EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Les fraudes aux finances publiques constituent une atteinte directe au pacte républicain. Elles affaiblissent la confiance des citoyens, détournent des ressources essentielles, fragilisent la justice sociale et nuisent à l'efficacité des politiques publiques. Elles pèsent lourdement sur les finances publiques et compromettent la trajectoire de désendettement de la Nation.
Depuis 2023, le Gouvernement a engagé une action résolue et cohérente fondée sur une approche transversale pour s'attaquer à toutes les fraudes : fiscales, sociales, douanières, aux aides publiques. Elle s'est traduite par le plan interministériel de lutte contre toutes les fraudes aux finances publiques présenté en mai 2023 et par le soutien apporté aux lois des 13 et 30 juin 2025 visant, respectivement, à sortir la France du piège du narcotrafic et à lutter contre les fraudes à toutes les aides publiques. Ce plan a déjà produit des résultats significatifs : 20 milliards d'euros de fraudes mis en recouvrement en 2024, dont 2,9 milliards dans le champ social ; 13 milliards encaissés ; 600 millions d'euros d'avoirs criminels saisis.
Le projet de loi présenté aujourd'hui vise à amplifier ces efforts et à adapter notre arsenal face à des fraudeurs qui renouvellent leurs méthodes. Il vise à changer d'échelle en renforçant les outils existants et en massifiant leur usage, dans le cadre d'une approche décloisonnée mobilisant l'ensemble des acteurs concernés, des administrations fiscales aux organismes de sécurité sociale, en passant par les acteurs de la lutte contre le blanchiment et la criminalité financière, ainsi que les collectivités territoriales.
Le projet de loi complète les réformes récentes, notamment la loi du printemps 2025 sur les fraudes aux aides publiques et la loi relative à la lutte contre les narcotrafics, qui renforce la réponse pénale face aux organisations criminelles. Il s'inspire des travaux des parlementaires et des organismes publics comme le Haut conseil du financement de la protection sociale pour s'inscrire dans une vision d'ensemble qui va au-delà de ce texte. Ce nouveau cap de lutte contre la fraude recouvre des mesures législatives et réglementaires, dans le but constant de faciliter les échanges d'informations entre administrations, assécher les circuits frauduleux, démanteler les structures frauduleuses, protéger les dispositifs de solidarité, garantir l'égalité devant les règles communes et récupérer les montants fraudés.
Ce projet de loi repose sur un triptyque : mieux prévenir et détecter, mieux lutter et sanctionner, mieux recouvrer. L'objectif est de développer des outils plus performants de détection des fraudes pour couper les flux, d'adapter non seulement les leviers de lutte contre les fraudes mais également le régime des sanctions aux nouvelles pratiques et de renforcer les moyens de recouvrement pour que l'argent public détourné soit récupéré, ce qui, dans certains schémas de fraudes, n'est encore qu'insuffisamment le cas.
Le titre Ier améliore les capacités de détection de la fraude.
Le chapitre Ier vise à mettre en commun et à exploiter les informations nécessaires à la lutte contre la fraude.
L'article 1er favorise la communication des informations fiscales et douanières. Il permet aux agents des douanes et aux agents des services fiscaux effectuant des enquêtes judiciaires d'échanger avec ceux chargés d'une mission de contrôle toutes informations et tous documents, recueillis dans le cadre de ces enquêtes, susceptibles d'être utiles à l'exercice de cette mission de contrôle.
L'article 2 étend le droit d'accès des organismes de sécurité sociale aux bases de données patrimoniales (Patuela, Ficovie et BNDP) et inclut dans le dispositif les agents de la caisse nationale d'assurance maladie.
L'article 3 facilite la mise à jour du registre national des entreprises (RNE) en cas de fraude, en imposant à l'administration fiscale de transmettre à l'opérateur chargé du guichet unique du RNE les informations et pièces nécessaires à certaines immatriculations et radiations d'office.
L'article 4 impose aux organismes nationaux des différents régimes de sécurité sociale de concevoir et de mettre en place un programme de contrôle et de lutte contre la fraude. En outre, il prévoit que les directeurs de ces organismes procèdent aux contrôles et enquêtes nécessaires lorsqu'ils ont connaissance de faits pouvant être de nature à constituer une fraude. Enfin, il impose à ces organismes de porter plainte lorsqu'une fraude est constatée pour un montant supérieur à un seuil fixé par décret et leur permet de mandater l'un ou plusieurs d'entre eux pour déposer une plainte.
