Espagne).

MONOGRAPHIES PAR PAYS
ALLEMAGNE

Les régimes applicables aux circonstances exceptionnelles visés par la Loi fondamentale n'entraînant pas d'extension des pouvoirs de l'autorité administrative, il n'existe pas en Allemagne de texte législatif instituant un régime spécifique analogue à l'« état d'urgence » au sens de la loi française n° 55-385 du 3 avril 1955.

On présentera par conséquent l'économie générale des dispositions en vigueur en examinant successivement :

- le régime général applicable, en dehors de toute habilitation législative, à la limitation des droits fondamentaux ;

- et les dispositions constitutionnelles applicables aux situations exceptionnelles.

• Le régime général applicable, en dehors de toute habilitation législative, et la notion de « péril en la demeure » (Gefahr im Verzug)

Les droits fondamentaux ne peuvent être limités par la loi que si une disposition de la Loi fondamentale le permet ou si cette limitation est une conséquence d'un conflit entre des droits fondamentaux.

Ainsi la défense de l'ordre constitutionnel libéral et démocratique et une menace contre l'existence ou la sécurité de la Fédération ou d'un Land justifient la limitation du secret des correspondances, de la poste et des télécommunications (article 10) et celle de la liberté de circulation et d'établissement (article 11).

Certaines circonstances peuvent justifier la limitation d'autres droits fondamentaux. S'agissant de l'inviolabilité du domicile (article 13 I), l'article 13 II de la Loi fondamentale prévoit que des perquisitions ne peuvent être ordonnées que par le juge ou, s'il existe un « péril en la demeure » (Gefahr im Verzug) , par les autres organes prévus par la loi, dans la forme qu'elle prescrit.

Les articles 102 et 104 du code de procédure pénale instituent, quant à eux, une limitation de l'inviolabilité du domicile en permettant de procéder à une perquisition, le cas échéant pendant la nuit, chez une personne suspectée d'avoir commis un fait pénalement réprimé en cas de « péril en la demeure ».

L'existence de la notion de « péril en la demeure » pourrait expliquer l'absence de régime particulier d'« état d'urgence », toutes les dispositions de la procédure pénale et du « droit policier » (Polizei- und Ordnungsrecht) utilisant la notion de « péril en la demeure ».

• Les dispositions constitutionnelles applicables aux situations exceptionnelles

Quatre régimes -qui n'ont, du reste, jamais été mis en oeuvre en Allemagne- sont prévus par la Loi fondamentale. Ils concernent :

- les dispositions relatives à tout état de « crise intérieure » (articles 91, et 87a IV) ;

- l'« état de tension » (Spannungsfall) (articles 80a et 87a III) ;

- l'« état de défense » (Verteidigungsfall) (articles 12a III - VI, 53 a, 87a III, 96, et 115a - l) ;

- et l'« état de résistance » (article 20 IV).

S'y ajoute le régime de l'« entraide judiciaire et administrative et de l'aide en cas de catastrophe » (article 35 II).

Dispositions relatives à l'état de « crise intérieure » (articles 91 et 87a IV)

L'article 91 de la Loi fondamentale prévoit que « pour combattre un danger menaçant l'existence ou l'ordre constitutionnel libéral et démocratique de la Fédération ou d'un Land , un Land peut requérir des forces de police d'autres Länder ainsi que des forces et équipements d'autres administrations et [de la police fédérale] » 9 ( * ) . En outre, « si le Land où le danger menace n'est pas lui-même prêt à, ou en mesure de, combattre ce danger, le Gouvernement fédéral peut soumettre à ses instructions la police de ce Land et les forces de police d'autres Länder » 10 ( * ) . Cette décision doit être rapportée :

- lorsque le danger a disparu ;

- et à la demande du Bundestag , à tout moment.

L'« état de tension » (Spannungsfall) , (articles 80a et 87a III)

Aux termes de l'article 80a du même texte, si le Bundestag constate la survenance de l'« état de tension » à la majorité des deux-tiers des suffrages exprimés, il est possible de limiter le droit fondamental que constitue la liberté en vertu de laquelle « tous les Allemands ont le droit de choisir librement leur profession ». Les pouvoirs publics peuvent par conséquent contraindre une personne à accomplir un service civil ou militaire (articles 12 et 12a III - VI).

L'« état de défense » (Verteidigungsfall) , (articles 12a III - VI, 53 a, 87a III, 96, et 115a - l)

Aux termes de l'article 115a de la Loi fondamentale, « il appartient au Bundestag , avec l'approbation du Bundesrat , de déclarer que le territoire fédéral fait l'objet d'une agression armée, ou qu'une telle agression est imminente. La déclaration est faite à la demande du Gouvernement fédéral et requiert la majorité des deux tiers des voix exprimées correspondant à au moins la moitié des membres composant le Bundestag » 11 ( * ) (article 80a).

Sous l'empire du régime de l'« état de défense », la liberté de choix d'une profession peut être limitée par les pouvoirs publics dans des conditions analogues à celles applicables à l'« état de tension » évoquées supra (articles 12a III - VI).

L'« état de défense » entraîne une modification du régime applicable :

- à la répartition des compétences législatives entre Fédération et Länder (article 115c) ;

- au processus législatif (articles 115d et 115e) ;

- et aux compétences de la police fédérale (article 115f).

En outre, la reconnaissance de l'« état de défense » :

- permet aux autorités de la Fédération d'adresser des injonctions aux Länder (article 115f) ;

- prolonge la durée des pouvoirs des assemblées électives (article 115h) ;

- et étend les compétences des gouvernements des Länder dans le champ de celles dévolues à la Fédération (article 115i).

Dispositions relatives à un état « de résistance » (article 20 IV)

Aux termes de l'article 20 IV de la Loi fondamentale, « Tous les Allemands ont le droit de résister à quiconque entreprendrait de renverser [l'ordre étatique] s'il n'y a pas d'autre remède possible » 12 ( * ) .

Dispositions relatives à l'« entraide judiciaire et administrative » et à l'« aide en cas de catastrophe » (article 35 II)

L'article 35 II s'applique, quant à lui, aux catastrophes, y compris les catastrophes naturelles et les accidents particulièrement graves, en vue de maintenir ou de restaurer la sécurité ou l'ordre publics en cas de circonstances « exceptionnelles » (in Fällen von besonderer Bedeutung) . Il permet à un Land de demander le soutien des forces de police fédérales si, faute de cette assistance, la police ne peut pas accomplir une de ses missions ou ne le pourrait qu'au prix de grandes difficultés. Ce régime, qui suppose l'existence de circonstances « exceptionnelles », est cependant utilisé assez fréquemment, par exemple pour la protection de la sécurité publique à l'occasion des grands événements.

BELGIQUE

On examinera :

- les dispositions constitutionnelles ;

- et les mesures annoncées par le Gouvernement fédéral belge à la suite des attentats de 2015 en France.

1. Principe constitutionnel

Il n'existe pas, dans la Constitution belge, de disposition analogue au régime de l'état d'urgence 13 ( * ) , tel qu'il résulte de la loi française n°55-385 du 3 avril 1955. L'article 187 de ce texte prévoit au contraire que « la Constitution ne peut être suspendue en tout ni en partie » .

Toutefois, en vertu de l'article 105 du même texte, « Le Roi n'a d'autres pouvoirs que ceux que lui attribuent formellement la Constitution et les lois particulières portées [sic] en vertu de la Constitution même » . Les pouvoirs spéciaux ou extraordinaires sont par conséquent mis en oeuvre en vertu d' « arrêtés réglementaires par lesquels le pouvoir exécutif a pu intervenir dans la sphère législative dans des circonstances particulières et sur la base de lois d'habilitation spécifiques » 14 ( * ) .

Les lois relatives aux pouvoirs spéciaux constituent « une catégorie particulière de lois d'habilitation par lesquelles le législateur fédéral, en raison de circonstances exceptionnelles (crise économique, difficultés budgétaires, nécessité d'agir avec promptitude), autorise temporairement le Roi à régler par arrêtés royaux délibérés en Conseil des ministres des matières jusqu'alors réglées par le législateur, en énonçant les objectifs que ces arrêtés devront poursuivre [...] . Pour que la loi de pouvoirs spéciaux soit compatible avec l'ensemble des règles constitutionnelles qui régissent les rapports entre les Pouvoirs législatif et exécutif, il faut qu'elle réponde aux conditions suivantes :

- des circonstances exceptionnelles doivent justifier l'habilitation ;

- la durée de l'habilitation doit être alignée sur la durée de ces circonstances ;

- les matières attribuées doivent être déterminées avec précision ;

- les finalités et les objectifs à poursuivre doivent être clairement énoncés ;

- la portée précise des mesures que le Roi est habilité à prendre doit être indiquée » 15 ( * ) .

