Mai 2016

NOTE

sur

La gestion de l'eau

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Espagne - Pays-Bas - Royaume-Uni

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Cette note a été préparée dans le cadre du rapport d'information

de MM. Henri Tandonnet, sénateur de Lot-et-Garonne,

et  Jean-Jacques Lozach, sénateur de la Creuse :

« Eau : urgence déclarée », n° 616 (2015-2016),

fait au nom de la délégation sénatoriale à la prospective

AVERTISSEMENT

Les notes de Législation comparée se fondent sur une étude de la version en langue originale des documents de référence cités dans l'annexe.

Elles présentent de façon synthétique l'état du droit dans les pays européens dont la population est de taille comparable à celle de l'Hexagone ainsi que dans ceux où existe un dispositif législatif spécifique. Elles n'ont donc pas de portée statistique.

Ce document constitue un instrument de travail élaboré à la demande des sénateurs par la division de Législation comparée de la direction de l'Initiative parlementaire et des délégations. Il a un caractère informatif et ne contient aucune prise de position susceptible d'engager le Sénat.

PRÉSENTATION

Consacrée à la gestion de l'eau en Espagne, aux Pays-Bas et au Royaume-Uni, cette note a été préparée dans le cadre du rapport d'information de MM. Henri Tandonnet, sénateur de Lot-et-Garonne, et  Jean-Jacques Lozach, sénateur de la Creuse : « Eau : urgence déclarée », n° 616 (2015-2016), fait au nom de la délégation sénatoriale à la prospective.

MONOGRAPHIES PAR PAYS
ESPAGNE

L'Espagne est le pays le plus aride de l'Union européenne. Il connaît des périodes chroniques de sécheresse, d'aridité et de pénurie d'eau. 67 % du territoire sont touchés par la désertification, le taux de précipitation ne se situant qu'à 85 % de la moyenne européenne. De ce fait, la plupart des bassins hydrographiques n'atteignent pas 60 % de la capacité totale de leur réserve hydraulique. Cependant, la Péninsule ibérique est aussi un grand consommateur d'eau (2 700 mètres cubes d'eau par habitant et par an en 2009 1 ( * ) ) et l'un quatre des États qui comptent, avec 1 300 ouvrages, le plus de barrages au monde 2 ( * ) . Les régions du Sud et du Sud-Est font notamment usage de cette ressource pour l'irrigation.

Le Livre blanc sur l'eau en Espagne publié en décembre 1998 a défini les principaux enjeux auxquels la loi sur l'eau adoptée quelques années plus tard a tenté d'apporter des solutions. Selon les hypothèses retenues par ce document, à cause d'un taux de natalité et d'un taux de mortalité particulièrement faibles, la population espagnole pourrait diminuer à moyen terme et ne devrait donc pas voir croître ses besoins hydriques de façon importante. L'augmentation des besoins en eau due à l'amélioration du niveau de vie et à l'évolution des comportements devrait, quant à elle, être compensée par une gestion plus efficace des approvisionnements, notamment en ce qui concerne les fuites dans les réseaux.

Le problème de la gestion de l'eau en Espagne procède également de la concentration de la population dans les régions méridionales et côtières, notamment sur le littoral méditerranéen 3 ( * ) .

Compte tenu de ces éléments, cette note évoquera successivement :

- le contexte et les conflits d'usage entre régions ;

- le cadre législatif applicable à la gestion de l'eau ;

- et enfin les politiques mises en oeuvre.

1. Éléments de contexte : risque climatique et conflits d'usage entre régions

La rareté de la ressource en eau, accrue par le changement climatique, donne lieu à des conflits d'usage entre les régions.

• L'incidence du changement climatique

Du fait du changement climatique, l'Espagne est confrontée à une diminution du débit des cours d'eau. Le débit moyen de l'Èbre, pour ne retenir que cet exemple, a diminué de moitié environ entre 1947 et 1997, ce déclin étant encore plus net depuis la fin des années 1960. Selon certains experts, les précipitations pourraient de surcroît se réduire de 22 à 34 % entre 1995 et 2060 dans le sud.

Le pays ressent également les effets de prélèvements importants sur les eaux souterraines, notamment pour l'irrigation agricole, ce qui entraîne parfois des conséquences sur la qualité de la ressource, laquelle pourrait ne pas atteindre, de ce fait, les objectifs de qualité fixés par la directive-cadre sur l'eau (DCE).

