EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La transformation de notre système de santé, qui a fait l'objet d'une loi récemment promulguée et qui s'est retrouvée de nouveau au coeur des débats à l'occasion de la tenue du Ségur de la santé, demeure un enjeu crucial, sa réforme étant condition de sa pérennité. Cette transformation, dont les failles ont été exacerbées par la crise sanitaire que nous traversons, nécessite de replacer le médecin et l'Humain au centre du dispositif, par le biais du recours aux perspectives offertes par la santé personnalisée. La santé personnalisée peut être définie comme l'ensemble des pratiques, procédures et techniques prenant en compte les spécificités individuelles, les déterminants environnementaux et les besoins du patient dans la construction des stratégies thérapeutiques de prévention et de soins, au moyen des données récoltées, traitées et exploitées par le praticien.

Dans la pratique, les professionnels de santé, notamment en médecine clinique, exercent déjà leurs missions dans une perspective de personnalisation des soins et des stratégies thérapeutiques. Avec le corpus de mesures proposées dans ce texte, nous souhaitons offrir des outils complémentaires aux praticiens et aux patients, afin qu'ils puissent pleinement profiter des bénéfices apportés par le virage de la transformation numérique et de l'innovation thérapeutique.

Être en capacité d'accéder à des soins de qualité en tous points du pays est une préoccupation majeure partagée par l'ensemble de nos compatriotes. Dans de nombreux départements, qu'ils soient ruraux ou urbains, des solutions innovantes sont mises en place et tendent toutes vers le recours à des outils numériques aux perspectives encourageantes quant à la revitalisation sanitaire de nos territoires. Corolairement au renforcement du maillage sanitaire territorial, essentiel à la reconstruction de notre système de santé, la numérisation des pratiques médicales est également perçue par de nombreux experts comme une source de maîtrise des dépenses de santé publique.

Néanmoins, l'objectif premier de l'utilisation des innovations technologiques médicales et des outils numériques est l'accompagnement des défis épidémiologiques nouveaux que sont le vieillissement de la population et l'importante augmentation des pathologies chroniques et affections de longue durée.

Il est essentiel que la transformation de notre système de santé s'opère, notamment, par un changement de paradigme du suivi du patient : d'une vision strictement réactive, intervenant uniquement en aval de l'apparition des pathologies, la médecine doit agir en amont du risque. À cet égard, la prévention, l'identification des déterminants de santé (tels que l'environnement de vie ou la nutrition), sont consubstantiels à la construction de parcours de soins personnalisés, s'incarnant par une médecine « 4P » : préventive , prédictive , personnalisée et participative . Cet avènement de la santé personnalisée implique une mobilisation importante des ressources numériques à la disposition des professionnels de santé et des chercheurs, au premier rang desquelles se trouvent les données de santé.

Dans cette perspective, la création de la plateforme des données de santé (ou Health Data Hub ) par la loi du 24 juillet 2019 a permis d'accélérer la numérisation du système de santé, en permettant de réunir, d'organiser et de mettre à disposition les données du système national des données de santé à des fins de recherche clinique ou de nouveaux usages numériques, telle que le développement des technologies algorithmiques d'intelligence artificielle.

Parallèlement au déploiement des nouvelles technologies numériques, les progrès considérables en termes d'innovation thérapeutique apportés par la recherche publique et l'industrie pharmaceutique françaises constituent la seconde clé de maturation de la santé personnalisée. Le secteur de la recherche médicale et pharmacologique française est mondialement reconnu, dans des domaines de pointe tels que la cancérologie, la virologie, les neurosciences, et les outils technologique tels que biotechnologies, la robotique, l'imagerie 3D ou le diagnostic in vitro .

Cependant, la France voit sa compétitivité et sa force d'attraction pour l'innovation médicale s'affaiblir, notamment du fait d'une discordance entre une offre de soins de grande qualité et un déséquilibre financier structurel des comptes sociaux, limitant la capacité des autorités de santé à garantir l'accès universel aux révolutions thérapeutiques. À cet égard, le financement d'équipements d'excellence en génomique à visée diagnostique et de suivi thérapeutique prévu par le Plan France Médecine Génomique 2025 (PFMG 2025), permettra l'intégration de la génomique dans le parcours de soins. Le PFMG 2025 constituera une preuve de concept, il est dans cette perspective important de pouvoir apporter un dispositif législatif qui s'adapte à ses avancées.

