ESPAGNE

Les dispositions relatives aux actes interruptifs de prescription figurent à l'article 132.2 du code pénal espagnol. Les dispositions initiales de la loi organique n°10 du 23 novembre 1995 relative au code pénal ont, à la suite d'un conflit de jurisprudence survenu entre les deux plus hautes juridictions du pays, été amendées par la loi organique n° 5 du 22 juin 2010 modifiant la loi organique n° 10 du 23 novembre 1995 relative au code pénal.

1. Les dispositions initiales de la loi organique n° 10 du 23 novembre 1995

Dans sa rédaction initiale, adoptée en 1995, le second paragraphe de l'article 132 du code pénal espagnol disposait que « la prescription s'interrompt, le temps passé n'étant pas décompté, lorsque la procédure est intentée contre le coupable, le nouveau délai commençant à compter du jour où la procédure s'interrompt ou se termine sans condamnation » 13 ( * ) .

La doctrine a souligné le caractère « imprécis de cette formule, car elle n'indique pas exactement l'acte processuel concret qui occasionne l'arrêt du décompte du temps » estimant que ce libellé a été « la source principale de problèmes d'interprétation » et rappelant que « [...] les tribunaux pénaux espagnols au premier rang desquels se trouvait la deuxième chambre du Tribunal Suprême [homologue de la Cour de cassation] , majoritairement, mais non sans hésitations, avaient soutenu que la dénonciation ou la plainte interrompaient la prescription » 14 ( * ) . Du fait de cette jurisprudence lorsque, dans la dénonciation ou la plainte, « apparaissaient des données suffisantes pour identifier les coupables présumés », l'une et l'autre constituaient des actes interruptifs, dès leur enregistrement (registro) . Cette position était motivée parce que le principe de sécurité juridique nécessitait que l'on objective le « dies a quo de l'interruption de la prescription, sans que ne puisse avoir d'effet la plus ou moins grande diligence du tribunal dans son action postérieure à la réception de la notitia criminis » 15 ( * ) .

1. Un conflit de jurisprudence survenu entre les deux plus hautes juridictions espagnoles

Dans un arrêt 63/2005 du 14 mars 2005 le Tribunal Constitutionnel espagnol a jugé que comme « la prescription pénale suppose une renonciation ou une autolimitation de l'État au droit de punir motivée par le seul écoulement d'une durée plus ou moins longue, seuls les organes qui exercent au nom de l'État la fonction d'interpréter ou d'appliquer les normes pénales peuvent, logiquement, le faire dans les délais indiqués ou, au contraire, laisser s'écouler ceux-ci sans avoir effectué aucun acte [...] de sorte que seul le juge peut accomplir l'acte tenant à la mise en oeuvre de la procédure contre le coupable que requiert l'article 132.2 du code pénal pour que l'on considère comme interrompu le délai de prescription du délit ou du crime en question ».

En d'autres termes, ajoutait le juge suprême dans le même arrêt, « la fixation d'un délai de prescription pour les contraventions, délits et crimes n'obéit pas à la volonté de limiter temporairement l'exercice de l'action pénale par les dénonciateurs et les plaignants (selon une conception procédurale de la prescription), mais à la volonté sans équivoque du législateur pénal de limiter dans le temps l'exercice du droit de punir de la part de l'État, eu égard au fait que le simple écoulement du temps diminue la nécessité de la réponse pénale (selon une conception matérielle de la prescription), le fait d'infliger une peine manquant de sens parce que la collectivité et l'auteur du délit ou le crime, dont la personnalité peut s'être transformée, auraient oublié celui-ci ».

Cette décision, qui prenait le contrepied de la jurisprudence du Tribunal Suprême, eut pour effet d'inciter le législateur espagnol à modifier le texte de l'article 132 du code pénal afin de faire droit aux préoccupations divergentes qui inspiraient les jurisprudences précitées.