Les prélèvements excessifs ont parfois des effets sur l'environnement, à l'instar de la salinisation des eaux souterraines dans des zones côtières ou la réduction des zones humides, particulièrement importantes au plan écologique dans les zones semi-arides, entraînant la réduction de la surface des zones de reproduction des oiseaux migrateurs et la diminution de la biodiversité 4 ( * ) .

• Les conflits d'usage entre les régions

Certaines régions du pays sont plus touchées par la sécheresse que d'autres car l'environnement se caractérise aussi bien par sa diversité que par la distribution inégale de la ressource. Si les Canaries et la Communauté valencienne sont exposées à un risque de désertification élevé, tel n'est le cas ni de la Galice ni des Asturies. De même, la rive gauche de l'Èbre dispose de ressources hydriques abondantes, contrairement à la rive droite. Des îlots d'humidité existent, y compris dans des régions très sèches. Cette répartition inégale des ressources crée une certaine concurrence, voire des rivalités, entre les communautés autonomes, notamment au sujet du gaspillage des ressources, en particulier entre celles situées en amont et en aval d'un même fleuve.

On retiendra, à titre d'exemple, que des voix se sont fait entendre en Castille-La Manche pour estimer qu'en Murcie on utilise de l'eau pour des usages inappropriés (terrains de golf...) à une zone aussi peu humide. En 2013, un Valencien consommait en moyenne 158 litres par jour, contre 112 litres pour un Navarrais... 5 ( * )

Nombre de régions déficitaires en eau avancent l'argument de la solidarité pour dénoncer l'« égoïsme » des régions excédentaires et demander à ce que, à l'instar des ressources financières, les ressources en eau soient réparties équitablement. Certaines affirment même que ce sont elles qui devraient bénéficier de cette ressource pour mieux la gérer. Les communautés autonomes disposant de ressources abondantes contestent pour leur part l'épithète « excédentaire » en affirmant n'avoir pas de quoi répondre aux besoins en eau de leur propre population. De plus, comme la plupart ne font pas partie des communautés autonomes les plus développées du pays, elles demandent que la « solidarité hydraulique » aille de pair avec la « solidarité des revenus » 6 ( * ) . En outre, les régions réputées excédentaires peuvent aussi connaître un mauvais approvisionnement en raison d'un manque d'infrastructures de stockage ou de transport, quand bien même des ressources existent.

Par ailleurs, toutes les régions estiment disposer d'un droit légitime à gérer ce qu'elles considèrent comme « leurs » eaux, et interprètent la législation dans un sens qui leur est favorable. L'Andalousie a, par exemple, demandé à assumer seule la gestion du Guadalquivir car 90,2 % de la superficie du bassin ainsi que les sources et l'embouchure du fleuve sont situés sur son territoire. D'autres communautés réclament, quant à elles, la gestion partagée des fleuves. Or, les cours d'eau traversant plusieurs territoires sont du domaine exclusif de compétence de l'État, qui veille à la répartition des compétences et des ressources, tant financières qu'hydrauliques 7 ( * ) .

L'eau demeure vitale au développement des régions sèches (du point de vue de l'agriculture, de l'industrie, du tourisme et de la population) et donc du pays tout entier. Deux zones se dessinent sous l'angle de la disponibilité des ressources en eau : l'Espagne sèche au Sud-Est et l'Espagne humide, au Nord-Ouest.

2. Le cadre législatif

Les principales règles applicables en matière de politique de l'eau résultent de la loi n° 29 du 2 août 1985 sur l'eau, modifiée 8 ( * ) . Ce texte dispose que toutes les eaux, qu'elles soient souterraines ou superficielles, constituent une « ressource unique » (recurso unitario) appartenant au domaine public hydraulique (article 1 de cette loi 9 ( * ) ).

On en présentera ici les traits principaux, sous l'angle de :

- la répartition des compétences ;

- la pluralité des acteurs ;

- la planification hydrologique ;

- et la participation collective.

• La répartition des compétences

L'Espagne est le premier pays à avoir utilisé le concept de bassin hydrographique (cuenca hidrográfica) comme unité de gestion de l'eau. Un tel bassin est indivisible (article 16).

Lorsqu'un bassin hydrographique est situé dans une seule et même communauté autonome, il est géré par celle-ci, qui peut se voir transférer les compétences de l'État en la matière (article 18).

