EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Depuis la loi du 26 mai 2011 relative au prix du livre numérique, aucun texte législatif n'a accompagné l'évolution du secteur du livre. Or il s'agit d'un secteur présentant d'indéniables fragilités.

Les librairies se caractérisent habituellement par une rentabilité nette parmi les plus faibles des branches du commerce (1 % du chiffre d'affaires environ, soit 5 000 euros de bénéfice annuel pour une librairie de taille moyenne employant trois salariés). Nombre d'entre elles peinent à atteindre l'équilibre et sont menacées à terme de disparaître.

Le poids des charges fixes supportées par les libraires (rémunération des collaborateurs, gestion des stocks, loyer) est responsable, pour une grande part, de cette fragilité économique. Faute de fonds propres suffisants, certains ont parfois été contraints de renoncer à moderniser leurs magasins mais aussi à mettre en place un système informatique performant, permettant la vente à distance et une bonne exposition de leurs produits sur internet. Les grands opérateurs, Fnac et Amazon en tête, qui disposent de sites internet et d'une logistique parfaitement rodés, bénéficient sur ce dernier point d'un avantage concurrentiel décisif.

La France possède un réseau de 3 300 librairies indépendantes réparties sur l'ensemble du territoire, employant 13 000 salariés. Ce réseau est le plus dense du monde et le premier circuit de vente de livres (40 %).

Toute fermeture de librairie a une répercussion sur la chaîne du livre, menaçant non seulement les auteurs mais également les éditeurs.

Si les mesures de soutien immédiat ont leur utilité, il n'en demeure pas moins qu'elles maintiennent artificiellement et temporairement hors d'eau les structures les plus fragiles sans traiter à la racine les causes de leurs difficultés.

La présente proposition de loi tend à apporter des solutions permettant d'améliorer l'économie du livre et de renforcer l'équité entre ses acteurs sur le long terme, à travers les mesures suivantes :

L'article 1 er traite notamment des tarifs postaux de livraison et encadre les ventes de livres sur les places de marché.

La vente à distance de livres est en croissance depuis plus d'une décennie, notamment en raison de l'essor d'Amazon, qui capte environ 11 % du marché du livre, et d'autres entreprises telles que la FNAC. La compétitivité de ces entreprises sur ce canal de vente s'explique en partie par la performance de leurs plateformes de ventes en ligne et leurs capacités logistiques ou commerciales (réactivité, fidélisation, service après-vente, etc.), mais également par une facturation quasi gratuite des frais de port à leurs clients. Cette quasi-gratuité provient d'accords négociés avec le Groupe La Poste pour leur octroyer un tarif postal avantageux. Très peu de librairies physiques ont pu négocier de tels accords. Or, la livraison à domicile quasi-gratuite de livres achetés à distance comporte des enjeux à la fois économiques et écologiques. Pour Amazon, si l'activité de vente au détail de livres livrés quasi-gratuitement n'est pas rentable, elle sert en revanche sa stratégie de conquête globale et de fidélisation des clients sur d'autres produits figurant dans son catalogue de vente. La FNAC, quant à elle, n'a eu d'autre choix que de s'aligner sur les tarifs postaux pour pouvoir rester compétitive dans son champ d'activité. Les librairies physiques doivent, en conséquence, faire face à une sérieuse distorsion de concurrence, qu'il convient de traiter.

C'est pourquoi il est proposé que les ministres chargés de la culture et de l'économie puissent fixer par arrêté conjoint, sur proposition de l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (ARCEP), un montant minimum de tarification des frais de livraison, que tous les détaillants devront respecter. Ce montant pourra varier en fonction des catégories de poids des colis expédiés. L'arrêté interministériel devra également prendre en compte les tarifs offerts par les opérateurs postaux sur le marché de la vente au détail de livres ainsi que l'impératif de maintien sur le territoire d'un réseau dense de détaillants.

Par ailleurs, l'article premier oblige les acteurs à afficher distinctement sur tout support (site internet et application pour smartphone) l'offre de livres neufs et l'offre de livres d'occasion de telle sorte que l'utilisateur ne puisse penser qu'un livre neuf peut être vendu à un prix différent de celui fixé par l'éditeur ou l'importateur, alors que la loi du 10 août 1981 impose un prix unique du livre.

Le régime des soldes est réformé afin que la faculté de solder un livre ne soit ouverte qu'aux seuls détaillants, en excluant cette faculté pour les éditeurs exerçant également une activité de détaillant.