2. Les mesures annoncées par le Gouvernement belge à la suite des attentats commis en France

À la suite des attentats commis en janvier et novembre 2015 en France, le Gouvernement belge a annoncé une série de mesures dont certains traits s'apparentent à l'état d'urgence 16 ( * ) . Douze ont été rendues publiques en janvier 2015 et dix-huit en novembre de la même année.

a) Bilan des douze mesures contre le radicalisme et le djihadisme annoncées en janvier 2015

Lors d'une séance de questions orales devant la commission de l'Intérieur, des Affaires générales et de la Fonction publique de la Chambre des Représentants, le 26 janvier 2016, le Premier ministre belge, M. Charles Michel, a fait le point sur l'état de mise en oeuvre de douze mesures annoncées en janvier 2015, à savoir :

- l'extension des infractions terroristes et l'adaptation de la législation pour une sanction plus effective, par l'insertion d'une nouvelle infraction terroriste relative au déplacement à l'étranger à des fins terroristes dans le code pénal, observant à ce titre qu' « une nouvelle infraction, qui vise spécifiquement les voyages vers l'étranger ou vers la Belgique en vue de commettre une infraction terroriste, a été insérée dans le Code pénal. Elle est entrée en vigueur depuis l'été » 17 ( * ) ;

- l'extension de la liste des infractions donnant lieu à l'utilisation des méthodes particulières de recherche (art. 90 ter du code d'instruction criminelle 18 ( * ) ), puisque « Les possibilités d'écoute et d'enregistrement des communications ont été élargies en cas de terrorisme » ;

- l'élargissement des possibilités de retrait de la nationalité, qui pourra être prononcé par le juge à la suite de certaines infractions et des crimes ayant trait au terrorisme et au radicalisme : « La déchéance de la nationalité belge peut être décidée par un juge en cas de condamnation pour terrorisme » ;

- le retrait temporaire de carte d'identité, le refus de délivrance et le retrait de passeports quand la personne concernée représente un risque pour l'ordre public et la sécurité, le ministre des Affaires étrangères pouvant d'ores et déjà ordonner le retrait de passeports, faculté qui sera élargie de sorte que le ministre de l'Intérieur puisse aussi ordonner le retrait de cartes d'identité, en accord avec le Parquet fédéral, pour éviter que les personnes concernées ne se rendent dans des pays dont l'accès est possible sans passeport. Munis d'une carte de substitution, les intéressés pourront continuer d'utiliser les fonctions nationales de la carte d'identité électronique. Le 26 janvier, le Premier ministre belge a indiqué que « le retrait des cartes d'identité et des passeports des candidats au djihad est désormais possible. Ce n'était pas le cas autrefois. Cette mesure est entrée en vigueur » ;

- le gel des avoirs nationaux grâce au mécanisme prévu par la loi pour identifier les personnes impliquées dans le financement du terrorisme puisque : « Le mécanisme prévu par la loi pour identifier les personnes impliquées dans le financement du terrorisme a été activé. Leurs avoirs pourront à l'avenir être gelés, ce qui n'était pas le cas autrefois » ;

- la révision de la circulaire sur les combattants étrangers (foreign fighters) du 25 septembre 2014 relative à la gestion de l'information et aux mesures de suivi concernant les combattants étrangers qui séjournent en Belgique par la simplification des structures actuelles, la répartition plus claire des tâches entre les services et la systématisation dans la façon dont s'opèrera le suivi. Le 26 janvier, le Premier ministre a précisé que : « La circulaire foreign fighters , relative à la gestion de l'information et aux mesures de suivi concernant les foreign fighters , a été adaptée et réformée. Elle a été présentée par les ministres de la Sécurité, de l'Intérieur et de la Justice au Gouvernement dès le mois d'août 2015 » ;

- l'optimisation de l'échange d'informations entre les autorités et les services administratifs et judiciaires ;

- la révision du plan « R » de 2005 contre la radicalisation, le Premier ministre ajoutant « Quant à la révision du plan contre la radicalisation qui date de 2005, les travaux ont commencé en collaboration avec les différents services et niveaux de pouvoir [sic] concernés » ;

- la lutte contre la radicalisation dans les prisons par une meilleure détection des détenus radicalisés et de ceux qui encouragent la radicalisation, ainsi que par la formation du personnel pénitentiaire et la collaboration avec les conseillers islamiques, le Premier ministre indiquant que « Le plan de lutte contre le radicalisme dans les prisons a été présenté par le ministre de la Justice et a été inséré dans le plan Justice. Le travail se poursuit pour le rendre encore plus opérationnel sur le terrain dans les prisons » ;

- la réforme des structures du renseignement et de la sécurité et la création d'un Conseil national de sécurité, constitué des membres du cabinet restreint 19 ( * ) et des ministres de la Défense et de la Justice. Celui-ci est « pleinement opérationnel [...] . Il s'est réuni à de très nombreuses reprises pour tenter de prendre les décisions qui s'imposaient » ;

- l'appel à l'armée pour assurer des missions spécifiques de surveillance puisque « L'armée peut dorénavant renforcer les efforts de police quand le niveau de la menace l'exige [...] » ;

- et enfin le renforcement de la capacité d'analyse de la sûreté de l'État. « L'OCAM [organe de coordination pour l'analyse de la menace] a commencé à mettre en place un registre dynamique pour ficher les terroristes [foreign fighters] de manière plus adaptée » .

Par ailleurs, « sur le plan budgétaire, en 2015, 200 millions d'euros ont été libérés pour renforcer les investissements et les équipements de sécurité [...] principalement [aux] unités spéciales. Des recrutements additionnels ont été décidés. Plusieurs dizaines d'agents ont déjà été engagés par la Sûreté de l'État, d'autres sont en cours de recrutement. Les patrouilles mixtes, en particulier avec la France, ont été renforcées dans les trains internationaux » . 20 ( * )

b) Les dix-huit mesures annoncées en novembre 2015

À la suite des attentats du 13 novembre 2015, le Premier ministre belge a prononcé un discours devant la Chambre des Représentants le 19 novembre, dans lequel il a présenté notamment dix-huit mesures décidées par le Gouvernement fédéral pour lutter contre le terrorisme :

- un effort budgétaire additionnel de 400 millions d'euros pour la sécurité et la lutte contre le terrorisme ;

- un renforcement des contrôles policiers aux frontières ;

- un déploiement de 520 militaires pour renforcer la sécurité ;

- une révision du code d'instruction criminelle pour étendre les méthodes particulières de recherche (voir supra ) notamment au trafic d'armes ;

- une révision de la Constitution (article 12) pour permettre une garde à vue de soixante-douze heures, au lieu de vingt-quatre heures actuellement, dans le cas d'actes de terrorisme ;

- la possibilité d'effectuer des perquisitions de jour comme de nuit pour les infractions terroristes et la fin de l'exception interdisant les perquisitions entre 21h et 5h du matin ;

- l'emprisonnement lors du retour en Belgique des combattants étrangers ;

- le port du bracelet électronique pour les personnes fichées par les services d'analyse de la menace ;

- l'enregistrement des données de tous les usagers des transports. Sans attendre le projet européen, la Belgique appliquera le contrôle systématique de l'enregistrement de tous les usagers des transports (avions et trains à grande vitesse) ;

- l'exclusion des prédicateurs de haine, une vérification (screening) devant être effectuée afin d'assigner à résidence, de priver de liberté ou d'expulser ceux qui prêchent la haine ;

- le démantèlement des lieux de culte non reconnus qui diffusent le djihadisme ;

- la fin de l'anonymat pour les cartes GSM prépayées ;

- la mise en place d'un « plan Molenbeek » de prévention et répression ;

- le renforcement des vérifications (screening) pour l'accès aux emplois sensibles ;

- l'extension du réseau de caméras de reconnaissance des plaques minéralogiques ;

- la fermeture des sites internet prêchant la haine ;

- l'évaluation en vue d'une adaptation des législations en lien avec l'état d'urgence et la possibilité de mesures temporaires et exceptionnelles garantissant la sécurité publique ;

- et enfin la participation sur la scène internationale à la lutte contre Daesh 21 ( * ) .

Interrogé lors d'une séance de questions devant la commission de l'Intérieur, des Affaires générales et de la Fonction publique du 26 janvier 2016 sur les « douze mesures pour lutter plus efficacement contre le terrorisme », le Premier ministre belge a précisé, s'agissant des dix-huit mesures décidées fin novembre, que « le processus d'adoption formelle a [vait] commencé pour la totalité d'entre elles » . « Trois avant-projets de loi ont déjà été approuvés par le Conseil des ministres, ils sont soumis à l'examen du Conseil d'État et devraient revenir au Parlement dès que le Conseil d'État aura remis un avis » . Ces projets concernent la formalisation des mesures relatives à l'enregistrement des données des passagers, la suppression de l'anonymat des cartes GSM prépayées, l'extension des heures de perquisitions en matière de terrorisme, les « méthodes particulières de recherche » et la mise en place d'une banque de données dynamique relative aux combattants étrangers. La proposition de révision de la Constitution en matière de garde à vue est en cours de discussion au Parlement. Les autres mesures « sont en cours de finalisation technique et juridique afin que les textes qui doivent l'être puissent être soumis au Parlement le plus rapidement possible » .

Interrogé lors de la même séance sur « le niveau d'alerte cinq », le Premier ministre a indiqué qu'il « p [ouvait] être nécessaire, dans certains cas et de manière cadrée au regard des principes fondamentaux, que le Gouvernement, pour une période limitée et sous le contrôle du Parlement, puisse prendre un certain nombre de mesures afin de garantir le renforcement de la sécurité publique » , ajoutant : « Pour tout vous dire, je ne suis pas très inspiré par le modèle français car je trouve qu'il va beaucoup trop loin. La notion de perquisition administrative est par exemple un modèle qui ne m'enthousiasme pas beaucoup. Je souhaite que le Gouvernement puisse poursuivre le travail entrepris depuis la fin de l'an dernier, c'est-à-dire tenter de voir de quelle manière on peut ajuster notre cadre législatif et réglementaire, s'il apparaît que c'est nécessaire, afin de réussir à conjuguer cette nécessité de garantir le droit à la sécurité dans un moment où nous sommes confrontés à de nouveaux types de menace, tout en garantissant ces droits fondamentaux et ces libertés personnelles qui nous tiennent à coeur » 22 ( * ) .