Néanmoins, en Espagne, la gestion de l'eau reste centralisée, puisque les bassins hydrographiques qui chevauchent plusieurs communautés autonomes, dits « extracommunautaires », relèvent de la compétence exclusive de l'État 10 ( * ) et sont gérés par des confédérations hydrographiques (articles 21 et 22). Ces dernières sont des établissements publics placés sous la tutelle du ministère de l'Environnement, jouissant de la personnalité morale et de l'autonomie de fonctionnement. Neuf entités sont dotées d'une telle structure, à savoir les bassins :

- de Cantabrie ;

- du Douro ;

- de l'Èbre (la première confédération hydrographique, existant depuis 1926) ;

- du Guadalquivir ;

- du Guadiana ;

- du Jucar ;

- du Miño-Sil ;

- du Segura ;

- et du Tage.

Six administrations intracommunautaires ( administraciones hidráulicas intracomunitarias ) existent de surcroît en Andalousie, Catalogne, aux Canaries, en Galice, aux Îles Baléares et au Pays Basque.

En vertu de l'article 27 de la loi sur l'eau, les confédérations hydrographiques sont dirigées par un conseil (junta de Gobierno) qui comprend :

- un président nommé en Conseil des ministres ;

- au moins cinq représentants de l'administration (précisément des ministères de l'Environnement, de l'Agriculture et de la Pêche, de la Science et de la Technologie, de la Santé ainsi que de l'Économie, outre un représentant des services fiscaux si ceux-ci sont chargés de la perception des redevances ;

- un tiers de membres correspondant à au moins trois représentants des usagers, y compris les utilisateurs d'eau ;

- des représentants des communautés autonomes dont le nombre est fixé en fonction du nombre de celles qui participent à la confédération ainsi que de la superficie et de la population de celles-ci ;

- et enfin des représentants des provinces dont le nombre dépend du pourcentage du territoire de ces dernières concerné par le bassin hydrographique.

L'OCDE souligne la sous-représentation des associations investies dans la protection de l'environnement ou l'utilisation de l'eau pour les loisirs, ainsi que celle des scientifiques et des associations de protection des consommateurs, estimant que ce dispositif pourrait introduire un déséquilibre dans la gouvernance des confédérations qui, selon la même source, sont caractérisées par des moyens limités en termes de management hydrologique, écologique et économique. Cette situation pourrait s'expliquer par le fait que ces organismes étaient, traditionnellement, tournés vers l'amélioration et la maintenance des infrastructures d'approvisionnement en eau 11 ( * ) .

Si les confédérations hydrographiques sont des organismes autonomes, elles coopèrent cependant avec les communautés autonomes dans l'exercice de leurs compétences (article 25).

Le conseil national de l'eau est l'organisme consultatif compétent au niveau de l'Espagne tout entière. Présidé par le ministre de l'Environnement, il réunit des représentants de l'administration nationale et ceux des administrations des communautés autonomes, des associations représentant les collectivités locales, des agences de bassin, des organisations professionnelles et syndicales et des associations dont l'objet a trait à la protection de l'environnement (article 19). Le conseil est consulté sur :

- le projet de plan hydrologique national, avant sa transmission par le Gouvernement au Parlement, et les projets de plans hydrologiques de bassin avant leur approbation par le Gouvernement ;

- les projets de texte généraux relatifs à la protection de l'eau et au domaine public hydraulique ;

- les plans et projets de caractère agricole, urbain, industriel ou énergétique susceptibles d'avoir une incidence importante sur la planification hydrologique et les usages de l'eau ;

- et les questions relatives à deux confédérations hydrographiques ou plus ayant trait à l'approvisionnement en eau.

Il peut être consulté, dans ces matières, aussi bien par le Gouvernement que par les exécutifs des communautés autonomes (article 20). Selon une étude, « Lors du conflit suscité par la loi relative au plan hydrologique national, [le conseil] a souvent été vu comme un défenseur de la position gouvernementale [...] il a rendu, en janvier 2001, un avis finalement très favorable à un document vivement critiqué par les associations écologistes et divers mouvements citoyens » 12 ( * ) . Au total, d'après la même source, « En Espagne les déboires du plan hydrologique national rendent malaisée l'identification de la stratégie nationale de l'eau, tandis que l'affirmation du pouvoir régional menace la répartition des compétences établies par la Constitution. [...] l'empilement institutionnel se traduit par un chevauchement des compétences nuisant à la lisibilité, si ce n'est à l'efficacité, de l'action publique. Cette dispersion s'accompagne d'un risque réel d'accentuation des disparités [...] entre régions [...]» 13 ( * ) .