Enfin, l'article 1 er organise le transfert des compétences des agents du ministère de la culture habilités à procéder aux enquêtes nécessaires à l'application de la loi du 10 août 1981 relative au prix du livre, au profit des agents de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, davantage compétents en matière de contrôle.

L'article 2 instaure un dispositif fiscal permettant aux communes et aux établissements publics de coopération intercommunale d'attribuer des subventions aux librairies indépendantes, qu'elles soient labellisées ou non. Cette disposition est de nature à permettre le maintien d'une offre culturelle de proximité de qualité dans les communes petites et moyennes.

L'article 3 prévoit la production d'un état des comptes à date de la cessation d'activité afin de permettre aux auteurs de connaître le nombre d'exemplaires des ouvrages vendus depuis la dernière reddition des comptes établie, le montant des droits dus au titre de ces ventes, ainsi que le nombre d'exemplaires disponibles dans le stock de l'éditeur, chez le ou les distributeurs, ainsi que dans les réseaux de vente au détail.

Il prévoit également la résiliation de plein droit du contrat d'édition lorsque l'activité de l'entreprise a cessé depuis plus de six mois ou lorsque la liquidation judiciaire est prononcée.

Par ailleurs, il insère dans le code de la propriété intellectuelle des dispositions relatives à la provision pour retours et à la compensation des droits issus de l'exploitation de plusieurs livres d'un même auteur afin de permettre d'étendre l'accord conclu en 2017 entre le Conseil permanent des écrivains et le Syndicat national de l'édition.

Enfin, après deux années de discussions sous l'égide puis la médiation du ministère de la Culture, un Code des usages et des bonnes pratiques de l'édition des oeuvres musicales a été signé le 4 octobre 2017 par six organisations professionnelles (CSDEM, CEMF et ULM, pour les éditeurs, et SNAC, UCMF et UNAC, pour les auteurs et compositeurs). Ce code a pour objectif de moderniser et clarifier les relations contractuelles entre éditeurs et auteurs, en donnant à ces derniers des moyens accrus pour contrôler l'exécution des contrats et obtenir une meilleure connaissance des paramètres de leur rémunération oeuvre par oeuvre ainsi que de l'état de l'exploitation de leurs oeuvres. Il précise en outre la portée de l'obligation d'exploitation permanente et suivie incombant aux éditeurs en application du code de la propriété intellectuelle. Le présent article prévoit la possibilité, à l'instar de ce qui a été fait pour l'édition de livres et pour les contrats de production audiovisuelle, d'étendre par arrêté les dispositions de ce code des usages et leurs effets vertueux à l'ensemble des professionnels du secteur musical.

L 'article 4 ouvre aux auteurs et aux organisations de défense des auteurs la possibilité de saisir le médiateur du livre dans le cadre de sa mission de conciliation préalable pour les litiges qui lui sont soumis au titre de la loi du 10 août 1981 relative au prix du livre. Il permet ainsi d'harmoniser la liste des personnes habilitées à cette saisine avec celle des personnes susceptibles d'engager une action en justice pour faire cesser ou réparer les conséquences des infractions à la loi du 10 août 1981.

L'article 5 réforme la partie du code du patrimoine relative au dépôt légal. Fondé en 1537, le dépôt légal est essentiel à la constitution du patrimoine national : il fait entrer dans les collections nationales un exemplaire de toute la production éditoriale française, qu'elle soit écrite, graphique, sonore, cinématographique ou audiovisuelle, sous forme physique ou numérique. Or la collecte automatisée des sites web et des documents numériques, prévue par la loi, fonctionne mal : elle laisse échapper les contenus numériques non librement accessibles (par exemple payants ou protégés par des processus d'authentification), qui sont chaque jour plus nombreux.

L'article proposé vise donc à corriger cette situation, en améliorant le dépôt légal numérique. Il prévoit une modalité de dépôt obligatoire pour ces sites et ces documents numériques non librement accessibles ; ce dépôt complétera la collecte automatisée réalisée par robot par les organismes dépositaires, qui est maintenue pour les contenus numériques librement accessibles. Il permet le dépôt de ces sites et documents numériques sans mesures techniques de protection, pour en assurer la conservation et la consultation pérennes, tout en garantissant aux déposants la non-dissémination de ces données. Il procède enfin à des modifications rédactionnelles pour améliorer la cohérence interne du texte.

L'article 6 formalise la recevabilité financière de la proposition de loi.

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