Conçu pour les Trente Glorieuses, le système de régulation de l'économie des médicaments apparaît aujourd'hui inadapté face à l'émergence de la génomique, des associations de traitements, de l'immunothérapie, des thérapies géniques et cellulaires, de l'offre intégrée incluant des solutions multi-technologiques. Un changement de paradigme des parcours de soins axés sur des mécanismes de santé personnalisée appelle dès lors à adopter une nouvelle approche des modalités de prise en charge.

L'enjeu du financement et de la stimulation de la recherche française pour accompagner l'essor de la santé personnalisée s'avère d'autant plus crucial dans le contexte pandémique que nous traversons. L'incapacité de la France à garantir sa propre souveraineté sanitaire, tout particulièrement sur la production de thérapies innovantes à l'instar d'un vaccin à ARN messager, est dramatiquement révélatrice de notre impuissance. Alors que le « monde d'après » s'annonce plus qu'incertain, recouvrer notre souveraineté sanitaire, notamment dans le cadre du développement d'innovations thérapeutiques pour une santé personnalisée, sera un défi qu'il sera décisif de relever.

La santé personnalisée incarne de nouveaux espoirs, tant pour les patients atteints de pathologies rares et aux implications thérapeutiques complexes, que pour l'ensemble des assurés sociaux qui verraient la philosophie de leurs parcours de soins améliorées par l'individualisation des stratégies préventives et thérapeutiques. En ce sens, il est essentiel que la recherche médicale et la compréhension de la diversité des mécanismes d'une maladie donnée, spécifique d'un patient ou d'un groupe de patients, soient stimulées, et que l'accès aux innovations thérapeutiques et numériques soit garanti, tout en assurant un niveau élevé de pertinence d'utilisation et de protection des données de santé.

L'article 1 inscrit l'enjeu de la reconquête de la souveraineté sanitaire de la France comme un objectif majeur de la politique nationale de recherche.

L'article 2 définit juridiquement le concept de la « santé personnalisée » et l'introduit comme un objectif prioritaire de la politique publique de recherche et d'innovation comme de la politique nationale de santé. La santé personnalisée repose sur les spécificités individuelles des stratégies thérapeutiques et des prises en charge pour chaque patient, l'émergence des données numériques de santé et des données en vie réelle pour un pilotage individualisé des soins aux patients, l'essor de la santé génomique dans les traitements plus ciblés en cancérologie ou dans les maladies neurodégénératives, et la singularité de chaque parcours de soins et de vie.

Les objectifs sanitaires et de prévention visent tout autant à accompagner la prise en charge de pathologies rares, lourdes et physiques, qu'à trouver un aboutissement concret dans le champ de la santé mentale, qui demeure un enjeu sanitaire majeur malgré la place mineure qu'il occupe dans les stratégies de santé publique.

L'article 3 engage le ministère chargé de la Recherche et le ministère chargé de la Santé à réviser la stratégie nationale de recherche et la stratégie nationale de santé en introduisant un chantier dédié à la santé personnalisée. À l'instar du PFMG 2025, cette stratégie doit être articulée avec le programme-cadre de recherche de l'Union européenne, dans la même logique de réponse aux défis sociétaux sur les besoins médicaux et les conquêtes médicales dans les biotechnologies et la santé génomique. Les ministères compétents devront s'appuyer sur une concertation avec la communauté scientifique, le monde socio-économique, les usagers du système de santé, les opérateurs de l'innovation et du transfert de technologie, les autres ministères concernés et les collectivités territoriales.

Les instruments de mise en oeuvre de cette stratégie sont principalement les contrats pluriannuels que l'État conclut avec les établissements d'enseignement supérieur (article L. 711-1 du code de l'éducation) et avec les établissements publics de recherche (article L. 311-2 du code de la recherche), la programmation de l'Agence nationale de la recherche et tout financement public de la recherche. Cet article vise à promouvoir la recherche dans les domaines liés à la santé personnalisée tout en permettant la convergence et l'alignement des modèles français et européen.