• La pluralité des acteurs

En vertu de l'article 59 de la loi sur l'eau modifiée, à quelques exceptions près, tous les usages privatifs de l'eau supposent l'obtention d'une autorisation administrative (concesión) , accordée pour au plus 75 ans compte tenu des prévisions des plans hydrologiques, en prenant en compte l'exploitation rationnelle des ressources superficielles et des ressources souterraines. Une pluralité d'acteurs sont concernés par la gestion hydrique puisque :

- la captation des eaux relève des confédérations hydrographiques ou des communautés autonomes ;

- les communautés autonomes exercent également des compétences en matière d'environnement, de gestion du domaine public hydraulique dans les bassins qui ne relèvent que d'une autonomie, de l'aménagement du territoire et de la protection des écosystèmes ;

- les communes (corporaciones locales) sont responsables de l'approvisionnement en eau (traitement et distribution), des égouts et du traitement des eaux usées urbaines ;

- enfin l'État intervient en matière de planification des approvisionnements, de traitement des eaux, de soutien technique aux communes et de gestion des bassins dont le périmètre concerne plusieurs communautés autonomes.

La « complexité tarifaire » 14 ( * ) , que signale une étude, résulte de cette division des compétences entre trois niveaux de collectivités publiques.

• La planification hydrologique

Répondant à des objectifs généraux fixés par la loi, la planification hydrologique est formalisée dans le plan hydrologique national (Plan Hidrológico Nacional) .

Cette planification tend à maintenir le bon état et à garantir : la protection adéquate du domaine public hydraulique, la satisfaction de la demande en eau, l'équilibre et l'harmonisation du développement régional et sectoriel en augmentant les ressources disponibles, en protégeant la qualité, en économisant son emploi et en rationnalisant ses usages dans le respect de l'environnement et des autres ressources naturelles (article 40).

Le plan hydrologique national est, quant à lui, établi en application de la loi n° 10 du 5 juillet 2001 qui lui est consacrée. Il tend en particulier à :

- assurer le bon état du domaine public hydraulique ;

- gérer l'offre d'eau et satisfaire la demande au moyen d'un approvisionnement rationnel, soutenable, équilibré et équitable de l'eau, qui garantit une qualité suffisante pour chaque usage et la protection à long terme de la ressource ;

- assurer l'équilibre et l'harmonisation du développement régional et sectoriel ;

- et optimiser la gestion des ressources, notamment dans les territoires menacés de pénurie, en protégeant la qualité et en économisant ses usages, dans le respect de l'environnement.

À chaque bassin hydrographique correspond un plan hydrologique élaboré par l'organisme chargé de la gestion du bassin et, dans cette zone, de l'administration et du contrôle du domaine public hydraulique (article 23). Ce plan est élaboré en deux étapes par cet organisme de gestion, en collaboration avec les ministères compétents, et en garantissant la participation du public. La première étape consiste à élaborer un schéma des principaux thèmes à évoquer en matière de gestion des eaux, lequel est mis à la disposition du public pendant au moins six mois, et la seconde en la rédaction du projet de plan lui-même qui est également mis à la disposition du public pendant la même durée (articles 71 à 81 du décret n° 907 du 6 juillet 2007). Soumis au ministère de l'Environnement, ces plans sont enfin approuvés par un décret royal.

De plus, le plan hydrologique national , établi par le ministère de l'Environnement, soumis au public pendant au moins six mois et approuvé par la loi, contient les mesures nécessaires à la coordination des plans hydrologiques de bassin. Ces plans hydrologiques étant, le cas échéant, mis en conformité avec le contenu du plan national après son adoption par le Parlement (articles 84 et suivants du décret précité).

Bien public appartenant au domaine public hydraulique, l'eau ne peut être utilisée à des fins privées que sous réserve de l'autorisation (concesión) délivrée par les pouvoirs publics. L'ensemble des autorisations délivrées sont consignées dans un « Registre des eaux » qui a un caractère public (article 80).

Compte tenu des potentiels conflits d'usage, l'article 60 de la loi sur l'eau dispose que pour l'attribution des autorisations d'exploitation, on respecte l'ordre de priorité établi par le plan hydrologique de bassin eu égard aux nécessités qui ont trait à la conservation des ressources et de l'environnement.