ESPAGNE

Le régime applicable résulte, en Espagne :

- de l'article 116 de la Constitution espagnole, qui détermine les principes généraux applicables à l'« état d'alerte », l'« état d'exception » et l'« état de siège » ;

- et de la loi organique n° 4 du 1 er juin 1981 sur l'« état d'alerte », l'« état d'exception » et l'« état de siège ».

A. LE CONTENU DES DISPOSITIONS CONSTITUTIONNELLES

Les régimes respectivement applicables à l'« état d'alerte » ( estado de alarma ), l'« état d'exception » ( estado de excepción ) et l'« état de siège » ( estado de sitio ) résultent des articles 116, 155 et 169 de la Constitution espagnole, qui distinguent :

- les grands traits qui caractérisent chacun de ces régimes ;

- et plusieurs dispositions générales relatives au fonctionnement des institutions.

• Les grands traits de chacun des trois régimes (article 116, paragraphes 1 à 4 de la Constitution)

Figurant au titre V relatif aux « Relations entre le Gouvernement et le Parlement », l'article 116 prévoit en premier lieu qu'une loi organique déterminera les règles applicables à l'« état d'alerte », à l'« état d'exception » et à l'« état de siège », et les limitations y afférentes.

Il précise que :

- l'« état d'exception » -qui est le plus analogue à l'état d'urgence- est déclaré par le Gouvernement, par décret en Conseil des ministres, après autorisation du Congrès des députés, laquelle en détermine les effets, le champ d'application territorial et la durée limitée à trente jours renouvelables dans les mêmes conditions (article 116-3) ;

- l'« état d'alerte », évoqué ici pour mémoire, est déclaré par le Gouvernement, par décret en Conseil des ministres, qui en détermine le champ d'application territorial, pour une durée limitée à quinze jours renouvelables, sous réserve de l'approbation du Congrès des députés, qui est informé et réuni lorsque le Gouvernement recourt à cette procédure (article 116-2) ;

- et l'« état de siège », qui est déclaré, sur proposition du seul Gouvernement, à la majorité absolue du Congrès des députés, qui en détermine le champ d'application territorial, la durée et les caractéristiques (condiciones) .

• Droits et libertés susceptibles d'être suspendus (article 55 de la Constitution)

L'article 55 de la Constitution dresse la liste des droits et libertés qui peuvent être suspendus en cas d'application de l'« état d'alerte », de l'« état d'exception » et de l'« état de siège ». Cette suspension peut concerner des principes qui relèvent du droit commun de la protection des libertés, à savoir :

- la préservation de la liberté et de la sécurité ainsi que la limitation de la garde à vue 23 ( * ) ( detención preventiva) au temps strictement nécessaire pour la réalisation des vérifications nécessaires à l'établissement des faits, dans la limite de soixante-douze heures, à l'issue duquel le détenu doit être présenté au juge (article 17, 1 et 2) ;

- l'institution par la loi, d'une part, d'une procédure d' habeas corpus pour mettre immédiatement à la disposition de la justice une personne détenue illégalement, et, d'autre part, le délai maximum de l'équivalent du placement en détention provisoire (prisión provisional) (article 17, 4) ;

- l'inviolabilité du domicile, dans lequel nul ne peut s'introduire sans le contentement de son occupant ou l'autorisation d'un juge, sauf en cas de flagrant délit (article 18, 2) ;

- le secret des communications, en particulier des communications postales, télégraphiques et téléphoniques, sauf décision judiciaire (article 18, 3) ;

- le droit de choisir sa résidence, de circuler sur le territoire, d'y entrer et d'en sortir (article 19) ;

- le droit d'exprimer et de diffuser librement sa pensée, ses idées et ses opinions par la parole, l'écrit et tout autre moyen de reproduction (article 20, 1, a) ;

- le droit de communiquer et de recevoir librement une information authentique (veraz) par tout moyen de diffusion (article 20, 1, d) ;

- la nécessité d'une décision judiciaire pour saisir des publications, des enregistrements et autres moyens d'information (article 20, 5) ;

- le droit de se réunir, pacifiquement et sans armes, sans autorisation préalable, et la limitation du refus d'autoriser des réunions dans des lieux publics aux cas d'atteinte à l'ordre public mettant en danger les personnes ou les biens (article 21) ;

- le droit de grève des travailleurs pour la défense de leurs intérêts (article 28, 2) ;

- et le droit des travailleurs et des entrepreneurs d'utiliser des moyens propres aux conflits collectifs (article 3,7 2).

On notera que l'article 55 de la Constitution prévoit qu'une loi organique peut déterminer les cas où, pour mettre en oeuvre les recherches relatives à des bandes armées ou terroristes, les droits suivants peuvent être suspendus, à savoir :

- la limitation de la détention préventive au temps strictement nécessaire à la réalisation des vérifications tendant à l'établissement des faits, dans la limite de 72 heures, à l'issue duquel le détenu doit être présenté au juge (article 17, 2) ;

- l'inviolabilité du domicile, dans lequel nul ne peut s'introduire sans le contentement de son occupant ou l'autorisation d'un juge, sauf en cas de flagrant délit (article 18, 2) ;

- le secret des communications, en particulier postales, télégraphiques et téléphoniques, sauf décision judiciaire (article 18, 3).

• Autres dispositions ayant trait aux états de crise (article 116, paragraphes 5, 6 et 169 de la Constitution)

La Constitution prévoit en outre que :

- le Congrès des députés ne peut être dissous lorsque l'« état d'alerte », l'« état d'exception » ou l'« état de siège » sont en vigueur ;

- hors session, les deux chambres du Parlement (Congrès des députés et Sénat) sont immédiatement réunies en cas de recours à l'un des trois régimes ;

- ni le fonctionnement du Congrès des députés ni les autres pouvoirs constitutionnels de l'État ne s'interrompent dans aucun des trois cas ;

- si le Congrès des députés a été dissous ou que son mandat a expiré, les compétences afférentes à l'« état d'alerte », à l'« état d'exception » et à l'« état de siège » sont exercées par sa députation permanente 24 ( * ) ;

- la proclamation de l'un de ces trois régimes ne porte pas préjudice au principe de responsabilité du Gouvernement tel qu'il résulte de la Constitution et de la législation ;

- aucune réforme constitutionnelle ne peut être engagée lorsque l'un des trois régimes considérés a été instauré (article 169).

B. LE RÉGIME APPLICABLE À L'« ÉTAT D'EXCEPTION »

Le régime applicable à l'« état d'urgence » résulte de la loi organique n° 4 du 1 er juin 1981 sur l'« état d'alerte », l'« état d'exception » et l'« état de siège ».

1. Modalités de déclaration

• Conditions requises

Rappel des conditions posées par la Constitution

La loi organique n° 4 du 1 er juin 1981 dispose que l'« état d'exception », qui est l'homologue de l'état d'urgence au sens du droit français :

- peut être proclamé « lorsque des circonstances exceptionnelles rendent impossible le maintien du cours normal de choses (normalidad) au moyen des compétences de droit commun (ordinarias) des autorités compétentes » (article 1, 1) ;

- n'a pas pour effet d'interrompre le fonctionnement ordinaire des pouvoirs constitutionnels de l'État (article 1, 4).

Conditions générales additionnelles

L'article 1 er de la loi organique précitée prévoit en outre que :

- les mesures prises et la durée de celles-ci doivent être strictement indispensables ( indispensables ) pour assurer le retour de la situation à la normale (article 1 er , 2) ;

- ces mesures doivent être proportionnées aux circonstances (article 1 er , 2) ;

- les compétences exceptionnelles des autorités chargées de la mise en oeuvre de l'« état d'exception » disparaissent au terme de celui-ci, hormis les sanctions définitives (sanctiones firmes) (article 1 er , 3).

Définition

Aux termes de l'article 13 de la loi organique précitée, le Gouvernement peut demander au Congrès des députés l'autorisation de déclarer l'« état d'exception » lorsque « le libre exercice des droits et des libertés des citoyens, le fonctionnement normal des institutions démocratiques et des services publics essentiels à la communauté ou tout autre aspect de l'ordre public sont si gravement altérés que l'exercice des compétences de droit commun ne serait pas suffisant pour le rétablir et le maintenir » (article 13, 1).

• Procédure

Autorités compétentes

Le Gouvernement remet au Congrès des députés une demande d'autorisation qui détaille :

- les effets de l'« état d'exception » en mentionnant expressément les droits et libertés dont la suspension est demandée, dans le cadre de la liste limitative fixée par l'article 55 de la Constitution ;

- les mesures à adopter concernant les droits dont la suspension est spécifiquement demandée ;

- le champ d'application territorial et la durée, dans la limite de trente jours, de l'« état d'exception » ;

- le montant maximum des sanctions pécuniaires que les autorités administratives ( autoridad gubernativa ) sont autorisées à infliger aux contrevenants (article 13, 2).

Le Congrès des députés débat de la demande, peut l'approuver dans les termes qu'il détermine et y introduire des modifications (article 13, 3).

La déclaration relative à l'« état d'exception » est publiée immédiatement à l'équivalent du Journal officiel et diffusée par tous les moyens de communication publics et privés, de même que les mesures prises ultérieurement par les autorités compétentes (article 2).

Lorsque la déclaration d'état d'urgence concerne exclusivement tout ou partie du territoire d'une communauté autonome, l'autorité administrative peut coordonner l'exercice de ses compétences avec le Gouvernement de cette communauté (article 31).