2. Les dispositions résultant de la loi organique n° 5 du 22 juin 2010 et le concept de « décision » judiciaire

On examinera successivement la portée des modifications opérées par la loi organique n° 5 du 22 juin 2010 modifiant la loi organique n° 10 du 23 novembre 1995 relative au code pénal, puis la notion de « décision » judiciaire.

a) Les dispositions résultant de la loi organique n° 5 du 22 juin 2010 relatives aux actes interruptifs de prescription

La loi organique n° 5 du 22 juin 2010 modifiant la loi organique n° 10 du 23 novembre 1995, relative au code pénal a donné la rédaction suivante à l'article 132 de ce code, s'agissant des actes interruptifs de prescription :

« 2. La prescription s'interrompt, le temps passé n'étant pas décompté, lorsque la procédure est intentée contre la personne présumée responsable du délit ( delito ). Elle commence à courir de nouveau à compter du jour où la procédure s'interrompt ou se termine sans condamnation, en appliquant les règles suivantes :

1. a La procédure est considérée comme intentée contre une personne déterminée à compter du moment où, en son début ou postérieurement, une décision judiciaire motivée est prise, laquelle attribue à une personne déterminée la participation présumée à un fait qui peut constituer un délit.

2. a Nonobstant l'alinéa précédent, la présentation de la plainte ou la dénonciation formulée devant un organe judiciaire dans laquelle on attribue à une personne déterminée la participation à un fait qui peut constituer un délit, suspend le délai de calcul de la prescription, pour une durée maximale de six mois à compter de la même date de dépôt de la plainte ou de formulation de la dénonciation.

Si, dans ce délai, l'une des décisions judiciaires mentionnées à l'alinéa précédent est prise contre la personne faisant l'objet de la plainte ou de la dénonciation, ou contre toute autre personne impliquée dans les faits, l'interruption de la prescription sera considérée comme emportant rétroactivement tous ses effets à la date de la plainte ou de la dénonciation.

Dans le cas contraire, le calcul du terme de la prescription court à compter de la date du dépôt de la plainte ou de la dénonciation, si, dans les six mois, intervient une décision judiciaire non équivoque (firme) refusant de donner suite à la plainte ou à la dénonciation, en vertu de laquelle la procédure contre la personne qui en fait l'objet n'est pas poursuivie. Le délai continue de courir également si, durant celui-ci, le juge d'instruction n'adopte aucune des décisions prévues au présent article.

3. a Pour l'application du présent article, la personne contre laquelle est menée la procédure doit être définie de façon suffisante dans la décision judiciaire, soit par son identification directe, soit par des données qui permettent, de parvenir à cette identification ultérieurement au sein de l'organisation ou du groupe de personnes auxquelles le fait est attribué. » 16 ( * )

Cette rédaction permet par conséquent :

- d'attribuer à la dénonciation et à la plainte consécutives à un délit un effet interruptif pendant au plus six mois, satisfaisant aussi bien le droit du plaignant d'être entendu que celui de la personne mise en cause de ne pas pâtir de retards indus dans la procédure ;

- et de confier à l'autorité judiciaire la responsabilité d'interrompre, par un acte, le cours de la prescription.

b) Le concept de « décision » judiciaire

Dans la rédaction adoptée en 2010, l'article 132.2 du code pénal espagnol fait toujours référence à la notion de « décision » judiciaire (resolución judicial) que la jurisprudence a interprétée. C'est ainsi qu'un arrêt de la deuxième chambre criminelle du Tribunal Suprême a précisé que ces actes « n'ont d'effet interruptif de la prescription que s'ils ont un contenu substantiel, caractéristique de la mise en oeuvre et de la poursuite de la procédure, qui révèle, en définitive, que l'enquête progresse et se développe, que le procès continue en passant par diverses étapes [...]. C'est seulement lorsque les actes de procédure sont dotés d'un authentique contenu matériel que la prescription peut être considérée comme interrompue » 17 ( * ) .