À défaut, l'ordre de préférence décroissant est celui qui résulte du même article, à savoir :

- l'approvisionnement de la population, y compris les besoins nécessaires aux industries faiblement consommatrices situées dans les zones peuplées et connectées aux réseaux de distribution de l'eau ;

- l'irrigation et les usages agricoles ;

- les usages industriels pour la production d'électricité ;

- les autres usages industriels ;

- l'aquaculture ;

- les loisirs ;

- la navigation et le transport aquatique ;

- et enfin les autres usages.

• Les modalités de la participation collective

Il existe en Espagne une longue tradition de participation collective à la gestion de l'eau.

Les utilisateurs qui exploitent une prise d'eau ou une concession d'eau en commun sont tenus de se regrouper au sein de communautés d'irrigants . Ces organisations millénaires de droit public sont chargées de gérer l'exploitation collective des eaux publiques. Il en existe des milliers, réunies au niveau national dans la fédération FENACORE, laquelle rassemble toutes les entités chargées de la gestion de l'eau, notamment à des fins agricoles.

Plusieurs communautés d'utilisateurs d'eaux superficielles ou souterraines qui partagent des intérêts communs peuvent se regrouper pour défendre leurs intérêts. Les individus et les communautés d'usagers ont également la faculté de se regrouper en assemblées centrales d'usagers pour défendre leurs droits face à des tiers (article 81).

La loi sur l'eau prévoit la consultation du public à chacune des étapes de la planification, l'accessibilité de l'information aux formats papier et numérique et sa mise à disposition pendant au moins six mois pour recueillir d'éventuelles observations ou suggestions (voir supra ).

Au total, la gestion, la protection et la conservation des ressources hydriques sont, pour l'essentiel, réparties entre les usagers (via les communautés d'irrigants) et l'administration (par l'intermédiaire des confédérations hydrographiques).

1. Les politiques mises en oeuvre

On considérera ici, d'une part, les mesures prises pour lutter contre la pénurie d'eau, d'autre part, la question du prix de la ressource et enfin la gestion de la sécurité.

• La lutte contre la pénurie d'eau

Comme l'observe l'OCDE, la plupart des bassins touchés par le risque de pénurie connaissent une intense utilisation de l'eau destinée à l'irrigation, alors même que les techniques pourraient considérablement limiter l'évaporation et les pertes qui en découlent. Il s'ensuit, selon la même source, qu'il serait utile d'instituer des modes de formation des prix qui favorisent les technologies les plus économes en eau dans la production agricole 15 ( * ) .

Selon une étude de 2006, l'évolution de la politique de l'eau au début du XXI e siècle se présentait comme suit : « Le dernier exemple de la politique d'augmentation de l'offre est illustré par le Plan Hydrologique National (PHN) élaboré par le Parti Populaire. Le PHN projetait un accroissement de l'offre, pour répondre à une nouvelle phase d'expansion des cultures irriguées et à la multiplication des complexes touristiques (hôtels, golfs, résidences secondaires, piscines, etc.) le long de la côte méditerranéenne. Le PHN, approuvé en 2001 par le Parlement espagnol, prévoyait la construction de 118 barrages et de 41 usines de dessalement dont 16 sur la côte méditerranéenne. Le point central du PHN était le transfert de 1 050 hm 3 /an des eaux de l'Èbre. Ces 1 050 hm 3 /an, dont 56 %de l'eau dérivée seraient attribués à l'agriculture, et répartis entre les bassins de la Catalogne, du Júcar, du Segura et du Sur (classés comme déficitaires, voire très déficitaires en eau).

En réponse aux détériorations sociales (expropriations, main d'oeuvre immigrée en situation illégale et sous-payée, etc.) et environnementales (surexploitation et salinisation des aquifères, inondations de vallées, etc.), naît au début des années 1990 le mouvement Nouvelle Culture de l'Eau. Quant au PHN de 2001, il a, depuis son approbation, entraîné de nombreuses manifestations. Dès l'annonce du PHN en septembre 2000, des milliers d'habitants du delta de l'Èbre se sont regroupés spontanément dans un mouvement social appelé Plate-forme de défense de l'Èbre. Puis, le mouvement a gagné toute la Catalogne et l'Aragon et enfin l'ensemble du pays. [...] Ces manifestations prennent même un caractère européen avec la marche bleue contre le PHN qui [...] s'est terminée à Bruxelles le 9 septembre 2001 » 16 ( * ) .