L'article 4 prévoit la création, au sein de la mission « Recherche et enseignement supérieur » du projet de loi de finances, d'un programme « Recherche, innovation et transfert de technologies dans le domaine de la santé personnalisée » au sein du projet de loi de finances. Cet article vise à donner un cadre aux acteurs publics et privés de la recherche médicale dans les aires thérapeutiques concernées pour engager les investissements stratégiques dans les futures conquêtes médicales. Cette programmation de finances publiques garantit en outre la viabilité de l'émergence d'une filière des médicaments très innovants et d'une filière d'excellence des biotechnologies.

L'article 5 instaure un plancher de 25% de financement sur fonds propres pour les organismes de recherche publique au statut d'EPST et d'EPIC intervenants sur la santé personnalisée (INSERM, CNRS, CHU, CLCC, IHU...). Ce financement se base sur des contrats de partenariats industriels et technologiques avec la R&D médicale privée par le biais des filiales « transfert » de ces grands organismes de recherche publique. Cet article vise à promouvoir l'innovation au travers de partenariats public-privé tout en rationalisant le poids de la recherche dans les dépenses publiques.

Dans la période de crise économique qui s'annonce, et qui affectera de façon non négligeable les finances publiques, il est essentiel de maintenir la promotion de la recherche médicale, dans un esprit de responsabilité et de rationalisation budgétaire. En ce sens, le développement des partenariats entre la recherche publique et privée permet à la fois de promouvoir l'excellence de la recherche française, tout en garantissant un niveau de dépenses publiques soutenable pour l'État.

L'article 6 vise à généraliser l'usage des solutions de diagnostic et de médecine génomique (tests ciblés/NGS) pour améliorer la prise en charge du patient et choisir le bon traitement au bon moment pour le bon patient. Cette disposition instaure que, pour tout nouveau cancer diagnostiqué chez un patient, est mis en place un « forfait Diagnostic » finançant les biomarqueurs compagnons permettant d'identifier les éventuelles thérapies ciblées les plus pertinentes pour le patient.

La révolution génomique offre de nouvelles perspectives tant pour la médecine prédictive que préventive. Le séquençage du génome humain peut aujourd'hui être réalisé en quelques heures, représentant un coût moyen de 1000 €. La médecine génomique est un enjeu de santé publique majeur ; elle constitue une opportunité pour les patients atteints de pathologies graves de bénéficier à la fois d'une prise en charge personnalisée et de nouvelles thérapies ciblées.

En 2018, la Direction Générale de l'Offre de Soins a ainsi mis en oeuvre le référentiel des actes innovants hors nomenclature (RIHN), pour soutenir l'innovation en biologie médicale et anatomocytopathologie. Bien que cette nomenclature soit un outil pérenne de financement de l'innovation, il demeure que son enveloppe fermée n'est pas suffisante. En outre, celle-ci n'inclut pas, à ce jour, les actes liés à l'analyse génomique, ce qui n'encourage pas leur utilisation auprès des patients, les privant alors d'une prise en charge spécifique qui améliore considérablement leur qualité de vie.

À titre d'exemple, les « tests compagnons », devenus indispensables dans la prise en charge des patientes atteintes d'un cancer du sein, ne sont pas financés, laissant les établissements décider s'ils supporteront ou non le risque financier, et conduisant donc à une iniquité potentielle entre les patients.

L'article 7 confie au Comité économique des produits de santé (CEPS) une mission de veille et de prospective sur le développement de produits de thérapie innovante, visant à anticiper l'arrivée sur le marché de nouvelles molécules, leurs impacts budgétaires potentiels, et préparer, en lien avec les ministères en charge de la Santé et du Budget, les modes de financement adaptés.

L'accord-cadre du 5 mars 2021 entre le Comité économique des produits de santé et les entreprises du médicament (Leem) a inscrit, à son article 4, cette nouvelle mission. L'objet de cet article est donc d'assurer la pérennisation du travail de veille et de prospective du CEPS sur les produits de thérapie innovante, en conférant à cette mission une dimension législative.

L'article 8 prévoit, en liaison avec la réforme des critères d'évaluation du médicament envisagée par le Gouvernement, de déverrouiller l'accès à la liste en sus pour des médicaments évalués avec une ASMR IV ou équivalent, afin de mieux s'adapter à la réalité de l'innovation, qui repose non seulement sur des progrès de rupture mais également sur des progrès incrémentaux.