En dehors de ces principes généraux, la recherche n'a pas permis de mettre en évidence de « liste » des décisions judiciaires qui interrompent la prescription, le régime applicable à cette matière résultant de décisions juridictionnelles éparses puisque, selon un auteur, « pour une bonne partie de la jurisprudence, la "procédure" débute lorsque ont été réalisées des diligences par la police [...] ». Cependant, « pour la majorité de la doctrine, une décision judiciaire est nécessaire » 18 ( * ) .

Selon une autre source, « la dénonciation présentée au parquet ou à l'autorité de police n'a pas d'effet interruptif dans la mesure où la notitia criminis ne parvient pas réellement à son véritable destinataire, l'organe judiciaire » 19 ( * ) .


* 13 « La prescripción se interrumpirá, quedando sin efecto el tiempo transcurrido, cuando el procedimiento se dirija contra el culpable, comenzando a correr de nuevo el término de la prescripción desde que se paralice el procedimiento o se termine sin condena . »

* 14 José Manuel Chozas Alonso « Cuándo se interrumpe la prescipción en el ámbito procesal penal ? (un nuevo enfrentiamiento entre el Tribunal Constitucional y el Tribunal Supremo » dans Foro, Nueva Época , n° 2/2005, p. 203.

* 15 Idem, p. 205.

* 16 « 2. La prescripción se interrumpirá, quedando sin efecto el tiempo transcurrido, cuando el procedimiento se dirija contra la persona indiciariamente responsable del delito, comenzando a correr de nuevo desde que se paralice el procedimiento o termine sin condena de acuerdo con las reglas siguientes:

1. Se entenderá dirigido el procedimiento contra una persona determinada desde el momento en que, al incoar la causa o con posterioridad, se dicte resolución judicial motivada en la que se le atribuya su presunta participación en un hecho que pueda ser constitutivo de delito.

2. No obstante lo anterior, la presentación de querella o la denuncia formulada ante un órgano judicial, en la que se atribuya a una persona determinada su presunta participación en un hecho que pueda ser constitutivo de delito, suspenderá el cómputo de la prescripción por un plazo máximo de seis meses, a contar desde la misma fecha de presentación de la querella o de formulación de la denuncia.

Si dentro de dicho plazo se dicta contra el querellado o denunciado, o contra cualquier otra persona implicada en los hechos, alguna de las resoluciones judiciales mencionadas en la regla 1., la interrupción de la prescripción se entenderá retroactivamente producida, a todos los efectos, en la fecha de presentación de la querella o denuncia.

Por el contrario, el cómputo del término de prescripción continuará desde la fecha de presentación de la querella o denuncia si, dentro del plazo de seis meses, recae resolución judicial firme de inadmisión a trámite de la querella o denuncia o por la que se acuerde no dirigir el procedimiento contra la persona querellada o denunciada. La continuación del cómputo se producirá también si, dentro de dicho plazo, el juez de instrucción no adoptara ninguna de las resoluciones previstas en este artículo.

3. A los efectos de este artículo, la persona contra la que se dirige el procedimiento deberá quedar suficientemente determinada en la resolución judicial, ya sea mediante su identificación directa o mediante datos que permitan concretar posteriormente dicha identificación en el seno de la organización o grupo de personas a quienes se atribuya el hecho. »

* 17 Tribunal Supremo , Sala 2 a , de lo Penal , 8 février 1995.

* 18 Voir par exemple, sur ce point, les observations du manuel de droit pénal de José Luis Diez Ripollès, Derecho penal español. Parte general , Valence, Tirant lo Blanch, 2016 4 p. 842-843, qui estime qu'eu égard au fondement de la prescription, une définition restrictive de la notion de procédure est préférable.

* 19 J. M. Chozas Alonso « Cuándo se interrumpe la prescipción en el ámbito procesal penal ? (un nuevo enfrentiamiento entre el tribunal constitucional y el tribunal supremo » art. cit., p. 207.

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