Le dessalement de l'eau a été proposé comme une alternative, lors de la révision du plan national hydrologique. Neuf cent usines de traitement et de dessalement des eaux existent d'ores et déjà dans le pays dont la capacité de dessalement était évaluée à 2,8 % du captage national en 2011. Eu égard à son coût, cette solution ne pourrait contribuer que de façon limitée aux besoins futurs. Le traitement de l'eau offrirait davantage de perspectives, tout en nécessitant une hausse du prix de vente de l'eau traitée afin de faire face à la pénurie 17 ( * ) .

• Le financement et le prix de l'eau

Le financement de l'eau est complexe en Espagne, où chaque étape du cycle de l'eau (captation, distribution, traitement, planification) est gérée par une entité distincte, ce qui pourrait induire une perte d'efficacité et un manque de transparence 18 ( * ) . Les tarifs ne sont pas les mêmes d'une communauté autonome à une autre. En 2013, le coût unitaire du litre d'eau s'élevait à 2,73 euros par mètre cube en Murcie, contre un euro en Castille-et-Léon, tandis que la consommation journalière par habitant des particuliers atteignait, en 2013, 130 litres par personne, en baisse de 3,7 % par rapport à 2012, le prix moyen du mètre cube étant de 1,83 euro 19 ( * ) .

Dans ce domaine l'OCDE fait valoir que la consommation per capita des ménages, qui est d'ores et déjà l'une des plus élevées en Europe, pourrait continuer à croître faute d'augmentation des prix, et souligne que la consommation urbaine a été moins rapide dans les zones où les prix ont le plus augmenté 20 ( * ) .

Selon une autre étude publiée en 2010, l'effort (calculé en fonction du prix de l'eau et du revenu disponible par habitant) demandé aux Espagnols pour financer le service de l'eau représenterait 56 % de l'effort réalisé par les Européens. De même le coût du traitement des eaux usées pour les ménages est-il l'un des plus faibles de l'OCDE qui juge également souhaitable de limiter, dans l'agriculture, la facturation à la surface au profit d'une facturation fonction de la consommation. D'un point de vue général, il serait donc utile, selon la même source, que les prix reflètent les coûts, qu'il s'agisse des coûts afférents au prélèvement, à la consommation, au traitement ou aux services qui leurs sont associés 21 ( * ) .

Cependant, il serait utile, note l'OCDE, de diffuser les informations relatives au rapport qualité-prix dans le domaine de l'eau afin d'améliorer la qualité et de réduire les coûts 22 ( * ) .

D'aucuns s'appuient sur ces données pour estimer que le prix de l'eau devrait être augmenté de 79 %, ce qui permettrait un gain de 1,63 milliard d'euros, et encouragerait un usage plus économe. Selon l'étude dont procèdent ces chiffres, en effet, « Compte tenu des caractéristiques climatiques et des restrictions d'utilisation qui en découlent, il est incohérent que le prix de l'eau et l'effort de l'usager soient inférieurs [en Espagne] à la moyenne européenne » 23 ( * ) .

L'attribution des concessions pour l'exploitation de l'eau pourrait, selon l'OCDE, être utilement réalisée dans le cadre d'appels d'offres afin de permettre la perception de revenus et d'améliorer l'efficacité du mécanisme d'attribution, d'autant que la gestion des prélèvements sur les aquifères devrait, selon la même source, mieux prendre en compte le risque de surexploitation 24 ( * ) .

Quant au déversement des eaux usées dans le domaine public hydraulique, il fait l'objet d'une taxe de contrôle qui repose sur le principe « pollueur-payeur » (article 111 bis). En 1998, le Livre blanc sur l'eau en Espagne soulignait que cette redevance n'était cependant pas suffisamment efficace pour garantir la bonne qualité de l'eau des fleuves, d'autant que l'irrigation des sols était facturée non pas en fonction du volume d'eau consommé mais d'après la superficie cultivable, ce qui, ajouté au faible prix de l'eau en Espagne, n'incitait guère à limiter la consommation d'eau.

• Sécurité et qualité de l'eau

Les stations du Réseau officiel d'évaluation du débit (ROEA) contrôlent depuis 1912 la quantité d'eau. Ce réseau est complété par les Systèmes automatiques d'information hydrologique ( SAIH) et les Systèmes automatiques d'information sur la qualité des eaux ( SAICA ) 25 ( * ) .