L'article 5 encadre le traitement de données des organismes complémentaires d'assurance maladie et renforce les échanges de données entre ceux-ci et l'assurance maladie obligatoire.
L'article 6 autorise les agents des Maisons départementales des personnes handicapées et les services en charge de l'attribution de l'allocation personnalisée d'autonomie au sein des conseils départementaux à échanger des informations avec leurs partenaires en matière de lutte contre la fraude.
L'article 7 impose aux entreprises de transport sanitaire et aux entreprises de taxis ayant conclu une convention avec un organisme local d'assurance maladie d'équiper leurs véhicules d'un dispositif de géolocalisation certifié par l'assurance maladie et d'un système électronique de facturation intégré.
L'article 8 interdit la mise à disposition d'un tiers, à titre onéreux ou non, d'une inscription au registre des voitures de transport avec chauffeur (VTC), sous peine de sanction administrative consistant en une radiation de ce registre et une interdiction de s'y inscrire à nouveau pendant une durée maximale de trois ans. En outre, il complète les obligations de vigilance qui pèsent sur les plateformes de mise en relation, en y ajoutant le caractère personnel de l'inscription au registre de l'exploitant de VTC et l'absence de situation de travail dissimulé, et prévoit une sanction, sous forme d'amende administrative, en cas de méconnaissance de ces obligations.
L'article 9 autorise la transmission à l'Autorité des marchés financiers de procès-verbaux, de rapports d'enquête ou de toute autre pièce de procédure pénale pertinente, non plus seulement par le parquet national financier, mais également par tous autres parquets, y compris le parquet luttant contre le trafic de stupéfiants et le parquet national anticriminalité organisée, après avis favorable du juge d'instruction lorsqu'une information judiciaire a été ouverte.
Le chapitre II renforce les moyens d'enquête et de contrôle.
L'article 10 étend le droit de communication auprès des tiers dont disposent les directeurs et directeurs comptables des organismes locaux de sécurité sociale, aux agents placés sous leur autorité.
L'article 11 permet aux agents de contrôle de la formation professionnelle d'opérer sous une identité d'emprunt ou de manière anonyme lorsqu'ils contrôlent des organismes proposant des formations entièrement dématérialisées.
L'article 12 étend le champ des fraudes pouvant être constatées au sein de la branche accidents du travail - maladies professionnelles. En outre, il prévoit un dispositif de sur-cotisation des entreprises en cas de fraude. Enfin, il crée un régime de sanctions administratives en cas de fraude au compte personnel de formation.
Le titre II adapte le régime des sanctions à l'évolution des pratiques frauduleuses.
Le chapitre Ier vise à tarir les sources de revenus occultes ou illicites et à mieux sanctionner leurs bénéficiaires.
L'article 13 rend obligatoire le versement des indemnités des travailleurs privés d'emploi sur des comptes bancaires domiciliés en France ou dans l'espace unique de paiement en euros de l'Union européenne et identifiés par un numéro national ou international de compte bancaire. Par ailleurs, il impose aux ministères et organismes certificateurs de communiquer au système d'information du compte personnel de formation des informations relatives aux personnes inscrites ou présentes à une session d'examen de la certification ou du bloc de compétences, et rend obligatoire l'inscription et la présentation à l'examen en cas de mobilisation des fonds du compte personnel de formation.
L'article 14 prévoit d'assujettir les revenus présumés issus d'activités illicites soumis à l'impôt sur le revenu en application de l'article 1649 quater-0 B bis du code général des impôts (trafic de stupéfiants, fausse monnaie...), à taux majoré de contribution sociale généralisée (CSG). Enfin, il interdit le cumul des indemnités des travailleurs privés d'emploi et de ces mêmes revenus et impose à l'administration fiscale d'informer France Travail de l'existence de tels revenus.
L'article 15 soumet aux obligations de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme les personnes se livrant à titre d'activité professionnelle régulière ou principale, au commerce de biens relevant des secteurs de l'horlogerie, de la bijouterie, de la joaillerie ou de l'orfèvrerie, lorsque la valeur du bien dépasse 10 000 euros, et les autres personnes se livrant au commerce de biens acceptant des paiements en espèces ou au moyen de monnaie électronique d'un montant supérieur à un seuil fixé par décret.
Le chapitre II vise à renforcer les sanctions administratives et pénales.