Mise en oeuvre

Le Gouvernement déclare l'« état d'exception » par un décret en Conseil des ministres, lequel contient l'autorisation du Congrès des députés (article 14).

Modification, renouvellement, cessation

Si le Gouvernement :

- souhaite adopter des mesures autres que celles autorisées par le Congrès des députés, il présente à celui-ci une nouvelle demande, dans les conditions applicables à la demande initiale (article 15, 1) ;

- désire mettre fin à l'« état d'exception » avant le terme initialement prévu, il en informe le Congrès des députés (article 15, 2) ;

- l'estime nécessaire, il peut demander au Congrès des députés la prorogation de l'« état d'exception » pour au plus trente jours (article 15, 3).

2. Restriction des libertés publiques résultant de l'« état d'exception »

Détention

Les autorités administratives pourront détenir, dix jours au plus, toute personne si elles l'estiment nécessaire pour la préservation de l'ordre public si des soupçons « fondés » existent sur le fait que cette personne s'apprête à porter atteinte à l'ordre public. Cependant, conformément à l'article 17, 3 de la Constitution, la personne est informée sans délai et de manière compréhensible des raisons de sa détention, sans qu'elle soit obligée de faire une déclaration, un avocat lui étant garanti (article 16, 1).

Durant la détention, qui est communiquée au juge compétent dans les vingt-quatre heures, celui-ci peut à tout moment demander des informations, d'office ou par l'intermédiaire d'un juge délégué (juez de instrucción) du lieu où se trouve le détenu.

Droit des étrangers

Les étrangers séjournant en Espagne sont, sous l'empire de l'« état d'exception », tenus de répondre aux citations à comparaître, de respecter les règles en matière de renouvellement et de permis de résidence et de documents d'inscription consulaire, ainsi que toute autre formalité. Ceux qui contreviennent aux mesures prises ou agissent de connivence avec des personnes qui perturbent l'ordre public peuvent être expulsés, à moins que leurs actes ne semblent contenir l'indice d'un délit, auquel cas ils sont soumis aux procédures judiciaires en vigueur. Les apatrides et réfugiés dont l'expulsion n'est pas possible sont soumis au régime applicable aux Espagnols. Les mesures d'expulsion sont motivées avant d'être appliquées (article 24).

Limitation de la liberté de réunion

Lorsque le Parlement a autorisé la suspension de l'application de l'article 21 de la Constitution relatif à la liberté de réunion, l'autorité administrative peut :

- soumettre à autorisation préalable ou interdire les réunions et manifestations, à l'exception des réunions organisées par les partis politiques, les syndicats et les organisations patronales ;

- ordonner la dissolution de ces réunions, à l'exception des réunions organisées par les partis politiques, les syndicats et les organisations patronales (article 22, 3).

Afin de permettre à ses agents de pénétrer dans des locaux où ont lieu des réunions, l'autorité administrative leur fournit une autorisation formelle écrite, sauf dans le cas où l'activité menée dans ces locaux occasionne une perturbation grave à l'ordre public constituant un délit ou une agression des forces de sécurité, ainsi que dans tout autre cas de flagrant délit (article 22, 3).

Limitation du droit de grève

Lorsque le Parlement a autorisé la suspension de l'application des articles 28-2 et 37-2 de la Constitution relatifs au droit de grève, l'autorité administrative peut interdire les grèves et les actions de conflit collectif (medidas de conflicto collectivo) (article 23).

Limitation de la liberté d'aller et venir

Lorsque le Parlement a autorisé la suspension de l'application de l'article 19 de la Constitution relatif à la liberté d'aller et venir, l'autorité administrative peut interdire la circulation de personnes et de véhicules aux heures et dans les lieux qu'elle détermine et exiger des personnes qui se déplacent qu'elles attestent leur identité et fixer un itinéraire obligatoire (article 20, 1).

Afin de faire face à la dangerosité des personnes concernant le maintien de l'ordre public attestée par des « motifs fondés », l'autorité administrative peut :

- déterminer des périmètres de protection ou de sécurité et les conditions de séjour dans ceux-ci des personnes qui peuvent gêner l'action de la force publique (article 20, 2) ;

- exiger que des personnes lui communiquent, avec un préavis de deux jours, tout déplacement hors de la localité où elles ont leur résidence habituelle (article 20, 3) ;

- prévoir le déplacement de ces personnes hors de cette localité si elle l'estime utile (article 20, 4) ;

- assigner provisoirement une personne à résidence dans une localité donnée, adaptée à sa situation personnelle (article 20, 5) ;

- pourvoir aux moyens nécessaires pour l'accomplissement des mesures prévues en ces matières (voyages, logements, entretien des personnes concernées...).

Perquisitions (article 17)

Lorsque le Parlement a autorisé la suspension de l'application de l'article 18 de la Constitution relatif à la liberté d'aller et venir, l'autorité administrative peut organiser des inspections (inspecciones) et des perquisitions (registros) domiciliaires lorsqu'elle l'estime nécessaire pour faire la lumière sur des faits présumés délictueux et pour la préservation de l'ordre public (article 17, 1). Ces opérations seront réalisées par l'autorité elle-même ou par ses agents, munis d'un ordre formel et écrit.

La visite (reconocimiento) de la maison ainsi que le contrôle des papiers et des effets peuvent être réalisés en présence du propriétaire (titulario) , d'un représentant, d'un ou de plusieurs membres de sa famille majeurs, ou de voisins du quartier ou des environs, ou à défaut de deux voisins de la même commune ou de la ou des communes voisines.

Faute de propriétaire, de représentant, ou de membre de sa famille, la visite s'effectue en présence des seuls voisins qui, ayant été requis, seront tenus d'y participer.

Un acte est établi à la suite de l'inspection (inspección) ou de la perquisition (registro) , qui précise le nom des participants et les incidents survenus. Il est signé par l'autorité administrative et par les témoins (el dueño o familiares y vecinos) .

L'autorité administrative communique sans délai au juge l'inspection ou la perquisition, ses causes et ses résultats et une copie de l'acte établi (article 17).

Saisie d'armes

L'autorité administrative peut saisir tout type d'armes, de munitions ou de substances explosives (article 25).

Contrôle de certaines activités

L'autorité administrative peut :

- ordonner l'intervention ou la supervision temporaire des industries et commerces susceptibles de menacer ou faciliter une menace à l'ordre public en rendant compte à tous les ministères concernés ;

- ordonner la fermeture préalable des salles de spectacle, des débits de boisson et des locaux du même type (article 26).

Contrôle des transports

L'autorité administrative peut contrôler tous les moyens de transport et leur cargaison (article 19).

Contrôle des communications

Lorsque le Congrès des députés a autorisé la suspension des dispositions de :

- l'article 18 de la Constitution relatif au secret des communications, l'autorité administrative peut contrôler tout type de communications, y compris postales, télégraphiques ou téléphoniques si cela est nécessaire pour mettre en lumière des faits présumés délictueux ou pour préserver l'ordre public, le juge compétent étant immédiatement informé de ce contrôle (article 18) ;

- l'article 20, 1 a) et d) et 5 de la Constitution relatif à la liberté d'expression, l'autorité administrative peut suspendre tout type de publications, d'émissions radiophoniques ou télévisées, de projections cinématographiques et de représentations théâtrales et ordonner la saisie des publications, sans pouvoir exercer de censure préalable (article 21).

Mesures de surveillance et de protection

L'autorité publique peut ordonner les mesures de surveillance et de protection des édifices, installations, ouvrages, services publics et industries de tout type, notamment en instaurant une surveillance armée appropriée (article 27).

Divers

Lorsqu'un trouble à l'ordre public occasionne l'un des dommages qui justifie l'instauration de l'état d'alerte prévu à l'article 4 (cas de calamités publiques, crise sanitaire et paralysie des services publics) ou coïncide avec eux, le Gouvernement peut adopter, outre les mesures applicables à l'« état d'exception », celles applicables à l'« état d'alerte » (article 28).

Si un fonctionnaire ou une personne au service de l'administration ou d'une entité publique favorise l'accomplissement d'actes perturbant l'ordre public, l'autorité administrative peut le suspendre de l'exercice de ses fonctions, et transmettre son dossier aux autorités chargées d'engager des poursuites pénales, d'une part, et des poursuites disciplinaires, d'autre part (article 29).

3. Contrôles de la mise en oeuvre, contentieux et sanctions pénales

• Contentieux des atteintes aux droits individuels

Les actes de l'administration pris durant la période où l'« état d'exception » est en vigueur sont susceptibles de recours juridictionnel dans les conditions de droit commun (article 3).

Les personnes qui subissent des dommages du fait de l'« état d'exception » au titre d'actes qui ne leur sont pas imputables ont droit à indemnisation (article 3).

• Sanctions pénales applicables en cas de violation de l'« état d'urgence »

Si un juge constate, durant la période où s'applique l'« état d'exception », des faits contraires à l'ordre public et à la sécurité, il peut, après avoir entendu le Parquet, placer le responsable en détention provisoire ( prisión provisional ) jusqu'à la fin de l'« état d'exception ». Les personnes condamnées dans de telles circonstances ne peuvent bénéficier de la remise conditionnelle durant la période où s'applique l'« état d'exception » (article 30).

ITALIE

Il n'existe pas de texte instituant un régime analogue à l'« état d'urgence » au sens de la loi française n° 55 385 du 3 avril 1955 en Italie.

Cependant, quelques dispositions constitutionnelles ont trait à la limitation des libertés individuelles, qui est également prévue par un décret royal non abrogé, de sorte que les règles applicables à cette matière résultent :

- de plusieurs dispositions de la Constitution ;

- et du décret royal n° 773 de 1931 portant « texte unique des lois sur la sûreté publique » sur l'applicabilité duquel des doutes se font jour.