L'article 9 crée, sur le modèle du système allemand, un mécanisme dérogatoire de commercialisation et de remboursement précoce de « médicaments présumés innovants » ayant reçu une AMM par l'Agence européenne du médicament. Cette commercialisation s'effectue dès la délivrance de l'AMM, en parallèle de l'évaluation menée par la HAS en vue de leur admission au remboursement par l'Assurance maladie.

L'objectif de cette mesure est de réduire mécaniquement le délai de disponibilité de produits innovants pouvant permettre de minimiser les pertes de chance pour les patients (la France accusant des délais importants en termes d'accès à l'innovation, avec une moyenne de 566 jours entre la délivrance de l'AMM et le remboursement effectif du produit).

Durant la phase d'évaluation menée par la HAS, le médicament est commercialisé au prix fixé par l'industriel et remboursé par l'Assurance maladie durant un délai d'un an, au cours duquel se déroule la négociation conventionnelle du prix « final » entre le CEPS et l'industriel. Au terme de cette année de commercialisation, le médicament se voit (ou non) attribué un coût fixe et son remboursement est confirmé. Si le montant fixé à l'issue de la négociation conventionnelle est inférieur à celui revendiqué dans sa phase de commercialisation précoce, une contribution permettant de combler la différence est due par l'industriel, afin d'inciter ce dernier à déterminer un prix juste dès la première commercialisation et prévenir tout excès.

L'article 10 vise à intégrer les données de santé en vie réelle dans l'évaluation de l'amélioration du service médical rendu (ASMR) par les médicaments innovants, afin de compléter les résultats en essais cliniques randomisés présentés par les industriels de santé, après mise sur le marché de leur traitement. La loi est ainsi modifiée pour inclure le principe d'une évaluation des prix des médicaments innovants sur la base des données en vie réelle.

L'objectif est de pouvoir, à terme, substituer à la politique traditionnelle de fixation d'un prix de référence par le CEPS une pratique de fixation d'un prix différentié sur la base de l'efficacité constatée en vie réelle pour chaque traitement. Par voie de conséquence, cette évolution instaurera une nouvelle relation entre les industriels de santé et le CEPS sur la base d'accords de prix différentiés, évolutifs, ajustés et révisés de manière dynamique en fonction de l'efficacité en vie réelle des traitements innovants et des tests compagnons sur les populations concernées, la finalité étant de permettre aux malades un accès précoce aux traitements innovants de dernière génération.

L'article 11 prévoit d'intégrer dans les finalités du « Health data hub » l'évaluation de l'efficacité en vie réelle des traitements. Il pose ainsi le principe nécessaire d'une base de données en vie réelle qui sera indispensable à l'élaboration d'une évaluation dynamique des médicaments innovants et à la fixation d'accords de prix différentiés sur ces innovations thérapeutiques en fonction des usages constatés « en vraie vie » dans les stratégies thérapeutiques.

L'accès aux données en vie réelle stockées dans le système national des données de santé (SNDS) est conditionné par la délivrance d'un rapport annuel d'impact et de pharmacovigilance rendu par les industries pharmaceutiques ayant accès à ces données à l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, analysant les effets de la prescription de leurs produits constatés via l'exploitation de ces données en vie réelle.

L'article 12 vise à circonscrire le traitement des données de santé par les organismes de complémentaire santé aux seules fins de remboursement des soins. Les données qui leur sont transmises ne doivent pas leur permettre d'appliquer des majorations sur les contrats d'assurance-maladie en fonction des données indiquant un état de santé, ni conditionner les choix thérapeutiques et médicaux.

L'article 13 , suivant une recommandation récemment émise par la CNIL, entend optimiser la sécurisation des données de santé stockées sur la plateforme des données de santé, en réservant leur hébergement et leur gestion à des opérateurs dont la domiciliation juridique et commerciale relève de la juridiction de l'Union européenne. Cette disposition vise, notamment, à ce que des entreprises soumises à des juridictions extra-européennes autorisant la communication des données hébergées aux autorités publiques ne puissent être en charge de la gestion du fichier de données constitué par le Health Data Hub .

Tel est l'objet de la présente proposition de loi.

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