L'article 16 impose aux centres de formation des apprentis de transmettre les données issues de la mise en oeuvre de la comptabilité analytique à France compétences accompagné, lorsque la comptabilité n'est pas tenue par un comptable public, de l'attestation du commissaire aux comptes ou à défaut de l'expert-comptable d'une attestation reconnaissant la fiabilité des données comptables transmise. En outre, il prévoit une amende en cas d'absence de transmission des données issues de la mise en oeuvre de la comptabilité analytique et de cette attestation à France compétences. Enfin, il instaure un régime de sanctions administratives pour les manquements des organismes de formation professionnelle à leurs obligations.
L'article 17 permet au directeur d'une caisse primaire d'assurance maladie, en cas de fraude ou de divers manquements, de prononcer à l'encontre d'un professionnel de santé, à raison des mêmes faits, non seulement une sanction financière sur le fondement de l'article L. 114-17-1 du code de la sécurité sociale, mais également une sanction prise sur le fondement de la convention conclue entre leur profession et l'assurance maladie. Par ailleurs, il simplifie les modalités de mise sous objectif des prescriptions d'un professionnel de santé par une caisse primaire d'assurance maladie et étend le champ de la mise sous accord préalable des centres de santé et des plateformes de téléconsultations.
L'article 18 alourdit la peine encourue en cas d'escroqueries au préjudice des finances publiques lorsqu'elles sont commises en bande organisée.
L'article 19 renforce les peines sanctionnant le délit de mise à disposition d'instruments de facilitation de la fraude fiscale, y compris lorsque ce délit est aggravé par l'utilisation d'un service de communication au public en ligne. Il crée une nouvelle circonstance aggravante lorsque ce délit est commis en bande organisée. Il permet aux magistrats judiciaires de recourir à certaines techniques spéciales applicables à l'enquête, à la poursuite, à l'instruction et au jugement des affaires en matière de criminalité et de délinquance organisées pour les délits comptables et le délit de mise à disposition d'instruments de facilitation de la fraude fiscale dans certaines conditions.
L'article 20 instaure une obligation déclarative à la charge des administrateurs de trusts à l'occasion du paiement de droits de mutation par décès et précise les majorations encourues en cas de rectification due à une omission déclarative.
Le titre III vise à améliorer l'efficacité du recouvrement des sommes indûment versées en raison d'une fraude.
L'article 21 crée une procédure de flagrance sociale en cas de constat d'infractions à la législation sur le travail dissimulé. En outre, il rend immédiatement exécutoire la contrainte émise pour recouvrer la créance sociale résultant d'une telle infraction et crée un nouveau recours juridictionnel afin que le président du tribunal compétent puisse arrêter les effets de la contrainte sous certaines conditions, dans le cas où une opposition à contrainte a été formée.
L'article 22 étend le devoir de vigilance des donneurs d'ordre à l'égard de leurs sous-traitants et renforce leur solidarité financière en cas de constat de travail dissimulé.
L'article 23 proroge d'un an le délai de reprise dérogatoire prévu par les dispositions des articles L. 188 A à L. 188 C du livre des procédures fiscales.
L'article 24 précise le délai de reprise applicable en matière de financement des actions de formation professionnelle.
L'article 25 prévoit la possibilité, pour le directeur général de la Caisse des dépôts et consignations, en cas de manoeuvres frauduleuses, de délivrer une contrainte afin de recouvrer les sommes correspondant aux droits à formation indûment mobilisés par le titulaire du compte personnel de formation.
L'article 26 permet à certains organismes chargés du recouvrement de créances sociales de former opposition pour un contrat d'assurance rachetable. Il prévoit que, dans ce cas, l'opposition entraîne le rachat forcé dudit contrat et a pour effet d'affecter à ces organismes la valeur de rachat du contrat d'assurance au jour de la notification de l'opposition, dans la limite du montant de cette dernière.
L'article 27 ouvre à France Travail la possibilité d'émettre des saisies administratives à tiers détenteur et lui permet de retenir la totalité des versements à venir d'allocations d'assurance-chômage en cas d'indus engendrés par manquement délibéré ou manoeuvres frauduleuses.
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L'action de la puissance publique, portée par l'ensemble des services de l'État, des organismes de protection sociale et des collectivités est coordonnée pour offrir une réponse robuste, décloisonnée, et réactive.
La lutte contre la fraude n'est pas seulement un outil de redressement budgétaire. Elle est aussi le reflet de notre exigence d'équité, de responsabilité et de solidarité. Ce projet de loi en est une traduction directe, et marque une étape décisive pour assurer aux Français que les prélèvements qu'ils acquittent sont employés loyalement et de manière efficiente.