Un régime d'« état d'urgence » (stato di emergenza) est prévu par la loi n° 225 du 24 février 1992 portant institution du service national de protection civile, lequel a trait à la gestion des catastrophes naturelles.

1. Les dispositions de la Constitution

Si elle ne fait pas référence à l'expression « état d'urgence » au sens du droit français, la Constitution de la République italienne recourt à trois reprises 25 ( * ) au concept d'« urgence » (urgenza) en ses articles 13, 21 et 77, qui concernent respectivement :

- la liberté personnelle et les restrictions qui peuvent lui être apportées ;

- le droit de manifester librement sa propre pensée et les limitations qu'il peut subir ;

- et enfin les pouvoirs exceptionnels que le Gouvernement a la faculté d'utiliser en cas d'urgence.

• Les restrictions à la liberté personnelle

Après avoir déclaré que « La liberté personnelle est inviolable », et interdit toute forme de détention, d'inspection ou de perquisition qui n'aurait pas été décidée par l'autorité judiciaire, l'article 13 de la Constitution italienne dispose que « Dans des cas exceptionnels de nécessité et d'urgence (urgenza) , formellement indiqués par la loi, l'autorité chargée de la sécurité publique peut adopter des mesures provisoires, qui doivent être communiquées dans les quarante-huit heures à l'autorité judiciaire, lesquelles sont révoquées et privées d'effets si cette autorité ne les approuve pas dans les quarante-huit heures qui suivent ». L'article 14 du même texte, consacré à l'inviolabilité du domicile, renvoie, du reste, aux garanties prévues par l'article 13 pour assurer sa protection contre les inspections, perquisitions et saisies qui ne peuvent être réalisées que dans les conditions prévues par la loi.

Trois dispositions consacrées aux libertés publiques évoquent les limitations qui peuvent leur être apportées par la loi, sans faire référence ni à l'urgence, ni à l'article 13. Il s'agit des articles : 15 sur la liberté et le secret des correspondances, 16 sur la liberté d'aller et venir et 18 sur la liberté d'association, sous réserve que l'objet de la réunion ne soit pas contraire à la loi pénale. Enfin, l'article 17 fait référence aux restrictions qui peuvent être apportées à la liberté de réunion « pour des motifs démontrés de sûreté ou de sécurité publiques ».

• Le droit de manifester librement sa propre pensée et les limitations qu'il supporte

Ayant proclamé le droit de manifester librement sa pensée, l'article 21 de la Constitution dispose qu'il n'est loisible de procéder à la saisie de la presse que dans les circonstances expressément prévues par la loi ou dans le cas de violation des règles que la loi prévoit pour l'indication du nom des responsables des organes de presse, ajoutant que « dans ce cas, lorsqu'il existe une urgence absolue (assoluta urgenza) et que l'intervention immédiate de l'autorité judiciaire n'est pas possible, la saisie (sequestro) de la presse périodique peut être réalisée par des officiers de police judiciaire qui doivent immédiatement, et dans un délai de vingt-quatre heures maximum, en informer l'autorité judiciaire. Si celle-ci ne confirme pas leur décision sous vingt-quatre heures, la saisie est nulle (revocato) et privée de tout effet ».

• Les pouvoirs exceptionnels que le Gouvernement peut utiliser en cas d'urgence.

L'article 77 de la Constitution italienne dispose que, bien que le Gouvernement ne puisse, dans les conditions du droit commun, prendre de décrets ayant valeur de loi ordinaire, « Lorsque, dans des cas extraordinaires, de nécessité et d'urgence, le Gouvernement adopte, sous sa responsabilité, des mesures provisoires ayant force de loi, il doit, le jour même, les présenter pour leur conversion aux chambres, lesquelles, même si elles sont dissoutes, sont expressément convoquées et se réunissent dans un délai de cinq jours suivant la convocation. Les décrets sont caducs depuis leur origine s'ils ne sont pas convertis en loi dans les soixante jours suivant leur publication ».

Le Gouvernement a très fréquemment recours à ces dispositions dans des matières qui n'ont rien à voir avec les pouvoirs de police.

2. Le décret royal n° 773 du 18 juin 1931 portant « texte unique des lois sur la sûreté publique »

Le décret royal n° 773 du 18 juin 1931, portant approbation du texte unique des lois sur la sécurité publique (articles 214-219), consacre un titre IX à l'état de « péril public » (pericolo pubblico) , auquel on s'intéressera ici, ainsi qu'à l'« état de guerre » (stato di guerra) mentionné pour mémoire. Ce texte n'a, en effet, pas été formellement abrogé par le législateur, malgré l'entrée en vigueur de la Constitution républicaine du 27 décembre 1947.

L'« état de péril public » peut être déclaré, avec l'accord du chef du Gouvernement, par le ministre de l'Intérieur et par le préfet en cas de danger public.

Lorsque l'« état de péril public » a été déclaré, le préfet peut ordonner l'arrestation ou la détention de toute personne, s'il le juge utile, pour rétablir ou maintenir l'ordre public.

Si l'« état de péril public » a été déclaré sur l'ensemble du territoire, le ministre de l'Intérieur peut prendre des ordonnances dérogatoires aux lois en vigueur sur les matières qui ont trait à l'ordre et à la sécurité publics. Les personnes qui contreviennent aux décisions du ministre ou du préfet sont punies (puniti) d'une arrestation (arresto) qui n'est pas inférieure à un an.

Une partie de la doctrine estime que ces dispositions ne sont plus applicables 26 ( * ) .

3. La loi n° 225 du 24 février 1992 portant institution du service national de protection civile

Signalons que les articles 2 et 5 de la loi n° 225 du 24 février 1992, portant création du service national de protection civile prévoient qu'en cas de catastrophe naturelle ou de calamité le Conseil des ministres, sur proposition de son président, peut instituer l'« état d'urgence » (stato d'emergenza) et en fixer la durée et le champ d'application territorial.

PORTUGAL

Le régime applicable résulte, au Portugal :

- de l'article 19 de la Constitution de la République portugaise qui détermine les principes généraux applicables à l'« état de siège » et à l'« état d'urgence » ;

- et de la loi organique n° 44 du 30 septembre 1986 modifiée, sur l'état de siège et l'état d'urgence.

A. LE CONTENU DES DISPOSITIONS CONSTITUTIONNELLES

Le régime applicable à l'état d'urgence résulte des articles 19, 134, 138, 140, 161, 162, 164, 172, 179, 197, 275 et 289 de la Constitution portugaise qui distinguent :

- un cadre général ;

- les compétences du Président de la République ;

- la consultation du Gouvernement et l'autorisation du Parlement ;

- le contrôle parlementaire ;

- et enfin diverses dispositions ayant trait à l'état d'urgence.

• Le cadre général (article 19 de la Constitution)

Consacré à la « suspension de l'exercice des droits fondamentaux », l'article 19 figure au titre I er , « Principes généraux », de la première partie intitulée « Droits et devoirs fondamentaux » de la Constitution portugaise.

En vertu de cet article, les « organes investis de la souveraineté » 27 ( * ) (órgãos de soberania) , à savoir le Président de la République, l'assemblée parlementaire monocamérale (Assembleia da República) , le Gouvernement et les tribunaux ne peuvent, de concert ou séparément, suspendre l'exercice des droits, libertés et garanties, sauf en cas d'« état de siège » (estado de sítio) ou d'« état d'urgence » (estado de emergência) déclarés dans les conditions prévues par la Constitution.

L'« état de siège » et l'« état d'urgence » ne peuvent être déclarés, sur tout ou partie du territoire national, qu'en cas :

- d'agression par des forces étrangères, réelle ou imminente ;

- de menace grave ou de perturbation de l'ordre constitutionnel démocratique ;

- ou de calamité publique.

L'« état d'urgence » est déclaré lorsque la situation s'avère de « moindre gravité » (menor gravidade) que celle qui justifierait l'instauration de l'« état de siège » et justifie la suspension de certains (alguns) droits, libertés et garanties reconnus par la Constitution.

Motivée de façon appropriée (adequadamente) , la déclaration d'« état d'urgence » ou celle d'« état de siège » :

- doit, tout comme ses mesures d'exécution, respecter le principe de proportionnalité et se limiter, quant à son champ d'application et à sa durée, aux moyens strictement nécessaires au rétablissement du cours constitutionnel normal ;

- précise la liste des droits, libertés et garanties dont l'exercice est suspendu au plus quinze jours ou dans un délai fixé par la loi quand elle résulte d'une déclaration de guerre, sans préjudice d'éventuelles prolongations soumises au même régime ;

- ne peut porter préjudice au droit à la vie, à l'intégrité ou à l'identité des personnes, à la capacité civile, à la citoyenneté ou à la non-rétroactivité de la loi pénale, aux droits de la défense des personnes poursuivies (arguidos) ou à la liberté de conscience et de religion ;

- ne peut modifier le fonctionnement ordinaire de la Constitution que dans les conditions que la Constitution et la loi prévoient, sans pouvoir déroger ni aux règles constitutionnelles applicables au fonctionnement des « organes de souveraineté », ni à ceux qui gouvernent les régions autonomes, ni aux droits et immunités de ceux qui en sont titulaires ;

- confère aux autorités la compétence pour prendre des mesures nécessaires et adaptées (adequadas) au rapide (pronto) rétablissement du fonctionnement constitutionnel ordinaire (normalidade constitucional) .