Systèmes d'alerte en temps réel, les SAIH permettent la prévention et la gestion des crues. Bien que la pluviométrie ne soit pas abondante en Espagne, il arrive en effet que le pays souffre de graves inondations. Ce dispositif permet aussi d'anticiper les périodes de sécheresse, et de connaître plus précisément la qualité de l'eau et, de manière générale, la situation de chaque bassin. Les systèmes SAIH collectent des informations concernant le niveau et le débit des fleuves ainsi que le niveau d'eau stocké dans les barrages, permettant de prévoir le comportement des bassins. Les données collectées sont transmises par radio ou satellite. Chaque SAIH fonctionne de manière autonome dans chacune des confédérations hydrographiques.

Le SAICA a été mis en place par le ministère de l'Environnement entre 1993 et 1995. Ce réseau compte deux cents stations automatiques d'alerte qui transmettent de manière continue des informations concernant la qualité des eaux continentales superficielles au ministère et aux confédérations hydrographiques. Les stations sont situées dans des zones considérées comme sensibles, notamment en raison du fait qu'elles servent à approvisionner la population ou qu'elles sont protégées, et peuvent être exposées à la pollution urbaine, industrielle, ou due aux déchets.


* 1 Ministerio de medio ambiente y medio rural y marino, « Sistema Automático de Información Hidrológica. El programa S.A.I.H. Descripción y funcionalidad. El presente y el futuro del Sistema » , p. 1.

* 2 Fuentes (2011), « Policies Towards a Sustainable Use of Water in Spain », OCDE, Economics Department Working Papers, n° 840, p. 5. Selon ce document, l'Espagne occupait en 2006 la 5 ème place dans le classement à raison de la consommation d'eau issue de captage, et par tête parmi les membres de l'OCDE, derrière les États-Unis, le Canada, la Nouvelle-Zélande et l'Australie.

* 3 Libro blanco del agua en España. Documento de Síntesis , décembre 1998, p. 2-3.

* 4 Fuentes (2011), art. cit. p. 6-9.

* 5 Instituto Nacional de Estadística, Notas de prensa, 1 de octubre de 2015 , p. 6.

* 6 Antonio Gil Olcina , Conflictos autonómicos sobre trasvases de agua en España, Investigaciones geograficas, p. 13.

* 7 Sylvie Clairmont, « L'évolution des politiques française et espagnole de l'eau. Entre directives communautaires et décentralisation administrative » dans Économie rurale , 309 (2009), p. 38.

* 8 Real decreto legislativo 1/2001 del 20 de julio por el que se aprueba el texto refundido de la Ley de Aguas.

* 9 Les références entre parenthèses dans le texte infra renvoient à ce texte, sauf indication contraire.

* 10 Article 149-1-22 de la Constitution espagnole.

* 11 Fuentes (2011), art. cit. p. 16.

* 12 S. Clairmont, « L'évolution des politiques françaises et espagnole de l'eau... », art. cit. p. 43.

* 13 S. Clairmont, art. cit. p. 46.

* 14 Albert Martínez Lacambra et al . « La financiación del ciclo del agua en España. Problematica y retos de futuro » dans Presupuesto y gasto público , 57 (2009), p. 55.

* 15 Fuentes (2011), art. cit. p. 11-12.

* 16 Marie François, « La pénurie d'eau en Espagne : un déficit physique ou socio-économique ? » dans Géocarrefour , 81/1 (2006), p. 6-7.

* 17 Ambassade de France en Espagne, Service pour la science et la technologie, « Le dessalement de l'eau de mer en Espagne : un secteur en réorientation », juillet-août 2014, p. 2. et Fuentes, (2011), art. cit. p. 10.

* 18 Albert Martínez Lacambra et al . « La financiación del ciclo del agua en España. Problemática y retos de futuro » dans Presupuesto y gasto público , 57 (2009), p. 55-56.

* 19 Instituto Nacional de Estadística, Notas de prensa, 1 de octubre 2015 , p. 1.

* 20 Fuentes (2011), art. cit. p. 16 et 18.

* 21 Idem , p. 18 et 19.

* 22 Idem , p. 21.

* 23 A. Martínez Lacambra et al ., art. cit. p. 63 et 64.

* 24 Fuentes (2011), art. cit. p. 23.

* 25 Sur ces systèmes, v. Ministerio de medio ambiente y medio rural y marino, Sistema automático de Información Hidrológica. El programa S. A.I.H. Descripción y funcionalidad. El presente y el futuro del sistema .

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