• Les compétences du Président de la République (articles 134 et 140 de la Constitution)

Aux termes de l'article 134 de la Constitution, qui détermine les « pouvoirs propres » du Président de la République, celui-ci est compétent pour déclarer l'« état de siège » et l'« état d'urgence » conformément aux articles 19 et 138 du même texte. Le décret de proclamation de l'« état d'urgence » n'est pas soumis au contreseing ministériel.

• La consultation du Gouvernement et l'autorisation du Parlement (articles 138, 161, 179 et 197 de la Constitution)

La déclaration de l'« état de siège » comme celle de l'« état d'urgence » supposent que le président :

- entend le Gouvernement ;

- et reçoit l'autorisation du Parlement, ou à défaut de sa « commission permanente » 28 ( * ) [Comissão Permanente] qui convoque l'Assemblée dès que possible afin de lui permettre de statuer sur la « confirmation » de sa décision.

• Le contrôle parlementaire (article 162 de la Constitution)

L'article 162 de la Constitution prévoit que l'assemblée de la République contrôle l'application de la déclaration d'« état de siège » ou d'« état d'urgence ».

• Autres dispositions ayant trait à l'« état d'urgence » (articles 164, 172, 275 et 289 de la Constitution)

La Constitution prévoit en outre que :

- le régime applicable à l'« état de siège » comme celui qui prévaut pour l'« état d'urgence » fait l'objet d'une « réserve absolue de la compétence législative » et relève donc exclusivement de l'assemblée de la République (article 164) ;

- cette assemblée ne peut être dissoute durant une période où l'« état de siège » ou bien l'« état d'urgence » sont en vigueur (article 172) ;

- les lois qui déterminent le régime de l'« état de siège » et de l'« état d'urgence » fixent les conditions dans lesquelles les forces armées sont employées (article 275) ;

- et enfin qu'il ne peut être procédé à aucun acte concernant une modification de la Constitution ni durant l'« état de siège » ni durant l'« état d'urgence » (article 289).

B. LE RÉGIME APPLICABLE À L'« ÉTAT D'URGENCE »

Le régime applicable à l'« état d'urgence » procède de la loi organique n° 44 du 30 septembre 1986 modifiée, sur l'« état de siège » (estado de sítio) et l'« état d'urgence » (estado de emergência) .

1. Modalités de déclaration

• Conditions requises

Rappel des conditions posées par la Constitution

La loi organique reprend les conditions posées par la Constitution puisque l'« état d'urgence » ne peut être proclamé qu'en cas :

- d'agression par des forces étrangères, réelle ou imminente ;

- de menace grave ou de perturbation de l'ordre constitutionnel démocratique ;

- ou de calamité publique (article 1 er ).

Il ne saurait porter préjudice au droit à la vie, à l'intégrité ou à l'identité des personnes, à la capacité civile, à la citoyenneté ou à la non-rétroactivité de la loi pénale, aux droits de la défense des personnes poursuivies (arguidos) ou à la liberté de conscience et de religion (article 2).

À la différence de l'« état de siège », qui a pour effet de renforcer les pouvoirs de l'autorité militaire, et ne peut être déclaré qu'en cas d'agression (atos de força) ou d'insurrection qui mettent en cause la souveraineté, l'indépendance, l'intégrité territoriale ou l'ordre constitutionnel démocratique, l'« état d'urgence » est déclaré lorsque la situation s'avère de « moindre gravité » (menor gravidade) , notamment lorsque surviennent ou menacent de survenir des calamités publiques (calamitade pública) (articles 8 et 9).

Conditions générales additionnelles

L'article 2 de la loi organique précitée prévoit en outre :

- que les mesures prises en matière de suspension des droits, libertés et garanties doivent respecter les principes d'égalité et de non-discrimination ;

- et que les réunions des organes statutaires des partis politiques, des syndicats et des associations professionnelles ne peuvent être interdites, dissoutes ou subordonnées à une autorisation préalable ;

En outre, la suspension ou la restriction des droits, libertés et garanties doit se limiter, en termes de champ d'application territorial, de durée et de moyens mis en oeuvre, au strict nécessaire pour le rétablissement de l'état normal des choses (normalidade) (article 3).

Enfin la proclamation de l'« état d'urgence » ne peut mettre en cause l'application des règles constitutionnelles relatives à la compétence et au fonctionnement des pouvoirs publics nationaux ou de l'exécutif des régions autonomes, non plus que les immunités dont bénéficient les titulaires des fonctions y afférentes (article 3,2).

• Procédure

Autorités compétentes

La loi organique reprend les dispositions de la Constitution relatives à l'« état d'urgence » figurant dans la Constitution : l'« état d'urgence » est proclamé par le Président de la République, après qu'il a entendu le Gouvernement et obtenu l'autorisation de l'Assemblée de la République, ou à défaut de la commission permanente de celle-ci, qui doit réunir cette assemblée afin qu'elle confirme l'autorisation qu'elle a délivrée (article 10).

Le Président de la République adresse à cette fin à l'Assemblée un message qui contient :

- la demande d'autorisation de déclarer l'« état d'urgence » ;

- la mention de l'audition du Gouvernement ;

- et la réponse du Gouvernement (article 23).

Ni l'Assemblée de la République, ni sa commission permanente ne peuvent déposer d'amendement ni formuler de conditions lorsqu'elles autorisent ou confirment l'autorisation relative à l'« état d'urgence » (articles 10 et 24).

Si la déclaration d'« état d'urgence » concerne les régions autonomes, l'Assemblée de la République consulte les gouvernements de celles-ci de la façon la plus rapide et la plus appropriées compte tenu des circonstances (article 24).

Convoquée sans délai (article 25), l'Assemblée de la République rend une décision qui revêt la forme d'une résolution contenant, outre la référence à l'« état d'urgence », la description détaillée de l'ampleur de l'autorisation et faisant référence à chacun des éléments que doit contenir le décret présidentiel d'instauration (voir infra ) (article 16). Elle est publiée sans délai (article 27).

Le refus de confirmer l'autorisation de la commission permanente n'entraîne pas l'invalidité des actes qui ont été pris sur la base du décret portant instauration de l'« état d'urgence » (article 25).

Mise en oeuvre

Si le décret du Président de la République n'est pas soumis au contreseing ministériel (article 11), la mise en oeuvre de l'« état d'urgence » relève du Gouvernement qui informe le Président de la République et l'Assemblée monocamérale (article 17).

Lorsque l'ensemble du territoire national est concerné par l'« état d'urgence », le conseil supérieur de la défense nationale siège en session permanente pendant toute sa durée (article 18,1).

Contenu de l'acte

Le décret présidentiel déclarant l'« état d'urgence » :

- ne peut prévoir qu'une suspension partielle des droits, libertés et garanties ;

- prévoit si nécessaire le renforcement des pouvoirs des autorités administratives civiles et le soutien (apoio) que leur prêtent les forces armées (article 9).

La déclaration contient de façon « claire » et « expresse » :

- la désignation et le fondement du recours à l'« état d'urgence » ;

- son champ d'application territorial ;

- sa durée ;

- les droits, libertés et garanties dont l'exercice est suspendu ou restreint ;

- le degré de renforcement des pouvoirs des autorités administratives civiles et le soutien que leur apportent les forces armées ;

- le fait que ces mesures soient justifiées conformément aux dispositions de la Constitution qui fixent les trois cas dans lesquels des pouvoirs de crises peuvent être instaurés (article 14) ;

- les conséquences qu'ont ou pourraient avoir ces événements sur l'atteinte portée au fonctionnement normal des institutions.

Durée

L'« état d'urgence » est proclamé pour quinze jours, renouvelables sans limitation de durée, tant que subsistent les causes qui ont justifié son instauration. Sa durée est fixée lors de sa proclamation. Chaque fois que les circonstances le justifient, une déclaration d'« état d'urgence » doit se substituer à la déclaration d'« état de siège » (article 5).

Étendue de la portion de territoire soumise à l'« état d'urgence »

L'« état d'urgence » peut être déclaré sur tout ou partie du territoire, en fonction des causes qui motivent son instauration afin de maintenir ou de permettre le retour à la normale (normalidade) (article 4).

Modification, renouvellement, cessation

En cas de modification des circonstances qui ont motivé la proclamation de l'« état d'urgence », les mesures prises initialement peuvent faire l'objet :

- d'un renouvellement ou d'une extension, après que le président a entendu le Gouvernement et reçu l'autorisation ou la confirmation de l'Assemblée de la République ou de sa commission permanente ;

- d'une réduction, par décret du Président de la République soumis au contreseing du Gouvernement, sans que celui-ci ne doive être entendu ni que l'Assemblée de la République ne doive donner une autorisation ou une confirmation (articles 12 et 26).

L'« état d'urgence » prend fin :

- lorsque cessent les circonstances qui ont motivé son instauration, le décret en vertu duquel il a été instauré étant immédiatement abrogé par un décret du Président de la République soumis au contreseing du Gouvernement ;

- de plein droit au terme du délai prévu par l'acte qui l'a instauré et lorsque l'Assemblée de la République ne confirme pas la décision d'autorisation prise par sa commission permanente.

2. Effets de l'« état d'urgence »

Pendant la durée de l'« état d'urgence » les pouvoirs publics (autoridades) prennent les mesures « nécessaires et adaptées au rapide rétablissement du cours normal des choses (normalidade) » (article 19).

Le Gouvernement désigne :

- les personnes qui coordonnent la mise en oeuvre de la déclaration d'« état d'urgence » sur le territoire métropolitain. Dans les régions autonomes (les Açores et Madère), ces mesures sont prises par le représentant de la République qui coopère avec le gouvernement régional ;

- le cas échéant, des commissaires (comissários) sont nommés par le Gouvernement pour assurer le fonctionnement des institutions et entreprises publiques et nationalisées et des autres entreprises dont l'importance s'avère vitale dans ces circonstances (article 21).

• Restrictions aux libertés

Si des restrictions d'aller et venir faites aux personnes et de circulation des véhicules peuvent être édictées, les autorités sont tenues de faire en sorte qu'elles tendent à atteindre le but fixé dans la déclaration d'« état d'urgence », en particulier en ce qui concerne le transport, le logement et l'entretien des citoyens qui en sont l'objet (cidadãos afetados) (article 2).

• Perquisitions

Les perquisitions domiciliaires et les autres moyens de preuve mis en oeuvre se limitent à un procès-verbal, établi en présence de deux témoins, si possible résidant dans l'endroit (area) concerné, le procès-verbal devant être communiqué au juge d'instruction accompagné d'une information concernant les causes et le résultat de ces actes (article 2).

• Police et contrôle de la presse et des spectacles

Peuvent être suspendus la diffusion de tout type de publication, les émissions de radiodiffusion et de télévision, les spectacles de cinéma et de théâtre, certaines publications pouvant être saisies, sans entraîner de mesure de censure préalable (article 2).

3. Contrôles de la mise en oeuvre, contentieux et sanctions pénales

• Contrôles

Information du Parlement

Durant la période d'application de l'« état d'urgence », le Gouvernement est tenu d'informer de son action le Président de la République et l'assemblée monocamérale (article 17). De surcroît, pendant cette durée, siègent de façon permanente :

- les services du procureur général de la République (Procuradoria -Geral da República) ;

- et les services de l'équivalent du médiateur de la République français (Provedor de Justiça) (article 18).

Dans les quinze jours suivant la cessation de l'« état d'urgence », et dans les quinze jours suivant chaque renouvellement, le Gouvernement remet à l'Assemblée de la République un rapport détaillé sur les mesures prises sous l'empire de l'« état d'urgence ». L'Assemblée, ou sa commission permanente, statue sur ce document par une résolution qui précise les mesures nécessaires pour mettre en cause la responsabilité civile ou pénale en cas de violation des dispositions du décret relatif à l'« état d'urgence ». Les décisions de la commission permanente sur ce sujet doivent être confirmées par l'Assemblée dès que possible.

Contrôle juridictionnel

Les juges d'instruction doivent avoir communication, dans les 24 heures, de toutes les assignations à résidence (fixação de residência) et de toutes les détentions de personnes consécutives à la violation des règles de sécurité en vigueur pendant l'état d'urgence, dans le respect du droit d' habeas corpus (article 2).

• Contentieux des atteintes aux droits individuels

Durant la période pendant laquelle l'« état d'urgence » est en vigueur, les citoyens conservent, dans sa plénitude, la faculté d'intenter des recours devant les tribunaux dans les conditions de droit commun, pour la défense de leurs droits, libertés et garanties, lésés ou menacés par toute disposition contraire à la Constitution ou à la loi (article 6).

Sous réserve des termes de la déclaration d'« état d'urgence », les tribunaux de droit commun exercent, sous l'empire de l'« état d'urgence », leurs compétences. Ils veillent au respect des règles constitutionnelles (article 22).

Les citoyens dont les droits, libertés et garanties viendraient à être violés du fait d'une mesure résultant de l'état d'urgence ou d'une décision qui en découle, laquelle contrevient à la loi ou à la Constitution, peuvent obtenir une indemnisation dans les conditions du droit commun (article 2).

• Sanctions pénales applicables en cas de violation de l'« état d'urgence »

La violation des dispositions contenues dans la déclaration d'« état d'urgence » constitue une infraction pénale (crime de desobediência) .

ROYAUME-UNI

Aux termes de l'article 19 de la deuxième partie relative aux « pouvoirs d'urgence » (emergency powers) de la loi du 18 novembre 2004 relative à la sécurité civile, « l'urgence consiste en un grave dommage susceptible d'affecter les personnes (human welfare) ou les biens (damage to property) , la guerre, ou le terrorisme, qui menace d'atteintes sérieuses à la sécurité du Royaume-Uni » .

On examinera :

- les modalités de déclaration ;

- et les moyens d'actions et les effets des pouvoirs d'urgence.

1. Modalités de déclaration
a) Conditions

Aux termes de l'article 21 de la loi de 2004 précitée, l'adoption de mesures d'urgence est soumise à trois conditions tenant à ce que :

- une crise (emergency) s'est produite, se produit ou va se produire ;

- il est nécessaire de prendre des dispositions dans le but de la prévenir, de la contrôler ou de l'atténuer ;

- et il existe une urgente nécessité de prendre des dispositions appropriées.

Il est nécessaire de prendre des dispositions analogues à celles prévues par un texte en vigueur, ou des dispositions qui pourraient être adoptées en vertu d'un texte en vigueur, lorsque :

- la législation en vigueur ne peut pas être appliquée sans risquer de provoquer un retard considérable (serious delay) ;

- il n'est pas possible de s'assurer, sans craindre un retard considérable, que la législation en vigueur peut être appliquée ;

- ou la législation en vigueur s'avère insuffisamment efficace 29 ( * ) .

b) Procédure

• Autorités compétentes

Aux termes de l'article 20 de la loi de 2004, les mesures d'urgence peuvent être prises, si les conditions posées par l'article 21 sont remplies (voir supra ), par :

- la Reine, par « décret en conseil » (order in council) ;

- ou certains ministres (senior minister of the Crown) , à savoir le Premier ministre, l'un des principaux ministres (principal secretaries of State) et les « Commissioners of Her Majesty Treasury » 30 ( * ) s'il n'est pas possible d'adopter un « décret en conseil » sans un retard considérable.

Est considéré comme un « retard considérable » celui qui peut causer un préjudice grave ou entraver sérieusement la prévention, le contrôle ou l'atténuation d'un tel préjudice.

Toute mesure prise en vertu de cet article est précédée d'une déclaration de son auteur qui :

- spécifie la nature de l'urgence au regard de laquelle les dispositions sont adoptées ;

- et déclare que les conditions posées à l'article 21 sont réunies, que les mesures contiennent uniquement des dispositions appropriées, que les conséquences de ces mesures sont proportionnées, qu'elles sont compatibles avec les droits de la Convention (définis à l'article premier de la loi sur les Droits de l'Homme de 1998) et, lorsque le ministre a pris la mesure, qu'il n'était pas possible d'adopter un décret en conseil sans occasionner un retard considérable.

• Contrôle parlementaire

Aux termes de l'article 27 de la loi de 2004 précitée, lorsque des mesures d'urgence sont prises :

- un ministre doit aussi tôt que possible en communiquer la teneur au Parlement ;

- ces mesures sont caduques à la fin du septième jour à compter de la date de dépôt, à moins que, durant cette période, chaque Chambre n'adopte une résolution les approuvant.

Si chaque chambre du Parlement adopte une résolution en ce sens, les mesures d'urgence cessent de produire leurs effets :

- à tout moment fixé par la résolution, après l'adoption de celle-ci ;

- ou le lendemain de l'adoption de la résolution si celle-ci ne détermine aucune date.

Si chaque chambre du Parlement adopte une résolution amendant les mesures d'urgence, celles-ci prennent effet, ainsi amendées :

- à tout moment fixé par la résolution, après l'adoption de celle-ci ;

- ou le lendemain de l'adoption de la résolution si celle-ci ne détermine aucune date.

• Mise en oeuvre

Aux termes de l'article 24 de la loi précitée, les mesures d'urgence nécessitent qu'un ministre nomme :

- pour chaque partie du Royaume-Uni autre que l'Angleterre qui serait concernée par ces mesures, un « Coordinateur d'urgence » (emergency coordinator) ;

- et pour chaque région dans laquelle les mesures sont en vigueur, un « coordinateur régional » (Regional Nominated coordinator) .

Les mesures précisent notamment les modalités de la nomination, les conditions liées au service (dont la rémunération) et les fonctions exercées par le coordinateur.

La personne désignée facilite la coordination des actions réalisées conformément aux mesures d'urgence. Dans l'exercice de ses fonctions, elle doit se conformer aux orientations définies par le ministre signataire.

Le coordinateur n'est cependant ni un fonctionnaire, ni un agent de la Couronne et ne peut prétendre au statut, à l'immunité ou aux privilèges conférés par la Couronne.

• Durée, renouvellement, cessation

Les mesures d'urgence sont caduques (article 26) après 30 jours à moins qu'elles ne fixent une date antérieure au terme de ce délai.

Ces dispositions n'interdisent pas l'adoption de nouvelles mesures et n'ont pas d'effet sur les décisions prises conformément aux mesures d'urgence avant qu'elles ne soient caduques.

2. Moyens d'actions et effets

Aux termes de l'article 22, les mesures d'urgence peuvent contenir toutes les dispositions que leur auteur estime appropriées pour prévenir, contrôler ou atténuer un aspect ou un effet de l'urgence, notamment pour :

- protéger la vie humaine, la santé ou la sécurité ;

- protéger la propriété ;

- traiter la maladie ou les blessures humaines ;

- ou encore protéger ou rétablir les activités du Parlement, du Parlement écossais, de l'Assemblée d'Irlande du Nord ou de l'Assemblée nationale du Pays de Galles.

Ces mesures d'urgence peuvent :

- conférer une compétence à un ministre de la Couronne, aux ministres écossais, à l'Assemblée nationale du Pays de Galles, à un ministère nord-irlandais, à un coordinateur désigné en vertu de cette loi ou à toute personne désignée à cette fin ;

- permettre la réquisition ou la confiscation d'un bien, avec ou sans compensation ;

- permettre la destruction d'un bien, ou l'atteinte à la vie d'un animal ou d'un végétal, avec ou sans compensation ;

- interdire la circulation d'un lieu à un autre ;

- fixer un itinéraire obligatoire ;

- interdire, ou permettre l'interdiction, de rassemblements (assemblies) d'un certain type, dans un lieu ou à une période donnés ;

- interdire des voyages à des périodes données ;

- interdire certaines activités ;

- créer une infraction pour non-respect de ces mesures, d'un ordre donné en vertu de ces mesures, ou d'obstruction à l'exercice d'une fonction ;

- ne pas appliquer ou modifier une loi ou une disposition prise en vertu d'une loi ;

- exiger d'une personne ou d'un organisme qu'il agisse dans l'exercice de ses fonctions ;

- permettre au Conseil de défense d'autoriser le déploiement des forces armées ;

- prendre toute disposition facilitant le déploiement des forces armées ;

- attribuer une compétence à une cour ou un tribunal ;

- prendre des dispositions relatives aux eaux territoriales, aux zones de pêche britanniques ou au plateau continental ;

- prendre des dispositions s'appliquant globalement, uniquement dans des circonstances prédéfinies ou dans un but spécifique ;

- ou prévoir des dispositions diverses pour des circonstances ou objectifs différents.

Des limites sont toutefois définies par l'article 23 de la loi de 2004 précitée, puisque les mesures d'urgence :

- doivent permettre de prévenir, de contrôler ou d'atténuer un aspect ou un effet de l'urgence et que leurs effets sont dûment proportionnés par rapport à l'aspect ou l'effet de l'urgence ;

- doivent spécifier les parties du Royaume-Uni ou les régions dans lesquelles elles s'appliquent ;

- ne doivent pas exiger d'une personne qu'elle fournisse un service militaire, ou interdire la participation à une grève ou à un mouvement social, ou à toute activité qui leur est liée ;

- ne doivent pas créer une infraction autre que celles prévues à l'article 22 (voir supra ), créer une infraction autre qu'une infraction justiciable uniquement devant un tribunal correctionnel ou, en Écosse, par un « sheriff » au terme d'une « procédure sommaire », ou encore instituer une infraction punie d'une peine privative de liberté supérieure à trois mois ou d'une amende supérieure au niveau cinq sur l'échelle des infractions 31 ( * ) , ou enfin modifier des procédures relatives aux affaires pénales ;

- et enfin ne doivent amender ni la partie de la loi de 2004 relative aux pouvoirs d'urgence, ni la loi de 1998 sur les Droits de l'Homme.

ANNEXE : DOCUMENTS UTILISÉS

ALLEMAGNE

• Textes législatifs et règlementaires

Grundgesetz

loi fondamentale

ESPAGNE

• Textes constitutionnels et législatifs

Constitución Española, 1978

constitution espagnole

Ley Orgánica 4/1981, de 1 de junio, de los estados de alarma, excepción y sitio

loi organique n° 4 du 1 er juin 1981 sur l'état d'alerte, l'état d'exception et l'état de siège

ITALIE

• Textes constitutionnels et législatifs

Costituzione della Repubblica italiana

constitution de la République italienne

Regio Decreto 18/06/1931, n. 773 (articoli 214-219), Approvazione del testo unico delle leggi di pubblica sicurezza.

décret royal n° 773 du 18 juin 1931 (articles 214-219), approbation du texte unique des lois sur la sécurité publique

Legge 24 febbraio 1992, n. 225, Istituzione del Servizio nazionale della protezione civile.

loi n° 225 du 24 février 1992, création du service national de protection civile

PORTUGAL

• Textes constitutionnels et législatifs

Constituição da República Portuguesa VII revisão constitucional [2005]

constitution de la République portugaise, VIIe révision constitutionnelle [2005]

Lei Orgánica n° 44/86, de 30 de Setembro, Regime do estado de sítio e do estado de emergência

loi organique n° 44 du 30 septembre 1986 modifié, sur l'état de siège et l'état d'urgence

ROYAUME-UNI

• Texte législatif

Civil Contingencies Act 2004

loi de 2004 sur la sécurité civile


* 1 Emmanuel Dupic, « L'état d'urgence : pratiques et évolutions » dans La Gazette du Palais , édition professionnelle, vendredi 20-samedi 21 novembre 2015 ; n° 324 à 325, p. 6.

* 2 Loi n o 2015-1501 du 20 novembre 2015 prorogeant l'application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence et renforçant l'efficacité de ses dispositions.

* 3 Extrait du compte rendu du Conseil des ministres du 23 décembre 2015.

* 4 L'article 11 de la loi n o 55-385 du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence instituait un « contrôle de la presse et des publications de toute nature ainsi que celui des émissions radiophoniques, des projections cinématographiques et des représentations théâtrales ». Cette disposition a été abrogée par la loi n o 2015-1501 du 20 novembre 2015 prorogeant l'application de la loi n o 55-385 du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence et renforçant l'efficacité de ses dispositions.

* 5 L'article 11 prévoyait également, dans sa rédaction résultant de la loi du 20 novembre 2015, la possibilité de copier ces données informatiques. Dans sa décision n° 2016-536 QPC du 19 février 2016, le Conseil constitutionnel a déclaré ces dispositions contraires à la Constitution.

* 6 Rapport n o 177 du 19 novembre 2015 de M. Philippe Bas, Sénateur, au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale sur le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, prorogeant l'application de la loi n o 55-385 du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence et renforçant l'efficacité de ses dispositions.

* 7 Rapport n° 368 de M. Michel Mercier, Sénateur, au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale sur le projet de loi prorogeant l'application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence.

* 8 En vertu de l'article 78 de la Constitution, la députation permanente de chaque chambre du Parlement se compose d'au moins vingt-et-un membres élus à la proportionnelle des groupes politiques.

* 9 Deutscher Bundestag , Loi fondamentale pour la République fédérale d'Allemagne , traduction disponible sur le site de cette assemblée.

* 10 Idem.

* 11 Idem .

* 12 Idem .

* 13 Seul l'« état de guerre » est visé à l'article 167 de la Constitution.

* 14 Professeur Pierre Nihoul, juge à la Cour constitutionnelle de Belgique, « Le contrôle constitutionnel des règlements en Belgique », disponible sur le site internet de la Cour constitutionnelle de Belgique.

* 15 Yves Lejeune, Droit constitutionnel belge : fondements et institutions , Bruxelles, Larcier, 2 e ed., septembre 2014, paragraphe 518.

* 16 Notons que le droit belge contient toutefois des dispositions relatives à l'« état de guerre » et à l'« état de siège », lesquelles relèvent de l'arrêté-loi du 11 octobre 1916.

* 17 Les propos du Premier ministre sont reproduits entre guillemets dans les paragraphes infra .

* 18 Cet article est relatif à l'écoute, à la prise de connaissance et à l'enregistrement de communications et télécommunications privées.

* 19 Le cabinet restreint, ou Kern , se compose du Premier ministre et de ses Vice-Premiers ministres, quel que soit le ministère dont ils sont en charge.

* 20 Compte rendu intégral de la commission de l'Intérieur, des Affaires générales et de la Fonction publique de la Chambre des Représentants de Belgique du 26 janvier 2016 (matin), p. 10.

* 21 Compte rendu intégral de la séance plénière de la Chambres des représentants de Belgique du 19 novembre 2015, p. 6 et suivantes, et site internet du Premier ministre belge.

* 22 Compte rendu intégral de la commission de l'Intérieur, des Affaires générales et de la Fonction publique de la Chambre des Représentants de Belgique du 26 janvier 2016 (matin), p.23.

* 23 L'article 520 de la loi espagnole sur la procédure pénale ( ley de enjuiciamiento ) précise que la « detención preventiva » destinée à l'établissement des faits ne peut dépasser 72 heures.

* 24 En vertu de l'article 78 de la Constitution, la députation permanente de chaque chambre du Parlement se compose d'au moins vingt-et-un membres élus à la proportionnelle des groupes politiques.

* 25 Abstraction faite de deux occurrences, concernant respectivement l'examen d'un projet de loi et sa publication en urgence, visées aux articles 72 et 73 de la Constitution.

* 26 V. sur ce point l'article « Pericolo Publico, Stato di » dans Enciclopedia Treccani.

* 27 La liste des « organes investis de la souveraineté » figure à l'article 110 de la Constitution portugaise.

* 28 En vertu de l'article 179 de la Constitution, la commission permanente [ Comissão Permanente ] de l'Assemblée de la République, que préside le président de cette assemblée, est composée des vice-présidents ainsi que de députés désignés par tous les groupes parlementaires compte tenu de la représentativité de ceux-ci au sein de l'assemblée.

* 29 Loi relative à la sécurité civile de 2004, note explicative, p. 70.

* 30 Il s'agit du Premier ministre, du ministre des Finances (Chancellor of the Exchequer) et des parlementaires chargés de la discipline au sein des partis à la Chambre des communes (whips) .

* 31 Aux termes de l'article 37 de la loi sur la justice pénale de 1982, les infractions sont définies sur une échelle de 1 à 5, correspondant à des montants de 200 £ (environ 259 €) à 5 000 £ (environ 6 483 €).

Page mise à jour le

Partager cette page